Quatorze Juillet

Chapitre 33 : - Partie III ~ Feux d’artifice - - Chapitre XXXI -

4342 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 01:53

- Partie III ~ Feux d’artifice -

- Chapitre XXXI -

Une lumière blanche éblouissante l'aveugla. Ou alors était-ce la pièce qui était aussi immaculée qu'éclairée ?

Il se demanda un instant s'il n'était pas dans ce vieux tunnel dont on parlait, celui dont la sortie était vivement illuminée d'une couleur pure, qui menait inexorablement vers l'au-delà. Un rire nerveux lui fit hausser les épaules. Il n'y avait pas de réel moyen pour vérifier cette théorie.

Il tenta de faire un pas, mais son corps refusa d'obéir, comme retenu par une force invisible et insensible qui le clouait au sol.

Instinctivement, il tendit sa main devant lui, peut-être pouvait-il tout de même atteindre cette lumière. Son bras se leva difficilement. Pourquoi ne disait-on jamais que dans l'après-vie le corps ne répondait plus correctement ? Peut-être que c'était parce que personne n'était revenu pour le dire, songea-t-il alors.

Mais alors, cela signifiait qu'il était mort ? Voilà que ça posait problème. Il n'avait que peu de souvenirs de ce qui l'avait mené là, essentiellement des réflexes, et il ne parvenait presque pas à se remémorer son nom...

Quelqu'un sembla l'appeler. Une voix claire et féminine, qui répétait doucement un prénom qu'il reconnut comme étant le sien. Il ne parvenait pas à identifier cette fille, à mettre un visage sur sa voix réconfortante. Il percevait juste la provenance de sa voix –de l'autre côté de cette lumière. La confusion s'empara de lui alors qu'il entendait ces trois mêmes syllabes dans son dos, dans cette partie sombre du tunnel qu'il voulait quitter –pourquoi ? Il ne le savait même pas, il en avait ce besoin pressant– et résonner dans sa tête. Était-ce la même personne qui l'appelait de là, ou bien y avait-il une autre fille qui souhaitait qu'il vînt vers elle ? Il secoua la tête. Il ne savait quoi faire.

Et avant même qu'il ne le réalisât, il se retrouva plongé au fond obscur de ce tunnel, perdant la lumière blanche et réconfortante de vue.


*

Une goutte tomba, s'écrasant sur le sol de pierre avec vacarme.

Hélène ouvrit les yeux.

Elle prit rapidement conscience de l'endroit où elle se trouvait, bien qu'elle ne comprît pas pour quelle raison elle se trouvait encore en ces lieux. Couchée sur le côté gauche, son dos collé au mur, elle attendit quelques instants avant de bouger. Elle n'avait pas encore repris pleinement le contrôle de ses capacités motrices, et commença doucement en bougeant sa main droite, remuant lentement ses doigts endoloris, puis son poignet. Jusque là ça allait, elle n'allait pas s'en plaindre. Elle put ainsi après quelques instants bouger chaque articulation de son corps, non sans quelques douleurs qui la lançaient ici et là, pour au final se lever et mieux discerner les environs.

Elle se trouvait dans une cellule formée à partir de dalles de pierre, gardée par quelques chevaliers dont elle entendait vaguement les voix au loin. Elle avait de l'espace, peut-être neuf mètres carrés ; c'était dur d'évaluer la superficie de sa prison, à demi plongée dans l'ombre, et éclairée seulement par un de ces étranges cristaux verdâtres translucides qui projetaient leur étrange lumière glauque.

Un frisson parcourut son corps dans une décharge glacée. Quelque chose était différent. Quelque chose avait changé par rapport aux fois précédentes. Peut-être était-ce parce que jamais Raphaël n'avait osé s'interposer, empêchant ainsi le moindre changement des événements. Et aussi étrange que cela pût paraître, à présent elle ne souhaitait plus que s'interposer face à Napoléon et son organisation. Elle n'avait pas le choix.

Mais était-ce utile ? Elle ignorait combien de temps il lui restait, fallait-il utiliser ces derniers instants dans une vaine lutte désespérée ou devrait-elle attendre que tout recommençât ? Peut-être que dans ce nouveau monde elle aurait la possibilité de mieux connaître ses parents, et peut-être les sauver...

Hah. Très drôle.

