La Trilogie de l'Expansion

Chapitre 5 : Droïd qui songe

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 08:46

Les speeders, peu nombreux, circulaient rapidement sur les voies express, tandis que les panneaux publicitaires animés vantaient les mérites de produits ménagers exceptionnels, des vaisseaux privés dernier cri, de croisières interstellaires… Il était dix heures du matin, le temps était orageux au-dessus de l'Île d'Estalle. Tandis que l'Ubese quittait l'Armada avec un petit blaster d'autodéfense en poche, Taava continuait de faire les comptes, et eut un sourire satisfait. Depuis l'attaque du Paradis Stellaire quelques semaines plus tôt, la crainte d'une attaque soudaine avait poussé la plupart des habitants à s'équiper pour se défendre. Et la jeune Togruta avait vu son chiffre d'affaire augmenter de moitié. Le vidéophone sonna, le logo de la Maison Cadriaan était apparu sur l'écran. Elle décrocha, et vit le visage du chef Stern.

- Bonjour, mademoiselle Taava.

- Bonjour, chef. Que puis-je pour vous ? Encore un merveilleux voyage en vue ?

- Non, pas cette fois, ma chère. J'ai quelques nouvelles à vous transmettre, en présence de vos petits camarades de jeu. Le genre que je n'aimerais pas dire sur une ligne de vidéophone si vous voyez ce que je veux dire.

- J'arrive. J'espère que ça justifiera le temps que j'y consacrerai, j'ai du boulot.

Elle raccrocha, puis quitta le magasin après l'avoir verrouillé. Vingt minutes plus tard, elle était arrivée au bureau de Maleek Stern. Canderous et Dankin étaient déjà installés.

- Ah, mademoiselle Taava, installez-vous, nous allons commencer.

- Tiens ? Morgreed n'est pas avec vous ?

- Non, pas cette fois, il est à l'ambassade Mecetti, mais il est déjà au courant de ce que je vais vous dire.

- Qu'est-ce qu'il fait chez les Mecetti ?

- Vous allez comprendre.

Le chef Stern se leva, et fit quelques pas vers la fenêtre.

- J'ai une nouvelle plutôt mauvaise : vous vous souvenez de Niklas Veiler ?

- Le gusse qui nous a agressé avec le module après l'anniversaire de Dame Bathos ?

- Lui-même. Eh bien je vous annonce qu'il n'agressera plus personne. Il est mort.

- Comment ? s'étonna Taava.

- Crise cardiaque dans sa cellule. Mais à mon avis, il a été empoisonné.

- On l'a autopsié ?

- Oui, et on n'a rien trouvé. En même temps, certains poisons sont indétectables, à condition qu'on y mette le prix, bien évidemment. Et cette thèse tient debout quand on sait que l'infirmier qui lui apportait la bouffe venait de toucher un gros paquet d'argent, et a avalé son extrait de naissance quelques heures plus tard, électrocuté en réparant son four à ondes alpha…

- Oh, quel malheureux hasard, déclara Canderous d'un ton qui sonnait faux.

- Je vous invite à être trois fois plus vigilants, maintenant. Vous êtes peut-être les prochains sur la liste des gens qui ont fait taire Niklas Veiler. C'est pour ça qu'il va falloir surveiller vos arrières à tout moment, y compris à ceux où vous vous sentirez le plus à l'aise. Par exemple, ce soir, alors que vous serez dans un endroit normalement très surveillé.

- Pardon ? demanda Taava.

- Vous venez de recevoir une invitation aux fiançailles de Don Nycator de Mecetti et Dame Liryl, petits veinards !

- Hein ?!

Taava avait sursauté. Canderous eut un petit soupir agacé. Dankin ne réagit pas.

- Ce soir, Don Nycator offre une réception relativement intime pour fêter ses fiançailles, et il vous a personnellement invités, vous !

- C'est une blague, n'est-ce pas ?

- Vous l'avez dit vous-même, mademoiselle Taava. Nous avons tous notre travail, et je ne me serais pas permis de vous appeler si ce n'était pas sérieux.

Le chef Stern sortit alors trois enveloppes qu'il remit à ses trois interlocuteurs. Canderous ouvrit la sienne. Ce n'était pas une plaisanterie. Il y avait effectivement son nom écrit en lettres dorées sur le carton d'invitation.

- Pourquoi il ne nous a pas envoyé directement les invitations par la poste ? Je parie qu'il aurait pu se procurer mon adresse, remarqua la jeune Togruta d'un air pincé.

- Vous commencez à le connaître, non ? Il a voulu faire son petit effet dramatique.

- Et Morgreed est déjà sur place ? Ne me dites pas qu'il s'est attiré des ennuis ?

- Ne vous en faites pas. Notre gros ami peut être très méchant quand il veut, mais ce n'est pas non plus une brute épaisse bornée. Il a également été invité, et en fait s'il est à l'ambassade, c'est parce que Dame Liryl y est déjà, et qu'il a lourdement insisté pour reprendre ses fonctions de garde du corps auprès d'elle depuis qu'elle a quitté Yavin IV, surtout pour aller à l'ambassade Mecetti. Ils y sont depuis une heure, et à ce que je sache, il n'y a eu aucun incident pour le moment.

- Qu'est-ce qu'ils peuvent bien faire pendant toute une journée ? demanda Canderous, qui n'avait pas l'air impatient de connaître la réponse à la question.

- Le fiancé doit présenter l'élue de son cœur pendant toute la journée des fiançailles à ses amis, sa famille, et les représentants de ses alliés. Démonstration protocolaire sur démonstration protocolaire, compliments sincères ou hypocrites, tout pour plaire. Et vous, on vous a gardé le meilleur pour la fin, vous serez présents pour le dîner, sans avoir à vous farcir tout le ballet des casse-pieds.

- Et vous croyez que ça craint au point qu'on risque de se faire descendre ?

- Sûrement pas par un déséquilibré armé d'un fusil blaster qui serait passé par-dessus le grillage, mais plutôt par un moyen plus subtil. Quelque chose d'accidentel. Une arête de poisson trop longue, une tuile qui se détacherait du toit au moment où vous passez dessous… il faut penser à tout. On vous attend à l'ambassade Mecetti à dix-neuf heures, vous n'aurez pas trop de la journée pour réviser votre manuel de survie.

- Et si j'envoie tout ce petit monde se faire voir chez les Wookiees ?

- Canderous, tu veux rire ? C'est l'occasion inespérée pour infiltrer la propriété de ce clown décoloré de Don Nycator de Mecetti !

Le mercenaire soupira. Il se tourna vers le Togorien.

- Et toi, Dankin, t'en penses quoi ?

- Dankin… sent le danger… chez le Nycator. Dankin veut aider… Morgreed… protéger… Dame Liryl.

Stern haussa des épaules.

- Là, mon vieux, si vous vous désistez, vous n'aurez pas l'air courageux.

- On dirait bien, chef… D'accord, mais je veux une prime ! Mon boulot, c'est de coller des pains et démolir des installations, pas de faire de la lèche à répétition !

- Oh, allez, vous avez déjà la paye de la Maison Cadriaan, celle de l'académie, et vous allez passer la soirée à vous empiffrer !

- Je pourrai faire un canard avec la ciguë ?

- Mais comment tu fais pour être aussi mesquin, Canderous ?

- Ca demande juste quelques années de pratique, poupée rouge !

Malgré son uniforme repassé d'officier de la Maison Cadriaan, gracieusement prêté par le chef Stern, Canderous se sentait nu. Comme de bien entendu, il avait dû laisser toute sa panoplie d'armes personnelles à l'entrée de l'ambassade Mecetti. À son côté, Taava avait passé une superbe robe du soir, et se délectait en remarquant quelques groupes d'invités dans le parc, qu'elle comptait bien rajouter sur sa liste de clients réguliers. Derrière eux, Dankin avançait silencieusement. Le mercenaire réalisa qu'il n'était jamais allé dans l'ambassade Mecetti. Il ne fut pas vraiment surpris par la singularité du décor. Les goûts du maître de maison étaient assez exotiques. Il y avait en vrac des statues abstraites, des fontaines de marbre noir éclairées par des projecteurs tamisés, de petites clochettes métalliques suspendues aux lampadaires tintaient sous le vent, des plantes étranges mêlant fleurs magnifiques et sombres ronces, un sentier bien entretenu menait même à un labyrinthe d'ifs. Au loin, un grand manoir de pierre blanche encadré de grands arbres s'imposait sur une petite colline. Bientôt, ils parvinrent à la porte d'entrée du manoir, et furent conduits sur la grande terrasse où étaient rassemblés la majorité des invités. Canderous n'était pas tranquille, il soupirait déjà d'exaspération en pensant à ce qu'il allait devoir encaisser, sans prime.

- Encore des foutues mondanités ! Je ne me suis pas encore remis du Vor-Cal.

- Va pourtant falloir t'y faire, Canderous ! Si tu veux faire de vieux os sur ce champ de bataille-là, il faut suivre les tactiques adaptées.

- Ouais, mais ça ne vaut pas une bonne baston. Oh, regarde qui est là !

- Hé, mais c'est nos deux petits héros !

Chi'ta Koskaya et Liam Kincaid étaient bien là, et parlaient à de jeunes gens de bonne famille de leur âge. Pour l'occasion, ils avaient fait un gros effort sur leur tenue : Liam portait un beau costume noir galonné d'or, et Chi'ta avait passé un magnifique kimono décoré de broderies de fleurs exotiques comme celle qu'elle avait attachée sur son oreille. Le mercenaire et la marchande d'armes rejoignirent les deux padawans.

- Oh, bonsoir, Taava !

- Salut !

- Hé, vous êtes de la fête, vous aussi ! Pas trop déboussolé, Canderous ?

- Je vais pas te laisser t'amuser tout seul, gamin !

L'un des interlocuteurs des padawans, un grand garçon mince, à l'aise dans ses étoffes pourpres, but une gorgée de brandy, et dit à Canderous :

- Nous finissions de faire connaissance avec les audacieux investigateurs qui ont rendu un fier service à la Maison Mecetti en démasquant le conspirateur Klytus, monsieur… monsieur ?

- Canderous. Vous êtes des Mecetti ?

- Tout à fait. Mais nous ne sommes pas directement parents avec Don Nycator de Mecetti. De très vagues cousins au septième degré.

- Je dirais même plus, huitième pour moi ! renchérit une jeune fille grassouillette.

L'orchestre joua alors un ban, alors qu'un héraut s'avança.

- Mes dames, mes demoiselles, messieurs, chers membres de la Maison Mecetti, et des autres, chers amis, je vous demande d'accueillir avec toute la chaleur possible nos deux heureux fiancés, sa seigneurie Don Nycator de Mecetti, et son incomparable future épouse, l'incarnation de la Sérénité, Dame Liryl !

Les musiciens interprétèrent une marche nuptiale, tandis que le couple s'avança sur la terrasse. Don Nycator de Mecetti souriait largement, saluait l'assistance, paradait devant les caméras. Il portait un grand habit de cérémonie paré des armoiries de la Maison Mecetti. À ses côtés, Dame Liryl avançait à petits pas dans sa robe blanche, décorée de fleurs tout aussi blanches. Sous son voile, on distinguait son visage serein, presque impassible, qui ne bougeait pas d'un pouce.

Tous les invités applaudirent, acclamèrent les fiancés. Liam n'était pas rassuré. Il sentait qu'il manquait quelqu'un.

Je me demande où est… tiens, mais qu'est-ce qui arrive à Chi'ta ?

La jeune fille avait baissé la tête, et sentait sa figure s'affaisser. Elle vit de petites gouttes claires s'écraser près de ses pieds. À ses côtés, une grosse femme entre deux âges aux cheveux teints en rouge vif sortit son mouchoir et lui sourit.

- Oh, vous avez raison d'être émue, mon enfant, c'est tellement beau, vous ne trouvez pas ? Ils forment un si beau couple !

Chi'ta ne répondit pas, et préféra se cacher derrière une colonne, un peu à l'écart, à l'abri des regards des autres convives. Liam la rejoignit bien vite.

- Je suis désolée, Liam… c'est trop dur.

- J'imagine que ce n'est pas la joie qui te mouille les yeux.

- Je sens son chagrin, aussi clairement que si l'on venait de me brûler la fourrure.

- Ce n'est qu'un mauvais moment à passer…

L'adolescent passa un bras réconfortant autour de l'épaule de la jeune fille, et l'éloigna encore un peu du groupe, retournant vers la porte donnant dans le hall. Contrarié, il chercha fébrilement quelqu'un en particulier dont la vue allait, il le savait, lui apporter un peu de réconfort. C'est alors qu'il entendit derrière lui une voix moqueuse. En se retournant, il vit deux jeunes hommes athlétiques chuchoter en regardant la fiancée d'un œil lubrique.

- Eh bien dis donc, mon frère, il ne s'embête pas, le Don Nycator ! Je me demande s'il se l'est déjà faite.

- Tu parles ! Une pépée comme ça… mais elle n'a pas l'air très marrante. Je me ferais bien une petite passade avec, mais de là à entamer une relation sérieuse…

C'en fut trop pour Chi'ta qui avait tout entendu. L'un des deux frères s'éloigna vers le bar. La jeune Drall se dirigea vers l'autre, le dernier qui avait parlé.

- Comment osez-vous parler ainsi de la Dame de Sérénité ?

- Bah, un titre ronflant pour une poule comme une autre ! Et puis, qui êtes-vous pour me dire que dire ou faire ? Je vous provoquerais volontiers en duel sur-le-champ, si je n'avais pas peur de gâcher cette fête !

Liam s'avança d'un pas, allait répondre, mais la jeune Drall posa sa main sur son épaule, avec un petit « non » de la tête. L'autre toisa les deux adolescents.

- Oh, et puis après tout, vous n'êtes qu'une créature non-Humaine, et une femelle de surcroît ! Vous autres, du sexe faible, vous vous serrez les coudes, mais quand il s'agit de faire face à un homme, un vrai, vous…

Le jeune homme ne put jamais finir sa phrase. Une énorme main écailleuse venait de le saisir par le col, et l'entraîna avec une force irrésistible à l'intérieur, avant de le jeter contre le mur. Le jeune effronté sentit sa chemise s'inonder en voyant qu'il était devant une énorme créature reptilienne qui le regardait avec colère. Montrant ses crocs affûtés, celle-ci dit d'une voix grave et affreusement calme en se craquant les doigts :

- Tu viens d'insulter ma fille.

- Euh… oh, cette ravis-ss-sante pers-sonne… est votre… bégaya l'autre, horrifié.

- Et en plus, tu as mal parlé de Dame Liryl.

- Oui, j'avoue… mais… je ne pensais pas… pas à mal !

Hassla Morgreed serra le poing, et l'écrasa tel un marteau sur le sommet du crâne du jeune noble, qui s'écroula assommé net. Les deux padawans l'avaient rejoint.

- Morgreed ! Te voilà !

- Ah, enfin des gens normaux ! Salut les enfants !

- Oh… vous n'auriez peut-être pas dû…

- Personne n'insulte mes amis devant moi ! De toute façon, j'ai des ordres de Don Nycator. Aucun traitement de faveur. Psst ! Tout ça me dégoûte.

- Moi aussi, Morgreed, franchement, je me sens mal, ici.

- Et toi, petite Chi'ta ?

Sentant la détresse de la jeune fille, il posa paternellement sa main sur son épaule. Celle-ci se sentit un peu mieux devant la grosse figure au rictus insolite.

- Je ne sais pas si j'épouserai un homme un jour, mais si c'est le cas, ce sera un mariage d'amour ou rien !

- Bien parlé, petit chou !

- Rien de bien embêtant pour l'instant ?

- Non, tout va bien. Il y a juste quelque chose qui me chiffonne. Regardez par ici.

Les deux padawans regardèrent dans la direction indiquée par le Drall. Ils virent un petit groupe de personnes, dont l'une ressortait du lot. C'était une jeune femme Humaine, en tenue de soirée recherchée, à peine adulte, mais qui parlait avec assurance à Don Nycator de Mecetti, qui l'écoutait avec attention.

- Elle est pas mal… Qui est cette femme ?

- J'en sais rien, petit, mais elle a l'air de faire picorer Don Nycator dans sa main ! Sous le nez de sa fiancée, c'est gonflé !

- Peut-être est-elle en pleine négociation ? Ce genre de rassemblement a souvent d'autres buts que celui fixé à son organisation, des règlements de compte ou d'intrigues, par exemple.

- T'as raison, petit chou, mais c'est pas cette Humaine qui me titille. Plutôt le rigolo qui reste en retrait derrière elle.

- Qui ? Oh !

Chi'ta éprouva un sursaut d'appréhension. Elle venait de voir un non-Humain vraiment inhabituel. Sa peau bleue, ses cheveux noirs et brillants, ses yeux rouges ne laissaient aucun doute sur son appartenance à la race des Chiss, redoutables tacticiens et calculateurs. Calculateur, son regard l'était, en plus d'être perçant. Il portait un gilet antiblast et un blaster rangé dans son holster pendait à son côté.

- On l'a laissé avoir un flingue ?

- C'est le garde du corps de cette jeune Humaine, il a eu une dérogation. On m'a prévenu qu'il viendrait, et demandé de garder un œil sur lui.

- Bon… espérons qu'il ne crée pas de problèmes, alors.

- Espérons-le. Les enfants, j'ai l'impression qu'on va bientôt servir le dîner. Je vais ranger celui-ci dans un coin, et je vous retrouve dans la salle à manger !

Les deux adolescents allaient partir, mais Morgreed retint Liam.

- Écoute, petit gars, on n'aura pas beaucoup l'occasion de se parler pendant cette soirée, alors je te le dis maintenant : je ne dois pas lâcher Dame Liryl d'une semelle, je concentrerai toute mon attention sur elle, et je ne pourrai pas faire trop attention à vous deux. Mais je tenais à le dire, tu es parfaitement capable de veiller sur Chi'ta, de ton côté. Ne la quitte pas, sauf si elle te le demande, et tout ira bien.

L'ambiance du dîner était relativement joyeuse, mais cette joie n'était que vernis, la jeune Drall le sentait bien. Chi'ta s'était tenue à l'écart de Don Nycator de Mecetti. Outre sa vive émotion pendant l'arrivée du couple, elle avait encore sur le cœur son interrogatoire public à la Chambre du Grand Conseil, et les paroles que Dame Liryl lui avait confiées avaient exacerbé sa méfiance. Elle avait insisté auprès de Liam pour rester avec lui, ce qu'il avait accepté avec joie. Ils avaient été placés à la table des plus jeunes, et avaient retrouvé les quelques jeunes Mecetti avec qui ils avaient fait connaissance.

Canderous bavardait avec Damara Decrilla, chacun vanta ses mérites à la chasse.

Taava était assise près d'un vieux couple, qu'on lui avait désigné comme étant l'un des oncles et la tante de Don Nycator, lui-même était assis en face de ses propres parents. Quand elle leur posa la question, Taava apprit que Dame Liryl n'avait pas de parents à inviter, elle-même n'ayant officiellement aucune famille de sang. L'oncle, un grand homme dégarni à longue barbe grise du nom de Pavik de Mecetti, frère aîné de Rhen de Mecetti, le père de Don Nycator, parlait fort à la jeune Togruta, sans même regarder sa femme.

- Oui, mon neveu m'a parlé d'une Togruta très séduisante, à la fois belle et forte, je suppose qu'il parlait de vous ?

- C'est possible, Monseigneur. Le connaissant, je suppose qu'il a un peu exagéré.

- Je vous en prie, appelez-moi Pavik.

- D'accord, Pavik. Vous m'étonnez. Il est clair que Dame Liryl accapare déjà toute son attention.

- Oui, mais il m'a dit plusieurs fois que s'il n'y avait pas eu cette personne… peut-être que la jeune fiancée, ce serait vous !

Taava ne put réprimer un rire.

- Vous voulez rire ? Moi, fiancée à Don Nycator de Mecetti ?

- Puisque je vous le dis !

- Je ne pense pas que nous formerions un couple heureux, vivant en harmonie.

- Oh, je sais que ce petit garnement peut paraître bien fantasque, bien follet, mais ne vous y trompez pas. Dans le fond, c'est un brave garçon.

- Sans doute, mais je pensais à moi. Je ne me vois pas du tout femme au foyer.

- Même si cela devait vous protéger à tout jamais des difficultés matérielles ?

- Surtout si cela devait me protéger à tout jamais des difficultés matérielles. La vie ne vaut le coup d'être vécue qu'avec des risques. Sinon, où serait l'intérêt ?

Le Mecetti éclata de rire. Sa femme leva les yeux au ciel, excédée.

Morgreed surveilla de plus près le Chiss. Au passage, il avait entendu parler la jeune Humaine qu'il accompagnait. Son parler assuré et recherché, ses mimiques suggestives, et d'autres atours qu'il ne sut nommer lui permettaient de dominer la situation par rapport à n'importe lequel de ses interlocuteurs. Bien sûr, le Barabel n'était pas du tout attiré par le physique de cette jeune personne, mais remarqua que bien des Humains n'étaient pas de son avis. Cela ne fit que renforcer sa méfiance.

Le dîner s'acheva au bout de deux longues heures. Les invités s'éparpillèrent à travers toute la propriété. Les deux padawans sortirent, et firent quelques pas dans le parc, sous une magnifique lune dorée. Approchant d'un petit groupe, Chi'ta fit un petit signe à son compagnon dans la direction de la fontaine. Liam repéra un curieux personnage qu'il ne s'attendait pas à voir. C'était un humanoïde de taille légèrement inférieure à la moyenne de celle des Humains – il n'était pas beaucoup plus grand que l'adolescent – mais paraissait solidement bâti. Les minuscules écailles qui constituaient sa peau cyan luisaient sous les lumières. Il n'avait que quelques millimètres de cheveux bruns sur le crâne, un visage pointu au nez fin, et des ouïes sur les côtés de la tête. Il était vêtu d'une veste de tissu légère, largement ouverte, dévoilant un torse solidement musclé sur lequel scintillaient plusieurs colliers et chaînes d'or et de cuivre, portait un long pantalon de cuir noir et des bottes en peau de gundark. Sur sa poitrine ballottait une énorme amulette de cuivre représentant un animal marin. Il parlait vite, et agitait ses mains couvertes de bagues. Mais ce qui attira davantage les deux padawans était…

- Tu sens ce que je sens, Liam ?

- Oui, Chi'ta. Ce bonhomme est réceptif à la Force, et pas qu'un peu.

- En effet, la Force est très puissante chez cet être.

- Tu crois qu'il est au courant, ou qu'il ne le sait pas encore ?

- La Force émane abondamment de lui, à un niveau tel qu'il s'en est probablement rendu compte. Il semble parfaitement sûr de lui, et je ne sens pas le Côté Obscur en sa présence.

- Et si on allait lui parler ?

- Non, Liam, pas tout de suite. Viens par ici…

La jeune fille fit quelques pas vers une autre partie du parc.

- Je ne connais pas du tout cette personne, pas même de vue. Je ne l'ai jamais rencontrée au Praxeum. S'il sait manier la Force, peut-être que c'est au service d'un autre groupe que nous ne connaîtrions pas, et je préfère rester prudente. D'ailleurs, il risque de repérer notre résonance, s'il ne l'a pas déjà fait, et je ne saurais pas comment il pourrait agir vis-à-vis de nous.

- D'accord. On peut demander à quelqu'un d'autre de tâter le terrain pour nous ?

- C'est une idée. À qui penses-tu ?

- À la meilleure réceptrice d'informations que je connaisse…

Liam avait souri, mais la jeune fille ne partagea pas sa jubilation.

Un instant plus tard, Taava trébucha « accidentellement » et tomba presque sur l'homme bleu.

- Mince ! Quelle maladroite !

- Oh, bonsoir, jolie dame !

- Je suis désolée, je suis vraiment gourde, parfois !

- Je vous en prie, vous n'avez rien ?

