Nos cœurs séparés, leurs vies brisées

Chapitre 1 : Nos cœurs séparés, leurs vies brisées

2851 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/02/2023 23:16

Nos cœurs séparés, leurs vies brisées


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Mais qui êtes-vous ? Et qu’avez-vous fait de… ? - (janvier-février 2023).



Bravant l’inquiétude qui lui brûlait le ventre, Fantôme R courait avec son chien le long des souterrains dissimulés sous les Invalides. Il ignorait ce qu’il rencontrerait dans cet endroit, mais il comptait bien essayer, surtout si les informations au bout du chemin en valaient la peine. À un moment, le passage sous ses pieds se rétrécit jusqu’à disparaître, le forçant à sauter sur des gros morceaux de pierres, mais cela ne le perturba pas outre mesure et il finit par atterrir à nouveau sur la terre ferme. Quelques dizaines de mètres plus loin, il entendit des hommes parler – ces Chevaliers, qui, la veille et aujourd’hui encore, poursuivaient Marie, cette jeune violoniste qu’il connaissait depuis hier.

Oubliant toute prudence, le rouquin attendit à peine que la voie fût dégagée pour continuer sa route, Fondue toujours sur ses talons. Il déboucha non loin d’une grande salle, et se stoppa en entendant à nouveau des voix. Il ne retint pas un grincement de dents lorsqu’elles résonnèrent de manière trop familière à ses oreilles. Il reconnaissait le timbre rauque du chef de la bande, Napoléon, comme il se nommait, ainsi que celui non moins grave de son père, disparu depuis près de trois ans maintenant. Que signifiait donc tout ceci ?!

Non content de ne plus donner de nouvelles à Raphaël, voilà qu’il complotait à présent pour une mystérieuse organisation aux sombres desseins ?

N’écoutant que son courage, l’adolescent sortit de sa cachette en criant le nom de son père. Réflexion faite, il ne s’agissait pas de son action la plus intelligente, mais Isaac lui devait des explications. Hélas, ce dernier s’éloignait déjà, et lui pour sa part se retrouva entouré par les soldats de l’Empereur, qui, suivant les ordres de leur maître, se précipitèrent sur lui. Il les esquiva habilement, et s’apprêtait à s’enfuir par le chemin emprunté pour arriver ici, lorsqu’une voix l’interrompit brusquement.

–       Un instant, Fantôme R. Tu es le fils d’Isaac, non ? Pourquoi ne nous aides-tu pas ?

En entendant ces mots, l’adolescent, piqué au vif, se retourna. Napoléon portait un costume différent de celui dont il se souvenait de ses livres d’histoire.

–       Je n’ai pas l’intention de travailler pour vous ! s’énerva-t-il en rajustant son chapeau.

–       En rejoignant notre groupe, tu aurais l’occasion de le revoir. Ce n’est pas ce que tu souhaites ?

Ah, effectivement, Raphaël attendait ce moment depuis très longtemps. Depuis le départ d’Isaac, en réalité, trois ans auparavant. Et voilà qu’on lui offrait cette opportunité sur un plateau d’argent. Mais que fabriquait donc son père avec des types aussi louches ? Cela ne lui ressemblait pas. Quoique, abandonner son fils non plus ne lui ressemblait pas, et son journal trouvé par l’adolescent recelait encore tant d’autres mystères…

–       Si tu nous rejoignais, insista l’Empereur, comme s’il lisait dans ses pensées, tu pourrais en apprendre plus sur les motivations d’Isaac, et découvrir la vérité, tu ne crois pas ?

Ne pas au moins considérer l’offre aurait été stupide, et l’intéressé se laissa quelques secondes pour réfléchir. Cela paraissait-il aussi simple que l’adulte en face de lui le présentait ? Derrière cette organisation se cachaient des affaires louches, le jeune voleur n’en doutait pas. Mais l’espoir de voir à nouveau son père le dévorait. Et puis, cette « vérité » dont l’homme parlait… De quoi s’agissait-il, exactement ?

