Souffle de bascule

Chapitre 1 : Souffle de bascule

4115 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 30/07/2020 20:57

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Songe d’une nuit d’été (juin - juillet 2020).


Souffle en bascule


– Toujours aucune nouvelle ? s’enquit Zair, devinant d’ores et déjà la réponse à sa question.

Plongé dans l’observation d’une bûche jetée récemment dans l’âtre crépitant, réchauffant l’atmosphère de la petite pièce sans toutefois parvenir à en chasser l’humidité, Tekris releva le nez, posant sur sa camarade un regard ennuyé. Vaguement désabusé, également, reflet de la lueur brillant dans les iris vert pâle le dévisageant. Pénétrant dans le mince halo lumineux, repoussant les ténèbres crépusculaires tombant sur la cité, voile immatériel dissimulant, l’espace de quelques heures, les silhouettes grouillantes pullulant comme autant de boutons disgracieux, Zair se détacha de la masse informe des ombres fondant les êtres de chair et de bois en une seule et même unité indivisible. Fermement plantée sur ses pieds, bras croisés sur le torse, elle le dévisagea avec intensité, tentant de montrer une assurance qu’elle ne ressentait guère, en vérité.

Elle guetta une réaction contredisant la mine renfrognée du solide adolescent de quinze ans en face d’elle. Qu’elle espérait, malgré tout, positive. Hélas, la phrase suivante confirma ses soupçons, manquant lui arracher un soupir dépité.

– Nope. Aucune trace de Lokar dans les environs. Comme depuis trois mois maintenant.

– Zane ? continua la jeune femme, ne voyant nulle part le dernier membre de leur trio.

– Parti fouiller les quartiers ouest, marmonna laconiquement Tekris, entourant ses genoux de ses bras. Seul. Je ne savais pas trop quoi faire d’autre, du coup me voilà.

Zair opina du chef. Prévisible. S’isoler quand tempêter devenait inutile à ses yeux restait la méthode privilégiée de Zane. Et Tekris n’oserait jamais contredire ce dernier dans ses moments de mauvaise humeur.

En dépit de sa carrure des plus impressionnante, ce dernier ne se risquait jamais à émettre de protestations tant s’il risquait de laisser sa peau en même temps que la dernière lubie du chef de leur trio à la peau d’un vert pâle. Au fond, cela ne lui pesait pas tant ; davantage suiveur que meneur, il préférait mettre sa grande taille et ses muscles naissants au service de quelqu’un capable de leur trouver une utilité, plutôt que de jouer les caïds en se demandant sans arrêt si sa crédibilité n’avoisinait pas le zéro absolu. En toute franchise, depuis que les trois adolescents partageaient une même vie, Zane avait toujours su employer ces avantages à bon escient.

– Et toi ? demanda-t-il à son tour, rompant le silence gêné tentant de s’établir.

– Pareil. Je sais que Zane espérait trouver une trace de Lokar dans cette ville pourrie, mais en oubliant qu’il nous a récupéré ici, aucune raison ne justifierait une retraite de notre maître sur notre planète natale.

Une fuite plutôt, songea-t-elle, mordillant sa lèvre inférieure afin de retenir sa pensée. Non pas que Lokar puisse l’entendre, du moins d’après ses connaissances, mais dans le doute, l’homme risquait de ne pas du tout apprécier, voir de le lui faire payer. Et pour cause. Sa défaite, trois mois plus tôt, contre leurs ennemis placés sous l’égide du Redakaï, avait été suffisamment cuisante pour que Lokar prenne la poudre d’escampette, disparaissant sans laisser de traces… et sans plus se préoccuper de ses élèves, réduits au nombre de trois, toujours suite à ces évènements.

Élèves qui depuis, sous l’impulsion d’un Zane refusant de croire leur maître capable de les abandonner en arrière (Lokar, renoncer à utiliser les adolescents pour parvenir à ses fins ? Impossible, voyons), fouillaient inlassablement les quelques recoins de l’Univers susceptibles de lui servir de repaire, quittant la Terre à l’occasion. Depuis deux bonnes semaines, par exemple.

