La Trilogie de l'Expansion

Chapitre 1 : Troubles-fêtes et faits troubles

Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/05/2013 12:01

PREMIERE PARTIE : LES SEIGNEURS DE L'EXPANSION

Episode I : Trouble-fêtes et faits troubles

Les mains délicates se refermèrent sur les pages du livre d'histoire pour enfants. La lectrice soupira, et récapitula encore une fois la leçon.

Bien, cela fait donc maintenant quinze années que cette arme immense quoique primitive a été détruite par un individu seul. Un homme seul, mais réceptif à la « Force », comme ils l'appellent. Comme quoi, c'est la seule et unique puissance qui régit les galaxies. Dommage que ces arriérés ne sachent pas la canaliser comme nous. Dommage… pour eux !

Une bouche s'élargit en un affreux sourire, laissant deux longues mandibules cliqueter entre les lèvres.

- Nous aurons bientôt ce que nous cherchons, Martouf, mon amour.

- J'en suis sûr, Na'toth, ma reine.

- Crois-tu que nous retrouverons l'aberration ?

- Elle se jettera dans nos filets, ma Reine. Tu le sais aussi bien que moi, elle ne saura pas résister à notre appel…

- Puissent les âmes de nos amis défunts te donner raison.

 

*

*    *

 

Oui, quinze ans s'étaient écoulés depuis la Bataille de Yavin. Quatre ans plus tard, l'Empire avait reçu un coup plus rude encore avec la destruction de la Deuxième Étoile Noire, la disparition de l'empereur Palpatine et son âme damnée Dark Vador, et la situation n'avait cessé de se détériorer pour les Impériaux. Année après année, ils avaient perdu leurs conquêtes, l'une après l'autre, leurs Moffs trop assoiffés de pouvoir se disputant les restes tels des chiens au lieu d'unir leurs forces.

Un homme, pourtant, avait tenté de recréer un Nouvel Empire, et y était presque parvenu : le Grand Amiral Thrawn, l'audacieux tacticien Chiss, trahi et assassiné par son propre garde du corps. Depuis, aucune menace vraiment sérieuse n'avait réellement pesé sur l'équilibre intergalactique.

La Nouvelle République florissait. Et, plus important, l'Ordre Jedi renaissait. Le petit fermier as du manche à balai avait fait bien du chemin. Luke Skywalker était devenu le Maître Jedi qui régissait le nouveau Praxeum, l'Académie Jedi fondée sur Yavin IV. Il avait recruté ses premiers élèves, qui avaient trouvé à leur tour d'autres disciples potentiels. Depuis quelques années, sa sœur, la présidente Leïa Organa Solo, et son beau-frère, Yan Solo, goûtaient les joies et les peines de la vie de parents attentionnés.

Mais tout ceci ne concernait pas les nombreux habitants de la planète Procopia, capitale du lointain secteur Tapani, autrement appelé le Secteur de l'Expansion. Le secteur Tapani se situait à mi-chemin entre Coruscant, la capitale de la Nouvelle République, et les lointains Mondes de la Bordure Extérieure. Il était divisé en une demi-douzaine de systèmes, et était depuis des milliers d'années la scène d'un jeu de pouvoir particulièrement acharné entre de grandes puissances rivales. Il ne s'agissait ni de la Nouvelle République, qui n'avait encore aucun monde rallié à ce jour dans ce secteur, ni des Vestiges de l'Empire, dont l'influence se limitait à Tallaan, la capitale du Système des Mondes Libres, resté neutre, mais bien d'un ensemble de grandes et fortunées Maisons nobles. Et cette semaine, la plus haute autorité de la Maison Cadriaan, l'une des plus puissantes et influentes du secteur, fêtait son quarante-cinquième anniversaire. La Haute Dame Bathos était probablement l'une des femmes les plus fortes et les plus décidées de la galaxie, comparable à la Présidente Leïa sur bien des points. Convictions similaires – la Maison Cadriaan soutenait la politique néo-républicaine – elle n'hésitait pas à aller jusqu'au bout pour concrétiser ses idéaux, pourvu que des vies innocentes n'en pâtissassent point.

Comme toutes les personnalités importantes du monde politique, Dame Bathos avait des ennemis, qu'elle savait nombreux. Mais elle était appréciée par la grande majorité du peuple, et les réjouissances qui avaient déjà lieu étaient sincères, et non imposées par une politique répressive. Le peuple lui pardonnait donc ses nombreux mariages avortés dont le but non avoué avait été de progresser dans la hiérarchie de la Maison Cadriaan – le dernier lui avait permis d'acquérir son titre. Le grand jour était arrivé, on faisait des cadeaux, les affaires étaient au beau fixe.

Tel était l'état d'esprit de Taava quand elle sortit de la douche, et regarda la lettre qu'elle avait laissée sur une petite commode de sa chambre. Le rouge vif de la peau de la jeune femme se fit plus clair sous l'effet de la satisfaction. Elle caressa le tentacule gauche qui partait de son crâne pour le remettre en place, et relut encore le carton :

INVITATION PERSONNELLE

À l'attention de Mademoiselle Taava, propriétaire de l'Armada

Dame Bathos de la Maison Cadriaan sera heureuse de vous accueillir à la réception donnée en l'honneur de son anniversaire, accompagnée de la personne de votre choix.

La Maison Cadriaan vous accueillera dans les Jardins d'Alaphoe sur l'Île Lalos.

Taava ne voyait pas qui pourrait l'accompagner, mais cela ne l'incommoda pas. Elle prit le temps de vérifier dans sa garde-robe quelle serait la tenue qu'elle mettrait pour l'occasion. Son style n'était pas des robes complexes alourdies d'étoffes superflues. Elle préférait mettre son corps qu'elle estimait magnifique en valeur avec des vêtements à la dernière mode, moulants, et très coûteux.

Le pantalon de cuir de dragon krayt, celui que j'ai payé plus de 650 crédits, le collier de perles de Taypho, le gilet assorti au pantalon… Bien, qu'est-ce que j'ai, comme parfums ?

Cette journée s'annonçait intéressante. L'action n'allait sans doute pas être très excitante, la plupart des invités allaient sans doute être des enfants de bonne famille, sous-cultivés et imbus de leur petite personne, mais fortunés… Excellent moyen d'acquérir une nouvelle clientèle aisée et naïve. Séduire un acheteur potentiel, lui soutirer le pactole en échange de sa marchandise, voilà un jeu dans laquelle la jeune Togruta excellait. Taava était une marchande d'armes. Pas une petite boutiquière à la sauvette, ou une minable trafiquante de matériel usé ou illégal. Elle possédait une licence, et sa plus grande fierté, l'Armada, l'un des plus importants magasins d'armes privés de Procopia. Il n'était pas très grand, et ne comptait pas encore des dizaines d'employés, seulement quelques droïds de manutention, mais la marchande avait acquis au fil du temps une clientèle solide, et cette invitation était peut-être une nouvelle page dans le carnet de bord de son commerce.

Voilà, comme ça, ce sera parfait.

Une fois son choix effectué, elle posa son peignoir pour repasser une tenue plus légère pour sa journée de travail. Elle ne put cependant s'empêcher de se regarder encore une fois dans la glace, avec un petit sourire. Taava était une Togruta. Comme les autres habitants de la planète Shili, elle avait trois appendices crâniens rayés qui tombaient gracieusement sur ses épaules et entre ses omoplates, et deux grandes cornes blanches surmontaient son front. Son visage ovale était proche de la perfection. Nez fin, lèvres légèrement lippues, et deux grands yeux sombres cerclés d'une coloration blanche naturelle chez les Togrutas. Elle se trouvait superbe. À raison. Son corps était très athlétique. Son regard tomba sur la cicatrice claire, juste à côté du nombril. Il y avait longtemps qu'elle s'était habituée à ce triste souvenir.

Il faudrait quand même que je me fasse enlever ça, un jour ou l'autre…

Avant d'être dans la vente d'arme, Taava était Sorsha la Rouge, une pirate de l'espace. Elle avait écumé l'Amas de Minos en compagnie d'une bande d'ignobles crapules, dont elle n'était pas la plus innocente. Pillages d'épaves, contrebande, trafics d'armes et de drogue avaient constitué le quotidien de cette courageuse baroudeuse. Jusqu'au jour où elle avait été gravement blessée au ventre pendant un contrôle des Douanes Impériales qui avait mal tourné. N'ayant pas eu accès à temps à un traitement à base de bacta, elle avait mis plusieurs mois à s'en remettre complètement, et s'en était sortie stérile. Ce fut un rude coup, mais elle avait fini par accepter cette idée. Elle avait cependant décidé de se retirer des activités trop remuantes.. Elle avait alors changé de nom et travaillé pour le compte d'une grosse entreprise, puis l'opportunité d'ouvrir sa propre boutique s'était présentée sur Procopia. Depuis, son commerce avait bien prospéré, et elle envisageait même d'ouvrir une filiale extraplanétaire.

Pour cela, il lui fallait amasser plus d'argent, et par extension plus de clients.

Le bruit d'une respiration rauque résonnait sur les parois de la ruelle humide, sombre et étroite. Des pas lourds martelaient les pavés glissants. Le fuyard se retournait, regardant derrière lui, paniqué.

Comment cet enfoiré a pu me retrouver si vite ?! Merde !

En d'autres circonstances, il aurait pu arracher la tête de son poursuivant avant de la lui carrer dans un endroit désagréable, avec une main attachée dans le dos, mais aujourd'hui, ce n'était pas son jour. Hassla Morgreed, un énorme Barabel de près de deux mètres et demie de haut pour plus de deux cents kilos de muscles, avait été pris par surprise. C'était une grande brute à qui les citoyens ordinaires cédaient le passage avec crainte, où qu'il se déplace. Large de plus d'un mètre, ses yeux jaune vif à pupille verticale contrastaient avec la peau vert sombre et écailleuse de son visage de lézard. Blessé traîtreusement au flanc, dans un établissement bondé où il était venu se détendre, il avait dû fuir. La voix moqueuse de son poursuivant éclata :

- Tu peux courir, mais tu ne m'échapperas pas !

Le Barabel serra les dents de rage en pensant au visage, et ricana presque en imaginant l'écraser entre ses énormes doigts griffus. Selik Blackwood, chasseur de primes Rodien, cherchait à toucher la prime mise sur sa tête par la Maison Melantha, pour qui il avait travaillé malgré la vocation pro impériale de celle-ci. Sous ses airs de guerrier impitoyable, Morgreed était un grand sentimental. Quand son employeur lui avait ordonné de transformer une réception Cadriaan en massacre, il avait quitté le bureau non sans avoir enfoncé profondément l'ordre de mission dans la bouche du petit seigneur Melantha. Il aurait pourtant dû voir venir un chasseur de primes.

Evidemment, il a fallu que ça arrive le jour où je décide de prendre l'air cinq minutes sans mes armes… Je suis le dernier des crétins, et ça va me coûter la vie !

Il déboucha dans la rue principale. Des centaines de civils se promenaient, parlaient, montaient et descendaient des véhicules publics et privés. Morgreed soupira de soulagement. Le Rodien n'allait quand même pas oser ouvrir le feu… Une douleur fulgurante lui lacéra la cuisse, il s'écroula. La foule se dispersa en cris effrayés. Le Barabel se traîna encore avec l'énergie du désespoir. Il se retourna, se mit sur le dos, sa grande queue ophidienne calée sur le côté, et continua à reculer sur les coudes. De la ruelle sortait la maigre constitution dégingandée de Blackwood, qui avançait tranquillement, brandissant son blaster, le canon pointé vers le ciel.

- Fin de mission pour toi, mec. Rien de personnel.

- Va te faire voir chez les banthas…

- Tt-tt-tt-tt… Typique des proies sentant approcher leur fin, Morgreed. Adieu.

Le Rodien baissa son arme vers le Barabel. Morgreed jeta un regard furibond vers son poursuivant. Quand le bras de celui-ci fut à l'horizontale, il ne s'arrêta pas. Comme si ç'avait été la suite et fin logique de son geste, le Rodien lâcha son arme, s'assit par terre, puis bascula en arrière en douceur, avant de sombrer dans un profond sommeil. Morgreed ouvrit de grands yeux perplexes. C'est alors qu'il entendit sa voix. Cette voix douce, qui allait changer définitivement le cours de sa vie.

- Tu n'as plus rien à craindre, Hassla Morgreed. Tout va s'arranger, maintenant.

Le Barabel se réveilla brutalement, alors que le biper de son communicateur sifflait. En grommelant, Morgreed sortit de son lit et saisit le petit appareil.

- Ouais ?

- Allez, debout, Morgreed ! fit une voix ironique à l'autre bout de la ligne. C'est aujourd'hui le grand jour, notre chef a besoin de toi pour les sélections !

