L'Héritage des Woodstone

Chapitre 2 : L'Héritage des Woodstone - 2cd partie

Chapitre final

7213 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/02/2017 22:40

Le lendemain, Holmes m’entraina à la recherche du trésor des Woodstone. C’était une chaude journée, et l’astre solaire qui brillait haut dans le ciel dardait sur nous ses rayons brulants. A notre arrivée, nous ne vîmes ni le frère ni la sœur ; nous fûmes accueillis par le vieux domestique Jim Brown qui écouta notre histoire avec des yeux écarquillés tout du long.

- Ben ça alors ! s’exclama-t-il à la fin du récit de mon ami. Un trésor ! Qui l’aurait cru ? Et cet infâme espagnol cherche à s’en emparer ?

- C’est notre suggestion, oui.

- Ah ça non, je ne le permettrai pas !

- C’est pour cela que nous sommes venus ici : il est l’heure de retrousser nos manches, et de partir à la recherche de l’héritage de Woodstone !

Aidé par le domestique, nous creusâmes toute la matinée et une bonne partie de l’après-midi, fouillant de fond en comble le jardin d’Aldgate Pines. Vers deux heures, Betty nous apporta des rafraichissements, mais la chaleur tambourinait contre nos tempes et le Soleil tapait sur nos têtes, et bientôt, en sueur et exténués, nous fûmes forcés d’admettre notre échec et d’abandonner.

- C’est impossible, grogna Holmes, en bras de chemise, en essuyant d’un revers de la main son front dégoulinant. J’aurais parié que ce trésor était là !

Jim manifesta son mécontentement.

- Regardez un peu ce que nous avons fait de ce terrain ! marmonna-t-il en désignant les mottes de terre amassées un peu partout. Il va falloir des mois pour tout remettre en ordre, et en plus, il n’y a même pas de trésor !

- Bien sûr qu’il y a un trésor ! opposa Holmes, agacé. C’est la seule solution !

Notre discussion fut interrompue par l’arrivée de Lloyd Harrington, qui venait de l’ouest.

- Hello ! s’exclama Holmes, soudain ragaillardi. Qu’est-ce donc que cela ?

L’universitaire nous salua tour à tour, déconcerté par le spectacle qui s’offrait à ses yeux.

- Jim, qu’avez-vous fait au jardin ?

- Ce sont ces messieurs, ils prétendent qu’il y a un trésor dans le…

- Un trésor ? s’étonna Harrington.

- Oui, des richesses que le vieux comte Albert aurait cachées pour ses héritiers.

- Tiens ! Tim et Victoria ne m’ont jamais parlé d’une chose pareille !

- Parce qu’il n’y a pas de trésor ! s’écria le jardinier en levant les bras au ciel ! Tout ce travail pour rien !

D’un geste rageur, il jeta à bas sa pelle et s’éloignant en jurant.

- Vous m’avez l’air exténués, messieurs, nous dit Harrington d’un ton avenant. Il n’est pas bon de rester dehors par une telle chaleur. Venez vous rafraichir à l’intérieur.

Nous suivîmes le jeune homme à bonne distance ; Holmes me saisit par la manche et me dit :

- Otez-moi d’un doute, Watson, votre partie de billard d’hier n’a pas tourné au pugilat ?

Je le regardais, étonné.

- Bien sûr que non ! Le jeune Lloyd Harrington est de la plus agréable compagnie, il est bien éduqué et…

- Je m’en doutais. Alors, si vous n’êtes pas l’auteur de ses marques sur les avant-bras de notre universitaire, à quoi sont-elles dues ? Je m’adresse au docteur.

Je n’y avais pas fait attention, mais les bras d’Harrington étaient écorchés ; des griffures peu profondes, et fines, mais multiples.

- On dirait que notre ami est tombé dans un fourré, annonçai-je.

- Et pourtant, ses habits sont en bon état. Et les marques n’étaient pas là quand nous l’avons quitté hier soir.

- Alors, il se serait blessé pendant la nuit ?

- Oui. Et n’avez-vous rien remarqué d’autre ?

- Certaines marques sont différentes.

- Brillant, Watson ! Une théorie ?

- Certaines sont des griffures, sans doute faites par des ronces, mais les autres ressemblent à des bleus, à des endroits bien précis, comme s’il avait porté une charge lourde…

La vérité me sauta à la figure.

- Il a emporté le trésor !

Holmes poussa un sifflement admiratif.

- Excellent, mon ami ! Je suis surpris de votre rapidité ! Donc le jeune Harrington vient de nous mentir, il est au courant de l’existence du trésor, et…

Soudain, son visage se figea et sa bouche forma un « o » parfait.

- Oh ! Watson ! J’ai trouvé !

Il s’élança sur le chemin en gravier, forçant l’allure.

- Trouvé quoi ?

- Je viens de résoudre l’affaire !

- Mais enfin, le notaire ne doit pas arriver avant deux jours, par quel tour de magie avez-vous réussi à… ?

- Les mains, Watson, les mains !

 Je le suivis sans comprendre lorsqu’il s’engouffra à l’intérieur du manoir.

