Seuls pour mourir

Chapitre 1 : Seuls pour mourir

Chapitre final

4375 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/01/2020 03:28

La jeune pilleuse d'épaves erre à côté d'un astroport crasseux sur Jakku, en traînant les pieds aux abords d'une décharge de vaisseaux. Là, dans l'ombre portée d'un complexe de traitement des parties métalliques anciennement détenu par des ferrailleurs Jawas puis lui-même laissé à l’abandon, se situe le Faucon Millenium : célèbre cargo qu'elle convoite depuis quelques temps, et dans lequel elle s'introduit finalement ce soir en shuntant discrètement le verrou électrique de l'un des sas latéraux.


Et une fois introduite dans l'épave, elle pille tout ce qui lui semble avoir de la valeur. Des modules de contrôle surtout. Par exemple, le module de navigation qu'elle essaie de décoller du tableau, sans succès. Le module de sécurité de l’hyper-drive, qu'elle arrache sans trop savoir ce que c'est exactement ni comment il marche dans le détail. A vrai dire, Rey n'y connaît rien. Elle n'a jamais piloté ces vaisseaux qu'elle dépouille. Elle balance le module de sécurité de l’hyper-drive dans la large toile cirée de son sac de transport, qu'elle traînera derrière elle en ressortant tout à l'heure, avant de retourner en ville pour la revente.


Rey fouille, les mains pleines de suie et les ongles encerclés de cambouis. Elle ouvre les verrous des niches de stockage à coup de barre à mine, casse des surfaces de verre d'aluminium sous lesquelles elle croit déceler un objet convoité, mais surtout, elle éparpille des myriades de choses autour d'elle. Et bientôt, partout dans le cockpit, traînent des composants matériels, délaissés, isolés. Et en plus, Rey a apporté de quoi manger pendant son affaire. Ainsi, la nourriture et les composants pillés s'étalent-ils donc indistinctement tout autour d'elle dans ce qu'on pourrait appeler une sorte de terrain vague.


Mais Rey est quelque part insouciante et distraite, et dans un moment de banale inattention, elle actionne par erreur un levier de commande du décollage automatique, en se disant que le bruit qu'elle vient d'entendre n'est probablement pas autre chose que celui d'un Bantha grattant le sol desséché à la recherche de fraîcheur, à l'extérieur. Mais alors qu'elle s'imaginait s'immiscer dans une épave incapable de voler, elle découvre avec une pointe de stress que le vaisseau grince, puis craque, tandis que de nombreux indicateurs lumineux s'activent ici et là, sous les écrans et panneaux qu'elle aura démonté. De puissants compensateurs gravitiques se mettent à vrombir. Le Faucon est pris soudain d'une vertigineuse poussée à la verticale, qui tasse l'estomac de Rey au fin fond de son bas ventre.


Très inquiète, Rey se cramponne d'abord au tableau de bord les yeux grands ouverts, et elle se rend compte qu'elle part à plusieurs milliers de pieds à la seconde en vitesse conventionnelle. Puis elle tente de dés-enclencher la commande qu'elle aura activé par mégarde mais sans retrouver exactement quel levier elle aura utilisé. Son vaisseau s'élève ensuite par le museau puis se renverse de face à pile. La tête en bas, Rey profite d'un moment d'inertie préservée, précédant l'inéluctable rechute de tout. Elle s'accroche aux commandes, plus qu'elle ne les contrôle, et, pour ne pas valdinguer comme le reste des objets qui l'entourent dans le cockpit, elle tente de rectifier l'assiette du vol en donnant des coups secs latéraux sur les commandes bidimensionnelles. Mais alors que la vertigineuse ascension se poursuit toujours cependant, Rey prend peur. Elle tente fébrilement des manœuvres aléatoires sur les contrôles du vaisseau, avec l'espoir que l'une d'elles le replace par chance dans la bonne position. Au hasard d'une activation de switch, le générateur de puits de gravité situé sous les panneaux du plancher du vaisseau, s'allume enfin : il n'était en effet pas enclenché. L'occupante du Faucon, ainsi que toutes les affaires qu'elle y aura dispersées, retombent donc tous en même temps avec fracas au sol, de l'autre côté.


Puis plus rien. Rien, pendant une minute, deux minutes, dix minutes.