- Zay, je t'ai déjà dit que Stern n'est pas « mon » chef ! Je n'obéis pas à ses ordres, mais à ceux de ma Maîtresse qui m'a demandé de lui rendre ce service !

Comme la plupart des non-Humains ayant une langue fourchue de reptile, Morgreed avait parlé en insistant sur les « S ».

- Ouais, ouais, bon, en tout cas, tu es prié de monter au bureau pour les sessions de recrutement dans trente minutes !

- J'y serai, Zay.

Un quart d'heure plus tard, douché et habillé, Morgreed lança un appel. Il laissa un message sur le répondeur :

- Maîtresse ? Je dois rejoindre ces personnes de haute condition, conformément à votre demande. Je vous en conjure, restez à l'abri, s'il vous arrivait quelque chose pendant mon absence, je ne sais pas si je tiendrais le coup. Et ne vous en faites pas pour moi ou Dame Bathos. Quiconque tentera de blesser mon employeuse temporaire, par les mots ou par une arme, n'aura pas le temps de le regretter.

Satisfait, Morgreed emprunta l'ascenseur public. Il franchit une porte, puis une autre, aboutit dans un petit couloir par une troisième porte dérobée, accédant ainsi à la zone réservée au personnel. Voyant qu'il était légèrement en avance, il entra dans la salle de détente, se dirigea vers le distributeur de boissons, se servit un jus de baies de Kashyyyk, et s'installa sur l'un des bancs, à côté d'un humain costaud, rasé de près et coiffé au millimètre, qui semblait surexcité.

- Salut, Quayle.

- Ah, Morgreed ! Prêt pour le grand jour ?

- Moi, oui, mais toi, tu m'as plutôt l'air nerveux.

- Ah, c'est sûr. C'est pas du beurre, la protection rapprochée de Dame Bathos de Cadriaan ! Mais tout va bien se passer, et les crédits vont affluer.

- Tu es sûr de toi. Dans la profession, c'est fréquent, mais de voir quelqu'un l'exprimer aussi clairement, ça l'est beaucoup moins.

- Il ne peut rien m'arriver, Morgreed, car j'ai mon porte-bonheur. Regarde :

Le jeune homme sortit son portefeuille, et en tira une photo. Le Barabel plissa les yeux pour mieux voir. Le portrait représentait une femme humaine, sans doute à peu près du même âge que Quayle. Blonde, des yeux rieurs, un sourire engageant…

- C'est Ari, mon ange gardien.

- Ta compagne ?

- Oui, depuis notre mariage, c'est le bonheur.

- Depuis combien de temps vous êtes ensemble ?

- Deux ans. Qu'est-ce que tu penses d'elle ?

Le Barabel regarda Quayle d'un œil surpris.

- Comment ça ?

- N'est-elle pas adorable ?

Cette fois, Morgreed eut un sourire cruel qui laissa apparaître ses crocs aiguisés.

- On ne doit pas avoir les mêmes goûts, Quayle.

- Je sais, mais honnêtement, en tant que Barabel, comment tu la trouves ?

- J'aurais peur de te fâcher.

- Non, je t'assure ! Je sais faire la part des choses. Allez !

Morgreed ricana.

- C'est une vraie mocheté. Cette peau glabre, poilue et rosâtre me dégoûte. Cette affreuse tignasse jaune sur son crâne la rend ridicule. Ces petites dents se briseraient sur la coquille d'un squidge de Mon Calamari. Quant à ces grands yeux béats, ils ne reflètent que la naïveté.

Quayle éclata de rire.

- Rappelle-moi de ne jamais me montrer la photo de la femelle de tes rêves, Morgreed, ou je pourrais être encore plus cinglant !

Les deux compères s'esclaffèrent derechef, et riaient encore en se dirigeant vers le bureau du chef de la sécurité, leur employeur.

Le Chef de la Sécurité de l'ambassade Cadriaan, Maleek Stern, était un quadragénaire au crâne à moitié chauve, à la mâchoire carrée, et aux épaules larges, portant un simple costume sombre impeccablement repassé et ajusté. Une heure, déjà, qu'il voyait défiler les volontaires devant son bureau. Pour l'occasion, les effectifs avaient été temporairement doublés. Les hommes de confiance avaient été directement affectés à la protection des pontes, et autres officiels, et on avait besoin d'autres employés pour les secteurs de la fête moins risqués. Dame Bathos avait fait appel à deux gardes du corps professionnels pour sa propre protection, un Humain et un Barabel, tous deux avec d'excellentes références. Il lui fallait encore une dernière personne pour contrôler l'entrée. Quelqu'un à l'air suffisamment menaçant pour dissuader les petits casseurs.

L'homme qui était assis en face de lui correspondait à n'en pas douter à l'idée qu'on pourrait se faire d'une tête brûlée élevée à l'école de la rue suffisamment forte et intelligente pour obtenir quelques galons à l'armée régulière avant de devenir mercenaire freelance. Il était grand, au moins un mètre quatre-vingt cinq. Une barbe d'une semaine assombrissait la peau claire de son visage. Ses yeux profonds aux arcades sourcilières relevées lui donnaient un regard pénétrant. Son front large était encadré par les nombreuses tresses de sa chevelure coiffée en dreadlocks. Il devait être d'une force peu commune chez les Humains, ses bras aux muscles saillants étaient larges comme des cuisses, et son maillot de corps laissait voir le relief de ses pectoraux.

- Vous avez un beau CV, monsieur… Tal.

- Appelez-moi Canderous, répondit son interlocuteur d'une voix rauque.

- Si vous voulez, Canderous. Je vois que vous vous êtes engagé dans la milice procopienne, chez les Crocs d'Acier. J'ai eu l'occasion de les voir à l'œuvre, ce ne sont pas les plus mauvais.

- Ils valent ce qu'ils valent.

- Vous n'y êtes pas resté très longtemps. Que s'est-il passé ?

- Divergence de point de vue entre moi et ce crétin de sergent Belik.

- Mouais… Vous savez que si vous acceptez de travailler pour nous aujourd'hui, il faudra vous plier à mon autorité, n'est-ce pas ?

- Vous avez l'air plus malin que ce sergent. D'ailleurs, si c'est juste pour une journée, même si vous êtes le dernier des cons, j'y survivrai…

Le chef Stern fronça les sourcils. Il hésitait. Allait-il confier la surveillance du portail à ce type ? En même temps, il semblait solide comme un roc, et son regard flamboyant avait de quoi déstabiliser les plus gêneurs.

- Vous m'avez l'air d'avoir eu votre part de bagarres.

- Je me débrouille, chef.

- C'est votre peau que vous allez risquer, vous savez. A priori, ce n'est pas le poste le plus dangereux, mais il y aura tout le gratin de l'Île Estalle. Vous êtes sûr de pouvoir être à la hauteur ?

- Tout à fait sûr, chef.

- D'accord. On va vérifier ça. Morgreed !

Le chef Stern avait appelé en direction de la salle de repos derrière lui. Canderous eut un petit sourire cynique en voyant arriver l'immense Barabel. Celui-ci se campa de toute sa hauteur devant le mercenaire. Stern reprit :

- Bon, monsieur Canderous Tal, je vous présente Morgreed, le garde du corps de notre patronne, Dame Bathos. À mon signal, vous allez lui balancer votre poing dans la figure de toutes vos forces. Morgreed, ne lui rendez pas. Allez !

Sans hésiter, l'humain décocha un direct du droit vers la tête reptilienne. Ses phalanges s'arrêtèrent net sur la joue écailleuse de Morgreed. Il y eut un craquement. Mais ni l'Humain, ni le Barabel, ne bronchèrent. Le chef Stern eut une petite moue approbatrice.

- Très bien. Je vous engage.

Loin des fébriles préparatifs de cette réception depuis longtemps attendue, une autre scène se préparait à l'astroport. Le transporteur Thorgrad fermait ses portes et s'apprêtait à repartir pour une nouvelle destination, et les derniers passagers finissaient de récupérer leurs bagages. Deux membres de la milice locale, composée de Gardes Royaux portant des armures bleutées utilisant la même technologie que celle des tristement célèbres troupes de choc des Vestiges de l'Empire, surveillaient distraitement les nouveaux arrivants. Certains étaient humains, d'autres pas. Cela ne gêna pas les gardes en effet, le secteur Tapani était ouvert aux non-Humains, et deux espèces en particulier avaient tiré leur épingle du jeu : les grands et costauds Herglics, des cétacés humanoïdes dépendants de manière pathologique au jeu, et les Mrlssti, des hommes-oiseaux énergiques. Sur Procopia, les non-Humains étaient plus que bienvenus, ils faisaient partie de la société.

Toutefois, quelque chose attira l'attention de l'un des gardes, qui fit un petit signe à son camarade. Celui-ci vit arriver une petite silhouette à peine plus grande qu'un enfant Humain. Impossible de savoir de quoi il s'agissait, car l'être était revêtu d'une robe cagoulée marron, dont la capuche était rabattue. Rien à voir avec les immigrants habituels. L'un des gardes s'avança et demanda :

- Contrôle des papiers, s'il vous plaît.

Sans dire un mot, le petit être s'arrêta devant le garde, fouilla dans les plis de sa cape, et en retira une carte métallique d'identité standard. Le garde la passa dans son lecteur portatif et lut à voix haute :

- Chi'ta Koskaya, race : Drall, sexe féminin, âge : quinze années standard… Bon, tout est en règle. Je peux savoir ce qui vous amène sur Procopia, mademoiselle ?

La petite silhouette leva la tête vers l'homme en armure. Sous la cagoule, il ne perçut pas de visage, seulement l'éclat vif de deux grands yeux sombres. Un petit bruit de léger reniflement, puis une voix claire et haut perchée lui répondit :

- J'ai rendez-vous à l'ambassade de la Maison Pelagia pour affaires.

C'est alors que le regard du second garde tomba sur le ceinturon de la petite silhouette cagoulée. Il vit un petit objet brillant, un curieux cylindre. Pas de doute possible, c'était l'arme des membres de l'Ordre Jedi.

- Hé, vous portez un sabre-laser !

- Oui, en effet, monsieur le garde.

- Vous… vous êtes une élève de… du fameux Luke Skywalker, non ?

- Pas directement, monsieur le garde. Seulement d'un de ses anciens élèves.

Le second garde se tourna vers le premier.

- Qu'est-ce que tu en penses ? Cette jeune personne représente l'Ordre Jedi.

- On ne fait pas partie de la Nouvelle République, officiellement.

- Oui, mais nous devons respecter leur autorité. Ils sont indépendants, ils l'ont toujours été. Si nous ne la laissons pas passer, elle nous ensorcellera, et si on lui crée des problèmes, il y aura plein de Jedi qui viendront nous casser la tête.

Le second garde pivota vers la petite jeune Drall. Celle-ci devinait son air inquiet sous le masque impassible.

- C'est vrai, ça ?

- Non, je ne suis pas venue pour créer des problèmes ! répondit-elle joyeusement en étouffant un rire amusé. Tout ce que je voudrais, c'est aller à l'ambassade de la Maison Pelagia.

Elle-même cachait par le rire sa timidité. Les deux gardes se radoucirent. Le second demanda encore :

- Vous savez où elle se trouve ?

- Non, mais je prendrai un taxi.

Le second garde fit un petit signe au premier, qui rendit à la petite personne sa carte d'identité.

- Bienvenue sur Procopia, mademoiselle.

La petite créature inclina poliment la tête, et franchit le porche. Une fois dehors, sa timidité un peu dissipée par ce premier contact avec Procopia, elle releva sa cagoule de sa petite main griffue, découvrant son visage.

Chi'ta Koskaya était une adolescente Drall. Comme tous les représentants de sa race, elle était humanoïde, avec les attributs d'une marmotte. Elle avait de longues incisives visibles sous de petites moustaches, une fourrure ocre aux reflets dorés, était légèrement trapue comme la plupart des femelles de Drall, et se dandinait légèrement sur ses pieds nus de rongeur. Elle huma le parfum des fleurs du parc voisin de son museau à l'odorat finement aiguisé. Ses grands yeux noirs se plissèrent, le soleil était déjà haut dans le ciel. Elle eut un sourire réjoui.

- Quelle belle journée pour découvrir un nouveau monde !

Originaire de Meccha, ville de la planète Drall célèbre pour ses Cavaliers du Vent, elle était employée à l'accueil du meilleur hôtel de la ville, le Meccha Ducal, lorsqu'elle fut repérée quelques mois plus tôt par Yan Solo lui-même, qui avait servi de guide à un ambassadeur. Le capitaine Solo, habitué aux « tours de magie mystique » des Jedi, avait reconnu chez cette petite chose humble et courtoise les signes les plus évidents de la sensibilité à la Force. Un charisme inhabituel chez les Dralls, des « coups de chance », une étrange aptitude à transmettre rapidement sa joie de vivre à tout son entourage, y compris aux plus désespérés… Tant de choses qui avaient poussé Yan à contacter la nuit même son beau-frère. Celui-ci avait réservé sa propre chambre, et avait fait discrètement sa petite enquête en se faisant passer pour un client quelconque. Il n'eut besoin que d'une seconde pour confirmer la thèse de Yan. Il en avait parlé à la directrice, surprise au suprême degré de voir débarquer dans son établissement Luke Skywalker en personne, puis à l'intéressée.