Taava croisa alors le regard de l'être. Elle avait prévu de jouer la comédie de la femme romantique et écervelée tombant sous le charme du premier inconnu lui faisant les yeux doux, mais elle dut reconnaître que ces yeux-là étaient beaucoup plus ensorcelants qu'elle ne l'avait escompté. Chi'ta et Liam lui avaient bien parlé de cette résonance avec la Force… mais elle dut faire un effort plus important que prévu pour garder son sang-froid. Avec un sourire à moitié imité seulement, elle dit :

- Bonsoir à vous, bel homme.

- Je n'espérais pas que Don Nycator de Mecetti puisse inviter à sa soirée d'autres femmes aussi jolies que sa fiancée ! répondit l'être avec une voix faussement rauque, comme s'il jouait exagérément le rôle d'un baroudeur.

- En fait, je connais davantage la fiancée en question, c'est pour la soutenir que je suis venue. Mais vous, êtes-vous un proche de l'un ou l'autre des fiancés ?

- Eh bien… disons que j'ai assuré quelques courses importantes entre Don Nycator de Mecetti et monsieur Sprax, le PDG de XTS. Je m'appelle Tahé l'Indomptable.

- Taava, propriétaire de l'Armada. Vous travaillez pour Sprax ? Quelle coïncidence, moi aussi, occasionnellement !

- Vraiment ? Ah, ça, c'est bien une coïncidence ! Laissez-moi deviner… vous êtes dans les relations sociales ?

- De temps en temps, mais je suis surtout fournisseuse d'armes. Sprax m'a déjà commandé quelques dizaines de fusils pour ses agents de sécurité.

- Ah ha ! Vous avez raison, il faut bien penser à la sûreté, c'est important.

- Et vous ? Vous êtes dans la négociation, je parie !

- En fait, ce n'est pas vraiment cela. Je suis dans le… dans le recrutement et le transport de la main d'œuvre.

Ouais, autrement dit, il trafique des esclaves ! Hé, attends un peu, idiote ! Si ça se trouve, il peut lire dans tes pensées !

- Et vous faites ça depuis longtemps ?

- Eh bien… l'occasion s'est présentée il y a quelques mois. J'ai servi de transporteur à XTS, et j'ai empêché qu'un concurrent emploie des méthodes peu conventionnelles contre la société de Sprax. Quelques jours plus tard, il m'a proposé de travailler pour lui plus régulièrement, et au vu du salaire qu'il y avait sur le contrat… je n'ai pas pu refuser !

- J'avoue que vous me fascinez, Tahé… Pour être franche, je n'avais jamais vu un homme comme vous.

- Ce n'est pas étonnant, mademoiselle Taava. Je suis un Mélodieux.

- Un quoi ?

- Un Mélodieux. Mon peuple habite les lacs et les mers de Yavin VIII, et ceux qui quittent ce monde sont rarissimes.

- Je suis désolée, je ne connais pas du tout ce peuple.

- Ne vous en faites pas, ce n'est pas étonnant. Les miens sont très discrets Vous devriez venir un jour sur Yavin VIII, je vous en dirais un peu plus sur nous.

- J'en serais enchantée, Tahé.

La soirée touchait à sa fin. Il était plus de onze heures du soir. Les invités s'étaient peu à peu retirés, certains très aimablement, d'autres sans mot dire. Liam salua avec un respect sincère Skeya et Hor-Lando, les deux cousins éloignés de Don Nycator, ils lui rendirent son salut sans malignité. Chi'ta regarda s'éloigner le Mélodieux, songeuse – elle n'avait pas eu le courage de lui parler. Bientôt, devant les grilles de l'ambassade, il ne restait plus que Don Nycator, Liam, Chi'ta, Taava, Dankin et Canderous. Dame Liryl descendait vers la sortie, suivie de près par Morgreed. Les gardes rendirent leurs armes aux invités, et Don Nycator, toujours sourire, remercia les six compères.

- Ce fut une soirée formidable ! J'espère seulement qu'elle ne sera qu'un avant-goût par rapport au mariage, et que j'aurai le plaisir de vous y voir ! Je me demande même si l'un ou l'autre d'entre vous ne serait pas un témoin !

- Je ne sais pas si le plaisir sera partagé, Don Nycator de Mecetti, répliqua Taava.

- Oh, ne soyez pas amère, ma chère, je vous en prie ! Vous avez plu à mon oncle, ce n'est donné qu'aux meilleures femmes. Écoutez, je devine que vous nourrissez des sentiments négatifs à mon égard, mais franchement, je trouve cela dommage, compte tenu des capacités que vous avez su nous présenter depuis votre arrivée sur Procopia. Aussi, je propose que nous fassions la paix.

- En quel honneur ? demanda Canderous, méfiant.

- Aucun, mon ami, aucun ! Pourquoi faudrait-il toujours une raison pour tout ? Vous m'êtes juste sympathiques, c'est tout.

- Bon.

- J'en profite pour vous préciser une petite chose : le jour où vous serez las de servir de toutous aux Cadriaan, vous aurez toujours la possibilité de travailler pour nous. Vos avantages en seront au moins multipliés par deux ou trois.

Taava haussa juste les épaules, et monta dans le speeder mis à disposition par le chef Stern. Dankin la suivit, puis Canderous salua la compagnie et les rejoignit. Chi'ta recula vers la rue, sans mot dire, mais Liam décida de jouer son va-tout. Il se campa devant le Seigneur Mecetti, et prit l'air le plus assuré possible, avant de demander :

- Vous jouez à quoi, Don Nycator de Mecetti ?

L'homme blond eut une moue interrogatrice, avant de rire nerveusement.

- De quoi parlez-vous donc, mon bon petit jeune homme ?

- Vous savez de quoi je parle. J'ai appris à flairer l'embrouille.

- Hum, hum ! Êtes-vous sûr de bien sentir ? Vous êtes jeune, vos hormones doivent être en train de vous secouer le ciboulot à vitesse grand V, et d'après ce que j'ai pu voir et entendre, cette… Force circule dans tous vos atomes. Tout cela doit fausser votre jugement, et vous vous faites de fallacieuses idées à partir de trois fois rien. Je n'aspire qu'à vivre avec la femme que j'aime, et à faire briller le blason de la Maison Mecetti.

- Ouais, mais je devrai agir si vous menacez une vie, surtout celle de Dame Liryl !

Le Mecetti ouvrit de grands yeux, puis éclata de rire.

- Alors, c'était donc ça ? Oh ho ! Ce bruit que j'entends… serait-ce celui d'un petit cœur qui résonne comme un tambour, sous l'effet de l'envie ? Ah, mais je suis désolé de vous décevoir, petit garçon, nous sommes fiancés, et j'ai l'intention de lui être fidèle ! Avec moi, elle sera très bien… je sais très bien m'y prendre avec les femmes. J'ai la classe !

- La classe que vous avez montrée vis-à-vis de Chi'ta ?

Le Mecetti regarda vers la jeune Drall qui se rapprocha instinctivement de Liam.

- Oh, ne me dites pas que vous pensez encore à ce petit accrochage à la Chambre du Grand Conseil ? Allez, je n'avais pas envie de vous blesser, vous le savez très bien, mademoiselle Koskaya. Jeune homme, je comprends à présent que vous ne prétendez pas ravir ma future épouse, simplement la protéger comme un brave petit chiot. Mais je puis vous assurer que nous vivrons ensemble très longtemps, et que le bonheur qui en découlera sera considérable !

- Vous voulez dire « votre » bonheur personnel, Don Nycator !

Don Nycator de Mecetti ne souriait plus.

- Vous commencez à m'échauffer les oreilles, jeune homme. Vous m'êtes sympathique, mais j'ai mon honneur à entretenir, et laisser un petit morveux faire de telles insinuations en ma présence pourrait nourrir une mauvaise réputation auprès des autres, si je ne fais rien pour le corriger.

Don Nycator écarta lentement le pan de sa veste, révélant la poignée d'un fleuret laser de duel. Pendant deux longues secondes, Liam fut partagé entre le sens du devoir de Jedi et les furieux sentiments qui tempêtaient dans son esprit.

- Alors, vous ne dites plus rien ?

Un miaulement désincarné résonna au loin, quelque part au plus profond de l'esprit du jeune homme, tandis que l'atmosphère lui parut plus fraîche de quelques degrés. Un craquement sourd crépita de plus en plus fort dans ses tympans. Liam comprit avec terreur que cette sensation étouffante était l'insinuation du Côté Obscur. Cette pensée l'effraya, plus que les moqueries de Don Nycator.

- Je… je ne peux pas…

- Je vous fais peur ? Je sais que je n'en ai pas l'air, comme ça, mais…

- Un Jedi… défend… il n'attaque pas…

De toutes ses forces, Liam se raccrocha à ce précepte. Le visage de Don Nycator se tordit en un rictus narquois. Complètement inconscient de la lutte intérieure que ressentait Liam, il allait ajouter une autre parole blessante, quand la voix claire de Dame Liryl retentit :

- Don Nycator de Mecetti, je vous en prie ! Je suis très touchée par l'attention que m'accorde ce jeune homme. Croyez-moi, je sais qu'il ne veut que notre bonheur. Même s'il est un peu fougueux pour l'instant, je suis certaine qu'il prend ses responsabilités très au sérieux. N'oubliez pas que les capacités de ces deux enfants sont très sollicitées en ces temps de tension, et servir la Force est souvent un fardeau lourd à porter. Pardonnez donc au padawan Kincaid pour cet excès de prudence, je vous le demande.

Liam se sentait déjà mieux. Don Nycator perdit aussitôt tout esprit de bravade.

- Ma Dame, vos désirs sont des ordres.

Puis revenant à Liam :

- Allez, je ne ferai rien pour cette fois. Mais faites bien attention. Les Jedi ont leurs règles de conduite, mais ici, dans le secteur Tapani, nous avons les nôtres.

Liam ne répondit pas, n'osant plus dire quoi que ce soit. Le Seigneur Mecetti tapa dans ses mains. Immédiatement, une limousine sur coussin d'air s'arrêta net devant les marches de marbre.

- Et maintenant, mon ange, mon chauffeur personnel va vous reconduire à la destination de votre choix.

Dame Liryl prit place dans le véhicule, mais Don Nycator fit la grimace en voyant le Barabel ouvrir l'autre porte. Celui-ci regarda le Mecetti droit dans les yeux et dit d'un ton sans réplique :

- Pas sans moi.

Les deux padawans étaient déjà partis, et la limousine quitta la rue. Don Nycator de Mecetti retourna vers son manoir. Chemin faisant, il croisa l'un de ses cousins lointains qui déambulait dans la propriété en demandant aux domestiques :

- S'il vous plaît ? S'il vous plaît ? Vous n'avez pas vu mon frère ?

Le taxi déposa les deux adolescents à l'ambassade. Liam paya la course, empocha le reçu, et franchit la grille, bras dessus bras dessous avec la jeune Drall, toujours peinée.

- Quand je pense que Dame Liryl s'apprête à partager sa vie avec un personnage comme Don Nycator de Mecetti, cela me rend triste.

- Moi, ça m'énerve. Une femme avec tant de qualités, se marier avec ce sale type ! Quel gâchis ! Pourtant, elle n'a pas envie ! C'est visible comme la trompe d'un Kubaz au milieu de sa figure !

- Liam, elle fait preuve d'une abnégation sans pareille. Elle n'a pas pris cette décision pour elle, mais pour nous tous.

- Tu crois ? Qu'est-ce qui te rend aussi catégorique ?

- Elle m'a expliqué son véritable but, avant que nous ne quittions Yavin IV.

- Ah ouais ? Et c'est si important que ça ? C'est quoi, alors, le problème ?

- Je suis désolée, je ne me sens pas le droit de t'en dire plus sans son autorisation.

- Ah… bon, d'accord.

- Je t'en prie, ne m'en veux pas, j'aurais trop peur de trahir sa confiance. Je souhaite juste que tu me croies quand je te dis que c'est pour une excellente raison.

- T'inquiète pas, je comprends très bien, et je te crois. J'espère simplement que Dame Liryl sait ce qu'elle fait.

Ils étaient arrivés devant les portes de leurs suites respectives. Après s'être souhaité la bonne nuit, ils allèrent se coucher. Mais si Chi'ta s'endormit rapidement, Liam ne parvint pas à trouver le sommeil. Il essaya, mais les heures passèrent. Il regarda le réveil. Une heure trente… pour un adolescent Humain, la nuit ne faisait que commencer. Il décida de sortir un peu. Il se rhabilla, ouvrit silencieusement la porte, jeta un coup d'œil vers la porte de la suite numéro 5, où dormait la jeune Drall, hésitant…

Bah, j'ai ma vie à moi, aussi ! Je ne vois pas pourquoi je devrais toujours tout faire avec sa permission !

Quelques minutes plus tard, il était dans la rue. Il avait téléchargé dans son bloc de données de poche les adresses de quelques débits de boisson bien fréquentés, et des boîtes de nuit autorisées aux mineurs. C'est ainsi qu'il passa deux bonnes heures, à danser, à boire, à se changer les idées. Il avait même été abordé par une Twi'lek de son âge, mais…

- Désolé, tu es très sexy, mais j'aurais peur de faire de la peine à ma copine.

- Ah… t'as déjà quelqu'un…

- Ouais, mais c'est une couche-tôt, elle n'a pas voulu m'accompagner.

- Pas grave, toi au moins t'es honnête. Allez, bonne nuit, beau gosse !

Liam quitta la boîte sans le moindre regret. Dehors, il entendit quelqu'un vomir dans un coin sombre. Haussant les épaules, il retourna en direction de l'ambassade. La nuit était claire et douce, et les rues tranquilles. L'adolescent sourit presque en sentant la présence d'une personne qui titubait derrière lui. Le son des pas maladroits, la respiration rauque… l'individu le suivait.

On ne me la fait pas !

Liam repéra une ruelle sombre, dans laquelle il s'enfonça. Une fois hors de portée de vue de son filateur, il fit un immense bond sur l'un des escaliers de secours. En regardant vers le sol, il vit un homme avancer à pas lourds, puis s'arrêter, interloqué.

- Bon sang… où est-il ?

Liam atterrit sans bruit derrière l'homme. Il posa son doigt entre ses omoplates.

- Derrière.

- Ah ! Oh…

- Si vous voulez me parler, un « bonjour » suffit.

- Je… c'est vrai… j'en oublie… mes bonnes manières.

Brusquement, l'homme pivota, balayant l'air d'un coup de talon. Un amateur aurait pu s'y laisser prendre, mais Liam était assez entraîné pour esquiver l'attaque sans problème, encore plus facilement à cause de l'état de l'homme, manifestement éméché. Il se mit en garde, les doigts sur la poignée de son sabre-laser.

- Alors, c'est quoi, votre problème ? Qu'est-ce que vous me voulez ?

- Je veux… que tu remplisses ton devoir… de Jedi.

- Mais de quoi… oh !

Un lampadaire éclairait à présent le visage de l'individu. Malgré la crasse, l'odeur âcre qui imprégnait ses vêtements, son visage sale, sa barbe d'une semaine, et son allure vacillante, le comportement d'un drogué en état de manque, Liam reconnut Vaskel Savill de la Maison Melantha. Ce triste spectacle le peina.

- Seigneur Savill…

- Non ! Plus maintenant, petit padawan futé ! Grâce à ton astucieuse investigation, il n'y a plus de « Seigneur Savill ». Ils m'ont déchu. Ils m'ont supprimé mon titre ! Ils m'ont abandonné ! Je suis plus bas que le plus bas de mes anciens serviteurs.

Et c'était vrai. Le digne noble Melantha n'était plus qu'un malheureux clochard. Il portait des vêtements de toile simples, usés, souillés de nombreuses taches sombres. Il était bourré de tics nerveux. Sa respiration était irrégulière, ses yeux cernés. Liam discerna dans la pénombre ses pupilles dilatées. Il avait vu suffisamment de cas similaires pour comprendre en un instant de quoi souffrait l'homme.

Les symptômes d'un bad trip…

- Je croyais que le Grand Conseil vous avait seulement chassé de Procopia ? Vous n'avez pas une maison sur votre planète ?

- Tu veux rire ? Je ne sais pas… comment ils font… dans ton école de Jedi, mais ici… un noble disgracié est rapidement… effacé par les siens. Mes amis ne me connaissent plus. Ma famille m'a renié. Mes cousins m'ont pris tout ce que je possédais. Ma femme était déjà dans le lit d'un autre avant que je ne quitte la Chambre du Grand Conseil. Quant à mes enfants, ils sont « orphelins de père ». Je n'ai plus rien. Je ne suis plus rien. Rien de plus qu'un foutu toxicomane qui cherche désespérément sa dose quotidienne. Et tout ça, c'est de ta faute !

- Ma faute ?! Même pas vrai ! Je vous ai défendu, devant le Grand Conseil ! C'est la faute à ces vieux machins qui ne m'ont pas écouté, ils avaient besoin d'un prétexte pour avoir votre peau, ils l'ont eu, et ils vous ont déjà oublié, maintenant !

- Tu nous as espionnés ! Tu l'as reconnu… à la Chambre. Sans ton indiscrétion… je ne serais peut-être pas tombé comme ça.

- Vous fricotiez avec des poseurs de bombes. Je n'ai pas à répondre de ça !

- Rends-moi mon titre… Rends-le moi !

Vaskel Savill s'était jeté sur Liam, lui avait saisi la gorge, et serra. Mais l'adolescent avait anticipé l'assaut, que l'état de manque de Savill avait atténué. Sans hésiter, il balança son genou dans le bas-ventre de son agresseur qui le lâcha, se courbant sous l'effet de la douleur.

- Hé, vous vous calmez, maintenant ! C'est pas comme ça que vous sortirez vos fesses de la merde dans laquelle vous avez été plongé !

- Tu… tu dois m'aider… Tu es un Jedi, pas vrai ? Je suis dans le besoin… M'abandonner serait criminel…

- Écoutez, je… je ne suis qu'un apprenti, et vous un politicien victime d'une magouille, je ne vois pas ce que je peux faire, moi.

- Tu travailles… pour les Pelagia… et tes amis… pour les Cadriaan. Ces deux-là… peuvent m'aider… à prendre ma revanche.

- Votre revanche ?

- Oui. Écoute, je suis convaincu… que les Mecetti sont responsables de ma chute !

- Qu'est-ce que je peux y faire ?

- Conduis-moi à Theus Paddox, et je pourrai vous aider à mettre Nycator à genoux.

Liam soutint son regard, soupçonneux. Savill insista :

- Allez ! Que veux-tu… que je fasse, hein ? Paddox est assez riche et malin… pour se payer de bons gardes, non ? Écoute, petit… je ne t'en veux pas tellement, en fin de compte… j'imagine que tu n'as pas fait ça… en pensant à mal. Tu as simplement… suivi les ordres de tes Maîtres.

Ces paroles provoquèrent une vive montée d'adrénaline dans le cœur de l'adolescent qui en avait assez qu'on le considère comme un animal obéissant.

- Mais ils se sont tous donné le mot, ou bien ? Je n'ai pas juste « suivi les ordres » comme un chien bien dressé. Quand je fais quelque chose, c'est parce que j'ai envie de le faire, et je le fais comme je le veux, pourvu que ça respecte les principes de l'Ordre Jedi.

- Très touchant…

- J'ai fait ce que je jugeais bon pour mettre hors d'état de nuire les gens tels que vous ! Le R.A.J. a fait des victimes innocentes sur Norphair sous mes yeux, et pour ce qui est de l'Empire, je peux vous dire qu'ils m'ont fait beaucoup de mal, ainsi qu'à mes amis !

- Ah… le R.A.J., l'Empire… c'est un peu facile de tout me reprocher, comme ça…

Liam soupira.

- Je sens que je vais le regretter, mais je vais vous donner le bénéfice du doute. Vous avez raison, mon devoir est d'aider les nécessiteux, même s'ils travaillent avec des saboteurs et des bouchers notoires.

- Oh… merci, Grand Maître Jedi ! Tu es le premier… qui ne me rejette pas.

- Ne me remerciez pas trop vite. Paddox ne va sûrement pas être ravi de vous voir.

Chi'ta se réveilla, sortit de son lit, s'étira. Après avoir fait sa toilette, elle passa un autre kimono plus léger qu'elle s'était acheté la semaine précédente, et se rendit dans la salle à manger. Chemin faisant, elle passa par le cloître, et constata qu'il faisait un temps magnifique. Les oiseaux chantaient, le ciel était bleu, sans aucun nuage, cela rendit la jeune Drall d'excellente humeur. Quand elle arriva dans le réfectoire, elle fit un grand sourire à Liam, déjà attablé devant une montagne de tartines qu'il dévorait de joyeux appétit.

- Bonjour, Liam !

- Bonjour ! Installe-toi donc !

La jeune fille s'assit devant l'adolescent, et mordit à belles dents dans une tranche de pain beurré.

- Tu es ravissante, ce matin !

- Merci, c'est gentil.

- Est-ce que tu te remets de toutes ces émotions ?

- Je me sens mieux, mais je ne sais pas si j'aurai le courage d'assister au mariage.

- Nous verrons bien. De toute façon, ce n'est pas pour tout de suite.

- J'aurai peut-être réussi à me faire à cette idée d'ici là.

- Espérons-le. C'est bon de te voir aussi joyeuse, Chi'ta.

- Pour la bonne humeur, rien de tel qu'une bonne nuit de sommeil !

- Moi, je n'ai pas beaucoup dormi, mais je suis sorti faire un petit tour. Et j'ai ramené quelqu'un qui va pouvoir nous guider un peu sur la voie de la sagesse.

- Ah oui ? Qui est-ce ?

- Attends-toi à une sacrée surprise !

- Allez, dis !

- Eh bien c'est… ah, le voilà justement qui arrivé !

En effet, la double porte venait de s'ouvrir, et Vaskel Savill entra, accompagné de trois gardes et du sergent Gill. Il s'installa sans dire un mot à la table des deux padawans. Il avait meilleure mine, était propre et rasé, et portait un costume bleu sombre de prisonnier. Chi'ta n'en revint pas.

- Vous !

- Bonjour, mademoiselle Koskaya, répondit l'autre avec un petit sourire gêné.

- Liam, qu'est-ce qu'il fait ici ? Comment ? Pourquoi ?

- Écoutez, avant toute chose, je voudrais vous dire à quel point je suis désolé que mon… mon jugement à la Chambre du Grand Conseil ait pu vous mettre dans une position aussi embarrassante. Vous êtes une bonne petite, et j'en ai voulu à ce béotien de Don Nycator de Mecetti d'avoir usé d'autant de brutalité à votre égard.

La jeune Drall ne décela aucune sournoiserie dans l'humeur de Savill, c'est pourquoi elle se radoucit un peu. Savill continua :

- J'ai décidé de demander votre aide, à vous et vos amis.

- Notre Code Jedi nous oblige à lui donner un coup de main, Chi'ta.

- Si ça ne va pas à l'encontre de ce Code. Vous y avez pensé, messire Savill ?

- Oh, je m'en doute, c'est pourquoi je comprendrai si vous me dites que vous n'avez pas le droit. Pour le moment, je vous demande juste d'écouter ce que j'ai à dire.

Le sergent Gill fit un petit geste vers le Melantha, à l'attention de l'un de ses hommes. Savill allait prendre une bouchée de pain, quand le garde lui tapota l'épaule.

- Allez, Savill, il faut y aller, maintenant. Nos autres employés nous attendent.

Morgreed, Canderous et Dankin étaient pour la première fois dans la salle de briefing de la Maison Pelagia. Ils avaient pris place autour de la table holographique. Quand Liam et Chi'ta entrèrent, ils constatèrent avec surprise qu'il y avait deux autres personnes assises à la table : la jeune femme Humaine de la veille, et son compère Chiss. En revanche, Taava n'était pas venue. C'est alors que le Haut Seigneur Theus Paddox entra par une autre porte. Liam, Chi'ta et la jeune femme se tinrent debout, droits, en signe de respect.

- Bonjour à tous, je vous en prie, vous pouvez vous rasseoir, nous sommes entre nous, les convenances sont superflues.