Dans l'espace, l'obscurité est un océan sans limite.


Rey est prise d'un petit moment d'angoisse, qui se traduit par une petite poussée de nausée et de tristesse inconnue à elle-même, et qu'elle contient. Elle entend le bruit du jeu d'échec holographique qui buzze dans son coin, qui a du se déclencher tout seul à l'arrière dans l'espace détente, lors du rallumage de l'alimentation générale. Puis, Rey essaie de se calmer en tentant de tapoter sur un bouton situé à côté de ce qui semble être un microphone, pour appeler l'astroport de Jakku, et demander de l'assistance.


Mais, curieusement, dans l'état où est tourné le vaisseau, elle ne voit aucune planète, elle se demande si c'est parce que le vaisseau n'est pas correctement tourné, qu'elle ne voit plus Jakku. Elle peut alors voir au delà des vitres du Faucon, juste une petite boule de sable brune, au loin, mais se dit que non, ça ne peut pas être Jakku. Que non, c'est trop petit. Mais, effarée, elle comprend subitement que si, c'est bien de Jakku que ce vaisseau incontrôlable s'éloigne, et ceci à une vitesse prodigieuse. Et ce monde sec, dur, ingrat, qu'elle a pourtant souvent mille fois maudit dans son cœur, lui apparaît maintenant, au regard de l'immensité inhospitalière et vide qu'est la vraie réalité, comme un abri heureux, un cadeau inespéré. Elle commence alors à pleurer d'une petite voix, en jurant un peu.


Combien de temps cette émotion dure-t-elle ? L'émotion d'être comme perdue dans une mer d'obscurité sans limite ? Il est difficile de le dire, mais, c'est à peu près à partir du moment où l'âme de Rey commençe à s'en faire une idée, qu'elle est comme tirée de l'effet de cette errance par le surgissement d'une planète dans son champ visuel.


Puis, elle entend une alarme, une communication radio qui demande au cargo Corellien de type YT-1300 de s'identifier sur le champ, c'est la station de contrôle d'une base de l'espace, la base Starkiller, qui contacte Rey.


Mais Rey ne répond pas : non pas tant parce qu'elle ne veut pas, que parce qu'elle ne sait pas répondre. Ce qui transparaît simplement est le caractère atypique de son style et de sa trajectoire de vol, pour un pilote régulier en ces zones du cosmos.


Et, parce qu'elle sait pas où appuyer, quoi enclencher, que tirer ou pousser, Rey ne peut pas être entendue en retour.


Elle largue du liquide de vidange, au lieu d'actionner le microphone, elle éjecte le contenu des toilettes sèches, au lieu d'éteindre le bip de l'alarme. Elle empire son cas, en accélérant subitement vers la zone d'approche de la base, et ce au point où trois vaisseaux intercepteurs décollent afin de la prendre en chasse.


La station de contrôle de Starkiller, dans le style expéditif qui fait sa réputation, lui donne finalement quinze secondes pour renvoyer un code d'identification valide, avant destruction. Et comme elle n'y comprend rien, Rey appuie au hasard sur un pavé numérique, paniquée. Son vaisseau fait alors n'importe quoi, il tourne en toupie, sur lui-même, comme en centrifugeuse. Et alors, c'est l'artillerie du Faucon qui s'enclenche peu après l'approche significative des rugissants Chasseurs Tie du Premier Ordre. Le Faucon se met à sulfater, en cercles concentriques, à arroser tout le périmètre, usant de salves de plus en plus denses, qui finissent alors par heurter, puis claquer, découper et enfin disloquer en explosions chatoyantes, la charpente métallique de tous les Chasseurs Tie en approche qui s'émiettent tout en conservant à l'infini leur trajectoire. Et leurs pilotes, figés en état de stupéfaction dans le vide cosmique où leurs corps éjectés errent pour l'éternité, voient cette manœuvre improbable pour la première et la dernière fois de leurs existences.


C'est alors qu'un Chasseur Tie différent, aux formes acérées et aux trajectoires nerveuses, décolle de la base : c'est Kylo Ren, le pilote mystique le plus dangereux du Premier Ordre, qui sent une vergence dans la force. Il arrive assez vite, et évite une salve de projectiles, agressions en provenance du poste d'artillerie du célèbre cargo, commises comme on lance avec une vicieuse précision des dards empoisonnés et selon une cadence d'émission pourtant imprévisible.


