In Medias Res - Star Wars Knights of The Old Republic

Chapitre 5 : Taris - Réception

6759 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/08/2022 20:02

La nuit était presque tombée. Je marchais silencieusement à travers les rues d'un secteur relativement chic, situé non loin du quartier que Carth et moi avions investi. En cette soirée qui s'annonçait très spéciale, il avait été convenu de me défaire de quelques-uns des vêtements qui risquaient trop aisément d'évoquer mon engagement envers la République.

La soirée que je devais infiltrer pouvait effectivement compter quelques poignées d'officiels de la République ; pour autant ma tenue avait tout sauf un caractère civil. Il était vital de ne jamais révéler mon affiliation aux forces armées républicaines. Par conséquent, Carth et moi avions dû fouiller de fond en comble l'appartement que nous occupions, en quête de tout vêtement qui me permettrait de passer inaperçu. La mission était loin d'être évidente, dans la mesure où notre abri, de toute évidence désaffecté depuis fort longtemps, avait peu à nous offrir, hormis une veste foncée, se voulant relativement habillée, sans toutefois être de fabrication luxueuse. Impossible de savoir depuis combien de temps ce vêtement traînait, mais force était de constater qu'il méritait quelques retouches. Aussi, avais-je pris un moment pour effectuer un nettoyage rapide mais efficace, en évitant de devoir attendre des heures que le tissu ne sèche. Dans le même temps, j'avais également profité de l'occasion pour me donner un petit coup de propre. Quand j'avais finalement quitté l'appartement pour rejoindre la réception, je portais la fameuse veste par-dessus mon sous-pull noir, dont le col remontait jusqu'à la base du cou, ainsi qu'un pantalon droit, tout à fait ordinaire, et la paire de bottes de Carth, aux allures beaucoup moins martiales que la mienne.


En enfilant chacun de ces vêtements, je pensais qu'une telle tenue susciterait bien plus d'attention que ma combinaison régulière. Toutefois, et contre toute attente, je devais reconnaître que le résultat n'était pas aussi désastreux que je ne l'avais imaginé. Je pouvais même avouer que je me sentais plutôt élégant.


Alors que je me dirigeais vers la position indiquée par les coordonnées, je pouvais observer ici et là de petits groupes de personnes qui semblaient se rendre à la même adresse que moi. Je ne saurais dire si ces individus étaient des Sith, des officiels de la République, ou des personnes conviées à la dernière minute comme ce fut mon cas. Ou plutôt celui de Carth.


Soudain, je me sentis envahi par une pression particulièrement inconfortable qui vint se coincer dans ma gorge. C’était une sacrée histoire dans laquelle je m’embarquais. Moi, le linguiste amnésique. Coincé sur une planète quadrillée par les Sith, à chercher des solutions toutes plus surréalistes les unes que les autres pour retrouver une Jedi présentée comme une légende vivante. Je ralentis mon allure et je glissai ma main sous ma veste, puis je tâtai de mon index et de mon majeur la petite poche de mon sous-pull, cousue entre mon aisselle et mon pectoral gauches. Je sentis un mince relief, que je pinçai alors de mes deux doigts, comme pour m'assurer que c'était bien là. Il s'agissait de la fiche que Sarna avait remise à Carth plus tôt dans la journée. Le sésame pour accéder aux festivités.


Tandis que je pinçais encore inconsciemment l’objet, je fus bousculé par un de ces petits groupes de personnes, qui arpentaient la rue. Instinctivement, je posai la main à plat contre ma poche, pour éviter que la fiche ne s’en échappe, puis me tournai vers la cause de la collision. Dans mon dos, se trouvaient alors deux personnes, deux femmes, qui me fixaient d’un air à la fois désolé à la fois hilare. L’une, une humaine à la chevelure brune particulièrement sombre, qui devait approcher la trentaine, semblait chercher à regagner une certaine forme de sérieux. L’autre, une petite Twi’lek à la peau bleue n’était clairement pas dans l’idée de quitter son état parfaite allégresse. Ces deux jeunes femmes étaient visiblement déjà plongées dans un état d'esprit plutôt festif, et semblaient quelque peu désinhibées sans toutefois être spécialement alcoolisées ; ce qui était plutôt rassurant car je suspectais la Twi’lek d’être d’un âge encore adolescent. Il s’agissait de toute évidence de deux amies qui s’embarquaient dans une folle soirée. Je retirai la main de ma veste, et continuai à observer les femmes, qui affichaient un air de plus en plus embarrassé. L’humaine lança un coup d’œil rapide à son amie, fit un pas vers moi, et sa main se posant sur mon bras, elle engagea la discussion :


« Je vous prie de nous excuser, Monsieur. » Commença-t-elle d’une voix enjouée par cette attitude fêtarde qu'elle ne parvenait pas à quitter, mais elle paraissait toutefois sincère. « On a manqué de vigilance. On vous a fait mal ? »


Je ne répondis pas immédiatement. Je jetai un œil sur la jeune Twi'lek qui, surveillant son amie avec beaucoup de curiosité, se retenait visiblement de rire.