- Vous avez l'air en pleine forme, Haut Seigneur Paddox, déclara la jeune femme.

- En effet, je le suis. Mademoiselle Koskaya, messieurs, je suppose que vous vous demandez qui sont ces deux personnes, à juste titre. Permettez-moi de faire les présentations. Voici le docteur Ezra Lohrn, médecin affilié à la Maison Calipsa. Il est vrai que les rapports entre les Pelagia et les Calipsa ne sont pas spécialement amicaux, mais cette demoiselle a rendu un immense service à la Maison Pelagia dernièrement. En échange, je me suis engagé à réviser les relations que notre Maison entretient vis-à-vis de la sienne. Quant à ce monsieur originaire de Csilla, c'est Grennan, un chasseur de primes licencié travaillant avec le docteur Lohrn.

- J'ai aperçu quelques-uns d'entre vous au cours de la soirée d'hier, mais je ne pensais pas vous revoir, encore moins dans ces circonstances.

Liam et Chi'ta pouvaient maintenant observer plus en détail la nouvelle venue. Ezra Lohrn avait une voix claire et déterminée. Elle était de taille moyenne pour une femme Humaine, mais bien proportionnée, et ses courbes étaient très agréables à contempler, pour ceux qui appréciaient la beauté féminine chez les Humains. Son visage était fin, rose et souriant, ses petits yeux noirs, ses cheveux châtain coupés courts et tressés vers l'arrière et sa sveltesse finirent de charmer Liam. Elle avait délaissé sa robe de soirée pour l'uniforme des médecins affiliés aux champs de bataille, une combinaison bleu sombre frappée du blason de la maison Calipsa. Rapidement, elle plut aussi à Chi'ta. Canderous restait un peu distant.

- Je vous avais repéré, Grennan. Difficile pour vous de passer inaperçu dans une ambassade pleine d'Humains.

Le Chiss ne répondit pas, se contentant de hausser des épaules. Les autres se présentèrent brièvement à tour de rôle. Sur ces entrefaites, Vaskel Savill entra à son tour dans la salle de briefing, toujours escorté de Gill et de deux autres gardes. Le sergent menotta le Melantha à l'une des chaises, puis s'apprêta à sortir. Le Haut Seigneur Paddox lui dit juste :

- Restez juste derrière la porte, sergent. Au moindre bruit suspect, vous entrez sur-le-champ et vous l'abattez.

- À vos ordres, Haut Seigneur.

- Je vous appelle quand nous en aurons terminé.

- Bien, Haut Seigneur.

Les trois hommes en armure saluèrent et quittèrent la pièce. Le Haut Seigneur Paddox se tourna vers Vaskel Savill.

- Comme ça, vous savez à quoi vous en tenir.

- Je vous remercie de m'accorder votre attention, Theus.

Paddox fit quelques pas, et se planta devant Savill, le regardant avec dédain.

- « Haut Seigneur Paddox » sera une meilleure façon de m'appeler, pour commencer. Je ne sais pas si accepter de parler avec vous est une excellente idée, Savill. Vous avez maintenant trois Maisons qui vous ont déclaré la guerre.

- Oui, je sais, les Mecetti, les Calipsa et les Reena.

- La Maison Pelagia n'est pas vraiment en très bons termes avec les Mecetti, et dans une moindre mesure les Reena et les Calipsa, qui sont leurs alliés. Pour l'instant, les relations restent neutres, mais ils pourraient considérer le fait de vous recevoir comme une complicité, et faire preuve d'hostilité à notre égard. Maintenant, j'espère que vous, vous avez une bonne raison d'être venu me trouver, Savill.

- Haut Seigneur Paddox, je veux faire subir à Don Nycator de Mecetti ce qu'il m'a fait subir. Je veux qu'il paie pour son insolence, ses manières hautaines et sa désagréable manie de semer la zizanie dans notre secteur ! Je veux que l'univers sache qui il est vraiment, et qui sont vraiment ses alliés !

Morgreed haussa les épaules.

- « Qui il est vraiment », ça, on le sait, c'est un petit péteux. Maintenant, « qui sont vraiment ses alliés »… les Reena et les Calipsa, je suppose.

- Non, maître Morgreed. Il y a d'autres personnes. Et pendant qu'on y est, je veux tirer Annora Calandra du bourbier dans lequel vous l'avez plongée !

- Ah, ça, avouez qu'elle aurait pu choisir d'autres activités pour combler l'ennui profond que le travail à la Guilde Minière doit lui causer ! ironisa Liam.

- Peut-être, mais elle a été jugée de manière arbitraire, et son arrestation est un excès de zèle de la part des administrations soi-disant impartiales, répliqua Ezra.

- Annora Calandra est une femme honnête, c'est mon amie, je veux la dédouaner ! C'est vous qui l'avez entraînée là-dedans, vous devez m'aider à l'en sortir !

- Elle collabore avec le R.A.J., Savill.

- Contre l'Empire ! Dois-je vous rappeler que la Nouvelle République était autrefois l'Alliance Rebelle, et que les méthodes employées par ses agents ne valaient souvent guère mieux ? Les personnes qui constituent les principales autorités de ce gouvernement, aujourd'hui héros de guerre, étaient hier des saboteurs, des espions, des déserteurs et des pirates ! En tout cas, c'est ainsi que la plupart des gouvernements les ont décrits, et pas seulement ceux sous domination impériale !

Il y eut un petit silence. Canderous se gratta le crâne.

- Haut Seigneur Paddox, faut reconnaître que ce guignol n'a pas tort sur toute la ligne. Après avoir quitté l'armée procopienne, j'ai travaillé dans une unité de mercenaires quelque temps, et le capiston insistait bien : « La différence est que nous, on assume pleinement nos actes au lieu de se faire passer pour des gentils. »

- Maître Tal dit vrai, Haut Seigneur. Tout est une question de point de vue, concéda Chi'ta. Mais il est vrai aussi que le R.A.J. ne prend pas garde aux pertes civiles.

- Comme les actions de sabotage menées par la Rébellion. C'est la guerre, il y a obligatoirement des gens qui meurent.

- Ce n'était pas la guerre avant votre déchéance, Savill. Cette guerre, vous en êtes en partie responsable ! rétorqua durement Paddox.

- C'est malheureux, je suis d'accord. Si je pouvais faire autrement pour freiner l'avancée de l'Empire dans notre secteur, soyez sûr que je changerais. Et d'ailleurs, c'est précisément cela qui m'amène ici. J'ai trouvé quelque chose.

- Nous y voilà. Quoi donc ? demanda Paddox, soupçonneux.

- Quand j'ai organisé le Vor-Cal, je ne me suis pas contenté de regarder la partie de chasse. J'ai étroitement surveillé les gens qui étaient encore à bord de mon pavillon de chasse stellaire. J'ai commis l'erreur de ne pas surveiller les bonnes personnes, maugréa Savill en regardant Chi'ta avec insistance. Passons. Juste avant que les soldats de Procopia ne viennent m'arrêter, j'ai eu le temps de voir que l'un de mes observateurs avait surpris une très intéressante conversation pendant que je parlais avec Arkeld et Annora sur Vilhon. C'était dans la salle de communication privée. Il y avait Don Nycator de Mecetti. Il était en train de parler à quelqu'un de non identifié.

- Vous avez pu enregistrer cette conversation ?

- Pas directement, car ce petit futé avait mis un filtre sur l'holovidéophone. Mais il a commis une grave erreur : ses gardes se tenaient de l'autre côté de la porte, empêchant l'accès, la pièce était isolée, il croyait être seul dans le petit salon… mais il n'a pas remarqué SE-2-4, mon droïd personnel de service. Il était dans sa niche, dans un coin sombre du bureau, et avait l'air éteint. En réalité, son système d'enregistrement était parfaitement fonctionnel. Il a enregistré la conversation. J'allais l'écouter dans son intégralité, quand j'ai été arrêté.

- Et c'est ce droïd qui contiendrait des informations utiles ? demanda Liam.

- Oui. Vous avez prouvé que vous êtes des agents d'infiltration compétents. Retrouvez SE-2-4, rapportez l'enregistrement. Je ne pense pas que cela puisse directement faire sortir Annora de prison et y jeter Nycator à sa place, mais cela pourra vous donner des pistes plus concrètes vers des éléments révélateurs, qui nous aideront alors à justifier ou excuser nos relations avec le R.A.J.

Personne ne pipa mot pendant quelques instants.

- Je ne me sens pas le droit d'envoyer ces deux padawans et leurs cinq amis à la poursuite d'une vague information qui pourrait tout aussi bien être un traquenard.

- Ne sont-ils pas sous vos ordres, Haut Seigneur Paddox ?

- Les adultes ne travaillent pas directement pour moi. Quant aux deux enfants, ils sont avant tout sous la responsabilité du Praxeum, et devront choisir d'accomplir ce travail de leur plein gré. Je ne pourrai pas les obliger à faire ce genre de chose sans que cela crée de gros problèmes.

- Et puis, vous avez raison, Haut Seigneur Paddox, siffla Morgreed. J'ai très envie de plonger Don Nycator de Mecetti dans le crottin, mais la mariée est un peu trop belle, si je puis dire. Qui nous dit que ce n'est pas un piège grossier ? Vous voulez vous réhabiliter aux yeux des Melantha, Savill, mais peut-être que la meilleure solution pour cela serait de nous entraîner dans un attrape-gogo. Ainsi, vous capturez les padawans pour les livrer à Daymon Thorn et vous nous faites exécuter en silence… tout bénéfice pour vous.

Savill eut une vive réaction mêlant colère et panique.

- Vous vous méprenez ! Mes intentions ne sont pas viles ! Je n'ai dit que la vérité !

- J'ai presque failli vous croire, ironisa Canderous.

- Haut Seigneur, c'est peut-être pas des mensonges, déclara alors Liam.

- Je ne sens pas chez cette personne les effluves de la crainte de voir une duperie éventée, ajouta Chi'ta en posant deux doigts sur sa tempe.

- Vous êtes sûrs, jeunes gens ? Attention, car Vaskel Savill n'est pas un simple mendiant apeuré. Il connaît aussi bien que moi les règles du jeu de la course au pouvoir du Secteur Tapani, et se débrouille même très bien à ce jeu.

- Je n'ai plus rien à perdre d'autre que ma vie, Haut Seigneur Paddox, et c'est sans hésiter que je la mets entre vos mains. Je ne garantis pas que la récupération de SE-2-4 sera facile, mais je sais qu'ils peuvent y arriver. Et si quelque contretemps devait se produire, et que l'une ou l'autre de ces personnes devait en souffrir par ma faute, vous ferez ce que vous voudrez de moi. Je n'ai plus que ma vie à perdre.

Paddox hésita un peu. Ezra dit alors :

- Haut Seigneur Paddox, ce marché me convient.

- Une parole est une parole, renchérit Canderous.

Paddox regarda chacun des sept compères, puis se tourna vers Savill.

- Vous allez rester confiné dans une suite à part pendant toute la durée de leur course, avec deux gardes devant la porte et une surveillance accrue aux fenêtres. S'il devait arriver quelque chose à l'un ou l'autre d'entre eux, et s'il s'avérait après vérification que c'est à cause d'une fourberie de votre part, vous seriez exécuté dans l'heure. Toute tentative d'évasion ou de communication non autorisée sera vue comme une traîtrise, et mes gardes auront l'ordre de vous abattre sur place.

- D'accord, Haut Seigneur Paddox. J'accepte ces conditions.

Vaskel Savill balaya du regard toute l'assistance.

- Si je parviens à regagner mon statut, soyez sûr que vous en serez récompensés, et je ferai tout ce que je pourrai pour que les Melantha changent leur politique actuelle en la faveur des Cadriaan, des Pelagia et de la Nouvelle République.

- Une chose à la fois, Savill, nous n'en sommes pas encore là. Passons aux choses sérieuses : où est ce droïd ?

- Il a été saisi par l'un de mes cousins. J'ai passé les trois derniers jours à le pister, pour apprendre qu'il a été revendu à la firme Industrial Automaton.

- La chaîne de droïds astromécanos ? demanda Ezra.

- Précisément. SE-2-4 est un droïd unique en son genre. Il a été conçu dans un alliage très particulier, à la fois fin, souple et résistant. Bien sûr, ça ne le rend pas invulnérable, mais disons qu'il est plus solide qu'un droïd ordinaire, ne serait-ce que parce qu'il est capable de régénérer ses structures qui seraient endommagées, grâce à un système de nanomachines. C'est un système expérimental qui a été testé il y a quelques années, puis abandonné, car jugé trop coûteux pour qu'on en produise à la chaîne. Or, on n'a jamais retrouvé le procédé de construction, et Industrial Automaton a bien l'intention d'en profiter, maintenant.

- Construire à la chaîne un tel droïd va demander d'énormes moyens, commenta la jeune femme. Où pensez-vous qu'Industrial Automaton va trouver les fonds ?

- Et surtout, quel rapport avec nous ? maugréa Canderous.

- J'y viens, maître Tal. Est-ce que vous connaissez le Grand Concours Galactique de Sciences de la Robotique ?

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un concours qui a lieu tous les cinq ans sur la planète Amphor IV. C'est la firme Industrial Automaton qui organise ce concours. Les plus grandes sociétés de construction de droïds présentent à chaque édition un nouveau modèle. Un jury indépendant juge chaque « challenger » selon des critères comme l'utilité, le rapport qualité/prix, la consommation d'énergie, la solidité, la performance… Et je suppose qu'Industrial Automaton va justement présenter SE-2-4 en prétendant que c'est un modèle sorti de leurs ateliers, et espérer gagner ainsi le concours, et les financements pour le produire en série.

- Excusez-moi, monsieur Savill, interrompit Liam. Industrial Automaton a sans doute effacé la mémoire de votre droïd, et l'enregistrement avec !

- Non, car le système d'enregistrement est dissimulé dans une autre zone du cerveau positronique, et a son propre système d'autonomie. En outre, la puce d'enregistrement est « banalisée », et ressemble à un composant tout simple. Impossible donc de se douter de quoi que ce soit. Et le summum : SE-2-4 ne sait pas qu'il a cette puce en lui. Aucun risque de lui arracher cette information.

- Le meilleur des espions est celui qui ne sait pas qu'il en est un, murmura pensivement Chi'ta.

- Et donc, nous, là-dedans ? demanda Morgreed.

- Simple, maître Morgreed. Vous n'avez qu'à récupérer le droïd avant le concours.

- Un coup osé.

Grennan avait parlé, pour la première fois. Il avait une voix grave et tranchante, teintée d'un léger accent semblable à celui des habitants des planètes-jungles. Il ne s'arrêta pas là et demanda lentement :

- Vous savez où se trouve ce droïd, précisément ?

- Je vais vous surprendre, mais oui. En me renseignant auprès de quelques débiteurs, j'ai pu obtenir l'information. Et c'est en apprenant où est précisément passé SE-2-4 que j'ai compris que je ne pouvais pas faire autrement que de quémander votre aide. Il se trouve maintenant quelque part dans le spatioport d'Amphor IV. Vous n'aurez sans doute aucun mal à en obtenir les plans.

- Sans doute.

- Il sera bien gardé. Mais même si j'aimerais le récupérer en entier, la tête suffira.

Savill se tut. Paddox inspira et demanda :

- Bien, chers amis, savez-vous à quoi vous vous exposerez si vous acceptez de répondre à la demande de Vaskel Savill ?

- Sans doute de sacrées embrouilles, suggéra Canderous.

- Oui, mais ça vaut le coup, si ça peut emmerder Don Nycator de Mecetti ! déclara fermement Morgreed en serrant le poing près de sa joue.

- Attendez !

Chi'ta se leva, et se tourna vers la jeune femme et son acolyte.

- Docteur Lohrn, maître Grennan, avant de nous suivre, j'insiste pour que nous vous mettions en garde. Nous avons de bonnes raisons de penser que Don Nycator de Mecetti nous cache quelque chose de trouble, et nous sommes déjà impliqués dans un jeu dangereux dont les concepts les plus profonds ne nous seront peut-être jamais révélés. Il m'est avis que nous avons même sous-estimé nos adversaires pour le moment, mais nous tâcherons de faire de notre mieux pour être à leur hauteur. Vous, en revanche, vous n'êtes pas encore mêlés à ça. Il est encore temps pour vous de changer d'avis, si vous jugez que ceci ne vous concerne pas. Une fois que vous serez partis avec nous, vous risquez de ne plus pouvoir faire marche arrière. Plus vous en saurez sur ce que nous avons déjà vu, moins vous serez en sécurité. Sachez-le, d'autant plus volontiers que nous allons sans doute percer à jour des choses que les Mecetti, vos alliés, souhaiteraient tenir secrètes.

Ezra n'hésita pas bien longtemps.

- Les Calipsa et les Mecetti se sont alliés pour le moment, mais si ce Don Nycator nous cache des trucs malsains, je ne peux pas laisser ma Maison se compromettre avec lui. Et si le danger est à si grande échelle, on aura tout intérêt à s'unir contre lui. Je ferai de mon mieux pour que mes compétences de médecine et mes connaissances soient utiles à une bonne cause.

- La dame me paie pour que je défende sa peau, ajouta Grennan. Et plus c'est difficile, plus c'est intéressant.

Liam était appuyé sur la table d'holo-échecs de la Comète, perdu dans ses pensées.

- Hé, ça ne va pas ?

L'adolescent leva la tête, surpris, et vit Ezra, penchée vers lui, mains sur les genoux, qui lui sourit avec bienveillance.

- Oh, ce n'est rien, docteur Lohrn.

- Hé, je suis à peine plus âgée que toi ! « Ezra », ça me gênera moins.

- Si tu veux, répondit Liam, lui rendant son tutoiement.

- T'es sûr que c'est « rien » ? On dirait que tu reviens d'un enterrement ! Tu avais pourtant l'air de bonne humeur, à l'ambassade.

- C'est vrai, mais je viens de repenser à quelque chose, et ça m'inquiète. En fait, c'est rapport à hier soir. Toute cette… merde !

- C'est un mal nécessaire, Liam. C'est bien Liam, ton prénom ?

- Oui. Un mal nécessaire reste un mal. Pour tout te dire, je suis très triste pour Liryl.

- Ah oui ?

- Je supporte mal l'idée qu'elle va vivre avec ce type, manger avec ce type… coucher avec ce type, qui semble considérer les femmes comme de vulgaires trophées de chasse.

- Hum hum… est-ce que tu es amoureux d'elle ?

Liam releva la tête, regardant Ezra d'un air à la fois indigné et amusé.

- T'es plutôt directe, comme fille.

- C'est la politique de notre Maison. Audacieuse et efficace.

- Non, je ne suis pas amoureux d'elle. Je l'admire pour son courage et la force de ses convictions, je lui suis très reconnaissant pour ce qu'elle a pu m'apporter, mais je n'ai pas envie de vivre avec elle. Nous ne sommes pas du même monde, nous ne serions pas heureux ensemble, et je veux qu'elle soit heureuse.

- Quelle noblesse d'âme ! plaisanta à moitié Ezra. Pourquoi tant d'attention ?

- Sa rencontre a donné une nouvelle piste à ma vie. Et puis, c'est en travaillant dans son milieu que j'ai rencontré et appris à connaître les autres… et Chi'ta.

Le petit sourire de la jeune femme s'agrandit.

- Ouais, elle me plaît beaucoup aussi, cette petite.

- On parle de moi ?

Chi'ta venait d'entrer dans le petit salon, et s'assit à la table.

- Tiens, Liam, tu sais jouer aux holo-échecs ?

- Ouais, bien sûr ! Une petite partie ?

La jeune fille appuya sur le commutateur de la table, les petits personnages holographiques apparurent, la partie commença. Ezra décida de mettre à profit le temps libre qu'il allait y avoir à revendre pour faire un peu de chimie. Elle se retira dans la cabine attribuée aux filles du groupe, alluma son droïd médical, et brancha son bloc de données dans son crâne de fer-blanc. Elle composa, établit des simulations, programma, et bientôt intégra dans la structure du droïd une nouvelle formule.

Avec ça, je ferai ce que je veux de celui à qui je ferai avaler ce petit cocktail ! Ca pourra toujours servir !

Le voyage se déroula sans anicroche. Liam et Chi'ta en avaient profité pour continuer à s'entraîner, et à méditer. Enfin, ils arrivèrent sur la planète Amphor IV. Amphor IV était une planète artificielle – plutôt une grande station spatiale bâtie sur un astéroïde de deux kilomètres de long. Une fois posés, ils se concertèrent sur la marche à suivre.

- Bon, et maintenant ?

- On a peu de solutions. Et malheureusement, elles ne vont pas plaire aux Jedi. En fait, la seule réalisable dans les délais les plus brefs que je vois implique un passage où l'on vole le droïd.

- Êtes-vous sûre qu'il n'y a rien d'autre à faire ?

- J'aimerais, petite Chi'ta, mais les options sont trop limitées. Nous ne pourrons jamais récupérer ce droïd autrement : si on attend la fin du concours, les ingénieurs d'Industrial Automaton dissèqueront SE-2-4, qu'il soit vainqueur ou non, et à tous les coups, ils détecteront la puce d'enregistrement. Et je suppose qu'ils ne permettront jamais qu'on voie ce droïd, ou qu'on leur rachète. Il n'y a plus qu'une solution, c'est de le… enfin, le récupérer. D'ailleurs, oui, c'est vrai, je me rends compte, les enfants on ne le vole pas tant que ça, ce droïd.

- Ouais, renchérit Canderous. Après tout, ce droïd était la propriété légitime d'un honorable Seigneur Melantha. C'est Industrial Automaton, le voleur de l'histoire.

- Mais le bien avait été saisi…

- Laisse tomber, souricette ! On n'a pas besoin de s'embarrasser de ces détails ! Il nous faut un plan d'action.

- La première chose qu'il nous faudrait, c'est un plan tout court. Genre le plan des bureaux d'Industrial Automaton. Je vais aller me les procurer.

- Tu comptes faire comment ? Tu vas les demander au B.O.S.S. ?

- Je vais aller les chercher là où on peut facilement les trouver. Sur un de leurs ordinateurs, par exemple.

- D'accord. On y va.

Canderous, méfiant, ne voulait pas laisser Ezra toute seule avec son chaperon Chiss. Les autres attendirent, et quelques minutes plus tard, ils étaient revenus. Ezra brandit triomphalement son ordinateur portable.

- Voilà, j'ai réussi à avoir le plan !

- Cool !

Ezra ralluma son bloc de données, puis ils passèrent quelques minutes à étudier les schémas.

- Très bien, on va y aller pas à pas. Les locaux d'Industrial Automaton sont en fait situés sous l'astroport même, où nous sommes, est sont accessibles par l'ascenseur principal qui se trouve au côté opposé de la piste où nous nous trouvons actuellement. Les locaux sont sous la piste, au-dessus de la fonderie.

- On ne risque pas d'attraper froid. Et donc ?

- Comme vous le voyez, nous avons ici le coffre dans lequel se trouve SE-2-4. Inutile de penser à faire sauter la porte, il faudrait au moins un missile à concussion, vu son épaisseur. Devant ce coffre, il y a en permanence deux agents de sécurité et deux tourelles blaster automatiques au plafond. Ces tourelles tirent au paralysant, on n'en mourrait pas, mais c'est du costaud ! De quoi assommer un dragon kell !

- Comment peut-on ouvrir cette porte ? Est-elle commandée à distance ?

- Je ne crois pas. Industrial Automaton est une firme qui réunit la crème du top en matière de sécurité, ils ne prendront pas un risque de piratage à distance, elle a son propre système. En outre, on ne peut l'ouvrir qu'avec la carte magnétique de l'administrateur de cette succursale. Toute tentative d'intrusion électronique déclencherait l'alarme.

- Donc, nous allons devoir convaincre le directeur de nous laisser la clef ?

- Exactement, Morgreed.

- Ca ne va pas être facile, murmura Grennan.

- Oh, on a des arguments pour ça ! renchérit le Barabel en louchant sur la poitrine d'Ezra, avec un sourire ironique.