Kylo entreprend une trajectoire enveloppant celle du Faucon en roulis audacieux, tout en frôlant les baies vitrées du Faucon afin de voir quel pilote s'y trouve : en un seul coup d’œil aquilin, il perçoit le visage et le regard de Rey, rougi, avant de se retrouver sous le ventre du vaisseau qu'il poursuit. Rey a la tête qui tourne. Elle a bien cru voir quelqu'un qui la regardait fixement pendant un temps pourtant infime, mais dans l'urgence et le chaos, elle n'a pas le temps de comprendre.


Le Faucon casse soudain sa trajectoire, se retourne, et avance alors à reculons tout en accélérant, et en piquant vers la base Starkiller par le cul. C'est la première fois que Kylo est témoin d'une approche aussi risquée et efficace néanmoins. Il repense en une fraction de seconde au regard qu'il a entrevu. La rougeur luisante des yeux de la passagère de ce cargo, piloté par un esprit capable des folies les plus froides, lui fait à la fois espérer et craindre la Présence d'un être potentiellement aussi puissant que lui dans le côté obscur.


Pendant ce temps Rey qui ne sait toujours pas freiner ni arrêter l'engin dans lequel elle n'aurait jamais du monter, a vomi une partie de ce qu'elle a ingurgité tout à l'heure sur Jakku. Son vomi dégouline entre les boutons et les switchs chromés qui lui font face et qu'elle actionne nerveusement, en beuglant, et en jurant à moitié, dans le microphone, en demandant qu'on arrête son vaisseau à sa place, qu'on l'arrête "s'il vous plaît", qu'on l'arrête "par pitié", qu'elle s'excuse, qu'elle s'excuse... tandis que Kylo n'entend rien parce que Rey parle depuis le début non pas dans un microphone mais bien dans un démarreur de pompe à carburant.


Kylo poursuit cet ennemi, enfin à la mesure de ses talents de pilote. Il compense et redresse manuellement autant qu'il peut sa trajectoire pour piquer sur le Faucon et tenter de se caler sur un vecteur de poursuite stable. Rey résiste à la montée d'un premier spasme gastrique, mais un second spasme de vomi irrépressible gicle en gerbe drue sur l'avant de la console de pilotage, puis dégouline entre les leds à poussoir et les afficheurs d'approche atmosphérique.


Piqué au vif, Kylo veut savoir. Il n’est pas ce genre d’homme qui connaît les autres en leur posant des questions. Il connaît les autres aux travers de leurs réactions. Comme un prédateur volant en piqué sur une proie qui lui fait face et sort ses griffes en reculant, il cherche à mesurer, de bas en haut, qui l’affronte. A cette distance activer un bouclier ne sert à rien. Son viseur automatique désactivé, il enclenche la gâchette de ses deux mitrailleurs lourds ventraux pour viser où la force le lui dira, intuitivement. Ses tirs sont courts et précis, ils cisèlent net un des accumulateurs principaux des bobines d’induction électromagnétiques du Faucon. En réponse, le poste d’artilleur du Faucon lui décoche à contre temps, un nuage dispersé de tirs incandescents qui choque le pilote par leur aspect divinatoire. Kylo tire les deux manches contrôlant son vaisseau puis, tourne rapidement son chasseur personnel sur son axe central afin que deux projectiles le frôlent sans le toucher. C’est à ce moment que Kylo ressent non seulement une montée d’adrénaline inconnue de lui, mais aussi, l’effet de sa propre manœuvre sur son corps, ce qui signifie que ses compensateurs inertiels ne peuvent plus gérer la gravité de la planète.


Et l’on ne sait alors quel faux contact se produit ensuite sous la console du Faucon, effectuant alors de lui-même une double vrille brutale sur le côté, redoublée d'un salto avant complet. Une figure à peu près illisible pour Kylo qui "fait ce qu'il peut", et évite in extremis le choc frontal avec sa cible - laquelle d'ailleurs perd partiellement tout le plaquage métallique de son propulseur arrière.