- Je dois voir Miss Victoria, s’écria-t-il en saisissant Harrington par les épaules et en le secouant un peu.

L’universitaire était aussi consterné que moi. Il ânonna d’une voix hébétée :

- Miss Victoria est encore faible, elle se repose.

- Alors amenez-moi à son frère.

- J’ignore où il se trouve.

- C’en est assez de mensonges et cachotteries, déclara Holmes d’un ton sévère. Vous savez parfaitement où se trouve Timothée, et Victoria n’est pas souffrante. J’ai tout compris, alors conduisez moi à l’un, ou à l’autre. Tout de suite.

Avec un regard terrifié – il fallait reconnaître que mon ami savait se montrer impressionnant – le jeune Lloyd hocha la tête et nous mena à l’étage. Il frappa trois coups et pénétra dans le boudoir de Miss Woodstone.

Je m’attendais à voir la demoiselle, mais nous nous retrouvâmes face au comte en personne.

- Bonjour, Monsieur Woodstone ! s’exclama Holmes d’un ton enjoué.

- Au nom du Ciel, Lloyd, que font ces messieurs ici ?

- Nous sommes venus faire éclater la vérité, Monsieur. Ou plutôt… Miss.

Trois regards médusés – celui de l’universitaire, celui du comte et le mien – se posèrent sur Holmes, qui affichait sa mine des grands jours, sourire triomphant et sourcils insolents.

- C’est offusquant, bredouilla le jeune Woodstone. Je… Je ne comprends pas.

- J’avoue que moi non plus, Holmes, je ne comprends pas.

- Il est pourtant évident que Monsieur Timothée Woodstone et mademoiselle Victoria sont depuis le début… Une seule et même personne.

- Comment ?

- C’est un bien beau déguisement que vous avez-là, Miss. Il a réussi à en tromper plus d’un, et je m’y serais laissé prendre si je n’étais pas moi-même un grand amateur de costumes.

- Mais… hésitai-je. Et la moustache ? La taille ?

Holmes eut un sourire de prédateur.

- Miss Woodstone ici présente est bien plus maline que la plupart d’entre vous. En se présentant comme une jeune fille fragile ayant hérité de la mauvaise constitution de sa mère, elle pouvait demeurer assise ou prostrée, et ainsi nous cacher sa grande taille, avec laquelle elle pouvait aisément se faire passer pour un homme du monde. N’est-ce-pas, Miss ?

Le comte, ou la comtesse (j’étais un peu perdu), secoua la tête, résignée.

- Quant à la moustache… Watson, un piège aussi grossier ! Et vous êtes tombés dedans ?

Il s’approcha de Woodstone et arracha d’un geste sec le postiche et le chapeau, libérant une cascade de cheveux bouclés. Sans cet accoutrement, il devenait évident que les deux jeunes gens étaient joués par la même personne, une talentueuse jeune femme.

- Très bien, vous avez gagné, soupira Miss Victoria en s’asseyant. Mais je peux vous demander ce qui vous a amené à me soupçonner ?

- J’ai toujours su qu’il y avait quelque chose d’étrange dans les manières de Timothée Woodstone ; cependant, il m’a fallu un long moment avant de comprendre ce qui n’allait pas. Je dois avouer que je ne suis plus aussi performant que dans mes jeunes années ; à l’époque, j’aurais sans doute dévoilé le subterfuge au premier coup d’œil.

Mais il y avait d’autres éléments qui m’intriguaient ; des choses que vous avez peut-être remarqué également, Watson ; à commencer par le fait que nous n’ayons jamais vu le frère et la sœur en même temps : lorsque Victoria nous accueillait, Timothée était absent, et l’inverse se produisait aussi : la jeune femme semblait indisposée en présence de son frère. En y repensant, il est évident que Mademoiselle Victoria ne pouvait pas jouer deux personnes en même temps, aussi douée soit-elle.

Je me posais également des questions au sujet de la lettre de l’autre jour : nos investigations nous prouvèrent, à mon ami Watson et à moi-même, que l’auteur de cette missive était Monsieur Harrington, qui s’avère être le complice de Miss Woodstone, je présume. Tout d’abord, je ne compris pas pourquoi le télégramme, pourtant signé de la main du comte, avait été écrit par un autre. Mais c’est en réalité d’une simplicité enfantine. Si Miss Victoria avait-elle-même écrit cette lettre, elle se serait dénoncée, car elle ne pouvait pas imiter une écriture masculine. Si Monsieur Harrington n’avait pas été gaucher et vous droitière, Miss, cette petite manigance serait passée inaperçue, et je n’aurais peut-être jamais découvert votre secret.

Les deux jeunes gens se regardèrent, confus et honteux, tels deux enfants pris en flagrant délit de bêtise.