« Non, ne vous inquiétez pas. Ce n'est pas grave. » Dis-je finalement, les yeux regagnant l’humaine. Je hochai légèrement la tête, puis, prêt à reprendre la route, je terminai :


« Passez une bonne soirée, mesdames. »


Je fis demi-tour et je poursuivis ma route, mais je restais attentif à ce qui se chuchotait dans mon dos. De toute évidence, les deux femmes se tenaient toujours au même endroit, et semblaient échanger quelques messes basses. Il m'était difficile de distinguer ce qui se racontait, et plus je m'éloignais, plus leurs paroles devenaient inaudibles. Cependant, entre deux éclats de rire, je parvins à deviner quelques bribes de phrases :


« … je te l’avais dit…. Allez ! Dépêche-toi ! … s’en va ! »


À mesure que je me distançais des deux amies, mon esprit se replongeait dans sa mission première : la réception, trouver un moyen de gagner la ville basse librement et... légalement, si possible. Je devais faire preuve d'astuce et de précaution. Je n'avais aucune idée de ce à quoi m'attendre d'un tel événement. Et plus le temps passait, plus je craignais de me retrouver sans solution devant Carth.


« Attendez ! »


Je m'arrêtai et me retournai en direction de la voix qui venait de me solliciter. Un peu plus loin, je vis la femme trotter vers moi, distançant sa jeune amie, laquelle ne semblait guère pressée.

« Je peux vous aider ? » Demandai-je.


La femme interrompit sa course à deux pas de moi et me fixa d'un air embarrassé. On aurait dit qu'elle voulait me parler, mais visiblement les mots ne sortaient pas. Je lui accordai un peu de temps – laps de temps qui me laissa le loisir de mieux l’examiner. Elle était habillée d'une sorte de tailleur vert foncé, et tenait dans sa main droite une petite pochette d'une teinte semblable. Ses cheveux presque noirs, ondulant généreusement sur ses épaules et le haut de son dos, faisaient ressortir sa peau particulièrement blanche et ses yeux clairs, dont je ne savais pas définir la couleur précise dans l’obscurité de la nuit tombante. Cette femme avait beaucoup d’allure, c’était indéniable. Une allure qui n’était pas sans rappeler celle du Commandant Shan. Cependant la femme qui était devant moi dégageait une incertitude que la Jedi ne présentait pas du tout. Alors que mes yeux erraient certainement maladroitement au gré de ses charmes, je m’arrêtai un bref instant sur son poignet gauche, qui, sous la manche de sa veste, présentait comme un bandage couleur chair. Une teinte généralement choisie de manière à garder le pansement aussi discret que possible. Pourtant, sur la peau blême de la femme, il était particulièrement remarquable. Toutefois, je ne pus m’attacher longtemps à ce détail, car son autre main vint tirer la manche par-dessus le bandage. Je levai les yeux vers les siens. Elle me fixait cette fois avec un air que je trouvais presque menaçant. Conscient que mon observation quelque peu soutenue l’avait offensée, je tentai de la rassurer :


« J’espère que ce n’est rien de trop grave. » Dis-je avec un sourire sobre qui se voulait bienveillant.


Aussitôt, son regard se radoucit et elle répondit à mon sourire avec timidité. Peut-être était-elle même quelque peu émue par ma sollicitude.


« Non. » Répliqua-t-elle toujours dans un certain embarras. « Rien du tout. Je n’aime pas les plaies, je voulais juste cacher cette égratignure. » Pendant notre échange, je notai que la petite Twi’lek s’était largement rapprochée de nous, mais elle conservait une distance respectable.


« Visiblement, j’ai raté mon coup. » Finit l’humaine derrière un rire artificiel.


« Je suis désolé, je ne voulais pas vous embarrasser. » Lui dis-je, les yeux dans les siens.


« Non, c’est moi qui suis trop attachée à mon apparence. » Répondit-elle sur un ton soudainement ragaillardi. « Nous allons à une réception ce soir, et je voulais bien présenter. »


« Vous présentez mal ? » Questionnai-je rhétoriquement. 