Le Faucon Millenium commence à se détériorer en entrant en friction dans la très haute atmosphère planétaire. Le passage éclair de son dernier plus gros débris heurte et froisse irrémédiablement l'aile droite du Chasseur Tie, lequel, comme un cheval ailé blessé, part en vrille légère, tandis qu'un bip d'alerte insistant annonce que l'entrée dans la très haute atmosphère de la base compromet l'intégrité de la structure de la baie vitrée du Chasseur Tie. Kylo jette alors un regard à la fois lucide, ténébreux et déterminé, sur l'horizon bleuté de l'atmosphère de la base, en comprenant que l'angle et la courbe d'approche des deux vaisseaux ne leur permettra probablement aucun atterrissage, mais une collision frontale et fatale, quasi perpendiculaire au sol glacé de la planète.


Voyant le relief de la base Starkiller grossir, grossir à une allure incroyable, Rey comprend que la catastrophe est inévitable, qu'elle va y passer. Elle regarde avec effroi la gigantesque excavation qui borde l'hémisphère nord de la planète en approche, et l'incroyable couleur rubis du canon central forme un joyau à la fois horrible et parfait. Les mains tremblantes, Rey déclenche à peu près tous les boutons, les switchs, tire un levier vers l'arrière, sans effet, en pousse un autre vers l'avant, ce qui empire la vitesse et le roulis.


Le Faucon oscille et repart en replongeant plus radicalement encore vers Starkiller à reculons. De son côté, Kylo tente le tout pour le tout, il rétracte volontairement l'aile endommagée de son Chasseur Tie, aile qui finit par céder complètement, et s'arracher de son vaisseau définitivement. La boule centrale où il se tient se met à tournoyer follement à une vitesse étourdissante. La baie vitrée avant qui se fissure très lentement lui présente une alternance froide et effrénée du spectacle de la Planète grandissante et du ciel noir insondable. La main gantée de Kylo fébrile, se met à tapoter sur un levier de commande, cherchant à reproduire le rythme d'apparition du jour et de la nuit dans son cockpit.


Rey agite frénétiquement d'avant vers l'arrière un levier en commençant à émettre un long couinement plaintif et désespéré. Et n'en pouvant plus, en sueur, elle abandonne sa place et court en panique vers l'arrière du vaisseau, en beuglant les yeux rougis de larmes, se prenant les pieds dans les débris et les affaires valdinguées, sur les trappes d’accès déplacées au fil des chocs et des derniers soubresauts. La luminosité du Faucon vire au rouge sombre, Un buzz continuel doublé d'une espèce de dégazage s'empare de la moitié droite du vaisseau qui s'embrume tandis que certains tuyaux métalliques, comme plongés dans l'azote liquide, se recouvrent d'un voile de givre de sang. Blottie à l'arrière, tassée, recroquevillée en position fœtale dans la couchette, Rey pleure seule dans un vacarme ahurissant de grincements, d'alertes, alors qu'une sensation de pesanteur atroce s'immisce en elle, et signale l'imminence d'un choc redoutable. Sur la couchette, un panneau de protection technique tombe aux pieds de Rey, et une série de claquements électriques et d'arcs la fait bondir et ramper au sol avant qu'elle ne roule et tombe dans un renfoncement situé juste à côté du sas qu'elle emprunta pour rentrer dans le vaisseau. La zone est bruyante, assourdissante, car derrière les panneaux latéraux où elle se situe, vrombissent les énormes bobines des moteurs conventionnels arrière, et toute la structure du réacteur alimentant l’hyper-drive. L'amplitude du vacarme des vrombissements des bobines atteint un point quasi douloureux pour les tympans de Rey, Quelque-chose claque comme un fouet en émettant une onde de choc assourdissante. Le Faucon qui s'est empli d'une odeur de brûlé mêlée d'un filet d'air ionisé pur, est alors pris d'un terrible soubresaut. Le front de Rey se heurte violemment à un mur crasseux, laissant apparaître sous sa chevelure deux plaies discrètes où suintent de premières larmes de sang.