- Et ce n’est pas tout ! Vous ne l’avez sans doute pas remarqué, Watson, mais lors de notre venue dans le bureau de Miss Victoria, très peu de temps après notre arrivée, il y avait sur le secrétaire une pile de documents renversés, parmi lesquelles une photographie de Miss Woodstone. Elle ne datait que de quelques mois, n’est-ce-pas ? Selon vos dires, votre santé s’est aggravée il y a à peu près un an, à la mort de votre belle-sœur. Mais sur cette image, vous sembliez en pleine santé, puisque vous aidiez votre père à restaurer l’aile nord de l’appentis. Encore un mensonge de plus.

Mais le plus extraordinaire, ce qui me mit la puce à l’oreille et me tarauda durant plusieurs nuits, ce sont vos mains.

- Ses mains ? demanda l’universitaire, partagé entre l’admiration qu’il éprouvait face aux déductions de Holmes et l’hébétude.

- Ses mains, répéta mon ami. De très jolies mains, fines et petites… Assez surprenantes chez un homme, certes, mais encore plus surprenantes chez un homme qui avait une épouse.

Avant sa mort il y a un an, le comte Timothée avait été mariés sept ans à Miss Cathy Harrington. Il n’était pas veuf depuis assez longtemps pour que la marque de l’alliance disparaisse, et pourtant votre annulaire gauche ne porte aucune trace. Evidemment, puisque vous-même êtes encore célibataire. C’est ce tout petit élément qui m’a mis sur la piste.

Le silence se fit dans la pièce, tandis que chacun accusait le coup et réalisait les conséquences des déclarations de Holmes.

- Mais une question subsiste, déclarai-je soudain, pensif. Puisque vous étiez à la fois le frère et la sœur, où se trouve le véritable comte Woodstone ?

Mon ami pencha la tête, en quête d’une réponse.

- Il… Il est en voyage. Loin. Très loin.

- Assez ! intervint soudain Lloyd Harrington, les joues empourprées. C’en est assez, Victoria. Nous devons leur dire la vérité, maintenant.

- Lloyd !

- Vous avez vu comme moi les talents de ce détective. Tôt ou tard, il apprendra la véritable version des faits. Autant que ce soit de notre bouche. Et si vous vous y refusez, je vais le faire, moi.

Holmes s’assit dans le fauteuil de Mis Woodstone, les bras croisés contre son torse.

- Je suis tout ouïe, Monsieur Harrington. Enoncez-moi donc cette vérité.

Tremblante et furieuse, la jeune comtesse adressa à l’universitaire un regard contrarié et leva le menton en signe d’acquiescement.

- Nous vous avons effectivement menti en prétendant que Victoria était de constitution fragile : elle a hérité non seulement de la taille, mais aussi de la force de son père. Cependant, c’est Tim qui tenait de sa mère, Mrs Adeline. Il était aussi fragile qu’elle, et après la mort de ma cousine – son épouse -, ses problèmes de santé se sont encore davantage empirés. Il venait tout juste de se remettre d’une forte fièvre quand le Monsieur le comte Albert Woodstone a eu son accident. Ce fut le coup de trop, il n’a pas tenu le choc et il est décédé à son tour il y a de cela cinq jours.

- Donc avant l’arrivée à Aldgate Pines de Ramon Torez.

- Exact, marmonna la jeune femme d’un air absent.

Les larmes perlaient au coin de ses yeux et j’éprouvai soudain un élan de compassion pour cette femme à peine sortie de l’enfance qui avait dû porter en même temps le deuil d’un père et d’un frère.

- Pourquoi toute cette mascarade ? demanda Holmes, impassible aux charmes de la gente féminine, et de ce fait guère ému par le désarroi de Miss Woodstone.

- Torez, déclara-t-elle d’une voix déformée par la tristesse.

Harrington vint se placer à ses côtés et posa sur l’épaule de la comtesse une main qu’elle ne repoussa pas.

Holmes se releva prestement.

- Eh bien, mon bon ami, voilà notre mystère éclairci. Je crois que nous pouvons désormais rentrer à Baker Street.

Je le regardai, surpris, mais avant d’avoir eu le temps de répondre, je m’aperçus que Miss Victoria s’était jetée entre nous et la porte, bras écartés, nous barrant le passage.

- Non, je vous en supplie, ne partez pas ! Vous devez absolument m’aider !

Holmes émit un ricanement dédaigneux.

- Je n’ai pas l’habitude de travailler avec des clients qui me mentent, Miss. Résoudre des mystères pour eux et leur venir en aide, voilà mon métier. Mais si l’énigme est le client en question, alors c’est différent. J’ai résolu votre énigme, Mademoiselle la comtesse. Pardonnez-moi si cette conclusion n’est pas à votre goût.

Il s’apprêta à passer en force mais elle se jeta à ses genoux, sanglotant et éperdue.

- Par pitié, Monsieur Holmes ! Si vous ne m’aidez pas à prouver que le testament est faux et qu’il se rend compte que mon frère n’est plus, il… il me tuera !

- Qui vous tuera ? risquai-je, mal à l’aise de voir une grande dame dans une position aussi peu convenable.

