Le repos n'existe pas

Chapitre 1 : Le repos n'existe pas

10109 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2021 12:53

Cette fanfiction participe à la Deuxième Chance du Défi « Philtres, Élixirs et Petites Potions » (juin-juillet 2021)


Le repos n’existe pas


Sortant de sa salle de bain, Zane releva juste assez la serviette recouvrant ses cheveux humides, d’un bleu devenu presque blanc à cause de sa longue douche, pour franchir l’encadrement de la porte. Il s'arrêta un bref instant au centre de sa chambre, le temps d’achever de se sécher avec vigueur, puis lança d’un geste expert l’éponge mauve, à présent totalement détrempée, au pied de son lit. Ratant de peu son objectif, un grognement contrarié lui échappa, sans cependant qu’il ne fasse mine de ramasser l’objet. Il opta plutôt pour se jeter sur son lit, regard tourné vers le plafond, savourant le délassement de ses muscles crispés par un entraînement matinal achevé depuis peu.

Un petit rire, exceptionnellement sincère, franchit la barrière de ses lèvres, avant de s’éteindre presque aussi rapidement. Depuis la veille, déjà, aucune ombre ne venait noircir le tableau que Zane construisait de son avenir.

Un tournoi s’était soudainement déclaré, réunissant l’ensemble des combattants, quatre équipes de trois jeunes gens, avec pour objectif qu’il n’en reste qu’un. Et une récompense alléchante à la clef, bien évidemment : la possibilité de dérober une attaque magique, sous forme de X-Drive, à n’importe qui. Tournoi remporté par Lokar, grâce majoritairement au concours de Zane.

De là, les portes s’étaient de nouveau ouvertes devant lui : l’adulte satisfait, l’adolescent avait pu regagner sa place auprès de Lokar, lui qui était banni pour usurpation de pouvoir si peu de temps auparavant. Récupérer sa place de favori, ramener auprès de lui Zair et Tekris, ses coéquipiers sur le point de le quitter, excédé de son « comportement »… Bref.

Suite à cela, ne lui restait plus qu’à goûter un instant de répit, plutôt satisfait du déroulement des événements, et passant en revue le reste de ses objectifs.

Marmonnant un chapelet de paroles inaudibles, même à ses propres oreilles, l’adolescent croisa les doigts sous sa nuque nonchalamment appuyée contre le matelas cotonneux, ni jeune, mais pas encore assez vieux pour finir au rebut, tel qu’il l’espérait depuis presque trois ans, en vain. Rien ne valait mieux que le renouvellement permanent de l’environnement. Cela permettait de balayer impitoyablement les vérités et les actions qu’il n’avait aucun intention de voir.

Non pas qu’il en éprouve quelconque dérangement personnel, intime, ça, il avait patiemment apprit à endurcir son esprit, s’enfermant dans un schéma patiemment construit. Aujourd’hui, seul ce qui lui permettait d’approcher de ses buts l’intéressait encore. Le reste n’était qu’illusion.

Être dur, impitoyable, voilà toute la nécessité. La condition sine qua none. Quitte à risquer de se perdre sous la masse trop brutale d’un imprévu, plus puissant qu’il ne se montrerait ferme. Mais tenter quelque chose en tout cas, ne pas se contenter des restes que l’on daignait jeter. Alors, jour après jour, nuit après nuit, Zane s’entraînait à se durcir encore et encore, se détachant de tout ce qui ne lui était pas absolument nécessaire, se focalisant exclusivement sur sa domination future du monde. Car il devait parvenir à ses fins, il n’avait guère plus le choix. Cela faisait de toute façon longtemps qu’il ne le cherchait plus. De toute façon, la brûlure âcre et presque insoutenable du désir de vengeance, du pouvoir, balayait toute autre considération futile.

Courber l’échine n’était accepté que face à Lokar. Parce que l’homme était plus dur que lui. En quelques coups de poignets, Lokar pouvait le détruire. Il savait déjà qu’une large part de l’adolescent se trouvait déjà au minimum fêlée, mais quand il songeait à ce que Lokar pourrait lui faire… Pas le briser, pire. Déjà, celui qui s’appelait autrefois son dresseur s’était bien chargé de commencer le travail, durant les six années que l’adolescent avait passées avec lui – jusqu’à ce que le brave petit chien ne referme sa mâchoire sur sa carotide. Un autre souvenir pour lui fournir le carburant nécessaire alimentant le goût de la vengeance et de la haine sourdant en permanence de sa langue.

Briser quelque chose de déjà cassé n’était guère réalisable. C’est pourquoi tant de ses adversaires, et plus particulièrement les humains (un large sourire, féroce, parfaitement sincère, fendit son visage), persuadé qu’il s’effondrerait telle une poupée de chiffon, se trouvèrent pris au dépourvu quand leur proie brisait leur nuques, cognait les mâchoires et craquelait les os. Seule la destruction, totale et irréparable, de son être, était encore susceptible de freiner ses désirs de conquête. Si entière, que rien ni personne ne pourrait empêcher cette marionnette, breloque secouée de toutes parts, dépassée sans échappatoire pour fuir cette réalité, de sombrer. Définitivement.

Or Zane refusait, de toutes les fibres de son être, de seulement envisager cette possibilité : finir désarticulé. Il devait se durcir encore. Servir, dominer ou mourir, telles étaient ses choix, la réalité de l’existence. Et sa mort procurerait bien trop plaisir, à bien trop de monde, pour que son esprit de contradiction se satisfasse de cette option.

Donc, plutôt qu’un refus d’observer les vérités et autres souffrances éventuellement disposées à son bon vouloir visuel, voire mental, Zane réussissait à en éprouver une sorte d’ennui profond, n’attirant de sa part que de longs soupirs dédaigneux. Ou, au pire, le mettait dans une fureur interne si violente, tant il se cabrait contre cette idée, qu’il lui fallait rappeler à lui toute la dureté de son être, lutter contre ce que les autres tentaient de lui inculquer de forces, luttant si fort que ses poings finissaient par en trembler, le laissant oppressé sans qu’il ne sache exactement la raison de cette sensation. De toute manière, l’objet de sa colère comprenait rapidement l’étendue de son erreur.

Un agacement mineur, donc. Personne ne lui imposait leur vision des choses. Il s’agissait de ses choix. Et personne ne lui prendrait ça, oh non ! Quitte à se trouver considéré comme « assoiffé de pouvoir », « corrompu »… Il était quelqu’un, dans tout ce que le mot possédait de noble, habitué à ce que les autres critiquent sa façon de procéder, de respirer, de vivre. Et il s’en fichait royalement désormais. Ne contrôlait-il pas Zair et Tekris, ses subalternes, coéquipiers dans la quête du kaïru en dépit de ses jeunes quinze ans ?

Lokar lui-même ne pourrait plus jamais prétendre à cet exploit.

Une glorieuse revanche prise sur l’ensemble de l’humanité, avant un bouquet final, impossible à ignorer, que l’adolescent imaginait, polissait puis améliorait années après années. Lokar avait pu détruire une planète entière lors de sa propre tentative de destruction. Zane se fit le pari de dépasser cette démonstration de puissance, et de loin. Au moins, lui, comptait-il laisser une chance aux habitants de l’Univers de ployer le genou devant lui, contrairement à son Maître.

