À couteaux tirés

Chapitre 2 : Rangeons les armes

Chapitre final

6169 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/03/2021 16:45

En faisant un peu de tri dans mes écrits, je suis tombé sur ce qui était, à la base, la suite de « À couteaux tirés », jamais publiée encore. Plutôt que de la laisser traîner indéfiniment, je me suis décidé à l’ajouter là où elle devait être, après une petite remise en page avec correction de quelques fautes. Soyez indulgents, il s’agit d’une des premières fics écrites, d’où le ton probablement un peu niais par moments. xD


Néanmoins, si d’aventure cela tentait, il s’agit d’une sorte de préquelle à l’histoire « Au nom de ma fille ». Bonne lecture !


Rangeons les armes


– Trois mois, murmura pensivement Zane.

Trois mois que lui et Maya étaient tombés dans les marais, trois mois qu’ils avaient, après leur nuit à eux, rejoints en silence leurs équipes respectives qui, comme l’avait prédit l’adolescent, s’étaient alliées le temps de les retrouver, et qui n’avaient rien remarqué, si ce n’était Ky trouvant son amie fatiguée et Tekris son chef d’équipe d’une humeur explosive. Rien n’avait vraiment changé, et les quelques fois où Zane osait scruter le visage de son amante d’une nuit, bien malin aurait-il été s’il avait trouvé la moindre trace qu’il se soit passé quoi que ce soit entre eux.

Accoudé à l’un des chemins de ronde de la forteresse de Lokar, le E-Teens laissait dériver son regard le long des étendues glacées. Où la demeure du maître du Mal était-elle située, au fait ? Il n’en savait pas grand-chose. L’Antarctique peut-être. Un lieu désolé en tout cas, envahit de glaces et de montagnes aux sommets acérés telles des lames blanchâtres montant vers le ciel. À dire vrai, la construction même du bâtiment était une prouesse architecturale, perché au bord d’un précipice dont seule une structure métallique fixée à la montagne empêchait la chute plus que probable en d’autres conditions. Aujourd’hui, Lokar avait convoqué – ou plutôt exigé – la présence de ses E-Teens dans ce qu’il appelait sa Salle du Trône. De ce que Zane avait compris, il voulait les houspiller à propos de leurs résultats, insatisfaisants à son goût. En même temps, Lokar n’était jamais content. Pire encore ces dernières semaines, durant lesquelles il avait plus d’une fois clamé que la fin du Redakaï, et par conséquent le début de son règne, approchaient à grands pas. Pourvu que ses combattants du Mal veuille bien se donner la peine de remuer leurs fessiers congelés par la neige et lui ramener toujours plus de kaïru, bien entendu. Autant dire que l’ambiance vis-à-vis de leur maître n’était pas au beau fixe parmi les E-Teens, chacun s’efforçant de marcher avec délicatesse sur des œufs explosifs. Pourris, les aurait quant à lui qualifié le chef des Radikor.

Mais il se fichait comme d’une guigne de Lokar, de ses convocations ou même de la fin des maîtres kaïru. Il ne se sentait pas non plus d’humeur à se répandre en ses flagorneries habituelles dont il abreuvait généralement Lokar pour rester dans ses bonnes grâces. Pas aujourd’hui, pas maintenant, alors que sa seule véritable envie était de retourner dans les marais, là où il avait été pour la première fois depuis bien longtemps heureux, complet, sa haine et ses désirs de vengeance tenus bien à l’écart pendant quelques heures magiques. C’était un terme qui lui était normalement insupportable, « magie », mais il ne pouvait pas qualifier ces moments volés à la vie autrement.

Depuis la nuit passée avec Maya, la plus intense de toute son existence, il avait pris l’habitude, tous les mois, de retourner au lieu qui les avait accueilli, leur abri bien fragile de branches et d’écorce râpeuse. Rien n’avait vraiment bougé jusqu’à présent, leur petit cercle de vase renfermant toujours les braises désormais glacées d’un feu qui fut plus brûlant que le plus haut des brasiers. Un sentimentalisme malvenu et ridicule, l’adolescent en personne en convenait en son for intérieur.