C'est ainsi que Chi'ta s'était retrouvée embarquée dans une histoire dans laquelle elle ne s'attendait pas du tout trouver place. Un tel bouleversement intensifia sa vie de manière exponentielle. Elle avait appris en quelques mois le Code des Jedi millénaire, et son Maître, Corran Horn, l'ancien pilote devenu l'un des premiers élèves du Praxeum, lui avait suggéré de se spécialiser dans la diplomatie, ce qu'elle avait fait – elle suivait la voie des Jedi Consulaires. Avant cette rencontre, elle ne pensait guère plus qu'à remplir l'agenda de la semaine, et mettre à jour les réservations. Et au terme de son apprentissage, elle devrait gérer des crises à l'échelle universelle. C'est du moins ce qu'elle redoutait. Comme elle n'était que novice, elle se doutait bien que les instructions que Maître Horn lui avait données pour cette première mission ne relèveraient pas d'un sauvetage de l'univers. Le Maître lui avait demandé de se rendre à Procopia, et d'aller à l'ambassade de la Maison Pelagia. D'après les rumeurs, cette famille noble comptait autrefois dans ses rangs des Jedi. Ils avaient officiellement tous disparu avec les purges impériales, mais peut-être qu'il restait des documents, des enregistrements sur ces soi-disant chevaliers ? Peut-être même que la Maison Pelagia comptait parmi ses membres des apprentis potentiels ?

Nantie d'une carte magnétique d'identité frappée du logo de l'Académie Jedi et d'un holodisque de recommandation enregistré par le Grand Maître Luke Skywalker, la jeune Drall était partie vers Procopia. En arrivant en vue de l'ambassade Pelagia, elle repensa à ce que lui avait dit Rosh Penin, l'un des anciens élèves du Maître Kyle Katarn :

« Ne t'en fais pas, jeune Chi'ta. Même si tu penses faire un travail ingrat, il aura son importance. Les Maîtres Jedi sont toujours discrets, mais ce n'est jamais pour te causer du tort, quoi que tu puisses penser. J'ai commis l'erreur de croire qu'on me faisait faire un boulot de grouillot, j'ai fini par le payer ! » avait-il conclu avec un sourire, en lui montrant la prothèse mécanique qui remplaçait son bras. Chi'ta n'avait pas osé lui demander comment il avait été blessé, mais ce conseil lui était resté fermement en mémoire. De toute façon, en tant que Jedi Consulaire, les connaissances faisaient partie de son rôle, et n'éprouvait pas la moindre gêne à faire un boulot de bibliothécaire. Au contraire, elle était fière que Maître Horn ait fait appel à elle, une novice, pour une mission dans un secteur aussi lointain.

Quand elle descendit du taxi, la tête lui tournait. Procopia n'était pas Coruscant, mais c'était tout de même une ville immense pour la petite Drall habituée à des structures plus modestes. Rien à voir avec les corridors calmes de l'Académie, ou les rues de Meccha. Son appréhension monta lorsqu'elle vit en se rapprochant de l'immense grille les deux gardes qui surveillaient l'entrée de l'ambassade. Contrairement à ceux de l'astroport, leurs armures étaient frappées de l'écusson de la Maison Pelagia, et ils ne portaient pas de simples pistolets blasters de sécurité, mais de lourds fusils anti-émeute. Placés sur les marches, ils paraissaient encore plus grands. Approchant en essayant d'avoir l'air sûre d'elle, elle se présenta aux gardes.

- Bonjour ! J'ai rendez-vous avec le Seigneur Theus Paddox de Pelagia.

- Qui êtes-vous ? demanda l'un des gardes avec autorité.

- Chi'ta Koskaya, élève au Praxeum de Yavin IV.

- Où ça ? s'étonna l'autre d'une voix traînante.

- Tenez, j'ai une lettre de recommandation.

Fouillant dans la guérite, le premier garde mit la main sur un petit analyseur, passa dedans l'holodisque, confirmant l'authenticité du document. Il enclencha le communicateur intégré à son casque.

- Chef ? Unité 11-38 au rapport. J'ai une Drall qui me dit qu'elle a rendez-vous avec le Seigneur Paddox… Oui… Quoi ?... De Yavin IV, chef… Ah ? Bon, d'accord.

Le garde rendit à Chi'ta son holodisque.

- Je suis désolé, mademoiselle, votre arrivée était prévue, mais notre Haut Seigneur est absent, aujourd'hui. Il est convié à la fête donnée en l'honneur de l'anniversaire de Sa Seigneurie Dame Bathos, de la Maison Cadriaan.

- Ah… répondit Chi'ta, déçue.

- Vous n'avez qu'à vous y rendre ! C'est sur l'île Lalos, aux jardins d'Alaphoe.

- Vous croyez… qu'ils me laisseront entrer ?

- Une Jedi avec une lettre de recommandation authentique, ce serait étonnant qu'ils refusent !

- Merci, messieurs, et bonne journée !

Et la petite Drall repartit, appela un taxi et disparut.

Les parfums les plus enjôleurs embaumaient l'atmosphère, et Morgreed, de par ses origines reptiliennes, appréciait d'autant plus la chaleur du soleil qui chauffait son visage écailleux. Quayle restait raide comme un piquet, n'osant pas lever un sourcil plus haut que l'autre. Devant eux marchait Dame Bathos, une grande femme humaine, au teint mate, aux cheveux cuivrés noués en une courte tresse et au port princier. Vêtue d'une robe bleu sombre ornée d'une broche d'or, elle avançait d'un pas calme, posé, au milieu de convives qui parlaient tous en même temps de mode, de théâtre, d'opéra, du dernier putsch financier d'une corporation sur Tallaan… tant de choses qui ennuyaient le Barabel profondément. Il aurait aimé pouvoir profiter pleinement des Jardins d'Alaphoe, et se promener près du Bassin Réfléchissant pour s'y rafraîchir. Ou alors, humer les fleurs des Jardins Suspendus. Il surveillait distraitement les convives, et ne s'inquiétait pas. Sa lourde et imposante carrure dissuadait immédiatement toute personne d'être un peu trop collante à l'égard de Dame Bathos. Justement, un petit homme entre deux âges, au nez crochu, au front large et aux yeux torves, semblait ne plus la lâcher d'une semelle.

Morgreed avait pris le temps de faire connaissance avec Dame Bathos. Elle lui avait paru forte, patiente et digne, et n'avait pas du tout eu l'air de le considérer comme un individu inférieur, de par ses origines non-Humaines, ou sa condition modeste. Bref, ils s'étaient mutuellement appréciés. C'est pourquoi il sentit son sang de reptile se chauffer d'irritation en voyant l'indélicatesse de ce mauvais parleur.

- Je vous assure, chère cousine, nous aurions grand intérêt à œuvrer ensemble, et la cause de notre Maison pourra être assurée, nos forces… renforcées, nos talents… plus talentueux. Franchement, si vous étiez à ma place, avec les quelques rares ressources dont je bénéficie, et l'incapacité des membres de mon personnel, et je ne parle même pas de la vétusté des misérables appartements que les Ancêtres de notre très estimable famille ont daigné me laisser, est-ce que…

Le petit freluquet se faisait de plus en plus pressant, mais se tut net quand, reculant d'un pas, il heurta quelque chose de dur, et se retourna pour se retrouver face à une muraille de muscles qui le regardait d'un air mauvais, ses yeux de lézard brillant d'une inquiétante lueur topaze. Morgreed demanda lentement, articulant bien pour montrer ses crocs le plus possible :

- Ma Dame, est-ce que cet individu vous dérange ?

- Non, bien sûr que non, maître Morgreed, répondit prestement Dame Bathos en posant délicatement sa main sur la poitrine du Barabel. Mon cousin Niklas de la lignée Veiler me disait juste qu'il était impatient de voir notre amphithéâtre, et se félicitait d'assister au spectacle. N'est-ce pas, cher cousin ? ajouta-t-elle en foudroyant le petit homme du regard.

- Oui, oui, bien sûr, chère cousine, balbutia le petit homme avant de se retirer rapidement.

Morgreed le suivit du regard jusqu'à ce qu'il ne fût plus à portée de vue.

- Ne vous en faites pas, maître Morgreed, j'ai connu pire. Vous semblez soucieux ? Pourtant, tout se passe à merveille.

- Je m'en fais pour ma Maîtresse, ma Dame. Qui sait ce qui peut arriver ?

- Soyez sans crainte, à notre ambassade, il ne peut rien arriver. Allons rejoindre les autres au cocktail.

Taava se régalait. Les futurs clients pleins aux as se bousculaient. De gros industriels des Mondes Libres, le système affranchi du Secteur Tapani, des millionnaires désœuvrés en quête d'une marotte, des héritiers ne sachant pas que faire de leurs revenus, des nouveaux riches ambitieux prêts à investir dans une nouvelle affaire audacieuse, de jeunes épouses croqueuses de comptes bancaires bien remplis accrochées à leurs maris naïfs voulant les convaincre de doubler leur fortune… Elle avait déjà une demi-douzaine de nouveaux clients potentiels, dont trois tellement enthousiastes qu'ils avaient directement pris rendez-vous – Taava ne se séparait jamais de son bloc de données personnel, contenant son agenda et les listes des stocks. Mais toutes ces négociations avaient fini par lui donner soif. Aussi se dirigea-t-elle vers le buffet mis en place vers l'entrée de l'amphithéâtre. Elle vit une quantité impressionnante de liqueurs, d'alcools, de jus de fruits, et ne sut que prendre. Elle hésita quelques secondes, quand elle entendit une étrange voix aiguë, gutturale, derrière elle :

- Puis-je me permettre de vous conseiller la boisson rouge, mademoiselle ?

En se retournant, elle vit un non-Humain au visage triangulaire, au poil doré, et au long nez, qui se tenait devant elle. C'était un Nalroni de la planète Celanon. Comme ses pairs, il présentait des traits indiquant son ascendance canine. Il était vêtu d'un long gilet aux gros boutons cuivrés recouvrant une tunique plus longue encore, et tenait une coupe pleine de cocktail rouge. L'œil rusé, le sourire intraduisible, il avait tout du businessman chevronné. Sans doute un nouveau défi très intéressant pour la jeune Togruta. Taava lui rendit son sourire, en plus large, et se réjouit davantage quand elle remarqua un petit détail qui allait sans doute lui garantir la conquête de ce client-là.

La nature fait bien les choses, ses yeux sont juste à la hauteur de mon décolleté. Je vais le manger tout cru !

- Je n'ai pas l'avantage de connaître votre nom, monsieur… ?

- Sprax. Je m'appelle Sprax. Président Directeur Général de XTS, pour vous servir.

- XTS ?

- Xizor Transports System, la plus importante société de construction et transports spatiaux du secteur Tapani. Et à qui ai-je l'honneur, mademoiselle ?

- Taava. Je suis propriétaire de l'Armada. Mon business tient plutôt dans les… gros calibres.

Elle sourit davantage, plus enjôleuse que jamais, et Sprax semblait mordre à l'hameçon. Une coupe de liqueur rouge et quelques banalités plus tard, le petit Nalroni lui laissait sa carte.

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez surtout pas à me contacter. Moi-même, il se pourrait que j'aie besoin de vos services, qui sait ?

- Amphithéâtre à porte d'entrée, répondez.

- Porte d'entrée, j'écoute.

- Le discours ne va pas tarder à commencer. Laissez les portes ouvertes encore cinq minutes, puis fermez tout, laissez vos hommes à l'entrée, et venez nous rejoindre.

- Et si d'autres invités se pointent quand j'aurai fermé ?

- Avant l'heure, c'est pas l'heure, après l'heure, c'est plus l'heure. Terminé.

Canderous rangea son communicateur, et poussa un petit soupir de soulagement. La journée avançait, et pour l'heure personne n'était venu causer de vrais problèmes. Il y avait bien eu une petite bande de jeunes anarchistes venus s'amuser à injurier les invités et faire des grimaces, mais le mercenaire n'avait eu qu'à faire deux pas en avant d'un air menaçant pour disperser le groupe. La fin d'après-midi approchait, dans le ciel le soleil entamait sa descente. Le mercenaire regarda s'éloigner vers l'amphithéâtre l'un des derniers invités, un Rodien costaud un peu serré dans son costume sobre. L'un des gardes en armure lui fit alors un petit signe.

- Hé, regarde ça !