Un projet qui donnerait enfin sens à son existence, d’une manière telle que parfois, l’adolescent sentait ses yeux le picoter, lui qui n’avait pas versé une seule larme depuis l’enfance. Mûrit des semaines entières, alors qu’il se trouvait enfermé dans une geôle sombre et humide suite à une énième rébellion face à son dressage. La dernière. Quand, lors d’une présentation publique pour exposer les progrès des Sublimes Dresseurs, le garçon de neuf ans alors s’était jeté sur celui qui tenait la laisse, refermant les mâchoires sur la gorge, si douce, si fine, fragile ! Personne, en dépit des lanières, des coups et des tentatives à mains nues, n’était parvenu à desserrer ses dents, le goût chaud du fluide vital emplissant sa bouche souriant largement. Quel sensation intense de délivrance ! Il reprit le contrôle de sa vie à ce moment précis. Quelques minutes suffirent pour que son geôlier ne remuât plus, et qu’il puisse contempler de trop courtes secondes son œuvre, promptement ferré et enfermé. Le chien le plus dressé est encore capable de mordre.

Pourtant, il fallut bien un coup de pouce du destin pour parvenir à fuir : le père de son dresseur, en recherche de nouveaux chiens, exigea d’assister à sa fusillade, retardant de précieux jours son exécution. Un véritable signe du destin. Il avait transcendé une première fois les castes établies en s’octroyant un nom, un véritable nom bien à lui, secrètement répété au creux de ses pensées, ne se contentant pas du numéro inscrit sur la chaîne liant ses pieds. Déchiqueter une gorge constituait une nouvelle transgression, une étape lui prouvant qu’il détenait plus de pouvoir que ce qu’on voulait lui faire croire.

À présent qu’il connaissait ses capacités, Zane ne reviendrait plus jamais à l’état de servitude arbitrairement attribué sous prétexte de sa naissance.

Car dans cet horrible endroit qu’ils appelaient chenil, et que Zane appelait en son for intérieur « transition », il s’était découvert une capacité unique, fantastique. La garde des Dresseurs veillait à ce qu’aucun objet ressemblant de près ou de loin à une arme ou une corde ne tombe entre les mains des chiens, allant jusqu’à attacher leurs membres le temps que les repas soient distribués. La moindre esquisse de rébellion se trouvait sévèrement punie, objet d’un châtiment cruel qui ne se reproduisait, en général, jamais. Mais depuis peu, depuis que son corps devenait assez fort pour lutter, que son esprit se serve des miettes dispersées dans son mental pour se constituer des bribes de personnalité propre, Zane avait senti une énergie nouvelle l’emplir progressivement.

Quelque chose qui, s’il se concentrait assez, suffirait à lui assurer de quitter cet endroit répugnant, pour accomplir une vengeance méritée.

Et alors, il comprit : ce kaïru, cette énergie mystique qui permettait à ses geôliers de maîtriser par la force et des attaques mystiques l’ensemble de l’ordre établi, coulait naturellement en lui, le renforçant à mesure qu’il prenait conscience de sa présence. Ce qui expliquait sa régénération plus rapide que celle des autres chiens. Se montrer assez discret pour ne pas attirer les gardes ne fut pas chose aisée, mais rien qui ne l’empêchât d’apprendre quelques petits tours. Il avait passé les deux dernières années à les développer tant bien que mal. Il était temps qu’ils lui permissent de s’échapper.

Il n’attendit pas une nuit de plus, peu importait le degré de nervosité des Dresseurs. De tous les chiens, il était le seul à posséder le don : ses geôliers ne s’attendaient certainement pas à ce type d’offensive. Une divinité supérieure le choisissait, lui, l’élu, pour renverser l’ordre établi et donner un nouveau seigneur au monde. À son grand désarroi, le contrôle mental échappait au don, mais pas la télékinésie. Contrôler, même imparfaitement, le corps du garde pour le forcer à déverrouiller sa cage le remplit d’extase. Glisser son arme hors de son fourreau sans la toucher, afin qu’il comprenne parfaitement la raison pour laquelle le chien survivrait, avant de le planter en travers de sa gorge, frôla la jouissance.

Pour la première fois depuis six ans, le garçon put marcher librement. Neutraliser les quelques imbéciles pathétiques rôdant dans les couloirs qu’il ne put éviter, ouvrir les cages de tous les autres chiens, dernier relent de conscience, puis se glisser dans la poudrière se révéla bien moins compliqué qu’il ne le croyait. Sans que nul n’ait eu le temps de mettre en place sa traque, le camp se couvrit de flammes infranchissables et de rage explosant enfin à la face du monde. Il venait de conquérir sa liberté, il la garderait jusqu’au bout.

Ne lui restait plus qu’à devenir un véritable guerrier, armé de toute la violence de sa vengeance.

En la personne de Lokar, il crut trouver ce qui lui faisait cruellement défaut. À condition de feindre la soumission, et de ne pas dévoiler la vérité derrière ses intentions.

Il n’avait commis, toutes ces années, qu’un seul faux pas. Et celui-ci faillit lui être fatal. Six mois plus tôt, suite à l’explosion du repaire de Lokar – dans laquelle, étrangement, il n’y était pour rien – avec son mentor en son sein, il avait présumé trop tôt sa mort. Il avait cru pouvoir reprendre la place laissée vacante… jusqu’à se retrouver face à Lokar, en chair et en os, furieux d’avoir été impitoyablement occulté du devant de la scène par son propre élève durant les quelques mois qu’avaient duré sa convalescence secrète.

La pointe acérée de la peur, presque oubliée, avait transpercé sa poitrine, ses mensonges tout préparés, ses excuses tant travaillées pour satisfaire le seul capable de le détruire, moururent sur ses lèvres, ne laissant place qu’à de vagues déclarations bredouilles quant à un malentendu malheureux. Se soldant par son bannissement. Une humiliation que l’adolescent se jura de ne jamais oublier.

Que son maître, à l’issu du tournoi, croyant tenir de nouveau son élève en son pouvoir, se rengorge de son ascendant tant qu’il le pouvait encore. Bientôt, Zane serait assez dur pour lui faire mordre à son tour la poussière. Bientôt. Fort loin de se considérer comme un modèle de patience (quel intérêt, au fond ?), l’adolescent savait guetter la plus petite opportunité pour s’élever, encore. Et toujours.

La domination de l’Univers serait son ultime doigt d’honneur à tous les enfoirés qui avaient cru pouvoir le contrôler, le transformer en leur chose personnelle, bien obéissante, et ravie d’obtenir une petite parcelle de puissance.

Vraiment, tout irait pour le mieux, à un détail près. Les Hiverax. La dernière équipe de Lokar, réapparue avec sa presque résurrection, et dont personne, pas même Zane, n’avait entendu parler auparavant. Si chers à l’adulte apparemment, parfaitement identiques sauf la couleur de leurs yeux. Tellement étranges que par moments, Zane éprouvait l’impression qu’ils partageaient un seul cerveau, les frères ayant la fâcheuse manie que l’un commence une phrase, reprise par le deuxième, et ainsi de suite jusqu’à sa fin. Insupportable.