Sans résultats, comme chacun, sans oser l’affirmer à haute voix, en éprouvait la certitude.

Zane devrait tôt ou tard se rendre à l’évidence. Dommage que son caractère buté, prompt à oblitérer toute possibilité d’erreur, n’écartait impitoyablement cette désormais évidence.

– Quitte à parier, je ne pense pas que Lokar désire vraiment recevoir de la visite en ce moment, soupira Zair. Ni qu’il veuille que nous le rejoignons. Oh, un jour, quand il aura digéré sa défaite, il exigera sans doute notre présence (et pourrait trouver ses ordres légitimes, rajouta-t-elle pour elle-même), mais d’ici là…

Sa phrase resta en suspens. Nul besoin de la continuer, ils connaissaient tous deux sa fin.

Tekris se contenta de hausser les épaules, absolument pas enchanté par l’idée, peu soucieux des raisons de Lokar.

– Pas sûr que Zane l’entende de cette oreille. Ni qu’il rentre cette nuit.

Cette fois, Zair soupira carrément, levant les yeux au ciel. S’habituer aux caprices de son chef d’équipe ne signifiait pas pour autant les accepter. Ni les approuver.

– Encore ? Combien de nuit faudra-t-il encore qu’il rumine avant de passer à autre chose ?

– Tu lui demandera, plaisanta à moitié Tekris.

Sa vis-à-vis hocha la tête. Pourquoi pas, après tout?

– Excellente idée, approuva-t-elle, provoquant un sursaut chez l’autre adolescent. Le plus tôt sera le mieux.

– À cette heure-ci ? Pas question, il va faire super froid dehors, marmonna son comparse, pointant d’un doigt accusateur la lucarne de la petite pièce commune de l’auberge dans laquelle ils devaient censément se reposer, à peine visible dans la noirceur de la chape dépourvue d’étoiles. N’oublie pas qu’il ne veut pas qu’on le dérange. Sans parler des tarés qui traînent dans le coin ! Si tu perds le moindre cheveu, Zane me transformera en chair à pâté !

Une moue agacée plissa les traits de l’adolescente en face de lui, les tordant en une moue mêlant détermination, et une petite pointe de bouderie qu’il tentait vainement de masquer derrière une façade d’autorité enfantine – ce qu’elle n’admettrait pour rien au monde.

– Alors Zane se baladant dans les rues en ressassant encore et encore ses pensées noires, aucun problème ; par contre, moi je ne peux pas sortir ?! Tu me crois incapable de me défendre ?

De nouveau, Tekris haussa les épaules, ne sachant que répondre. L’adolescente percevait sans mal la contradiction heurtant ses convictions, pour la première fois sûrement depuis qu’ils se connaissaient : outre son manque total de motivation à s’aventurer dans les rues de Tanchaï en pleine nuit, il voulait respecter le souhait de solitude de son chef d’équipe, comme à son habitude. Mais s’opposer à sa coéquipière décidée à suivre la voie qu’elle décidait d’emprunter équivalait à plonger la main dans un nid de frelons en priant pour ne pas les déranger. Un contraste pénible sur lequel Zair comptait bien jouer.

S’aventurer dans les ruelles étroites, garnies de recoins impossibles à tous sonder, ne la réjouissait pas le moins du monde. De notoriété publique, les vide-bourses et autres coupeurs de gorge sortaient rarement de leurs tanières sous un soleil radieux ! Quoique, sur cette planète, il fallait s’attendre à cette possibilité.

Hors de question de passer une nuit de plus, à l’abri des briques de l’auberge, en se demandant si Zane rentrera auprès d’eux. Appréhendant la mauvaise humeur, conséquence fréquente de ses pensées moroses.

Malgré l’évidente décision prise par sa comparse, Tekris tenta d’insister, ignorant prudemment sa précédente déclaration qui, Zair devait l’avouer, ne conduisait qu’au conflit.

