Quatorze Juillet

Chapitre 8 : - Partie I ~ Chrysanthème - - Chapitre VIII -

2579 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:06

- Chapitre VIII -

Bip-bip-bip. Bip-bip-bip.

Un bruit agaçant força Raphaël à se réveiller. Il entrouvrit les paupières, et tendit la main vers la table de nuit, espérant arrêter ce réveil mal réglé.

Bip-bip-bip. Bip-bip-bip.

Il avança à tâtons sa main, mais ne rencontra que du vide.

Bip-bip-bip. Bip-bi–

Lorsqu'il entendit que l'appareil s'était éteint, il se replia sur lui-même sous la couette, prêt à se rendormir.

Il sentit quelque chose –ou plutôt quelqu'un– remuer derrière lui, de l'autre côté du lit. Il ignora cette présence, et se détendit, guettant le retour du sommeil. Ce devait certainement être Fondue.

Un soupir ; un semblant de voix.

Un parfum qu'il ne reconnaissait que trop bien.

Marie.

Il ouvrit se retourna vivement sur sa droite, pour découvrir un visage souriant juste à côté du sien.

Une paire d'yeux bleus le fixait. Un sourire se dessinait sur les lèvres roses.

« Bonjour Raphaël » murmura-t-elle d'une voix doucement embrumée, encore teintée de sommeil.

Il voulut reculer, s'éloigner d'elle, mais le bord du lit le menaça de, littéralement, le laisser tomber.

Elle sortit une main de sous la couette, remit une mèche folle qui lui cachait la vue à sa place. Et elle lui souriait toujours.

Mais elle sembla constater sa gêne ; il ne disait rien, ne bougeait pas. Ce n'était pas dans son habitude.

« Ça ne va pas ? » demanda-t-elle en tendant la main, voulant lui caresser tendrement la joue.

Il la repoussa, et sortit du lit –il constata au passage qu'il avait dormi tout habillé, dans son costume de Fantôme R. Il reboutonna quelque peu sa chemise, sans détacher son regard de l'adolescente.

« Raphaël ? appela-t-elle, inquiète.

– Je... Qu'est-ce que je fais là ? s'affola-t-il, cherchant à s'éloigner de celle qui l'avait trahi.

– Tu ne te souviens pas ? »

Elle se redressa dans son lit, et le scruta étrangement. Lequel d'eux agissait le plus bizarrement ? Il n'aurait su répondre.

« Hier, tu es venu. Tu m'as dit que tu voulais passer du temps avec moi, et tu es resté toute la journée.

– Et comment... je me suis retrouvé dans ton lit ? bafouilla-t-il, gêné à l'idée de ne pas savoir ce qu'ils avaient bien pu faire la veille.

– On a discuté. Beaucoup discuté, répondit-elle d'un air rêveur. Et on s'est endormis ensemble –c'est normal pour un couple de partager le même lit, non ? »

L'innocence de Marie lui réchauffa le cœur, mais pas pour longtemps. Elle ne se souvenait pas l'avoir dénoncé, ni avoir été quelque peu blessée lors de leur dispute au commissariat –si cela avait été elle à ce moment-là.

Que s'était-il réellement passé ?

« Si tout ce que tu dis est vrai, commença-t-il en tentant de mettre de l'ordre dans sa tête et ses souvenirs, pourquoi j'étais Fantôme R lorsque je suis venu ? »

Elle sourit.

« Tu m'as dit te sentir plus à l'aise, habillé comme ça, dans certaines situations. »

Il se massa les tempes, s'adossa au mur.

Qu'est-ce qui s'était passé la veille ?

Il lui fallait connaître la date, et interroger des gens. Il pouvait commencer par Charlie, peut-être ; il aurait été bien trop dangereux de rendre visite à Vergier. Mais après le coup lâche qu'il avait fait à la fille de l'inspecteur, il devait sûrement éviter de forcer leur rencontre.

« Qu'est-ce qui s'est passé, hier ? » demanda-t-il en reprenant le contrôle de ses esprits, et de son corps.