Seulement, pour le moment, il ne parvenait pas à s’en empêcher. Oh, cela passerait, au moins de manière aussi régulière. Probablement continuerait-il son « pèlerinage » mensuel la première année, puis cela deviendra annuel, le temps faisant peu à peu son office de perte des souvenirs. Si Lokar n’avait pas exigé la présence de tous ses E-Teens, il serait probablement déjà parti, en dépit des interrogations muettes de ses équipiers, inquiets de le voir si maussade tous les mois.

– Quand on parle du loup, marmonna l’adolescent entre ses dents.

Il n’avait pas besoin de se retourner pour reconnaître le son des pas approchant dans son dos. Celui, léger, presque imperceptible et feutré, de sa sœur, accompagné de la démarche puissante sans être pesante du colosse qui l’accompagnait. Ne le voyant pas réagir à leur arrivée, les deux Radikor s’arrêtèrent à quelques pas de leur chef, incertains de la marche à suivre.

Les prenant en pitié, Zane s’arracha péniblement à la contemplation de la glace. Se retournant vers eux, il s’adossa à la rambarde, les mains agrippant avec force le métal glacé.

– Lokar s’impatiente, c’est ça ?

Zair hocha la tête. Elle avait beau tenter de rester impassible, la douceur inhabituelle du regard qu’elle posa sur son aîné trahit son trouble intérieur. De fait, jamais elle ne l’avait vu exprimer si ouvertement ses sentiments sur son visage. Pas depuis leur enfance en tout cas. Or, cela faisait trois mois, le même jour à l’heure près, qu’il paraissait ébranlé dans son être une fois le soir venu, s’enfonçant lentement dans une étrange mélancolie au fil des heures jusqu’à disparaître au beau milieu de la nuit. Le mois dernier, elle l’avait surpris alors qu’il se glissait hors de sa tente, pour s’envoler vers elle ne savait quelle destination.

Il ne fallait pas croire, elle avait juste eu du mal à dormir, elle ne l’espionnait pas !

Mais Zane était très loin de deviner les doutes qui assaillaient sa coéquipière, tout comme il ne faisait pas pour le moment attention à l’air désemparé de Tekris quand ce dernier posait les yeux sur son visage attristé. Non, comme à chaque fois en ce jour, son esprit tout entier était tourné vers une seule question récurrente.

Est-ce que, elle aussi, elle pense parfois à ce que nous avons fait ?


µµµ


Aussi étrange que cela lui paraissait, Maya ne se sentait pas coupable envers ses amis ou maître Baoddaï. En réalité, la situation lui avait d’abord paru injuste au possible : pourquoi ne pouvait-elle pas essayer de construire une histoire, ou simplement quelque chose, avec le garçon qu’elle voudrait, tout ça au nom du bien et du mal ? Au point d’en vouloir inconsciemment à l’homme l’ayant élevé, en devenant presque désagréable par moments. Puis, elle s’en était voulut de se comporter ainsi ; au fond, elle savait très bien que maître Baoddaï n’y était pour rien, et elle s’était excusée auprès de lui. Le brave maître ne lui en avait pas fait reproche, à peine essaya-t-il de comprendre la raison de cette soudaine agressivité. Revenue à de meilleurs sentiments, l’adolescente s’était promis de ne jamais recommencer. Ensuite, le sentiment d’injustice lui était revenu en pleine figure : faisant mine de rien dans la vie de tous les jours, y compris durant les défis kaïrus contre l’équipe Radikor, elle s’effondrait souvent dans son lit la nuit, étouffant ses sanglots en appuyant son visage contre les oreillers. Comment, en quelques petites heures au cours de toute une existence, l’insupportable chef des Radikor avait-il pu prendre une telle importance ? Si elle se laissait aller, elle aurait presque pu l’aimer…

Maya lui en voulut de lui faire ressentir de telles choses, ombre absente mais néanmoins terriblement présente et pesante. Si encore il s’était montré détestable, cela aurait été bien plus simple ! Mais le E-Teens arrivait toujours à faire en sorte qu’elle évite ses attaques, qu’il lançait sur elle uniquement pour ne pas perdre la face en public. Maya avait également senti le regard de Zane l’effleurer à plusieurs reprises, presque tendrement aurait-elle pensé si cet adjectif n’était pas absent du vocabulaire du E-Teens, et plus d’une fois leurs yeux eux-mêmes s’étaient trouvés. Maya s’efforçait, quand le cas se présentait, à soutenir le poids pourtant immense de l’incompréhension qui les nimbaient, ne changeant en rien son comportement au prix d’efforts pénibles. Si seulement cet imbécile de mégalomane verdâtre n’avait pas désobéi aux ordres de maître Baoddaï et manqué de détruire le monastère, il n’aurait jamais été renvoyé, se tiendrait à ses côtés aujourd’hui, et aucun des tourments qui broyaient son cœur n’existeraient ! Pour cela, elle le détesta.