Une curieuse petite forme en tunique brune approchait. Canderous fut surpris, ses arcades sourcilières se levèrent. Malgré ses années de baroud, c'était la première fois qu'il voyait une personne non-Humaine originaire de Drall. Sur le coup, il ne pouvait même pas dire s'il avait affaire à un mâle ou une femelle. Jusqu'à ce que l'être lui parlât :

- Bonjour, Monsieur !

D'accord, c'est une nana…

La main duvetée aux petites griffes sombres lui tendit une carte métallique d'identité. Le mercenaire passa la carte dans son lecteur.

- « Chi'ta Koskaya »… Hum… Vous n'êtes pas sur la liste des invités, ma petite dame !

- Je sais, répondit la non-Humaine d'une petite voix gênée, mais je voudrais juste voir le Haut Seigneur Theus Paddox de Pelagia.

- Rien que ça ? Très drôle.

Canderous se demandait s'il devait refouler l'étrangère tout de suite, ou reprendre contact avec le central de sécurité installé à l'Amphithéâtre, quand il vit quelque chose briller à la ceinture de la Drall. Il n'hésita pas une seconde de plus.

- Amphithéâtre ? Ici porte d'entrée… J'ai une personne devant moi qui ne figure pas sur la liste… Oui, je sais, mais elle a un sabre-laser, c'est une Jedi… En tout cas, elle en a l'air… Elle veut voir Paddox… Qu'est-ce que je fais ?... bon, d'accord.

Le mercenaire rendit à Chi'ta sa carte, puis s'écarta.

- Bon, le patron vous a à la bonne on dirait. Entrez, mais tâchez de rester discrète. Il y a des gens à l'intérieur qui pourraient avoir les jetons si vous faites vos tours de Jedi. Paddox doit être à l'Amphithéâtre, lui aussi, à cette heure.

- D'accord, ne vous en faites pas. Merci, monsieur.

Et la petite Drall entra, s'engagea sur le sentier, et se dirigea vers l'amphithéâtre. Canderous regarda sa montre.

- Attendez, je vais vous accompagner, je dois aller à l'amphi, moi aussi.

- Comme vous voudrez, messire.

- Appelez-moi Canderous, répondit l'homme en lui emboîtant le pas.

Pendant que Chi'ta marchait aux côtés de Canderous, elle éprouvait une impression bizarre, et pas spécialement agréable. Elle cherchait d'où cette impression pouvait venir, mais ne trouva rien. Soit qu'elle ne fût pas encore suffisamment compétente, soit qu'il n'y eût rien à trouver, elle ne put décrire précisément ce qu'elle ressentait, et pourquoi. Puis elle considéra l'homme qui l'accompagnait. Cet individu à l'aspect rébarbatif n'avait pas l'air disposé à beaucoup parler, et quelque chose lui murmura de ne pas insister. Finalement, elle décida de ne rien dire, et de laisser aller, mettant cette impression sur le compte de l'appréhension.

Enfin, ils arrivèrent à la construction, à la fois moderne et adaptée à l'esthétique du paysage et du reste de la ville. En voyant les gardes qui surveillaient le porche d'entrée, le mercenaire s'avança.

- Je prends le relais.

- Et ce… cette personne ?

- Elle est avec moi.

Ils entrèrent. Le public s'installait, se pressait dans les gradins de l'amphithéâtre.

- Bon, c'est ici que je vous laisse, je dois continuer mon boulot.

- Merci pour tout, maître Canderous.

- Passez un bon concert.

Canderous fit mine de se rapprocher de la scène, mais Chi'ta demanda encore :

- Et qui est le Haut Seigneur Paddox de Pelagia ?

- L'homme en uniforme rouge assis à côté de Dame Jizabella de Cadriaan. Au troisième rang, sur la droite, vous le voyez ?

- Ah, oui.

Quand le personnage que Canderous montrait du doigt se tourna et parla à sa voisine, Chi'ta vit son profil, et reconnut la personne dont Luke Skywalker avait montré le portrait. C'était un homme de taille moyenne, à la carrure d'un combattant légèrement serrée dans un magnifique uniforme rouge, constellé de décorations dorées. Il avait le teint clair, était rasé de près, et ses cheveux très blonds étaient harmonieusement tirés vers l'avant. A côté de lui était installée une jeune femme humaine, sans doute très belle selon les critères de cet homme.

Sa femme, ou une de ses maîtresses… c'est vrai que certains peuples Humains admettent la polygamie.

Dame Bathos était dans les coulisses, et semblait détendue malgré la rumeur grandissante qui indiquait un nombre croissant de personnes. Elle félicita personnellement les musiciens, en s'appliquant à utiliser la langue natale de chacun d'entre eux. Ceux-ci, d'abord rendus nerveux par Morgreed et Quayle qui les avaient consciencieusement fouillés, eux et leurs bagages, étaient maintenant dans l'ambiance, et buvaient un dernier cocktail avant de monter en scène.

La jeune Togruta s'était assise sur le côté, non loin de la scène. L'Amphithéâtre était un grand bâtiment à toit ouvert – disons plutôt que les parois sur les côtés étaient évidées, laissant passer l'air libre. Taava bâilla. C'était ce qui l'intéressait le moins. Les banalités d'usage avant le spectacle, remerciements et autres blablablas dont elle n'avait que faire. En plus, elle était assise à côté d'un énorme Herglic qui respirait vraiment très fort.

Encore heureux qu'il se soit inondé de parfum avant de venir, j'ai horreur de l'odeur du poisson !

Un léger larsen attira l'attention de la foule qui se tut. Dame Bathos fit son entrée sur scène, escortée de ses deux gardes personnels, un Humain et un être bien plus grand et plus fort. Taava fut impressionnée par l'imposante créature écailleuse, et l'énorme vibro-hache qu'il tenait d'une main sur son épaule. Chi'ta regarda vers la scène, et remarqua que cette Dame Bathos ressemblait beaucoup à la jeune femme assise à côté du seigneur Paddox. Canderous, de son côté, sentait que quelque chose de désagréable allait se produire, s'il en croyait son instinct de guerrier.

Dame Bathos commença. Elle remercia les convives de s'être déplacés, salua au passage les hôtes de marque, félicita encore sa fille et son gendre pour leur récent mariage, et se lança dans le chapitre politique.

- Et je suis certaine que nous arriverons à faire du Secteur Tapani la plus grande puissance politique, commerciale et culturelle de la galaxie. Nous ferons de notre mieux pour oublier les vieilles rancunes, pardonner les plus tenaces, et tous ensemble, main dans la main, nous…

Ici, Dame Bathos fut grossièrement interrompue par un son caractéristique, reconnu par Canderous et Taava, spécialistes en armement. Un rayon doré, droit et fin, frappa directement Jackee Quayle, le garde du corps humain, en plein cœur. Sa poitrine explosa et il s'écroula, tué sur le coup. Ce sinistre imprévu déclencha une cacophonie de hurlements terrifiés. Morgreed sauta sur Dame Bathos, la plaqua sur sa poitrine et tourna le dos au public, et au tireur. Canderous dégaina son blaster lourd en un éclair.

Taava se jeta sous son siège, ne voulant pas être atteinte par une décharge de disrupteur Tenloss (taux de précision et de dégâts légendaires), elle se boucha les oreilles en entendant le bruit d'une deuxième décharge.

Morgreed sentit ses écailles chauffer alors que le laser avait frôlé son crâne. N'hésitant plus, il fonça vers les coulisses en maintenant la Haute Dame Cadriaan contre lui.

Faisant appel à tous ses sens, Canderous tourna les yeux vers le ciel, dans la direction approximative d'où étaient partis les deux tirs. Un troisième, manquant encore sa cible, lui donna enfin une bonne idée de l'emplacement du tireur.

- La Maison des Bains, merde !

Chi'ta n'avait pas quitté le couple Paddox des yeux. Craignant que l'homme ne soit tué, elle se lança en avant, tenta un grand saut par-dessus les spectateurs en fuite… mais s'étala de tout son long sur les genoux du Haut Seigneur Theus Paddox. Elle se redressa maladroitement, se cramponna au dossier du fauteuil devant elle, et bondit en avant. Debout sur le velours rouge, elle cria à l'adresse du couple Paddox :

- Filez, vite ! Je vous couvre !

Les deux Humains se jetèrent sur le sol, et Chi'ta resta à leur niveau, sautillant de fauteuil en fauteuil bras tendus, espérant faire obstacle au tireur embusqué.

Canderous serra la mâchoire. Pourquoi rien n'était jamais simple ? Il hésita une seconde, regardant alternativement la Drall et la direction de la Maison des Bains, et son caractère combatif prit le dessus. Il se précipita vers la sortie de secours, et se retrouva dehors. Puis il courut aussi vite qu'il put vers le bâtiment blanc situé sur la colline en hauteur. Derrière lui, il entendait le cliquetis caractéristique provoqué par les armures des gardes qui le suivaient.

Taava rampait aussi vite qu'elle pouvait entre les sièges. Les invités avaient crié de plus belle quand le son du troisième tir avait claqué. Elle distinguait mal ce qui se passait, trop gênée par les jambes des autres. En quittant le rang de strapontins, elle se retrouva bientôt au milieu d'une foule affolée, lorsqu'elle distingua une petite voix plus proche. C'était Sprax.

- Par ici, ma chère, je vous prie !

Le Nalroni lui tendait une main pressante qu'elle saisit rapidement. Il l'emmena vers une porte dérobée, et bientôt ils se retrouvèrent dans les vestiaires, où ils purent souffler.

- Bien joué, cher ami.

- Ici, nous prendrons moins de risques.

Canderous grimpa quatre à quatre les marches de l'escalier qui menait au toit. Quand il y arriva, bien sûr, il n'y avait personne. Mais le mercenaire eut le temps de discerner un mouvement, celui d'une forme humanoïde s'engageant dans la forêt. Il se laissa tomber du haut du toit, heureusement peu élevé, puis il courut dans les bois. Braquant son blaster lourd à deux mains, Canderous regardait à gauche, puis à droite, prêt à l'assaut. Mû par son instinct, il s'arrêta net et ne bougea plus.

Il était sûr que l'assassin n'était pas loin. Tous sens en alerte, marchant aussi silencieusement qu'il pouvait, il scruta attentivement le petit bois. Il entendait les feuilles bruisser sous l'action du vent, les oiseaux chanter, le bois des branches craquer. Soudain une voix sourde, métallique, trancha la sérénité des lieux.

- Les statistiques indiquent que vous avez une chance sur sept cent quatre-vingt-trois de vous en sortir vivant. Je vous conseille de partir à l'instant si vous voulez rester intact.

Génial, un droïd assassin…

Canderous ne se dégonfla pas, et avança dans la direction d'où avait résonné la voix. Le droïd était caché derrière un arbre sur sa gauche s'il se fiait à son oreille… mais son instinct lui dictait un tout autre message. Il n'était pas né de la dernière pluie. Il se jeta en arrière, et esquiva de justesse un tir de disrupteur venant de sa droite. Toujours sur le dos, il braqua son arme vers la forme à moitié cachée dans l'ombre des arbres. Le blaster lourd aboya une fois, une seule, et frappa le droïd en plein thorax. Dans une gerbe d'étincelles, l'attaquant mécanique s'écroula. Le mercenaire se releva, et se rapprocha de son agresseur désormais inoffensif.

Le droïd était apparemment un vieux modèle. Un droïd de Combat Baktoid Automata de série B1, une antiquité datant d'avant la Guerre des Clones. Son arme, par contre… Un disrupteur Tenloss DFT-3, modèle de prédilection de la plupart des assassins. Sans application, il avait une puissance équivalente à celle d'un blaster normal, ce qui n'était déjà pas mal. Mais si on prenait le temps de le charger, quelques secondes à peine, il devenait une arme tellement puissante qu'il pouvait faire exploser la tête d'un bantha comme un ballon de baudruche. Alors, que penser de la patronne… Il remarqua un peu plus loin un petit haut-parleur escamotable calé entre deux des branches d'un arbre. De quoi tromper un poursuivant non averti. C'est à ce moment que les gardes rejoignirent le mercenaire.

- Alors, où est-il ?

- C'est bon, je maîtrise.

- Bon, on va mettre le secteur sous surveillance. Besoin de quelqu'un ?

- Ouais… un informaticien.

Le chef Stern finissait de rassembler les invités. Sprax et Taava avaient rejoint les autres à l'extérieur, et Chi'ta avait escorté le couple Paddox jusqu'à la sortie. Bientôt, les émotions s'apaisèrent, les peurs se dissipèrent, quand Canderous revint avec la tête du droïd assassin avec un ironique « voilà votre tueur… »

Les derniers convives étaient partis. Seuls étaient restés dans les coulisses de l'amphithéâtre la Haute Dame Bathos, le chef Stern, et la garde personnelle de la Dame… ainsi que quatre personnes : Canderous Tal, Chi'ta Koskaya, Taava et Hassla Morgreed. Ce dernier, appuyé contre le mur, bras croisés, marmonna à l'attention de Dame Bathos :

- Ma Dame, je regrette d'avoir dû vous bousculer comme ça, mais quand il y a des risques, on ne peut pas se permettre de palabrer, dans ce métier.