- Torez ! gémit-elle, toujours fermement accrochée aux pantalons de mon ami. Sitôt qu’il m’aura épousée, ce diable me fera disparaître pour demeurer seul héritier de la fortune de mon père ! Oh, s’il vous plait, Monsieur Holmes, s’il vous plait…

Que de chagrin qui venait déformer ce doux visage ! Emu aux larmes, je m’approchai de Holmes tandis que Lloyd Harrington aidait la jeune comtesse à se relever, l’enlaçant tendrement.

- Dès que vous auriez prouvé la félonie de l’espagnol, nous expliqua l’universitaire, Victoria devait rompre ses fiançailles. En l’absence de ce monstre, derrière les verrous, elle n’aurait plus eu à prétexter être son frère pour se protéger – rappelez-vous de la façon dont il se comportait avec elle lorsqu’il pensait Timothée absent. Nous aurions rendu la mort de Tim publique, et elle aurait porté, conformément à nos traditions, le deuil de Woodstone père et fils. A la fin de cette période d’affliction… nous étions supposés nous marier.

Il avait l’air vraiment peiné, presque autant que la jeune femme, bien qu’il montrait ses émotions avec plus de retenue que la comtesse hystérique.

- Voilà qui est bien dommage, dit Holmes d’un ton égal en se dirigeant vers la porte du bureau.

- Holmes ! m’exclamai-je, outré. Vous n’avez donc pas de cœur ?

Il se tourna vers moi, agacé.

- Je suis une machine pensante, Watson. Les sentiments et les choses du cœur nuisent à ma concentration et mon intelligence. Vous devriez avoir l’habitude, non ?

En d’autres lieux, d’autres temps, peut-être aurai-je cédé et j’aurais suivi mon ami jusqu’à Baker Street, gardant le souvenir amer d’une tragédie dont on aurait oublié d’écrire la fin. Mais cette soirée-là, j’en décidai autrement et vint moi-même faire barrage entre Holmes et la porte.

- Vous n’irez nulle part tant que vous n’aurez pas vu ce testament, déclarai-je d’une voix menaçante.

- Comment ?

- Vous m’avez parfaitement entendu, Holmes. Vous avez fait la promesse de faire tout votre possible pour aider cette jeune femme et son ami. En tant qu’homme d’honneur, et ami, je vous interdis de rompre ce serment.

Une lueur de surprise passa dans son regard et nous nous fixâmes intensément pendant de longues secondes, au cours desquelles chacun espéra secrètement que l’autre capitule. Finalement, et à mon grand étonnement, il soupira et hocha la tête.

- Très bien. Monsieur Harrington, faîtes parvenir au notaire de feu Monsieur Woodstone, Maître Lancaster, un télégramme lui enjoignant de se rendre à Aldgate Pines dans les plus brefs délais. J’authentifierai ou non ce testament, et dès ce moment nous repartirons pour Londres.

La gratitude pouvait se lire dans les yeux des deux jeunes gens et l’universitaire s’empressa d’adresser le message au notaire. Quelques heures plus tard, une réponse nous parvint, nous indiquant que Maître Lancaster serait ici le lendemain sur les coups de vingt heures, car il avait tout d’abord une affaire à régler en ville.

Nous passâmes donc, Holmes et moi, la journée d’après à l’hôtel, attendant patiemment le jeune coursier d’Aldgate Pines tenu de nous annoncer l’arrivée du notaire. Je sentais à mon égard de la part de mon ami une certaine froideur, sans doute dû à notre altercation de la veille.

- Pourquoi tant d’obstination ? me demanda Holmes tandis que nous étions assis aux alentours de dix-sept heures dans le petit salon, autour d’une tasse de thé. Dans le meilleur de cas, ce testament est un faux et Miss Woodstone épouse Monsieur Harrington et ils vivent heureux pour toujours.

Je pouvais sans peine déceler dans sa voix son ironie et son profond dégoût pour les choses du cœur.

- Et s’il s’avère que Torez n’est pas un faussaire, alors elle l’épouse. Dans les deux cas, vous êtes perdant. Quel intérêt avez-vous à vouloir lui venir en aide, alors ?

Je souris tristement.

- Je ne suis pas intéressé par Miss Victoria. Cependant, elle est Monsieur Harrington me semblent deux jeunes gens droits qui ne méritent pas ce qui leur arrive. Est-il juste de gâcher leur unique chance car ils ont menti pour s’en sortir ? Je ne pense pas. Et de plus…

Je marquai une légère pause, cherchant mes mots.

- Il m’aurait été désagréable de savoir une promesse faite par mon ami rompue.

Il me regarda, interdit.

- Vous êtes un homme d’honneur, mon cher. Et quoique vous en disiez, je sais que vous n’êtes pas totalement dénué de sentiment…

Je reposai ma tasse de thé sur la table basse.

- Et je sais qu’un homme comme vous ne laisserait jamais tomber quelqu’un dans le besoin.

Je me levai pour aller admirer le bouquet de tulipes rapporté plus tôt par la propriétaire de l’hôtel.

- Si jamais je devais parier sur qui compter, je ne miserai pas un shilling sur moi, Watson. Par contre, je n’hésiterai pas à placer mes économies entières sur vous.