Kylo ressent l'effet de la pesanteur naissante cumulée à celle de son générateur de champ gravitique jouer sur l'inertie de sa rotation, et la respiration de l'homme se fait de plus en plus difficile, de plus en plus impossible. La vitesse lui comprime la cage thoracique. Une immense craquelure se forme sur le verre d’aluminium diamanté dont les vitres de son vaisseau sont faites, tandis que la vitesse de rotation du cœur du vaisseau atteint un rythme si insoutenable que jour et nuit se confondent. Il tire subitement sur le levier qui fait sauter la vitre avant, et exploser une charge sous son siège éjecté comme une fronde dans le ciel implacable. Kylo s'évanouit cinq secondes sous cette poussée phénoménale. Quand il reprend conscience, blême et livide, il ne sent plus contre ses épaules les sangles de son siège, il comprend qu'elles ont claqué ou bien lâché, il écarquille les yeux et comprend qu'il est seul, en chute libre, avec sous lui, le vide et l’impression malaisée qu’au sein de sa chute, son corps n’a paradoxalement pas de masse. Mais en haute atmosphère, l’air est si rare et si froid qu’il peine à entamer ses premières respirations. Kylo reste en quasi apnée, craignant même de se couvrir d'un film de gel de plus en plus dense s'il ne concentre et ne comprime pas plus de pression de force sur son propre corps à temps.


Il voit son siège de pilote fumant et aux contours arrachés dériver mollement dans une chute lente et logique, et percuter brutalement la structure du ventre du Faucon Millénium qui se rapproche du corps de l'homme, dans sa dérive incertaine. Au loin, le Chasseur Tie personnel qu'il chevauchait jadis, s'éloigne pour mourir, comme catapulté dans la direction opposée par réaction et disparaît, pour tomber vers le haut du ciel, dans le néant.


Enveloppé d'un vent de plus en plus présent, violent, glacial, et enfin phénoménal, Kylo en chute libre suit la même trajectoire que son siège et voit s'approcher dangereusement la silhouette du Faucon. En hurlant de colère, il mobilise alors tout son pouvoir, toute sa force, pour tendre le bras vers le vaisseau, tendre la main vers lui, et figer le Faucon, ralentir sa chute inexorable. Seul un être doté du pouvoir du côté obscur, peut accomplir l'immense exploit que Kylo Ren s'apprête à accomplir alors. Les yeux révulsés par la douleur de l'effort surhumain qu'il entend entreprendre, il tend son autre main vers l'avant qui tremble et semble se saisir de la forme du Faucon, qui ralentit, ralentit encore en grinçant comme si on en tordait la colonne vertébrale de métal. Kylo laisse s'échapper un cri de rage animal saturé, à l'image du pic ultime du pouvoir occulte qu'il convoque, et, tout en tombant lui-même en tant qu'homme comme tombe un implacable météore sur les mondes, il se rapproche du célèbre cargo. Son corps heurte alors la structure métallique jouxtant le sas d'entrée de secours du Faucon. Il sent une incroyable douleur sur toute la partie gauche de sa cage thoracique, probablement fêlée ou cassée à plusieurs endroits, et cette douleur est à la fois redoutée et inespérée en son cœur. Saisissant d'une main une anse métallique solide et de l'autre son sabre laser rouge toujours attaché à sa ceinture, il l'active et empale en un point stratégique la serrure électronique, laquelle ouvre immédiatement le sas d'entrée.


La douleur qui déchire les côtes gauches de Kylo, remonte en sa conscience par les innombrables ramifications des nervures situées à fleur de peau. Affaibli par l’effort extrême qu’il vient d’effectuer pour se donner un sursis, son visage enfiévré pâlit et miné par cette douleur quasi paralysante, il semble sur le point de sombrer.


Il ferme alors le poing et puis frappe, d’un coup violent et sec, contre la partie la plus douloureuse de sa blessure. Puis il refrappe encore. Et encore. Comme s'il voulait que sa blessure atteigne un point de douleur ultime. Un dernier coup de poing achève de rendre à Kylo un fantastique regain de conscience, de force et de détermination.


Étourdie après le choc frontal qu'elle aura subi, Rey se relève et titube quelques secondes sur les panneaux épars du célèbre cargo qui semble comme suspendu dans les airs, en équilibre mystérieux, sans masse, sans inertie, pendant quelques instants... elle ne comprend pas. Soudain, le claquement sec de la fermeture de la porte intérieure du sas de secours la fait sursauter. Elle tente de marcher mais ses pieds touchent à peine le sol. Un être d'une ténébreuse et mystérieuse noirceur s'infiltre dans l'habitacle et flotte vers elle. Et dans cet ultime moment, dans cette grâce étrange précédant le lâcher prise de Kylo qui ne peut plus soutenir à lui seul le vaisseau, leurs regards se croisent à nouveau.