- Ezra… menace… ? hasarda Dankin.

- Non, il pourrait mal le prendre, et tout de suite appeler la garde. Son bureau est très bien surveillé, et nous ne pourrons pas entrer comme ça pour nous présenter devant lui, répondit la jeune femme.

Liam claqua alors du doigt.

- Si Taava avait été avec nous, elle aurait pu prétendre travailler pour XTS.

- XTS ? Tu parles bien de la société de transport ?

- Ouais, celle-là. Dommage, elle a de fausses cartes de visite avec le logo d'XTS, elle aurait servi un beau baratin à… hé, mais on peut peut-être faire comme ça ! Ezra, tu penses pouvoir jouer la comédie ?

- C'est une idée, nous nous présenterons à l'administrateur – son nom est Gip-Cee, accessoirement – et nous lui proposerons d'effectuer le transport de ses livraisons une fois qu'il aura gagné le concours et fait produire en masse SE-2-4.

Les autres approuvèrent, mais Chi'ta leva la main.

- Êtes-vous sûre qu'ils nous laisseront aller et venir comme ça, docteur Lohrn ?

- Pour commencer, je propose que seuls les Humains s'en chargent, pour une bonne raison : nous allons emprunter les uniformes de certains des gardes pour mieux circuler dans les locaux. Nous nous dirigerons vers le bureau de Gip-Cee, vous deux, Canderous et Grennan en armure, moi en tant que représentante, et Liam sera mon stagiaire. L'armure intégrale dissimulera la peau bleue de Grennan, et le personnel n'y verra que du feu. J'espère que vous ne vous sentirez pas lésés, ajouta Ezra à l'adresse des trois non-Humains.

- Je vous en prie. Il faut dire ce qui est, dans les sociétés où les Humains dominent, nous pouvons nous adapter, mais la physionomie impose parfois ses limites.

- Ravie que tu le prennes si bien, Chi'ta. Donc, une fois que nous aurons… « emprunté » la clef au directeur, nous irons ouvrir le coffre, et récupérerons SE-2-4. Idéalement, pour ne pas éveiller les soupçons, il faudrait même que le directeur vienne avec nous, que les gardes ne s'étonnent pas qu'on vienne voir le droïd.

- Ca m'a l'air simple, observa Canderous. Et comment on va le faire sortir discrètement ?

- Facile ! répondit Chi'ta avec un grand sourire.

D'un geste, elle retira son anorak rose à capuche, ne gardant que sa chemise et son ceinturon, et la tendit à Ezra.

- Vous n'aurez qu'à le cacher là-dessous ! D'après le dossier de monsieur Savill, il fait à peu près ma taille !

Tous ensemble, ils sortirent de la Comète, et déboulèrent sur l'immense piste. Le spectacle du Grand Concours de Robotique avait attiré une multitude de spectateurs curieux. Des petits commerçants avaient carrément installé leurs kiosques à nourriture et boisson entre les zones d'atterrissage, d'autres vendaient des babioles qu'ils exposaient directement sur des tapis. Et loin de les en empêcher, les agents de sécurité les laissaient faire, conscients qu'ils ne pouvaient pas empêcher un tel déploiement touristique – autant essayer de faire rentrer tout le monde chez soi à l'anniversaire de la Bataille d'Endor. La foule était bruyante, et bigarrée.

- Les locaux d'Industrial Automaton sont juste là, annonça Ezra en montrant du doigt droit devant elle.

À l'autre bout de la piste, il y avait un grand bâtiment d'acier sombre, avec une double porte coulissante. Au-dessus de cette porte, une immense enseigne au néon en relief affichait fièrement le logo de la firme Industrial Automaton. Canderous se gratta le crâne.

- Bon, quand faut y aller, faut y aller.

Et Liam, Ezra, Canderous et Grennan se dirigèrent vers le bâtiment d'Industrial Automaton. Comme à son habitude, Chi'ta dit simplement :

- Soyez prudents !

Liam se contenta de lever un pouce avec un clin d'œil. Les quatre volontaires franchirent les portes, laissant les trois non-Humains entre eux. Morgreed commenta :

- Plus qu'à attendre que ces messieurs-dames reviennent avec la cargaison.

- J'espère que ça se passera bien.

- Pas de raison, va !

- Quoi… Maintenant ? demanda Dankin.

Le Barabel réfléchit quelques instants. Il repéra un débit de boissons avec terrasse.

- Tiens, petit chou, je t'offre une glace ! Dankin, tu veux boire quelque chose ?

Ezra avait une assurance indéniable qui leur permettait de franchir les couloirs sans problème, mais Liam avait quand même une petite appréhension, teintée d'admiration. En effet, elle était sacrément sûre d'elle, pour une doctoresse à peine plus âgée que lui. Si elle était représentative de la majorité des Calipsa, les autres Maisons nobles devaient avoir bien du souci à se faire.

- On approche des vestiaires, c'est le moment d' « emprunter » un peu de matériel.

Les quatre compères parvinrent à attirer deux gardes, à les assommer, à les attacher après leur avoir volé leurs tenues de protection. C'était parfait. Comme l'avait prévu la jeune doctoresse, Grennan, avec ses gants et son casque intégral, passait sans problème pour un Humain. Puis, Ezra toujours en tête, ils montèrent vers les bureaux de la direction, croisant quelques gardes comme si de rien n'était. Enfin, ils arrivèrent devant une porte avec un petit panneau neuf : Gip-Cee, Directeur.

- Très bien, jusqu'ici, tout va bien. Grennan, Canderous, Liam, vous restez dehors, laissez-moi faire. Si jamais vous entendez un bruit pas net, apprêtez-vous à vous barrer en courant.

Puis la jeune femme se recoiffa, rajusta sa chemise, et frappa à la porte. Une voix geignarde répondit :

- Qu'est-ce que c'est ?

Sans plus attendre, Ezra entra et referma vite la porte derrière elle.

Le petit personnage derrière le bureau était pathétique. Chauve comme un œuf, portant d'énormes lunettes, engoncé dans un costume usé, il leva son nez de fouine de la montagne de formulaires accumulés sur son bureau, et toisa la jeune femme d'un air chargé de soupçons.

- Qu'est-ce que c'est ? Qui êtes-vous, mademoiselle ?

- Bonjour, monsieur Gip-Cee. Je me présente, Lyta Sunrise, transporteuse au service de la société XTS.

- XTS ? Et qu'est-ce que vous me voulez ? J'ai du travail !

- Je n'en doute pas, rapport au grand concours. Mais je suis venue vous parler de ce qui se passera après le concours.

- Je vous demande pardon ?

- Comme votre victoire est inévitable, vous aurez sans doute besoin de toute une organisation digne de ce nom aura besoin d'un bon transporteur, quand il s'agira de livrer tous les clients qui ne manqueront pas de se bousculer pour vous acheter votre dernier modèle de droïd.

Ezra approcha, sentant que le petit homme était en train de mordre à l'hameçon, mais fut déçue de comprendre qu'elle s'était trompée quand il la renvoya d'un geste vague de la main.

- J'ai déjà tout prévu. Allez, j'ai du travail, maintenant !

La jeune femme toussa alors quelques fois, et en profita pour glisser la pilule qu'elle avait synthétisée entre ses dents. Puis elle s'approcha davantage du directeur.

- Oh, monsieur Gip-Cee…

Oubliant toute argumentation, Ezra se jeta sur le petit homme, et glissa furieusement sa langue dans sa bouche, espérant y faire passer la pilule. Elle eut un mauvais sursaut en sentant un contact vers le fond de sa gorge.

Misère, je risque de la gober !

Elle toussa, se secoua, et balança sa tête vers l'avant, réussissant à projeter la pilule dans le gosier de Gip-Cee. C'est alors qu'elle se rendit compte de quelque chose de très embarrassant : loin d'être indigné ou choqué, le petit directeur prenait un enivrant plaisir à ce baiser, et serra dans ses bras la jeune doctoresse, de plus en plus fort.

Allez, avale-la, avale-la !

Mais le directeur n'avalait pas la pilule, ou bien elle n'agissait pas aussi vite que prévu. Gip-Cee agrippait maintenant la veste d'Ezra, et tira sur les pans de toutes ses faibles forces, faisant sauter les boutons. La jeune femme se défendit, gifla le petit visage ridé, ce qui n'excita que davantage le directeur qui en venait à la chemise.

Attiré par le bruit, Liam entra précipitamment, et s'arrêta net, son visage vira subitement au rouge quand il vit Ezra, la veste à moitié arrachée, la chemise ouverte, le directeur Gip-Cee pendu à son soutien-gorge avec les dents. Fort heureusement, ce fut à ce moment que le petit homme digéra la concoction du docteur. Il relâcha son étreinte, et la jeune femme put le repousser et rajuster ses vêtements avec précipitation.

- Tout va bien, Liam, maintenant, il sauterait par la fenêtre si je le lui demandais.

- Faut pas lui en demander tant !

- On voit bien que ce n'est pas à toi qu'il a failli faire subir les derniers outrages !

- Je veux bien être compréhensif, mais je suis un padawan, quand même !

Pendant cet échange, le directeur n'avait pas bougé. Il restait debout au milieu du bureau, bras ballants, regard hébété, un large sourire niais aux lèvres. Ezra se pencha vers lui et demanda :

- Alors, Gip-Cee, on va être un bon petit toutou obéissant ?

- Oh… oui…

Ezra s'installa sur l'ordinateur de Gip-Cee.

- Hé, c'est intéressant, ça !

- Quoi donc ?

- Regarde.

Elle tapa sur le clavier quelques commandes, et l'image du couloir menant au coffre-fort apparut sur l'écran. Liam pouvait voir les deux agents de sécurité, et les deux redoutables mitrailleuses laser fixées au plafond, au-dessus de leurs têtes.

- Je ne pourrai pas ouvrir la porte d'ici, elle a son propre système autonome. Par contre, je peux nous débarrasser à la fois des gardes et des mitrailleuses.

- Comment ?

Elle cliqua sur une icône de mise en marche. Sur l'écran, les deux tourelles se mirent en marche, et tirèrent sur les deux gardes qui s'écroulèrent net. Après quoi, elle coupa le circuit, et les deux tourelles s'éteignirent et se replièrent.

- Joli.

- Merci. À présent, une précaution supplémentaire !

Elle pianota encore sur le clavier, et plusieurs fenêtres rouges apparurent. Elles indiquaient « Porte 1 verrouillée », « Porte 2 verrouillée », d'autres portes étaient ainsi verrouillées.

- Et voilà le travail. Toutes les portes d'accès au coffre sont verrouillées à part celles que nous franchirons, comme ça les gardes nous ficheront la paix.

- Dis, t'es sûre que t'as fait médecine, toi ?

- Tout le monde a ses petits hobbies. Et maintenant… Gip-Cee ?

- Oui… ?

- On va prendre sa carte magnétique, et aller ouvrir la porte pour que la dame puisse aller chercher son petit trésor ?

- Ah… oui…

Liam ramassa le portefeuille du directeur qui était tombé par terre, vérifia que le passe du directeur s'y trouvait.

- Attends ! Ezra, on n'a peut-être pas besoin de lui !

- On va le laisser dans le coffre, histoire qu'il ne puisse pas donner l'alerte trop vite une fois que le médicament aura cessé de faire effet.

Docilement, Gip-Cee suivit la jeune femme qui sortait du bureau, talonnée par Liam. Canderous ronchonna :

- Pas trop tôt ! Il t'a prise sur le bureau, ou quoi ?

Elle ne répondit rien, se contenta de le regarder d'un regard mauvais. Liam chuchota :

- T'as pas idée…

Enfin, ils se retrouvèrent dans le couloir. Les deux agents de sécurité étaient toujours étendus sur le carrelage.

- Vraiment efficaces, ces tourelles. Et maintenant, les portes s'ouvrent !

Ezra passa la carte dans le lecteur, et la lourde porte s'ouvrit lentement, bruyamment. Un néon s'alluma dans la petite pièce. Liam entra, et s'arrêta en voyant l'objet de leur convoitise.

SE-2-4 était bien là, debout au milieu du coffre qui ne contenait que lui. C'était un droïd qui faisait à peu près sa taille, de forme humanoïde. Ses bras, ses jambes étaient cylindriques, et recouverts d'une matière lisse et brillante, légèrement alvéolée. Au milieu de sa poitrine, il y avait un globe de verre qui brillait d'une douce lumière cyan. Sa tête était cerclée d'une carapace du même métal, mais son visage était recouvert d'une mince couche de chair synthétique, et était saisissant de réalisme. Il semblait dormir à poings fermés. On distinguait même sur le front, par-dessous l'enveloppe métallique crânienne, une mèche de cheveux artificiels blonds. Il ressemblait davantage à un être vivant dans une armure de combat ultrasophistiquée qu'à un droïd.

- C'est marrant, je me rends compte que je l'avais déjà vu pendant le Vor-Cal, mais je n'avais pas fait attention à lui. Il est… différent.

- Il est beau pour un droïd, ajouta Ezra.

- On s'en fout, le principal est de le ramener, maugréa Canderous.

- Okay, mettons-lui l'anorak et allons nous-en.

- Pas si vite, mon bonhomme, répliqua le mercenaire. On n'a pas besoin de s'encombrer de tout le paquet. La puce est bien dans la tête, non ?

- Canderous, à quoi tu penses, encore ?

- On va voir jusqu'à quel point il peut cicatriser !

L'adolescent sursauta, comprenant brutalement ce que venait de dire le mercenaire. Il leva les mains en un geste paniqué.

- Non, attends, ne fais pas ça ! Canderous !

Mais Canderous avait déjà sorti sa vibro-lame, et balaya l'air à l'horizontale, le tranchant de son arme en direction du cou du droïd. Il fut brutalement arrêté dans son élan. Sa lame était coincée entre le pouce et l'index gauche de SE-2-4, qui avait repéré le danger et agi en conséquence en une fraction de seconde.

Le droïd ouvrit lentement les yeux, regarda une à une les quatre personnes, et demanda :

- Êtes-vous venus pour moi ?

Malgré sa taille et son visage enfantins, il avait une voix de jeune adulte. Ezra répondit avec le plus de respect possible :

- Oui, SE-2-4. Nous sommes venus vous chercher.

- Me chercher… et pour quoi faire ?

- Nous allons vous ramener à votre propriétaire.

- Propriétaire ? Je n'ai pas de propriétaire. En fait, quand je cherche dans mes souvenirs, je ne vois rien. Rien d'autre qu'un grand mur blanc. Il n'y a rien d'autre que la perspective d'être le trophée d'un concours.

- Est-ce que… c'est une perspective qui vous déplaît ?

- Non, car je suis incapable d'éprouver du mécontentement. Et puis, rien ne pourrait m'arriver de plus perturbant que de rester davantage de temps dans ce coffre.

- Bon, allez, ce n'est pas le moment de papoter, on y va !

- Je doute que les gardes nous laissent partir.

- Il n'y a plus de gardes dehors. Mettez ceci, vous passerez inaperçu.

Le droïd passa l'anorak de Chi'ta, et continuait de parler :

- Il y a seulement une chose que je ne comprends pas… de temps en temps, quand je suis en repos, j'ai d'étranges visions… Comme ces représentations virtuelles que les êtres vivants appellent « rêves ». Je vois une silhouette floue parler devant un moniteur. J'entends des voix parler de conspirations, de ruses… je ne comprends pas, et je le regrette. Et j'avoue que cela me fait éprouver quelque chose qui doit se rapprocher du concept de « peur ». Je ne comprends toujours pas.

- Nous, nous comprenons, SE-2-4, et nous sommes là pour vous délivrer de ces visions, répondit Grennan.

- Sont-ce des événements qui me seraient arrivés avant ma remise à zéro mémorielle ? Si tel est le cas, je me demande bien comment j'ai pu conserver ces souvenirs. Auraient-ils mal exécuté la procédure de nettoyage de cerveau ?

- Le moment venu, on vous expliquera tout. Tout ce qu'on vous demande, pour le moment, c'est de nous faire confiance, répondit Liam.

- Je ne devrais pas vous suivre ainsi, normalement. Je suis la propriété d'Industrial Automaton, à ce que je sache. Mais quelque chose me dit qu'ils ne me diront rien concernant ces « rêves », et que vous, vous avez l'air de savoir quelque chose. Soit, je vous suis.

Ils laissèrent dans le coffre les deux gardes toujours inconscients et le directeur qui affichait un sourire béat, puis refermèrent la porte. Docilement, SE-2-4 suivit les quatre camarades. Ils passèrent à travers les couloirs, sans être inquiétés. Liam fut soulagé lorsqu'ils furent à nouveau à l'air libre. Il dit à l'adresse d'Ezra :

- Ce plan était parfait !

- Je veux oui ! C'est toi qui as eu l'idée, d'accord, mais c'est moi qui l'ai élaboré !

Déjà l'adolescent voyait Chi'ta, Morgreed et Dankin se diriger vers eux. Il allait rejoindre la jeune Drall, quand soudain, par-dessus le brouhaha de la foule, une grosse voix cria :

- Le voilà ! On se le choppe !

Et ce fut le signal d'une effroyable confusion. Un troupeau de non-Humains particulièrement agressifs renversa la foule, bousculant tout sur son passage. Le sang de Grennan ne fit qu'un tour quand il vit qu'il s'agissait d'une bande de Gamorréens, ces humanoïdes violents à tête de cochon. Il ne parvenait pas à voir combien d'entre eux se dirigeaient maintenant vers eux, mais il penchait pour une bonne quinzaine, sinon davantage. Trois des Gamorréens se dirigeaient vers SE-2-4, bras tendus en avant. Les sept camarades réagirent vite… mais pas forcément bien. Liam sortit son blaster, mais appuya nerveusement sur la gâchette alors qu'il s'apprêtait à viser l'un de leurs agresseurs. Il encaissa une décharge paralysante en pleine tête, et s'évanouit aussitôt.

- Bon sang, petit !

Ezra se précipita vers l'adolescent. Canderous et Morgreed avaient sorti leurs vibro-armes, et tailladaient déjà les Gamorréens les plus proches. Dankin bondit, crocs et griffes en avant, sur l'un des attaquants. Il tenta de mordre la brute, mais celle-ci coinça son avant-bras protégé par un énorme bracelet entre les dents du Togorien, et répliqua aussitôt d'un coup de poing dans l'estomac. Le Togorien encaissa, mais relâcha sa prise. Grennan essaya de trouer l'un des Gamorréens, malheureusement dans la confusion, il fut bousculé alors qu'il allait tirer… et le trait de feu du disrupteur frappa la jeune Ezra dans le dos. Canderous comprit qu'ils n'allaient pas être sortis de l'auberge quand il vit qu'un deuxième groupe de Gamorréens déboulait sur la piste. Chi'ta, en dernier recours, essaya de barrer la route à l'un des Gamorréens en se dressant de toute sa hauteur, bras écartés. Celui-ci la saisit par le poignet et la balança au-dessus de la foule, et elle s'écrasa avec un petit sifflement effrayé sur la tente de l'un des marchands ambulants.

Une sirène hurla au-dessus de toutes les têtes. Canderous écarquilla les yeux en voyant deux énormes drones flottant à quelques mètres du sol. Il reconnut avec panique des drones anti-émeutes. Des trappes s'ouvrirent sur leurs parois latérales, et des sphères d'énergie bleues tombèrent en cascade sur la foule. Morgreed eut juste le temps de voir les premières explosions colorées, et ce fut le trou noir.

Quand Morgreed reprit connaissance, il avait un sacré mal de crâne. Il essaya bien de se relever, mais eut une sensation désagréable au niveau des poignets. Il constata rapidement qu'il était solidement enchaîné à un mur, attaché par de lourdes menottes. Avant même d'ouvrir les yeux et de voir où il se trouvait, il éructa :

- Hé, je suis innocent, je les connais pas, et je n'y suis pour rien !

- Merci pour cet émouvant témoignage de solidarité ! pesta la voix d'Ezra.

Le Barabel ouvrit les yeux, et eut droit à un triste spectacle. Ils étaient tous enchaînés aux murs. Lui, Canderous, Dankin, Liam, Grennan, Ezra... mais il s'inquiéta quand il vit que Chi'ta manquait à l'appel.

- Hé ! Où est la petite ?

- À l'infirmerie, elle a été pas mal secouée.

- Quelle infirmerie ? Bon sang, mais où sommes-nous, ici ?

- Vous êtes dans les locaux d'Industrial Automaton ! répondit une voix autoritaire, émise par un haut-parleur dissimulé.

- D'accord… Et qu'est-ce qu'on fait là ? De quel droit vous nous enfermez ?

- Du droit que nous avons d'enfermer les voleurs. Car c'est ce que vous êtes, monsieur Morgreed. Un sale voleur !

- Moi ? Hé, vous vous foutez de moi ? D'accord, ça m'est arrivé de trouver un portefeuille sur un gars qui l'avait pas perdu, mais qui avait voulu me prendre le mien, mais c'est tout ! Et ici, j'ai rien fait !

- C'est ce que vous dites ! Mais pour nous, vous êtes complice de vol caractérisé !

- J'ai rien volé !

- Et le droïd SE-2-4 qui était dans le coffre de notre société ?

Il y eut un petit silence. Canderous décida d'y aller au culot.

- On n'a rien volé.

- Allons donc ! Votre vaisseau est enregistré sur Amphor IV, et moins d'une heure plus tard, il s'envole avec vos complices Gamorréens et notre propriété !

- Attendez, j'ai mal entendu. Qui a fait quoi ?

- Les Gamorréens qui se sont jetés sur vous à l'astroport, et qu'on peut voir sur les vidéos. Ils ont récupéré SE-2-4, le droïd que vous avez volé, puis ils se sont enfuis à bord d'un vaisseau de transport YT- 17 60 qui a été enregistré à votre nom ! Alors, vous ne voyez toujours pas de qui je parle ?

Canderous se leva d'un bond.

- Mais c'est pas vrai ! Alors ils vous volent votre droïd, puis ils nous piquent notre appareil, et c'est nous quoi sommes suspects ? Mais vous vous foutez de nous ? Et qu'est-ce qu'elle faisait, votre sécurité ?

- Tout était en panne, au moment des faits. Quelqu'un a trafiqué les systèmes de défense et de surveillance, comme par hasard juste avant que le coffre n'ait été ouvert, et qu'on y ait retrouvé le directeur.

- Et vous n'avez pas pu arrêter notre vaisseau avant qu'ils ne se barrent avec ?

- Notre système de surveillance ayant été neutralisé, nous n'avons pas pu prévenir les appareils de défense à temps.

- Pourquoi vous nous retenez ? protesta Liam. On vous dit qu'on n'a rien fait !

- Nos caméras extérieures étaient opérationnelles, et nous avons vu les Gamorréens prendre SE-2-4 alors que celui-ci sortait avec vous !

- Si les caméras fonctionnaient, vous avez pu vous rendre compte que non seulement ces Gamorréens nous ont attaqué, mais que nous n'étions pas avec ce SE-2-4.

- Vous étiez dehors avec lui, pourtant !

- Ca ne prouve rien ! gronda Morgreed. Moi, j'étais en train de boire un petit coup, avec le Togorien et la Drall. Et d'ailleurs, vous avez intérêt à bien la traiter, sinon vous aurez de bonnes raisons de m'enfermer !

- Ne nous tentez pas, monsieur Morgreed.

- Vous n'avez aucune preuve contre nous ! s'écria Ezra. Même si ce que vous dites est vrai, il n'y a aucun enregistrement qui pourra le certifier !

- Il y a le témoignage de monsieur Gip-Cee, le directeur.

- Et alors ? Tout directeur qu'il est, il peut se tromper ! S'il est assez crétin pour s'enfermer tout seul dans votre coffre-fort, je ne fais pas confiance à son témoignage ! Maintenant, dites-moi, vous vous êtes renseignés sur nous, j'imagine, puisque vous avez réussi à nous rassembler d'après la fiche que nous avons remplie à l'astroport.

- Tout à fait, mademoiselle Lohrn. Nous savons tout de vous.