La femme m’adressa un regard surpris, et m’offrit un sourire généreux auquel je répondis. Une série de bips nous sortirent de ce moment de ce qu’on pourrait finalement qualifier d’ersatz de flirt. Je levai la tête en direction de ces sons, et je pus constater que ceux-là provenaient de l’adolescente un peu plus loin. La femme tourna également son attention vers elle. La petite Twi’lek s’affaira énergiquement et sortit d’une petite sacoche accrochée à sa ceinture un communicateur qui semblait bricolé avec les moyens du bord. La toute jeune femme s’éloigna alors de nous et répondit à l’appel. De là où nous nous trouvions, il nous était impossible d’entendre quoi que ce soit. Je vis l’humaine se tourner à nouveau vers moi, et m’adressa un nouveau sourire accompagné d’un haussement d’épaules.


« Vous vous rendez aussi à la réception ? » Me demanda-t-elle avec espoir.


« Tout à fait. » Répondis-je. « Je m’appelle Voren. » Ajoutai-je en tendant la main, qu’elle ne tarda pas à saisir.


« Sivir. » Annonça-t-elle avec un large sourire. « Je suis fonctionnaire. J’étais en charge des questions de sécurité dans les secteurs proches. »


J’écarquillai les yeux. Je pris toutefois soin de regagner une attitude composée, pour n’éveiller aucun soupçon sur l’intérêt nouveau que je pouvais alors avoir pour elle.


« Vous étiez ? » Soulignai-je en libérant finalement la main de Sivir.


« Oui, quand les Sith ont débarqué, ils ont investi nos structures et se sont mis en tête de se charger de tout. » Dit-elle avec une certaine mesure d’exaspération. « Oh, ne vous en faites pas, j’ai toujours du travail ! » Ajouta-t-elle. « Mais on nous laisse moins de libertés qu’avant. »

Je hochai la tête dans une certaine absence. Malgré les problèmes auquel elle semblait devoir faire face, cette rencontre relevait du miracle. Cette femme pouvait m’aider. Il me fallait juste laisser plus de temps passer et lui prouver que j’étais digne de confiance.


Mais l’était-elle vraiment, elle ? Après tout, elle passait ses journées aux côtés de Sith, et était conviée à une réception originellement organisée entre des Républicains peu scrupuleux et les Sith. Je devais être vigilant. Et j’avais le sentiment qu’elle et sa jeune comparse cachaient des choses. Elles faisaient un drôle de duo, toutes les deux.


« Et vous ? » Demanda Sivir d’une voix sincèrement curieuse. Le regagnai ses yeux et, alors que je m’apprêtais à bafouiller quelques tentatives de phrases, un sifflement strident nous ravagèrent les tympans, et ceux des autres passants dans la rue. C’était encore une fois la Twi’lek. Sivir se tourna en sa direction. L’adolescente leva franchement sa main droite et fit un signe soutenu à son amie ; un geste si haut perché que la manche de son chemisier rejoignit le coude, révélant une série d’innombrables breloques suspendues à son poignet. Sivir répondit par un hochement de tête entendu. La toute jeune femme fit un nouveau signe de la main, plus classique, comme pour nous saluer et se sauva en toute hâte.


« Vraiment curieux, tout ça. » Pensai-je, en suivant la jeune fille du regard.


« Voren ? » Apostropha la femme. J’adressai à nouveau mon attention à elle.


« Oui… euh… » Tentai-je avant de rependre plus sereinement. « Je vais être très honnête avec vous. Je n’ai strictement aucune bonne raison de me joindre à la réception. » Je vis le front de la jeune femme se plisser à mesure que je m’expliquais. « Je suis enseignant. Et hier soir, je suis allé boire un verre avec un collègue dans la cantina de mon quartier. Une femme un peu éméchée nous a accostés et nous a donné un laissez-passer pour la réception de ce soir. C’est tout. »


La jeune femme cligna plusieurs fois des yeux avant de répondre.


« Pourquoi êtes-vous seul alors ? »


« Mon ami a la chance d’avoir une vie de famille. » Annonçai-je d’une voix feignant l’amertume. « Et moi, je suis arrivé sur Taris il y a peu, je n’ai personne à part des collègues. Je me suis dit que cette réception, ça pouvait être l’occasion de faire des rencontres. » Ajoutai-je le regard fermement scellé sur Sivir, si bien que je crus voir ses joues commencer à rougir.


« Ça semble bien s’annoncer en tout cas. » Répondit-elle, dans une maîtrise d’elle retrouvée.

Je tendis mon bras, et, un sourire séducteur aux lèvres, je lui proposai :


« Vous m’accompagnez ? »


Sivir me lança un regard presque heureux, comme si elle attendait cela depuis le début de nos échanges. Elle saisit mon bras d’une main délicate et répondit chaleureusement : 


« Volontiers. »


Nous partîmes alors ensemble en direction du lieu de la réception. Je ne me sentais pas tout à fait fier de ce j'entreprenais. Ce n’était pas dans ma nature de me jouer des gens comme je le faisais à l’instant. Mais la situation nécessitait ce genre d’actions. Et je devais admettre qu’une partie de moi n’était pas totalement indifférente aux charmes de Sivir. Toutefois, il ne fallait pas perdre de vue mes objectifs à court et long terme : la ville basse, retrouver Bastila Shan.