Accessoirement, ils se présentaient volontiers comme ennemis jurés, à peine dissimulés, des Radikor, et plus encore de Zane, qui prenait à cœur toute insulte faite à son équipe. S’empressant d’insinuer que le retour de servitude de l’adolescent n’était que flatterie dénuée de consistance.

Si Lokar venait à accorder ne serait-ce qu’une once de crédit à leurs insidieuses déclarations, qui sait comment il pourrait réagir ? Se retrouver abandonné au sein d’une étendue de poudreuse immaculée, en guise de punition suite à son exil, échauda suffisamment l’adolescent pour qu’il se méfie d’une telle éventualité. Pourtant, il ne pouvait se permettre de renoncer à son travail de préparation minutieuse. Flatter, c’était amadouer Lokar, au moins deux fois plus grand que l’adolescent, le rendre moins dur.

Zane grogna d’agacement, rouvrant ses paupières lourdes. Sûrement, les Hiverax s’amusaient-ils à les provoquer sans comprendre de quoi il en retournait exactement. Lokar avait fait de nouveau des Radikor son équipe favorite, de toute façon : il s’agissait de la preuve qu’attendait Zane pour confirmer que son Maître passait l’éponge sur ses actes passés. Et tant pis pour les précieux Hiverax, ricana-t-il mentalement.

Cependant, sa position restait fragile. Il ne fallait pas être grand devin pour comprendre que rentrer d’une mission les mains vides dans la demeure de Lokar équivaudrait, outre une puissante déception, à une descente radicale dans son estime. Et à une ou deux reprises, devant une défaite de son équipe, il avait fallut user de stratagèmes pour dissimuler un échec aussi dangereux que dépitant. Leur mission consistant à ramener de l’énergie kaïru à Lokar, Zane avait dû choisir d’emprunter juste le strict nécessaire dans ce qu’il appelait ses réserves personnelles de kaïru pour donner le change, patiemment constituées en prélevant une petite portion de pouvoir à chaque victoire. Dont l’existence restait soigneusement dissimulée au regard indiscret de son supérieur, cela allait de soi. Un sacrifice qu’il comptait bien se rembourser par la suite.

Heureusement, l’illusion fonctionna. Si Lokar tendait par moments à se méfier encore de son élève, Zane était chaque fois solidement appuyé par Zair et Tekris, ses coéquipiers ayant autant intérêt que lui à conserver l’estime de l’homme, afin de conserver leur place dans la hiérarchie entre équipes. Plus Lokar devrait s’appuyer sur les Radikor, plus leur position de favoris se renforcerait. Et plus vite l’adolescent acquerrait la puissance nécessaire pour le faire tomber de son piédestal.

Tout se profilait donc à merveille, à condition que son équipe et lui-même prennent garde à ne pas commettre le moindre faux-pas. Cajoler l’homme tout en préparant l’attaque, dévastatrice, qu’il lui réservait tout spécialement, telle était la clé du succès.

Un coup sec résonna à la porte de sa chambre, celle que Lokar lui permettait d’utiliser lorsqu’il avait besoin qu’il reste temporairement à la forteresse. Avant que Zane n’ait pu renvoyer le gêneur, désireux de rester encore un instant seul avec ses pensées, le battant unique, frappé du L stylisé que Lokar aimait à appliquer sur toute surface susceptible d’être contemplée par ses élèves, coulissa sans un bruit.

Franchissant le seuil de la petite pièce, dénué du moindre complexe, le visage lisse d’un Hiverax s’avança de quelques pas, le triomphe, d’autant plus insupportable que Zane n’en comprit pas l’origine, gravé sur ses traits hautains.

Instinctivement, l’onyx des iris de l’adolescent se braqua sur ceux de son Némésis. Verts, donc Vexus. Paye donc ton originalité. Meilleure nouvelle s’il devait se battre que se trouver face à Hexus, terriblement plus agressif, mais moins que si ç’avait été Nexus, le plus négligeable des triplés.

Se jetant plus qu’il ne s’assit sur la chaise rembourrée, disposée devant un bureau étroit, dénué de toute paperasse par défiance envers les indiscrétions éventuelles – et justifiées – des autres habitants de la forteresse, Vexus referma nonchalamment la porte du bout des doigts, sans cesser de fixer l’adolescent, sans se départir de son incompréhensible satisfaction, pénétré de l’expression de l’homme en sachant plus sur son adversaire, que l’inverse.

D’un coup d’œil, Zane évalua la distance le séparant de son X-Reader, sans esquisser le moindre geste malgré la colère bouillonnant dans ses veines. Posé sur sa table de chevet, il n’avait qu’à tendre le bras pour s’emparer de l’appareil, absolument nécessaire pour se battre et remporter la victoire. Sauf qu’il ignorait quelle vitesse exactement Vexus pouvait atteindre en poussant un peu sur ses jambes. Sans oublier sa fâcheuse tendance à user d’une téléportation à courte distance. En somme, au moindre geste suspect, qui savait quel parti pourrait prendre le Hiverax, en dépit des ordres de Lokar ?

Pour une fois, il fallait éviter au maximum le combat. Quoique Vexus puisse vouloir. Une perspective en totale contradiction avec l’impulsivité naturelle de l’adolescent.

Il se redressa légèrement, juste assez pour toiser l’intrus, toujours silencieux. Pensait-il que son impudence suffirait à l’intimider ?

– Tu as envie d’une deuxième correction ? railla-t-il, savourant l’agacement fugitif qui passa sur le visage de son adversaire. Dégage ! J’aimerais t’affronter et te battre dans une victoire humiliante, mais d’autres affaires plus urgentes que m’occuper d’un parvenu m’attendent.

– Je le prends comme un compliment, venant d’un expert, ricana Vexus, appuyant son menton sur le dossier de la chaise.

– Oh, regardez-le, il est triste d’avoir perdu sa place de petit privilégié, comme c’est touchant ! Fiche le camp, et plus vite que ça, ou sinon…

– Dis-moi, toi qui es si perspicace, crois-tu que Lokar acceptera de garder les Radikor près de lui quand il saura que vous n’êtes qu’une bande de menteurs ?

Zane plissa le front, carrant imperceptiblement les épaules comme s’il s’apprêtait à encaisser les coups.

Quoi ?

– Quoi ? lâcha-t-il, certain d’avoir bien entendu.

– Tu as menti. Devant Lokar. Et il t’a cru. Il ne va pas apprécier, ah ça non, tu peux me croire !

– Pathétique. Tu crois vraiment que je vais gober pareille sottise ? soupira Zane, s’asseyant pour s’emparer de la gourde reposant sur le couvre-lit.

Il la déboucha sans hâte excessive, aspirant à grandes goulées le liquide orangé qu’elle contenait. La boisson, d’une réconfortante chaleur, laissa un goût piquant sur le bout de sa langue. Bon, si Vexus n’avait pas daigné esquisser le moindre geste en sa direction quand il s’était relevé, sûrement aurait-il finalement le temps de s’emparer de son X-Reader, à condition de ne pas avoir l’air de s’y intéresser. Certes, mais cela voudrait dire qu’il considérait le Hiverax comme une menace, alors qu’il tentait seulement un coup de bluff !