Il se leva à son tour, reposant sa propre tasse sur le plateau.

- D’ici quelques heures, dit-il en changeant de sujet, nous aurons la réponse à cette affaire. Si Torez a fait fabriquer ce faux testament, nous pourrons le faire arrêter.

- Et le trésor ? demandai-je.

Le secret d’Albert Woodstone était un peu passé à la trappe suite à la découverte de la double identité de Miss Woodstone, mais je n’avais pas oublié les marques sur les bras de Lloyd Harrington.

- Encore une chose que ces jeunes gens nous auront cachée, me répondit Holmes. Enfin, je suppose qu’il est quelque part en sécurité, désormais, et que nous n’avons plus à nous en soucier.

A vingt heures trente, le gamin d’Aldgate Pines arriva en courant à l’hôtel, et tout essoufflé, nous annonça d’une voix tonitruante que Maître Lancaster avait été aperçu en fiacre sur la route principale et qu’il serait au domaine des Woodstone d’ici peu.

- Nous voilà arrivé au terme de notre affaire ! s’écria Holmes. En route, Watson ! En nous dépêchant, nous serons à Aldgate Pines dans une vingtaine de minutes !

Il nous en fallut un peu plus et lorsque nous franchîmes le seuil de la porte, le vieux Jim Brown nous expliqua que le notaire était déjà présent dans la salle à manger, en compagnie de Miss Woodstone Harrington et Ramon Torez.

Nous lui emboitâmes le pas, mais le domestique m’arrêta.

- Pas vous, me dit-il avec un mouvement d’excuse. Le notaire a insisté que la séance devait se tenir à huis clos.

- Je me porte garant du docteur, intervint Holmes.

Jim haussa les épaules.

- J’y suis pour rien, moi, m’sieur. Je vous aime bien, tous les deux, mais Maître Lancaster a été très clair, et Miss Woodstone m’a expressément ordonné de ne laisser entrer personne d’autre que vous, le détective. Même Monsieur Lloyd n’a pas été convié. C’est très secret, tout ça.

- Mais enfin… !

- Ce n’est pas grave, Holmes, le coupai-je. Après tout, vous n’avez pas besoin de moi pour analyser un document. Je vais rester dans le petit salon en vous attendant, et dès que vous aurez régler cette affaire, nous rentrerons.

Il acquiesça et je le vis s’éloigner en compagnie du vieux jardinier tandis que je me dirigeai vers le salon. Je m’assis dans un fauteuil, contemplant les portraits accrochés au mur, du comte, de la comtesse et des jeunes héritiers. Cependant, je n’arrivais pas à me détendre, mu par un étrange pressentiment. Holmes lui-même l’avait dit, l’affaire arrivait à son terme. Et pourtant j’avais en moi la désagréable sensation que trop de questions demeuraient sans réponse. A commencer par la mort de Timothée Woodstone. La maisonnée avait gardé son décès cinq jours plus tôt secret, mais après avoir passé un après-midi entier à fouiller le domaine à la recherche d’un trésor, je savais qu’il n’y avait pas cimetière à Aldgate Pines. De ce fait, où était-il enterré ?

Profitant que tout le monde était occupé, je montai discrètement dans le bureau de Miss Woodstone à la recherche d’informations. Contrairement au jour où nous l’avions rencontré pour la première fois sous sa véritable apparence, le secrétaire était parfaitement rangé. J’ouvrai le premier tiroir. Vide, tout comme le second.

- Où sont passés ses documents ? me demandai-je, interdit.

J’avisai l’âtre de la cheminée, et les cendres encore rougeoyantes qui brulaient à l’intérieur. Miss Victoria avait fait bruler certains papiers juste avant l’arrivée du notaire.

Avec horreur, je repensai aux talents de la jeune femme, qui avaient presque confondus le plus grand détective de son temps. Elle aurait très bien pu mimer l’effroi, avec la complicité de Jim emprisonnant une souris fictive, pour détourner notre attention de documents compromettants posés sur son bureau…

Je repensai à la photographie de Miss Victoria et son père travaillant sur le chantier de leur appentis.

- Allons, réfléchissons ! m’énervai-je en tournant en rond.

Je tentai de me mettre à la place de mon ami, de ma glisser dans la peau du génie, de penser comme lui. Je n’étais pas aussi brillant, mais mes nombreuses années passées à ses côtés me furent d’un grand secours quand je compris que la photographie était sans doute rangée avec les plans de ce même appentis. Et quoi de mieux qu’une bâtisse peu utilisée pour cacher…

- L’héritage des Woodstone !

A toute allure, je dévalai les escaliers et me précipitai dehors, en proie à une frénésie incontrôlable. J’étais sur le point de percer une bonne fois pour toutes le secret de cette famille !

