La Kirkissée : Le Cyclope

Chapitre 3 : Le clan des croustillants

2657 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/04/2019 21:52

Le Dr McCoy avait obligé le capitaine à porter des gants. Et pour faire passer la mesure comme non discriminatoire, tous les botanistes devaient en porter aussi. Il suffisait qu'il veuille filer un coup de main pour qu'il tombe sur la seule espèce d'ortie du coin… Ne pouvant se montrer particulièrement utile à part pour détecter naïvement toutes les variétés les plus dangereuses et urticantes en un temps record, le capitaine s'était éloigné de quelques pas et s'attelait à comprendre ce qui clochait avec le tricordeur dont il avait dévissé le capot. L'envie le démangeait d'appeler Sulu pour s'assurer que tout allait pendant bien car l'appareil fournissait des données par intermittence et il ne savait s'ils devaient se préparer à un premier contact sous peu ou pas du tout...

En dirigeant l'appareil sur la roche où il était assis pour faire un test, il sursauta brusquement en constatant qu'il s'agissait d'une pierre tombale parfaitement nette et bien formée qui se changea en un clin d'œil en une vieille roche moussue.

— Ça par exemple ! s'exclama-t-il en se relevant pour s'agenouiller à côté.

Une exploration manuelle sommaire lui permit de découvrir que le minéral ancien était gravé de lettres qu'il avait du mal à identifier en raison de l'érosion. Autour de lui, le paysage qui s'était avéré enchanteur à leur arrivée le frappa brutalement par sa désolation. De la terre retournée et grêlée de cratères, pas une once de végétation, un ciel bas d'apocalypse… Très circonspect, il rappela l'Enterprise mais sans succès, n'obtenant que des grésillements inaudibles. Impatienté, il se leva et dès que son mouvement fut achevé, le paysage autour de lui était redevenu parfaitement normal.

Il s'approcha de McCoy qui examinait une racine.

— Bones, appela-t-il à voix basse pour ne pas alarmer les autres, parvenez-vous à joindre l'Enterprise ? Je n'ai que des parasites...

Le médecin lui adressa un coup d'œil surpris avant de lui tendre son appareil avec lequel il parvint à joindre sans difficulté le vaisseau. Spock expliqua que tout était stocké dans des salles de chargement.

— Très bien M. Spock, pourriez-vous envisager de nous rejoindre avec un autre tricordeur, s'il vous plaît et nous faire descendre des paniers ? La récolte est plutôt bonne... Par ailleurs, vous pourrez me faire directement votre rapport sur les scans de la planète, j'ai vraiment besoin d'en savoir plus…

J'arrive, capitaine.

Kirk rendit son communicateur au médecin et se dirigea vers la grotte pour aller relever le personnel de sécurité. Ses yeux légèrement hésitants se posèrent sur une portion du paysage au-delà du lac, qu'il n'avait une fois encore, pas remarquée plus tôt.

— Bones ? questionna-t-il calmement pour s'assurer qu'il n'avait pas d'hallucination. Vous avez vu cette grande formation cubique là-bas ? Qu'est-ce que ça peut être ?

— Où ça ? demanda le docteur en mettant la main en visière.

— Sur la colline, je viens de la remarquer à l'instant. Un immeuble peut-être ?

Spock se matérialisa dans un halo vertical scintillant tout près d'eux. Il leur tendit l'appareil noir qu'il portait à la main pour procéder à un échange, effectua quelques manipulations et confirma :

— Je pense que vous avez raison capitaine, de toute évidence, cet appareil ne fonctionne pas correctement… Il signale la présence d'une très grande forme de vie près des deux gardes et si c'était le cas, ils n'auraient pu manquer de la voir et nous auraient appelés…

— Qu'est-ce que c'est ? Un animal ?

— Non. Partiellement humanoïde.

Jim allait essayer d'en savoir plus sur ce "partiellement" quand il vit Spock froncer les sourcils et porter la main à son front prématurément ridé par la vie au milieu d'humains idiots qui ne comprenaient qu'à moitié la justesse de ses formulations.

— Un problème, Spock ?