- Je vous en prie, maître Morgreed, c'est tout à votre honneur. Votre maîtresse doit se sentir en sécurité avec un tel professionnel. Je vais pouvoir vous rendre à elle, d'ailleurs, car votre contrat est terminé, et vous l'avez brillamment rempli.

- Dommage pour Quayle.

- Il sera inhumé dans une sépulture de première classe. Sans lui, je ne serais peut-être plus de ce monde, maintenant. Vous êtes peiné ?

- Pas pour lui, il connaissait les risques du métier, et n'a pas eu le temps de souffrir. C'est pour sa femelle que je m'en fais.

- Il était marié ?

- Avec une « Ari ».

- Je lui allouerai une pension à vie dès demain.

Canderous ne disait rien, et se contentait de jouer avec l'une de ses vibro-dagues. Taava était restée, et personne ne l'avait priée de partir. Une de ses qualités était sa persévérance. Quelqu'un avait tenté de tuer… Quelqu'un qui avait envoyé un vieux droïd de combat équipé d'un fusil dernier modèle, pour abattre une de ses meilleures clientes – elle fournissait la maison Cadriaan, d'où la confiance que le chef Stern avait eu en la laissant rester. La curiosité la poussait, elle avait compris qu'elle venait de mettre les pieds dans quelque chose d'énorme… et elle aimait cette idée. De vieux souvenirs de frissons délicieux ressentis dans des situations périlleuses lui revenaient en mémoire. Intérieurement, elle souriait. Elle se tourna vers Dame Bathos.

- Vous savez qui a fait ça ? Vous avez des ennemis, je suppose, mais y en a-t-il un auquel vous pensez en particulier ?

- En tant qu'autorité suprême de la Maison Cadriaan, j'ai renoncé à compter tous ceux qui veulent me voir disparaître depuis longtemps. Toutefois, je n'ai pas d'idée précise sur le responsable de cet attentat.

- Des menaces, récemment ? grommela Canderous.

- Non, maître Tal.

Chi'ta, assise sur une table, tourna la tête vers Dame Bathos, d'un air interrogateur.

- Est-ce que votre fille va bien ?

- Oui, je vous remercie, mademoiselle. Elle a eu très peur, mais mon gendre m'a contacté il y a quelques minutes, ils sont en sécurité maintenant. La Maison Cadriaan vous doit d'ailleurs des remerciements.

- Si seulement j'avais pu être moins maladroite…

- Mouais, répondit le chef Stern, mais maintenant, si vous le permettez, Dame Bathos, je vais vous raccompagner jusqu'à l'ambassade.

- Très bien, allons-y.

- Et vous quatre, vous venez avec moi.

Canderous leva des yeux indignés.

- Hé, j'ai fini mon boulot, maintenant ! Le reste ne me regarde plus.

- Oui, mais vous ne serez pas contre quelques heures sup, n'est-ce pas ?

- Je vous suis, déclara Taava d'un ton déterminé.

- Je dois suivre Dame Bathos, ronchonna Morgreed, qui n'avait pas l'air content.

Chi'ta ne dit rien, mais personne ne s'étonna quand elle suivit d'elle-même le reste du groupe. Ils montèrent dans le répulseur qui suivait la limousine privée de Dame Bathos.

Quelques dizaines de minutes plus tard, ils étaient dans la salle d'informatique de l'ambassade Cadriaan. Un technicien Verpine finissait de bricoler la tête du droïd. La grande créature filiforme avait branché des câbles sur les circuits de la mémoire artificielle, et les avait relié sur son ordinateur. Elle tourna ses yeux à multiples facettes vers le chef, et dit d'une voix bourdonnante :

- Ze doute qu'on récupère beaucoup d'informazions, car le tir de blazter a provoqué un court-zircuit qui a altéré la mémoire du droïd, mais il y a quelque zose… Attendez, voilà ! Z'ai quelques images de ze que le droïd a vu… zi z'en crois l'horloze mémorielle, za z'est passé environ trois quarts d'heure avant zon arrêt définitif.

Une image brouillée apparut sur l'écran, puis se fit de plus en plus nette. Une table. Des verres devant une silhouette installée en face du droïd. Une enveloppe contenant des cartes de crédits. Derrière la silhouette, une enseigne en néon sur le mur… Le Rancor Affamé. Enfin la silhouette se fit plus nette, tandis qu'une voix gloussante, désagréable, disait :

- Le second paiement sera effectué ce soir, après votre travail. Retrouvez-moi ici à dix-neuf heures.

- Bien, monsieur Klytus… répondit la voix métallique du droïd, pendant que le bras mécanique ramassait l'enveloppe.

La voix avait un visage. Un petit Humain, très gros, au teint livide, une petite moustache par-dessus d'énormes lèvres, de petits yeux cupides, et un ridicule chapeau rond en plexiglas transparent qui laissait voir la raie de ses cheveux noirs de jais.

Le chef Stern eut un sourire satisfait.

- Bien, je compte sur vous pour faire parler ce rigolo. Je veux savoir qui l'a payé pour engager ce droïd.

Le Rancor affamé était un établissement que Taava ne recommanderait pas à ses amis. Sombre, poisseux, à l'atmosphère étouffante… même la musique du juke-box était sinistre à souhait, une espèce de succédané d'Annadale Fayde. Il y avait un énorme comptoir, tenu par un non moins énorme Herglic, et au fond de la salle, dans le coin le moins éclairé, il y avait une demi-douzaine d'alcôves. L'endroit idéal pour effectuer une transaction louche, songea la jeune Togruta.

Justement, l'une des alcôves était déjà occupée. C'était bien l'Humain que le droïd avait rencontré. Taava regarda vers le comptoir, vérifia que Canderous était prêt à barrer la route à leur victime si elle tentait de se sauver par l'entrée principale, et s'assit en face de lui sans façon, comme si c'était elle qu'il était en train d'attendre. Elle posa son sac à dos sur la table.

- Salut, Klytus, tu vas bien ?

- Heu… Mais qui êtes-vous ?

- De sérieux ennuis si tu décides de jouer au malin avec moi.

- Ce n'est pas vous que j'attendais, glapit le gros homme en regardant nerveusement vers l'entrée.

- Ah, tu parles de notre ami commun en fer-blanc ? Inutile de se soucier de lui, il a eu un petit contretemps.

Taava sortit de son sac la tête du droïd assassin et la laissa tomber sous le nez de Klytus. Il sursauta avec un petit cri effrayé.

- Maintenant, mon gros, tu vas gentiment me suivre. Nous avons à parler.

Klytus fit mine de se lever docilement, mais lança son verre de lum à la figure de la jeune femme. Après quoi, il se précipita vers la porte. En voyant un grand rasta faire volte-face vers lui, il pivota des talons, et courut dans la direction opposée. À peine eut-il franchi le seuil de la sortie de secours qu'une poigne de fer le souleva par le col. Il hurla quand il vit les deux yeux de reptile menaçants au-dessus d'une bouche où s'alignaient les crocs luisants de salive.

- C'est l'heure de passer à la casserole, pâté en croûte !

Quelques instants plus tard, Taava, Morgreed et Canderous étaient assis en face de Klytus, à nouveau dans l'alcôve. Taava commença :

- Bon, et si tu nous disais qui t'a engagé ?

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Morgreed frappa la table d'un grand coup du plat de la main. Taava prit un air qui se voulait conciliant.

- Inutile de l'énerver, pas vrai ? Allons, nous savons tous que tu cracheras le morceau d'une manière ou d'une autre. La question est de savoir combien d'os il faudra te casser pour ça. Tout ce qu'on te demande, c'est l'identité de ton patron, et pourquoi faire assassiner Dame Bathos. Alors, ou tu nous réponds gentiment et on te laisse patauger dans ta merde, ou tu décides de te rebiffer, et mon ami Barabel dont ton complice a failli abattre la cliente te plie et te replie tellement que tu tiendras dans cette cloche à fromage que tu portes sur le crâne.

- Ce… c'est que… si je parle, mon employeur va être furieux…

- Et pas nous, à ton avis ? gronda Canderous en faisant craquer ses doigts.

- Je ne connais pas son nom ! Mais j'ai vu la broche de sa veste. Il était noble ! Sa décoration était le symbole d'une Maison.

- Laquelle ?

- La Maison Mecetti !

- La Maison Mecetti ?

- C'est ce qu'il nous a dit, chef.

- Manquait plus que ça…

Maleek Stern avait seulement poussé un petit soupir. La soirée s'annonçait longue. Chi'ta demanda :

- Je suis un peu gênée, chef Stern. Est-ce nécessaire de le garder prisonnier ?

- Ma petite dame, la Maison Mecetti est la plus grande rivale de la Maison Cadriaan depuis des temps immémoriaux. Les mesquineries, les coups bas et les traîtrises se sont multipliés sur des siècles entre les deux Maisons, aussi bien d'un côté que de l'autre. Ces vingt dernières années, nous avons pourtant conclu une sorte d' « accord tacite » d'ignorance mutuelle, mais là… Nous devons en savoir plus, même si nous devons cuisiner ce Klytus pendant des jours.

- Peut-être qu'ils ont été vexés de ne pas avoir pu venir à la fête. Aucun Mecetti n'était sur la liste des invités, observa Canderous.

- Ils ne seraient pas venus de toute façon, et je doute que ça soit suffisant pour les énerver à ce point-là. Bon, nous devons…

L'intercom du bureau du chef Stern sonna.

- Stern, j'écoute… Oui, ma Dame… Tout de suite.

Le chef Stern invita les quatre investigateurs le suivre. Ils marchèrent jusqu'à une grande salle de communication circulaire, où attendaient Dame Bathos et un homme. L'homme accusait une bonne soixantaine d'années standard, avait les tempes grisonnantes, une barbe bien taillée, et un regard inquisiteur. Ce qui n'étonna pas Chi'ta, ni Taava, encore moins Morgreed, quand ils constatèrent que l'homme portait un uniforme aux couleurs de l'Empire. Dame Bathos les salua.

- Bonjour, mes amis. Entrez donc.

- Qui est cet Humain ? demanda Morgreed avec une colère mal contenue.

- Du calme, maître Morgreed. Je vous présente le Moff Laird Gustavu, responsable de l'enclave impériale du secteur Tapani. Il n'a pas pu venir hier, mais a tenu à me présenter ses hommages, aujourd'hui.

- Que fait-il ici, Haute Dame Bathos ? Je croyais que vous étiez pro républicaine, s'étonna Taava.

- Oui, mais le Moff Gustavu incarne un important pouvoir avec lequel je dois régulièrement traiter, même si ça ne plaît pas forcément à tout le monde.

- Mais je vous rassure, ajouta l'homme en roulant fortement les « R », je n'ai aucune autorité sur cette planète. Je ne suis là qu'en tant qu'ami, rien de plus. Alors, ne pensons pas à mal, et serrons-nous la main.

Un sourire forcé aux lèvres, le Moff Gustavu se leva, et tendit la main vers Morgreed, mais celui-ci ne la serra pas. En revanche, il gronda en retroussant légèrement ses babines. Le Moff se tourna vers Taava, qui croisa les bras, en le regardant avec défi. Dame Bathos reprit la parole.

- Hum, bon, nous n'allons pas tergiverser pour ces broutilles, n'est-ce pas, Laird ? Nous avons une affaire urgente à régler.

- Certes, ma Dame.

- Je vous en prie, mesdemoiselles, messieurs, installez-vous confortablement. J'ai une conversation importante à effectuer, et j'ai envie que vous soyez mes témoins.

- Qui allons-nous voir, Haute Dame Bathos ? interrogea Chi'ta.

- Don Nycator de Mecetti, le représentant de la Maison Mecetti sur Procopia.

- Vraiment ? Ma Dame, je n'ai jamais entendu ce nom-là, et pourtant je suis sommairement la politique de cette planète – il faut bien que je connaisse les forces en présence à qui je pourrais vendre mes marchandises.

- Bonne observation, Togruta, mais ces derniers temps, il y a eu des remaniements hiérarchiques chez les Mecetti, répondit le Moff Gustavu. Vous le savez, la Maison Mecetti est en plein redressement. Ces dernières années, le Haut Seigneur Bodé Leobund XI a organisé de grandes opérations de réarmement des armées Mecetti, et a réorganisé la hiérarchie de la Maison Mecetti, dont tout le monde n'a pas encore forcément eu vent.

- Mais vous êtes au courant, Impérial ? Et vous êtes suffisamment fier pour étaler votre savoir et vous permettre de répondre alors que ce n'est pas à vous que je m'adressais !