Elle parut surprise par cette question, mais y répondit. Elle lui raconta qu'elle s'était promenée en ville le matin en compagnie de sa mère, qu'elle était tombée par hasard sur lui au coin d'une rue, qu'ils avaient discuté quelque peu, avant de décider de passer la journée ensemble. Finalement, ils s'étaient installés sur son lit, avaient discuté, et s'étaient assoupis, exténués.

« On n'a rien fait d'autre ? »

Elle secoua la tête, dissipant ses inquiétudes.

« On n'a rien fait d'autre. »

*

Elle marchait d'un pas pressé, déterminé.

Tout s'accélérait, ce n'était pas bon.

Quelques maigres gouttes de pluie tentaient d'atteindre sa peau. Mais la fraîcheur qui tombait sur sa poitrine ne l'apaisait pas pour autant.

Il fallait qu'elle accélère elle aussi ses déplacements, ses mouvements. Il fallait entrer dans la phase suivante plus vite que prévu.

Elle se retint de s'arrêter et de frapper l'individu qui venait par mégarde de la bousculer. Mais elle n'avait pas le temps pour ça.

Il fallait se presser, ou sinon elle encourait le risque de tout faire échouer.

Et Dieu savait qu'elle ne le voulait pas.

Son maudit tuteur lui avait ordonné, au vu de leur progression, de laisser tomber le plan initial, de continuer sans leur marionnette. Mais elle avait tenu tête, et refusé. Elle voulait jouer avec sa "marionnette" comme il l'appelait, elle voulait la torturer, la retourner dans tous les sens, la malmener, lui faire goûter à un semblant de liberté avant de la détruire, écrasant tous ses rêves, tous ses espoirs, tel un fauve s'amusant avec sa proie avant de la dévorer.

Il avait accepté. Il l'avait mise en garde. Il l'avait prévenue de ne pas se détourner à nouveau de leur mission, comme elle l'avait fait par le passé. Face à son insistance, il avait abandonné l'idée de lui faire changer d'avis ; il l'avait laissée agir à sa guise.

« Reviens me voir quand tu auras fini » furent ses dernières paroles avant qu'elle ne le quittât.

Et elle était arrivée dans cette rue, sous la pluie. Il lui fallait prendre des forces, réfléchir, planifier ses mouvements, s'entraîner une dernière fois.

Bientôt, tout allait changer.

Et désormais, elle n'avait plus personne pour lui dire quoi faire.

C'était elle, seule, contre les autres.

*

« Merci de m'accompagner, Michel.

– De rien Raphaël ! Comme c'est sur mon chemin, et que je suis tout seul, ça ne me dérange pas ! »

Il avait croisé Michel sur le chemin le menant au commissariat. Il devait sûrement se rendre au couvent, et aller voir Josette.

« Dis, tu n'as pas remarqué des trucs bizarres ces derniers temps ?

– La pluie » répondit l'adolescent en passant sa main dans ses cheveux bruns.

Face à l'air interrogateur de son ami, il s'expliqua.

« La pluie me fait friser. Et je trouve qu'il pleut beaucoup trop pour un mois de juillet. »

Raphaël soupira. Pourquoi Michel était-il si désespérant parfois ?

« Je te parle de sensations de déjà-vu, du style revivre trois fois le même jour et te souvenir de chacun de ces jours. »

Le pseudo-tombeur à cervelle de moineau qui lui servait d'ami resta pensif un instant, et secoua la tête.

« Je te trouve changé ces temps-ci, Raphaël, commenta-il, la mine inquiète. Tu souris moins, t'as l'air anxieux et sur tes gardes... »

Un éclat d'effroi passa sur son visage, alors qu'il parlait.

« Ne me dis pas que tu te drogues et que tu cherches de l'argent parce que tu t'es fauché et t'es en manque ! hurla-t-il, figé au milieu du trottoir, les mains posées sur les épaules de Raphaël.

– Mais nan, tu te fais des idées, soupira-t-il en retour, un sourire au coin des lèvres, ravi de voir que cet abruti lui remontait le moral avec ses blagues stupides.