           Nous marchâmes encore une dizaine de minutes avant de rejoindre la fameuse soirée. Dizaine de minutes pendant laquelle je dus faire preuve d’intelligence et d’assez de sournoiserie pour que mes mensonges tiennent la route. Je m’étais alors inventé une toute nouvelle vie, une toute nouvelle carrière. Bien entendu, je n’avais pas échappé aux pires questions possibles : à quel établissement j’étais rattaché, où étais-je avant cela, etc. J’ai alors prétendu être enseignant remplaçant, ce qui me permettait de rester assez flou quant aux établissements dans lesquels j’intervenais. J’étais officiellement enseignant en début de carrière, qui venait du milieu de la traduction littéraire, milieu ô combien ingrat dans lequel je n’avais jamais réussi à percer, d’où ma prétendue décision de m’orienter vers l’enseignement. Mon parcours n’avait pas eu l’air de la laisser dans le soupçon, au contraire. Elle semblait sincèrement désolée pour moi, de ne pas avoir pu vivre de ce qui était censé être une de mes passions.


Le lieu où se tenait la réception ressemblait à une immense villa, qui surplombait tout le quartier que nous venions de traverser. Le bâtiment paraissait s’élever sur au moins trois étages, et la façade présentait de gigantesques colonnes en pierre blanche qui venaient se terminer sur un toit d’un rouge semblable à du havod. Une teinte élégante, particulièrement appréciée des populations les plus aisées.


Nous ne dûmes pas spécialement lutter pour accéder à l’intérieur du bâtiment. Un vigile s’était contenté de vérifier mon laissez-passer, sans prêter attention au nombre de personnes conviés que celui-ci indiquait. Sivir et moi purent entrer tous les deux sans éveiller une quelconque attention. Je pensais raisonnablement que sa qualité de fonctionnaire dans une structure certainement aussi prisée que celle de la sécurité faisait d’elle une personnalité connue. Ou tout du moins vaguement reconnaissable. Quoiqu’il en soit, j’étais rentré. Il n’était pas nécessaire de se torturer avec ces questions. A présent, il s’agissait de recueillir des informations utiles, voire des solutions concrètes.


           En ce tout début de soirée, Sivir et moi restâmes l’un avec l’autre à poursuivre nos échanges en navigant dans les dédales de pièces que cette immense bâtisse abritait. Assez étrangement, je la sentais bien moins intéressée par moi que lorsque nous étions à l’extérieur. Décidant de ne pas prêter pus d’attention que cela à ces questionnements, je profitai de ces déambulations pour observer notre environnement, et force était de constater que rien ne semblait m’interpeler. C’était une réception on ne pouvait plus classique : d’innombrables petits groupes de personnes échangeant sur tout et rien, un verre d’alcool à la main. Comment allais-je me retrouver dans tout ce bazar ? Comment allais-je bien pouvoir mener ma mission à bien ? Alors que nous nous dirigions vers une autre pièce bondée, je décidai de cuisiner Sivir, qui pouvait certainement m’apporter des informations bien utiles.


« Vous me disiez que vous travailliez pour… ? » Commençai-je, attendant d’elle qu’elle termine ma question.


Elle me lança une moue étonnée. Le regard fuyant, elle amena le verre qu’on venait de lui apporter jusqu’à ses lèvres et en sirota une très petite quantité.


« Département de la Sécurité. » Répondit-elle sèchement, les lèvres qui frôlaient encore le verre.


Je ne comprenais pas cette nouvelle attitude. Etait-elle mal à l’aise par la foule ? Par les Sith qu’elle paraissait ne pas porter dans son cœur ? Par moi ? Ou par tout cela à la fois ? Peu importait, il fallait absolument que je l’interroge davantage sur ce qu’elle faisait. Je bus à mon tour une lampée du même breuvage qui m’avait été également donné. Manifestement, il s’agissait d’un vin sucré. Pas désagréable. J’en bus une deuxième lampée, puis repris mes tentatives d’interrogatoire.


« Ça ne doit pas être de tout repos, j’imagine. » Dis-je derrière un rire discret et assez eu authentique.


« En effet. » Répliqua la femme sans chercher à développer.