Rey manifeste un temps d’incrédulité. Les dieux enverraient-ils parfois aux êtres humains restés seuls pour mourir, un ange les accompagner, pendant qu’ils jettent un dernier regard conscient sur le monde ?


Mais est-ce bien un ange, qui vient pour Rey ?


Tout chez cet être dont elle ne connaît pas le nom, et qu'elle rencontre en cette circonstance aussi folle qu'incroyable, tout lui inspire un sentiment de danger animal et de folie mystique. Cependant, la force intime et la détermination étrange qu’il manifeste, distille en elle un sentiment inconnu, inespéré.


Kylo regarde Rey : elle a un teint plus pâle que la blancheur des sables de Crait, deux lignes de sang coagulées parfaitement parallèles partent de ses tempes et descendent jusqu'en bas de ses joues. Après le choc qu'elle a subi, ses lèvres sont effacées, et cet effacement lui semble exquis. Ses yeux humides sont cernées d'une couleur rouge vif, soutenue par la luminosité mate des ocres lumières d'alertes de basse altitude. Ses cheveux sont défaits, noirs et sauvages à la fois. Rey respire avec une intensité anormale. Elle semble s'oxygéner avec une brutalité et une rythmicité solennelle effrayante, qui rappelle la respiration des sorcières du culte l'Allya.


Kylo ouvre ses sens, afin de savoir si ce qu'il pense est vrai, s'il a rencontré enfin la dyade de force noire qui l'appelle depuis les confins du cosmos : il pénètre dans l'âme de Rey pour ressentir la peur, la terreur, la colère, la détresse, la rage, et la vision d’un sublime achèvement du côté obscur. Alors que le vaisseau semble reprendre sa chute, Kylo tend vers Rey une main gantée, sans dire un mot. Maintenant que la gravité reprend pleinement ses droits, les jambes de Rey se posent au sol mais peinent à trouver des points d'appuis sûrs. Pour ne pas perdre équilibre, elle cherche d'instinct l'avant-bras de l'homme, et d'instinct, elle pose sa main dans la sienne.


S'approchant du cockpit en urgence, les deux êtres se soutenant l'un et l'autre voient les débris et objets encombrant leur trajectoire les fuir, s'écartant d'eux comme craintifs au son de leurs pas sur le sol.


La vitesse de chute du Faucon s’accroît de plus en plus. Le relief antarctique, montagneux et glaciaire de Starkiller, apparaît enfin plus net. Plus précis. D'un rapide coup d’œil, Kylo voit ce qui cloche : la propulsion conventionnelle est coupée, et configurée à l'envers, mais il est trop tard, il n'a pas le temps de la reprogrammer. Avec un effroi qu'il méconnaît en lui-même, il constate que le système de sécurité de l’hyper-drive est arraché. Ce n'est pas possible.


Pas possible qu'il échoue. La Force le guide vers l'improbable destin. C'est la Force qui lui dicte l'impossible, pour l'atteindre.


Alors que le Faucon tombe, moteurs conventionnels éteints, et n'est plus qu'à mille pieds à peine de l'impact à venir sur une falaise de glace pure, translucide, et qui sous les rayons de soleil du jour naissant, étincelle comme étincelle un diamant taillé offert aux hommes par la création.


Kylo reste debout, derrière la console de navigation. Sa main s'empare fermement d'un levier, qu'il gifle de gauche à droite, puis, saisie d'une courte hésitation interrogative, son autre main se déplace sur le manche de la mise en route de l’hyper-espace.


Le museau du vaisseau dérive et pointe vers l'horizon, vers les cimes du paysage glacial qui s'offre aux occupants du Faucon Millenium.


Il ne reste plus que la vitesse supra luminique. Sans calcul de trajectoire, sans destination définie, le risque est total. A une telle vitesse, ils peuvent se retrouver au bout de la galaxie, ou rester condamnés à infiniment errer dans l'hyper-espace, ou alors, traverser Starkiller et éventrer la planète. Le vaisseau tangue, aucun calcul n'est plus possible. Elle pose sa main par dessus celle de Kylo qui serre plus fort le levier d'hyper-drive. Ils ferment les yeux.


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