Car il ne s’agissait que de cela, une tentative d’intimidation lamentable !

De longues secondes s’écoulèrent, alors que Zane s’efforçait de conserver un calme extérieur, mimant un intérêt ennuyé pour les flocons s’accumulant petit à petit sur le carreau poussiéreux de sa fenêtre. Finalement, les nerfs mis à vifs par le mutisme assourdissant de son vis-à-vis, il tourna sèchement la tête en sa direction, les dents grinçantes. Enfin, il n’allait pas lui pomper indéfiniment l’air tout de même ?!

– Quel mot tu ne comprends pas dans « fous le camp » ?

– Et toi, quel sous-entendu est trop obscur pour que tu comprennes qu’il vaudrait mieux que tu surveilles attentivement tes arrières ?

– C’est une menace ?!

– Je me demande bien où tu as pu dénicher une quantité suffisante de kaïru pour donner le change devant Lokar, aussi rapidement, et sans qu’aucune autre source n’ait été détectée. À croire que tu disposes d’un petit tour de magie à base de réserve personnelle. Peut-être en récupérant chaque fois un peu de kaïru durant chaque mission fructueuse. (Le visage du Hiverax se fendit d’un air faussement interrogateur, avant qu’il ne claque des doigts, comme sous le coup d’une illumination soudaine.) Ah mais non, suis-je bête ! Les Radikor n’auront jamais assez de talent pour ça.

Piqué au vif, Zane abandonna sa posture nonchalante, sautant sur ses pieds, poings serrés. Au dernier moment, il agrippa le montant du lit. Pas maintenant, pas encore. Il finirait bien par trouver l’occasion de battre comme plâtre l’insupportable triplé, mais sans laisser de traces. Si Lokar avait vent de son geste, il le lui ferait payer très cher.

Vexus n’eut pas même l’air de se soucier de ce que son rival ne soit plus en position de faiblesse.

Le salopard… Bien sûr qu’il se savait intouchable physiquement !

– Vraiment, quel mystère. Pour peu j’en serais admiratif, si ce n’était pas la manifestation désespérée d’un pauvre fou qui croit pouvoir garder sa place.

– Dit celui que j’ai éliminé dès le premier tour du tournoi, railla Zane, grinçant. Tu en connais beaucoup, toi, d’élèves qui ont vaincu un maître ennemi ? Alors ferme-la une bonne fois pour toutes !

– Tu l’as déjà faite, celle-là, rétorqua Vexus, une lueur malsaine de plaisir intense luisant derrière ses iris smaragdins. Ce serait plus sage de se montrer respectueux envers celui qui détient le pouvoir de te faire tomber.

– Plutôt crever dans la neige que de te lécher les bottes !

Où donc étaient les battes quand il en avait cruellement besoin ?!

– Pourtant, tu es devenu expert dans la matière.

Avant de pouvoir continuer sa pensée, les traits du Hiverax se crispèrent brutalement, visiblement contrarié de se trouver ainsi interrompu durant un jeu l’amusant grandement. Une fraction de seconde, Zane craignit une trahison de Vexus, venu le provoquer avant de se gausser d’une victoire assurée par ses soins en amont. Jusqu’à ce que le jeune homme pose deux doigts sur sa tempe, sans quitter le Radikor une seconde du regard, opinant du chef alors que son visage contredisait totalement son geste.

Zane se détendit significativement. Il avait déjà vu par le passé les Hiverax se comporter ainsi, quand ils communiquaient entre eux mentalement. Personne ne savait comment ils avaient bien pu obtenir ce don, et s’il haïssait habituellement ignorer un des avantages de ses adversaires, mieux valait une conversation mystérieuse qu’un Lokar enragé prêt à le jeter par-dessus les remparts de la forteresse. Profitant de cette intervention soudaine, Zane reprit contenance, affichant la superbe perdue un instant plus tôt, mains appuyées sur les hanches. En ces moments-là, sa taille supérieure à la normale se révélait un atout indiscutable.

Comme s’il ne s’était aperçu de rien, Vexus se tourna enfin vers lui, indéchiffrable.

– On dirait que tu vas pouvoir t’occuper de tes « affaires » si urgentes, finalement. Mais prends garde, Radikor ! Profite tant que tu le peux encore, tout en restant très prudent à partir de maintenant, petit tricheur, susurra-t-il. Il se pourrait que nous nous revoyons très bientôt.

– Je te ferai ravaler tes insultes ! gronda Zane, jetant sa gourde à travers la pièce.

Sans prendre la peine de coulisser le battant, la silhouette du Hiverax s’effaça, à la manière d’une toile humide passée sur un tableau de craie. La téléportation, évidemment. Il le narguait ouvertement à présent !

Balançant ses jambes par-dessus le montant de son lit, pieds fermement posés au sol, Zane s’empressa de refermer la main sur son X-Reader, foudroyant du regard la porte, s’attardant plus particulièrement sur le L délicatement ouvragé. Foutus adultes, foutus humains, et surtout, surtout, pathétique Vexus qui osait tenter de l’impressionner ! Qu’est-ce qu’il croyait, qu’il suffisait de quelques sous-entendus de pacotille pour l’effrayer au point de se laisser dominer sans protestation, tremblant chaque fois qu’il ouvrirait la bouche devant Lokar ?! Pauvre naïf !

Mais si jamais son supérieur apprenait que Zane l’avait effectivement trompé une nouvelle fois, il risquait fort de ne pas apprécier la plaisanterie. Et sa punition se révélait probablement plus sévère que jamais. Une vague de haine gonfla dans sa poitrine, alors que l’image de son ancien dresseur s’imposait à son regard perdu dans le vague. Encore un autre adulte qui croyait détenir assez l’ascendant sur sa personne pour faire de lui ce qu’il désirait, encore inatteignable !

Un problème fâcheux avec lequel il s’accommodait tant bien que mal, mais revêtant une dimension plus dangereuse encore avec la provocation de Vexus.

Les Hiverax… Cela faisait bien longtemps que Zane ne s’était pas méfié de quelqu’un en-dehors de Lokar, et voilà que Vexus… Si lui savait quelque chose, il y avait de grandes chances que ses frères en soient également informés. Et dès que Lokar entendrait dire que le kaïru rapporté par les Radikor ne provenait pas de la relique, il ne faudrait guère longtemps avant de réaliser qu’ils disposaient d’un petit pécule personnel. Sans compter que les Hiverax pouvaient parfaitement grossir leur version de la vérité.

Mais justement, qu’avaient-ils pu découvrir ?

La solution lui apparut, aussi évidente qu’un bouton d’acné sur le visage d’un adolescent. Il suffisait de tirer les vers du nez de Vexus, quand il reviendrait se présenter effrontément devant lui. Le Hiverax l’avait lui-même affirmé : il ne comptait pas le laisser en paix, d’une manière ou d’une autre.

D’un geste saccadé, l’adolescent ramassa sa gourde, gisant toujours au sol, en vidant le contenu dans le lavabo de la salle de bain.


