L'Arche du Péché

Chapitre 31 : Un orage au sein de la forteresse

12360 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:39

Un orage au sein de la forteresse


Plissant le front, Zane repoussa sa chaise de la petite table de sa chambre. Cette fois, il ne rêvait pas, quelque chose venait d’être traîné sur le sol, à quelques portes à peine de lui. Alors que Zair et Tekris étaient censés prendre du repos ensemble !

Imaginer que les partisans de Teos puissent redoubler d’outrecuidance en osant revenir poser leurs sales pattes sur la forteresse, à peine une journée depuis leur dernière attaque, manqua mettre hors de lui l’irascible adolescent. Serrant les dents de colère, attisant sa haine grandissante envers les habitants du Dôme afin de nier catégoriquement l’angoisse menaçant de s’installer au creux de ses entrailles, il jeta aux orties toute prudence, marchant à grandes enjambées bruyantes en direction de la chambre de Zair, là où se concentraient les bruits intrus. Et si cela faisait fuir les intrus avant qu’il ne les étripe, cela serait tout aussi bénéfique !

Enfin, avec les offensives menées contre elle, Adriel ne pouvait guère se trouver déjà suffisamment alerte pour reprendre le combat ! Hors, la dangereuse brune se révélait, depuis leurs premières rencontres, comme l’une des pièces maîtresse de Teos. Ce dernier n’oserait tout de même pas profiter du relâchement des Radikors pour attaquer de nouveau, se privant d’un de ses atouts majeurs ?!

Un… Un seul, avec les nouvelles capacités… dérangeantes de Saïn, songea-t-il, frissonnant sans que le froid ambiant n’en soit à l’origine. Comment résister à une traction aussi brutale sur son propre kaïru intérieur ? Et quelles sournoiseries renfermaient le don récemment découvert de la « vipère » ?

Peu importe… Après tout, j’ai bien mis hors-jeu cette petite peste et son chef d’équipe.

Comment en être absolument certain, alors qu’il ne se souvenait que de si peu de choses ?!

Il faut absolument cesser d’être ballotté de catastrophes en catastrophes par Teos, trouver un moyen de les doubler. Mais s’il savait que je les observait, suffisamment pour me tendre une embuscade, peut-on se fier aux informations que j’ai récoltées dans la grotte des Hiverax ? Probablement, puisqu’il n’a pas pu transmettre cette information à ses alliés du moment. Il faudra se renseigner sur les artefacts du Colosse.

D’un large mouvement sec, sa main luisant d’une aura carmin, mauvaise, le chef des Radikors s’apprêta à jeter une décharge d’énergie, une attaque au hasard, peu importait du moment qu’il s’agissait d’une offensive particulièrement violente, au beau milieu de la pièce qu’il venait de découvrir, balayant sur son passage intrus et possibles instruments destinés à la mettre, encore une fois, à l’envers à son équipe.

Face au visage décomposé, et quelque peu rempli d’incompréhension, de Tekris, Zane retint de justesse son attaque, tout aussi étonné que lui. Ne devait-il pas se reposer dans ses propres pénates, celui-là ?!

– Non mais tu n’as pas idée de venir fourrer ton nez ici, maintenant, alors que Teos peut revenir à tout moment ? ne put-il s’empêcher de cracher, préférant taire son peu de précautions à vérifier qui se tenait dans la pièce avant de frapper. En particulier quand tu es censé être au repos !

Balbutiant quelques mots inaudibles, ses yeux masqués braqués sur les traits de son chef d’équipe, le colosse dut s’y reprendre à trois avant de parvenir à articuler une vague explication sans grand-sens.

– Il est venu m’aider à récupérer… ce qui est récupérable, intervint Zair.

Tournant le visage vers sa sœur, qu’il n’avait guère remarqué de prime abord, Zane laissa échapper un lourd soupir de soulagement, le transformant précipitamment en une preuve de son agacement profond. Jamais il ne l’avouerait à haute voix, néanmoins l’état de la jeune femme, entre deux moments de fureur, l’avait préoccupé. Évitant soigneusement de poser ses pupilles onyx sur la tache d’un marron sombre s’étalant près d’une poutre à demi effondrée, preuve de la blessure de la jeune femme, le vert réajusta la pochette de son X-Reader, vérifiant discrètement que rien n’indiquait une nouvelle intrusion aux seins des murs de la forteresse.

Remarquant l’expression, inquiète pour le colosse, mal à l’aise du côté de Zair, il suivit leurs regards toujours fixés sur sa personne. Avait-il correctement remis ses gants ? Cachaient-ils bien les marques maudites ornant ses poignets ? Avait-il seulement pensé à les garder en présence d’Ekayon, en réalité ?!

Constatant que ses fidèles accessoires continuaient à recouvrir, accompagnés des bandelettes or ceignant ses avant-bras, tout élément personnel de son corps, l’adolescent sentit sa poitrine se serrer.

Conservant une expression impassible, Zane fit disparaître la minuscule concentration de kaïru intérieur, encore présente au sein de sa paume. Le soulagement visible de ses coéquipiers l’apaisa autant qu’il le blessa intérieurement. Le cycle se répétait, songea-t-il amèrement. Dès que ses capacités… personnelles revenaient à la surface, cela ne lui apportait que des ennuis considérables. Comme se retrouver déchu de son rang d’origine à la place de vulgaire esclave, vaurien à tout faire, par exemple.

Incapable de s’en empêcher, l’adolescent partit dans un brutal éclat de rire nerveux. Visiblement bien moins hilare que lui, Tekris tenta de mimer un intéressement soudain et vital à la pile d’objets entassée devant lui, sans parvenir à masquer un bref coup d’œil interloqué.

Sûrement me prend-il pour un fou. Remarque, peut-être a-t-il un tout petit peu raison.

Manquant redoubler de rire à cette pensée, Zane se força à tarir le ricanement au fond de sa gorge, inspirant profondément tout en se concentrant autant que possible sur la situation présente. Après tout, il lui restait quelques détails à exposer à ses coéquipiers. D’un doigt, il se massa l’arête du nez, ayant perdu sa forme d’origine à la suite d’un coup un peu trop violent. Et encore, le vert se félicitait-il de n’avoir guère hérité d’un de ces organes complètement tordu défigurant leurs propriétaires.

– Ça aurait pu mener un un regrettable accident, déclara-t-il, désignant sa paume de sa main libre.

Autant dédramatiser tout de suite l’utilisation de son kaïru intérieur. Vu la méfiance que le colosse ne parvenait absolument pas à masquer en dépit de sa crainte de l’irascible extraterrestre, ce travail risquait de prendre un long moment. Car, enfin, Tekris ne pouvait que le craindre, voir le considérer comme…

Bah, rien de pire que ce que Zane s’imaginait être. Excepté que lui, savait qu’il dominerait un jour le monde, puis l’Univers. C’était son destin : forger son pouvoir seul, à la force du poignet, en usant de la plus petite part de puissance accordée par son kaïru intérieur.

Un lourd soupir s’échappa de ses lèvres. Que ce discours lui paraissait vide de sens… N’avait-il pas déjà échoué en se laissant submerger dans la grotte des Hiverax ? Lokar n’était certainement pas le pire ennemi qu’il aurait à affronter au sein de sa glorieuse carrière, et pourtant l’idée de son retour attirait irrémédiablement un lourd frisson le long de son échine. Sans parler de Teos, Adriel et Saïn, impossible de les mettre hors-jeu très longtemps ces trois-là. Combien de temps avant de subir une nouvelle attaque ? Zair se trouvant dans l’incapacité de se battre, les pronostics de victoire des trois adolescents se réduisaient drastiquement tout à coup. À moins qu’il ne se laisse guider, susurra une voix mentale à son esprit. Après tout, le pouvoir formidable qu’il renfermait en lui ne méritait qu’une maigre contrepartie.

– Regrettable, c’est sûr, confirma Zair, grimaçant quand elle tenta de se remettre sur pied.

Quittant son tri, sourcils froncés dans une moue désapprobatrice, Tekris s’empressa de la rejoindre, passant un bras protecteur autour de ses côtes, au-dessus de sa plaie. D’un regard, la jeune femme le remercia, souriant doucement. Inclinant la tête sur le côté, Zane eut la nette impression qu’il y avait quelque chose à comprendre, qu’il ne comprenait, pour sa plus grande frustration, pas du tout.

Si seulement son crâne pouvait cesser de bourdonner en autant de murmures aussi alléchants qu’empoisonnés. Peu importait. Il conquérait le monde en tant que Zane, pas comme un vulgaire sous-fifre sous le tribut d’une puissance prenait le total contrôle de lui-même ! Pourtant, son énergie avait toujours pris le dessus quand un danger menaçait le corps l’abritant. Peut-être n’était-elle pas si mauvaise…

Résiste, bon sang ! Tu t’es déjà brûlé les ailes plus d’une fois pourtant ! Hors de question de tout perdre !

Tout perdre encore une fois, rajouta-t-il mentalement, adressant un vague signe de tête affirmatif à sa sœur.

Même elle, il avait échoué à la protéger véritablement. Arrivé trop tard, comme qui dirait. Apprendre que sa Zair s’était placé à la tête des opérations de défense de la forteresse, prenant d’elle-même la décision d’inclure Ekayon alors qu’elle ne le connaissait pas aussi bien que lui, ignorant jusqu’au pacte formé par le chef des Radikors et le solitaire, avait grandement surpris Zane. Sa coéquipière, pourtant la première à déclarer qu’il ne fallait pas contrarier son chef d’équipe, obéissant finalement à ses ordres en dépit de ses grandes réticences ? Ou elle détenait une plus grande autorité que Zane ne le croyait de prime abord, ou n’importe qui pouvait prendre sa place sans perturber outre mesure son équipe. Une possibilité que l’adolescent haït immédiatement. Admettre ses faiblesses ne l’aidait en rien à les accepter, grinça-t-il, croisant les bras sur sa poitrine, les pouces effleurant la cicatrice de sa poitrine machinalement.

Aux yeux de la vie, tu es mort.

Les paroles prononcées par le type à la capuche en personne. Tiens, était-il toujours de ce monde, après l’espèce d’assaut dans, eh bien, dans son lieu d’existence, quel qu’il soit ? Un autre mystère à élucider, puisqu’il n’en avait pas assez sur les bras, après tout !

Mais lui, Zane, qu’était-il, au fond ? Les révélations de l’homme avaient-elles un rapport avec Zair affirmant avoir vu sa silhouette sur l’île de Pâques, alors qu’il se trouvait à des centaines de kilomètres de là ?

– Tout le monde va bien, c’est l’essentiel, assura prudemment Tekris, guettant les réactions de l’adolescent.

Bien sûr. Maintenant le colosse allait se mettre à douter de lui. Comme tout le monde.

Abattu, Zane se contenta de s’appuyer contre le mur, écoutant à peine les murmures de reproches qu’adressait Tekris à sa coéquipière, lui enjoignant de retourner s’asseoir avant d’aggraver encore sa blessure. Cédant enfin à ses injonctions, de fort mauvaise grâce, l’adolescente fit montre de moins de tact.

– Est-ce qu’on doit s’attendre à ce que le solitaire franchisse cette porte ? demanda-t-elle, peu enchantée.

– Nan, Ekayon est reparti pour le monastère. Trop d’absence, a-t-il dit, mieux valait limiter les risques d’assignation à résidence tant qu’il le pouvait encore. Mais il ne lâchera pas l’affaire aussi facilement.

– Ce n’est pas plus mal de ne plus avoir à le supporter, soupira Zair, posant une main rassurante sur l’épaule de Tekris, revenu près d’elle avec son tas à trier. Le voir surgir sans prévenir était déjà assez perturbant comme ça. Même si sa présence n’était pas vraiment de trop, avoua-t-elle néanmoins.

– Ainsi, c’est de la sorte qu’il a débarqué ? soupira Zane, finalement pas si étonné.

Malgré lui, imaginer le fier combattant forcé de jouer les lurons de l’effet de surprise attira un mince sourire sur ses lèvres. Au moins, maintenant, il détenait une excuse si jamais Zair ou Tekris apercevaient Ekayon en pleine nuit à sa fenêtre. Il n’aurait plus à craindre de devoir se justifier le lendemain matin.

– Une nouvelle source kaïru a été détectée tout à l’heure. Autant dire que j’ai envoyé les Imperiaz la récolter, informa-t-il les deux autres adolescents.

– Ben voyons. Soit aucune énergie ne viendra remplir nos cuves de kaïru ce soir, soupira cyniquement Zair.

D’autant plus qu’aux dernières nouvelles, Koz est toujours au monastère suite à mes ordres, ajouta intérieurement Zane. Mais dans le doute, autant tenter le coup. Bien sûr, Diara avait protesté avec véhémence dès que le vert lui avait annoncé que Koz ne serait probablement pas là pour les épauler. Néanmoins, fort peu d’humeur à discutailler vainement, Zane s’était contenté de jouer avec les bagues royales des Imperiaz une petite dizaine de secondes, avant de couper brutalement l’appel, déjà agacé des stupidités émises par la blonde. Plus le temps passait, plus il se disait qu’il aurait tout aussi bien fait de garder les parents des Imperiaz au fond de leur prison. Jusque là, qu’avait changé ses décisions, prises sous l’impulsion de ses visions ?! Excepté leur attirer des montagnes de problèmes toujours plus épaisses ?

D’un geste de la main, l’adolescent fit apparaître un cercle de lumière, donnant directement sur la pièce dans laquelle il recevait les Imperiaz à chacune de leurs visites. Plus précisément, il concentra le reflet sur le panneau du monde établissant toutes les reliques perdues ou gagnées au fil des derniers mois, avec leurs emplacements aussi précis que possible. L’accumulation grandissante de reliques, et particulièrement de kaïru obscur, durant les quelque semaines précédentes, ne lui disait rien qui vaille, plus encore avec la survie presque certaine désormais de Lokar. D’autant plus que d’après les déclarations conjointes des Imperiaz, et celles de l’espionnage de Koz, les Stax ne parvenaient guère à toutes les récolter, de même que l’équipe princière. Parfois, les sources… disparaissaient avant que quiconque aient pu se battre pour les obtenir. Une information que Zane n’aurait guère aimé ignorer. Peut-être s’était-il laissé aller à une faiblesse quand, pour récompenser le prince de son zèle, il lui avait offert une attaque de « cauchemar vampirique ».

Quoique, l’expression outrée de Diara quand elle était venu exiger une explication (qu’elle avait reçu sous la forme d’un bref ordre donné à Zair, qui se fit un plaisir de jeter l’intruse hors des murs de la forteresse. Fort peu doucement, par ailleurs) valait bien ce genre de petit cadeau non calculé.

– Parce que tu peux faire ça aussi ? s’étonna Tekris, bouche bée.

– Oui, répondit sobrement l’adolescent, plus surpris par sa facilité à invoquer le cercle sans avoir besoin de le tracer dans les airs. Autant t’en dire un peu plus, au point où nous en sommes.

Visiblement de cet avis, Zair hocha la tête, adressant à son frère un petit sourire encourageant. Étonné de son soutien muet, Zane ne réagit pas immédiatement quand Tekris prit à son tour la parole.

– Ce serait génial, bien sûr. Mais si jamais, comment dire, ça fait beaucoup à gérer, prends ton temps. Zair m’as expliqué pas mal de choses, et je pense que je comprends mieux la situation.

Plissant le front, Zane darda ses prunelles furieuses sur la jeune femme, celle-ci tressaillant sous l’assaut muet, s’empressant de trouver un intérêt capital et hautement supérieur aux coutures de son pantalon.

– À quel point ? articula péniblement le chef des Radikors, sans daigner regarder le colosse.

Zair n’avait tout de même pas osé déballer ce qui fut son existence misérable, des années durant ?!

Devinant sa nervosité, sans pour autant savoir exactement pourquoi le corps de son chef d’équipe s’était si brutalement tendu, Tekris s’empressa d’ajouter, levant les mains en signe d’apaisement :

– Rien de précis sur vous deux, plutôt sur l’histoire du kaïru de Thiers, le Dôme, votre fuite, ce genre de petits détails cruciaux. Juste ce qu’il me faut pour comprendre un peu mieux pourquoi Adriel m’a vrillé le cerveau en dix secondes chrono, tenta-t-il de plaisanter.

– Pourtant, j’ai l’impression que tu ne me dis pas tout. Voir que tu me mens en partie, rétorqua sèchement Zane, serrant les poings sur ses biceps, fort peu amusé.

Est-ce que tu penses que c’est le moment de nous chercher des poux dans la tête ? résonna la voix de Zair au creux de son crâne. Je t’assure que je n’ai pas du tout axé mes explications sur toi.

Sans paraître le moins du monde en pleine discussion mentale, Zair quitta prudemment la couverture sur laquelle elle s’étendait, disposée soigneusement sur son piédestal. Bien que Zane remarqua que le large morceau de tissu n’était guère à la place où il l’avait laissé, il se sentit néanmoins étrangement content de constater que sa sœur avait, en dépit de ses réticences premières, accepté de l’utiliser.

Je sens que je vais le regretter, mais disons que je te fais confiance, pour cette fois.

– Passons, continua Zane, balayant le sujet d’un revers de la main. Je finirai par le savoir tôt ou tard, de toute façon. Il y a peut-être une chambre de libre près de la mienne, au fond du couloir. Nous pourrions déménager tes affaires encore en état là-bas, et te faire un petit coin sympa, qu’en dis-tu ?

Gênée, l’intéressée se racla bruyamment la gorge, Zane réussissant presque à voir les rouages de la réflexion s’activer sous son crâne. Tout aussi peu assuré que sa coéquipière, Tekris chercha silencieusement son appui, pour une raison qui, une fois encore, échappa à l’irascible extraterrestre.

Sûrement Zair, craignant ses réactions, cherchait un moyen de se retrouver le plus éloigné possible de lui !

– Eh bien, c’est-à-dire que nous avions prévu, avec Tekris, de dormir ensemble, histoire de rester groupé, tu vois, au cas où Adriel reviendrait attaquer sans prévenir. Comme ça, nous ne serons pas pris par surprise, voilà voilà, débita d’une seule traite Zair, un sourire vacillant sur le visage. Par prudence.

Évidemment, ricana amèrement le vert en son for intérieur. L’excuse pour ne pas avoir à se retrouver en face de lui. Peut-être aurait-il pu croire à son explication vaguement tirée par les cheveux, si elle ne cessait de jeter de petits regards en coin à Tekris, comme intimant silencieusement à son coéquipier de ne rien ajouter. Rien dans son discours ne paraissait seulement détenir une once de vérité ; en dépit de son assurance, et de ses affirmations de jeunesse, elle avait peur de son pouvoir, comme tous les autres. Et que Tekris semble davantage vexé qu’inquiet aux déclarations de sa coéquipière ne changeait absolument rien à l’amertume emplissant ses veines. Après tout, ne devrait-il pas se montrer satisfait ? Voir les personnes l’entourant le craindre le remplissait normalement de satisfaction, n’est-ce pas ? Il s’agissait de la preuve de sa force ; personne ne craignait les faibles. Mais ce n’était pas tellement lui qui était craint, mais cette part de son être qu’il haïssait au plus profond de lui. Après s’être en partie rapproché de la jeune femme, tout en sachant qu’elle connaissait ses travers les plus sombres, Zane avait cru, non pas être accepté tel qu’il était – cela faisait longtemps qu’il avait renoncé à cette naïveté, personne n’oserait fournir cet effort, aussi n’était-ce que justice de prendre ce qu’il voulait sans se soucier des conséquences de ses actions –, mais qu’au moins elle le soutiendrait un peu. Même de loin, ou juste en montrant ne pas avoir peur de lui, comme tous les autres.

Sauf qu’elle se précipitait près de Tekris, pourtant ignorant du véritable marasme de leur situation jusqu’à très récemment. Probablement, la carrure impressionnante du colosse la rassurait inconsciemment. Et Tekris, tout aussi craintif de la force brutale de son chef d’équipe, se sentait-il le devoir de se mettre entre ce dernier et sa coéquipière. Un bon duo, n’est-ce pas, prêt à se dresser contre lui si le besoin s’en faisait sentir !

Pourtant, en un revers de la main, Zane se savait capable de balayer la maigre protection offerte par le solide adolescent. Il lui suffisait de créer un portail sous les pieds de celui-ci, le menant au sein d’une jungle tropicale des plus hostiles, songea-t-il, penchant pensivement la tête sur le côté, un sourire flottant sur ses lèvres. Ou utiliser une de ces étranges lames carmin pour trancher les tendons de ses genoux, le laissant incapable de se battre pour le reste de sa vie. Oh, bien sûr, dans ce cas il aurait une bonne raison de se méfier.

Choqué par ses propres, et plus encore par la douceur qui s’en émanait, Zane sursauta, le souffle court.

Par les Six, qu’est-ce qui me prend ?! Je n’ai pourtant pas l’impression de me laisser corrompre par « ça » ! J’ai besoin de Tekris, tout comme je n’ai pas envie de dresser Zair contre moi !

– Très bien, acquiesça-t-il précipitamment, chassant ses dernières réflexions aussi violemment que possible.

Était-il devenu si faible, qu’un simple détour dans ses réflexions ne le mène directement là où « ça » voulait qu’il se retrouve ? Les colères explosives, mais maîtrisées, lui permettait de tenir à distance cette chose se repaissant de sa fureur ravageuse et de ses peurs les plus profondes. Hors, il ne se sentait ni furieux, ni réellement inquiet quant aux prochaines offensives de Teos et son équipe. Alors pourquoi ? Pourquoi ?

Le doute ? Ça paraissait plausible, mais terriblement dangereux pour la suite. Il devait s’endurcir, encore !

Mais seulement en imaginant devoir fournir plus d’efforts encore, s’isoler davantage de ce qui contenait la part sentimentale de lui-même, Zane se sentit envahi par un poids si lourd qu’il s’étonna de pouvoir encore respirer. Avait-il seulement la force de continuer sur cette voie ? De suivre ces principes l’ayant épargné des années durant, mais se révélant de plus en plus inefficace à mesure que le temps passait ?

– Faisons comme si je vous croyais… Je suppose que je n’ai pas le choix. Adriel a-t-elle volé autre chose que les documents de Lokar ? Elle n’a pas pu du tout accéder aux cuves de kaïru ?

– Non, elle n’en a pas eu le temps. Le kaïru obscur semble l’obséder, pire que Lokar presque, et Zair l’a distraite assez longtemps pour qu’elle ne puisse aller nulle part, assura Tekris, soulagé de n’avoir pas à fournir tout un argumentaire pour justifier l’installation de sa coéquipière dans sa propre chambre.

Néanmoins, le colosse dédia un regard interloqué à Zair, la jeune femme faisant mine de ne se rendre compte de rien, s’emparant d’une feuille et d’un crayon disposés là par Tekris dans le but de faire l’inventaire. Exactement ce qu’il fallait pour que Zane masque le frisson d’horreur l’ayant parcouru, à la seule mention de son ancien Maître. L’adolescent se détesta immédiatement pour cette réaction indigne de l’image qu’il souhaitait renvoyer à son équipe. Quoique en ce moment, son image ne valait pas tripette.

– Mine de rien, ce n’était pas une si mauvaise idée que je sois le seul à connaître l’emplacement exact de nos réserves de kaïru, déclara Zane, se remémorant les protestations indignées de sa coéquipière quand, suite à la première offensive d’Adriel, cette décision purement personnelle avait été prise.

– Mouais. Sauf qu’elle n’était pas au courant. Tu imagines les conséquences, si elle s’en était rendu compte ? Aucun doute qu’elle ne se serait pas embarrassé à nous garder en vie. Réduire la forteresse en cendres ne lui apporte pas plus de scrupules qu’à une pierre. Et encore, nous avons joué notre rôle de connaisseurs.

– Ce serait peut-être le moment idéal pour nous dire où est le kaïru précisément, tenta Tekris. Juste au cas où il faudrait échanger, tu vois. Non, attends, s’empressa-t-il de corriger devant le regard purement meurtrier de son vis-à-vis, ce n’est pas ce que je voulais dire ! Pour faire croire à un échange, plutôt, ça nous donnera de la crédibilité. On ne se débarrasse pas de ceux qui peuvent nous être utiles.

– C’est exactement ce que je me dit en ce moment même, grogna Zane, levant les yeux au ciel. Très bien, je vais y réfléchir, mais ne vous attendez pas à ce que je vous révèle absolument tous les pièges que j’ai placé autour. Quoi ? Ne me regardez pas avec ces têtes-là, vous croyiez vraiment que je laisserais nos réserves sans un minimum de protection, en particulier avec ces trois crétins qui nous courent sur le dos ?

Seul un long silence répondit à ses questions, clairement purement rhétoriques, Zair calculant déjà quels endroits se trouvaient assez solides pour contenir à la fois des réserves kaïru et des pièges du crû de son frère. Décidément, plus le temps passait, plus la jeune femme se laissait guider par son instinct, constata le vert.

– Revenons à ce qui nous intéresse réellement, recentra Zane, quittant son pan de mur pour se diriger vers le cercle reflétant l’image du panneau des reliques, qu’il agrandit dans le même mouvement.

D’après les informations récoltées par Koz, une bonne dizaine de reliques leur étaient passées sous le nez, sans parler des Stax. En plus des troubles récents dans plusieurs villages ayant déjà abrités des sources d’énergie. S’il ajoutait l’affirmation d’Ekayon comme quoi un de ces derniers avait subit une attaque particulièrement brutale quelques temps auparavant, cela laissait penser que soit les Hiverax étaient poussés à l’épuisement par leur mystérieux – mais pas tant que ça – Maître, auquel cas leur résistance jour après jour relevait de l’impossible, soit Teos, Adriel et Saïn entraient dans la course au kaïru, ce qui paraissait des plus étrange étant donné le peu d’importance de l’énergie classique pour les utilisateurs du kaïru de Thiers.

– Je suis entièrement d’accord, confirma Zair, grattant machinalement l’intérieur de son coude. Étant donné que désormais, nos ennemis savent exactement où nous nous trouvons, peu importe nos précautions, il serait judicieux que j’utilise mes pouvoirs… personnels quand nous nous battons contre les Daminiens.

Devant l’impassibilité à peine un peu curieuse de Tekris, Zane conclut qu’effectivement, cette partie de l’histoire n’était plus un secret pour le colosse. Pour autant, discuter aussi naturellement de sujets tabous, pire, enfouis soigneusement depuis des années, lui procurait une impression désagréable de contre-nature.

– Je ne sais pas, marmonna-t-il. Cela reste très dangereux pour toi, et qui sait quelles autres attentions cela pourrait bien attirer ? Sans parler des poignards que tu m’avais dit avoir jeté, ajouta-t-il avec reproche.

– Peut-être, rétorqua Zair sans se démonter, mais ces poignards m’ont sauvé la vie. Tout comme mes pouvoirs. Enfin, disons qu’ils nous ont permis de tenir suffisamment longtemps pour attendre ton retour.

– C’est vrai, confirma Tekris, bombant incompréhensiblement le torse. C’est sacrément impressionnant.

– Une explosion nucléaire aussi, c’est impressionnant, pour autant je n’irai pas dans une centrale, grommela Zane, croisant ses mains devant lui pour s’empêcher de laisser ses doigts trahir sa nervosité. Plus sérieusement, disons que tu peux les utiliser dans les situations d’extrême urgence, mais évite d’employer la moindre parcelle de kaïru de Thiers tant que c’est possible. Le Redakaï n’est pas au courant de ta… particularité. Et crois-moi, l’apprendre ne les fera pas se rallier derrière toi, même si leurs vies en dépendait.

Bien que le règlement du monastère l’interdise formellement, Zane n’avait pas une seule fois regretté ses quelques fouilles dans les archives personnelles de Maître Baoddaï, du temps où il était encore élève du vieil homme. Tiens, peut-être serait-il judicieux de dévoiler le véritable emplacement des documents secrets de l’homme à Ekayon, à présent que le solitaire savait que le chef des Radikors lui avait consciemment menti sur leur cachette. En même temps, l’adolescent se trouvait plutôt fier de son long développement sans grand-sens au final, et plus encore que le combattant du bien ait tout gobé. Surtout que l’ensemble de sa tirade était totalement improvisé au fur et à mesure de son discours. Certes, ce n’était guère très honnête de sa part, étant donné le marché qu’ils avaient passé ensemble – Ekayon avait un chouïa le droit de s’insurger en apprenant le pot aux roses. Mais Zane s’était dévoué à lui dévoiler la vérité avant que le solitaire ne se retrouve enfermé dans ses appartements et jugé pour outrage à un Maître, ou peu importait en réalité.

Jugeant que l’argument de son frère fut justifié, Zair approuva sa décision, promettant à contrecœur de se montrer particulièrement prudente. Au moins Zane disposait-il de quelques jours pour se faire à cette idée, le temps que l’adolescente puisse reprendre les combats, kaïru ou autre. Profitant de cet intermède de calme bienvenu, Zane prit des nouvelles de la santé de ses coéquipiers, plissant le front chaque fois que Tekris titubait involontairement, preuve que les effets de la pression mentale d’Adriel continuaient à perdurer. Les attaques mentales se révélaient toujours dévastatrices ; le chef des Radikors en avait fait l’expérience plus d’une fois durant son enfance alors qu’il se devait encore de prouver sa valeur. Aussi, exceptionnellement, choisit-il de n’émettre aucune imprécation devant le temps de récupération nécessaire au colosse pour se remettre. Au moins Zair guérissait-elle à une vitesse attendue, aucune mauvaise surprise de type infection ne venant pour le moment se joindre à la partie. Ne manquait plus qu’une patience que l’adolescent détestait.

Décidément, si par malchance les Radikors devaient se battre à ce moment précis, Zane ne donnait pas cher de leurs chances de lutter. Se morigénant intérieurement de cette désagréable obsession, il se força à écouter avec attention le rapport que s’employaient à lui fournir ses coéquipiers avec application.

– Donc, au risque de te faire répéter, intervint-il, le regard toujours rivé sur la carte des reliques, Adriel n’a volé que les traductions, les originaux restent en notre possession ?

– Exactement. Sauf que Teos, voir même Adriel une fois qu’elle se sera éloignée de la forteresse, devinera sans peine qu’il s’agit de copies. Et nous n’avons pas pu reprendre la statuette en jäadi. Elle est tombée dans la neige, mais nous l’avons perdu de vue pendant le combat. Impossible de savoir si elle se trouve toujours aux alentours, ou si l’une des marionnettes d’Adriel l’a récupéré. Je sais que je n’avais pas l’autorisation…

– Pitié, Zair, ne te fatigue pas, soupira Zane. J’essaierai de la chercher, et si elle est perdue, autant se préparer tout de suite à la riposte. Il nous faut absolument prévoir les prochaines actions des Daminiens, les doubler pour une fois. Assez de se trouver ballotté en faisant face à ces crétins insupportables ; nous ne sommes pas leurs jouets ! (se retournant brusquement, l’adolescent s’efforça de transmettre une assurance qu’il ne ressentait que très imparfaitement) Dans tes traductions, est-ce que tu te souviens de quelque chose à propos du Poing du Colosse ? Ou de n’importe quoi qui se termine par « du Colosse » ? C’est très important !

Laissant échapper une mince onomatopée, la jeune femme se gratta la tempe, prenant garde à garder son bras près de son buste. Prenant quelques secondes de réflexion, elle finit par hocher affirmativement la tête.

– Je crois bien qu’il était fait mention du Colosse dans l’un des parchemins que tu m’as donné. Il n’y avait aucune image, mais des sortes de vers accompagnaient le texte, détaché du reste par un large blanc. C’est ce qui m’a interpellée. Lokar expliquait que plusieurs reliques contenaient en réalité des artefacts extrêmement puissants, parfois vénérés dans des tribus indigènes comme les marques de leurs dieux tributaires. Avant de rajouter, dans une encre différente, que le Poing lui avait échappé. Ah, non, que les Battacor, par leur incompétence, avaient perdu la relique au profit des Stax. Quelque chose dans ce style. Ça m’a fait bizarre de lire le nom de ces trois andouilles après tant de temps sans nouvelles.

– Ils ne m’ont pas manqué, rétorqua Zane, les équipes de Lokar se trouvant excité, par ce dernier, à mener une compétition pleine de coups bas entre elles – d’autant plus que Zane ne supportait pas Zylus, leur chef, s’il était possible de l’appeler ainsi. Cela colle presque parfaitement, rajouta-t-il, davantage pour lui-même. Si je te donne le texte original, est-ce que tu peux me le traduire, en partie, peu importe, sur-le-champ ?

– Je peux toujours essayer. En espérant que je me souvienne à peu près de mes traductions.

À peine eut-elle achevé sa déclaration, que Zane traça un nouveau cercle dans les airs, dans le but cette fois d’accéder à sa poche dimensionnelle personnelle. Cette fois, même Zair l’interrogea muettement, ignorant cette capacité de son frère. Étrangement, Tekris se contenta de lever à demi les bras, comme pour prendre le ciel à témoin, avant de les laisser retomber le long de son flanc, dépité de son ignorance. Quand il croyait accéder à une partie de la vérité, un nouvel élément s’intercalait entre tous les autres.

Pour un peu, Zane aurait presque ressenti un chouïa d’empathie pour son coéquipier.

– Ce truc me permet de stocker quelques babioles, dont le coffret de Lokar, daigna-t-il finalement expliquer tandis qu’il en sortait l’objet en question. Ainsi, je suis certain que personne ne viendra fouiner dans mes affaires, puisque je suis le seul à pouvoir y accéder. Avouez que c’est tout de même plus sécurisant !

– Pour sûr, assura Tekris du bout des lèvres. Attends un peu, c’est là-dedans que sont les cuves de kaïru ?!

Écarquillant les yeux, comme s’il craignait que le cerveau de son coéquipier se trouvait trop secoué pour être réparable, Zane ne put s’empêcher de sourire narquoisement, bien que toujours crispé.

– Je n’ai pas le loyer léger, railla-t-il. Créer cette poche me demande un minimum d’énergie, et elle n’est pas assez grande pour contenir des objets trop volumineux. Avant que tu ne demandes, Zair, non, je ne te dirai pas ce que cela renferme. À part le coffret de Lokar et la clé de sa prison, évidemment.

Refermant le cercle lumineux après son passage, l’adolescent s’assit à même le sol, croisant les jambes en tailleur. Si seulement sa fatigue pouvait ficher le camp, songea-t-il avec agacement, fouillant dans les notes de Lokar. Laissant de côté les feuillets volants, l’adolescent tendit le premier rouleau sous le nez des autres.

– C’est ce parchemin là ? demanda-t-il, se penchant afin que Zair puisse se saisir de l’objet.

La jeune femme dénoua la corde empêchant la feuille épaisse de dévoiler son contenu au premier venu, déroulant cette dernière dans un froissement sec. Parcourant brièvement l’écriture serrée de son ancien Maître, elle jeta au loin le parchemin, sous le regard médusé de son frère.

– Non, je pense qu’il s’agit de l’autre, celui-ci avait une illustration. Je peux le voir ?

– Hum… En fait, je vais plutôt te le montrer, et toi tu va me dire ce qui est écrit, déclara Zane, lorgnant avec une pointe d’irritation le précieux papier, rejeté comme s’il ne s’était agit que d’une vulgaire liste de course.

– Tu te compliques un peu la vie, mais si tu veux, céda Zair, sans comprendre sa réaction.

Par chance, comprenant la raison du soudain revirement de son chef d’équipe, Tekris se leva lourdement, traversant la pièce afin de tirer de la poussière le parchemin, le secouant légèrement. S’empressant de rendre l’objet à l’adolescent, Zane le remercia vaguement du menton, récupérant les précieuses informations qu’il fit disparaître avec empressement au sein du coffret, en sortant son jumeau, terriblement soupçonneux.

Bien plus précautionneux, il en saisit les deux extrémités, présentant sa face noircie à sa coéquipière. S’appuyant sur le bras de Tekris, revenu à ses côtés, pour se rapprocher des écritures, Zair commença à les déchiffrer, jouant inconsciemment avec la pochette, nouée à sa cuisse, renfermant son X-Reader.

– Tu sais qu’un jour, il faudrait que tu apprennes l’anglais ? Ce n’est pas plus compliqué que du mandralien, je suis certaine qu’en peu de temps tu réussirais à apprendre les bases. (devant le grognement peu amène ponctuant sa déclaration, la seule fille des Radikors jugea plus prudent de se concentrer sur le morceau de parchemin sous ses yeux, s’efforçant de détourner rapidement le sujet avant que Zane ne décide d’exprimer son mécontentement de manière plus… évidente) Si je me souviens bien, les premières lignes transcrivent une série d’endroits où Lokar pense trouver ce qu’il appelle les parties du Colosse, ainsi que l’apport monumental qui contribuerait à l’amélioration inévitable de sa « création ». Probablement le kaïru obscur, à moins que notre cher Lokar nous réserve encore d’autres tours dans sa manche. Puis vient un quatrain assez sibyllin, pour ne pas dire franchement incompréhensible. Celui-là, je m’en souviens plutôt bien.

Toussotant doucement pour éclaircir sa voix, l’adolescente reprit, d’un ton empreint de solennité :

– « Une âme pour un corps, l’équilibre revient,

Le Colosse prend forme devant l’autel d’ébène,

Sa Hache vengeresse prend fin et résonne dans le temps

Son hymne guerrier libère les forces et altère le futur ».

Beaucoup trop d’éléments coïncident pour que ce ne soit qu’une coïncidence, déclara Zane, dépité.

– Continue.

– C’est à peu près tout en ce qui concerne les vers. Ensuite, toujours d’après Lokar, la réunion du Colosse est censée lui apporter la toute-puissance. Le Colosse semble être un monstre kaïru extrêmement puissant, remontant peut-être aux origines de la découverte du kaïru, quand l’amphithéâtre universel du Redakaï se trouvait encore plein à craquer. Cela conférerait à son possesseur une puissance monumentale, capable de renverser les forces de l’ordre établi pour les communiquer aux siennes. Lokar se trouvait persuadé, si j’en juge ses divagations, que le Colosse offrirait un corps invulnérable, immortel, une fois toutes ses parties réunies. À condition d’accepter de se trouver lié à lui pour l’éternité, quoi que cela veuille dire.

– Une puissance phénoménale, un serviteur dévoué, voilà qui correspond bien aux objectifs de Lokar, commenta Zane, glissant une main sous son menton. Mais de la part de Teos, cela me surprend. Pas une seule fois il n’a douté de sa propre force, ni de celle de son peuple. Et il n’est pas venu sur Terre dans le but d’en acquérir davantage, d’après ses dires.

– Sauf qu’on ne connaît pas la totalité de leurs intentions, intervint Tekris. Qui sait, ils obéissent sûrement à une instance supérieure, et celle-ci est plus avide de pouvoir que l’équipe du machin, là, du Dôme ?

Incertains, les adolescents haussèrent les épaules, une inspiration lourde d’incompréhension manquant étouffer Tekris, tant la poussière emplit brutalement ses poumons. À la fois agacé, et sur le point d’éclater de rire, Zair tapota le dos du solide garçon, attendant patiemment que sa toux s’achève pour reprendre la parole.

Frustré de voir la discussion différée à cause d’une bêtise de son coéquipier, Zane détourna diplomatiquement le regard pour s’empêcher de foudroyer visuellement l’objet de son mécontentement. Tekris méritait une sacrée mise au point, en privée, néanmoins il ne se sentait pas le courage de le houspiller maintenant, sans compter que cela, au final, ne changerait rien à la situation présente.

Par contre, il n’échapperait certainement pas aux remontrances salées se formant déjà au creux de son esprit.

– Le problème est qu’il s’agit seulement d’une courte partie d’un long texte, selon Lokar. Notre ancien Maître s’est fait surprendre par ce qui paraît être un mécanisme de protection enfoui dans les ruines renfermant le quatrain. Et le temple, ainsi que le reste des bâtiments « menant à un abîme à la fois hors et partie de la Terre » – ce sont ses mots – se sont écroulés alors qu’il venait tout juste de recopier ce fragment.

Zair serra les mâchoires, son poing serré autour de son poignet, fâchée de ne pouvoir satisfaire sa soif d’explications. Peinant à se concentrer plus de quelques minutes, Zane songea qu’elle lui rappelait vaguement Maya, plus jeune, quand son désir de connaissances se trouvait entravé par le plus vulgaire des obstacles. Qu’il s’agisse d’un vieux Maître déclamant qu’elle se trouvait trop jeune, ou de l’arrivée de la nuit et la fatigue l’accompagnant irrémédiablement. Cependant, la ressemblance s’arrêtait là. Habituée à survivre, Zair récoltait tout ce qui lui servirait tôt ou tard, selon ses critères, et le plus rapidement possible. Maya, quant à elle, désirait tout savoir, que cela se révèle utile par la suite ou non.

– J’ai du mal à comprendre, avoua Tekris. D’accord, il est question d’un Colosse, mais pas de son Poing, ou autre. Admettons que tous ces trucs étaient sur la partie du texte manquante, Lokar l’aurait forcément mentionné dans son parchemin, non ?

– Peut-être, concéda Zair. Mais je crois qu’il s’agit d’un résumé des découvertes de Lokar, la partie la plus importante de ses recherches secrètes. Juste des observations diverses sur les possibles interprétations du texte, un bref résumé de ses recherches lui ayant permis de trouver le texte, et c’est tout. Et bien sûr, ses suppositions quant à l’emplacement de telles reliques. Honnêtement, le coffret de Lokar a beau être joliment stylisé, il reste limité en terme de place. Au fait, pourquoi tu cherchais précisément quelque chose sur le Poing du Colosse ? À première vue, c’est une relique comme les autres, connue du Redakaï également. Et ce n’est pas la première fois que ce cher Conseil conserve des détails qu’il ne juge pas nécessaire de communiquer à leurs propres élèves. Rien de bien suspect, pour l’instant.

– Ce qui est suspect, justement, est que j’ai entendu Teos s’intéresser au Poing, au Cœur, à la Hache et à la Couronne du Colosse, dans la grotte des Hiverax. Apparemment, il aurait rendu service au Maître de ces insupportables triplés en échange d’informations sur la localisation de deux de ces reliques. Le plus problématique étant qu’il affirmait déjà posséder les autres.

L’adolescent se tut brusquement, tendant l’oreille. Réagissant d’instinct, les deux autres adolescents cessèrent toute discussion séance tenante, écoutant à leur tour. Aucun bruit ne vint troubler le silence, excepté le craquement habituel des poutres malmenées par le vent. Dévisageant leur chef d’équipe comme s’il venait subitement de perdre toute sa raison, Zair et Tekris patientèrent néanmoins jusqu’à ce que ce dernier hoche la tête, leur intimant de continuer. Le bon sens voudrait que, obnubilé par Adriel et son attaque, Zane se mette à imaginer des sons inexistants, interprétant le plus petit bruit suspect de manière exagérée.

Pourtant, l’irascible extraterrestre, aussi malmené soit son esprit ces derniers temps, ne put s’empêcher de songer qu’il lui avait bien semblé entendre un son bien trop régulier pour se trouver attribué au seul vent.

– Le problème, c’est que ce maudit gamin se doutait, à un moment ou à un autre, de ma présence. Probablement pas au départ, mais il y a eu un incident qui m’a fait repérer. Aussi je ne peux pas être totalement certain de la fiabilité des informations obtenues. Pourtant, je pense que cette histoire de Colosse est vraie. S’allier à qui que ce soit n’est pas dans les habitudes des Daminiens, aussi ils ne prendraient pas le risque de perdre du temps en lançant des fausses pistes, sans certitudes que cela fonctionne.

– Quel type d’incident ? questionna Zair, peu dupe quant aux chances qu’avait Teos de laisser filer Zane sans tenter de l’appréhender. Quelque chose que nous devrions savoir?

– Disons que je m’en suis sorti de justesse, admit à contrecœur l’adolescent. Tout d’abord, je me suis retrouvé dans une sorte de dimension parallèle, et un type invisible a surgi de nulle part, sans daigner se montrer mais réduisant à néant le lieu où je me trouvais. Une seconde de plus, et j’y restais. Et surtout, Saïn a développé un nouveau talent, malheureusement.

Répugnant à continuer, Zane coupa sa tirade, parfaitement conscient que Zair ne tarderait pas à faire le rapprochement entre le réveil de « ça », et la scène qu’il s’apprêtait, même imparfaitement, à lui décrire.

Pourtant, impossible de reculer, maintenant que la petite bombe était lancée. Cacher un tel détail ne pouvait que mettre encore davantage ses coéquipiers en danger, hors, le moindre faux-pas pouvait leur être fatal désormais. Remarquant que ses mains s’étaient mises en mouvement sans s’en apercevoir, Zane s’empressa de les croiser de nouveau, ignorant son malaise toujours grandissant. Peut-être qu’en prenant garde à rester aussi peu précis que possible sur les circonstances, tout en développant exagérément le pouvoir de Saïn, ses coéquipiers ne prêteront guère attention aux trous dans son récit.

Soit proche de tes amis, et plus encore de tes ennemis, selon le proverbe.

– D’après Teos, sa chère amie peut à présent repérer les utilisateurs de kaïru, et introduire dans leur énergie des fluctuations terriblement incapacitantes, expliqua-t-il, retenant un tremblement en se remémorant son impuissance momentanée face à la vipère. Je n’ai pas exactement saisi, mais il lui est facile de maîtriser quiconque utilise du kaïru, pourvu qu’elle soit assez puissante pour maintenir son attaque.

Alors qu’il s’attendait à devoir ignorer pléthore de questions sur l’origine de ses connaissances, Zane fut surpris de constater le silence calculé de ses coéquipiers, respectant et devinant la peine qu’avait dû subir leur chef d’équipe pour récolter ces connaissances. Il ne sut s’il appréciait cette marque de considération, ou s’il se sentait vexé de comprendre que ses coéquipiers savaient sa faiblesse.

– Quelque chose continue à me chiffonner, déclara enfin Tekris, alors que le vert s’apprêtait à tendre de nouveau l’oreille. La phrase de Lokar, sur l’abîme à la fois dans la Terre et hors de celle-ci. Arrêtez-moi si je me trompe, mais cela ressemble beaucoup à cette histoire de Source du kaïru de Thiers, non ? Enfin, si j’ai bien saisi, Thiers a découvert cette dernière dans une sorte de dimension à la fois au sein du kaïru, et totalement en-dehors. Je ne dis pas que Lokar s’est retrouvé la tête la première dans cette Source, mais peut-être qu’il s’est trouvé très proche d’un lieu rempli d’énergie de Thiers.

Zane et Zair s’échangèrent un regard pensif, reflet l’un de l’autre.

– C’est une possibilité, admit la première l’adolescente. Thiers a passé un certain sur Terre, en sa qualité d’ancien Maître du Redakaï. Personne ne sachant exactement l’étendue de ses possessions, il est possible que certains vestiges de l’époque aient survécus au passage du temps. Ce qui implique que Thiers, au minimum, était au courant de l’existence de ce Colosse. Le Dôme veut peut-être l’assembler pour retrouver la grandeur du fondateur de leur pratique martiale, afin de montrer au monde sa force ? Leur faire payer leur exclusion ?

– Et si Lokar est effectivement le Maître des Hiverax comme je le soupçonne, cela apporte un début de piste quant à l’association qu’il forme avec le Dôme, renchérit Zane. Si seulement nous savions où Lokar a déniché ces fameuses ruines ! Une partie pourrait être encore debout, et nous éclairerait un peu !

Tekris haussa les épaules, tout aussi peu renseigné que lui. Un détail du parchemin, peut-être, permettrait de situer l’endroit des ruines avec un minimum de précision ? Pourquoi, contrairement à l’autre, Lokar n’avait-il pas traduit ce maudit bout de papier en mandralien ?! Au moins aurait-il pu lire seul !

Assailli par une brusque nausée, l’adolescent coupa court ses réflexions, tendant le bras afin de se tenir au sol tanguant soudain sous son propre poids. À peine eut-il conscience de la poigne de solide près de lui, prête à le maintenir si besoin, sans oser s’approcher davantage pour le moment. Une sage précaution.

– Zane ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ?! s’inquiéta sa sœur, posant une main sur son épaule sans crainte.

Redoutant un instant de vider le contenu de son estomac sur le plancher s’il s’attardait à répondre, l’intéressé se força à souffler profondément, prenant garde à ne pas s’étouffer avec la poussière comme Tekris auparavant. Mais à peine eut-elle posé cette question, que Zair se détourna, levant un regard soupçonneux vers le plafond, les yeux écarquillés. Sans se trouver dans sa tête, Zane devina sans peine que quelque chose clochait. D’un signe, elle intima à Tekris de se relever, reportant son attention sur le vert.

– Aucune idée, lâcha-t-il, au bord de l’accident fâcheux. C’est comme si quelque chose me tordait de l’intérieur ! Ou tentait de percer un trou avec la douceur d’un marteau-piqueur sous stéroïdes !

– Il se passe quelque chose de bizarre avec ton espace-temps, marmonna Zair, la tension crispant sa voix. (clairement perdu, Tekris passa son regard de l’un à l’autre de ses coéquipiers, visiblement encore ignorant de certains détails) Comme s’il trouvait une résonance dans la forteresse. Ou plutôt, un passage.

– Tu es en train de me dire qu’un truc m’utilise pour…

Penchant la tête en avant contre sa volonté, toussant éperdument à cause des tornades de poussière soulevées par les gravats roulant sous son corps, Zane mit un long moment avant de comprendre se trouver à plat ventre, bien loin de l’endroit où il se tenait une fraction de seconde plus tôt. Un épais brouillard bouchait sa vue, l’empêchant de distinguer plus loin que la longueur d’un bras qu’il ne parvenait pas à soulever. Presque de la même manière qu’il s’était retrouvé impuissant, lors de la première offensive de la forteresse.

Non, pas encore !

Si la dernière fois, il avait pu s’extirper de sa torpeur au son des appels répétés de Zair, il ne comptait certainement pas céder à l’appel muet de ce drôle de brouillard, pas une seconde fois !

Luttant de toutes les forces encore disponibles au sein de son corps, l’adolescent plaqua sa main contre le sol, poussant pour se retrouver à quatre pattes, tournant le visage dans son épaule pour ne pas respirer, au maximum, l’air environnant. Toussant de nouveau, il dut s’ébrouer brutalement afin de dégager ses yeux de l’épaisse couche les recouvrant. Regardant du coin de l’œil les lieux, il constata se trouver toujours dans les reliquats de la chambre de Zair… mais presque à l’autre bout de la pièce, près de la porte contre laquelle il venait, plus que probablement, de se cogner. Pourtant, l’endroit lui paraissait, de ce qu’il parvenait à en distinguer, plus mal en point encore qu’après le passage d’Adriel.

– Zair ! Tekris ! Répondez ! Où êtes-vous ? croassa-t-il péniblement en tentant d’ignorer le bourdonnement vrombissant dans ses oreilles, s’appuyant contre le mur pour revenir sur ses pieds.

Alors que l’adolescent sentait la colère se mêlait à l’angoisse devant le silence régnant, la luminosité décrût soudainement, l’entourant d’un terrain de ténèbres sur lequel il ne savait où se diriger. Dans un réflexe inouï, le chef des Radikors bondit là où l’aura crépusculaire reflétée par les glaces environnantes continuait à percer. Un violent fracas retentit derrière lui, son corps roulant pour amortir la chute, lui permettant néanmoins de se relever, même imparfaitement.

Avant qu’il ne puisse élaborer le moindre plan, un second voile se matérialisa au-dessus de lui, cette fois complètement horizontal, limitant drastiquement ses possibilités de fuite, sa lueur d’un gris mauvais évanescente se précipitant sur sa pupille. Retenant son souffle, l’adolescent mobilisa instinctivement son énergie intérieure. Une lame verticale, d’un carmin agressif, trancha le pan de kaïru de Thiers juste avant qu’il ne s’abatte sur sa cible. Une salve de ce qui ressemblait à une série de « pointes malveillantes » illégalement dopées jaillit du néant, sur sa droite, le forçant à dresser en catastrophe un bouclier.

La violence de l’impact l’ébranla, sa protection se brisant sous la force de l’assaut, le projetant en un vol plané. Entrant en contact avec le sol trop rapidement pour pouvoir se rétablir, l’adolescent laissa échapper un sifflement de douleur, serrant les dents afin d’effectuer néanmoins une roulade salvatrice.

La pierre explosa en une gerbe de plaques aussi grandes qu’un homme de taille moyenne, s’écroulant autour de lui en une forêt meurtrière. Son estomac protesta vigoureusement contre ce traitement, se soulevant à chaque soubresaut. Protégeant vainement son visage de son bras, Zane se trouva dépourvu, coincé entre des plateformes minérales toutes plus épaisses les unes que les autres. Difficile de trouver une porte de sortie.

Parvenant miraculeusement à enclencher une course erratique, l’adolescent accéléra autant qu’il le put le mouvement. Son instinct lui intima de sauter sur le côté, juste à temps pour qu’un gravat gigantesque lui effleure les pieds au lieu de les broyer. Étrange que ce truc énorme se soit stoppé pile devant lui.

Bouche bée, l’adolescent réalisa que le « truc » en question ne reposait pas sur le sol, planté aussi sereinement que ses confrères. Au contraire, celui-ci flottait à quelques centimètres du sol, maintenu précairement en suspension. S’il s’était réellement enfoncé dans le sol, sûrement aurait-il pu dire au revoir à ses chères jambes, réalisa-t-il en constatant que la base de la plateforme était deux fois moins large que son centre. Décidant de remettre à plus tard les réflexions, il se décala sur le côté, s’éloignant prudemment.

Aussitôt après qu’il fut hors de danger, toute lévitation cessa, le métal mêlé de pierre formant le sol de la forteresse se craquelant dangereusement. Par chance, il ne s’effondra cependant pas, les failles s’agrandissant néanmoins à chaque nouvelle secousse. À ce rythme-là, la forteresse ne tiendrait plus longtemps.

– Non ! Non, non, ce n’est pas possible ! Ça ne peut pas se finir comme ça ! hurla l’adolescent aux regards inquisiteurs qu’il sentait sans pouvoir les voir, sa voix résonnant étrangement dans les fracas environnants.

Refusant de céder au désespoir tentant de s’installer au creux de sa poitrine, Zane s’arracha à ses imprécations, sifflant de rage. Une fine silhouette se dessina devant lui, peinant à marcher sans zigzaguer. Émergeant de la brume, Zair se tint soudainement devant lui, soulagée de rencontrer un visage familier dans la tourmente les assaillant sans signe avant-coureur. Grimaçant de souffrance, l’adolescente tenait d’une main sa taille blessée, l’autre s’appuyant sur son frère dès qu’il fut à portée de bras, hors d’haleine. Ses cheveux s’éparpillant en désordre sur ses épaules minces, les couleurs de ses vêtements disparaissant sous un gris-ocre, résultat de l’irruption du kaïru de Thiers. Pour autant, remarqua Zane, aucune corruption ne l’avait atteinte, et son X-Reader restait accroché à sa cuisse, bien que sa propriétaire ne l’utilisât guère.

– C’est toi qui a arrêté ce truc énorme ? demanda l’adolescent, invoquant une nouvelle protection afin de parer une salve de décharges énergiques.

– Je n’allais pas te laisser finir en crêpe bretonne, articula péniblement sa vis-à-vis.

La voûte de brume les entourant fut brutalement transpercée, laissant le passage à une véritable tempête d’éclairs, projetant une vague d’étincelles ardentes chaque fois que l’un d’entre eux touchait le sol. Glissant son bras sous les jambes de sa coéquipière, Zane la souleva en dépit de ses muscles raides, la collant contre sa poitrine. En une demi-douzaine de salves à peine, le tonnerre brisa son bouclier comme s’il se fut s’agit d’une vulgaire coquille d’œuf sous la botte d’un fermier imprudent.

– J’ai perdu Tekris de vue, cria Zair, ses bras fins serrés autour du cou de son frère, juste assez pour se tenir fermement sans l’étrangler. Il faut le retrouver, Zane ! Je t’en prie !

– J’y travaille, haleta l’intéressé, levant sa paume ainsi libérée afin de gratifier le dolmen lui barrant la route d’une déflagration d’énergie aussi agressive que le kaïru les prenant pour cible.

Aucun doute, il s’agissait bien de la même technique employée pour le neutraliser autrefois. S’activer frénétiquement paraissait ralentir la progression de l’engourdissement crispé inhérent à son inhalation, cependant Zane sentait déjà décliner ses forces, la silhouette pourtant légère de sa sœur semblant s’alourdir de seconde en seconde. Emprisonnés dans ce guêpier, rien ne leur permettait d’échapper au courroux presque céleste de leur puissant adversaire, invisible à leurs yeux.

Exactement comme dans la grotte des Hiverax !

Ne pouvaient-ils pas se voir accorder une simple journée de repos ?

Heureusement que d’après Teos, je dois rester envie, sinon qu’est-ce que cela serait !

Juste devant lui, des sortes de boules allongées, en forme d’œufs presque, tombèrent du plafond, creusant d’immenses cratères qu’il dut franchir à l’aide de bonds maladroits. Se concentrer exclusivement sur le moyen de sortir d’ici, ne pas prêter attention à la raideur immobilisant lentement son corps. Ignorer la tension parcourant le corps de l’adolescente dans ses bras. Elle s’en sortirait, elle s’en sortait toujours.

– Attends ! l’arrêta Zair. La dernière attaque ne nous visait pas !

Compris ! Je m’en charge, lui répondit-il mentalement, incertain d’être entendu.

Zane dut lutter de pied ferme pour mobiliser à nouveau son énergie, son fardeau l’empêchant d’atteindre son X-Reader pendant contre sa hanche. Lâcher Zair, la laisser en arrière le temps d’aller secourir Tekris, vraisemblablement en tout aussi mauvaise posture qu’eux, lui garantissait une plus grande liberté de mouvement. Repoussant cette idée sans pitié, l’adolescent resserra sa prise autour de l’adolescente.

La brume s’épaissit encore, transformant l’air qu’ils respiraient en un brasier insupportable. Moins dépourvue qu’il ne le crut de prime abord, Zair invoqua son kaïru intérieur, l’incendie mortel se retrouvant déplacé à plusieurs mètres de là. Probablement une autre manipulation des espaces-temps, impossible à comprendre pour un non-initié tel que lui.

Enfin, ils débouchèrent en trombe dans une poche à peu près saine au milieu du brouillard, Zane manquant de s’étaler par terre tant il perdit l’équilibre, assaillit encore par l’impression de se trouver distordu.

Allons, ce n’est pas pire que le traitement que t’as fait subir Saïn, se morigéna-t-il furieusement.

À quelques pas de là, Tekris s’effondra, un mince ruban évanescent flottant dans l’air éraflant son biceps sur plusieurs centimètres, une large entaille rougeoyante s’étalant sur la peau fendue en deux comme une noix de coco sous l’impulsion du marteau. Immédiatement, Zane sut que le colosse venait probablement de sauver sa vie, observant avec horreur les minces filaments entourant son coéquipier, d’un gris presque bleuté sous la lumière du kaïru de Thiers. Si minces qu’un élastique était plus épais qu’eux, et pourtant plus tranchants qu’un filin d’acier. Si Tekris s’était jeté sur eux, il aurait finit découpé tel un poulet sans tête.

La rage consumant ses veines, Zane projeta son énergie contre les insidieux pièges, les réduisant à néant sans qu’il ne sache réellement comment il s’y était pris. Avalant la distance le séparant encore de son coéquipier, l’adolescent déposa cette fois Zair à terre, calant son épaule sous l’aisselle du solide garçon.

Gémissant, Tekris, à peine conscient, peina à comprendre qui venait tout juste de le tirer d’un sacré mauvais pas. L’inquiétude tordant ses traits, sa coéquipière posa délicatement les mains autour de son visage, le relevant avec maintes précautions, comme si l’élancement de son flanc venait de disparaître, englobé dans un manque de considération totale. Ce contact sembla réveiller un peu le colosse, sa tête cessant de dodeliner au gré des esquives de Zane pour se fixer sur le visage de sa coéquipière. Sous ses doigts serrés, le chef des Radikors sentit les muscles tendus à l’extrême, comme prêts à se rompre sous une pression trop intense.

– Content de te savoir en forme, souffla erratiquement le colosse, ne se détachant pas une seconde des iris pâles de la jeune femme. J’ai eu tellement peur que ce machin t’avais chopé…

– Ne parle pas, contente-toi de reprendre tes esprits, et vite, ordonna Zair.

Évaluant la distance les séparant de la fenêtre la plus proche, Zane manque hurler de rage. Sa sœur avait beau jouer les inatteignables, il savait avec certitude qu’elle ne se trouvait pas dans un état beaucoup plus glorieux que le colosse. Elle ne parvenait pas même à se tenir complètement droite, vaincue par la brume empoisonnée et sa plaie. Jamais ils n’atteindraient quelconque sortie.

Tirant tant bien que mal Tekris derrière une poutre jetée à bas par les éclairs répétés, Zane laissa tomber son fardeau à terre, le confiant momentanément à Zair. Collé à cet abri improvisé, et bien peu utile, il devait bien l’avouer, le chef des Radikors se pencha prudemment, risquant un regard afin d’évaluer leur position aussi précisément que possible. Pliant et dépliant sans cesse ses doigts, dans l’espoir de conserver une souplesse suffisante pour contre-attaquer, Zair surveillait attentivement les alentours, prête à riposter si une énième attaque en traître venait les frapper, surveillant dans le même temps son coéquipier. Reprenant partiellement l’usage de sa conscience, Tekris parvint à s’asseoir, pressant brièvement la main de l’adolescente. Un geste furtif, que Zane n’aurait certainement pas remarqué, si la crispation des corps des adolescents ne leur avait pas fait perdre de précieuses secondes de discrétion.

Les attaques aériennes perdaient très légèrement en vitesse, les tremblements telluriques s’espaçant presque imperceptiblement. Pourtant, Zane crut bien déceler que les éclairs, et autres surprises absolument désagréables leur étant réservées, se rapprochaient exponentiellement de leur cachette. Une manière de leur indiquer que la non-utilisation de leurs pouvoirs ralentissait leur détection, ou jeu cruel de la part de la personne manipulant ces pièges avec délectation depuis son piédestal ?

Le souffle court, Zane se redressa à demi, se forçant à inspirer à fond. Trop alarmé pour daigner rester longtemps à la même place, il fit signe à ses coéquipiers de l’imiter, hésitant entre porter de nouveau Zair, ou soutenir Tekris. Optant finalement pour un compromis, il souleva la première sans tenir compte de ses protestations, la maintenant d’un bras tandis qu’il aidait son coéquipier à progresser de l’autre. Cependant, quelques pas hésitants suffirent pour que le colosse parvienne à soutenir, même imparfaitement, le rythme de son chef d’équipe, en dépit d’un boitillement prononcé.

– Où est-ce qu’on va ? demanda finalement ce dernier, levant la main sur sa nuque afin de la protéger des gravats pleuvant du ciel.

Un voile de kaïru de Thiers, flottant narquoisement devant eux, bloqua impitoyablement le trio. Pestant contre les instances divines décidément peu compatissantes, Zane laissa tomber les jambes de sa sœur avec autant de douceur que possible, la retenant d’un bras passé autour de son torse.

– Empêchez les éclairs de nous atteindre ! Je vais nous sortir de là !

Les deux autres adolescents hochèrent la tête, Tekris ripostant presque instantanément avec une « onde de choc » éloignant de peu un œuf se précipitant vers eux. L’énergie du désespoir n’était certainement pas étrangère à la confiance aveugle que lui accordaient ses coéquipiers, songea Zane, baissant le regard.

Il le releva, irrité contre lui-même.

Il faut que cela marche ! Il le faut !

Zane dut lutter de toutes les fibres de son être pour surmonter la contraction se propageant le long de son corps. Accéder une nouvelle fois à son énergie intérieure lui fut presque insurmontable. Dans son état actuel de fatigue, associé à sa récente et éprouvante mission, il ne pouvait guère faire davantage que briser quelques assauts destinés à les mettre hors d’état de nuire. Incapable d’user d’un fragment de plus de kaïru, et encore moins d’employer son X-Reader, l’adolescent se limita tout d’abord à entrer en contact avec la formidable énergie. La fatigue de toutes ces nuits à ne dormir que quelques heures, peuplées de cauchemar, profitait de sa faiblesse pour le rattraper, l’épuisement le guettant. Bientôt, il serait à bout de forces.

Mais avant, il lui restait un dernier atout à jouer dans sa manche.

Son regard se posant sur les superbes décorations ornant le dos des gants un petit peu trop grand pour lui, Zane puisa toute l’énergie possible du catalyseur créé par Lokar. Aussitôt, un flot de kaïru l’envahit, amplifiant les maigres filaments parcourant encore son corps. Rien d’extravagant, au contraire, dans une bataille contre les Stax, cela n’aurait sûrement pas suffit. Néanmoins, il s’agissait de la porte de sortie de son équipe.

– Zane ! On ne peut plus tenir ! résonna, de très loin, la voix paniquée de Tekris, le colosse se tenant désormais devant Zair, en guise de bouclier vivant, bien maigre protection.

Sans perdre davantage de temps, l’adolescent plia ce minuscule apport à sa volonté, renforçant son dernier coup de poker. S’il échouait, rien ne l’empêcherait de s’écrouler contre le sol, vidé de ses forces.

Tendant les bras devant soi, criant sous l’effort, il matérialisa sans douceur un portail circulaire, les contours tremblant à peine apparus devant le trio.

– Passez ! Vite, cria-t-il à ses coéquipiers.

Empoignant avec empressement Zair, l’adolescente manquant protester contre l’idée de le laisser seul, Tekris franchit d’une large enjambée le portail, laissant son chef d’équipe seul.

Un torrent de flammes luisantes rugit, s’écrasant jusqu’à envahir la pièce toute entière sans plus faire aucune distinction.

– Va te faire enculer, saloperie ! hurla l’adolescent avec toute la rage brûlant ses veines.

Il bondit à son tour, la chaleur à la fois ardente et glacée du kaïru de Thiers frôlant sa nuque. Le portail se relâcha dès qu’il fut passé de l’autre côté, seule une langue vorace parvenant à le suivre, mourant sitôt qu’elle se trouva séparée de l’ensemble, une trace flottante pour unique témoin de sa presque réussite.

– Il faut partir, maintenant, mettre le plus de distance entre nous et le portail, souffla-t-il péniblement.

Prononcer ces seules paroles lui parut un effort surhumain. Coupé de son pouvoir, il lui resta juste assez de forces pour glisser sur le côté, croisant les regards hagards de ses coéquipiers, encore sous le choc de la brutalité de l’attaque qu’ils venaient d’essuyer. En quelques minutes, ils s’étaient trouvés balayés, ballottés sans aucune raison dans un cyclone dont ils n’avaient réchappé que d’extrême justesse.

– Il faut partir, répéta Zane, incapable d’articuler davantage.

Zair ouvrit la bouche, sûrement pour protester s’il se fiait à son visage crispé. Pourtant, aucun son ne lui parvint, clignant stupidement des paupières dans le vain espoir de comprendre ce que pouvait bien annoncer sa coéquipière.

Sa tête, bien trop lourde, retombant sur ce qu’il crut être un tapis herbeux, l’adolescent bascula dans le néant bienfaisant, les douleurs crispant son corps contusionné s’éloignant à une vitesse vertigineuse.


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Bonjour, ou bonsoir !


Une nouvelle fois, les Radikors se retrouvent au cœur de la tourmente, à peine remis de la dernière attaque d’Adriel ! Avez-vous deviné qui est derrière cette brutale offensive ? ;)

Comme d’habitude, j’espère sincèrement que ce chapitre vous a plu ! N’hésitez pas à laisser un commentaire si vous avez une question, un point qui ne paraît pas clair, ou juste pour donner votre avis !


Sur ce, bonne journée, ou soirée, et à bientôt !


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