Je poussai un soupir las, et embarrassé. Que se passait-il bon sang ? Je décidai de ne plus rien dire pour le moment. Je me contentais d’observer la jeune femme. Non seulement elle était devenue tout à fait muette, mais elle ne m’adressait même plus un regard. Je remarquai qu’elle était bien plus intéressée par les convives que par moi. Et en faisant le cheminement inverse, je réalisai qu’elle n’avait cessé de balayer du regard chaque pièce que nous avions traversée. Ou plutôt chaque pièce qu’elle avait traversée avec moi à ses basques.


Il n’y avait là aucune volonté de sa part de partager une charmante soirée à mes côtés. Elle était rentrée, et elle avait très vite entamé un examen minutieux de chaque salle de la villa. Ma présence, au mieux, ne changeait rien à cela, au pire l’ennuyait profondément. Je ne pus m’empêcher de me sentir vexé, même si, finalement, je jouais un jeu similaire, mais peut-être avec une plus grande naïveté. Je ne savais pas ce qu’elle fabriquait ici, mais je comprenais qu’elle n’était pas là pour profiter des mondanités. Quoi faire ? Nous séparer et reprendre le cours de ma quête comme prévu initialement, à savoir seul ? Ou essayer de la confronter à ce qu’elle cachait ? La deuxième option me paraissait bien plus séduisante, bien que tout sauf raisonnable.


Tant pis.


« Ça fait longtemps que vous prévoyez d’infiltrer cette réception ? » Demandai-je alors à voix basse.


Soudainement, Sivir détacha ses yeux de la foule et, pour la première fois depuis que nous étions rentrés, elle vint trouver les miens, et, visiblement, elle ne sut pas dissimuler sa grande surprise face à une question aussi inattendue. Je poursuivis moins discrètement :


« Vous auriez pu m’en parler directement, au lieu de me faire les yeux doux. »


Sivir jeta quelques coups d’œil autour de nous, certainement de façon à s’assurer que nous n’attirions aucune attention. Puis elle regagna mon regard, et, sur un ton autoritaire, elle répliqua :


« Un sermon venant d’un faux enseignant qui n’a rien à faire ici, c’est amusant. »


A mon tour d’être pris au dépourvu. Je fixai la femme de mes yeux si grand ouverts que davantage aurait été douloureux. Mon expression lui provoqua un accès de rire satisfait.


« Vous ne connaissez pas les politiques en matière d’instruction ici, visiblement. Taris ne recrute plus le moindre enseignant contractuel depuis les trois dernières révolutions. Ici, ça ne marche que par concours, et ils ne sont accessibles qu’aux personnes ayant suivi le parcours académique proposé dans les universités de Taris. Autrement dit, rien de ce que vous m’avez raconté ne tient debout. Je suis à jour sur beaucoup de sujets. »


Elle sirota à nouveau un peu de vin, de ce même air contenté, et poursuivit :


« Mais j’ai beaucoup apprécié vos histoires de classes difficiles. Ça a eu le mérite de me faire rire. On s’y croyait. Maintenant, laissez-moi gérer mes affaires, et je vous laisse gérer les vôtres. »


A ces mots, elle termina son verre et m’adressa un avertissement, d’une voix mesurée :


« Soyez prudent. Les Sith ne ménagent pas les rescapés du croiseur républicain. »


Sivir quitta alors la pièce, me laissant comme un parfait idiot dans mon coin, mon verre à la main. Je soufflai lourdement. Comment avait-elle pu deviner que j’étais sur l’Endar Spire ? J’inspectai discrètement ma tenue, à la recherche du moindre indice révélant cette réalité qui devait pourtant restée cachée. J’avais beau regarder le moindre centimètre carré de mes vêtements, de mon allure, rien ne pouvait laisser penser cela. Comment savait-elle ? Qui était-elle ? Et la petite Twi’lek qui s’était sauvée après un curieux appel ? Qu’est-ce qu’elles fabriquaient, ces deux-là ? Il fallait que je garde un œil sur elle. Nous avions au moins en commun de fomenter quelque intention secrète. Elle pouvait peut-être malgré s’avérer utile dans mes affaires.


La soirée se poursuivit sans grande avancée de ma part. Plus le temps passait, plus ma confiance s’étiolait. Je n’étais visiblement pas l’homme d’une telle situation. En quelques instants, j’avais réussi à me faire repérer par une illustre inconnue, alors qu’avais-je à espérer de mes performances de comédien devant des officiels Sith ?


Chacune de mes tentatives de me mêler à un groupe s’était terminée certes parfois dans des embrassades chaleureuses, mais surtout sans le moindre début d’information utile. Comment pouvais-je bien soutirer quoi que ce soit à ces gens sans éveiller la méfiance ?