— Je perçois un léger…

Malgré lui, le capitaine s'était approché, prêt à le retenir au cas où il tomberait. L'officier en second ne finit pas sa phrase et écarquilla les yeux en secouant la tête comme pour s'ébrouer ou en proie à un vertige. Kirk lui serra le biceps pour le maintenir debout. Il héla le médecin.

— Ça va aller capitaine, protesta Spock en tâchant de se dégager maladroitement. J'ai juste été surpris.

Posant délicatement ce qu'il avait ramassé, McCoy afficha une moue préoccupée dont il n'avait pas conscience et procéda à une lecture rapide des constantes de Spock.

— Surpris par quoi ? Le taux d'oxygène ? demanda-t-il d'une voix professionnelle en passant son scanner de poche devant le visage du premier officier.

— Non il y a une sorte de… champ télépathique dans le périmètre… et ça vient… (Spock se tourna dans toutes les directions) de cette tour carrée, là-bas.

— Un champ télépathique ? répéta Kirk, content que quelqu'un d'autre voie aussi le bâtiment. Je ne peux parler que pour moi évidemment mais je ne perçois rien d'audible…

— Hum, ça je l'avais bien deviné, capitaine, répondit Spock. J'ai l'impression que ça diffuse une sorte de message de bienvenue.

— Vous n'en êtes pas sûr ?

Il est donné dans une langue qui m'est inconnue mais j'ai l'impression que la traduction m'arrive instantanément comme en surimpression mentale… En fait, au début pendant une seconde d'inattention, j'ai cru même que c'était en vulcain…

— Bon, nous verrons plus tard quand le vaisseau sera de nouveau pleinement opérationnel. Bones, si vous avez tout ce qu'il vous faut, passons reprendre les gardes et remontons à bord immédiatement.

.

Pendant qu'ils se dirigeaient vers la caverne, Spock resta en arrière en retenant son capitaine pour le sonder de ses yeux noirs inquisiteurs, mais pleins de déférence. Il s'était composé un visage neutre, mais ce dernier restait frappant. Entre son teint jaune, ses paupières semblant fardées de violet et ses oreilles pointues, cette neutralité n'était qu'une vue de l'esprit.

— Qu'est-ce que vous ne m'avez pas dit ?

— Spock, je veux en savoir plus à propos de ce champ télépathique... Serait-il possible qu'il nous pousse à voir des choses qui ne sont pas là ? J'ai aperçu quelque chose tout à l'heure qui a disparu aussitôt et je m'inquiète que nous soyons potentiellement tous soumis à une forme d'illusion collective ou de manipulation mentale. Hey, ne faites pas cette tête, ce n'est pas comme si ça ne nous était jamais arrivé...

Spock ouvrit la bouche pour répondre qu'il ne "faisait aucune tête" mais un grand cri d'appel à l'aide déchira l'air, très vite relayé par la voix tendue de McCoy réclamant une téléportation d'urgence :

McCoy à Enterprise ! Un homme sévèrement blessé, verrouillez sur mon signal ! Jim, venez vite !

.

Reconnaissant des tirs de phaseurs, les officiers se précipitèrent en direction de la caverne l'arme à la main et ils ne furent pas plus tôt à l'intérieur qu'ils ressentirent un déplacement d'air important au-dessus de leurs têtes. Une grande forme dont ils ne voyaient que deux énormes jambes se plaça derrière eux, en posant un monumental rocher devant l'ouverture pour les empêcher de ressortir.

Sur le qui-vive, les nouveaux venus parvinrent à distinguer les deux gardes assommés ou morts à terre auprès desquels le docteur s'était agenouillé. En confirmation, il secoua la tête d'un air lugubre en regardant les autres membres de l'équipage. Il ne prononça pas un mot mais le capitaine savait que ça équivalait à un "Ils sont morts, Jim".

— Mais qu'est-ce que nous avons donc là ? fit une voix étrange dont le propriétaire sortit de l'ombre pour exhiber une apparence déconcertante

Une créature gigantesque, semblant principalement humanoïde mais dotée de greffes bioniques, les toisait en surplomb depuis une sorte d'œil unique monté au bout d'une tige qui lui sortait du front. Ses deux yeux semblaient avoir été crevés mais remplacés par un senseur optique

— Ce sont des petits voleurs… déclara-t-il avec colère.