C'était d'autant plus stupide qu'ils allaient de toute manière répéter leurs erreurs. Ce n'était pas dans une nouvelle partie qu'ils changeraient d'avis ; ils l'abandonneraient encore une fois. Ça n'avait jamais changé, peu importait la manière, ils la laisseraient encore une fois seule dans les bras de l'organisation, pour la plus grande joie de Jean-François et d'Isaac.

Isaac.

Elle se remémora violemment les derniers instants qui avaient précédé sa perte de conscience.

Cet enfoiré était revenu.

Il avait juré qu'il se mettait désormais hors de tout ça. Il avait mené son propre fils à la mort en disant que ça allait sauver la rouquine. Et après ça il l'avait mise, elle, hors d'état de nuire.

Qu'est-ce qu'il mijotait ?

Elle devait l'arrêter. Elle devait tout faire revenir à la normale. Elle n'avait pas le choix.

Quelque chose attira son attention et la détourna de ses pensées. Elle avait cru voir un faible éclat de lumière briller dans le coin de la cellule. Les contours d'une silhouette se détachèrent de l'obscurité, son cœur manqua un battement lorsqu'elle l'identifia.

Elle se jeta vers lui, terriblement inquiète. Le corps de Raphaël avait été amené là, et jeté au fond de la cellule. Hélène s'agenouilla à ses côtés et le prit dans ses bras ; il était encore tiède, elle crut un instant qu'il somnolait. Elle le serra contre elle, refoulant ses larmes au plus profond d'elle-même.

« Pardonne-moi pour tout... » murmura-t-elle doucement, son étreinte se faisant plus ferme au contact de la poitrine silencieuse du jeune homme.

L'éclat de lumière persista, la forçant à en chercher l'origine, qu'elle trouva dans la poche intérieure de la veste de Fantôme R. Elle en sortit avec tristesse un pendentif de forme triangulaire sur lequel elle passa ses doigts, caressant les gravures qui le décoraient. La pyramide d'Ishtar –tel était le nom de cet artefact– n'avait pas su guérir ses blessures, peut-être que le rouquin n'était pas sensible à sa magie. Pourtant il avait activé les pouvoirs de lévitation du bracelet de Tiamat avec aisance. C'était à n'y rien comprendre. Même si tout souffle de vie avait quitté son corps, le pendentif avait réagi, et tenté de le sauver, et c'était ça qu'elle comprenait le moins.

Elle tira sur la chaîne pour la démêler, et passa le collier autour du cou de Raphaël dans un geste doux et tendre, en récitant une prière qu'elle avait apprise il y avait longtemps de ça, et attendit.

Peut-être que finalement seule elle avait droit à cette malédiction régénératrice, songea-t-elle en constatant que rien ne s'était produit.

Le pendentif brillait toujours autant, et illuminait la cellule entière, puisqu'à présent le tissu de la poche ne retenait plus ses rayons. C'était inutile, on ne pouvait plus rien pour lui, alors pourquoi s'acharnait-il autant ?...

Il y eu un bruit, une inspiration, longue et profonde.

Elle écarquilla les yeux.

L'expression paisible du visage de Raphaël s'était changée en une grimace de douleur alors que la lumière perçait son corps, à la recherche de la balle afin de l'expulser. Elle tinta faiblement en tombant sur la pierre, comme voulant discrètement se faire oublier.

Hélène ne bougea pas, stupéfaite par ce qui se produisait devant elle. En quelques secondes, il avait pleinement repris vie, quoiqu'un peu sonné et ankylosé, sa respiration retrouvait peu à peu un rythme régulier, de même que les battements de son cœur. Il ouvrit lentement les yeux, un sourire illumina son visage encore un peu pâle lorsqu'il la vit. Avant même qu'elle ne s'en rendît compte, elle le serra contre elle, ses mains s'agrippant aux pliures de sa veste, et enfouit son visage dans le creux de son épaule. Il fallut quelques instants à Raphaël pour réaliser la situation ; la première phrase qu'il articula fut mêlée de stupeur et d'incompréhension.

« Je ne suis pas mort... ? »

Hélène se sépara de lui, et l'observa longuement, des larmes de joie manquant de déborder à chaque seconde.

« Le collier t'a sauvé, souffla-t-elle en prenant doucement le pendentif qu'elle avait accroché autour du cou du jeune homme. Je n'y croyais plus.