- Mademoiselle, je vous assure que…

- Et moi, je t'assure que je te calerai la tête sous le bras si tu ne te tais pas immédiatement, chien !

- Maître Morgreed, je vous en prie, restez donc calme ! ordonna Dame Bathos.

Les gardes Cadriaan, flairant le danger, avaient déjà levé leurs fusils blaster. Canderous murmura :

- Du calme, mec, ils ne plaisantent pas.

Morgreed tourna le dos au Moff et se renfrogna dans un coin de la pièce pour bouder. Soulagée d'avoir évité une bagarre, Dame Bathos s'approcha de son bureau.

- Bien, maintenant que cette question-là est réglée, je contacte l'ambassade.

Dame Bathos composa un numéro sur le clavier du petit bureau, et toute la paroi du fond de la pièce s'alluma. D'abord, un écusson tournoya lentement sur l'écran : il représentait un griffon assis, les ailes déployées devant un étendard. Puis, un instant plus tard, apparut un Humain.

Debout dans le champ de la caméra, il avait l'air jeune, mais très sûr de lui, voire arrogant. De taille moyenne, carrure sportive, il était parfaitement à l'aise dans un magnifique costume noir décoré de nombreuses broderies dorées. Un léger duvet ornait son menton, et son visage fin encadré de longs cheveux teints en blond affichait un grand sourire radieux. Taava jugea qu'il devait peut-être avoir trente ans, et qu'en tant qu'ambassadeur de la Maison Mecetti, il n'avait sans doute jamais manqué de rien. Il n'avait pas non plus l'air de quelqu'un qui partageait volontiers. Il leva une main ornée de lourdes bagues devant la bouche pour toussoter.

- Haute Dame Bathos de Cadriaan, c'est un honneur, et un plaisir ! Pendant que j'y pense, joyeux anniversaire !

- Merci à vous, Don Nycator de Mecetti, je suis très touchée par tant de sollicitude.

- Oh, mais je vois que nous avons des invités de marque, aujourd'hui. Salut, Gus ! J'espère que vous avez brossé le tapis rouge de votre croiseur pour le petit passage de votre maître.

- Ne prenez pas ce ton-là avec moi, Don Nycator, ou vous pourriez le regretter, tout représentant que vous êtes.

- Oh… Je suis mort de peur, Maman, au secours ! Ha ha… ? Hé, mais qui sont tous ces gens ? Vous devez vous sentir mal en compagnie de trois non-Humains, n'est-ce pas, Gus ?

- Je vous en prie, Don Nycator ! s'exclama Dame Bathos d'un ton sans réplique. Vous savez très bien pourquoi je vous ai appelé.

- Ha… à vrai dire, non.

- Un tireur embusqué a tenté d'abattre Dame Bathos hier, devant des centaines de témoins, Don Nycator, expliqua le chef Stern. Nous l'avons rattrapé, puis interrogé, puis nous sommes remontés jusqu'à son intermédiaire, qui nous a dit que la Maison Mecetti avait commandité cet attentat.

- Je vous en prie, Stern… Ne me dites pas que vous avez avalé ça ?

- Je n'ai rien avalé du tout, je fais mon boulot. Et je vous invite à travailler avec nous, car pour l'heure, en tant que représentant de la Maison Mecetti sur ce monde, vous êtes le principal suspect dans cette affaire, et si nous trouvons d'autres éléments en ce sens, nous pourrons facilement vous traîner devant la Chambre du Grand Conseil. Vous avez tout intérêt à nous aider à prouver que ce n'est pas vous qui avez engagé ce droïd assassin par l'intermédiaire de Klytus.

- Klytus ? Ce nom ne me dit rien.

- Pourquoi ça ne m'étonne pas ? ironisa le Moff.

- Pourquoi fourrez-vous votre grand nez crochu dans ce qui ne vous concerne pas ? répondit Don Nycator sur le même ton. Vous savez combien de gens travaillent à l'ambassade Mecetti ? Trop pour que je puisse connaître chacun par son petit nom. Si ça se trouve, vous avez raison, il y a effectivement un ver dans le fruit de nos rangs, nous aurions alors affaire à un petit opportuniste qui aura voulu profiter de sa situation pour s'enrichir et me créer des problèmes. Et dans ce cas, je serai ravi de vous aider à le démasquer, et à laver les Mecetti de cette accusation très grave.

- À la bonne heure, murmura Dame Bathos.

- Mais peut-être que vous êtes justement ceux qui veulent me faire tomber ! Comment puis-je vous faire confiance, vous qui représentez précisément ceux qui nous font obstacle dans notre ascension depuis si longtemps ?

Chi'ta se boucha les oreilles, tant les cris qui éclatèrent suite à cette déclaration lui parurent insupportables. Sur Drall comme au Praxeum, elle n'avait jamais été confrontée à cette situation, une telle mesquinerie mêlée à une pareille violence, de la part d'autant de personnes soi-disant respectables à la fois. Elle regrettait l'absence de son Maître qui aurait sans doute mis tout le monde d'accord en quelques minutes. Elle allait se lever pour sortir et ne plus avoir à supporter ce triste spectacle, quand elle eut soudain une impression très bizarre. Elle perçut derrière le mur une sorte de rayonnement, et perdit tout sens de la réalité quand la porte s'ouvrit.

Elle n'était pas la seule. Tout le monde se tut. Dame Bathos prit un air réjoui. Sur l'écran, Don Nycator perdit son sourire cynique et se montra empreint de respect. Le Chef Stern s'assit, et eut une petite moue. Le Moff Gustavu déglutit avec peine, devenant rouge comme une pivoine. Les autres, nouveaux venus sur Procopia, se sentirent comme paralysés, à l'exception de Morgreed, qui eut un très large sourire béat.

Une Humaine venait d'entrer dans la salle de communication. Elle était véritablement exceptionnelle. Elle avait l'air jeune. Son visage calme avait des traits rappelant ceux des habitants des mondes désertiques, avec un nez légèrement épaté et des lèvres charnues. Sa peau était mate, légèrement dorée. Son corps délicat aux formes très attirantes était habillé d'une fine combinaison moulante blanche. Elle portait une sorte de mitre blanche, Canderous devina qu'aucun cheveu n'ornait son crâne fin. Mais le plus impressionnant n'était pas son apparence, mais l'impression qu'elle donnait. Il émanait de toute sa personne une incroyable quiétude, pendant un instant, la jeune Drall eut l'impression de voir une sorte d'aura émise par cette personne. Les yeux mi-clos, elle semblait plongée dans une profonde méditation.

Chi'ta comprit aussitôt que cette dame était une puissante servante de la Force. Elle ne put l'expliquer pourquoi, ni sur l'instant ni plus tard en y repensant, mais elle était également persuadée qu'elle sacrifierait sa vie sur-le-champ pour cette étrange personne. Elle n'arriva pas à rationaliser ce sentiment. Elle entendit même, comme dans le lointain, une très douce et mélodieuse chanson chantée par un chœur de voix féminines. Morgreed s'empressa de mettre un genou à terre et de s'incliner en signe de respect devant la femme. Sur l'écran, Don Nycator eut une expression réjouie.

- Dame Liryl… Si je m'attendais à voir la Dame de Sérénité elle-même intervenir dans cette affaire…

Liryl parla d'une voix lente, douce et claire, que Chi'ta eut du mal à entendre, tellement ses sens étaient encore brouillés.

- Je vous salue, Don Nycator de la Maison Mecetti.

- Quel plaisir de parler à quelqu'un comme vous, Dame Liryl.

- J'ai eu vent de cette préoccupante affaire, Don Nycator. À mon avis, ce n'est qu'une sombre machination qui ne vaut pas une guerre civile, qu'en pensez-vous ?

- Je pense comme vous, Dame Liryl. Il serait dommage que nous nous laissions emporter pour de la bagatelle.

- Je voudrais parler au nom de Dame Bathos de la Maison Cadriaan. Parvenir à un accord pour arranger ce contentieux.

- Mais ce sera une joie, Dame Liryl. Où et quand ?

- Le plus rapidement possible, et dans un terrain neutre.

- Ma propriété conviendrait-elle ? intervint le Moff Laird Gustavu.

- Pour moi, ça va, répondit Don Nycator.

- C'est convenu, déclara Dame Bathos. Mon émissaire sera là dans deux heures, accompagnée de ses servants.

- Vous voulez parler de cette joyeuse bande de rigolos ? Si ça les amuse.

Canderous eut un mal fou à se retenir d'envoyer promener le Mecetti, mais n'en fit rien, et se promit d'attendre le moment opportun de lui montrer sa façon à lui de s'amuser.

Un bon coup de poing sur la gueule, par exemple…

La journée se terminait sur la campagne procopienne. Le vent sifflait calmement sur les dunes, balayant le sable. Les rats womp galopaient joyeusement près de la ligne, mais s'enfuirent de toute part quand le monorail traversa la plaine sableuse dans un vrombissement. Dans le wagon personnel de Dame Bathos, la délégation attendait. Taava passait distraitement ses doigts sur ses tentacules crâniens, Canderous était vautré sur la banquette, Chi'ta ne quittait pas des yeux Dame Liryl, qui regardait le paysage par la fenêtre. Morgreed était debout devant l'unique porte du wagon. Dame Liryl récapitulait :

- Bien, l'idée consiste à aller voir Don Nycator de Mecetti pour négocier un moyen de réconciliation. Il va sans doute y avoir de longues discussions, peut-être des haussements de ton, mais je ne l'espère pas.

- Ce clown blond m'a vraiment tapé sur les nerfs. S'il recommence à se foutre de nous, je lui brise les genoux ! grogna Canderous.

- Voyons, nous devons rester très conciliants, murmura Chi'ta avec prudence.

- Aller chez les Impériaux ne vous fait pas plus d'effet que ça ? Après tout ce qu'ils ont pu vous faire, à vous, les Jedi !

- Je ne suis pas encore une Jedi, maître Tal. En plus, même si je ne suis pas Humaine, ils ne m'ont pas fait du mal personnellement. Donc, je n'ai aucune raison d'éprouver de la colère envers eux. « La colère n'existe que si tu lui permets d'exister ». C'est un adage Jedi.

- Je connais un autre adage : « trop bon, trop con ».

- Attention, les amis. À l'ambassade, vous étiez sous la protection des Cadriaan, mais maintenant, nous entrons en territoire impérial. Le fief du Moff Gustavu est officiellement dépendant de l'Empire, et par conséquent, c'est la Loi Impériale qui entrera en vigueur quand nous descendrons du train.

Chi'ta frémit, et fixa Dame Liryl d'un regard inquiet. Taava se leva, anxieuse.

- Vous voulez dire que… dès qu'on descendra du train, ils risquent de nous mettre en prison parce qu'on n'est pas Humains, c'est ça ?

- Non, ne vous en faites pas, nous sommes tout de même sur Procopia. S'ils le faisaient, ils ne pourraient pas vous faire quitter la planète sans que l'autorité du Grand Conseil ne les stoppe. En outre, nous sommes sous immunité diplomatique, tant que nous ne commettons aucun impair, nous sommes intouchables. Là où je veux en venir, c'est que vous allez devoir faire extrêmement attention à votre comportement. Je suis Humaine, je ne puis ressentir ce que vous pouvez éprouver face à ces gens-là, mais pour le bien de cette mission diplomatique, vous devrez faire abstraction de vos émotions. Si vous faites du remue-ménage, ils risquent de mal le prendre, et de vous le faire savoir. L'incident diplomatique peut éclater dans les deux sens. La raison doit l'emporter sur l'instinct.

Morgreed renifla, et soupira, de mauvaise humeur. Chi'ta leva l'index, et prononça à voix haute :

« Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix. Il n'y a pas d'ignorance, il y a la connaissance. Il n'y a pas de passion, il y a la sérénité. Il n'y a pas de mort, il y a la Force. »

Le Barabel sourit, apaisé. Le train ralentit, Taava regarda par la fenêtre, et vit les lumières d'une habitation au loin sur une colline. Le monorail s'arrêta à une petite gare. Les passagers se levèrent, et Morgreed posa la patte sur la poignée de la porte. Il regarda Liryl d'un air interrogateur, et la déverrouilla quand elle lui fit un petit signe de tête. Chi'ta frissonna quand la porte s'ouvrit.

Devant le wagon attendait tout un cortège de soldats impériaux. Tous alignés, fusils blasters au poing, ils ne bougeaient pas. Au milieu du peloton, le Moff Laird Gustavu, arrivé en navette, accueillit la délégation à bras ouverts.

- Soyez les bienvenus, chers invités. Bienvenus dans mon modeste domaine. Si vous voulez bien me suivre dans mon véhicule de transport privé, nous serons à mon manoir dans quelques minutes. Don Nycator de Mecetti nous y attend.