– J'ai eu peur ! »

Ils reprirent leur route sans en parler plus longtemps.

Ils se séparèrent à l'approche du commissariat. Bien que son ami lui eût demandé la raison pour laquelle il s'y rendait, Raphaël ne répondit rien.

Lui seul savait ce qu'il fallait faire.

Il jouait le tout pour le tout. Le plan était d'entrer dans les locaux, de trouver le bureau de Vergier, et d'éliminer tous les documents concernant sa vraie identité.

Un plan simple.

Il s'aventura dans une ruelle derrière le bâtiment, et chercha des prises pour escalader le mur, jusqu'aux fenêtres du premier étage. Il jeta un dernier coup d’œil aux alentours, et voyant qu'il n'y avait personne, il s'élança.

« Dis, pourquoi tu fais ça ? »

Une voix d'enfant l'avait surpris, et il manqua de lâcher prise. Il redescendit des quelques centimètres qu'il avait escaladés, et s'agenouilla au sol afin d'être à la même hauteur que l'enfant.

« Tu ne devrais pas être avec tes parents ? demanda-t-il à la petite fille qui le dévisageait avec curiosité.

– J'ai pas de parents. Y a que papi et moi. »

Cette réponse inattendue le mit mal à l'aise.

Il examina l'enfant. Il était certain de l'avoir déjà rencontrée.

La coupe carrée évasée couleur châtain de l'enfant faisait ressortir ses yeux d'un bleu clair éclatant. Tous les enfants avaient les yeux bleus, mais ceux-ci l'hypnotisaient étrangement.

Puis il se souvint de cette petite fille.

L’an précédent.

C'était l'enfant qui avait perdu son ballon ; Marie l'avait consolée en lui jouant un air de musique, et Raphaël lui en avait acheté un nouveau. C'était la petite qui avait pu rendre possible leur rencontre.

« Qu'est-ce que tu fais là ?

– J'attends que papi vienne me chercher.

– Dans cet endroit ?

– Oui. »

L'enfant ne présentait aucune hésitation dans ses réponses.

« Pourquoi tu veux monter sur le mur ? Tu peux pas rentrer par le devant ?

– C'est... un défi que m'a lancé un ami, mentit-il sans grande conviction.

– Ah bon ? Il est bête ton ami, parce que ça sert à rien de jouer au voleur. Monsieur le grand policier noir n'est pas venu aujourd'hui, ils disaient tous qu'il voulait capturer un fantôme le plus vite possible. »

C'était trop gros pour être une coïncidence. L'enfant ne pouvait pas savoir autant de choses.

« Ton grand-père doit venir dans combien de temps ? demanda-t-il gentiment.

– Je sais pas. Il m'a laissée là et m'a dit que je savais ce que je devais faire. »

L'innocence dont faisait preuve la petite fille le faisait fondre. Mais l'étrangeté de la situation dans laquelle elle se trouvait le perturbait. Quelle personne irresponsable laisserait un si jeune enfant dans un endroit aussi mal famé ?

« Et tu devais faire quoi ? »

Il sentit une certaine tension emplir l'air autour de lui. La petite fille fronça les sourcils, et le dévisagea d'un air plutôt agressif.

Il reconnut ce regard de haine, sans savoir d'où il s'en souvenait. Ses mains en tremblèrent.

La peur s'installa rapidement dans le corps de Raphaël. Tous ses sens se mirent en alerte, ses muscles se contractèrent. Son cœur s'affola, et ses pupilles devinrent deux maigres traces foncées dans ses yeux noisette. Il recula quelque peu, mais le haut mur du commissariat le bloqua.

Face à lui, l'enfant se changeait peu à peu en monstre. Le vent fou, comme s'il pressentait l'horreur qui ne tardait à venir, faisait voler les cheveux châtain foncé de la petite fille dans tous les sens, tantôt dévoilant, et tantôt dissimulant ses yeux, dont le bleu n'était que trop visible. Seul l'iris glacé se montrait, nullement perturbé par la prunelle, dont l'extrême dilatation sous la rage n'avait laissé rien de plus discret qu'un pauvre, minuscule, ridicule petit point noir. Sa peau pâle contrastant avec le rouge bouillonnant de ses joues accentuait cet effet d'angoisse. Et le silence de la ruelle fit comprendre à Raphaël qu'il était seul face au monstre qui s'approchait de lui sans un mot.