La porte de l’aile nord de l’entrepôt était maintenue fermée de l’extérieure par un petit verrou que j’actionnai aussitôt, et je m’engouffrai à l’intérieur. Dès que je posai le pied sur le sol froid, je fus assailli par l’odeur de pourriture et de mort qui se dégageai. Je ramenai le foulard que je portai à mon visage pour me couvrir la bouche et avançai. A mesure de ma progression, les effluves se faisaient de plus en plus nauséabonds et insupportables, comme si je me rapprochai de la source. Il y avait un renfoncement, avec une porte minuscule, que je poussai pour enfin me retrouver face à une malle de grande taille, que je soulevai prudemment.

Le corps en décomposition du comte Timothée Woodstone se trouvait à l’intérieur, devenu vert et gonflé, difforme et monstrueux. Je demeurai un instant ébahi devant l’atrocité de la chose, puis mon professionnalisme médical repris le dessus, et malgré toute mon aversion pour la chaire putride étendue sous mes yeux, j’examinai le cadavre.

Peu importe ce que Miss Woodstone et Monsieur Harrington avaient dit, le comte n’était pas mort d’une maladie naturelle. Un œil non averti comme celui des domestiques aurait pu s’y méprendre, mais un médecin reconnaîtrait entre mille les effets du poison qui s’était répandu dans les veines du Lord avant de l’emporter lentement, et dans des souffrances atroces.

Le comte avait été assassiné. Tout comme son père. Je ne savais pas d’où je tenais cette information, mais à présent que je disposais de ces nouveaux éléments, j’étais intimement convaincu que sa chute n’était pas accidentelle. Après tout, il était secondé dans ses travaux par Miss Victoria…

Oh ! Quelle actrice ! Quelle vipère, sournoise et perfide, dissimulée derrière ce joli minois ! Lloyd Harrington était-il son complice, ou simplement la prochaine victime sur la liste de cette meurtrière brillante et ténébreuse à la fois ?

Il me fallait prévenir Holmes. Je fis volte-face pour me retrouver soudain face au jeune universitaire.

- Que faîtes-vous ici ? me demanda-t-il, surpris de me trouver là.

Il se glaça d’effroi quand il aperçut derrière moi le corps de son ami.

- Je suis désolé ! s’écria-t-il. Je ne savais pas…

- Qu’ignoriez-vous donc ?

- Je l’ai cru ! Je l’ai cru quand elle m’a dit qu’il était malade ! Je l’ai cru quand elle m’a dit que cette malle contenait de l’or et que je devais la mettre en sureté pour éviter que le trésor de son père ne tombe entre les mains de Torez ! Oh mon Dieu !

Il s’effondra sur le sol, agité de tremblements. Je le relevai brutalement.

- Ce n’est pas le moment de s’alarmer, Monsieur Harrington. Il est encore tant pour nous de faire quelque chose, mais nous devons nous dépêchez !

Nous courûmes ensemble jusqu’au manoir et la porte de la salle à manger, que nous trouvâmes verrouillée. Harrington jura dans sa barbe, tandis que je collais l’oreille pour écouter ce qui se passait de l’autre côté, priant pour que Miss Woodstone ne se doute de rien.

- Ecartez-vous, ordonnai-je en poussant sans ménagement le jeune homme.

Je pris mon élan et fit peser tout le poids de mon épaule sur les battants de la porte. Celle-ci tangua, et le silence se fit dans la salle à manger. Je réitérai l’opération une fois, deux fois, bientôt accompagné par l’universitaire et au bout de plusieurs tentatives, la porte céda, et, déséquilibrés, nous pénétrâmes dans la salle à manger.

Drôle de spectacle ! Miss Woodstone, debout, tenait en respect mon ami Holmes et Ramon Torez en pointant sur eux un revolver qui semblait démesuré entre ses mains frêles. Le notaire, un petit homme entre deux âges aux cheveux grisonnants, avait contre sa gorge un couteau tenu par le domestique.

- Victoria? haleta Lloyd Harrington. Comment…?

- N’avancez plus! nous ordonna la jeune femme en faisant danser son arme entre les deux hommes assis et nous. Si l’un d’entre vous esquisse le moindre geste, je tire !

- Non… soupira Harrington, les yeux humides.

- Oh si ! lança Holmes, dont j’aperçus les poings ligotés par des cordes. Prenez garde, Watson, elle est…

- Je sais ! m’exclamai-je. Harrington et moi avons trouvé le cadavre de son frère dans l’appentis !

- Lloyd… hésita la jeune femme. C’est vrai ?

Le visage déformé par la haine et le désespoir du jeune homme ne m’échappa pas, mais avant que je n’ai eu le temps de réagir, il s’élança sur elle pour la désarmer, et sans la moindre hésitation, elle tira. L’universitaire s’effondra dans une mare de sang, touché au niveau de la clavicule.

- J’étais le prochain, n’est-ce-pas ? crachota-t-il, faible. Tu m’aurais épousé, et tu m’aurais tué, comme tu as tué ton père et Tim ! Ils t’aimaient, tu sais ? Nous t’aimions !

Sur ces mots, il ferma les yeux, et sa respiration se fit laborieuse, entrecoupée. Je m’approchai, immédiatement arrêté par le canon de revolver pointé sur moi.

- Ne bougez plus !

- Il va mourir si je ne fais rien ! Je suis médecin !