La fourgonnette était un grand véhicule spacieux et confortable. Elle ne mit que quelques minutes à arriver jusqu'à la propriété. Le véhicule franchit la grille, et Chi'ta sentit son appréhension monter d'un cran lorsqu'elle vit le portail se refermer automatiquement, puis deux soldats de choc se poster devant les barreaux.

Ils arrivèrent aux abords d'un grand manoir à trois étages bâti sur une colline. La lumière du soleil couchant éclairait la façade grisâtre de la demeure, ainsi qu'un grand jardin, que la délégation traversa.

Quand Chi'ta passa devant l'un des soldats de choc qui bordaient l'allée, elle sentit un changement d'humeur chez le garde, et devina sous son casque froid une moue de pitié condescendante. C'en était trop pour elle. Exhibant ses incisives, elle émit un sifflement farouche. Le soldat resta impassible. Le reste du petit groupe profitait de la promenade. Taava éprouvait tout de même une impression dérangeante. Se trouver au milieu de tant d'Impériaux sans pour autant être ouvertement pourchassée était très inhabituel, et ça ne la rassurait pas du tout. Et si l'un d'eux oubliait tout équilibre diplomatique et laissait parler son endoctrinement ? Instinctivement, elle se rapprocha du Barabel.

Morgreed regardait les statues exposées le long de l'allée. S'arrêtant devant l'une d'entre elles, il lut péniblement la plaque de marbre sur le socle : « Grand Amiral Thrawn ». Plus loin il se planta devant une fontaine, sculptée sous la forme d'un petit homme voûté enveloppé dans une robe de Jedi avec une cagoule rabattue sur un visage ridé comme un vieux pruneau : « Palpatine, Empereur de l'Univers ». Son front se creusa sous une intense réflexion, puis il rit à gorge déployée.

- Hé, ils sont marrants, ces Impériaux ! Ils collectionnent les statues de gens qui sont morts !

Il y eut un instant de flottement, à la suite duquel le Moff Gustavu eut l'air gêné. Canderous jubilait intérieurement en voyant ces agents des Vestiges contraints d'encaisser les moqueries de ses comparses sans pouvoir y répondre. Les Impériaux avaient tellement malmené les non-Humains pendant tellement de temps… une petite leçon ne leur ferait pas de mal.

Enfin dans le salon, les membres de la délégation prirent place sur les sofas. Taava fut encore plus écœurée en voyant Don Nycator en personne.

Et en plus, malgré toutes les richesses qu'il doit avoir, il met un parfum bon marché !

Au bout d'une heure, les choses étaient finalement arrangées. Don Nycator de Mecetti ne demanda au bout du compte qu'une chose : Klytus.

- La remise de cet intermédiaire à nos services de renseignements sera considérée par notre Maison comme une excellente collaboration, et cet incident sera vite oublié. Et pour vous prouver ma bonne foi, je vais offrir à Dame Bathos un beau cadeau d'anniversaire.

Don Nycator claqua du doigt. Une servante Twi'lek vêtue seulement d'un pagne et de sandalettes approcha sans oser lever les yeux, portant un plateau d'argent sur lequel était posée une boîte ornée de sculptures particulièrement raffinées. Taava regarda d'un œil noir le Mecetti. Celui-ci haussa les épaules avec un sourire gêné.

- Que voulez-vous, ma chère, j'adore regarder les belles poitrines. Pourquoi les femelles de la plupart des espèces les cachent-elles ?

La jeune Togruta ne répondit rien, mais elle serra les poings de rage. Nycator prit la boîte, et l'ouvrit. À ce moment, Chi'ta sentit un frisson électrique lui parcourir le système nerveux. Elle vit, posé sur un coussin de velours rouge, un très étrange petit objet. C'était une pyramide à quatre faces et à base carrée de quinze centimètres d'arête, agrémentée de chrome et d'or, chaque face portait des gravures et ciselures au nombre incroyable de détails. Cela ressemblait à un artefact, sans doute d'une valeur marchande vertigineuse. Du vertige, Chi'ta en éprouvait en regardant l'objet. Elle discerna même un faible éclat luisant iriser ses faces visibles. Elle entendit un petit tintement, très discret, mais très net.

Cet objet… et si c'était un… un holocron ? Il faudra que j'en parle à Maître Horn.

La voix de Don Nycator la ramena à la réalité.

- C'est un de mes biens les plus précieux. Comme l'attestent les gravures sur la boîte, il vient du lointain secteur de Kathol. J'espère que Dame Bathos l'acceptera à sa juste valeur.

- J'en suis persuadée, Don Nycator, répondit Dame Liryl avec un petit sourire.

- Voilà. Je vous remercie de nous avoir tous accueillis, Moff Gustavu.

Quand il est face à lui, il reste poli, songea Morgreed avec mépris.

Alors que le monorail repartait vers l'île Estalle, Taava soupira de soulagement.

- Pouah ! Enfin nous sommes libres ! Cet espèce de sale pervers de Mecetti ! Qu'il essaie un peu de me réduire à l'état d'esclave à moitié à poil ! Je lui ferai avaler ses bijoux de famille en salade !

- Nous n'avons plus à le supporter, maintenant, mademoiselle Taava. Tranquillisez-vous donc, je devine que vous êtes trop forte pour lui, répondit Chi'ta.

La nuit était tombée. Le train filait à grande vitesse. La femme Togruta s'étira en bâillant, et se tourna vers le grand Barabel.

- Tu semblais connaître Dame Liryl avant qu'on nous la présente, Morgreed.

- C'est exact. Maîtresse Liryl m'a sorti d'une mauvaise passe, et j'ai juré de la servir, et je n'hésiterai pas à donner ma vie pour conserver intacte la sienne ! dit-il en se redressant fièrement.

Personne ne dit rien. Il n'y avait rien à rajouter. Taava se demanda quand même quelle avait pu être cette « mauvaise passe ». Canderous distingua quelque chose par la fenêtre. La lumière de phares d'un petit véhicule, petite tache claire dans la nuit… et le monde entier se renversa.

Morgreed sentait que la peau de son crâne était fendue. Heureusement, le cuir écailleux de son épiderme en avait vu d'autres. Non, il n'avait qu'une inquiétude en tête.

- Maîtresse ?

Il n'y eut pas de réponse. Morgreed constata qu'il était coincé sous la banquette du train, et que la table vissée au plancher était au-dessus de lui. Quelque chose avait retourné le wagon. Bandant ses muscles, il dégagea d'un seul mouvement le poids mort, et bondit à travers l'encadrement de la porte heureusement dégagé.

Dehors, c'était le chaos. Le monorail tout entier était sens dessus dessous, et la matrice avait pris feu. Les flammes dansaient, éclairant violemment les dunes. Une petite explosion ébranla les alentours.

- Maître Morgreed !

Le Barabel fit volte-face, en saisissant dans un réflexe son fusil blaster. C'était Chi'ta.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Où est Maîtresse Liryl ?

- Nous la cherchons, justement. Nous avons été renversés quand le train a quitté sa route pour s'écraser sur le côté.

- Vraiment ?

- Regardez le rail !

Le rail avait été arraché par une violente explosion.

- Qui a fait ça ? demanda Canderous.

- Une explosion, du travail d'amateur, remarqua Taava. Il a mis beaucoup trop d'explosifs, il aurait pu faire sauter le train avec, et ce n'est pas ce qu'il voulait, sinon il aurait utilisé un canon au lieu de s'emmerder à le faire dérailler.

- Qu'importe ! Où est Dame Liryl ?

- Ici, petits ignorants !

Derrière les flammes avançaient deux personnes, collées l'une à l'autre. La voix haut perchée railla encore :

- Cette fois-ci, ma chère cousine verra que je vaux mieux que ce qu'elle croit !

Morgreed jura en reconnaissant la petite silhouette maigrichonne de Niklas Veiler. Mais son muscle cardiaque s'emballa quand il vit que celui-ci tenait une dague flambant neuve sur la gorge de Dame Liryl, qu'il serrait contre lui de son bras. Dans l'autre main, la droite, il tenait la petite pyramide chromée. Le Barabel fut interloqué. Comment ce petit tordu avait fait pour savoir qu'ils étaient dans ce train, et qu'ils avaient hérité de cet objet ? Que comptait-il en faire ? Et surtout, aurait-il l'audace d'aller jusqu'au bout de son geste, et utiliser sa dague pour attenter à la vie de sa maîtresse ?

En pensant à cette dernière question, Morgreed était épouvanté. Son cœur s'affolait rarement, il prenait les menaces sur sa vie avec le sourire, mais en voyant le couteau chatoyer sur la peau dorée de Dame Liryl, il se sentait plus vulnérable qu'une petite salamandre. Dame Liryl, cependant, n'avait pas l'air inquiète, ou apeurée, ni même énervée. Elle était calme, très calme, son visage n'exprimait aucune émotion. Elle semblait être dans une sorte de transe méditative.

Des bruits de blaster éclatèrent par-dessus le grésillement de l'incendie. Trois individus armés de fusils laser étaient perchés sur les wagons, et mitraillaient copieusement dans leur direction. Un quatrième était passé par derrière, et tirait à tout va. Canderous n'hésita pas longtemps. Il sortit une vibro-rapière et se précipita vers ce dernier porte-flingue. Esquivant aisément les tirs, il faucha net sa cible, en ricanant de satisfaction devant le manque de professionnalisme de son agresseur. Simultanément, Taava avait sorti son petit blaster de défense, et mis hors d'état de nuire deux des trois attaquants du train.

Chi'ta décida d'agir à son tour. En tant que padawan Consulaire, elle n'avait suivi qu'une formation assez basique sur le combat, et jamais l'occasion de se battre contre quelqu'un ne s'était présentée, en dehors du droïd d'entraînement de l'Académie. Mais si elle connaissait ses lacunes, il n'en était sûrement pas de même pour des brutes qui n'avaient peut-être jamais vu un Jedi de leur vie. Elle porta la main à son ceinturon, sortit un peu maladroitement le petit cylindre argenté qu'elle avait gardé au côté sans trop oser y toucher, et appuya sur le bouton de contact.

Que le Grand Fouisseur guide mon bras !

La brillante lame verte de son sabre-laser jaillit dans la nuit, sous les yeux étonnés du troisième attaquant. Chi'ta siffla en faisant des moulinets avec son arme, projetant des reflets sur toute la paroi du wagon. Sa ruse avait réussi. L'homme avait été tellement surpris par ce spectacle insolite qu'il en oublia Taava. Un tir de blaster paralysant le fit tomber du wagon.

Pendant ce temps, le Barabel avait dû faire un effort surhumain pour ne pas agir sur un coup de tête. Veiler tenait toujours Dame Liryl à sa merci, et riait méchamment. Pendant une fraction de seconde, des images épouvantables se bousculèrent dans l'esprit de Morgreed. Il vit Dame Liryl égorgée, Veiler arracher son cœur de Barabel de sa poitrine de ses mains longuement griffues. Mais il se ressaisit.

- Prends ça, gros crapaud !

Veiler brandit la pyramide, en appuyant du pouce sur l'un des motifs. Un grand arc d'énergie verte fusa vers Morgreed, et le frappa de plein fouet. Le Barabel recula, encaissant mieux le coup qu'il n'aurait pu le penser. Mais Veiler ne s'en tint pas là.

- Contemple la puissance et le pouvoir à l'état pur !

Une fois de plus, l'arc énergétique ondula en direction de Morgreed, qui ne sentit même pas un picotement, trop concentré sur sa seule préoccupation. Morgreed fronça les yeux, jusqu'à ce qu'ils ne furent plus que deux étroites fentes à peine perceptibles dans la semi obscurité. Il se concentra de tout son intellect rustre mais sincère. Une seule idée résonnait dans son petit cerveau :

Tu dois le neutraliser sans blesser Maîtresse Liryl. Concentre-toi sur son bras. Concentre toi sur son bras. Son bras… son bras…

Il ne sut l'expliquer, mais le temps semblait ralentir autour de lui, les contours se firent plus nets, les détails plus clairs. Il discernait même les différentes pierres précieuses qui ornaient les bagues de la main qui menaçait sa maîtresse. C'est alors que Niklas brandit une fois de plus l'objet, mais cette fois-ci, il ne se passa rien. Il le brandit derechef, toujours rien. La surprise, la déception, l'effarement, la panique, se succédèrent sur son visage tordu. Il relâcha son étreinte, et secoua l'artefact, de plus en plus nerveusement.

Maintenant !

Le fusil blaster de Morgreed cracha son rayon meurtrier. La main du noblaillon explosa, et la pyramide chromée tomba dans le sable. Poussant de petits cris suraigus, affolés, Veiler lâcha son otage, sa dague, et s'agrippa l'avant-bras de sa main valide, le secouant en tombant à genoux. Le Barabel rangea son fusil en courant vers l'Humain, et lui décocha un tel coup de poing au visage qu'il l'envoya s'écraser quelques mètres plus loin.