–       En plus de cela, tu profiterais d’une véritable famille, insista Bonar. Sans compter ton père, nous avons d’autres agents non moins sympathiques, et aussi d’autres jeunes de ton âge : je suis sûr que tu t’entendrais particulièrement bien avec Gwen.

Nan, ils impliquaient des gens pas encore majeurs dans leurs embrouilles, maintenant ? Il secoua la tête. En quoi cela le concernait-il, après tout ? Ces ados géraient leur vie comme ils l’entendaient, et vivaient sûrement bien mieux que lui, d’ailleurs : pas besoin de voler pour survivre, on leur fournissait tout ou presque, du moment qu’ils s’occupaient d’effectuer ce qu’on leur demandait et travaillaient sans poser de questions inutiles.

Évidemment, Raphaël se doutait qu’il ne possédait pas toutes les informations, mais cela ne valait rien face à cette occasion de pouvoir enfin retrouver Isaac et obtenir réponses à ses questions. Et si cela impliquait de s’accorder avec une organisation douteuse, il prenait le risque sans hésiter. Ce n’était pas comme s’il avait promis la moindre chose à qui que ce fût.

Et puis, si cela lui permettait de rencontrer de nouvelles personnes, d’autres personnes dans sa situation, comme Gwen, justement, cela l’intéressait. Ses amis Michel et Émile, malgré leur côté sympathique, ne comprenaient pas sa triste situation d’orphelin obligé de réparer les bêtises commises par son père dans le passé, qui peignait et réalisait des contrefaçons d’œuvres d’art qu’il échangeait contre les vraies qu’il revendait ensuite au marché noir. Cela servait à payer les médecins à l’époque où le rouquin, encore petit, souffrait d’une maladie sérieuse. Non, ses amis ne saisissaient pas et ne saisiraient jamais, il le savait bien. Il voulait rencontrer des gens de son âge, qui, comme lui, comprenaient sa situation, et il sentait que Gwen comptait parmi ces gens-là. Et surtout, il comptait bien s’expliquer avec son imbécile de paternel.

–       Je vois que tu as pris ta décision, constata Bonaparte d’un air satisfait. Et tu ne le regretteras pas. Gwen – il désigna une jeune fille blonde dans un coin de la pièce – va te conduire jusqu’à ton père. Sois le bienvenu parmi nous, conclut-il dans un sourire qui dévoilait toute ses dents.


*


Debout, face à Charlie, Raphaël tenait son chapeau entre son pouce et son index pour éviter que le vent ne l’emportât. Arrivé en deltaplane, ce détective de malheur s’acharnait à lui tirer dessus avec un ballon de football – non mais on était où, là ? Comme s’il avait du temps à perdre. Il ne s’était même pas embêté à affronter Alfred à la boxe et avait arraché sans hésitation le pendentif de la reine du cou d’Élisabeth avant de s’échapper par les toits de l’Opéra, où il se trouvait en ce moment, en compagnie du mioche de Vergier – vraiment, quelle épine dans son pied, cette famille.

Enfin, il supposait qu’ils appartenaient à la même famille, s’il se fiait à la photo ramassée à l’intérieur du bâtiment. Pas que cela l’intéressât de toute façon, mais il devait compléter la couronne du dragon pour permettre à l’organisation, et donc à son père, de concrétiser ses objectifs. Avec le diadème récupéré hier matin en compagnie de Marie – dont il supportait de moins en moins la présence, mais pas le choix, s’il voulait atteindre son but – et le pendentif, il ne lui restait plus qu’un élément : la croix. Point positif, la petite musicienne pleurnichait dans son coin il-ne-savait-où après la rencontre avec sa prétendue mère qui s’était mal passée. Elle lui ficherait la paix, et comme Fondue, qu’il avait attaché et abandonné ne traînerait plus non plus dans ses pattes, il pourrait commencer à chercher le dernier artéfact avec son amie Gwen… lorsqu’il se serait débarrassé de Charlie d’abord.

Une occasion s’offrit à lui comme par magie : ce crétin lui fonça dessus sans réfléchir, un assaut qu’il esquiva avec agilité. En ce qui concerna son opposant, il trébucha – lamentablement, même – et sembla tomber dans le vide. Mais lorsque le rouquin s’approcha, il constata avec une immense déception qu’il vivait toujours, agrippant de sa main droite la bordure du toit avec l’énergie du désespoir.

–       Tu fais moins le malin, maintenant, hein ? Si tu tombes, ta carrière est fichue, indiqua-t-il en posant un genou à terre.

Xavier, un autre membre de l’organisation, passa en dessous d’eux. Raphaël le remarqua et échangea un bref hochement de tête pour lui indiquer la réussite de l’opération à Garnier, avant de reporter son attention sur son problème majeur : cette teigne de détective.

–       Va-t-en ! Je préfère encore mourir !

Mourir, hein ? Fantôme R ne retint pas un rictus.

–       Si c’est ce que tu veux, déclara-t-il, blasé, en haussant les épaules.

Il sortit de la poche de sa veste bleu marine le cliché de famille des Vergier, et afficha de nouveau un sourire insolent tandis qu’il la présentait à Charlie, stupéfait qu’une telle photographie, si personnelle, se retrouvât entre les mains de son ennemi juré.

L’enfant de Paul ne comprenait pas. Hier, au commissariat, ils s’étaient déjà affrontés, mais aujourd’hui… le voleur semblait différent. Ce comportement qu’il adoptait, plus sombre, plus brutal, plus odieux, ne lui ressemblait guère. Quelque chose avait dû se dérouler après leur première confrontation, mais il ignorait quoi.

–       Salue ta mère de ma part, quand tu la verras dans l’au-delà, conclut le jeune homme en déchirant l’image.

Les yeux bleu-vert de l’adolescent s’écarquillèrent, mais avant qu’il ne pût effectuer la moindre action, sa main, épuisée de supporter aussi longtemps son poids, lâcha le rebord doré auquel il se raccrochait jusque-là, et il tomba dans le vide. Le cri d’effroi qu’il poussa ne se termina que lorsque son corps se brisa sur le trottoir plusieurs dizaines de mètres en contrebas. Une flaque rouge se forma rapidement au niveau de sa tête tandis que les gens accouraient pour savoir ce qu’il se passait – curiosité maladive. Xavier s’occuperait du reste, maintenant.

–       Eh. Voilà ce que c’est de fourrer son nez là où il ne faut pas, murmura Raphaël en observant dans ses mains les morceaux de papier qui constituaient autrefois la photo. Adieu, petit détective, conclut-il en soufflant dessus.

Et, tout en se relevant, il les regarda s’envoler harmonieusement dans les airs, effectuant une majestueuse chorégraphie avant de retomber autour du cadavre. Une fois qu’ils se trouvèrent tous au sol, il pivota sur ses talons et quitta le toit de l’Opéra. Ce n’était pas tout ça, mais Gwen l’attendait pour commencer leurs recherches de la croix.


*


Voilà elle ne savait combien de temps qu’elle se trouvait dans les jardins, et la situation ne s’arrangeait pas.

Immobile, non loin de la fontaine, Marie regardait autour d’elle sans y croire. Comment les événements pouvaient-ils adopter une telle tournure en aussi peu de temps ? Et surtout, comment allait Raphaël ? Depuis hier et cette embuscade, il demeurait introuvable, et elle s’inquiétait pour lui. Depuis qu’il était venu la chercher hier matin pour enquêter sur le trésor de Napoléon, il se comportait de manière différente par rapport à leur première rencontre, et elle ne comprenait pas pourquoi. Par exemple, à Versailles, il ne l’avait pas invitée à danser, ce qui la surprenait, puisqu’il lui avait confié beaucoup aimer cela. Sa mère elle-même officiait autrefois en tant que danseuse étoile.

Néanmoins, il existait forcément une explication, non ? Elle baissa les yeux. De toute façon, réfléchir à cela ne l’aiderait en rien dans la situation actuelle. Elle devait trouver un moyen de s’échapper d’ici, mais la structure dans laquelle elle se trouvait flottait littéralement dans les airs. En descendre s’annonçait compliqué. Si elle s’approchait suffisamment de la Tour Eiffel, peut-être cela permettrait-il de créer une opportunité pour s’échapper, mais…

Grands dieux. Elle ignorait comment exactement, mais cette arme agissait sur la météo, et détruisait la ville entière sous ses yeux. Et la faute, la faute… la faute lui en revenait en partie. Elle aurait dû écouter cette dame – sa mère, vraiment ? – et ne pas jouer cette chanson au violon, mais Napoléon menaçait de la tuer, et cela, la blonde ne l’aurait jamais supporté.

… Très drôle. Maintenant, au lieu d’une seule personne, plusieurs millions se retrouvaient en danger. Il fallait stopper cette arme destructrice au plus vite.

–       Tu t’amuses bien, Marie ? J’espère que le spectacle te plaît.

Tremblante, elle releva lentement la tête. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’elle réalisa à qui appartenait cette voix. Mais c’était impossible. Elle se retourna.

Raphaël, manifestement très amusé par la situation, la regardait avec un sourire qu’elle aurait trouvé charmant en d’autres circonstances. Maintenant, il lui apparaissait juste moqueur et méprisant, et lui glaçait le sang.

–       … Fantôme R ? demanda-t-elle, incrédule, tant il ne ressemblait plus à celui rencontré quelques jours plus tôt. Qu’est-ce qui se passe ?

–       Mon père a besoin de moi, donc je l’aide, répondit-il avec évidence, et il baissa son chapeau sur ses yeux. Quand Napoléon aura repris le pouvoir, tout ira mieux.

–       Mais enfin, de quoi est-ce que tu parles ?!

Oh, elle n’aimait pas du tout ce sentiment qui l’étreignait de plus en plus. Maintenant qu’elle y pensait, l’adolescent ne lui avait jamais parlé de son père. Mais même s’il voulait apporter son soutien à son paternel, ne voyait-il pas les dégâts provoqués par la grosse machine dans laquelle ils évoluaient en ce moment ? Pourquoi s’obstinait-il dans cette voie ? Il perdait contact avec la réalité, ce que confirma le révolver argenté qu’il sortit de sous sa veste, et elle s’en trouva d’autant plus effrayée. Depuis quand maniait-il la moindre arme à feu ? Il utilisait toujours son sens du rythme pour se défendre !

–       Tu peux nous rejoindre, tu sais. Ce n’est pas encore trop tard. Il y a une fille, Gwen, qui te ressemble beaucoup. Vous vous entendriez bien.

–       Jamais ! Je préfère mourir I

–       Charlie avait dit ça, aussi, juste avant d’y passer, se rappela-t-il, un petit sourire en coin. Enfin bon, comme tu voudras, duchesse.

Il releva l’arme et la pointa sur elle, au niveau du cœur. Elle écarquilla les yeux d’effroi. Il ne comptait tout de même pas la tuer ? Non, il bluffait, et attendait juste le bon moment pour retourner sa veste et sauver la capitale. Ensemble, ils pouvaient y arriver et–

Son index actionna la gâchette et il tira, vidant le barillet. D’abord, elle ne ressentit aucune douleur, puis, ce fut comme si tout son corps s’enflammait d’un seul coup ; ses jambes ne la supportèrent plus et elle s’écroula comme une poupée de chiffon, face contre terre, un mince filet de sang s’écoulant de sa bouche et tachant sa peau. Au travers du brouillard qui troublait toujours plus sa vue, elle distingua la silhouette du jeune garçon qui se rapprochait d’elle… puis l’obscurité l’engloutit pour de bon.

–       Bon voyage dans l’au-delà, petit ange, soupira Raphaël en s’agenouillant près d’elle pour lui fermer les yeux. Et sans rancune, hein.

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