- Au diable Lloyd ! cracha-t-elle, les yeux déments. Il peut bien mourir si l’envie lui en prend !

- Miss Woodstone… ânonna le vieux notaire. Votre père… Il vous aimait tant !

- Assez ! retentit la voix tonitruante de la comtesse hystérique. Peu importe l’amour quand on peut avoir l’argent !

Particulièrement déplacé dans cette situation terrible, le sourire de Holmes illumina la pièce, ses dents blanches reflétant les rayons de la Lune qui filtraient à travers la fenêtre.

- Excusez-moi, mais je n’en suis pas si sûr, Miss.

Profitant que l’attention de la comtesse était tournée vers son amant et moi, Ramon Torez, que le domestique n’avait pas pu ligoter, se leva précipitamment et bouscula la jeune femme qui se retrouva au sol. Je courus vers Harrington, dont la carotide avait été touchée, et ôtai mon foulard pour stopper l’hémorragie.

- Torez ! cria Holmes.

L’espagnol, dont les poings maintenaient fermement la jeune femme au sol, se redressa juste à temps pour voir le couteau de Jim lui frôler la gorge et finir sa course dans le bois massif de la table. D’un coup de manchette fatal, il assomma le notaire et, preste malgré son âge, chargea l’espagnol. Les deux hommes roulèrent sur le sol, renversant le vase de rhododendrons qui se brisa dans un éclat de verre. Je reçus l’un des débris en plein visage, qui me laissa une marque disgracieuse. Je sentis mon propre sang, chaud et visqueux, couler le long de ma joue alors que celui du jeune Harrington recouvrait mes doigts d’une pellicule à l’odeur métallique.

La confusion la plus totale régnait dans la pièce, et je fus surpris qu’aucun autre domestique n’intervienne. Le combat entre les deux hommes faisait rage, la vie quittait peu à peu le corps de l’universitaire et je pensais que les choses ne pouvaient empirer quand j’entendis la voix, froide et posée, de mon ami.

- Watson.

Je levai les yeux vers lui, toujours attaché à son siège. Miss Victoria se tenait derrière lui, le canon de son revolver fermement appuyé contre sa tempe.

- J’ai dit : plus personne ne bouge.

Alertés par l’invective de la comtesse, Ramon Torez et Jim Brown suspendirent leur lutte.

- Maintenant, tout le monde m’écoute, dit-elle en tentant de conserver son calme, même si sa véritable nature, folle et incontrôlable, perçait derrière son masque de lucidité. Vous, Lancaster, vous allez rentrer à Brixton par le premier train et oublier tout ce que vous avez vu ici, à commencer par ce testament. Torez, espèce de diable, vous allez partir loin, très loin, où je n’entendrai plus jamais parler de vous. Et si jamais il vous prenait l’envie de revendiquer vos droits sur cette maison à nouveau, je me ferais un plaisir de refroidir vos élans avec le revolver de mon père.

L’espagnol, malgré sa forte carrure, ressemblait presque à un enfant pris au piège.

- Vous, Holmes, oiseau de malheur, vous allez répéter ceci mot pour mot : « ce testament est un faux ». Allons, pressons-nous, la nuit défile.

Je priai Holmes du regard d’obtempérer.

- Ce… testament…

- Plus vite !

- Ce testament est un faux.

- Parfait ! Et vous, mon bon docteur Watson…

Une ombre terrifiante passa sur son visage.

- Pour la dernière fois, éloignez-vous de Lloyd. C’est affreux, mais vous avez été pris d’un élan de folie. L’air de la campagne ne vous réussit pas. Vous avez abattu de sang-froid Monsieur Harrington qui vous avait battu au billard. Un sacré mauvais joueur, que vous êtes. Mais galvanisé par ce meurtre, vous avez ensuite tué votre ami et tenté de m’agresser. Sans Jim qui est intervenu à temps pour vous neutraliser…

Je la considérai avec horreur.

- Quelle tragique histoire, ricana-t-elle. Peut-être un peu mélodramatique, mais qui sera cru ? Une innocente petite comtesse riche et son vieux jardinier ou un docteur hystérique ?

- Et si je refuse de m’éloigner ? lançai-je, bravache.

- Alors je me ferais un plaisir de voir ce qu’il y a à l’intérieur de la tête de votre charmant détective, susurra-t-elle en se penchant sur l’épaule de mon ami et en appuyant encore davantage l’arme contre son visage anguleux. Ce doit être passionnant.

- Vous êtes folle à lier, marmonna Torez, consterné.

Elle lui décocha un regard meurtrier.

- Personne ne vous a demandé votre avis. Allons, docteur, dépêchons ! Je me doute que la perspective de l’échafaud ne vous sied guère, mais je suis certaine que celle de la cervelle de votre ami éparpillée sur le tapis ne vous séduise davantage.

Alors que Holmes me fixait de son regard gris impénétrable, je sentis une pression s’exercer sur ma main gauche, celle qui maintenait le foulard sur la gorge de Harrington et que la jeune femme ne pouvait pas voir car mon corps faisait bouclier. Discrètement, je jetai un coup d’œil à l’universitaire, encore conscient en dépit de la quantité de sang qu’il avait perdue.