– Mais c'est pas le tien ? »

Elle secoua la tête de droite à gauche, avant de sortir elle-même son pendentif de son haut. Elle veilla cependant à ne pas mettre en contact les deux.

« C'est une version future du tien...

– Après que je te l'aie donné... » compléta-t-il d'un air songeur.

Elle acquiesça. Il s'éloigna d'elle, et s'adossa au mur froid. Elle fit de même et vint s'asseoir à sa droite.

« Quand est-ce que je te l'ai donné ?

– Il y a longtemps, souffla-t-elle en regardant le pendentif. Je ne sais plus quand c'était pour toi. »

Il soupira. Il venait tout juste de revenir d'entre les morts, mais aussi il retrouvait des bribes de souvenirs de ses derniers instants –notamment la douleur qui le transperçait là où à présent il n'y avait plus qu'une tâche de sang sur ses vêtements– et il avait espéré qu'elle pût répondre à certaines de ses questions. Il sembla pourtant que les souvenirs de la rouquine étaient aussi flous que les siens.

« D'où est-ce que j'ai ce pendentif ?

– Tu avais les trois, avec le bracelet et la bague, expliqua-t-elle. Tu ne te souviens pas de ton premier vol en tant que Fantôme R ? »

Ah, c'était donc ça. Mais c'était il y avait terriblement longtemps, pourquoi avait-il toujours le collier sur lui ? Et où étaient passés les deux autres artefacts ?

« Ils sont chez toi, quelque part dans le bazar, ajouta Hélène comme si elle avait su lire dans ses pensées. Quant à la pyramide d'Ishtar, tu n'as jamais voulu t'en séparer.

– Comment tu sais tout ça ? demanda-t-il, intrigué.

– Isaac me l'a dit. »

Il n'insista pas plus ; il avait besoin de souffler. Mais beaucoup de questions le taraudaient tout de même, il ne put s'empêcher de poursuivre.

« Où est passée la bague après que je te l'aie donné ? Je ne t'ai jamais vue avec... »

Hélène baissa la tête, libérant quelques mèches qui lui tombèrent devant les yeux, avant qu'elle ne les remît à leur place.

« Je n'ai jamais eu le soleil. Tu l'as laissé à quelqu'un d'autre. »

Son ton était rempli de regrets, il le sentait. Hélène lui était soudainement apparue bien plus amicale, si ce n'était pas proche de lui. Elle paraissait vidée de ses forces, comme poussée à bout ; tout espoir semblait être perdu pour elle.

« Qu'est-ce qui s'est passé alors que j'étais...

– Ils ont neutralisé ton passé, Marie et Élisabeth. Et je crois bien que l'embuscade qu'ils ont manigancée a valu aux troupes policières d'y rester...

– Vergier en faisait partie ? s'inquiéta soudainement Raphaël en écarquillant les yeux.

– Il a même été le premier visé... »

C'était une hécatombe. Aucun d'eux ne savait depuis combien de temps ils vivaient dans ce nouveau monde qu'ils ne connaissaient pas, mais ils savaient au fond d'eux-mêmes qu'ils avaient perdu conscience suffisamment longtemps pour que Napoléon eût le temps de détruire de nombreux bâtiments, et de poser un ultimatum au gouvernement. C'était là un beau projet pour un quatorze juillet.

« Mais on a pas créé un paradoxe ? Je suis plus censé exister puisque j'ai été assommé dans le passé et–

– Si tu croyais qu'un paradoxe suffisait, tu te trompes. »

Sa voix était lourde de reproches, elle avait détourné le regard. Décidément elle en savait beaucoup.

« Napoléon m'a trahie, lâcha-t-elle finalement d'une voix brisée après un long silence. Il a abusé de moi.

– Qu'est-ce qui s'est passé ?

– On avait un contrat. Je t'empêche de le stopper, en retour il me rend ce que j'ai perdu. Et en l'occurrence, il a refusé de me le rendre. »

Raphaël acquiesça. Elle restait vague dans ses propos, mais il commençait à cerner la situation.

« Et Isaac est dans le coup.

– Il est revenu ?