Chi'ta, qui avait rangé son sabre, aida Dame Liryl a se relever.

- Ma Dame, tout va bien ?

- Oui, oui, merci à vous tous.

Morgreed traîna les pieds jusqu'au petit groupe, l'air penaud.

- Maîtresse, j'ai…

- N'aie point d'inquiétude, Hassla. D'autres auraient été encore plus pris au dépourvu confrontés à ça.

Dame Liryl se baissa, et tendit la main vers l'objet. Chi'ta agrippa alors son bras.

- Attention !

- Ne vous en faites pas, cet appareil est désormais inoffensif.

En effet, Chi'ta ne sentait plus l'influence malsaine de la pyramide.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Je n'en sais rien, mais Niklas Veiler a épuisé le peu d'énergie qui subsistait à l'intérieur. Je ne sens plus aucune force en émaner.

- Qu'est-ce qu'on va faire de lui ? grogna Canderous.

Veiler était recroquevillé dans la poussière, larmoyant, marmonnant juste « Ca ne devait pas se passer comme ça… ça ne devait pas se passer comme ça… »

- J'ai peur que l'artefact n'ait influencé son esprit de manière irréversible.

- Bah ! Son esprit ne devait déjà pas être très équilibré, commenta Taava.

Une demi-heure plus tard, une navette frappée au blason de la Maison Cadriaan se posa près du train. Les cinq porte-parole n'avaient pas bougé, Canderous et Morgreed tenaient en joue le bandit survivant et Niklas Veiler. Le chef Stern descendit rapidement, escorté de trois gardes.

- Ah, vous voilà !

- Salut, chef ! dit simplement Taava.

- Vous parlez d'une panade ! D'abord, on n'a pas vu le train arriver, puis il y a eu une coupure de courant dans toute une partie de l'île Estalle, ils ont signalé le problème, je suis venu aussi vite que j'ai pu. Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

- Demandez à cet avorton, suggéra la Togruta en montrant du pouce Veiler, qui marmonnait toujours dans sa barbe.

- Embarquez-moi ça. Allez, vous autres, grimpez à bord, vous m'expliquerez sur le chemin.

Maleek Stern, Dame Bathos et Sprax écoutèrent attentivement dans le petit salon le récit des cinq membres de la délégation.

- C'est tout bonnement incroyable, souffla Dame Bathos.

- Si je comprends bien, Niklas Veiler a mis la main sur ce dispositif, commenta le chef Stern en montrant du doigt la pyramide posée sur la table, et s'en est servi comme d'une arme à énergie ?

- Cette technologie est… fascinante. Et terrifiante à la fois, murmura Sprax avec un regard gourmand et troublé.

Le petit Nalroni toussota, et s'adressa à Dame Bathos.

- Ma Dame, avec votre permission, j'aimerais vous emprunter cet objet. J'ai d'excellents analystes qui pourront tirer quelque chose de concret.

- C'est précisément pour cela que je vous ai fait venir, maître Sprax. Mais je vous en prie, surtout, ne prenez pas de risques inutiles ! Je serais navrée d'apprendre que l'immeuble de XTS, ainsi qu'une partie de Tallaan, ait été volatilisée dans une explosion à cause d'une mauvaise manipulation !

- Mes scientifiques sont les plus qualifiés du Secteur Tapani.

Canderous n'aimait pas ça. Morgreed non plus. Mais aucun des deux ne s'exprima. Dame Bathos eut le dernier mot.

- Je vous le répète, prenez soin de vous.

- Je vous le rapporterai dans les meilleurs délais, ma Dame.

Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil dans l'une des suites de l'ambassade gracieusement mise à disposition pour la nuit, Chi'ta descendit dans la cour, pour quitter les lieux. Taava était elle-même en train de franchir le porche. La petite Drall la rejoignit.

- Mademoiselle Taava !

- Ah, c'est toi ? Bonjour.

- Bonjour, euh… vous vous en allez ?

- Eh oui, mon boulot ici est terminé, et mon magasin ne va pas tourner tout seul !

- Oui, je comprends. J'ai une mission à accomplir, moi aussi. Vous n'avez pas vu les hommes ?

- Tu veux parler de Canderous et Morgreed ? Pour autant que je sache, ils restent ici. Morgreed est le garde personnel de Dame Liryl, et Canderous a l'air de bien s'éclater chez le chef Stern, finalement.

- Ah, bien…

- Oui, comme tu dis.

- Je voulais vous dire… mademoiselle Taava…

- Allons ! Appelle-moi Taava tout court.

- D'accord… Taava. Je… je vous ai trouvée très courageuse, face aux bandits d'hier. j'aimerais être aussi brave que vous.

- Mais tu es une Jedi. D'accord, pour le moment, seulement apprentie, mais quand tu auras terminé ta formation, tu seras bien plus courageuse que je ne le serai jamais. Pour être franche, tu m'as impressionnée ! Je ne pensais pas qu'une petite adolescente était capable de semer une telle confusion chez un attaquant !

- Je dois avouer que je ne connais pas grand-chose de l'art martial.

- Ouais, mais quand même, c'était une belle initiative, et la première fois que j'ai vu un Jedi en action !

- Vos compliments me touchent, Taava. Je… j'espère que nous retravaillerons ensemble.

- Ce sera toujours un plaisir, Chi'ta, conclut la Togruta avec un clin d'œil avant de monter dans un tramway.

Chi'ta voulut marcher un peu pour finir de se réveiller. Elle vit non loin de l'entrée secondaire de l'ambassade une fourgonnette grise. Niklas Veiler en descendit, sa blessure cautérisée, pendant que Klytus montait dedans.

Toute cette violence à cause de ces deux hommes. Quelle ironie !

Quelques minutes plus tard, quand elle se pointa de nouveau devant les portes de l'ambassade de la Maison Pelagia, les deux gardes la reconnurent, et le premier lui fit signe d'entrer.

- Suivez-moi, je vous prie. J'ai ordre de vous accompagner devant le bureau de notre Haut Seigneur.

Chi'ta suivit le garde à travers des couloirs richement décorés. De grandes tapisseries finement brodées représentaient le blason de la maison Pelagia, la silhouette bleue d'une créature humanoïde ailée volant au-dessus de deux vagues de feu. Enfin, le garde s'arrêta devant une immense porte ornée de ferrures dorées complexes, surveillée par deux colosses en armure cérémoniale, et s'en alla. De plus en plus intimidée, Chi'ta frappa à la porte, et entra après qu'une voix claire l'eût invitée.

Le Haut Seigneur Theus Paddox l'attendait, assis à son bureau. Derrière lui, une grande peinture le représentait en compagnie de la jeune femme qui était assise à ses côtés à l'opéra. Chi'ta ressentait une légère peur. Pas de doute, elle impressionnait Pelagia. Pour le mettre à l'aise, la jeune Drall s'inclina avec humilité.

- Je vous salue, Haut Seigneur Theus Paddox de la Maison Pelagia. Je suis Chi'ta Koskaya, de l'Ordre Jedi, pour vous servir.

- Je suis très honoré de faire votre connaissance, mademoiselle Koskaya, et je vous remercie encore pour votre courageuse intervention d'hier. Qui sait ce qui aurait pu arriver à ma douce épouse si vous n'aviez pas été là ?

- Je dois reconnaître que je ne suis pas encore très douée pour gérer ce genre de situation, votre Seigneurie. D'autres gens d'armes plus entraînés ont pu arrêter ce dangereux tueur, alors que je ne suis pas sûre de m'être montrée bien utile.

- Ne dites pas ça, votre modestie vous honore. J'ignorais qu'un jour, je recevrais un digne représentant de l'Ordre. Un véritable chevalier Jedi dans mon bureau !

- Je ne suis qu'une padawan, votre Seigneurie.

- Mais une padawan avec une mission importante, je suppose, pour vous aventurer aussi loin de votre Académie.

- J'ai un message à vous remettre. De la part de Maître Luke Skywalker.

- Oui, j'ai été prévenu par mon personnel. Pourrais-je le voir, s'il vous plaît ?

Chi'ta tira des plis de sa cape l'holodisque du Maître Jedi, et le déposa dans la main du Haut Seigneur Paddox. Celui-ci l'introduisit dans le lecteur de l'ordinateur intégré à son bureau. Un hologramme grandeur nature de Luke Skywalker apparut au milieu de la pièce.

« Mes salutations respectueuses, Haut Seigneur Theus Paddox de la Maison Pelagia. Je suis Luke Skywalker, Chevalier Jedi de l'Ordre fondé à l'Académie de Yavin IV. Mon travail, en tant que Jedi, est de rassembler toutes les données que je peux trouver sur les manipulateurs de la Force, cette énergie mystique qui nous entoure tous, et nous pénètre.

« J'ai appris dernièrement que la Maison Pelagia a participé à la Guerre des Clones il y a bien des années, en aidant les Chevaliers Jedi alors en activité dans leur bataille contre les forces de la Confédération des Systèmes Indépendants. Des rapports rédigés entre autres par le Sénateur Bail Organa et le Général Kenobi narrent les exploits des Chevaliers Jedi de Pelagia. Malheureusement, la plupart de ces héros ont connu une fin tragique pendant cette guerre, et les survivants ont été traqués et massacrés par les actes barbares des agents de l'Empereur Palpatine.

« Aujourd'hui, grâce au soutien de la Nouvelle République et des courageux volontaires, nous sommes en train de rassembler les personnes, Humaines et non-Humaines, sensibles à la Force, pour restaurer l'Ordre. Nous sommes en bonne voie d'y parvenir, et chaque mois nos rangs s'agrandissent davantage. Nous repoussons nos recherches jusque dans les secteurs les plus éloignés. Et aujourd'hui, je sollicite à votre Excellence son soutien.

« La jeune personne qui vous a remis ce message est une de nos élèves, nommée Chi'ta Koskaya. Elle a rejoint le Praxeum il y a quelques mois, et devant ses résultats brillants, j'ai décidé de lui confier sa première mission à l'extérieur de nos murs. Je crois savoir qu'aux dernières nouvelles, il n'y a plus de Jedi rattachés à la Maison Pelagia pour le moment. Mais il reste probablement dans les bibliothèques de votre ambassade des archives sur le rôle qu'ils ont joué, et peut-être même des pistes pour reformer la lignée Jedi de Pelagia. C'est pourquoi, je demande à votre Seigneurie d'autoriser à mon émissaire l'accès à votre centre d'archives et à votre bibliothèque. En gage de bonne foi, vous trouverez dans le disque de données contenant ce message des documents cryptés selon les codes secrets qu'utilisait la Maison Pelagia pendant la Guerre des Clones. Ces documents présentent l'essentiel des travaux de recherche que l'Académie a pu faire jusqu'à maintenant, et vous permettront d'être au même niveau de connaissances que nous.

« Je suis convaincu que nous arriverons à redresser l'Ordre grâce à votre aide précieuse, et espère bientôt vous remercier en personne. Haut Seigneur, je vous salue. »

L'hologramme s'éteignit. Paddox considéra Chi'ta, et haussa les épaules.

- Ma foi, utiliser nos codes est une bonne chose : si ces documents étaient tombés entre de mauvaises mains, personne d'autre que nos experts n'aurait pu les décrypter. Et puis, cela prouve que votre maître est respectueux envers nos anciens agents. Bien sûr, je me doute que ce que je vais trouver dans ces documents ne contient pas absolument tout ce qu'il a pu compiler depuis la fondation de l'Académie, mais j'apprécie sa confiance à sa juste valeur. Quant à vous, considérez-vous comme notre invitée d'honneur pendant la durée de vos recherches. Nous allons vous attribuer une suite, et vous aurez accès libre à la bibliothèque pendant ses heures d'ouverture. Vous pourrez consulter sans le moindre scrupule tous les documents s'y trouvant, y compris ceux des archives spéciales – les données vraiment confidentielles au sujet de la Maison Pelagia sont sous clé dans mon coffre personnel sur Pelagon, donc pas de risque que vous tombiez sur quelque chose « que vous n'auriez pas dû consulter ». Si votre maître vous en a donné l'autorisation, cependant, j'aimerais que vous me fassiez part de l'avancée de vos recherches, avec un petit rapport chaque soir que vous remettrez à ma secrétaire. Je pourrai peut-être contribuer à la renaissance de la lignée Jedi des Pelagia, en en sachant le plus possible. Vous pourrez le faire ?

- Cela va de soi, Haut Seigneur. Je vous remercie pour votre hospitalité. Le Conseil des Jedi vous en sera gré, j'en suis certaine.

- Bien. Maintenant, si vous le permettez, je dois reprendre mes travaux, alors…

- Oui, bien sûr, je vais prendre congé de votre Seigneurie. Merci encore !

Chi'ta s'inclina, et sortit du bureau. En arrivant à la bibliothèque, elle eut un sourire optimiste, et se frotta les mains. La mission commençait.

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