— Non ! Nous ne sommes pas des voleurs mais des voyageurs égarés, dit Kirk en s'approchant pacifiquement les mains levées.

— Menteurs ! Vous avez pillé mon garde-manger ! accusa-t-il d'une grosse voix. Voyons voir si, au moins, vous êtes assez bons à manger !

Faisant reculer McCoy, la menace mortelle d'une main large comme trois battoirs plana au-dessus d'eux et propulsa deux doigts en direction des gardes au sol. Elle en cueillit un dont le géant cassa en deux la colonne comme une brindille, avant d'enfourner une moitié dans sa bouche et de l'avaler en mâchant à peine.

— Mh, un peu fade mais ça croustille. C'est pas mal finalement, dit-il avant de gober l'autre moitié du malheureux enseigne de sécurité.

Quand il fit mine de vouloir manger le second, sans même s'être consultés, tous les présents valides braquèrent leurs phaseurs vers lui et se mirent à tirer à pleine puissance en concentrant leur feu en direction de sa poitrine. Le géant poussa un rugissement de douleur et de rage, se protégea de son bras robotique et lança l'autre un peu au hasard dans l'espoir de les écraser comme des insectes.

— Bien, bien, bien, s'étrangla McCoy d'une voix blanche, je crois qu'on a juste réussi à énerver Gulliver. D'autres idées ?

.


.°.

Réfugié dans l'enclos avec les autres, James T. Kirk était conscient que leur situation n'était guère brillante. Le cyclope venait de les menacer de tous les tuer. La seule question qui restait en suspens était : dans quel ordre ? Connaissant ses deux officiers comme il les connaissait, ce n'était qu'une question de temps avant que ces deux-là ne commencent à se battre pour avoir l'honneur de mourir le premier... C'était un jeu entre eux. Non pas un jeu amusant et joyeux, mais l'absolue certitude mutuelle que l'autre lui serait toujours plus utile.

Spock pensait que Jim et Leonard avaient une amitié de longue date avec laquelle il ne pouvait pas rivaliser. Pour tout dire, le Vulcain n'aurait même pas osé qualifier d'amitié les liens qui l'unissaient aux deux autres… De son côté, Leonard pensait que s'il y avait un cerveau qu'il valait mieux préserver, c'était sûrement celui de Spock… Son pragmatisme le poussait à se dire que les bons médecins (en était-il seulement un ?) se trouvaient facilement, mais des seconds comme le commandeur Spock, il n'y en avait qu'un…

Le capitaine n'était d'accord avec aucun des deux. Si quelqu'un devait se sacrifier pour épargner des vies, c'était forcément son rôle… Et il le pensait d'autant plus que deux autres membres de son équipage venaient de se faire dévorer sous ses yeux… Peut-être était-ce égoïste de souhaiter partir le premier ? Ou peut-être était-ce parce que tant d'ennemis désiraient jouer à ce petit jeu qui consistait à lui faire endurer la mort des hommes sous son commandement, et à la toute fin seulement, quand il n'aurait plus personne, la sienne. Ce géant n'était pas différent sur ce plan. Il ne pouvait pas savoir que l'une de ses hantises était de finir seul.

Pour l'instant, toutefois, il ne l'était pas. Dans son coin, Spock essayait inlassablement l'intercom pour communiquer avec le vaisseau. Ils profitaient de ce que le géant les avait laissés un petit moment en sortant comme une furie, pour tâcher d'en savoir plus sur ce qui se passait sur le vaisseau et où en étaient les réparations. Il devait se préparer à dire à Sulu et à Scott de reprendre les commandes si aucun des prisonniers qu'ils étaient n'arrivait à s'en sortir. C'était son devoir mais il éprouvait une sorte de pudeur à devoir le faire devant les autres. Comment leur signifier de cette façon qu'il envisageait qu'ils ne s'en sortent pas ? C'est probablement la raison pour laquelle, il n'en parla pas quand ils réussirent à avoir l'Enterprise. Il ne s'informa que de l'état des réparations, ou de savoir si les systèmes de survie du vaisseau étaient dorénavant opérationnels.