µµµ


Un petit détour par sa planque islandaise fut nécessaire pour réunir tout ce dont il avait besoin – guère plus de quelques heures en usant de ses pouvoirs, pas assez longtemps pour alerter les Hiverax. Zane s’était interdit de ramener quoi que ce soit de sa précédente existence de chien aussi près de Lokar – il ne comptait pas devoir fournir des explications détaillées quant à la présence de certaines substances plus ou moins licites –, mais la situation justifiait amplement cette petite entorse à la règle.

Déposant un lourd sac à dos sur son bureau, Zane vérifia que la petite plaque de métal, clouée de manière à empêcher le coulissement de la porte, se trouvait dans le même état qu’il l’avait laissée. Il faudrait bien la retirer une fois son plan mis à exécution, et avant le retour de Vexus. Pas question de laisser croire qu’il éprouvait la moindre crainte.

Avant de mettre à feu et à sang le campement des Seigneurs Dresseurs, il n’avait pas oublié d’effectuer un petit détour par la salle de Préparation. Une épreuve obligatoire pour les chiens, gavés de drogues destinées à apaiser leurs velléités de rébellion les premières années de leur entraînement, afin de leur inculquer les valeurs nécessaires à tout bon animal : l’obéissance absolue, le sacrifice de soi, la servitude, peu importe ce qui leur était exigé… Et, ce qui avait le plus intéressé Zane, l’impossibilité de proférer le moindre mensonge, condition indispensable aux yeux des Dresseurs. Zane avait toujours soupçonné que les drogues étaient à l’origine de son échec à se rebeller plus tôt, l’émergence de sa conscience et de son don s’étant manifesté au moment où son dresseur, le considérant « sans danger », avait diminué le dosage. L’imbécile.

Une fois les casiers contenant les ingrédients nécessaires à l’élaboration de la drogue dénichés, s’emparer de la « recette » fut un jeu d’enfant. Les geôliers laissaient toujours échapper des informations importantes quand ils croyaient les chiens inconscients.

L’idéal pour forcer Vexus à lui révéler tout ce dont il avait besoin !

Il ouvrit le plus gros des paquets récupérés en tirant sur la ficelle de chanvre l’enveloppant, sortant une petite balance, une plaque chauffante (celle-ci, cependant, achetée sur Terre), quelques seringues et pipettes, pour certaines bonnes à jeter, ainsi qu’une poignée d’autres instruments variés. Bien trop impressionnant pour ce qu’il s’apprêtait à concocter.

L’adolescent s’empara du second ballot, cette fois constitué d’une demi-douzaines de boîtes rectangulaires hermétiquement fermées. Avant de s’engager plus avant, Zane les ouvrit une à une, rassuré de constater que tous ses précieux ingrédients, la plupart liquides pour davantage de praticité, étaient intacts. Délaissant un instant son matériel, il tourna la poignée de la fenêtre, de manière à laisser passer un filet d’air. Dommage que la température extérieure l’empêchât d’ouvrir davantage sans risquer de fausser sa préparation. Les odeurs ne seraient pas trop fortes, mais il suffisait d’un rien pour se trahir. Sans parler de périr bêtement intoxiqué pour ne pas avoir renouvelé l’air à temps. Heureusement, la forteresse restait particulièrement grande, et au final peu habitée. Personne ne devrait venir le déranger avant un petit moment.

Sans plus attendre, il s’empara d’un écrin un peu plus gros que les autres, contenant un pain azur, pas plus gros que la main, s’effritant entre ses doigts légèrement tremblants. S’emparant d’un couteau marqué d’une gommette d’une couleur similaire, il plissa le front, déterminant approximativement le poids de Vexus, puis coupa deux tranches fines. Le niboga, introuvable sur cette planète sans exportation, était absolument nécessaire pour supprimer tout goût indésirable tout en liant les divers ingrédients entre eux, mais il fallait d’abord le chauffer pour le rendre soluble. Et surtout, éviter une crise cardiaque dans les six heures suivant son ingestion cru.

Ses mains, libérées de gants pour l’occasion, récupérèrent le papier sur lequel les tranches reposaient, les glissant dans le bécher avant de disposer le tout sur la plaque chauffante, thermomètre glissé à l’intérieur.

Deuxième ingrédient absolument nécessaire, la lebib, synthétisée artificiellement en poudre mauve, distillée dans un sérum d’alcool pur, augmentant la fiabilité des informations d’abord données par la victime. Avant que le retour de balai ne dégrade cette dernière plus rapidement encore qu’elle ne s’était montrée coopérative. Il faudrait agir vite, mais ce n’était pas le plus dérangeant.

Penser à augmenter la dose, comme l’ingestion serait orale…

Le reste n’était que pléthore de substances psychotropes faciles à dénicher sur Terre, pourvu que l’on sache où chercher, songea Zane, tirant hors de sa boîte une petite fiole d’éthanol liquide. Celui-là, mieux valait n’en mettre qu’une petite dose. Sinon, outre une indigestion monumentale, il interférait bien trop avec les autres ingrédients. Il l’ajouta au mélange de poudre et d’alcool, battant vigoureusement le tout à l’aide d’une cuillère jusqu’à ce qu’il prenne une teinte orangée.

Le laissant ensuite reposer brièvement, il récupéra une dose de LSD, tirée d’une cassette aux couleurs trop délavées pour pouvoir en identifier une clairement. L’étiquette, en partie déchirée, ne pouvait plus qu’indiquer le mélange de la drogue avec un autre composant indéchiffrable, seul un « C » majuscule encore lisible. Un détail chagrinant… Une fois sa réserve épuisée, il ne serait peut-être pas possible d’en retrouver d’aussi efficace. Il la versa dans le deuxième bécher, puis ajouta du Penthotal, suivant scrupuleusement les instructions étalées sur la feuille accrochée à hauteur de ses yeux.

Recopiée par ses soins, puis codée, les symboles qu’elle affichait resteraient proprement incompréhensibles pour qui ne détenait pas la clé de son déchiffrage. À la limite, peut-être Zair réussirait-elle à en comprendre la teneur générale, certains traits ayant été empruntés à sa langue natale faute d’inspiration.

Sûrement devrait-il réviser ses méthodes, s’il ne voulait pas se retrouver face à de mauvaises surprises.

Patientant difficilement jusqu’à ce que le niboga soit totalement fondu, il versa le contenu du bécher avec le second mélange, remuant doucement jusqu’à l’incorporation totale de chaque substance. Puis, il ajouta enfin le reste de la préparation, réduisant sa respiration au minimum pour ne pas se retrouver intoxiqué par les effluves, répétant la même opération avec minutie. Enfin, pour parfaire l’ensemble, il remis le tout sur la plaque afin de raviver les propriétés du niboga, refroidit par l’air glacé parvenant malgré tout à pénétrer dans la chambre.

Attendant tout juste le sifflement annonciateur de la fin de la préparation, Zane la retira impatiemment, jetant un regard par-dessus son épaule, s’assurant pour la énième fois que le morceau de métal bloquant sa porte se trouvait encore en place. Soulagé, sans vouloir l’admettre, de constater qu’il n’avait pas de raison de s’inquiéter, l’adolescent remua consciencieusement le liquide encore tiède contenu, d’un geste saccadé, manquant de peu jeter quelques gouttes hors du contenant. Les volutes ambrées, virevoltant doucement au gré des ondulations troublant la surface, ne tardèrent pas à se dissoudre dans l’insipidité translucide du reste de la préparation. Ne resta bientôt plus qu’un vague reflet à la couleur indéfinissable.