– Ça me surprend que t'en sois étonné, grogna-t-elle avec ironie. Tu l'as vu très récemment, pas vrai ? »

Il hocha la tête silencieusement. Ses souvenirs s'étaient éclaircis, et il se remémorait la conversation qu'il avait eue avec son père, notamment au sujet de la rouquine qui désespérait à ses côtés. Elle restait une coquille presque vide, à peine animée par un faible espoir pour remettre les choses à leur place.

« C'est lui qui m'a fait amener là, j'en suis sûre. Il serait capable de me tuer si ça pouvait amuser Napoléon.

– J'en doute. Tu sais qu'il tient à toi ? »

Elle se mit à rire, mais ce n'était pas sincère. Raphaël sentait le sarcasme suinter de sa faible voix.

« Je sais pas ce qu'il est allé te raconter, mais tu te trompes. Isaac ne s'est jamais inquiété pour moi. Il m'a toujours utilisée pour son but personnel.

– Alors pourquoi m'aurait-il demandé de te sauver ?

– Parce qu'il pensait que tu serais mort au final » cracha-t-elle d'un air excédé.

Elle se rendit rapidement compte du ton sur lequel elle lui avait parlé, et s'en excusa.

Raphaël resta silencieux. Rêvait-il, ou bien depuis qu'il avait reçu cette balle et avait vu la mort elle était devenue bien plus sympathique envers lui ?

« Tu as changé, Hélène, sourit-il.

– Les gens ne changent jamais, murmura-t-elle. On a toujours été les mêmes. »

Un nouveau silence prit place entre eux. Quelques gouttes tombaient à un intervalle régulier, s'écrasant sur la pierre avec ce petit bruit doux et agressif à la fois. Puis Hélène reprit la parole.

« À ton premier vol, tu t'étais méchamment blessé la jambe avec une vitre cassée. Une fois rentré chez toi avec ton chien, le pendentif a pu te guérir. Et quand Jean-François t'a tiré dessus à la Tour Eiffel, c'était pareil. C'est pas la première fois. »

Il la scruta, surpris par l'étendue des connaissances dont elle disposait sur son passé. Elle savait tellement de choses sur lui, et lui en savait si peu sur elle...

Elle gardait les yeux rivés sur son pendentif, qu'elle serrait dans ses poings, le regard perdu dans le vague.

« J'ai revu mon père, il y a peu, dit-elle dans un murmure hésitant. Dans mes souvenirs, il a toujours été présent pour moi, et attentionné... »

Elle prit une profonde inspiration, comme pour reprendre le contrôle de ses émotions.

« Mais l'homme que j'ai rencontré ne l'était pas. »

Raphaël se retint de lui demander quand avait-elle pu le revoir, et si son père lui-même la connaissait à cet âge-là ou non. Il ne voulut pas l'interrompre.

« Il ne se rend pas compte de la souffrance qu'il m'a infligée, ajouta-t-elle difficilement, sa voix s'enrouant à chaque son guttural. Il était irresponsable, et vraiment pathétique. »

Il lui prit la main, avec l'idée que cela allait pouvoir l'aider à se sentir mieux. Il avait toujours voulu qu'Hélène lui parlât à cœur ouvert, tout du moins, comme à un ami ou à un proche, mais à présent que c'en était le cas, il était un peu perdu, et ne savait pas réellement comment réagir avec elle.

« Je– J'arrivais pas à le regarder dans les yeux... ! J'aurais jamais dû autant désirer le revoir...

– Ce n'est pas de ta faute. »

C'était là malheureusement les seuls mots qu'il avait pu articuler pour la réconforter.

« Ce n'est pas de ta faute, répéta-t-il doucement.

– À cause de moi, ce monde est foutu...

– Pourquoi tu dis ça ? C'est mon père qui t'a entraînée là-dedans, tu ne savais pas– »

Elle leva vers lui son regard, et le croiser fit taire Raphaël. Il avait vu beaucoup de choses se refléter dans les grands yeux bleus de la jeune femme, mais la souffrance qu'il y aperçut en cet instant était nouvelle. Hélène voulait lui dire quelque chose, il le voyait clairement, mais pour une raison qui lui échappait elle ne le pouvait pas. Et cela la dévorait.

« Il y a quelqu'un ? » appela une voix faible, sortie de nulle part.