Et ce sentiment s’aggrava au fil du temps, par un évènement imprévu.

Le premier mois, prise dans le tourbillon des sentiments, elle n’y prêta pas attention.

Le deuxième mois, une sourde angoisse lui étreignit la poitrine.

Elle attendit avec une angoisse croissante le troisième mois, pour le même résultat.

Si son esprit nia premièrement l’évidence, une remarque à la base taquine de Boomer sur ses humeurs changeantes en ce moment la força à regarder les choses en face. Elle n’avait pas eu ses règles depuis plus de dix semaines désormais. Soit ses hormones étaient chamboulées à cause de ce qu’elle éprouvait, ce qui était possible, soit elle avait commis la plus grosse bêtise de toute sa vie, et avec un des pires ennemis du monastère.

Au bord de la crise de panique, Maya voulut en avoir le coeur net. Le plus difficile fut de trouver un prétexte pour aller en ville. Elle le trouva en même temps que le moyen d’empêcher son entourage de soupçonner quoi que ce soit. Elle demanda à maître Baoddaï la permission d’aller en ville acheter des tampons et des serviettes hygiéniques, ses règles étaient arrivées plus tôt que prévu, et elle n’avait pas le temps d’attendre le jour des courses habituel. Le prétexte dut sembler plausible pour le maître kaïru, puisqu’il plaignit sincèrement sa jeune élève, lui proposant même d’envoyer Mookee à sa place si les douleurs étaient trop intenses. Déclinant l’idée de celui qu’elle considérait comme son grand-père, elle le remercia de sa diligence, la mort dans l’âme d’être obligée de le tromper pour cacher sa possible faute.

La deuxième épreuve difficile pour la jeune fille, ce fut d’empêcher Ky de l’accompagner. Son chef d’équipe refusait catégoriquement de la laisser seule, surtout en ce moment où Lokar paraissait s’activer plus que jamais. À la décharge de son chef d’équipe, il avait des raisons de se méfier : quelques temps auparavant, dans le but d’en savoir plus sur son lien avec le kaïru obscur, elle s’était rendue, seule, au repaire de Lokar. Depuis cette initiative de sa part, Ky rechignait à la laisser partir seule. Si, en temps normal, elle appréciait ces marques d’affection qui lui prouvaient l’attachement de son ami, Maya n’eut rapidement qu’une seule envie : le secouer très fort en lui criant « ne peux-tu pas voir que j’ai besoin d’être seule, andouille ! » !

S’exhortant au calme, elle réussit finalement à se débarrasser de l’envahissant garçon brun, en lui demandant d’avoir confiance en elle. Le regard absolument certain de sa bonne foi qu’elle lut dans ses yeux lui serra plus encore le cœur. À cause de son immaturité, la voilà obligée de mentir à deux des hommes les plus importants dans sa vie. Les épaules basses, elle s’était engagée sur le chemin érigé le long de la montagne, menant au village le plus proche du monastère. De là, elle pouvait facilement prendre une navette en partance pour la ville, plus à même de lui donner ce qu’elle cherchait.

Celle-ci se nommait Béhovian. De taille moyenne, la cité n’égalait certainement pas les mégalopoles du monde moderne, mais elle était pourvue de suffisamment de commerces et d’activités pour permettre à près de trois mille habitants d’y vivre en paix. Enfant, Maya trouvait ce lieu le plus impressionnant de l’Univers entier, prenant l’habitude de s’attarder devant chaque vitrine de vêtement, heureuse quand elle parvenait à obtenir de maître Baoddaï une tunique ou une nouvelle paire de bottes. Les nombreux étals alignés en permanence devant les devantures attiraient toujours son regard, l’arrêtant quelques secondes pour humer les odeurs s’exhalant des marchandises exposées, ou simplement se gorger de la vue colorée de l’étalage s’étendant au-delà de la grand-place. Sans compter les milles et une curiosités de l’artisanat local, qu’elle admirait en visitant les boutiques le plus souvent rustiques, jusqu’à graver dans sa mémoire des souvenirs auxquels elle repenserait le sourire aux lèvres, installée à son bureau de chambre.