- Donc, vous savez que je suis affiliée à la Maison Calipsa du Secteur Tapani, que la jeune Drall et ce petit jeune homme sont rattachés à la Maison Pelagia, et que ces autres messieurs travaillent pour les Cadriaan. Ce sont trois Maisons avec des objectifs communs, pour qui nous travaillions avant que vous ne nous mettiez en prison de manière abusive ! Je peux vous promettre que si vous ne nous relâchez pas dans les cinq minutes qui suivent, ce sont les avocats de trois Maisons que vous allez recevoir en même temps !

Il y eut un long silence. Enfin, la voix reprit :

- Vous avez de la chance… quelqu'un vient de payer votre caution. On va vous laisser partir. Une fois dehors, vous aurez une demi-heure pour prendre le premier vaisseau et aller vous faire pendre ailleurs, et je vous conseille de ne pas revenir.

- Oh, ça, soyez tranquille, monsieur « Je-me-planque-derrière-mon-micro » ! Même pour un million de crédits, je ne remettrai jamais les pieds dans cette décharge ! aboya Canderous.

Les bracelets qui retenaient les prisonniers s'ouvrirent tous en même temps. La porte coulissa, et trois agents de sécurité armés jusqu'aux dents firent signe de sortir. L'un des gardes toisa Canderous du regard, sous son casque.

- On vous rendra votre équipement à la consigne. On sait que vous êtes dans le coup, vous et le Chiss portiez du matériel appartenant à Industrial Automaton avant que les drones ne vous neutralisent.

- Prouve-le.

- On vous a retrouvé, c'est suffisant, normalement.

- C'est ta parole contre celle des ambassadeurs de trois Maisons, minable !

Le garde ne répondit rien, mais indiqua d'un doigt énergique la sortie du bloc de sécurité. Quand ils sortirent, à nouveau sur la grande place, ils virent trottiner vers eux la jeune Chi'ta. Elle portait une attelle autour du bras, mais ne semblait pas trop secouée. Morgreed se précipita vers elle.

- Enfin, vous voilà, les amis !

- Petit chou ! Ca va ?

- Oui, oui, maître Morgreed. Je vais bien. Et vous ?

- J'ai connu pire.

- Chi'ta ! Tu es blessée !

- Ne vous ne faites pas, docteur Lohrn, dans deux jours, il n'y paraîtra plus.

- Deux jours ? Un bras cassé ?

- Juste un vilain coup, il n'y a pas de fracture.

- Ne restons pas là, intima Grennan d'une voix forte, en regardant les gardes de la porte d'entrée, d'un regard mauvais.

Ils s'éloignèrent. Ezra se racla la gorge :

- Très bien, résumons-nous. Nous sommes venus récupérer un droïd ultra performant, notre plan marchait comme sur des roulettes, mais au moment où nous allions nous en aller, une tripotée de Gamorréens est arrivée, ils nous l'ont piqué, se sont enfuis avec notre appareil, et en plus on a été retenus.

- Au fait, petite, t'ont-ils interrogée ? demanda Grennan.

- Non, heureusement, je n'aurais pas trop su quoi leur répondre. Je suppose qu'ils m'ont jugée moins suspecte que vous autres, étant moi-même d'une race réputée inoffensive, pas spécialement costaude, déjà bousculée… Une fois l'attelle mise, ils m'ont prié de m'en aller. Je ne me sens quand même pas très à l'aise. Maintenant, je vais être fichée !

- Ne t'en fais pas, ce sera notre lot à tous, répondit le Chiss. Et puis, pour un délit comme le nôtre, on risque au plus d'être fichés sur Amphor IV, un endroit où ça ne vaudra pas le coup de revenir.

- Sans compter que nous pouvons faire jouer la carte de l'immunité diplomatique en cas de problème… enfin, le tout est de ne pas en abuser, ajouta Ezra.

- Pauvre SE-2-4, embarqué par ces pirates ! Il doit être dans tous ses états !

- Relax, Chi'ta, tu oublies que c'est un droïd, il ne peut pas avoir de sentiments.

- Étrange quand même que ces balourds aient pu l'embarquer. Il semble pourtant suffisamment balaise pour se défendre ! s'étonna Liam.

- Tu oublies qu'on lui a dernièrement effacé la mémoire vive. Sa programmation est intacte, il peut toujours parler et marcher, mais ses circuits de données sont complètement vierges. Il n'a sans doute même pas eu conscience de ce qui lui arrivait. Peut-être qu'il a pensé que ces Gamorréens étaient avec nous !

- Bon, et à votre avis, comment on peut le retrouver, maintenant ?

Un petit silence de réflexion. Ezra suggéra :

- Il faudrait peut-être voir s'il n'y a pas des Gamorréens installés ici, qui pourraient nous dire exactement pourquoi ils ont embarqué SE-2-4. Il y a forcément une raison, ils n'ont pas pu venir ici et prendre le premier droïd venu au hasard.

- Excellente idée ! Allons voir dans le quartier commerçant, décida Canderous.

Pendant trois quarts d'heure, ils cherchèrent dans le quartier commerçant, à la recherche d'un éventuel non-Humain de Gamorr qu'on aurait laissé s'installer sur Amphor IV. Ils se rendirent compte assez rapidement que c'était le quartier le moins loti du secteur, un vrai bouge. Chi'ta était de plus en plus inquiète, s'attendant à voir une légion d'agents de sécurité d'Industrial Automaton les faire enfermer, et restait entre Liam et Morgreed. L'adolescent, de son côté, craignait davantage une mauvaise plaisanterie des habitants qui traînaient au pas des portes des maisons sales. Ils progressaient le long de ruelles de plus en plus sordides. Autant la civilisation semblait à un niveau technologique très développé autour de l'astroport et des locaux des différentes sociétés de robotique, autant la fange prenait de plus en plus le dessus au fur et à mesure qu'on s'en éloignait.

Ezra évitait les regards lubriques qui la scrutaient sous tous les angles, au point qu'elle se sentait presque palpée par les mains crasseuses des jeunes gens qui la sifflaient… et qui faisaient aussitôt mine de s'intéresser à autre chose quand Dankin ou Morgreed regardaient alors dans leur direction.

Chi'ta prit l'initiative de s'adresser à une femme entre deux âges, vêtue d'habits crasseux, qui poussait un petit chariot antigrav sur lequel étaient entassées ses maigres possessions. Elle lui demanda si elle connaissait un Gamorréen. Coup de chance, la femme allait souvent acheter des packs de sa bière corellienne préférée chez Fangor M'Kuma, le propriétaire du Mille-pattes agile, le bar qui accueillait les techniciens les plus indisciplinés de la ville. Quand elle eut indiqué la direction à prendre, la jeune fille remercia la clocharde et lui donna une poignée de pièces. Canderous se moqua de ce geste quand ils se furent un peu éloignés, reprochant à la petite Drall d'être trop naïve, mais celle-ci n'écouta pas, heureuse d'avoir vu apparaître sur le visage rougeaud et crasseux un sourire.

Enfin, l'enseigne lumineuse partiellement cassée du Mille-pattes agile émergea d'entre deux immeubles noirs. Quand les compères entrèrent dans l'établissement, une puanteur caractéristique donna à Chi'ta la nausée. Le barman était un vieux Gamorréen, avec de longues tresses blanches. Il salua poliment les nouveaux arrivants.

- Salut les gars ! Qu'est-ce que je vous sers ?

- Envoyez quatre lums, un thé et deux jus d'orange ! répondit Ezra.

- C'est parti.

Les sept boissons furent rapidement sur le comptoir. Liam grimaça en reniflant d'un air soupçonneux son verre, mais dut se rendre à l'évidence : le jus de fruit était sain. Canderous se jeta à l'eau.

- Dites voir, Fangor… c'est bien Fangor, votre prénom ?

- Ouais, et alors ?

- Vous avez dû recevoir la visite de pas mal de vos compatriotes, dernièrement ?

- Ouais, en effet. Y a eu des Gamorréens qui sont venus hier. Comme chaque fois.

- « Chaque fois » ? Ils viennent régulièrement à cette époque ?

- Faut s'y attendre. Chaque fois qu'il y a un de ces foutus concours de robots, ils arrivent, et prennent tous les robots qu'ils peuvent, puis ils se cassent, en me laissant quand même un joli chiffre d'affaires. Ca arrive une fois tous les cinq ans.

Ezra se pencha vers le propriétaire.

- Et vous savez qui étaient les Gamorréens qui sont venus, cette fois ?

- Ouais, c'était les hommes de Mantlac. Mantlac, le fils de Grui.

- Qui c'est, Grui ? demanda Canderous.

- L'un des grands chefs de Mombadir, la capitale septentrionale de Gamorr. L'un des meilleurs. D'abord, c'est le plus vieux, actuellement, et malgré ça, il a encore toute sa tête, et garde la forme. Et cette année, c'est ses quatre-vingt ans.

- Un Gamorréen qui vit plus de quatre-vingt ans ?

- Hé ouais, ma petite dame, y a pas que les tarlouzes en robe d'érudits qui vivent vieux. Et cette année, pour cet anniversaire exceptionnel, il va y avoir de grandes réjouissances, et un Rituel spécial.

- Un rituel ?

- Ouais, mon gars. Pour ce Rituel, je parierais que les gars de Mantlac ont voulu ramasser le meilleur droïd qu'ils ont pu trouver. D'ailleurs, j'ai entendu qu'ils avaient réussi à mettre la main sur un droïd particulièrement réussi – celui qui aurait dû gagner le concours de robotique cette année.

- Et donc… ?

- Ben, faut penser que ce robot va être utilisé pour le Rituel de la Main du Grand Ferrailleur, répondit Fangor en haussant des épaules.

Chi'ta agrippa soudain le bras de Liam. Affolée, elle demanda précipitamment :

- Ce Rituel, en quoi ça consiste ?

- À réduire en miettes le robot, bien sûr, répondit le Gamorréen, très fier d'en connaître plus sur le sujet que les touristes ordinaires.

- Pas trente-six solutions, on doit empêcher ça. Il faut qu'on y aille !

- Où ça ? Sur Gamorr ?

- C'est la seule chance que nous ayons de récupérer SE-2-4. On doit partir, et fissa !

- Pourquoi s'affoler, Grennan ? T'as vu comme moi que ce petit droïd sait se défendre, et en plus il peut se régénérer, alors…

- Il ne peut pas se régénérer indéfiniment, précisa Ezra. Il « cicatrise », un peu comme les êtres vivants, mais si on le pulvérise en mille morceaux, il sera cassé, et bien cassé. Les Gamorréens ont de quoi le démolir à l'usure. Ca ne me plaît pas non plus, mais nous devons y aller, et vite.

- Et comment on va faire, maintenant qu'on n'a plus de vaisseau ?

- On fait comme tout le monde. On prend un charter, et quand nous serons arrivés, on en profitera pour récupérer notre appareil au passage.

- Espérons que nous arriverons à temps pour le sortir de ce pétrin !

Deux jours angoissants plus tard, ils étaient arrivés sur Gamorr. En descendant du charter, Chi'ta eut un très mauvais pressentiment. Pressentiment qui se confirma quand ils étaient sortis de l'astroport.

Beaucoup d'histoires circulaient à travers la galaxie sur Gamorr, planète-mère des tristement célèbres Gamorréens, ces non-Humains réputés pour leur brutalité et leur épouvantable caractère. L'atmosphère de l'astroport de Mombadir était presque irrespirable, tant il planait un parfum d'agressivité. Quelques Gamorréens avachis sur la piste au milieu de bouteilles d'alcool ricanèrent et sifflèrent en voyant descendre Ezra, et se turent quand le Togorien et le Barabel mirent pied à terre.

- J'avais oublié ! Avec cette fête, ils ont déjà commencé à se biturer à titre préventif, chuchota Ezra à l'oreille de Chi'ta.

- Je vous avoue que je ne me sens pas très à l'aise, docteur Lohrn…

Canderous grogna de satisfaction. Il montra du doigt un coin de la piste d'atterrissage.

- Hé, regardez !

Les autres purent voir la carcasse de la Comète. Ils s'empressèrent de la gagner. La rampe d'accès était baissée. Ezra devint très pessimiste quant à l'état de son droïd médical resté à l'intérieur, et son pessimisme se vérifia rapidement quand elle vit traîner dans le sas l'un de ses bras dans un coin. Nulle trace du reste à bord du vaisseau qui, heureusement, semblait relativement intact. Morgreed ronchonna quand il vit que le canon B.L.A.F. saisi sur Kal'Shebbol avait disparu, et de nombreuses canettes et des tonneaux traînaient partout. Ils verrouillèrent le vaisseau, puis se dirigèrent vers le guichet d'enregistrement. Pendant qu'Ezra remplissait les formulaires, les autres élaborèrent une stratégie.

- Alors, quelle est la meilleure chose à faire, à votre avis ?

- J'ai déjà passé quelque temps sur Gamorr, il y a quelques années – l'envie de découvrir un monde où je m'adapterais facilement aux moeurs des indigènes – et j'ai pu donc apprendre deux ou trois trucs sur leurs lois.

- T'es déjà venu ici, Morgreed ? rit Canderous. Remarque, ça ne m'étonne pas !

- Que pouvons-nous faire, alors ?

- Ici, tu t'en doutes, petit chou, la loi qui prime est celle du muscle. Mais il y a un semblant de cohérence, histoire que ce ne soit pas non plus l'anarchie. Il y a plusieurs clans, chacun dirigé par un chef de guerre. Le plus fort est celui qui commande, et se fait suivre par ceux qui reconnaissent et approuvent sa force. Or, si quelqu'un a quelque chose à dire contre quelqu'un d'autre, il ne peut pas se contenter de le démolir comme ça… en tout cas, s'il se fait prendre, il risque la bastonnade ou la taule. Les duels réglementés sont la meilleure façon de régler les conflits. Ce sont des combats à mort, et le perdant est déclaré fautif, ce qui donne raison au gagnant.

Enfin, ils étaient sortis de l'astroport. Chi'ta espérait avoir un meilleur panorama, mais fut rapidement déçue. Crom, le soleil vert de Gamorr, écrasait sous une étouffante chaleur l'artère principale. La ville entière semblait hostile à l'égard des étrangers. Il n'y avait pratiquement que des Gamorréens. Beaucoup étaient assis contre les cloisons en torchis des maisons brunes, d'autres étaient allongés dans leurs propres vomissures. Deux Gamorréens étaient en train de se battre, et personne n'en avait l'air spécialement indisposé. Des guirlandes délavées étaient accrochées entre les lampadaires, et des écriteaux annonçaient la « Grande Réjouissance », qui allait avoir lieu le lendemain soir. Plusieurs haut-parleurs mal accrochés sur les toits diffusaient de la musique festive. Et Chi'ta constata que ces « réjouissances » avaient commencé quand elle se prit les pieds dans les câbles d'alimentation d'un vieux droïd de protocole disloqué.

- Je n'aimerais pas vivre sur ce monde !

- Sûr qu'ils te feraient cuire à la broche en moins de deux ! ricana Canderous.

- Je vous en prie, maître Tal, ce n'est pas drôle !

- Bah, si on ne peut même plus rigoler…

- Canderous ! s'écria Liam.

- Relax, fiston, on a mieux à faire que de s'empoigner. Donc, pour organiser un duel réglementé, il faut aller voir les gars de l'autorité locale, et leur exposer les raisons du litige. S'ils jugent que les motifs sont recevables, le duel est organisé dans les formes. Contrairement à ce que vous pourriez croire, une insulte ou une provocation ne suffisent pas à justifier un tel duel, ça, c'est vite réglé après une bonne bagarre avec les poings, comme ces deux poivrots, là-bas. On peut donc aller les voir, et leur dire que ce Mantlac a triché. Et pour leur prouver, il suffira de demander à SE-2-4 de nous diffuser ce qu'il a vu quand nous l'avons perdu.

- Du coup, les gardiens des lois de Gamorr verront que Mantlac n'est pas aussi courageux qu'il le prétend. De grand guerrier, il deviendra aussitôt simple voleur malhonnête, et je suppose que ces procédés ne sont pas bien considérés sur une planète où prime la loi du plus fort et du plus direct.

- Tu as tout compris, Chi'ta.

Tout en marchant, ils étaient arrivés devant une cantina où l'on entendait les fortes voix de Gamorréens en plein bavardage. Cela donna à la jeune doctoresse une idée.

- Le mieux serait de provoquer Mantlac, pour qu'il défie l'un d'entre nous en duel !

- Ca, c'est un boulot pour moi ! répondit Canderous en se craquant les doigts. Le premier imbécile venu à l'intérieur de ce bouge, je le secoue assez pour qu'il fasse venir Mantlac, et je le défie.

- Ce ne serait pas plutôt à Morgreed de le faire ? hasarda Liam. Il est quand même plus grand et plus fort que toi, non ?

- Et alors ? Tu crois que je ne suis pas capable de me faire un Gamorréen ? C'est mal me connaître, le môme !

- De mon côté, je vais aller me renseigner pour savoir où est le Conseil des Gardiens des Traditions, ajouta Morgreed. On acceptera bien de me répondre, à moi, j'ai la carrure pour qu'on ne me catégorise pas tout de suite chez les larves anémiques. Une fois que je le saurai, nous pourrons régler la… la « question administrative ». Je vous retrouve dans quelques minutes ici. D'accord ?

Les autres approuvèrent, et Morgreed se dirigea vers le palais d'un bon pas.

- À nous de jouer ! Attention, on ferait mieux de ne pas rester groupés.

Canderous entra en tête dans l'établissement, en faisant claquer les portes battantes, suivi par les autres qui entrèrent séparément.

- Holà, barman ! Sers-moi un Gosier de Fer de Renan !

Sans dire un mot, le barman servit Canderous, avec un regard soupçonneux. Dankin s'assit sur l'un des tabourets du comptoir, Liam se plaça derrière une petite table, Grennan et Ezra prirent place dans une alcôve, et Chi'ta s'installa non loin du mur du fond, près d'une porte qui donnait sur un couloir sombre, probablement les toilettes. Canderous analysa un peu la situation. Deux Gamorréens étaient assis à une table, et discutaient bruyamment.

- Et tu crois que ça va lui plaire ?

- Attends un peu de voir ce qu'on a rapporté ! Ils sont drôles, les Peaux-Glabres ! Ils font des concours où ils présentent leurs meilleures boîtes.

- Remarque, ce qui est rigolo avec les boîtes, c'est que plus elles sont modernes, plus elles font de bruit quand on les casse.

- On sera les meilleurs, et Mantlac va être accepté comme nouveau chef.

- Mantlac n'est qu'un tas de chair à bantha !

Un silence de mort s'abattit sur la cantina. On n'entendait que les mouches voler dans l'établissement, et un poste de radio cracher une vieille chanson enjouée dans une maison voisine. Le premier Gamorréen se leva, lentement, et s'approcha de Canderous.

- Qu'est-ce que t'as dit, toi, le vermisseau ?

- T'as pas entendu ? Tu veux que je répète ? Mantlac n'est rien de plus qu'un tas de chair à bantha digérée et rejetée en bouse.

Le Gamorréen se pencha vers Canderous, l'air féroce.

- Mantlac est mon copain, et je ne vais pas laisser un petit morpion lui parler mal !

- Ca veut dire quoi, ça ? Il est pas foutu de se défendre tout seul ? C'est bien ce que je pensais, c'est vraiment qu'un minable. Et un mauvais joueur, par-dessus le marché. Son droïd, il ne l'a pas trouvé tout seul, mais l'a volé à quelqu'un d'autre.

Le Gamorréen frappa du poing sur le comptoir.

- Toi, t'as besoin qu'on t'apprenne les bonnes manières.

- D'accord. Dehors et maintenant.

Canderous se leva, et se dirigea vers la sortie. Chi'ta allait dire quelque chose, mais Liam lui fit un signe de la main pour la retenir. Une fois les deux gros bras sortis, Liam dit : « Il est dans son élément, ne t'en fais pas pour lui ».

Les deux lutteurs étaient maintenant dehors. Le Gamorréen demanda au mercenaire :

- Alors, enfoiré, t'as dit quoi sur mon pote ?

- Que c'est un dégonflé !

Le Gamorréen balança son poing en avant, mais il n'avait pas réalisé qu'il avait affaire à un professionnel. Sans la moindre difficulté, le mercenaire esquiva le coup, et envoya son pied dans le nez de son adversaire, l'envoyant s'écraser sur le mur de torchis de la cantina. Il lui coinça le bras sur la trachée, et rapprocha son visage du faciès porcin de l'autre.

- Écoute-moi bien, espèce de renifleur de truffes, Mantlac est la plus grosse tapette craintive de Mombadir doublé d'un crevard de tricheur, et je vais le prouver. Dans quelques minutes, j'en aurai la preuve. S'il a quelque chose dans le string, qu'il vienne donc me le dire en face, que je puisse le défier et le changer en rillettes devant tous ses copains. Allez !

Il lâcha le Gamorréen qui courut vers la forteresse. Satisfait, le mercenaire retourna dans la cantina.

Après ce court échange un peu viril, Ezra décida de passer sa commande. Alors qu'elle passait près de la porte qui menait aux toilettes, la jeune femme entendit un râle. C'était le râle caractéristique de quelqu'un de très gravement blessé. Mue par un réflexe professionnel, elle franchit le seuil, et entra dans le couloir sombre et étroit, au bout duquel il y avait les portes des cabinets. L'odeur cuivrée du sang fouetta les narines de la jeune femme. Une traînée rouge et poisseuse maculait le carrelage, et un Sullustain agonisait par terre. Ezra s'avança vers le malheureux, se pencha vers lui… quand un inquiétant cliquetis au-dessus d'elle lui fit relever la tête. Elle réprima un cri d'horreur.

Devant elle, sortant de l'ombre, se dressait une effrayante créature. Haute de près de deux mètres, c'était une sorte de cafard vaguement humanoïde, à la carapace noirâtre lustrée, et brandissant trois paires de pinces sans doute tranchantes. Une grappe d'yeux jaunâtres était posée sur sa tête cylindrique, et de la bave mousseuse dégoulinait d'entre ses redoutables mandibules. Sans attendre plus longtemps, la monstruosité se jeta pinces en avant sur la jeune femme. Ezra n'eut que le temps de sortir son blaster et d'ouvrir le feu sur l'être, mais le tir ricocha sur la chitine sans même l'abîmer. La créature fit virevolter ses pinces vers Ezra, lacérant son gilet protecteur. Elle tenta de se défendre, en agrippant deux des pinces. Comme elle reculait, elle apparut dans l'encadrement de la porte. Les clients, déjà énervés par le coup de feu, virent la jeune femme se débattre contre quelque chose qu'ils ne pouvaient pas distinguer.

Liam ne réfléchit pas, et se précipita vers Ezra. Il entra à son tour dans le couloir, se retrouvant derrière elle, et fut brutalement cloué sur place. Il reconnut l'insecte géant qui avait attaqué Ari Quayle dès son arrivée sur Procopia, ce que le docteur Akanseh avait appelé « Krakraï ». Comme la première fois, il sentit une très mauvaise vibration dans la Force, sa vue se brouilla, de très désagréables grésillements résonnèrent dans ses tympans, il ne pouvait plus bouger. Canderous empoigna son fusil blaster, et tira au jugé dans la direction du mur, près de la porte, espérant toucher l'adversaire de la jeune femme. Il parvint seulement à faire un trou dans la cloison.

La jeune Drall avait remarqué l'état de stupéfaction de Liam, et distingua à travers le trou la couleur sombre de la carapace du Krakraï, et la mauvaise vibration qu'il semblait émettre. Comprenant contre quoi se débattait Ezra, elle décida d'agir, et sortit son sabre-laser en courant vers l'ouverture. Pauvre Chi'ta ! Encore peu habituée au combat au sabre-laser, elle n'avait pas fait attention à la façon dont elle avait tenu son sabre. Pensant que la lame passerait à travers le trou, elle appuya sur le bouton d'ignition, et eut la frayeur de sa vie quand elle vit qu'elle s'était trompée de côté, et que la lame verdoyante n'avait pas jailli en direction de la cloison, mais bien vers elle, et était passée à quelques centimètres de ses côtes. Elle lâcha son arme en toute hâte, laissant l'extinction de sécurité agir.