Prenant garde à ne pas respirer le contenu, il en versa la totalité dans la gourde qui ne le quittait jamais en-dehors des missions à accomplir, usant de maintes précautions pour que rien ne vinsse déborder inopinément.

Le bouchon, d’un argent émaillé par le temps, émit un petit claquement rassurant, enfoncé profondément sur le goulot une fois sa tâche achevée. Zane secoua vigoureusement la gourde, la boisson atrocement sucrée, dénichée en une grande surface quelconque sans qu’il ne prenne garde à son appellation, pourvu qu’elle soit gazeuse, s’agglutinant dans un concerto de minuscules pétillements. Pour une raison inconnue, les sodas tendaient à se lier bien plus efficacement à la mixture. En toute franchise il s’en tamponnait les arpions avec une pince à linge. Peu importait les moyens, tant que la fin était là.

L’adolescent continua vigoureusement de longues minutes durant, sans ralentir le mouvement, guettant impatiemment les chiffres rouges agressifs inscrits sur le cadran fissuré de l’horloge digitale, disposée sur sa table de chevet.

Certes, il resterait de faibles relents peu agréables si Vexus avait le culot de poser le nez sur le goulot de métal, trop faibles cependant pour inquiéter véritablement sa victime. Normalement, l’ajout de niboga rendait la potion parfaitement insipide, mais mieux valait prendre toutes ses précautions. Obtenir les informations de son insupportable rival – du moins Zane le considérait-il comme tel – revêtait une importance capital. À condition que ses suppositions se révèlent exactes, et que Vexus ne se contente pas d’une seule entrevue pour nourrir son ego, décidément plus colossal à mesure que Zane le connaissait.

Décidant s’être suffisamment tordu les poignets pour un tel crétin, l’adolescent ramassa à la hâte les divers instruments peuplant son bureau, réunissant l’ensemble dans un sac à dos tellement usé qu’il paraissait impossible de le saisir sans que son contenu ne se déverse sur le sol. Prenant garde à rouler des morceaux de chiffons inutilisables ailleurs entre les différents instruments de verre ou de plastique, il referma d’un coup sec la fermeture éclair, qui miraculeusement ne coinça pas, avant d’ouvrir la porte coulissante de son armoire étroite.

Du plat de la main, il écarta les quelques vêtements accrochés sur la tringle, dégageant l’accès à l’arrière du meuble collé contre le mur. Il repoussa quelques lattes mal fixées par ses soins, révélant une petite niche dans la plaque de métal, aux bords déchirés par le chalumeau, fourrant le sac à dos et l’ensemble de son contenu au fin fond de la trappe. S’assurant de l’invisibilité du stratagème de l’extérieur, il disposa ses vêtements de manière à dissimuler totalement tout renfoncement suspect. Cela ne faisait que peu de temps qu’il occupait les lieux, et il n’avait pas encore eu l’occasion de dénicher un morceau de tôle inutilisé pour créer un double-fond digne de ce nom.

Ça viendra, comme tout, il ne devait pas s’inquiéter, se répéta-t-il pour la énième fois, tâtant du bout de l’index la gourde restée sur le bureau.

Ses mains, soigneusement gantées, tremblèrent violemment, le tourbillon de la colère et de la rage refluant brutalement en son être. Pris d’un accès d’humeur, ses doigts se refermèrent sur le dossier de la petite chaise sur sa droite, une vieillerie à l’assise faite de paille rembourrée, désuète mais non dénuée de charme. Un battement de cil s’écoula, avant qu’il ne la projette de toute la force de sa frustration contre le mur opposé.

Le craquement accompagnant l’explosion du bois contre le métal lui procura une satisfaction indescriptible, bien qu’imparfaite.

Bien qu’il détestât se charger des basses besognes, celle-ci se trouvait bien trop délicate pour la confier à ses deux seuls alliés. Et pourtant, en tant que chef d’une équipe de combattants, il aspirait à de plus hautes prétentions ! Pire encore, il haïssait devoir recourir à une bête potion pour un nuisible tel que Vexus, se croyant assez important pour menacer ses ambitions, pire, sa carrière. Plutôt jouer du ukulélé devant Lokar que le laisser l’atteindre.

La rivalité entre les équipes au service de Lokar, dont la sienne, avait toujours été… vivace, pour rester naïf. Mais depuis l’arrivée récente des Hiverax, frères triplés rigoureusement identiques, elle atteignait des proportions dangereusement floue.

Enfin, il n’allait quand même pas retourner à la case départ, juste parce que des triplés complètement frappés s’arrangeaient pour se faire bien voir de Lokar !

Peinant à supporter devoir attendre un homme qu’il haïssait davantage à chaque minute passant, il releva la gourde piégée à hauteur de son visage. Au moins Vexus ne serait pas surpris de le trouver avec son petit accessoire métallique, maintenant qu’il l’avait vu l’utiliser à plusieurs reprises. Sa méfiance s’en trouverait certainement endormie, plus encore alors qu’il était persuadé de détenir l’ascendant sur le Radikor.

Mais comment le forcer à en boire son contenu ?! Si Zane le lui proposait en main propre, jouant un rôle de courtisan mielleux désireux d’amadouer le souverain, Vexus n’en toucherait pas une seule goutte. Tout comme Zane préférait sauter du haut du toit plutôt que de goûter le moindre aliment en contact avec les Hiverax. Utiliser la vieille technique du verre, le servir comme si de rien n’était, poussant l’orgueil de son rival à l’imiter quand lui ferait mine de porter sa boisson à la bouche ? Impossible que Vexus ne se demande pas pourquoi plusieurs verres, et non pas un seul, seraient sortis. D’autant que l’adolescent n’en possédait aucun, à la réflexion.

En fait, les Hiverax buvaient-ils ? Après tout, Zane ne les avait jamais vu consommer quoi que ce soit, de quelque manière. D’un autre côté, il ne recherchait pas particulièrement leur compagnie, et encore moins dans l’intention de partager un repas.

Nerveusement, son regard ne cessa de se poser sur son horloge digitale, avant de voler vers la fenêtre, puis fouiller les moindres recoins de la pièce à mesure qu’aucune solution ne se présentait à lui. Seule, l’excitation de l’esprit de contradiction du triplé pouvait le pousser à ignorer son agaçante prudence naturelle, mais cela ne l’avançait guère.

De plus en plus mal à l’aise, l’adolescent finit pas abandonner son poste d’observation, lançant la gourde d’une main à une autre à mesure que le cheval fou des minutes galopait impitoyablement, s’écoulant tantôt à une lenteur insupportable, tantôt avalant la distance à une vitesse telle qu’il peina à croire les bâtons lumineux s’affichant sur le cadran. Allait-il devoir attendre encore longtemps, mariner dans son jus telle une popote oubliée dans un coin, ou le Hiverax se montrerait-il aussi promptement qu’il l’escomptait ?