Je me trouvais à ce moment encore greffé à un autre petit groupe de Sith, et, alors que je commençais sérieusement à envisager de mettre fin à mon infiltration qui me paraissait être une vraie perte de temps, ils abordèrent des sujets qui éveillèrent enfin mon attention. En effet, aux côtés de ces quelques personnes, j’avais pu en apprendre un peu plus sur les gangs qui sévissaient dans la ville basse. Deux groupements étaient clairement en tête dans ces conflits entre vauriens et criminels : les Beks Cachés et les Vulkars Noirs. Les premiers étaient dirigés par un type nommé Gadon Thek, quand les autres étaient sous la gouvernance d’un certain Brejik. Les gangs donnaient du fil à retordre aux Sith fraichement débarqués sur la planète. L’inverse était tout aussi vrai d’ailleurs. Il se racontait que certains Beks avaient pour habitude de remonter dans la ville haute par des moyens détournés, et, parfois, particulièrement acrobatiques. Je ne savais de quoi il en retournait, mais j’imaginais qu’il était question d’infiltration plutôt sportive. Cela voulait dire qu’il était possible de rejoindre la ville basse en contournant la sécurité Sith. Mais comment mettre la main sur un Bek Caché ?


« Nous essayons de colmater les failles, mais c’est mission impossible. » Entendis-je de la part d’un des convives. « Cette vermine se faufile n’importe où. Dès que tu lui coupes un accès, sois sûr qu’elle en trouvera un autre l’heure qui suit. »


« Ils connaissent leur ville, Musthar. » Répliqua l’une de ses collègues d’une voix posée. « Nous, on est là que depuis peu. On ne pouvait pas s’attendre à autre chose. Et la République a fait un travail calamiteux en ce qui concerne la répression de ces gangs. »


« Ça, c’est sûr qu’on n’est pas aidés. » Termina le fameux Musthar en amenant son verre à ses lèvres.


Alors qu’un silence tomba dans le groupe, je me fis violence et osai poser une question qui pouvait être perçue avec méfiance :


« Mais alors… » Commençai-je en feignant une curiosité naïve. « Comment vous arrivez à repérer un Bek Caché parmi la population habituelle ? »


Les quelques Sith me lancèrent tous un regard que je ne savais qualifier. Ce qui était néanmoins réel, c’était ma violente montée d’angoisse que je tentai au mieux d'étouffer. Voyant que ma question avait visiblement attisé l’attention de mes compagnons de soirée très temporaires, je m’autorisai ces quelques mots supplémentaires :


« Désolé. » Fis-je d’un air faussement gêné. « Je suis de passage sur Taris. Je suis commerçant, et votre arrivée a quelque peu chamboulé mes voyages d’affaire. Je n’étais pas censé rester ici aussi longtemps. »


Musthar et la plupart de ses collègues esquissèrent alors un sourire compréhensif, puis semblèrent retrouver leur attitude initiale. Toutefois, la femme qui avait répondu à l'homme ne me quittait pas des yeux.


« Les Beks Cachés ne se cachent pas si bien que ça. » Finit par répondre le Sith. « Ces imbéciles ont un rituel barbare qui consiste à marquer au fer rouge chaque nouveau membre. Une idée lumineuse qui vient de leur chef. Souvenir des Guerres Mandaloriennes, semble-t-il. Ils ont tous une sorte de petite croix sur le dessous du poignet droit. »


Sur le dessous du poignet ? Une image de ma soirée me revint alors. Sivir. Le pansement couleur chair. Et sa toute jeune amie, qui portait un impressionnant attirail de breloques autour de son poignet. S’agissait-il du droit ? Je ne me souvenais pas. La petite Twi’lek avait filé si vite que je n’avais pas pu prendre le temps de m’arrêter sur un tel détail. Cependant, beaucoup d’éléments semblaient faire sens. Je savais avec certitude que ces deux jeunes femmes fomentaient quelque chose. Sivir m’avait utilisé pour infiltrer la soirée, et n’avait pas attendu bien longtemps avant de vaquer à ses obscures occupations, me laissant totalement de côté.


« Comment un simple commerçant s’est retrouvé convié à cette réception ? »


Je levai la tête vers la personne qui venait de poser cette question avec tant de sévérité que mon sang se figea la seconde suivante. C'était cette femme, qui ne m'avait jamais lâché des yeux. De toute évidence, elle se méfiait de moi. Et je ne pouvais pas lui en vouloir. Que devais-je dire ?