Mais de cette visite particulière, Maya n’en garda cette fois que de très vagues réminiscences. Elle se voyait nettement marcher vers la pharmacie, gardait en mémoire l’odeur si particulière des lieux, le regard désapprobateur de la vendeuse quand elle demanda un test de grossesse. Mais à partir du moment où elle franchit le seuil de la porte de sortie, tout se déroula comme dans un rêve éveillé. Trouver des toilettes publiques fut plus compliqué qu’elle ne l’aurait cru, se fit-elle distraitement la remarque.

Le retour au monastère, excepté le moment où elle murmura qu’il n’y avait plus de produits d’hygiène au supermarché, resta tel un trou noir dans sa mémoire. Le premier souvenir qui lui revint remonta au lendemain. Se réveillant sur un oreiller humide, une question tournait en boucle dans sa tête : qu’est-ce que je vais faire maintenant ?


µµµ


Prévenir le père. Une fois qu’elle réussit à se sortir de la torpeur qui l’avait engourdie plusieurs jours durant, ce fut une évidence pour Maya. Aussi difficile la situation était-elle à vivre, toute décision concernant l’avenir devait être prise d’un commun accord. Zane avait le droit de savoir, et de donner son avis sur ce qui était aussi sa responsabilité. De toute façon, Maya était certaine qu’il refuserait d’assumer les conséquences de leur acte. Oh, elle ne lui en voudrait pas, bien qu’il allait sans nul doute tout faire pour se débarrasser de ce qui était un frein à sa future « prise de contrôle de l’Univers » d’après lui. Pour être honnête, la jeune femme n’était pas prête, elle non plus, à accepter une autre vie, un autre rôle que celui de combattante kaïru.

Pas maintenant, pas si vite, pas adolescente. Elle voulait d’abord vivre sa jeunesse et sa quête, découvrir les mystères et les recoins de l’Univers, devenir une combattante aguerrie afin de réaliser son rêve le plus cher : devenir la première femme de l’histoire terrienne à s’élever au rang de Redakaï ! Mais jamais elle ne pourrait espérer atteindre ce but, si elle ne se concentrait pas pleinement sur son entraînement. La vraie maîtrise du kaïru était un art ardu, semé d’embûches, exigeant des années et des années de pratique avant de pouvoir commencer à seulement entrevoir la nature profonde de cette énergie. Maître Baoddaï lui disait souvent avoir vu en elle un énorme potentiel, sans parler de son don de sentir l’énergie kaïru. Elle ne pouvait pas foutre en l’air son avenir pour une erreur d’une nuit ! Non, ça, c’était hors de question, et si quelque part elle se sentait coupable de faire subir, à un petit être n’ayant rien demandé, la même épreuve qu’elle-même avait connue en tant qu’orpheline, sa décision était prise. Elle dirait à Zane qu’elle ne souhaitait pas le garder.

Heureusement pour elle, l’occasion de parler au E-Teens ne se fit pas attendre trop longtemps. À peine une semaine après son retour de Béhovian, une relique kaïru fut détectée, en Amérique du Sud. Soucieux de voir leur amie préoccupée au point de ne plus s’entraîner qu’aux techniques de base, Ky et Boomer lui proposèrent de rester au monastère. Afin de se reposer, s’empressèrent-ils d’ajouter devant son air contrarié. Maya faillit les envoyer balader, son humeur étant loin d’être au beau fixe. Néanmoins, elle parvint à rester calme, affirmant se sentir parfaitement bien. Ses compagnons ne furent pas dupes, mais une fois Maya persuadée de quelque chose, aucun n’avait encore réussi à la faire changer d’avis !