Pendant ce temps, le Krakraï avait cessé de s'intéresser à Ezra quand Liam était entré dans son champ de vision. Il bourdonna frénétiquement, agrippa la femme, la souleva par-dessus ses antennes et la jeta en arrière, avant de s'avancer vers l'adolescent. Liam recula en tremblant. Canderous avait bougé, et pouvait voir le Krakraï. Sans se demander comment cette créature était arrivée jusqu'ici, il mitrailla, et à son grand désarroi les tirs d'énergie rouges furent absorbés par l'épaisse carapace. Grennan, toujours assis à une table, sortit son disrupteur, et tira une salve nette et précise à travers le trou creusé tantôt par le mercenaire. Le tir traversa la carapace et brûla le flanc du Krakraï qui crissa de douleur. Du sang jaunâtre, épais, suintait déjà des pores qui n'avaient pas été carbonisés. De son côté, Ezra se mit sur le dos en agrippant son blaster, et se déchaîna sur le monstre. Les tirs ricochèrent, et déstabilisèrent le Krakraï qui n'eut pas le temps de souffrir davantage Dankin avait projeté deux carreaux laser de son arbalète Wookiee, et atteignit son adversaire en pleine tête. Des éclats de matière visqueuse et de carapace giclèrent dans tout le couloir, et la créature s'écroula. Des étincelles jaillirent de la cellule d'énergie de l'arbalète de Dankin. Le Togorien en eut le poil hérissé et les oreilles couchées sous le coup de l'irritation.

Ezra reprenait péniblement son souffle, et Liam l'aida à se remettre debout.

- Qu'est-ce que c'est que ce… machin ?

- Bienvenue à bord du Kathol Express ! répondit Canderous.

- C'est quoi, ce cinoche ? demanda Morgreed, qui venait de rentrer dans l'établissement.

- Ah, enfin te voilà ! Dommage, tu viens de rater une bonne petite éclate !

À part les sept camarades et le barman caché sous son comptoir, il n'y avait plus personne dans la cantina. Dehors, la musique continuait de résonner.

- Oh, le cochonnet derrière le comptoir ! Réveille-toi et balance un Cœur de Réacteur, et que ça saute ! ordonna le Barabel avec autorité.

Une main tremblante posa une grande chope pleine d'un liquide bleu vif sur le comptoir et disparut aussitôt.

- Alors, qu'est-ce que c'est que ça ?

- C'est encore l'un d'entre eux, Morgreed.

- Oh ben non alors ! Même sur Gamorr, on ne peut pas avoir la paix cinq minutes !

- Vous dites « encore », Morgreed, vous voulez dire que vous en avez déjà vu ? demanda le Chiss, yeux grands ouverts de surprise.

- Liam et moi en avons affronté un, maître Grennan. Liam ? Ca va ?

- Hein ? Ah ! Oh, je me sens mieux. Je ne m'habituerai jamais à ces sales machins !

- J'avoue, c'est pas joli à voir, encore moins quand c'est mort.

- Y a pas que ça, Ezra. Ils créent des parasites dans la Force, et ça brouille nos sens.

- Bon, pas grave, c'est fini, maintenant, répliqua Canderous en rangeant son arme.

Dankin secoua son arme, l'air mécontent. L'arbalète Wookiee avait bel et bien eu un court-circuit. Grennan leva la main.

- Attendez… Pouvez-vous me la montrer une minute ?

Sans dire un mot, le Togorien la plaça fermement dans la main du Chiss. Grennan examina l'arme, puis dit :

- Mouais… Rien de grave. Accordez-moi dix minutes, et je vous arrange ça. Je peux même faire ça tout de suite.

Ayant dit, le Chiss s'installa à nouveau à l'une des tables, et tira de l'une de ses sacoches quelques outils peu encombrants. Pendant qu'il s'affaira sur l'arbalète, Morgreed s'assit, but quelques gorgées de sa boisson, et reprit :

- Bon, je sais où trouver le Conseil des Gardiens des Traditions, maintenant. Il nous faudrait quelqu'un pour parler devant eux, et je ne sais pas si je pourrais le faire.

- Je crois que je pourrais les raisonner. S'il s'agit d'individus un peu plus civilisés que les guerriers purs et durs, je saurai trouver les bons mots, assura Chi'ta.

- D'accord, mais il n'est pas question que je te laisse y aller toute seule, grogna Morgreed. Je t'y accompagnerai.

- Ce serait adorable, merci.

- Je viens aussi, j'ai bien envie de savoir comment marche la loi, ici, ajouta Liam.

Les deux padawans et le Barabel quittèrent le débit de boissons, laissant les autres attendre. Grennan était toujours concentré sur l'arbalète, et avançait dans son travail. Ezra demanda à Canderous :

- C'est toujours comme ça, quand vous baroudez ?

- Pour tout te dire, poupée, ça n'arrête pas depuis que nous nous sommes croisés sur Procopia, à l'anniversaire de Dame Bathos.

- L'autorité suprême des Cadriaan ? Oui, je m'en souviens. Je n'y étais pas en personne, c'est mon patron, le Baron Turel, l'ambassadeur Calipsa sur Procopia, qui y avait été, il n'avait pas envoyé de représentant.

- Ouais… T'as pas raté grand-chose, à part une fusillade et une course-poursuite.

- Je me souviens qu'il y avait eu une tentative de meurtre, à ce moment-là. Qu'est-ce que tu y faisais ?

- J'étais à la sécurité. Et c'est moi qui ai réglé son compte à l'assassin.

- Ah oui ? Et alors, qui a fait le coup ?

- On ne l'a jamais vraiment su.

Une voix tonitruante éclata dehors.

- Hé, le peau-glabre ! Sors voir un peu que je puisse voir ta sale gueule !

- Ah… voilà le pigeon ! constata le mercenaire avec un sourire réjoui.

Sans se démonter, Canderous sortit lentement de l'établissement, l'air arrogant. Au milieu de la rue, il y avait un énorme Gamorréen, presque aussi grand que Morgreed. Il portait un plastron fabriqué avec des morceaux de carrosserie de droïds soudés ensemble, et son casque était le couvercle de la tête d'un droïd. Il tenait une énorme vibro-épée à deux mains appuyée sur son épaule. Le mercenaire fit un geste amical.

- Salut, espèce de dégénéré !

- Alors comme ça, je suis un tricheur et je n'ai rien entre les jambes, c'est ça ?

- Ben, y a encore une minute, j'étais pas sûr, mais maintenant que je te vois… impossible de se tromper.

Le Gamorréen s'approcha de Canderous à pas lourds. Déjà, plusieurs badauds avaient reconnu le célèbre Mantlac, fils de Grui, et tous attendaient le dénouement de cette rencontre, en haleine. Mantlac gronda, et Canderous ne se dégonfla pas.

- T'as même pas été foutu de récupérer SE-2-4 toi-même, je ne t'ai pas vu quand tes pourceaux me l'ont volé.

- C'est toi qui me l'as piqué, charogne ! J'ai fait le chemin pour ce tas de ferraille !

- J'ai trois amis qui sont en train de chercher et trouver la preuve que non.

- De quoi tu parles, sac à chair à bantha ?

- Un droïd peut restituer les sons et images de ce qu'il vit, patate ! Il suffira de visionner les enregistrements de son enlèvement, et tu ne couperas pas au duel !

Le Gamorréen fronça les sourcils, se gratta la tête sous son casque, les yeux hagards. Canderous pouvait presque l'entendre réfléchir.

- Si tu dis vrai, Humain, je répandrai ton sang sur le sable de l'arène. Mais si tu mens, je t'assure que je te ferai traverser la ville d'un bout à l'autre attaché par les mains à l'arrière de mon speeder !

- On se retrouvera sur l'arène, crotte de rancor !

Furieux, Mantlac fit demi-tour et remonta la ruelle. Au passage, pour raffermir son autorité de fils de chef, il assomma d'un coup de tête un passant au hasard. Dankin sortit, son arbalète réparée glissée dans son étui.

- Porcs… primitifs. Togoriens… jamais taper sans bonne raison.

- Tu l'as dit, mon pote. Je sens que je vais bien rigoler !

Pendant ce temps, une autre scène se déroulait dans le Temple du Conseil des Gardiens des Traditions. Chi'ta, Morgreed et Liam furent amenés dans une grande salle circulaire où quelques Gamorréens habillés avec des bures de moine travaillaient silencieusement au milieu d'armoires chargées de parchemins et de livres. L'un des érudits était en train d'écrire à la plume dans un énorme ouvrage enluminé posé sur un présentoir.

- Incroyable ! Y en a qui savent lire, sur ce rocher ?

- Morgreed !

Liam eut vivement peur que le Gamorréen, tout érudit en bure qu'il fût, prenne les paroles de Morgreed assez mal pour se montrer aussi primaire que ses congénères guerriers. Heureusement, le Gamorréen n'en fit rien. Il leva le groin vers les trois individus.

- Que la lumière éclaire votre route, mademoiselle, messieurs.

- Je vous salue, au nom de l'Ordre Jedi, mon seigneur. Je suis Chi'ta Koskaya, padawan au service du Praxeum de Yavin IV.

- Enchanté de faire votre connaissance, Dame Koskaya. Moi, je suis Chur-Fu, l'un des Gardiens des Traditions. Alors, comment le Conseil de Mombadir peut venir en aide à une jeune étudiante de la Force ?

- Nous sommes venus dans l'espoir de régler un litige opposant Mantlac, le fils du grand Grui, et monsieur Canderous Tal.

- Un litige ? demanda Chur-Fu en haussant les sourcils.

- Pour l'anniversaire du Seigneur Grui, son fils, Mantlac, a rapporté un droïd d'une qualité exceptionnelle qui sera sacrifié pendant un important rituel.

- Oui, c'est exact, il nous l'a confié, comme les autres participants, afin qu'il n'y ait nulle tromperie ou malhonnêteté avant le début du concours.

- Seigneur Chur-Fu, ce droïd a été volé alors que nous allions le porter à son propriétaire légitime.

- Vraiment ? Mais ma chère demoiselle, ça n'est pas un problème pour nous, je dirais même que ça fait partie des réjouissances. Il n'y a rien à faire. Selon nos lois, Mantlac est dans son bon droit puisqu'il a amené ce droïd sur cette planète.

- Mantlac ne l'a pas volé lui-même. Il a fait appel à des hommes de main.

Chur-Fu cessa d'écrire, et regarda la jeune fille, intrigué.

- Voilà une accusation grave. Avez-vous des preuves à nous montrer ?

- Je n'en ai pas, mais SE-2-4, le droïd concerné, a enregistré toute la scène de sa capture, il nous suffira de lui demander de la restituer.

- Oui, c'est une bonne idée. Nous allons examiner cela de suite. Mes frères ?

Deux autres érudits cessèrent leurs rangements, et rejoignirent Chur-Fu.

- Suivez-nous, nous allons écouter le témoignage de SE-2-4.

Tous se dirigèrent jusqu'à une sombre cave éclairée par des torches. Chur-Fu tira sur une petite ficelle, un gong sonna, et une lourde porte de bronze s'ouvrit dans un grand bruit. Ils entrèrent dans une immense salle basse, où l'on pouvait voir un très étrange conglomérat de silhouettes tordues. C'était la collection de droïds rapportés par les différents chasseurs Gamorréens. Les torches projetaient des ombres vacillantes dans le caveau, renforçant l'inquiétude de Liam qui, il n'osa l'avouer, craignait de les voir s'animer tous en même temps et l'étriper. Chi'ta appela timidement :

- Ohé ? SE-2-4 ?

- Je suis là, jeune fille de Drall, répondit la douce voix synthétique du droïd.

Immédiatement, la lumière bleutée du cœur de cristal de SE-2-4 illumina un coin de la pièce. Chur-Fu dit d'une voix traînante :

- Pouvez-vous nous rejoindre, boîte ? On a besoin de vous entendre.

- J'arrive.

SE-2-4 se faufila gracieusement entre ses congénères droïds. Il paraissait résigné.

- Je vous reconnais, vous vous êtes interposée entre moi et le Gamorréen, sur Amphor IV. Le geste était très cavalier, même s'il n'aura pas été d'une grande utilité. Je suis cependant soulagé de voir que vous vous êtes remise des dégâts corporels que ce traitement aurait pu vous infliger.

- Je vais bien, merci. C'est de vous qu'il s'agit, maintenant.

- Est-ce que vous allez m'emmener ? Les autres m'ont dit que je serais l'invité d'honneur à leur fête. C'est dommage, j'aimerais participer à cette fête.

- Ils ne t'ont pas dit ce qu'ils fêteront ? Désolé, fer-blanc, mais ils vont te concasser tellement que tu tiendras dans une boîte d'allumettes ! ironisa Morgreed.

- Je me doutais bien que leur invitation était ironique… mais je saurai bien leur montrer que je suis capable de me défendre, si besoin.

Chur-Fu jeta un coup d'œil aux trois amis.

- Oui, c'est étonnant, jusqu'à présent, il n'a absolument rien fait. J'ai l'impression que son système de défense est inactif.

- Ou bien il attend le bon moment pour vous plier en quatre et vous ranger dans sa poche, ricana Liam. Vous n'avez peut-être pas vu de quoi il est capable.

- Écoutez, nous sommes ici pour vous sortir de là et vous rendre à votre propriétaire légitime. Nous pouvons vous aider, mais nous aurons besoin de votre témoignage.

- À quel sujet, jeune fille ?

- Les circonstances de votre départ d'Amphor IV, vous pourrez nous les raconter ?

- Une fois que nous serons sortis de cette cave, vous pourrez copier l'enregistrement de ma mémoire à la date et l'heure précise que vous m'indiquerez.

- Parfait ! Pendant que vous vous occupez de ça, je vais contacter Grui pour que vous vous présentiez à lui.

Si Morgreed était indisposé par le spectacle qui se présentait devant lui, il ne fit rien pour le montrer, pas plus que Dankin ou Grennan. Liam, cependant, était très mal à l'aise. Les gardes avaient refusé l'accès à la Salle du Trône à Ezra et Chi'ta, le majordome leur avait dit que les femmes affranchies n'étaient pas autorisées à y entrer. Cela ne gêna pas Chi'ta qui ne quitta pas la jeune doctoresse. La salle du trône était une pièce basse de plafond, située au premier étage. Il y avait un vieux tapis élimé mangé aux mites sur le sol, deux amphores renversées et des gobelets en terre cuite sur une petite table basse. Les murs étaient recouverts de graffitis traitant certains peuples non-Gamorréens de tous les noms. Près d'une fenêtre donnant sur le jardin du palais, un tronc de droïd était planté sur une pique, à côté du trône. Et sur le trône se trouvait Grui « le Boucher ».

Grui était un énorme Gamorréen à la peau sombre. Il portait un vêtement ample qui dissimulait mal son imposante bedaine. Ses bras étaient gros comme des cuisses, mais après toutes ces années, les muscles qui avaient dû rouler sous le cuir qui constituait sa peau s'étaient un peu flétris. Son visage était couvert de cicatrices, il avait même un bandeau de fer sur l'œil gauche, et sa défense droite était brisée. Une abondante crinière de paille dissimulait à moitié ses oreilles chargées d'anneaux. Il siégeait sur un immense trône constitué de pièces de bois taillé, avec un crâne de gundark accroché au sommet du dossier. Sur la muraille derrière le trône, Grennan eut une petite appréhension en voyant une impressionnante collection de têtes de droïds de tous modèles : des droïds de protocole, des dômes d'astromechs, des caméras de droïd de surveillance, des masques stylisés de droïds de combat, bref des dizaines de trophées. Et au pied du trône, deux esclaves en tenue très légère, une Humaine et une Twi'lek, baissaient la tête.

Liam mit avec peine un genou à terre, espérant que ce geste flatterait le Gamorréen.

- Euh… soyez salué, ô Grand Grui, chef de Mombadir.

Le chef répondit par un rot tonitruant. Les Gamorréens autour de lui éclatèrent de rire.

- Nous venons de la part des Gardiens des Traditions.

- Je sais, ils m'ont prévenu, répondit le chef d'une voix rauque. C'est pour ça que les deux femelles ne sont pas déjà attachées à mes pieds. Et donc… ?

- Nous… nous sommes venus pour régler un différend.

- Alors, c'est vous qui êtes venus chercher des poux à mon fils, c'est ça ?

- Euh… en fait, oui, un peu.

- Tu m'as l'air un peu chétif pour quelqu'un qui a voulu se mesurer à Mantlac !

- C'est que… ce n'est pas moi qui l'ai défié, mais le vrai contestataire est un guerrier, Canderous Tal.

- Ouais, c'est vrai, ce vaurien m'a pété le nez ! grogna alors l'un des autres Gamorréens en se frottant le groin.

- Bon, et alors donc ? J'espère pour lui qu'il a une bonne raison de défier mon fils !

- C'est ce que nous sommes venus vous présenter, Grand Chef. J'ai dans mon bloc de données un enregistrement de la… « récupération » de SE-2-4. Avec votre permission, je voudrais vous le projeter.

- D'accord, crevette rose, montre-moi.

L'adolescent sortit de sa sacoche son bloc de données, dévissa le cache et lança la projection. Les images apparurent sur le mur sale.

- Au secours !

- Qu'est-ce que c'est !?

- Des Gamorréens ! À l'aide !

Grui voyait une foule affolée à une hauteur qui ne lui était pas coutumière, celle de SE-2-4. C'était confus, mais on distinguait quelques Gamorréens qui écartaient les gens pour se précipiter vers lui. Un Gamorréen plus grand que les autres fonçait, une petite silhouette en tunique beige tenta bien de s'interposer, mais le guerrier l'attrapa et la balança par-dessus son épaule. Dans le ciel, les drones passèrent, larguèrent leurs grenades assommantes… et quand la lumière éblouissante se dissipa, tout le monde était par terre, à part SE-2-4. C'est alors qu'un deuxième groupe de Gamorréens arriva. Ils s'étaient mis à quatre pour attraper le droïd qui ne s'était pas défendu. Avant la fin de l'enregistrement, on entendit l'un des guerriers beugler : « On l'a eu ! Mantlac sera content de nous ! »

Puis, Liam éteignit son bloc de données, et se tourna vers Grui.

- Alors, grand chef ? Qu'en pensez-vous ?

- Tu as raison, chétive créature, il est clair que Mantlac a fait appel à des comparses ! Et en plus, il n'était même pas présent sur le champ de bataille ! Si ça se trouve, il n'a pas quitté le vaisseau, peut-être même qu'il n'est jamais allé sur Amphor IV. Tu gagnes cette manche. J'autorise donc ce duel. Ton ami affrontera mon fils demain matin. Le vainqueur sera déclaré digne de notre considération.

- Et… pourrons-nous récupérer le droïd ?

Il y eut des ricanements, comme Grui eut un méchant sourire.

- Une petite minute, microbe. Ca ne fait pas partie de l'accord initial. Canderous Tal va défendre son point de vue, et corriger Mantlac pour sa tricherie… du moins il va essayer. Mais il n'y a aucune raison pour que le Rituel de la Main du Ferrailleur en pâtisse. Si ton ami veut en plus récupérer le droïd, il va falloir qu'il mette quelque chose en jeu !

- Et… quoi ?

Grui éteignit son boîtier vocal, et marmonna quelque chose à l'un de ses hommes qui descendit l'escalier qui reconduisait au grand hall en ricanant. Le chef Gamorréen ralluma son appareil, et reprit :

- J'ai toujours eu du goût pour l'exotisme. Et je sais que vous avez quelque chose qui pourra m'intéresser, car je n'en ai jamais eu auparavant.

Liam sentit son sang se glacer dans ses veines. Il comprit avec terreur ce que Grui entendait par « exotisme » quand il vit le Gamorréen revenir en poussant Chi'ta au milieu de la salle.

- Si Canderous gagne, vous repartez avec le droïd. Par contre, s'il se fait tuer, je garde ce petit animal de compagnie.

Les Gamorréens rirent de plus belle. Dankin souffla de colère, oreilles baissées et fourrure hérissée. Morgreed renversa d'une bourrade le Gamorréen qui avait amené Chi'ta. Il darda sur Grui un regard de flammes.

- Faudra me tuer d'abord, gros tas !

- Non, maître Morgreed, non !

Un silence surpris plana dans la salle du trône.

- J'accepte votre proposition, seigneur Grui.

- Chi'ta ?! Mais tu n'y penses pas ! Il va…

- J'ai confiance en les capacités de maître Tal. Et si les choses ne devaient pas se passer ainsi… je saurai faire face à l'adversité.

- Voilà qui est beaucoup mieux ! ricana le Gamorréen. Mais bon, je serai bon prince, tant que l'Humain n'a pas perdu, tu resteras avec tes amis. Le combat commencera lorsque vous serez assis confortablement pour assister au spectacle !

Une fois dehors, Morgreed pesta :

- Mais qu'est-ce qui t'a pris d'accepter ce marché ?

- Nous devons régler les problèmes de la manière la plus diplomatique possible.

- Et si Canderous perd ?

- Il ne perdra pas. Et s'il devait perdre, eh bien… je convaincrai Grui de ne pas se montrer trop brutal.

- C'est vrai, Morgreed, n'oublie pas qu'avec la Force, on peut se sortir de pas mal de situations !

Le Barabel était sceptique.

- Mouais… Mais je commence à me demander si je ne ferais pas mieux de changer de clients ! Je veux bien vous protéger, mais le jour où vous vous jetterez volontairement dans un volcan, je ne pourrai plus rien pour vous !

La moiteur était presque palpable dans l'arène fermée. Des centaines de Gamorréens se bousculaient sur les gradins, et braillaient. Sur la tribune d'honneur siégeait Grui. On y avait monté son trône. Les quatre-vingt années d'incessantes bagarres qui avaient constitué son existence pesaient sur ses jambes arquées, mais il parvint à se lever. Il leva les bras, et sa cour fit peu à peu silence.

- Bien ! Alors, bande de larves visqueuses, vous savez tous pourquoi nous sommes ici, n'est-ce pas ? Mon fils, Mantlac, a ramené il y a peu une superbe boîte à conserve pour le Rituel de la Main du Grand Ferrailleur, mais un bougre de Peau-glabre l'a publiquement défié en l'accusant d'avoir acquis cette boîte à conserve en trichant. Ses amis ont déboulonné la boîte, et elle leur a raconté une histoire que les Gardiens des Traditions ont écouté et accepté. Mantlac aurait donc triché en engageant des hommes de main, il est juste que quelqu'un s'oppose à lui. Je rappelle que le vainqueur de ce combat sera considéré dans son bon droit. Pazou !

Un Twi'lek servile entra dans l'arène, sortit un micro de sa poche, et annonça :

- Chers amis, soyez les bienvenus à ce combat qui s'annonce vraiment prometteur. Le combat de ce matin opposera donc le Mantlac, le fils du Boucher de Mombadir, à Canderous, un mercenaire Humain. Celui-ci n'a aucune prétention sur le trône de notre grand chef, mais tient apparemment à récupérer le droïd SE-2-4. Les deux protagonistes se battront à la vibro-lame. N'oubliez pas que c'est un combat à mort. Et maintenant, sous vos applaudissements, accueillez Mantlac !

La porte nord de l'arène s'ouvrit en grand, et Mantlac, toujours engoncé dans sa cuirasse de pièces de droïds soudées, brandissait victorieusement son énorme épée. Le Twi'lek reprit :

- Et maintenant, voici le challenger, un Humain déjà habitué aux bonnes bagarres, devant qui les crânes se sont fait casser en série, je vous demande d'encourager comme il se doit Canderous !

Le mercenaire avait déjà franchi la porte sud, en faisant tournoyer sa vibro-lame, et salua crânement la foule qui huait.