Il avait utilisé ses dernières forces pour sortir de son étui l’arme de service que je portai toujours à la ceinture et me le mettre entre les mains. Je luis adressai un regard reconnaissant tandis qu’il fermait les yeux pour son ultime fois et je fis de nouveau face à la meurtrière.

- Alors ? s’impatienta-t-elle. L’échafaud ou Holmes ?

Je me levai en tremblant.

- Sage décision, pépia-t-elle comme une enfant. Quel dommage que Holmes doive dans tous les cas mourir, c’est un beau gâchis… Enfin, vous avez fait preuve de beaucoup de bravoure. J’apprécie votre sacrifice.

- Et j’apprécie le vôtre, déclarai-je en levant mon bras et en tirant avec la précision du vétéran de l’armée que j’étais.

La balle vint se ficher en plein dans sa tête et elle tomba en arrière, morte sur le coup. Avec un cri déchirant, le vieux Jim courut vers sa maîtresse et la prit dans ses bras comme une enfant, pleurant de toutes ses forces.

- Non… Miss Victoria… Non…

Ramon Torez et moi nous précipitâmes, lui pour neutraliser le domestique, qui terrassé par la mort brutale de la comtesse n’opposa aucune résistance, moi pour aller libérer mon ami de ses liens.

- Vous n’avez rien ? m’enquis-je.

Il frotta ses poignets endoloris par les liens.

- Grâce à vous, je crois bien que non. Il me semble que vous, par contre…

- Au diable ma joue, j’ai vu pire.

Il sourit, et je me sentis sourire malgré moi.

- Comment avez-vous deviné pour Miss Woodstone ? me demanda Holmes.

- J’ai eu un bon professeur, Holmes.

- Un professeur qui s’est fait avoir comme un débutant, cette fois. Je n’ai réalisé qu’à la dernière minute qui était réellement Victoria Woodstone, et il était déjà trop tard. Mais vous, vous avez réussi à assembler toutes les pièces du puzzle et à nous sauver la mise. Je vous en félicite.

Je jetai un regard peiné sur le corps d’Harrington.

- Une victime innocente dans cette sombre affaire, admit Holmes en se levant. Mais soyons positifs : sans votre intervention à tous deux, nous aurions déplorés bien plus de victimes ce soir, et j’aurai été parmi les cadavres repêchés par Scotland Yard.

- Je ne l’aurais pas laissée faire, m’écriai-je en riant.

- Je n’en doute pas ! Eh bien, quel désordre ! Lestrade va avoir fort affaire, demain !

- Holmes ? Il me reste toutefois une question. Le testament…

- Le testament est tout ce qu’il y a de plus authentique. C’est une seconde version éditée peu de temps avant la mort du comte Albert Woodstone.

- Mais, dans ce cas, pourquoi avoir fait appel à nous ? Miss Woodstone connaissait votre réputation, elle savait qu’elle risquait gros…

- Miss Woodstone était réellement persuadée que le testament était faux. Elle croyait dur comme fer à la vilénie de Monsieur Ramon Torez, qui, du peu que nous ayons discuté, et en réalité un homme tout à fait convenable. Il s’est même excusé pour le coup de pelle. De plus, elle se moquait d’être découverte, car, maline comme elle était, elle avait un plan de secours pour m’éliminer ce soir si les choses tournaient mal. Elle n’avait juste pas prévu votre intervention pour le moins providentielle.

- Et le trésor ?

- Oh, mon ami, encore une terrible erreur de ma part ! Il n’y a pas plus de trésor ici qu’il n’y a de lingots à Baker Street ! Monsieur Torez avait des soupçons sur Miss Victoria dès le début, il se souvenait d’elle comme une enfant sournoise et mythomane. La nuit où nous le surprîmes, il cherchait en réalité le cadavre de Monsieur Timothée Woodstone. Quand elle l’apprit, elle se servit du prétexte du trésor – prétexte que je lui avais servi sur un plateau – pour demander de l’aide à Lloyd Harrington pour dissimuler le corps.

- Elle était vraiment intelligente.

- Très intelligente. Et il n’y a rien de plus terrible qu’une femme qui réfléchit.

Nous sortîmes du manoir au petit matin, et respirâmes l’air frais et pur, qui avait une senteur de rosée, de bruyère et de liberté.

- Je meurs de faim ! m’exclamai-je. Rentrons-nous à l’hôtel ?

- C’est une idée des plus agréables, en effet.

Il marque une brève hésitation.

- Watson, encore une chose…

Je me tournais vers mon ami.

- Oui ?

- Je tenais à vous demander pardon.

- Pardon ? Mais enfin, pourquoi ?

- L’autre jour, je vous ai dit qu’un unique exploit de votre part ne faisait pas de vous un homme d’exception. Il semblerait que je me sois trompé.

Il me regarda du coin de l’œil, un demi-sourire aux lèvres.

- Vous êtes exceptionnel.

FIN


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