µµµ


En position de combat, tellement crispé qu’un tic nerveux lui contractait la joue, Zane fixait avec nervosité la combattante lui faisant face. Séparé de Zair et Tekris suite à une « tornade plasma » de Ky, Maya n’avait pas hésité une seconde avant de lancer à son coéquipier qu’elle se chargeait du chef des Radikor. Et ce dernier s’en était senti blessé au fond de lui-même. Comment, après cette scène, aurait-il pu encore se voiler la face ? Maya avait définitivement tourné la page d’une histoire tenant sur dix lignes. Mais qu’avait-il cru, qu’avait-il espéré, tout en sachant pertinemment que leurs statuts respectifs ne permettait pas rapprochement plus important que celui vécu dans les marais ? À présent, à quelques mètres de celle autant aimée que haïe en son for intérieur, le bon sens – ou peut-être le dépit en fin de compte – lui commandait d’attaquer de toutes ses forces, afin de pouvoir rejoindre son équipe et humilier les Stax au plus vite.

Et il l’aurait fait depuis longtemps, si Maya ne s’était pas contentée de regarder n’importe où, excepté juste en face. Là où se tenait le E-Teens plus précisément. S’il avait utilisé ne serait-ce qu’une attaque, l’adolescente n’aurait eu que peu de chances de l’éviter. Zane ne doutait pas une seconde qu’elle le savait également. Cependant, elle ne faisait rien, à part observer ses réactions du coin de l’œil, presque au bord des larmes. Jamais Zane ne l’avait vu aussi passive, comme si elle avait une idée précise en tête, mais n’osait pas la mettre en pratique. Et cela, plus que le reste, décida le E-Teens à ne pas attaquer.

Lâchant un sonore soupir désabusé, Zane, rangea son X-Reader dans son étui, croisant les bras sur son torse ensuite. Attendant que Maya fasse le deuxième pas. Qui ne tarda pas.

Voyant l’adolescent comprendre ses intentions, elle parut soulagée. Puis, avant que Zane n’ait pu esquisser un geste ou proféré une parole, elle franchit la distance les séparant, se jetant dans ses bras, incapable de retenir plus longtemps ses sanglots silencieux.

Zane, le E-Teens le plus mégalomane et égocentrique de Lokar, toujours prêt à faire les pires coups bas possibles si cela pouvait le rendre plus puissant, jamais à court de traquenards, en resta comme deux ronds de flanc, incapable d’esquisser un geste. Ce qui était loin d’être pratique quand une Stax se pressait contre son torse sur lequel ses bras étaient restés croisés ! Néanmoins, il fallait dire que la situation n’était pas dénué d’un certain charme pour flatter son ego. Ce n’était pas Ky Stax qui verrait son ennemie se jeter dans ses bras et s’accrocher à lui comme si sa vie en dépendait !

Finissant pas décroiser les bras, il les entoura autour du corps de la jeune femme, appréciant ses courbes gracieuses, l’odeur si particulière de sa compagne, toutes sensations possibles à ressentir en aussi peu de temps, cherchant à les graver dans sa mémoire. Mais, évidemment, il fallut qu’il essaie de faire de l’humour, gâchant ce moment jusque là somme toute fort agréable. Il savait, pourtant, que ce n’était pas son truc !

– Dans les films, sourit-il, c’est là que tu m’annonces ne pas pouvoir vivre sans moi, et vouloir passer le reste de tes jours à mes côtés. Je te préviens, de l’avis unanime de mes coéquipiers, je suis difficile à vivre !

Comme si c’était un signal, il sentit Maya se crisper contre lui. Se baffant mentalement, il dut la laisser s’éloigner, essuyant rapidement les larmes ayant coulées sur ses joues. Son visage avait recouvré une expression déterminée. Elle devait faire quelque chose de précis, comprit l’adolescent, et elle irait jusqu’au bout, quoi que cela puisse lui coûter. Bon, peut-être sa tendance naturelle à exagérer les choses se mêlait de ce qui ne la regardait pas. N’empêche, il commençait à se demander si elle n’allait pas effectivement lui demander de vivre avec elle. De fuir le Redakaï, Lokar et le kaïru, qui sait ?

– Zane, il faut que je te dises quelque chose.

Oui, mais dans ce cas, que faire vis-à-vis de Zair et Tekris ? Il restait leur chef d’équipe après tout, et partir comme ça, sans rien dire…

– Tu m’écoutes, dis ? Je suis sérieuse. Je suis enceinte. De toi.

Un ange passa.

Comment ça, « enceinte » ?!

Zane, bouche grande ouverte, n’arrivait pas à dire quoi que ce soit. Quant à Maya, elle n’osait pas. Il n’y croyait pas, ne voulait pas y croire. Les pensées se bousculaient à l’intérieur de son crâne, oscillant entre un vide intersidéral, suivi d’une violente tempête laissant présager une migraine.