Je baissai mon regard un instant, et poussai un soupir défait, ce qui sembla nourrir cette méfiance que la femme avait à mon endroit. Je relevai la tête, et, la fixant avec résolution, je dis :


« Je vais être tout à fait honnête avec vous. » Commençai-je. « J’ai rencontré une de vos collègues tout à l’heure, à la cantina du quartier marchant. Elle m’a interpelé et m’a invité à boire un verre avec elle et avec ses amis. J’ai accepté, et… » Je fis une pause pour saisir dans ma poche la petite fiche qui m’avait permis d’être là ce soir, et de la tendre à la Sith. « … elle m’a donné ce précieux sésame. »


La Sith tendit à son tour sa main et attrapa la fiche, qu’elle inséra dans un petit bloc de données qu’elle sortit d’une minuscule sacoche. Pendant qu’elle inspectait le contenu de la fiche, je poursuivis :


« Je suis désolé, j’ai bien conscience que je n’ai rien à faire ici. J’étais curieux de participer à une soirée comme celle-là. »


La femme continua à examiner les données pendant quelques secondes. Je jetai alors un coup d’œil vers ses collègues. Musthar et un autre Sith semblaient amusés de la situation, tandis que les deux autres échangeaient des regards inconfortables. Je supposais que ces regards s’expliquaient surtout par l’attitude peu commode de la femme. Soudainement, mon attention fut à nouveau attirée par cette dernière, qui poussa un léger soupir, retira la fiche de son bloc et me la tendit à nouveau. Je m’en saisis aussitôt et lançai un regard interrogateur à la Sith.


« Quand je dis qu’on devrait faire un sacré ménage dans nos effectifs. » Dit-elle à l’adresse de ses collègues. « Nos hommes et nos femmes ne trouvent rien de mieux que de vautrer dans les cantinas et de boire comme des trous. Voilà ce qu’on y gagne. » Ajouta-t-elle en me désignant d’un geste de la tête plutôt condescendant. Les hommes qui l’entouraient lui jetèrent alors un regard qui oscillait entre le choc par ses propos et l’approbation qui était attendue d’eux. Doucement, le groupe sembla chercher à se désolidariser de moi, et commença à initier le pas vers une autre pièce. Avant de me quitter définitivement, la femme me lança comme un avertissement :


« Ne soyez pas trop curieux, si vous voulez éviter les problèmes. »


Puis ils disparurent dans le dédale de salles de l’immense bâtisse. J’étais à nouveau seul, mais avec quelques informations intéressantes. Cet instant somme toute délicat avec ces personnes m’encouragea à ne plus m’attarder ici. D’une certaine façon, j’avais été repéré. Il n’était pas sage de retenter le coup avec d’autres. Il fallait commencer à penser à quitter cet endroit. Je raclai discrètement ma gorge, et je vins poser mon verre sur un dessus de ce qui ressemblait à une cheminée. D’un pas assuré, je m’engageai à travers plusieurs salles, en direction de la sortie. A plusieurs dizaines de mètres de celle-ci, Je ralentis le pas, jusqu’à m’arrêter, car j’avais aperçu du coin de l’œil Sivir paraissant suivre un Sith avec lequel elle avait été visiblement en plein échange. Le regard de l’homme ne trompait pas, il avait certaines idées derrière la tête. De toute évidence, elle savait parfaitement ce qu’elle faisait. Je ne devais pas m’inquiéter de ce qui allait se passer entre ces deux-là. Je repris ma route en direction de la sortie. Toutefois, je ne pouvais m’empêcher de penser que cette femme était en mesure de m’apporter des solutions. Je m’arrêtai à nouveau, et tournai à nouveau la tête vers Sivir et cet homme. Avec difficulté, je pus noter qu’ils s’apprêtaient à emprunter un escalier. Je regagnai la sortie du regard, et je soufflai.


« Et merde. » Murmurai-je.


Sans plus attendre, je fis volte-face et me dirigeai vers l’escalier que venaient de gravir les deux compagnons de soirée. Au pied de celui-ci, je pus percevoir quelques rires féminins qui ne laissaient que peu de doutes quant à l’identité de la personne qui les avait poussés. Je grimpais les marches et atteignis un large palier desservant un immense couloir. Quelques personnes éméchées vadrouillaient ça-et-là. Je m’engageai dans le couloir, le pas mesuré, à la recherche de Sivir et du Sith. Une douzaine de mètres plus loin, le couloir donnait sur une vaste salle où plusieurs couples semblaient commencer à s’adonner à des plaisirs qui auraient mérité un soupçon plus d’intimité à mon sens. J’examinai la pièce du regard, à la recherche de Sivir, que je finis par repérer à l’autre bout, et que je voyais franchir une porte vers une autre pièce encore. Avec résolution, j’entamai le chemin qui me séparait de cette pièce, que j’espérais être la dernière, quand je fus soudainement saisi par le bras. Je me retournai et pus voir une femme, de toute évidence dans un état second, maladroitement accrochée à moi.