Un rire moqueur résonna dans son dos, lui arrachant un peu glorieux cri étranglé.

D’un bond, il fit volte-face, en position de défense, s’assurant d’être solidement ancré au sol.

Face au sourire sardonique de Vexus, tranquillement assis en tailleur sur son bureau, occupé à déchiffrer l’écriture serrée de son rival sur une liasse de feuilles. Une excellente intuition que de dissimuler ses activités en disposant quelques papiers sans importance, histoire de détourner si besoin l’attention du triplé, se félicita intérieurement Zane, s’efforçant de ne pas montrer son envie de provocation. Bon sang, il ne pouvait pas frapper à la porte, au lieu de s’amuser à apparaître sans prévenir ?

Tiens, peut-être était-ce sa manière de se débarrasser de ses ennemis, en provoquant un infarctus !

Réalisant brutalement que non, il ne rêvait pas, Vexus le dévisageait assis sans complexe dans sa chambre, abandonnant sa lecture pour se moquer silencieusement de lui, l’adolescent tourna son regard en direction de la plaque fixée solidement sur l’encadrement. Rien n’avait bougé, et pourtant…

– Pourquoi prendre la peine d’ouvrir une porte, quand on peut se téléporter à sa guise ? ricana le Hiverax, s’adossant négligemment contre le mur.

Levant un doigt, il désigna les vestiges de bois mêlé de paille, constituant autrefois une chaise, gisant toujours dans le coin de la pièce.

– On dirait que quelqu’un a eu besoin de passer ses nerfs. Drôle de comportement pour quelqu’un qui se prétend innocent.

– Qu’est-ce que tu me veux, Vexus ? Je n’ai pas de temps à t’accorder, cracha Zane.

Tant pis pour la préparation préalable. Il devait trouver en catastrophe le moyen de le pousser à avaler cette maudite potion, ou alors l’insupportable triplé ne manquerait pas de tenter de le transformer en marionnette ! Et ça, peu importait que cela soit voué à l’échec, il ne le supporterait jamais !

– Passer aux choses sérieuses. Il serait dommage que ton petit secret soit éventé parce que…

– Encore cette histoire ridicule, soupira ostensiblement Zane.

Un mince sourire s’étira sur ses lèvres. Oh oh, mais bien sûr… Faire avaler sa potion de vérité au Hiverax n’était pas si compliqué, au fond.

– Tu permets, j’ai à m’occuper, fit-il dédaigneusement, dévissant à une lenteur insupportable le bouchon de sa gourde.

Affectant le désintéressement, l’adolescent porta le flacon à ses lèvres, prenant garde à ne pas seulement tremper le bout de ses lèvres. Si jamais il se trompait, il lui suffirait d’exiger le départ de Vexus, gêneur, pour ne pas paraître trop suspect, à condition de…

Une main, tout aussi gantée que les siennes en temps normal, lui arracha la gourde des mains. Triomphant, le triplé la maintint entre son pouce et son index, goguenard.

– Rends-moi ça immédiatement ! C’est à moi ! Je t’interdis de la boire !

– Rien n’est à toi, railla Vexus, et c’est d’autant plus vrai que tu es dans la forteresse de Lokar.

D’un bond, le Hiverax se retrouva hors de portée, de nouveau confortablement installé sur le bureau. D’un mouvement exagéré, il rejeta la tête en arrière, accentuant volontairement la déglutition alors que le liquide s’écoulait au fond de sa gorge. Vidant entièrement la gourde, sous le regard de Zane, mimant une fureur contrastant avec la profonde satisfaction éprouvée, Vexus la secoua vigoureusement, s’assurant qu’il ne restait plus rien à l’intérieur.

Sans même regarder Zane, il la jeta à ses pieds, passant son poing sur sa bouche pour s’essuyer.

Comptant mentalement le temps restant avant que la potion n’agisse, l’adolescent se pencha précautionneusement, sans quitter l’intrus du regard. Beaucoup trop facile. Se dirigeant vers la fenêtre, il l’ouvrit à son envergue maximum, ne retenant plus un sourire ravi, l’impatience soulevant sa poitrine à mesure que le décompte s’amenuisait. Plus qu’une petite minute, trente secondes, quelque chose comme quinze…

– Te jeter par la fenêtre me remplirait de plaisir, intervint Vexus, faussement aimable.

– Qu’est-ce que tu sais exactement concernant cette histoire de reliques ? attaqua Zane, d’un ton ne souffrant d’aucune contestation.

Montrer une assurance sans faille, tout en exigeant fermement les informations, se montrait bien souvent beaucoup plus efficace. Et face à une tête de pioche telle que Vexus, il allait avoir besoin d’une bonne dose de persuasion pour obtenir toutes les réponses qu’il brûlait de connaître. Seules les dix premières minutes pouvaient être considérées comme fiables, avant que les hallucinations provoquées par les substances contenues dans sa potion de vérité ne prennent le dessus. Un effet secondaire particulièrement gênant, que le mélange d’ingrédients terriens et extraterrestres ne parvenait qu’à repousser d’une poignée de minutes.

Enfin, cela suffirait pour savoir si les insinuations de Vexus dépassaient le simple coup de pression infondé, ou si le jeune homme avait parlé de ses soupçons à ses frères, voir à Lokar.

Un bref instant saisit par son ton impérieux, Vexus resta interdit, le fixant de ses yeux écarquillés comme s’il songeait sérieusement à l’interner. Puis, sa tête partit en arrière, alors que sa bouche s’ouvrait largement, laissant échapper un rire parfaitement sincère, secouant son corps des épaules aux orteils de longues minutes, si longues qu’il parut d’abord ne jamais pouvoir s’arrêter.

Incrédule, Zane battit des paupières, sans comprendre.

Pardon ?!

– Oh pitié, tu es si drôle ! Tu crois qu’il suffit de prendre un air menaçant, et que je vais tout te dire sans discuter ?! Je ne suis pas Zair, et encore moins Tekris !

Profondément perplexe, l’adolescent observa minutieusement sa gourde débouchée, pendant mollement au bout de son bras.

Une petite seconde, qu’est-ce qu’il se passait, là ?! Peut-être ne s’était-il pas montré assez direct ?

– Arrête de rire immédiatement ! s’échauffa-t-il, repoussant tant bien que mal l’inquiétude montant dans sa poitrine. Dis-moi ce que tu sais, comment, et à qui tu en a parlé !

Instantanément, Vexus cessa de rire, un éclat furieux transperçant ses iris clairs. Ah, donc c’était bien ça, il fallait insister, sans se laisser démonter. Sûrement le triplé détenait-il une volonté plus importante que ses précédents sujets, ce qui l’avait un instant déstabilisé, et…

Le visage fermé, le Hiverax descendit de son perchoir, s’avançant lourdement vers lui. Déglutissant péniblement, Zane dut mobiliser toute sa volonté pour empêcher ses pieds de reculer, plantant avec orgueil ses iris onyx dans les siens. Hors de question de se dégonfler maintenant, où Vexus allait deviner que son autoritarisme soudain n’était pas que le fruit de son caractère.