– M… Mais… Comment ?

Levant les yeux au ciel, Maya ne put s’empêcher un petit sourire plein de dents.

– Tu sais, quand deux personnes ont très envie l’une de l’autre, elles se font un câlin spécial et…

– Oh ça va, ça je sais ! Ce que je veux dire, c’est… eh bien…

Zane, incapable de préciser sa pensée, eut un nouveau petit blanc. Ou un grand. Bah, au fond il s’en fichait royalement ! Regardant Maya de haut en bas, puis de bas en haut, comme s’il la voyait pour la première fois, il finit par fixer son ventre. Pourtant, à regarder comme ça, rien ne laissait penser qu’un petit bout se faisait doucement sa place au creux de l’abdomen de la jeune femme. Le sien. Son enfant.

– Par pitié, ferme la bouche, tu vas finir par avaler une mouche !

– Tu (l’adolescent se passa la langue sur les lèvres pour les humidifier)… Tu en es absolument certaine ?

Maya hocha la tête, franchement mal à l’aise. Elle avait la tête de quelqu’un s’attendant à voir le diable sortir du sol pour l’inviter à danser la bringue jusqu’au bout de la nuit.

– Trois mois… Je ne suis pas expert, mais c’est trop tard pour, hum, le faire passer ?

Encore une fois, la jeune Stax répondit affirmativement. Zane ferma un instant les yeux. Il peinait à réaliser. Maya était enceinte. De leur enfant. Un bébé conçu sur le tas. Une erreur d’adolescents trop impatients, car sachant très bien qu’il n’y aurait probablement plus de nuit ensemble. Il allait être père.

À cette pensée, une terreur sans nom s’empara de lui. Bon sang, il n’était pas prêt ! Sauf si…

– Et… tu veux me proposer de lui rendre visite au monastère de temps en temps ? Si tu arrives à convaincre Baoddaï et les molosses qui te servent de copains ?

– Non.

Zane en resta bouche bée. Quid, quoi, cujus ? Elle lui lançait la bombe en pleine poire avec la délicatesse d’un parpaing lancé en piqué depuis un avion sur un service en porcelaine, tout ça pour finalement lui faire le coup du « bon bah maintenant, salut et à jamais » ? Voilà une plaisanterie qu’il n’était pas sûr d’apprécier.

– Alors quoi, tu comptes le maintenir loin de moi ? Pourquoi me l’avoir dit alors, hein ? Tu m’estimes responsable, alors tu te venges comme ça ? J’ai peut-être mon mot à dire !

La jeune femme le regarda bizarrement. Il en regretta de suite ses dernières paroles, ou pas. Après tout, cela le vexait affreusement que les décisions le concernant plus ou moins directement soient prises sans son avis.

– Ne t’excite pas comme ça, murmura pensivement Maya. Je dis non, simplement parce que je ne veux pas le garder. Je ne peux pas m’en occuper. Mais puisqu’il s’est fait une existence dans cette vie, pourquoi ne pas lui laisser une chance.

– Attends un peu, fit Zane de plus en plus perdu, je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu veux en faire, comment comptes-tu dissimuler ton état quand, eh bien, tu auras le ballon ? Et qu’attends-tu de moi en fait ?

– J’estime que tu as le droit de savoir. Tu es le père de ce bébé, ce serait malhonnête de te le cacher. Je sais, c’est assez ambiguë, seulement je ne te demande rien en réalité. Je t’informe de la situation, tu es libre de te mêler à celle-ci, ou de tourner les talons en me laissant gérer.

Maya vit le E-Teens se crisper au fur et à mesure de son discours. Allait-il vraiment partir avant d’en avoir entendu la fin ? Dans le doute, elle se dépêcha d’ajouter :

– À quelques heures de marches du monastère, il y a une petite ville, qui s’appelle Béhovian.

– Je me rappelle. Une fois, Ky m’avait entraîné au magasin d’armes. Sa mère travaillait là-bas, je crois. Ce que je me souviens par contre très bien, c’est la fessée reçue à notre retour pour être sortis sans permission.