« Vous m’emmenez bellâtre ? » Demanda-t-elle, aussi désireuse qu’ivre morte. Je posai doucement ma main sur son propre bras, dans l’idée de l’accompagner s’assoir sur une banquette sans la brusquer.


« Pas ce soir, je regrette sincèrement. » Mentis-je en l’installant sur la banquette. Elle afficha une moue exagérément déçue qui me provoqua un rire amusé.


« Tant pis pour vous alors ! » Ajouta-t-elle avant de se perdre dans un accès de rire, en réponse au mien.


« Tant pis pour moi. » Terminai-je d’une voix chaleureuse.


Je repris enfin la direction de la pièce que Sivir et le Sith avaient rejointe. Une fois devant, je tendis l’oreille quelques instants. Force était de constater que je n’entendais rien de particulier. Il fallait entrer et aviser. Alors que je m’apprêtais à actionner la poignée, un cri retentit dans la pièce. Une voix aigüe. Celle de Sivir. Sans attendre plus longtemps, j’ouvris la porte et fonçai droit dans la pièce. J’y aperçus à quelques mètres la jeune femme visiblement dans une bien mauvaise posture face à l’homme. La veste de son tailleur reposait douloureusement sur le sol, et le haut qu’elle portait en dessous présentait plusieurs déchirures. J’eus le temps également de remarquer que son fameux pansement était partiellement décollé. Mais ce n’était pas le moment d’inspecter la pièce de fond en comble, il me fallait neutraliser cet homme qui, de toute évidence, était en train d’agresser la femme. J’emboîtai le pas vers le Sith qui n’avait même pas remarqué ma présence. Je l'attrapai violemment par le col et l’amenai derrière moi, de façon à ce qu’il n’ait plus un accès direct à Sivir. L’homme paraissait totalement déboussolé par ma présence. Mais je ne lui laissai pas le loisir de se remettre, car, presque instinctivement, je lui assénai un crochet avec toute la puissance que je pouvais mobiliser. Si bien que je pus sentir et entendre un craquement qui indiquait clairement que je venais de lui briser des os. L’homme s’effondra aussitôt, plongé dans une profonde inconscience.


Je me retournai vers la femme, qui me regardait avec effroi, les bras croisés contre sa poitrine très partiellement découverte. Quelques secondes s’écoulèrent et Sivir finit par quitter sa torpeur, en se précipitant vers le Sith. Pensant alors que j’avais mal jugé la scène que j’avais vue, je m’autorisai quelques mots :


« Je suis désolé, Sivir. Je pensais qu’il s’en prenait à vous. »


La jeune femme ne répondit rien, et s’affaira sur l’homme inconscient. Je fis un pas en leur direction, et profitai alors du moment pour observer le poignet de Sivir. Elle s’en rendit visiblement compte, car, à peine une seconde plus tard, elle tourna la tête vers moi et arracha le restant de son fameux pansement, laissant apparaître une petite croix sur sa peau blême.


« Oui, ça cache bien ce que vous pensez ! C’est pour ça qu’il s’est emporté ! » Aboya-t-elle. « Vous êtes content ? »


Sans attendre de réponse, elle me quitta des yeux et s’affaira à nouveau sur le Sith. Elle le fouillait. Après une douzaine de secondes, elle saisit un petit bloc de données qu’elle inspecta minutieusement. Au bout de quelques manipulations, elle se releva, le bloc entre ses mains et se tourna à nouveau vers moi :


« Il faut qu’on parte maintenant, avant qu’il ne se réveille et nous dénonce. »


« Ca me convient. » Répondis-je platement.


« Je me fiche que ça vous convienne ou non ! » Rétorqua-t-elle sur un ton colérique. « On part, point. On sort ensemble, comme on est entrés tout à l’heure. Une fois dehors, vous faites ce que vous voulez, moi, je retourne en bas. »


« Vous ne croyez pas qu’il serait plus sage dans ces conditions que vous n’essayiez pas de regagner la ville basse. Si le type se réveille bientôt, il va prévenir tous les Sith aux alentours. La sécurité en sera aussitôt renforcée. »


La jeune femme ne répondit pas. Elle semblait réfléchir.


« Un collègue et moi investissons un appartement dans un quartier proche. Vous y serez sureté pour la nuit. » Ajoutai-je.


Sivir poussa un soupir. Puis me lança un regard troublé.


« Je n’ai pas d’alternative plus viable. » Dit-elle d’une voix défaite. « D’accord, je vous suis. »

Je hochai la tête. Puis je fis quelques pas de côté, pour ramasser la veste de la femme que je lui tendis :


« Tenez, remettez-la, et sauvons-nous. »


Elle s’exécuta. En à peine quelques courtes minutes, Sivir et moi avions quitté la réception, et nous prirent la direction de l’appartement où nous allions retrouver Carth.


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