Apparemment les autres avaient été emprisonnés dans les mêmes environs. Raphaël voulut répondre à Marie, qui semblait avoir repris conscience récemment, mais Hélène l'en empêcha.

« Je suis là, articula Hélène en maîtrisant au mieux le son de sa voix pour que les Chevaliers ne l'entendissent pas. Tu es seule ?

– Non, la duchesse est dans la cellule en face, elle dort encore... »

Raphaël se souvint alors que Marie ignorait toujours qu'Élisabeth était sa mère. Elle devait très probablement se demander pour quelle raison la femme avait été mêlée à tout ça.

« Raphaël est là ?

– Après le coup qu'il a pris derrière la tête, j'espère pour toi qu'il est encore vivant. »

Il lui donna un petit coup dans les côtes ; l'adolescente avait besoin d'être rassurée, et ce n'était pas du tout ce qu'elle faisait.

« Il est peut-être juste encore inconscient, ajouta-t-elle prestement.

– J'espère... »

Marie devint silencieuse après cela. Ce devait sûrement être à cause du chevalier qui arriva dans le couloir des cellules dans un lourd bruit métallique. Il s'arrêta près d'elle lorsqu'il remarqua qu'elle était éveillée, et sous son heaume argenté se dessina un sourire ravi. Il ne lui adressa aucun mot, se contentant simplement de l'observer, en s'amusant de l'air terrifié qu'elle affichait. Il aurait pu passer sa journée là tant cela lui plaisait, mais on lui avait confié une mission, et il était bien déterminé à la remplir.

Hélène jura lorsqu'elle comprit qu'il venait vers sa cellule. Elle murmura au rouquin qu'elle avait un plan pour les sortir de là, et que pour le réussir, il devait se remettre à sa place d'origine et faire le mort, ce qu'il fit sans trop se poser de questions. Elle ajouta, et même appuya bien sur ce point, qu'il ne devait en aucun cas tenter quoi que ce fût. Elle s'affala dos au mur, face aux barreaux d'acier, et leva lentement la tête en direction de l'homme lorsqu'il s'approcha de sa cage. Elle puisait dans toutes ses forces pour se donner un air faible et vaincu afin d'endormir la vigilance de l'individu dont la dure voix tonna entre les murs.

« Notre empereur te réclame. Lève-toi. »

Raphaël sursauta en entendant ce grondement soudain, et fut soulagé que le larbin de Bonar n'eût d'yeux que pour la rouquine, l'empêchant ainsi de remarquer que le cadavre dans le coin de la pièce n'était pas si inerte que ça.

« Je ne le répéterai pas trois fois, gronda-t-il.

– Je peux pas me lever, souffla Hélène en guise de réponse. Venez me chercher si vous voulez m'amener à lui... »

Si son plan consistait en manipuler l'homme en simulant sa faiblesse, elle sembla fonctionner puisqu'il ouvrit la porte et s'approcha d'elle. Elle aurait largement eu le temps de l’assommer afin de s'enfuir selon Raphaël, mais elle ne fit rien. Elle attendit sagement qu'il vînt à ses côtés et l'aidât à se tenir debout, avant de le suivre hors de la cellule. Elle avait beau avoir pleinement repris le contrôle de son corps douloureux depuis un certain temps déjà, elle ne pouvait néanmoins pas se permettre de se révolter ; elle était dans une part des Jardins qu'elle ignorait, dans une ligne d'univers qu'elle découvrait tout juste, cela aurait été du suicide que de tenter quoi que ce fût.

Elle fut menée jusque dans une pièce située à l'autre bout de la forteresse volante, parmi une des plus hautes salles de la structure, située sous la place de la fontaine. Elle était immense et de forme pentagonale, le trône de Napoléon se trouvait dans l'angle faisant face à la porte à la hauteur démesurée permettant d'y entrer. De la lumière filtrait de toutes parts bien qu'il n'y eût aucune fenêtre ou lucarne, et tout cet éclairage était concentré à mettre en valeur l'homme blond d'une cinquantaine d'années qui patientait sur le siège décoré de pierres et de gravures. Il avait ôté sa cape et son heaume, ainsi que ses gants. C'était la première fois en des années de travail pour lui que la jeune femme le voyait ainsi. Il était on ne pouvait plus satisfait de la réussite de son plan.