– Exactement, c’est celle-là. Sur la grand-place, il y a un orphelinat, qui recueille tous les enfants abandonnés. C’est là-bas que je laisserai l’enfant, une fois né. Maître Baoddaï me trouve fatiguée en ce moment ; je lui demanderais à faire une pause dans ma quête lorsque je ne pourrais plus cacher mon état. Il proposera sûrement d’aller me reposer dans un coin calme, à la campagne. Je trouverais bien une idée pour qu’il ne s’aperçoive de rien.

– Laisse-le-moi.

Dire que Maya fut surprise était une vue de l’esprit. Fixant le E-Teens, les yeux ronds comme des soucoupes, elle eut du mal à décider s’il se moquait cruellement d’elle, ou s’il était sérieux.

La gorge nouée, l’adolescent fit un violent effort pour reprendre la parole.

– Je t’en prie… Ne le laisse pas devant un orphelinat. Nous pourrions utiliser l’attaque de l’imposteur afin de cacher ta grossesse aux monastèriens. Puis, après la naissance, tu me confies le bébé. Ainsi, tu n’auras pas à te soucier de gâcher ta carrière, ou autre.

– Pourquoi, Zane ? Pourquoi voudrais-tu d’un enfant, qui prendrait tout ton temps ? Et comment comptes-tu lui assurer un avenir, subvenir à ses besoins ?

– Je me débrouillerai. Je travaille déjà pour financer les dépenses alimentaires de mon équipe, et je n’ai pas besoin de payer un loyer. Tu sais, je me suis occupé de Zair quand elle était petite, j’ai déjà quelques notions. Laisse-moi ce bébé je te dis ! Je peux le faire ! Tu veux m’empêcher de le garder, c’est ça ? Alors que tu es prête à l’abandonner !

Il criait presque à présent, ne pensant plus aux autres combattants qui auraient pu les entendre. Au départ, alors qu’il pensait entendre Maya annoncer garder l’enfant au monastère, il s’en était senti presque soulagé. Au moins, le futur bébé n’allait manquer de rien, et avoir une belle vie, sans que Zane n’ait énormément de responsabilités envers lui. Il ne s’était pas senti prêt à assumer, s’était-il aperçu à sa grande consternation.

Mais à l’évocation de l’orphelinat, son sang s’était glacé. Il s’était retrouvé projeté des années en arrière, à devoir se battre sans arrêt pour tout et rien, grelottant le soir dans des chambres contenant au minimum une demi-douzaine d’enfants, rasant les couloirs si d’aventure une envie pressante le réveillait la nuit pour ne pas se retrouver face-à-face avec une des bandes de garçons plus âgés. Et encore, il était un homme. Combien de fois avait-il du faire face à des adolescents un peu trop intéressés par sa sœur ? Si le bébé était une fille… Il se sentit l’obligation de protéger l’enfant contre pareil avenir. Peut-être l’orphelinat de Béhovian était différent, ou peut-être Maya ne voyait-elle que l’enfance joyeuse qu’elle avait eu. Une chose restait évidente aux yeux de Zane : il refusait de la laisser faire. Le simple fait de l’imaginer brûlait sa poitrine.

– Pourquoi offrirai-je à Lokar un nouveau futur combattant sur un plateau d’argent ? Pourquoi prendrai-je le risque de te voir te servir de cet enfant contre moi ?

Une fraction de seconde, Zane ne sut quoi répondre. Après tout, les interrogations de la jeune combattante étaient plus que légitimes. Bien qu’il n’y eut absolument pas songé jusque là, il s’agissait exactement du type de manipulation rangée tout au fond des tiroirs de son esprit.

À deux détails près. Tout d’abord, il n’était guère plus fier, ou plus à l’aise que Maya en ce qui concernait les conséquences de sa brusque pulsion des marais. Dévoiler devant toute une assemblée, ou même envisager seulement qu’une autre personne sache la vérité sur le bébé lui donnait l’envie de jeter une corde autour d’une poutre, et de serrer le nœud coulant autour de son cou.

Ensuite, au fond de lui, il ne souhaitait guère infliger pareille humiliation à celle qui se tenait devant lui. Peut-être finirait-elle par ressentir un instinct maternel, au fond, et reviendrait vers lui ?

– C’est ça, oui… Le bébé aura probablement des marques pareilles aux tiennes, et Lokar ne verra pas, à la seconde où il posera les yeux sur l’enfant que je lui présenterai soi-disant, le pot aux roses ? Pitié, ne me prends pas pour un idiot. Mon « cher » Maître n’a certainement pas à connaître ma vie privée.