En temps ordinaire, il aurait bien sûr convoqué une réunion de crise, mais il y avait quelque chose d'étrange à ne pouvoir les regarder tous dans les yeux. Leur faire son numéro de charme. Leur sortir son bagou de sémillant capitaine qui savait ce qu'il devait faire et pourquoi. Il avait tellement besoin d'eux tous pour que cela fonctionne. Personne ne réalisait sans doute à quel point. Et une nouvelle preuve lui en fut donnée quand Scotty prononça les mots magiques qui soudain bottèrent les fesses de son auto-apitoiement.

Nous avons du mal à garder le contact avec vous, capitaine. C'est comme si vous disparaissiez totalement des radars de temps en temps. Je vais me mettre sur les téléporteurs mais je crains qu'il n'y ait une autre sorte de problème, avertit l'ingénieur en chef. Chekov m'a parlé de radiations étranges dont il n'arrivait pas à trouver l'origine, je crois que ce sont elles qui perturbent certains de nos systèmes. Nous ne pouvons pas vous remonter pour l'instant, mais par contre nous pouvons vous envoyer des choses.

— Mh, je n'aurais rien contre une petit remontant, bougonna McCoy à peu près aussi morose que Jim.

S'il n'avait pas jugé cela totalement illogique et de surcroît en provenance d'une source à la fiabilité non démontrée, Spock aurait pu leur signaler que leur abattement n'était pas naturel. C'était dans l'air. C'était le lieu. Comme si tous les fantômes d'une grande bataille se mettaient à pousser des hurlements inaudibles pour l'oreille humaine.

Etes-vous en train de me demander un envoi de seringues hypodermiques préchargées de stimulants ? L'infirmière Chapel sera ravie de…

— Pas vraiment, mais si vous aviez un tord-boyau qui saoule vite, par contre…

Allons, allons, nous allons vous tirer de là. Il n'est pas temps de noyer votre chagrin ! Les torpilles à photons sont actives, et en ce moment braquées sur votre hôte. Nos senseurs nous indiquent qu'il est au bord du lac et qu'il prend un bain...

Kirk leva un sourcil perplexe en une bonne imitation de son premier officier. Ces deux-là passaient beaucoup trop de temps ensemble, le soir dans leurs cabines, à jouer du sourcil au-dessus d'une partie d'échecs tridimensionnels...

McCoy expliqua à voix basse que ce géant était un peu fruste et cherchait probablement à calmer la "la petite irritation" que lui avait causé les tirs de phaseurs… Le capitaine leva la tête soudainement et commença à arpenter l'enclos. Il pensait à quelque chose. Ce simple geste et ce qu'il trahissait, suffit à électriser les deux autres.

— Scotty, je crois que McCoy a eu une excellente idée. Même si vous pouviez réaliser un tir de précision sur l'énorme roche qui bloque l'entrée, ça risquerait de s'effondrer sur nous. Mais ce que vous avez dit sur "notre hôte" m'a fait réfléchir... Bones, vous pensez qu'il faudrait combien de litres d'alcool fort pour assommer ce bestiau ?

— Il fait trois fois notre taille, alors à la louche, je dirais cinq ou six litres ?

— Vous avez entendu, Scotty ?

Oui, capt'aine. Si vous m'assurez que ce n'est pas pour vous...

— Pas du tout. Nous allons préparer un petit punch aux fruits pour notre "hôte". Pas la peine de sacrifier la cuvée que vous gardez en réserve, hein ? Mettez ce que vous avez de pire. Kirk, terminé.

— Oh, moi j'ai de l'abrinatu* si vous voulez, déclara McCoy pour lui-même, avec un petit sourire amer.

.°.

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* Emprunt délibéré à Alienigena, Ce qui fait la nuit en nous, chapitre 3


L'abus d'alcool, d'où qu'il vienne, est dangereux pour la santé.

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