- Cet Humain tient à récupérer le droïd SE-2-4, et en gage de bonne foi, il a accepté de mettre en jeu cette espèce de hamster que vous pouvez voir assis dans la tribune. Un joli jouet pour notre Seigneur Grui, à n'en pas douter !

Tout le monde éclata de rire, sauf les six compères restés dans l'arène. Chi'ta, au milieu des cinq autres, restait de marbre. Le Twi'lek quitta l'arène. Grui ramassa un vieux chiffon sale, et le laissa tomber sur le sable de l'arène. Un gong sonna quand le tissu toucha la poussière, et le combat commença.

Mantlac avança lourdement vers Canderous, un cruel sourire aux lèvres.

- Je vais te découper en tranches, et t'arracher la tête, et te…

Canderous l'interrompit d'un violent coup de sa lame dans les côtes. L'acier ricocha sur le cuivre de la cuirasse. Le Gamorréen fit tournoyer son épée, et flanqua un coup, puis un deuxième. Canderous para, esquiva, et enchaîna d'un mouvement en biais. Il effleura la tête de Mantlac, mais ce dernier anticipa l'attaque juste à temps, et n'y perdit qu'un bout d'oreille.

- Attends un peu, sale Peau-glabre !

Mantlac abattit son arme de haut en bas, Canderous para, mais le Gamorréen enchaîna d'un coup de manche directement dans la poitrine de l'Humain. Il ne fut pas blessé, mais eut le souffle coupé. Mantlac recula, satisfait, leva lentement son épée au-dessus de sa tête, et l'abattit avec un grondement sauvage sur le mercenaire. Le plat de la vibro-arme choqua l'épaule de l'Humain qui tomba dans le sable. Ricanant comme un forcené, le Gamorréen flaqua un autre coup terrible. Canderous eut le réflexe de rouler sur lui-même, évitant de justesse le tranchant. Mantlac frappa derechef, sans succès.

- Arrête de bouger, moustique !

Il s'impatienta, et bondit sur l'Humain, ventre en avant, pour l'écraser de tout son poids. Canderous s'arrêta net et roula dans l'autre sens, évitant de justesse l'énorme masse qui s'effondra à ses côtés. Profitant de l'opportunité, le mercenaire souleva sa vibro-lame, et la planta avec énergie dans le dos de son adversaire.

La foule en délire salua le geste avec enthousiasme, couvrant l'épouvantable couinement qu'émit alors Mantlac. La vibro-lame lui avait transpercé le corps de part en part. Du sang noirâtre gicla de la blessure. Canderous se releva, et arracha d'un coup son épée de la viande porcine. Un geyser d'hémoglobine chaude s'éleva à un mètre de hauteur, et arrosa le sable, et le mercenaire. Ezra comprit à la vue de sa blessure que le Gamorréen n'allait pas survivre plus de quelques minutes si on n'intervenait pas très vite. Morgreed poussa un furieux hululement. Grennan ouvrit des yeux admiratifs avec une petite moue. Dankin rugit de satisfaction. Mais les deux padawans étaient pétrifiés par le spectacle. Quelques Gamorréens crièrent alors « Tue-le ! Tue-le ! », et bientôt toute l'arène scandait cet encouragement. Canderous salua de la main ses supporters, puis se planta devant Mantlac. Celui-ci releva péniblement la tête, et le regarda d'un œil suppliant. Mais le mercenaire ne se laissa pas apitoyer. Il souleva lentement sa vibro-lame, et l'abattit d'un coup sec à la verticale sur la nuque du Gamorréen. La tête roula dans le sable, Canderous la ramassa et la brandit triomphalement vers Grui avec un grognement de victoire. Liam se précipita dehors, et vomit de toutes ses forces contre le mur. Chi'ta, elle, s'était évanouie.

Grui se releva, et demanda le silence.

- Bien, ramassis de vauriens ! Nous avons assisté à un jugement dans les règles ! J'ai perdu un fils, mais quand je vois comment il a fini, je n'ai aucun regret, car j'ai compris qu'il n'avait vraiment pas l'étoffe d'un vrai Gamorréen ! Par le Grand Ferrailleur, Canderous, c'est un fils comme toi qu'il m'aurait fallu ! Et la loi, c'est la loi, le droïd est à toi !

Nouvelle salve d'applaudissements et de hourras.

- D'accord, faudra trouver une autre boîte à conserves pour le Rituel, mais on verra laquelle sera la mieux parmi les autres que celle-là. Prenez-en de la graine, guerriers ! C'est comme ça que vous devez vous conduire !

- Je souhaite vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi, même si je me doute que ce n'est pas uniquement par pur altruisme envers un être synthétique que vous avez accompli toutes ces prouesses.

- Ferme-là, tu veux ? Me le fais pas regretter.

SE-2-4 ne répondit pas, et continuait à suivre le petit groupe. Dankin portait sur son épaule Chi'ta, toujours évanouie. Ils atteignirent la piste où attendait la Comète. Le mécanicien, un Ugnaught, petit humanoïde au visage porcin à peine plus grand que Chi'ta, salua les huit compagnons.

- Ah, Canderous ! C'était un beau combat ! J'ai tout vu à l'holo ! Vous avez bien mérité le titre de champion !

- Merci, mec.

- Votre vaisseau est prêt à partir, la maison vous offre le plein.

- C'est très généreux.

Ils commencèrent à monter à bord, quand l'Ugnaught dit encore :

- J'ai fait chauffer les moteurs, comme vous l'aviez demandé !

Cette dernière remarque intrigua Ezra. Elle ne se rappelait pas avoir fait clairement cette demande.

Peut-être quelqu'un d'autre parmi nous ? Morgreed ? Liam ? Remarque, comme ça, on aurait pu partir tout de suite en cas de fuite précipitée.

Haussant les épaules, elle monta à bord, et s'installa dans un des fauteuils de la table d'holo-échecs.

Dans son inconscience, Chi'ta flottait au milieu de nuages orangés par la lumière du soleil couchant. Enfin, elle allait pouvoir se reposer. Toute cette violence, cette soif de coups et de brutalités… elle se promit de ne plus jamais venir sur Gamorr. C'est alors qu'elle se réveilla d'un coup.

- Oh non !

Grennan s'apprêtait à faire décoller la Comète. Liam, assis sur le siège du copilote, attendait. Soudain, il eut une vision fugitive, mais très nette. Il vit les doigts bleus du Chiss appuyer sur le bouton de confirmation, puis il vit apparaître sur l'écran un seul mot : « BOUM ! », avant d'entendre une violente détonation. Affolé, il quitta son siège d'un bond, et se jeta vers Grennan. Il lui saisit le poignet et l'éloigna du clavier.

- Non, pas ça ! Ne touche pas à ce levier !

- Hé, qu'est-ce qui t'arrive ?

- Sortons de ce vaisseau ! Maintenant !

Il avait à peine fini sa phrase que Chi'ta déboula dans le cockpit.

- Liam ! Grennan ! Filons !

Sans poser davantage de questions, Grennan se leva, déguerpit, suivi par Dankin, Ezra, Canderous et Morgreed.

- Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui se passe ?

- J'en sais rien !

Au passage, Dankin fourra SE-2-4 sous son bras, et l'emporta dehors. Enfin, au bout d'une longue minute, le petit groupe était sorti du vaisseau, et avait même couru jusqu'au bâtiment, laissant ainsi la Comète seule sur la piste. Canderous était un peu agacé.

- Bon alors, c'est quoi, ce délire ?

- On… on était en danger.

- Tiens, t'es réveillée, toi ?

- Je… j'étais certaine que le vaisseau avait été piégé, répondit la petite Drall.

- Et moi aussi, murmura Liam.

- Une vision de Jedi ? hésita le mercenaire. On dirait que pour cette fois, vous…

Une terrible explosion ébranla tout l'astroport, tout le monde se jeta à terre. Des cris, des pleurs, des alarmes, et une terrible confusion s'en suivirent. Dankin, Ezra et Liam se relevèrent péniblement. Canderous n'en revenait pas. La Comète était désormais éparpillée aux quatre coins de la piste d'atterrissage.

- Nom de…

- Tu avais raison, gamin, murmura Grennan d'une voix blanche. Bon sang, si tu ne m'avais pas empêché de mettre la gomme…

- On serait fumés comme des jambons ! gémit Morgreed.

Canderous sentit une flambée d'adrénaline secouer son système nerveux.

- Ca ne va pas se passer comme ça !

C'est presque en courant qu'il quitta la piste d'atterrissage pour gagner le bureau de la direction. Morgreed, de son côté, voulut tirer cette sale histoire au clair. Justement, le mécanicien qui les avait accueillis revenait, affolé.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Excellente question, microbe.

Le Barabel saisit l'Ugnaught par la cheville, le souleva tête en bas et le secoua.

- Alors, c'est toi qui as trafiqué quelque chose là-dedans, espèce de…

- Aïe ! Arrêtez, je n'y suis pour rien !

- Ah ouais ? Alors c'est le vaisseau qui a décidé de péter tout seul, c'est ça ?

- Mais je ne comprends pas ! Je n'ai fait qu'obéir à mon chef !

- Ton chef t'a demandé de nous saboter notre vaisseau ?

- Je vous assure que…

- Tu ne sais vraiment pas mentir. Je te donne un gage !

Morgreed tendit le bras derrière lui, tenant toujours l'Ugnaught, et partit d'un ricanement gras. Le petit humanoïde paniqua.

- Oh non ! Attendez ! Ne faites pas ça !

- Imbécile, tu vas voler ! chanta le Barabel.

Il fit tournoyer le malheureux mécanicien au-dessus de sa tête, de plus en plus vite.

- EEEEUUUUUUUUUUUUH !

- Maître Morgreed ! Vous êtes fou ! Arrêtez tout de suite ! s'écria Chi'ta, tellement catastrophée qu'elle se griffait les joues.

L'énorme Barabel ralentit son geste, et laissa tomber par terre l'Ugnaught. Le petit humanoïde porcin vomit sur le sol.

- Alors, t'en veux encore, ou tu nous dis la vérité ?

- Je vous en prie ! Je vous jure que ce n'est pas ma faute !

Morgreed s'avança à pas lourds, menaçant, quand Liam s'interposa.

- Ca suffit, Morgreed, arrête ! Laisse-le, tu vois bien qu'il est mort de peur ! Ca va, monsieur ?

L'Ugnaught n'arrivait plus à marcher droit. Il se dirigea vers un établi, et rapporta un petit bloc de données.

- Regardez, je n'ai fait que suivre les instructions que le patron m'a envoyées ! Tenez, voilà.

Sur l'écran, les camarades purent lire l'emploi du temps du technicien. Il montrait d'un doigt tremblant l'une des lignes, et l'on pouvait lire : « 11.00 : Allumage des réacteurs du vaisseau Comète ».

- Il a fait ça en toute bonne foi, maître Morgreed.

- C'est vrai, il n'a pas l'air de nous raconter des salades !

- Est-ce que le patron peut confirmer ? demanda soudain Ezra. Monsieur, vous pouvez vérifier auprès de votre chef d'équipe si l'instruction était bien clean ?

- Rien de plus facile, madame !

L'Ugnaught saisit nerveusement son communicateur.

- Allô ? Xuenylom ? Tu me reçois ? Bon, dis voir, j'ai un truc à te demander : est-ce que tu pourrais me confirmer l'entrée 555-0394 ? « Allumage des réacteurs de la Comète »… Hein ? T'es sûr ? Ah bon.

Puis, se tournant vers Ezra.

- Mon boss m'a dit qu'il n'a jamais transmis cet ordre. Il se rappelle très bien avoir transmis celui d'avant, et celui d'après, mais nada concernant celui-ci.

Tous se regardèrent pensivement.

- Alors, à votre avis, d'où vient cet ordre ?

- J'en sais rien, madame. Il est apparu de nulle part, c'est la seule explication que je puisse trouver.

Sous l'impulsion de Canderous qui avait manqué de briser une chaise sur le crâne du secrétaire, le responsable de l'astroport, en congé pour l'occasion de l'anniversaire de Grui, avait été prévenu et était venu. C'était un Wroonien, un presqu'humain à la peau bleue, aux traits moins durs que ceux de Grennan, mais au caractère coutumièrement fier. Morgreed se craqua les phalanges. Il y avait un certain temps que son hébétude avait laissé place à une terrible colère, qui mit le feu à son esprit quand il vit le Wroonien parler d'un ton hautain :

- Messieurs-dames, je suis monsieur Davernis, le directeur de cet astroport.

Canderous était déjà hors de lui.

- « Monsieur » Davernis ! « Monsieur » tient vraiment à ce qu'on l'appelle « Monsieur ». On ne t'a jamais appris que remplacer son prénom par « monsieur », ça pouvait donner l'impression de rabaisser l'interlocuteur ?

- Mais dites donc, je vous trouve bien cavalier ! Je quitte un repas de famille pour vous, j'ai mieux à faire que d'écouter vos remontrances, je vous prierai de…

- Me fais pas rire, chétif Wroonien, ou bien il t'en cuirait ! ronchonna Morgreed. C'est notre vaisseau qui est maintenant en miettes, et c'est la faute de ta sécurité à deux balles qui n'a pas été foutue d'empêcher des types louches de le trafiquer !

- Écoutez, je ne sais pas comment on règle ce genre de problème sur Barab, mais…

- Et moi, je ne sais pas ce qui me retient te de coller la tête dans le fondement ! Deux gosses et une femme auraient explosé avec si on n'était pas sortis à temps !

- Morgreed… chuchota Ezra.

- On a payé les taxes pour se poser, t'as intérêt à faire jouer l'assurance, si tu ne veux pas que je te dévore la rate !

- Morgreed, du calme, s'il te plaît ! Ce monsieur a quand même raison, s'énerver ne servirait à rien.

Le Barabel avait levé la main, prêt à la flanquer dans la figure de Davernis. Sentant venir la catastrophe, Dankin et Canderous s'étaient interposés. Le mercenaire dit simplement :

- Moi aussi, ça me démange, mais ça nous ferait perdre de temps.

- Inutile… Wroonien stupide… Ne vaut pas… le coup.

Peu à peu, les traits de Morgreed se décrispèrent, mais il ne voulut pas paraître conciliant. Il expira d'exaspération, tourna le dos à Davernis et s'éloigna de quelques pas. Le Wroonien réajusta ses vêtements.

- Quel gredin ! Vraiment, je ne sais pas ce que vous faites avec ce…

- Monsieur Davernis, s'il vous plaît, interrompit Ezra. Vous avez déjà eu de la chance, n'en abusez pas.

- Bon, comment on va régler ça ? Faut quand même qu'on puisse rentrer sur Procopia, maintenant !

- Malheureusement, sur Gamorr, il y a tellement peu de considération pour la technologie que les assurances ne seraient pas rentables, elles coûteraient trop cher. Tout ce que je peux faire, c'est une attestation de responsabilité pour que vous n'ayez pas de malus, mais je ne peux rien faire d'autre.

Un lourd silence plana. Liam réalisa :

- Eh bien, c'est Ari qui va être contente !

- Les Maisons ont un budget pour ce genre de contretemps, les Cadriaan ou les Callipsa pourront la rembourser. Le problème, c'est qu'on est coincés ici.

- Pas encore, jeunes gens !

Tout le monde se tourna vers un imposant personnage qui venait de parler. C'était un Herglic, les hommes-baleines du Secteur Tapani. De nombreux bijoux scintillaient sur ses vêtements aux riches étoffes. Un énorme sourire s'affichait sur sa non moins énorme figure rose saumon.

- Je viens d'effectuer une livraison de bacta sur cette planète. Je suis négociant et livreur en bacta, et pas des moindres dans la profession. Tenez, voici ma carte.

Sur le petit rectangle de carton, la jeune doctoresse put lire : « Hamar Chaktak, transporteur », et le logo de Dukol-Yer Inc, l'une des principales sociétés de production de bacta du Secteur Tapani.

- J'ai cru comprendre que vous étiez dans l'embarras, et que vous aviez l'envie de regagner la planète Procopia ? Je dois justement retourner sur Lemuir, au passage je peux vous déposer sur Procopia ! Qu'est-ce que vous en dites ?

- Que le hasard fait quand même vraiment trop bien les choses !

C'était Morgreed, qui était revenu.

- Dukol-Yer Inc, c'est pas une boîte bidon ?

- Quelle idée absurde ! Allons, il s'agit quand même d'un des producteurs de bacta les plus importants du secteur Tapani !

- Il dit la vérité, acquiesça Ezra. J'utilise des médicaments de Dukol-Yer Inc.

- Mon vaisseau sera bien assez grand pour tout le monde. Regardez-le !

Le Herglic fit un geste du bras, et montra un appareil de transport léger de marchandises flambant neuf et rutilant. Liam tomba aussitôt en admiration devant le magnifique appareil. Morgreed n'en démordit pas.

- Mouais… Désolé, mon vieux, mais ça me paraît quand même un peu gros. Notre vaisseau qui explose, et comme par hasard, y a un gentil monsieur qui passait par-là qui nous propose de nous reconduire à Procopia ? Non, je ne marche pas.

- Je vous comprends, mon ami. Aucun problème.

- T'es sûr, Morgreed ? insista Liam. Son vaisseau a l'air quand même vachement mieux que…

- C'est pour mieux te manger, mon enfant ! rétorqua le mercenaire. Allez, on se tire, on prend un charter.

Liam essayait bien de dormir, se balançant lentement dans son hamac, rien n'y fit. Le bruit de moteur du vieux vaisseau de transport civil à bord duquel ils avaient tous embarqué l'empêchait de trouver le sommeil. Morgreed, lui, avait vidé trois bouteilles d'alcool, et ronflait comme un veilleur de nuit. Dankin dormait aussi, allongé sur une paillasse. Dans la pièce à côté, Chi'ta était assise sur une caisse, appuyée contre la paroi. Ezra faisait quelques exercices d'étirements, et Grennan briquait son disrupteur. Le mercenaire entra dans le sas, introduisit une pièce dans un distributeur, et se servit un lum.

- Alors, les filles, on a bien rigolé, non ?

Chi'ta ne répondit rien. Ezra, par contre…

- Parle pour toi, gladiateur en solde !

- Hé, avoue quand même que ça t'a plu quand j'ai rabattu le caquet de ce pourceau !

La petite Drall se tourna vers Canderous, indignée.

- Animal ! Bête sauvage !

- Oh, arrête un peu, petite musaraigne ! Le jour où tu reverras Daymon Thorn, on verra bien si tu le laisseras te découper en petits morceaux sans te défendre ! Et puis n'oublie pas que si j'avais perdu, ce gros lard de Gamorréen serait déjà en train de t'utiliser comme serviette-éponge !

Chi'ta fit la moue, et tourna fermement le dos à l'Humain. Celui-ci railla :

- Oh, je vois ! « Petit bouchon » a ses petites affaires, hein ? Allez, tu comprendras quand tu seras grande ! Moi, je vais me pieuter.

Le mercenaire quitta la pièce. Ezra s'arrêta, et s'assit près de Chi'ta.

- « Petit bouchon » ? C'est quoi, ça ?

- C'est le surnom que Taava m'a donné.

- C'est mimi. Qui est Taava ?

- La femme de Shili qui était avec Canderous au cours des fiançailles.

- Ah oui, je me rappelle l'avoir vue. Remarque, dans une réception où il y avait une majorité d'Humains, les autres se remarquaient plutôt facilement.

Le chasseur de primes Chiss finissait de nettoyer son arme.

- N'écoute pas ce prétentieux, jeune Drall. Tu n'as pas manqué de cran, ces deux derniers jours. Le cafard, les Gardiens des Traditions de Gamorr, cet étron géant qui voulait faire de toi son jouet… l'image va peut-être te choquer, mais malgré les apparences, tu en as dans le pantalon !

Il rangea son disrupteur et quitta la cabine pour gagner le bar. Chi'ta resta perplexe.

- Je ne comprends pas. Ce que vient de dire maître Grennan n'a aucun sens !

- Comment ça ? demanda la Calipsa.

- Eh bien… je ne porte pas de pantalon !

Ezra ne put s'empêcher de pouffer de rire devant l'air indécis de la jeune Drall. Elle demanda alors :

- Et… qui est ce Daymon Thorn, dont a parlé Canderous ?

- Un homme au cœur noyé par la soif de conquête, et animé par les forces du Mal.

- Tu dis ça de manière imagée, ou…

- Non, docteur Lohrn. Daymon Thorn est un Seigneur Sith. Nous l'avons rencontré il y a quelques semaines. Il a tenté de nous briser physiquement, et pire encore, il a bien failli nous diviser en semant la discorde parmi nous.

- Oh… c'est un vrai, alors ?

- Je crois que la vraie menace ne vient pas de Don Nycator de Mecetti, mais bien de cet homme-là. Lui est véritablement dangereux, il tente d'utiliser des forces qui le dépassent pour étancher sa soif de pouvoir.

- C'est l'apanage des tyrans, Chi'ta.

Le voyage se termina sans incident. Tous avaient pu regagner leurs différents pénates, et se détendre un peu avant le compte-rendu de mission qui allait avoir lieu en fin d'après-midi. Liam en profita pour contacter le Praxeum, et collecter quelques informations. Quelques minutes avant l'heure fixée, Liam se rendit à la salle de briefing, y trouva les autres arrivés. Après avoir salué tout le monde, il demanda de but en blanc :

- Vous vous rappelez du gars à qui a parlé Taava ? Ce Tahé l'Indomptable...

- L'humanoïde à peau écailleuse ? Oui, je l'ai vu moi aussi, constata Ezra. Eh bien ?

- En fait, Ezra, maintenant qu'on est dans le même bateau, je peux t'en dire plus. Taava l'a un peu cuisiné, et a appris que c'est un Mélodieux de Yavin VIII qui travaille pour XTS comme transporteur d'esclaves. Et ce qui nous a préoccupé, c'est qu'il a la résonance.

- Tu veux dire qu'il est sensible à la Force ? s'étonna la doctoresse. Ca par exemple ! Je me disais bien qu'il était trop charismatique pour un proxénète ordinaire. Et c'est un transporteur d'esclaves ?

- Ce n'est pas un travail très honnête, ça… murmura Grennan qui en profita pour se mêler à la conversation. Je ne m'y connais pas beaucoup, mais je suppose qu'un vrai Jedi participant à ce genre de commerce ne peut pas rester neutre.

- Et donc, il aurait avoué à Taava qu'il faisait dans le trafic de vie intelligente ? C'est étonnant, il n'avait pas l'air tourné vers les ténèbres, constata Chi'ta. Peut-être qu'il ne lui a pas parlé franchement.

- M'étonnerait qu'il l'ait fait, petit chou, renchérit Morgreed. Sûr que c'est un Jedi ?

- Je ne l'ai jamais vu au Praxeum, mais il a la résonance, et ça, j'en suis certaine.

- Moi aussi, ajouta Liam.

Canderous se caressa la barbe.

- Bon, il doit bourrer le mou de pas mal de gens, avec ou sans ses pouvoirs de Jedi. Ce poisson joue au maquereau, mais est probablement en sous-marin pour le compte de quelqu'un. Maintenant, il ne reste plus qu'à espérer que ce ne soit pas pour quelqu'un qui soit contre nous.

- Ce n'est pas tout. Il y a quelque chose d'autre qui me gêne.

- Quoi donc, fiston ? gronda Morgreed.

- Avant de venir vous rejoindre ici, je me suis un peu renseigné sur les individus de sa race. Et y a un truc qui ne collait pas, chez lui. Ces êtres muent à l'âge de vingt ans : d'abord, ils sont humanoïdes, mais au cours d'une cérémonie, ils subissent une mutation qui change leurs jambes en une queue de poisson. Ils ne peuvent donc plus quitter l'eau.

- C'est très intéressant, mais après ? Ce Tahé est peut-être très jeune.

- Peut-être pas, Canderous, réfléchit Ezra à haute voix. Moi aussi, je l'ai vu, et il ne m'avait pas l'air d'avoir moins de vingt-cinq, voire trente ans, si j'en juge par les petits signes de maturité par-ci par-la. La couleur de sa peau, la longueur des rides au coin de ses yeux… et puis même, sa façon de se tenir, son aisance sociale, et tout ce genre de choses. Je peux me tromper, mais je crois qu'il est âgé d'au moins une trentaine d'années, soit dix ans de trop sous forme humanoïde. Tu as peut-être raison, Liam, c'est pas très clair.