D’autant que si Zane parvenait à prendre le contrôle de l’Univers, ce léger souci serait définitivement écarté.

– Tu parviendras vraiment à cacher quelque chose d’aussi gros à Lokar ?

– Bien sûr. Je te promets qu’il ne saura jamais que ce bébé existe.

– Qu’en est-il de Zair, et de Tekris ?

– Je prétendrai, le jour de la naissance, apprendre qu’une de mes conquêtes est enceinte et a laissé le bébé, puis j’irai à la maternité et leur prouverai que ce n’est pas uniquement un mensonge. Ils seront choqués, Zair peut-être un peu déçue, mais n’y verront que du feu.

Du moins l’espérait-il… Néanmoins, il était prêt à tous les mensonges pour ne pas abandonner un enfant dans l’endroit le plus abominable de l’Univers. Un orphelinat ne servirait qu’à produire d’autres adolescents désarticulés, habitués à se laisser malmener… Ou des types dans son genre. Cela lui avait probablement sauvé la vie, mais il haïssait certaines part de lui malgré tout, tout en le dissimulant au monde entier.

Se tourner vers le kaïru avait été le fruit de son désir de gagner en puissance, pour que personne ne puisse jamais plus lui faire le moindre mal. La conquête du monde, un moyen de s’assurer que l’Univers n’aurait d’autre choix que de baiser ses pieds avec révérence, et de se venger une bonne fois pour toutes de chacun.

– Je n’en veux pas… souffla doucement Maya. J’ai beaucoup trop à apprendre, à découvrir, pour me retrouver entourée de couches, d’heures de sommeil volées… La mère de Ky était une combattante, avant que son instinct de mère ne la pousse à s’occuper de son fils. (la jeune Stax releva son regard humide sur l’adolescent, lèvres tremblantes.) J’apprécie Ky, vraiment, et j’admire ce que sa mère a fait de lui durant les premières années de sa vie. Mais ce n’est pas la vie à laquelle j’aspire.

Elle déglutit péniblement, reprenant plus lentement encore la parole.

– Est-ce que ça fait de moi une mauvaise mère ?

Interdit, n’ayant absolument pas prévu de répondre à de grandes interrogations philosophiques quand il s’était rendu à cette mission, Zane resta longuement sans voix. Le désespoir sur le visage de l’adolescente le poussa cependant à trouver une réponse, n’importe laquelle, pourvu qu’elle convienne.

– Je… suppose que cela signifie seulement que tu n’es pas prête.

– Et toi, le plus mégalomane et insupportable E-Teens de tous les temps, tu arrives à être prêt, alors que moi j’ai envie de me jeter du haut du monastère rien qu’à l’idée de passer encore six mois dans cet état ! gémit Maya, presque hystérique.

Non, par tous les dieux qui existent ! Je ne suis pas prêt du tout ! J’ai juste envie de fuir à toutes jambes !

Mais il savait pertinemment ce que cela signifierait pour l’enfant. Il ne voulait pas être responsable !!

– Un peu de respect ne ferait pas de mal, grinça-t-il. Alors, tu me le laisses, ce gosse ?!

Retenant difficilement les larmes de dévaler les pentes de ses joues, Maya finit par acquiescer, la gorge trop nouée pour parler. Que Maître Baoddaï lui pardonne, elle ne voulait pas être mère !

– D’accord, très bien, on discutera des détails plus tard, déclara sèchement Zane, reprenant illusoirement le contrôle de la situation. Il ne nous reste plus qu’une chose à faire.

Sans comprendre, Maya le fixa avec interrogation, croisant les bras sur sa poitrine.

– Terminer le défi kaïru, précisa le E-Teens. Nos équipes vont trouver ça bizarre si nous revenons comme des fleurs, en prétendant être tombés ex-æquo. L’un d’entre nous doit perdre. (sa bouche se tordit en une grimace pénible, comme s’il doutait de ses propres paroles.) Vu ton état, fais-toi plaisir. Mais ce sera l’unique fois !

Reconnaissante, Maya recula de quelques pas, empoignant fermement son X-Reader. Soupirant lourdement, Zane carra les épaules, anticipant le coup qui, il le devinait, serait particulièrement douloureux.

– Tempête foudroyante !



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