Mais jamais, jusque-là, n’avait-il remarqué que les traits de Vexus pouvaient être si durs. Vraiment, s’il n’était pas lui-même, peut-être une légère inquiétude serait venue frapper à la porte de son esprit.

– Tu n’es qu’un vulgaire parvenu, je te l’ai déjà dit, non ? Mes frères et moi, au contraire, nous avons été créés, sommes nés pour la seule quête du kaïru. Nous nous sommes entraînés, années après années, uniquement dans ce but, pour cette destinée que nous accomplirons aux côtés de Lokar !

Le poing du Hiverax se referma, marquant chacune de ses phrases comme autant de coups assénés.

– Pour lui nous vivons, et pour ses ordres nous continuons de grandir en puissance. Nous sommes chacun capables de résister à un type d’attaque kaïru, et toi tu ne le peux pas ! Et jamais notre place ne sera remise en cause juste parce qu’une pauvre petite équipe de bâtards a eu, une seule fois, un coup de chance ! Au moindre faux pas, nous serons là à vous attendre, et alors…

Soudain, Vexus se retrouva en train de léviter, plusieurs centimètres au-dessus du sol, battant stupidement des pieds alors que son X-Reader glissait de sa pochette pour venir flotter à côté de sa tête. Les yeux ronds, la bouche encore ouverte, il fixa de longues secondes l’adolescent lui faisant face, une main levée au-dessus de son crâne, paume vers le plafond.

– Pour le moment, je tolère ta présence parce que Lokar vous tiens, toi et tes frères, en estime, lâcha Zane, sans chercher à dissimuler sa propre menace sourdant de chaque mot. Mais prends bien garde, petit E-Teens, à te concentrer sur ton échelon. Une dégringolade du haut de la forteresse, par accident, est si vite arrivée…

Sans attendre de réponse, l’adolescent concentra son énergie sur le métal – qui décidément ne servait à rien – bloquant sa porte, l’envoyant voler à travers la pièce, frappant la joue de Vexus sans que le sang ne coule. D’un mouvement sec du bras, il fit coulisser le battant, des gouttes de sueur s’accumulant sur son front.

Bon sang, ce qu’il pouvait être lourd l’animal !

– Maintenant, que je ne te revois plus, toi ou tes frères, traîner dans les parages, et encore moins autour de mes coéquipiers, ou ce sera votre dernière erreur ! Et va balancer ça à Lokar si ça te chante, nous verrons bien qui il décidera de croire !

Mimant une poussée brutale, il expulsa Vexus hors de la pièce, roulant sur plusieurs mètres avant de s’immobiliser, son X-Reader rebondissant sur son crâne.

Enfin, la porte claqua violemment, les murs résonnant encore longtemps après de l’onde de choc. Les sens en alerte, Zane ne baissa sa vigilance qu’au bout de longues minutes, le clopinement d’un Vexus, trop sonné pour utiliser ses propres pouvoirs, s’éloignant promptement.

Les jambes tremblantes, il recula à tâtons, soulagé quand il sentit le bois du montant sous ses doigts. Par un reste d’orgueil, il prit tout son temps pour s’asseoir, passant les doigts sur sa nuque humide.

Une bêtise… C’était une bêtise que de dévoiler une partie de ses trucs à ce type ! Aucune doute qu’il allait s’empresser de tout raconter à ses frères ! Mené par le bout du nez par la peur, il n’avait pas réussi à réfléchir correctement, ne pensant qu’à une chose : éloigner cette créature, ce triplé de lui, le plus vite possible ! Car dans ses yeux, plus sûrement qu’au travers de ses mots, il s’était senti profondément menacé, certain qu’il n’hésiterait pas à… Par les enfers, ce qu’il avait lu dans ses yeux !

Pourquoi donc sa potion de vérité, jusque-là infaillible, décidait-elle de flancher pile à ce moment-là ?! Après tant d’années de réussite, elle choisissait la pire occasion possible pour décider de se montrer capricieuse ! C’était à se casser la tête contre les murs !

Expirant profondément, il s’exhorta au calme, explosant au passage un cadre de photographie vide en bois, qui décidément n’avait absolument rien à faire dans son passage. Peut-être les ingrédients récupérés au camp avaient-ils une date de péremption ?!

Trop peu assuré pour se lever déjà, l’adolescent repassa au sein de son crâne la brève discussion qui venait de se dérouler entre les quatre murs, d’abord de manière complètement décousue, les diverses déclarations des deux garçons s’entassant pêle-mêle à mesure que sa mémoire ravivait les souvenirs de son échec, puis reprenant lentement chaque élément de manière linéaire.

Peinant à retrouver un semblant de calme, sa marche se ralentit enfin, lentement, à mesure que le désir de revanche revenait se greffer sur sa colère. Il attrapa, sans se retourner, l’unique chaise allouée par Lokar, s’asseyant ventre contre le dossier, son poing ganté posé contre ses lèvres. Une explication, il y avait forcément une explication logique.

Voyons, à partir de quel moment son plan avait commencé à partir en vrille ? L’accueillir avec une lueur de colère dans le regard, afin de bien lui signifier son désaccord sans l’approuver, mimer ostensiblement une soif soudaine devant le regard moqueur du Hiverax pour le pousser à s’emparer de la gourde contenant le précieux breuvage… Tout avait parfaitement fonctionné dans la mécanique pourtant ! Le seul grain de sable fut que l’effet attendu avait complètement échoué ! Il ne voyait que cela, encore et encore, en dépit de son envie de trouver une autre explication. Mais pourquoi ?!

Pour reprendre une expression que Tekris murmurait, croyant que personne d’autre ne l’entendait : quelque chose déconnait salement. Ordonner à son équipe de se tenir aussi loin que possible des triplés deviendrait la priorité principale, le temps de découvrir la raison d’un tel dysfonctionnement. Pas que ce serait compliqué, ses coéquipiers détestaient au moins autant que lui les étranges garçons. Le simple fait de ne pas pouvoir attribuer un âge précis à ce qui semblait de jeunes hommes suffisait à exacerber la méfiance des trois adolescents à leur sujet.

Il s’attarda un instant sur la porte, désormais close, conduisant à l’extérieur. Une sortie terriblement illusoire, à la réflexion. Et plus inquiétant encore, si ces stupides Hiverax étaient capables de deviner une manipulation aussi simple que camoufler une perte de relique, combien de choses, derrière un masque d’ignorance, savaient-ils ?

Oui, quelque chose clochait. Mais rien qui ne puisse se résoudre à long terme, conclut finalement l’adolescent, passant la langue sur ses lèvres sèches.



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Figures de style par ordre d’apparition :


Zeugma : « Sans que nul n’ait eu le temps de mettre en place sa traque, le camp se couvrit de flammes infranchissables et de rage explosant enfin à la face du monde. »


Oxymore : « les nerfs mis à vifs par le mutisme assourdissant de son vis-à-vis »


Métaphore : « le cheval fou des minutes galopait impitoyablement »


Hyperbole : « C’était à se casser la tête contre les murs ! »


Allitération : « Le simple fait de ne pas pouvoir attribuer un âge précis à ce qui semblait de jeunes hommes suffisait à exacerber la méfiance des trois adolescents à leur sujet. »


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