– Et puis, n’oublie pas les bandits. Trois attaques, la nuit dernière. Autant se jeter dans un pot de miel et courir au milieu des fourmis ! Si encore tu réussis à les voir avant qu’elle ne te tombent dessus.

– Fais-moi confiance, je ne risque pas grand-chose. En presque cinq ans, Tanchaï n’a pas changé d’un pouce ; éviter les endroits sensibles ne me posera pas de problèmes.

Tekris s’apprêtait à lui faire une réflexion quelconque, lorsqu’il remarqua le visage fermé, fort peu avenant de la jeune femme. Comprit que la discussion attendrait. Franchissant les derniers mètres la séparant de la porte, elle vit son ami commencer à se relever, abandonnant le confort relatif du tapis. D’un geste, elle lui intima de rester à sa place. Inutile, au cas où Zane s’offusquerait de sa présence, de subir son énervement à deux. Hésitant, l’adolescent la suivit du regard, à demi-relevé.

Aussi inquiet qu’il fut, il n’essaya cependant pas de dissuader une nouvelle fois Zair de sortir, se contentant de marmonner une diatribe fort ennuyeuse sur l’imprudence. Là où d’autres penseraient à une irresponsabilité, autant de la part de Zair que de Tekris, la jeune femme ne vit qu’une réaction tout à fait logique. La notion de danger, quand on naissait sur cette planète peu accueillante, débordait d’une relativité encore nébuleuse par moments pour le solide adolescent.

Frappée par la bise vorace, plantant ses dents aiguës dans la moindre parcelle de peau dévoilée, Zair s’empressa de remonter le col de son blouson, sans ralentir le pas. Peu désireuse d’attirer l’attention sur sa mince silhouette faussement frêle, Zair prit garde à garder ses lèvres scellées une fois le lourd huis bardé de fer entrouvert. Excepté le duo, tout un chacun dormait à poings fermés, que ce soit au sein même de l’auberge, ou le long des bâtiments de deux ou trois étages jalonnant les rues pavées, boueuses d’un crachin venait seulement, deux heures auparavant, de daigner cesser détremper les allées.

Le coin le plus sombre de l’Univers. Ainsi appelaient les autres planètes suffisamment proches pour le connaître ce caillou stérile. Sa planète natale ne possédait déjà qu’une luminosité grandement relative en journée, malgré l’astre solaire qui, pour le moment, cédait sa place à l’irrégularité argentée d’une panséléne à peine visible derrière les nuages effilochés l’entourant tels une aura, doigts immatériels désireux de décrocher la lune sans parvenir à faire davantage que l’effleurer. La faute à une importante couche gravitant comme un écrin autour de la masse bosselée servant de lieu de vie à des milliers d’habitants, alimentée par les déchets célestes attirés par la gravitation (ou un machin dans le genre ; pour Zair, pragmatique, elle expérimentait ce phénomène depuis sa naissance, et ne trouvait aucun intérêt à se creuser la tête sur des sujets auxquels elle n’accordait, au final, qu’une importance minime. À la limite, se demandait-elle plutôt pourquoi la Terre possédait un ciel si clair). Mais également par les rejets nombreux des usines tournant à plein régime dans chaque ville, les gaz issus des vaisseaux sillonnant le ciel. Tout cela absorbaient la majorité des rayons solaires, culminant lorsque celui-ci se détournait pour rejoindre enfin sa couche, épuisé de dépenser autant d’énergie pour un résultat si médiocre.

Aussi, quand sonnait l’heure pour l’astre nocturne d’imposer son emprise sur les peuplades soumises à l’argenté de ses courbes, ne subsistait qu’un maigre halo ne valant guère mieux qu’une nouvelle lune. Même les étoiles les plus faibles restaient invisibles aux yeux nus, exactement comme ce soir ; pourtant, plus d’une fois, Zair surprit un écho de conversation étouffé, murmurant que dans d’autres coins de l’Univers, la voûte immense se teintaient de milliers de minuscules points lumineux qu’elle connaissait désormais grâce à ses voyages. Plongeant parfois l’adolescente dans un monde de rêveries éveillées, dans lequel elle imaginait ce que cela pourrait bien donner, dans son ciel natal si sombre.

Ils touchèrent le sol, s’engageant dans la ruelle déserte courant tout l’ouest de l’allée principale de la ville, Zair fouillant rapidement du regard le paysage s’étendant devant elle, l’empressement allongeant son pas soutenu. Impatiente de retrouver un garçon un peu plus vieux qu’elle, sûrement déjà installé sur le perchoir officiant comme repaire l’espace d’une poignée d’heures. Si seulement les pâles lueurs de la journée éclairaient encore faiblement les reliefs agressifs ceignant les contours ternes des édifices rétifs aux pioches et autres appareils de destruction, l’adolescente n’aurait éprouvé aucune difficulté à suivre les traces de son chef d’équipe, le risque de se promener seule diminuant drastiquement avec l’aube. Après tout, le paysage consistait majoritairement en une succession de terres désolées morcelées de crevasses et arêtes traîtresses qui, bien qu’idéales pour briser les chevilles des imprudents tentant l’aventure en leur sein, ne permettaient la création que de rares rues forcées d’épouser la forme du relief. Réduisant ainsi drastiquement le nombre de directions à surveiller. Mais sous le couvert de la ville immobile assombrie par son écrin nocturne, le voile des ombres ne lui permettait guère d’y voir à plus de quelques mètres devant elle, l’obligeant à avancer doucement et à prêter grande attention au chemin, se fiant aveuglément à sa connaissance, précieuse, du terrain. Heureusement, elle n’avançait pas totalement à l’aveuglette.

Sûrement, Zane appelait les rixes de ses vœux, désireux de défouler ses nerfs à vifs, persuadé qu’aucun de ses coéquipiers, et certainement pas la plus propice aux agressions, n’oserait se lancer à sa suite. Et surtout pas alors qu’ils risquaient de subir la mauvaise humeur caractéristique, particulièrement ces derniers temps, de l’adolescent.

Un petit sourire fleurit sur les lèvres fines de Zair. Parfois, l’irascible extraterrestre se montrait d’une naïveté presque touchante ; sa colère lui faisait oublier qu’elle aussi, avait grandi entre ces murs. Ensemble.

Et donc, qu’elle savait avec plus ou moins de certitude où le trouver.

De taille juste assez grande pour mériter le nom de ville, Tanchaï s’élevait au sein d’une plaine faussement uniforme, à quelques dizaines de kilomètres d’un lac cerné par pléthore d’abîmes dentelés, aux eaux si opaques que la lune gibbeuse elle-même ne pouvait contempler son reflet rebondi à sa surface. Pourtant, hors des ceintures d’habitants refoulés hors de la capitale rongeant années après années plus profondément les terres du nord, il s’agissait de la troisième cité la plus importante en terme de développement de la planète toute entière. Pourtant, cela ne signifiait nullement que les individus grouillant dans ses rues fort peu entretenues ne possédaient aucune civilisation, ni que la planète était arriérée : simplement ses habitants s’occupaient davantage de décimer leurs pairs au moindre regard de travers pour réellement s’intéresser à ce que d’autres appelaient le progrès.

Néanmoins, ses habitants se rengorgeaient plus qu’excessivement du poids de leur ville natale, arpentant les ruelles bouffis d’importance et de condescendance envers les étrangers et autres nigauds osant poser les pieds sur leur sol, sans se douter de ce qui les attendaient au premier détour imprudent.

Zair et ses deux compagnons n’étaient partis que depuis quatre ans (et en tout autre circonstance, la jeune femme aurait continué à nier l’existence de Tanchaï des siècles durant), pourtant cela suffisait à les envoyer directement dans la catégorie « inconnus ». Donc, proie facile. Consciente de cet état de fait, Zair s’efforçait de passer inaperçu, côtoyant les renfoncements dissimulant efficacement sa présence, tutoyant les gouttières quand il lui fallait emprunter les toits afin d’éviter un groupe d’individus trop louches pour qu’elle se risque à les saluer. De toute façon, une femme seule restant, la nuit tombée, dans les rues ne pouvait chercher que le trépas. À moins de repérer sa prochaine proie évidemment.

Tout le monde pouvait entrer dans la cité sans problème. En ressortir relevait davantage de l’intervention miraculeuse. Ne restait plus que la discrétion pour les moins avantagés par la nature.

Parfois, la petite taille de l’adolescente se révélait un atout surprenant.

Elle s’arrêta au pied d’une bâtisse qui, bien que trapue, figurait parmi les édifices les plus élevés de la cité, montant jusqu’à quatre étages (une véritable rareté). Levant le nez, elle sentit une vague satisfaction réchauffer sa poitrine en apercevant, à son sommet, une silhouette invisible pour qui ne cherchait pas attentivement, engloutie par le bleu sombre tentant de nier l’existence de toute luminosité. Même les auras des lanternes paraissait plus ternes sous sa pression, rétractées autour des contours transparents formant leur cloaque.

Bâti en pierre rugueuse ignorant jusqu’à l’existence du mot polissage, la construction se paraît de multiples anfractuosités et fissures recouvrant l’entièreté de sa façade, promettant une escalade aisée. Et plutôt rapide, bien que Zair peinât à distinguer les contours de ses doigts en tendant le bras. Empoignant fermement une prise, elle commença l’ascension, dépensant le minimum d’efforts nécessaires.

Mouais. Parfois, sa petite taille l’handicapait plus qu’autre chose, maugréa-t-elle intérieurement, hissée sur la pointe des pieds pour atteindre les saillies les plus éloignées.

Zair prit le temps d’inspirer à fond quand ses mains saisirent le rebord supérieur de l’édifice. D’une poussée souple, elle se hissa à son sommet, grimaçant en entendant un grincement peu rassurant, proprement incongru dans un bâtiment censé ne contenir que de la pierre. Pour autant, elle ignora ce mystère, avançant vers l’ouest, le toit s’effilant jusqu’à former une pointe acuminée rocheuse, surplombant sans vraiment se mette en avant le réseau de ruelles serpentant sous sa masse trop délabrée pour impressionner.

Derrière un pilier le soustrayant à la vue des passants, balançant les jambes dans le vide, Zane se retourna à peine, seulement pour lui adresser un regard onyx, lourd de reproches.

Guère surpris, mais pas le moins du monde ravi d’un tel dérangement.

Retournant à sa contemplation muette d’un monde uniformément sombre, il ne prononça aucun mot, comme si ignorer la grimpeuse pouvait l’inciter à retourner d’où elle venait. Peine perdue ; poussant du bout de sa chaussure quelques pierres, roulant silencieusement vers l’intérieur de la plateforme, Zair vint s’asseoir à son côté, coudes sur les genoux, l’observant à la dérobée.

– Tu devrais arrêter de ruminer, à force, tu vas finir par brouter, le taquina-t-elle.

Zane soupira ostensiblement, levant les mains vers le ciel. Les arrêta à mi-course, pour les laisser retomber le long de son flanc. Étrangement, il ne poursuivit pas par une remarque acerbe, ou encore un rappel à l’ordre agacé. Ramenant une jambe contre son torse, il y appuya son bras gauche, pinçant les lèvres.

Intriguée, Zair se tourna carrément vers lui, inclinant la tête. Il lui fallut seulement plisser les paupières, sa vue s’étant accoutumée à l’obscurité, pour distinguer avec une netteté convenable les traits durs de l’adolescent. Sa mâchoire serrée, ses poings crispés sur le tissu de son pantalon, ses doigts frottant les uns contre les autres de sa main laissée libre. Il se tenait immobile, si bien que sa poitrine se soulevait imperceptiblement, sans troubler le silence. Lorsqu’un cri inconnu le déchira, il parut se réveiller, braquant pour la première son regard sur elle.

– Ton idée, ou celle de Tekris, de venir alors que j’ai exigé la tranquillité ?

– Voyons, tu imagines notre cher coéquipier désobéir à l’un de tes ordres ? plaisanta-t-elle, sans méchanceté.

Circonspect, Zane haussa son arcade.

– Bon, d’accord, mais avoue que ça n’arrive pas souvent.

– Peu importe. C’était stupide, grogna-t-il.

Zair se tut. Pas parce qu’elle manquait d’envie de répliquer.

Parce que, dans ses yeux, brillait autre chose que la colère et la détermination mal placée luisant habituellement dans l’onyx de ses iris. Quelque chose que l’adolescente souhaitait voir apparaître depuis un bon moment déjà.

Zane réalisait que Lokar les avait réellement abandonnés. Pas parti se mettre à l’abri en attendant de reprendre contact avec eux. Laissés à leur sort, peu soucieux de savoir ce qu’il advenait de ses élèves. La réalisation, avec le lot d’émotions plus ou moins difficiles à canaliser l’accompagnant inévitablement. Le ressentiment. L’incompréhension. Le dépit, aussi.

Elle posa la main sur l’épaule du garçon, la tapotant maladroitement.

S’il tressaillit, un instant crispé du contact, Zane se détendit rapidement, hochant lentement la tête.

– Il nous appellera quand il aura besoin de nous, souffla-t-il, plongeant son regard dans l’au-delà.

– Je pense, oui.

– Pas avant.

Zair hésita. Laissa ses doutes de côté ; il ne s’agissait pas d’une question, juste d’une confirmation.

– Non.

– Une chance pour qu’il ne puisse seulement pas nous contacter ? Après tout, sa défaite a considérablement affaibli la force de son pouvoir.

– Il existe d’autre moyen que le kaïru, pour informer quelqu’un.

De nouveau, il opina du chef, amer. Instinctivement, Zair sut qu’il préparait cet échange depuis son arrivée sur ce toit, tournant et retournant ce qu’ils savaient à la lumière de ce qu’il comprenait finalement. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter de ses réactions. Un Zane calme ne présageait jamais quelque chose de bon.

– Peu importe ce que nous devenons, en résumé. Tant que nous répondons présent quand il daignera nous ordonner d’accomplir telle ou telle tâche pour lui, cracha le jeune homme.

Sa voix vacilla une fraction de seconde, quand il se tourna vers sa coéquipière. Autre chose assombrissait ses yeux, plus insidieux. Tellement peu habituel, associé au garçon, que Zair mit un instant à décrypter cette soudaine émotion.

De l’inquiétude, derrière l’amertume. Cette dernière, Zair la comprenait ; lié par un serment d’obéissance à son maître, Zane ne pouvait que répondre présent à ses appels. Quoique, restait encore pour lui la possibilité d’ignorer cette promesse. Pas très honorable, certes, mais personne n’en ferait grand cas au final. Par contre, aucun danger immédiat ne les menaçant, elle ne s’expliquait pas la première émotion…

Sur le point de l’interroger, elle se ravisa. Comprit.

Refuser était impossible pour Zane. Elle se trompait, du moins en partie. Là où Tekris et elle pouvaient toujours, si un Lokar insatisfait cessait de les former à l’art, en partie mystique et en partie martial, du kaïru, changer de camp et se placer sous l’égide du Redakaï, l’actuel camp ennemi, leur chef d’équipe n’avait aucun moyen de les suivre. Renvoyé de ce groupe, quelques années auparavant, les portes d’une quelconque formation se fermeraient définitivement devant lui. Zair savait que malgré tout, il tenterait de continuer à apprendre, sans attache ; mais seul, il ne pourrait aller bien loin.

– Comme si nous allions partir de notre côté, sans toi, soupira Zair sans savoir si les mots quittaient réellement sa gorge, balayant la question n’ayant pas été posée.

Un demi-sourire fleurit sur les lèvres de Zane, alors qu’il tentait de paraître impassible.

Il n’ouvrit pas la bouche ; je l’espérais, répondit-il muettement.


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