Vraiment seul.

Soudainement, un bruit, un son familier lui fit comprendre qu'il n'était pas impuissant face à cette chose à l'apparence d'enfant.

Un jappement.

Un claquement de crocs dans le vide où, quelques secondes avant, de tenait la main gauche de la petite fille.

Fondue, qui était sorti de l'appartement sans que son maître ne le sût, se mit sur la défensive, se positionnant entre la chose et l'adolescent, et aboyant à pleins poumons, les crocs visibles.

L'enfant grommela quelque chose en jetant un regard de dégoût vers le chien, avant de s'écrier dans un accès de fou rire à l'attention de Raphaël :

« Ton pauvre chien ne pourra pas toujours te sauver, Raphie ! »

Elle s'enfonça plus profondément dans la ruelle sombre, jusqu'à ce que tout ce que le rouquin pût entendre était son rire démentiel, et des grincements –sûrement dus au vent.

*

Il avait passé sa journée à chercher des indices, des preuves. Mais peu importait les lieux où il se rendait, les personnes à qui il parlait, tout ce qui lui semblait vrai à ce jour était la date. Certes, il avait cessé de rêver de ce dix juillet, mais il ne pouvait savoir ce qu'il avait fait la veille.

Il n'avait trouvé ni Charlotte, ni son père. Apparemment, il n'avait pas été arrêté par la police comme il l'avait cru –son identité était donc restée un secret, ce qui signifiait que Marie ne l'avait pas dénoncé. Quel soulagement !

Mais pouvait-il réellement lui faire confiance ?

Malgré tout, tels étaient les seuls éléments dont il disposait afin de reconstituer la journée de la veille. Cette seule pensée l'accablait, mais il devait continuer tout de même et retrouver un quotidien normal, avec Fondue.

L'adolescent fit tourner la clé dans la serrure, et ouvrit la porte de son chez-lui. Le chien se précipita sur le canapé et s'y installa, apparemment exténué par la journée de marche et de recherches à laquelle il avait participé.

Puis un détail sauta aux yeux de Raphaël.

« Comment tu es sorti de l’appartement ? demanda-t-il à l’animal qui commençait à s’endormir. Tu étais pourtant resté ici hier soir, à ce que j’ai pu comprendre... »

Le vide dans le regard de son compagnon le découragea à chercher une réponse. Peut-être l’avait-il emmené chez Marie la veille, ou peut-être que cette dernière était venue le chercher...

Il se rendit dans sa chambre et chercha son amas de feuilles sur lesquelles il avait consigné sa perception des événements récents. Lorsqu’il ouvrit le tiroir de son bureau dans lequel il l’avait rangé, il ne trouva que du vide. Vide.

Juste une fleur.

Un chrysanthème.

Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale.

Un message avait été déposé avec ladite fleur.

« TOUT CECI EST BIEN RÉEL, RAPHIE. »

Il savait pertinemment qu’il n’y avait qu’une seule personne qui l’appelait ainsi. Et ce ne pouvait aucunement être cette chère Madame Paula, la vieille dame qui veillait sur lui.

Il avait déjà entendu Marie le surnommer ainsi, mais après lui avait expliqué sa répugnance pour ce surnom, elle avait cessé de l’utiliser.

C’était pour cette raison qu’il n’acceptait pas de connaître l’identité de l’expéditeur.

Pas seulement parce qu’il craignait cette personne, non.

Parce qu’elle ne pouvait pas exister.

Il prit la fleur dont les pétales jaunes formaient une boule dorée. C’était comme une nargue.

Cette fille qui avait plusieurs fois tenté de l’assassiner revenait, le provoquait, tentait de le pousser à bout.

Mais dans quel but ?


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