Aux côtés de l'empereur se tenaient deux hommes. À sa gauche patientait Jean-François, un sourire mesquin dessiné sur ses lèvres pincées, les bras croisés sur son torse. Puis il y avait Isaac à son opposé, qui tentait tant bien que mal de dissimuler le mal-être qu'il ressentait depuis qu'Hélène était apparue dans son champ de vision. Elle aurait bien voulu lui lancer une réplique cinglante, et l'aurait très certainement fait si elle avait été en l'état, mais elle se contenta de rester silencieuse. La pièce était remplie de chevaliers prêts à bondir en cas de besoin, il valait mieux ne pas les exciter.

Elle fut forcée de s'agenouiller à quelques mètres de l'empereur, même si on aurait plutôt eu à dire qu'elle avait été jetée violemment au sol, et qu'elle avait eu la chance d'être tombée sur ses genoux, avant de se rattraper dans un semblant de révérence désespérant.

« Eh bien Hélène, commença Napoléon sur un ton moqueur et duquel elle percevait quelques notes de reproches, je vois qu'après tout ce temps tu ne sais toujours pas dans quel camp te placer. Depuis combien d'années nous aides-tu ?

– Environ quatorze ans, peut-être un peu plus, répondit-elle.

– Dans cet univers, oui, mais en vrai ? »

Il avait bien appuyé sur ces deux derniers mots. N'importe qui aurait levé un sourcil d'un air intrigué, se demandant ce qu'il entendait par là. Mais Hélène savait. Elle savait qu'il savait.

« Environ soixante-dix ans, souffla-t-elle honteusement en baissant la tête.

– Et jamais tu n'as obtenu ce que tu voulais. N'est-ce pas stupide d'autant persister ?

– Si je n'avais pas persisté jamais vous ne seriez assis sur ce trône. Et malgré tout ce que j'ai fait, vous trouvez encore des excuses pour pouvoir me rejeter la faute. Vous êtes tombé bien bas. »

Napoléon lui jeta un regard mauvais, et préféra ne rien rétorquer sans réfléchir à ses mots au préalable. Ce fut Jean-François qui s'emporta à sa place.

« Maudite garce, c'est comme ça que tu nous remercies ? Tu ne nous sers à rien ! J'aurais mieux fait de mettre le feu à ce couvent alors que tu t'y trouvais. »

Elle esquissa un triste sourire. Ce type ne changeait pas, peu pouvait importer la ligne d'univers dans laquelle ils se trouvaient. Les mêmes idées sournoises lui passaient par la tête, encore et encore...

« Il suffit Graf, calme-toi, reprit alors l'homme le plus âgé d'eux trois en lui faisant un signe de la main. Je n'ai pas fait chercher notre chère Hélène pour lui rappeler ses échecs. Au contraire. »

Il se pencha quelque peu en avant sur son siège.

« Je peux te proposer de recommencer ta vie à zéro, à nos côtés, en tant que troisième membre d'honneur aux côtés de Graf et d'Isaac. »

Elle leva la tête et le dévisagea avec surprise. Était-il sérieux ?

« N'avez-vous pas peur que je vous trahisse à nouveau ?

– Je sais que tu ne le feras pas.

– Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? »

Elle restait sur la défensive, bien trop terrorisée à l'idée d'être encore utilisée contre son gré. Il acquiesça. C'était normal.

« Nous avons discuté, Isaac et moi. Nous pouvons te permettre de retrouver cet enfant que tu tiens tant à protéger. »

Son cœur rata un battement alors que ses paroles résonnaient dans sa tête. Serait-ce réellement possible... ?

Elle dirigea son regard vers Isaac, qui détourna le sien. Pourquoi est-ce que sa réaction ne l'étonnait même pas ?

« Vous l'avez dit vous-même. Il ne peut plus exister.

– Tu sais toi-même que le temps est une chose étrange, sourit-il. Nous avons ce pouvoir de ramener les morts à la vie, et de transgresser l'écoulement naturel du temps. C'est ta dernière chance de pouvoir le retrouver, Hélène. »

En proie à un fort tiraillement, elle se mordit l'intérieur de la joue. Chaque visage autour d'elle la dévisageait, l'examinait. Cette sensation la dévorait.

Elle inspira un grand coup, puis regarda Napoléon dans les yeux avec détermination.

« J'accepte de vous aider une dernière fois. »


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