- Hum… Tu es sûre de ce que tu dis, poupée ?

- Pas complètement, Canderous, mais j'ai de bonnes présomptions.

- Si c'est ainsi, peut-être qu'il a quitté sa planète natale avant sa majorité pour une raison ou pour une autre, et qu'il n'a pas eu l'occasion, ou l'envie, de se rattraper ?

- C'est possible, Chi'ta. Il mérite qu'on garde un œil sur lui, en tout cas.

La porte s'ouvrit, et Vaskel Savill pénétra dans la pièce, toujours escorté de deux gardes et du sergent, tous quatre suivis par le Haut Seigneur Paddox.

- Merci à vous tous d'être venus. Veuillez me suivre, s'il vous plaît, nous allons nous déplacer jusqu'à la salle de programmation.

Quelques pas plus loin, Paddox emmena ses invités dans une grande salle au plafond bas, dans laquelle s'empilaient des ordinateurs de toutes les tailles et de tous modèles. Le droïd, assis dans un fauteuil confortable, souriait tranquillement, alors que son crâne était ouvert et qu'un long câble argenté était branché dans la boîte oblongue qui abritait son cerveau positronique. Un technicien s'affairait autour de SE-2-4. Canderous reconnut le Verpine qui avait analysé la tête du droïd assassin, et qui avait assuré la régie pendant le procès de Savill.

- Tiens ? Mais vous n'étiez pas affilié aux Cadriaan ?

- Ze travaille en freelanze, monzieur, répondit la grande créature avec un fort zézaiement. Z'est vous qui aviez rapporté le droïd Baktoid, n'est-ze pas ?

- Ouais, bon. Et alors, ce droïd-là ?

- Est-ce que les images étranges vont disparaître, bienveillant Verpine ? J'avoue qu'elles me perturbent de plus en plus.

- Ne vous en faites pas, petit droïd, ze vais télézarzer les informazions, les extraire de votre mémoire, afin de pouvoir les analyser zans plus vous déranzer. Z'ai pu repérer le faux zircuit qui était en fait la vraie puze qui contient l'enreziztrement que monzieur Zavill zouhaiterait récupérer. Vous ne zentirez rien.

Comme la dernière fois, les gardes attachèrent Savill à une chaise, et se retirèrent. Le Verpine tabula quelques commandes sur son clavier. Une petite fenêtre apparut sur l'écran, confirmant le téléchargement.

- Voilà, Monzeigneur Paddox. Z'ai récupéré le fizier. Par contre, ze dois vous prévenir, il a été pas mal endommazé, za ne zera pas fazile de pouvoir tout lire. En fait, zeule une petite partie est récupérable, et en plus, il n'y aura que le zon.

- Alors nous ferons avec, maître technicien. Veuillez le lancer.

Une fois la barre de progression remplie, le Verpine cliqua sur l'icône du document téléchargé. Un programme de lecture s'enclencha automatiquement. Alors que l'écran indiquait une série d'ondulations, deux voix résonnèrent dans la pièce. La première était celle de Don Nycator de Mecetti, sans conteste. Il semblait un peu nerveux, mais décidé. Personne ne reconnut l'autre voix, sourde, rauque, très grave, probablement trafiquée informatiquement.

- Oui, je sais, mais ils n'en valent pas la peine.

- Ils ont vu la technologie DarkStryder. Ils représentent un danger.

- Ne vous inquiétez pas, je maintiens que ce ne sont que des touristes. Ils ne peuvent rien contre moi, et ne sont pas méchants. De plus, ils connaissent Dame Liryl, et je n'ai pas envie qu'elle se fâche avec moi, je l'aime ! Le vrai danger vient des Impériaux. Je crois qu'ils sont à votre recherche. Ils ont déjà tenté de me compromettre, et je sais qu'ils vont faire de même avec les Melantha.

- Êtes-vous sûr de vos paroles ?

- Même s'il ne travaille pas pour l'Empire, Klytus travaille pour quelqu'un de puissant et riche. Je suis sûr qu'il n'a jamais fait partie de mon administration.

- Redoublez de prudence.

- Soyez sans crainte. Bientôt, les choses vont changer. En grand.

- L'étape suivante s'effectuera sur l'île Crispos.

Le technicien se frotta les élytres.

- Impozible d'en avoir davantaze, ze regrette…

- Laissez, c'est déjà pas mal, rassura Paddox. Nous vous remercions pour votre travail, vous pouvez vous retirer. Votre paiement a déjà été effectué.

- À votre zervice, mon Zeigneur.

La grande créature se leva, s'inclina avec respect, et quitta le bureau. Savill et Paddox se regardèrent, assez troublés.

- Vous avez entendu ça, Savill ?

- Oui, Haut Seigneur. Tout ceci ne me dit rien qui vaille.

- Holà, une seconde, messieurs ! s'exclama Canderous en levant les mains. Pas de messes basses entre vous, je vous rappelle que c'est notre peau qu'on risque pour vos petits jeux ! Alors j'aimerais bien savoir quel goût ça a, la sauce « Crispos », avant qu'on soit bouffés avec !

Surpris par une telle autorité, le Melantha et le Pelagia se tournèrent simultanément vers le mercenaire, yeux hagards, oubliant de s'indigner. Ce fut le Pelagia qui répondit.

- L'île Crispos est un lieu très important dans notre culture, car c'est là où le Secteur Tapani a été officiellement unifié, il y a six mille ans. C'est le grand Shey Tapani qui a rédigé et fait adopter les documents attestant de la répartition d'origine des planètes du secteur aux différentes Maisons. Et donc, chaque année, les Maisons se réunissent pour fêter l'événement.

- Cette année, ce sont les Barnaba qui s'en chargent, reprit Savill. Je sais qu'environ deux mille seigneurs et dames sont attendus. Cette fête sera très spectaculaire.

- Et donc, Don Nycator de Mecetti va prendre contact avec un rigolo qui aurait besoin d'un peu de spray pour la gorge ?

- Sans doute pas directement, maître Tal. Il est comme il est, mais n'est pas non plus stupide. Vu l'état actuel des choses, je ne sais pas s'il va s'y rendre en personne. Et puis cette voix a parlé d'une « étape suivante », ça peut être n'importe quoi, pas forcément un rendez-vous.

- Tout cela ne me dit rien qui vaille… Ce qui est pratiquement sûr, c'est que la sécurité sera quadruplée, vu le nombre de dirigeants qui seront sur place.

- Moi non plus, je ne suis pas rassuré, Haut Seigneur Paddox. Bien, maintenant que l'information est passée, au sujet de ma condition, j'espère que…

- N'allez pas trop vite en besogne, Savill, coupa le Haut Seigneur Paddox. Je ne suis pas aussi naïf que vous semblez le penser. Un enregistrement de mauvaise qualité ne suffira pas à faire de vous un héros pour les Pelagia. Vous resterez confiné dans vos appartements en attendant la suite des événements.

Le Melantha foudroya du regard le jeune Seigneur.

- Une cage dorée reste une cage.

- Vous préférez retourner dans votre caniveau ?

- Reconnaissez que si j'avais encore mon titre, vous me parleriez autrement.

- Oui, mais vous n'avez plus votre titre !

- J'ai le double de votre âge, je pourrais être votre père, et je suis un être intelligent, qui mérite au moins votre respect !

- Je suis le Haut Seigneur de la Maison Pelagia, et vous, vous n'êtes plus en position de me traiter avec la condescendance dont vous êtes coutumier vis-à-vis de vos cadets ! Vous ne l'avez jamais été, et vous êtes à deux doigts du cachot à vie !

Liam sentait l'orage venir, attendait une violente réaction de la part de Canderous ou Morgreed, guettait le moment où l'un ou l'autre d'entre eux tambourinerait sur le bureau à coups de poing pour rétablir le calme. Aussi fut-il surpris quand…

- Mes Seigneurs, mes Seigneurs ! Je vous en prie !

Les deux hommes cessèrent aussitôt de crier, et plus personne ne bougea ni ne pipa mot. Tous les regards se tournèrent simultanément vers Chi'ta Koskaya. Celle-ci, debout, s'était redressée de toute sa modeste hauteur, mais il y avait quelque chose dans son regard. Rien de malsain, de colérique ou de chagriné, seulement une profonde motivation, qui intimait le calme spontané, sans contrainte. Elle expliqua ensuite avec douceur :

- Haut Seigneur Paddox, messire Savill, n'avez-vous pas encore compris que c'est précisément ce que veulent des gens comme Don Nycator de Mecetti ou le Seigneur Daymon Thorn ? « Diviser pour mieux régner » est sans doute l'un des adages les plus éculés de l'univers, mais son efficacité n'est plus à prouver. Vous vous disputez sur des questions aussi terre-à-terre que la façon de vous parler, alors que le Secteur Tapani est peut-être en train de vivre les prémices d'une catastrophe dramatique. Pensez-vous que c'est comme ça que nous pourrons agir de manière constructive ? Oh, je sais ce que vous vous dites, vous êtes sans doute en train de penser quelque chose comme « cette pauvre petite fille ignorante ne comprend rien de rien aux intrigues géopolitiques du Secteur Tapani, aux traditions et aux coutumes ancestrales qui préconisent ces alliances et ces rivalités », mais cela m'est indifférent. Je n'ai qu'un seul souci en tête : protéger les milliards de personnes innocentes qui risquent de souffrir de la guerre que les Mecetti ont déclenché, et des conséquences terribles que peut entraîner le retour des Précurseurs qui semblent avoir des intentions hostiles. Seuls, chacun de notre côté, nous ne pourrons agir qu'épisodiquement, et de manière très localisée. C'est tous ensemble que nous aurons suffisamment de poids pour faire avancer les choses à l'échelle du secteur. Si vous comprenez et acceptez ce fait, je peux vous promettre que nous sauvegarderons la paix.

Il y eut un long silence impressionné. Le docteur Lohrn fronçait les sourcils, épatée par la jeune Drall. Et les deux hommes se regardèrent, très gênés.

- Euh… bon. Peut-être qu'il y a du vrai dans vos paroles, mademoiselle Koskaya.

- C'est… oui, c'est aussi mon avis, Haut Seigneur Paddox.

- Encore besoin de nous, ou on peut vous laisser vous crêper le chignon entre vous, mesdames ? demanda effrontément Canderous.

- Non, attendez, nous allons discuter de… un instant. Gardes !

Le sergent Gill entra avec ses gardes. Il détacha le Melantha, et l'emmena hors de la salle d'informatique. Savill jeta un coup d'œil affolé vers les padawans avant de sortir.

- Il n'est pas nécessaire que Vaskel Savill entende la suite.

- Vous ne lui faites donc pas confiance ? demanda Chi'ta, un peu attristée.

- Mademoiselle Koskaya, votre compassion est touchante, mais vous oubliez que Vaskel Savill n'est pas un agneau. Pour l'heure, il est affaibli, mais je peux vous assurer que dans des circonstances normales, il vous paraîtrait beaucoup moins attendrissant. Cela ne m'étonnerait pas qu'il joue au moins en partie la comédie.

- Haut Seigneur, je ne crois pas.

- Écoutez, vous m'êtes très sympathique, répondit le Pelagia d'une voix douce, mais je préfère être franc avec vous : à mon avis, vous êtes encore trop jeune et trop innocente pour vous rendre compte que Savill vous mène par le bout du nez. Il l'a dit lui-même, il pourrait être mon père. Et justement, mon père l'a affronté à plusieurs reprises. Quand il veut quelque chose, c'est un requin, qui n'hésite pas à exploiter au mieux les ressources de toutes les personnes qui lui tombent sous la main. À mon avis, il s'est joué de vous comme d'instruments.

- Je suis navrée si je vous parais trop naïve, mais j'ai confiance en lui. La Force me permet de lire ses émotions, même s'il n'en a pas conscience. Il n'a peut-être jamais eu affaire à des serviteurs de la Force, et la lecture des émotions est justement ma spécialité. Parfois, quand les émotions négatives sont trop fortes, cela peut m'être très désagréable, mais cela constitue également ma principale force, car les gens qui ne sont pas capables de dissimuler leurs émotions sous une cape de Force ne peuvent pas me cacher leur état général.

Le Haut Seigneur Paddox se racla la gorge.

- Si tel est votre jugement… ma famille comptait des Jedi, ils n'ont jamais failli, j'espère qu'il en sera de même pour vous. Bon… écoutez, nous allons devoir réfléchir à la suite des événements… la grande assemblée sur l'île Crispos dont nous parlions aura lieu dans quelques mois.

- Il faudrait que nous puissions nous y introduire, mais le problème est que nous ne sommes pas directement des nobles de Procopia.

- Non pas, mais vous devriez pouvoir accompagner mes homologues, sous couvert de raisons utilitaires. Je vais prendre contact avec la Haute Dame Bathos de Cadriaan et le Haut Seigneur Weston Warsheld de Calipsa pour leur parler de cette histoire. L'un comme l'autre accepteront de m'écouter, et aucun d'eux n'aime les Mecetti. Quand je leur parlerai de cet enregistrement, ils voudront sûrement nous aider à y voir un peu plus clair, je n'aurai pas de mal à les pousser à vous accepter. Quant à moi, j'emmènerai les deux padawans avec moi. Cette grande fête n'est pas pour tout de suite, nous aurons le temps de nous y préparer, et de voir venir.

- Nous devons donc nous attendre à tout, y compris et surtout à l'imprévisible, répondit Chi'ta avec philosophie.

Et les sept compères se retirèrent, puis regagnèrent leurs pénates.

Les jardins d'Alaphoe venaient de fermer leurs portes au public, mais le docteur Ezra Lohrn de la Maison Calipsa n'eut qu'à présenter ses papiers pour faire jouer ses petits privilèges diplomatiques et entrer. Comme beaucoup de ses concitoyens, elle adorait se promener dans ces lieux, mais appréciait davantage la tranquillité des heures de fermeture. Elle passa à côté du Palais de Verre, contourna les Bassins aux Mille Reflets, et s'arrêta devant les Jardins Suspendus. Sur sa gauche, elle distinguait l'amphithéâtre où, elle le savait, Dame Bathos de la Maison Cadriaan avait failli être abattue, quelques mois plus tôt. Au loin, sur sa droite, le dôme de la Salle de Concert arrondissait son toit au-dessus des arbres. Puis, quand elle traversa les Jardins Suspendus, elle se retrouva sur un petit sentier qui conduisait à la Maison des Bains, au bord du grand lac Alaphoe. Avec un petit sourire satisfait, elle entra dans le grand bâtiment de marbre blanc, et monta à l'étage. Par l'une des fenêtres du couloir, elle pouvait voir l'océan, et à l'opposé, s'étendaient les eaux calmes du lac. Elle allait gagner le vestiaire, quand elle vit bouger quelque chose.

C'était la silhouette fine de Liam, en train de courir autour du lac. De temps en temps, il faisait un saut périlleux en avant, puis un autre en se retournant plusieurs fois avant une roulade, sans ralentir sa course. La jeune femme le regarda quelques instants avec attention, impressionnée.

Il doit être doué à la baston, quand il n'est pas gêné par les ondes de ces cafards…

Ezra se déshabilla, resta quelques minutes sous la douche, rangea ses affaires dans un casier, passa un peignoir, et entra dans la salle au bassin de détente pour femmes. Elle adorait s'asseoir quelques temps dans le bain de relaxation, quand elle avait besoin d'oublier ses tensions. En balayant la salle du regard, elle se rendit compte qu'elle n'était pas seule. Dans un coin du grand bassin d'eau chaude, au milieu des volutes de vapeur, elle pouvait voir la petite silhouette boulotte de Chi'ta, tranquillement assise dans l'eau, sa fourrure dorée ondulait avec les vaguelettes.

- Salut !

- Oh, c'est vous, docteur Lohrn ! répondit la jeune Drall en relevant la tête. Je vous en prie, venez, c'est très agréable.

La jeune Humaine se rapprocha du bassin.

- Je n'ai pas vu votre ami Barabel. Il n'est pas toujours avec vous deux, d'habitude ?

- Il est à une réception avec Dame Liryl, et ne peut pas être partout à la fois. Et, nous sommes d'accord, Dame Liryl a plus besoin de lui que nous, en ce moment.

Sans complexe, Ezra laissa tomber son peignoir, et s'assit aux côtés de Chi'ta.

- Vraiment très agréable.

- Vous venez souvent vous détendre ici, docteur Lohrn ?

- Je t'en prie, appelle-moi Ezra, ton vouvoiement me donne l'air d'être une vieille.

- Je regrette, mais mon éducation me dicte de vous appeler par votre titre, à moins que nous ne devenions très proches.

- Comme tu veux. Et la réponse à ta question est « oui » j'adore ces bains.

Ezra était maintenant dans l'eau jusqu'aux aisselles.

- J'aimerais te dire, Chi'ta… j'apprécie que tu ne me voies pas comme une rivale.

- Rivale ? Pourquoi donc ?

- Hé bien… du fait de mon appartenance aux Calipsa, quand tu es une Pelagia.

Chi'ta regarda Ezra avec gravité.

- Docteur Lohrn, je travaille avec les Pelagia, c'est un fait, mais je suis avant tout une servante de l'Ordre Jedi. Selon la volonté de l'Ordre, je mets mes modestes talents au service des Pelagia, car les circonstances nous y poussent. Maintenant, s'il s'avérait un jour que les Pelagia devaient changer d'orientation et prendre une direction que l'Ordre n'approuverait pas, je les quitterais aussitôt. Et je ne vois pas du tout en vous une rivale pour quoi que ce soit d'autre. Je préfère voir une collaboratrice… peut-être une amie ? Je serais heureuse de vous avoir pour amie.

- Alors, soyons amies !

Les deux jeunes femmes rirent à l'unisson. Ezra dit alors :

- Moi, je suis fière de t'avoir pour amie. Ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir parmi ses relations une vraie Jedi.

- Pas encore, docteur, pas encore.

- Si, je t'assure. Grennan avait raison. Tu n'en as pas l'air, comme ça, mais tu as une sacrée trempe ! Réussir à clouer le bec aux deux seigneurs, fallait oser !

- Je ne pouvais pas les laisser se chamailler comme des enfants à une heure si grave.

- Puisque nous allons travailler ensemble un moment, je devrais peut-être me documenter un peu sur ton peuple. Est-ce que tous les Dralls ont ta résolution ?

- Oh non, docteur Lohrn. Généralement, les Dralls ne sont pas très courageux. Ce sont des casaniers, la plupart se consacrent à l'érudition. Les Dralls qui quittent notre planète sont assez rares. Ceux-ci ne sont pas mal considérés, mais ils constituent une faible proportion de la population.

- Et tu fais partie de ce petit pourcentage, puisque tu es là.

- Je vous avouerai que s'il n'y avait pas eu l'Académie, je serais restée sur Drall. Et parfois, j'ai un peu peur, notamment quand je découvre une nouvelle planète. Mais je ne regrette rien. Ca vaut le coup. Rencontrer de nouvelles personnes, vivre des expériences dans des civilisations différentes… oui, ça vaut le coup.

- Comment c'était, ta vie, sur Drall ?

- Oh, ce n'était pas très excitant. J'étais réceptionniste dans un grand hôtel de Meccha, la ville des Cavaliers du Vent.

- Je ne suis jamais allée sur Drall. En fait, quand j'y pense, je ne me suis pas beaucoup déplacée. Bien sûr, il m'est arrivé de partir en vacances quelquefois sur une planète du Secteur Tapani, mais je n'ai jamais été aussi loin depuis que je vous connais, toi et tes amis.

- Peut-être que cela viendra. Et si vous avez besoin d'un guide sur Drall, je serais ravie de vous faire découvrir cette planète.

- Oui, ce sera un plaisir. C'est amusant, tu es la première Drall que je côtoie.

- Vous avez dû pourtant voir des patients de toutes espèces, non ?

- Oui, mais je n'ai jamais quitté le secteur Tapani, et à ma connaissance, il n'y a pas de Dralls sur les mondes de l'Expansion. Si tu dis qu'ils sont sédentaires, ça n'est pas étonnant. Par contre, je croyais que les Dralls étaient plus petits.

- Les mâles sont plus petits, en effet. Notre société est matriarcale. L'autorité de chaque ville est représentée par une Grande Duchesse. Les femelles prennent les grandes décisions, régissent les lois, entretiennent les connaissances, s'occupent de l'éducation des petits, et les mâles sont cantonnés aux travaux physiques, ainsi qu'aux tâches administratives les moins intéressantes. Et sur le plan physiologique, d'une façon générale, les femelles sont mieux nourries, plus résistantes, plus grandes, plus solidement bâties et – puisqu'on est entre filles, je peux aussi vous le dire – elles sont aussi plus dégourdies !

Une nouvelle fois, elles éclatèrent de rire.

- Tu me parais plutôt jeune, si j'en crois ce que j'ai pu étudier sur ton peuple. Ca te fait quel âge ?

- Quinze années standard, bientôt seize.

- Ah oui, mais attends ! Chez les Dralls, il n'y a pas une différence de métabolisme ?

- Tout à fait, docteur Lohrn. Nous vieillissons à environ un quart plus vite que vous. Si j'étais Humaine, j'aurais plutôt dix-neuf ans, pas loin de vingt.

- Exactement comme moi ! Je savais qu'on était plus proches qu'à première vue !

Un temps de silence, que la jeune Humaine rompit :

- Il me plaît bien, ton petit camarade, qui s'entraîne dehors.

- Oh, Liam ! Euh… oui, en effet.

La jeune doctoresse fut surprise de constater qu'elle avait rencontré une personne qui pouvait se montrer aussi directe qu'elle quand elle entendit la petite Drall lui demander :

- Docteur Lohrn, coupons court à toute déviation, si vous le voulez bien a-t-il éveillé quelque chose en vous ?

Ezra écarquilla les yeux, puis éclata de rire.

- Ah ha ! Tu as peur que je le séduise, avoue-le !

- Je… je ne sais pas.

- Ne me dis pas que tu n'éprouves rien pour lui, je vous ai vus aux fiançailles, il y a assez de signaux entre vous deux pour brouiller un navordinateur !

Chi'ta remercia le Grand Fouisseur d'avoir donné de la fourrure à ses enfants, car elle sentit que si elle avait eu le visage sans poils, l'Humaine l'aurait vue rougir.

- C'est vrai, il y a quelque chose entre nous, impossible de le nier, mais à mon sens, c'est davantage un effet secondaire de la Force plutôt que… enfin, vous comprenez. Peut-être mieux que je ne comprends.

- Et tu crois qu'il aurait des vues sur moi ?

- Pour l'instant, je n'ai pas détecté chez lui des émotions de ce genre à votre encontre, mais je ne suis sûre de rien. Je ne connais pas vraiment les critères chez les Humains, mais si j'en crois les impressions que j'ai pu relever autour de vous… vous êtes une très belle femme. Bien des Humains ont eu de suaves pensées en vous voyant.

- Tu as raison, on va mettre les choses au point tout de suite, et on n'aura plus besoin d'en parler : Liam est un charmant petit gars, mais tu peux être tranquille. Sur ce plan-là, il ne m'intéresse pas du tout. D'abord, ce n'est qu'un gosse, même s'il n'y a pas beaucoup d'années qui nous séparent, il n'a pas la maturité dont la plupart des femmes Humaines ont besoin, et deuxièmement, je ne me vois pas du tout me mettre en ménage pour le moment.

- Ah… bon.

- Et puis, je vais peut-être te choquer, mais je préfère la compagnie des filles.

Chi'ta sursauta, et recula de quelques mètres, effrayée.

- Hé, ne t'affole pas ! De toute façon, tu n'es vraiment pas mon genre !

La jeune Drall se calma un peu, tenta un petit sourire gêné. Puis elle se détendit complètement, et ferma les yeux. