Fils du seigneur des chemins

Chapitre 1 : Enfant trouvé

955 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 21/10/2020 19:32

Un soir d’automne, un moine qui sortait nettoyer le parvis du temple du clan Gingko, trouva emmailloté dans une étoffe un enfant minuscule, tout juste sorti du ventre de sa mère. Le linge duquel on l’avait entouré avant de le placer dans un panier et de le déposer là, ne portait aucune marque, aucune particularité. Ce n’était qu’un bout de tissu blanc, à la facture ni grossière ni raffinée, à peine assez épais pour protéger le nouveau-né de la rudesse du climat. Le moine trouva, accompagnant cet encombrant colis, un morceau de parchemin sur lequel étaient tracés quatre hiragana. Wakatoshi. Ne sachant pas s’il devait le lire comme un nom signifiant « enfant puissant » ou comme l’indication que le garçon était le fils d’un seigneur du chemin — peut-être avait-on voulu désigner par là un ronin. Le moine se rabattit sur la première explication qui, à coup sûr, soulèverait moins de questions.


Il trouva également, en soulevant l’enfant, un minuscule disque de métal, qui ressemblait à s’y méprendre à une pièce de monnaie. Sans doute la personne, après avoir exposé le nourrisson, avait-elle eu quelque scrupule et décidé de récompenser celui qui recueillerait Wakatoshi. Cependant, il ne portait aucun perçage en son centre. Le moine le glissa dans sa poche puis, dès qu’il le put, le plaça dans une boîte qu’il enterra sous le cerisier du temple. Il n’en parla jamais à personne.


II


La première épouse de Wakatoshi se nommait Komadori, en référence au rossignol dont elle avait la voix mélodieuse. Elle était la fille d’un éminent samouraï du clan Tanka et, la première fois qu’il l’avait vue, elle lui avait tout de suite plu. Ce n’était que bien plus tard qu’il avait compris qu’on avait organisé leur rencontre afin de les marier. Ils s’étaient bien entendu, malgré la timidité de la jeune femme, et les fiançailles n’avaient pas tardé, poussées par les deux clans qui voyaient dans cette union une bonne occasion de se rapprocher.


Quand Wakatoshi passa la porte de sa demeure en compagnie de sa nouvelle épouse, il se dit qu’il avait enfin trouvé sa véritable place au sein du clan. Depuis tout petit, il avait peiné à se sentir chez lui parmi ces gens, qui pour certains semblaient réticents à le considérer comme l’un des leurs à part entière.


Ce bonheur dura quatre jours.


A l’aube du cinquième, Wakatoshi s’éveilla seul dans leur chambre. La couche de Komadori était défaite, puisqu’elle s’était endormie à ses côtés la veille. Il la chercha dans toute la maison et aux alentours, sans la trouver. En passant devant la maison de Washijô, il croisa le vieillard, qui contemplait la floraison des cerisiers devant sa propriété. Washijô traînait derrière lui la réputation d’avoir toujours une oreille dans les affaires de chaque personne qui posait le pied sur les terres du clan. Si quelqu’un avait pu voir Komadori, c’était bien lui.


— A mon avis, vous devriez aller faire un tour dans le port, mon jeune ami, lui dit-il après l’avoir salué d’un geste de la main.


Près des embarcadères, on venait de repêcher un cadavre. Ses vêtements semblaient indiquer qu’il s’agissait d’une paysanne, mais la beauté de ses traits et de ses cheveux, ainsi que la délicatesse de sa silhouette intriguait. Elle ne ressemblait pas à une de ces pauvres âmes qui passent leur vie à s’épuiser dans les rizières. Wakatoshi n’eut même pas besoin de se pencher sur elle pour la reconnaître.


Quelques heures plus tard, l’homme avec qui elle devait s’enfuir se présenta à la porte de la maison de Wakatoshi et, prosterné au sol, se confondit en excuses. Comme il était d’une caste inférieure à Komadori, jamais ils n’auraient pu se marier alors ils avaient prévu de fuir tous les deux et de refaire leur vie le plus loin possible, là où personne ne les connaîtrait. Komadori devait se déguiser en paysanne, à l’aide de vêtements qu’il avait cachés à son intention quelques jours plus tôt puis, quand Wakatoshi se serait endormi, se glisser hors de la maison pour se rendre au point de rendez-vous dont ils avaient convenu. Il l’avait attendue toute la nuit durant, mais ne l’avait pas vue. Ce n’était qu’à l’aube, quand le soleil avait paru, qu’il l’avait retrouvée flottant dans le port. Connaissant mal la région, et dans le noir, elle s’était sans doute perdue et avait fini par glisser dans l’eau. De peur d’être accusé de son meurtre, il s’était d’abord enfui mais, rongé par la culpabilité, avait rebroussé chemin pour venir tout lui avouer.


L’homme supplia Wakatoshi de le tuer à son tour. La vie était trop difficile sans la femme qu’il aimait, la mort serait bien plus douce. Mais Wakatoshi, trouvant que trop de sang avait déjà coulé ce jour, le renvoya dans son clan. Il expliquerait toute l’histoire à son daimyo, qui ne manquerait sûrement pas de le punir comme il se devait. L’homme sembla rassuré à ces paroles et partit sur le champ.


Wakatoshi apprit plus tard que des paysans de son clan avaient retrouvé un homme pendu à la branche d’un cerisier, sur le chemin que prenaient les voyageurs pour se rendre au clan Tanka.



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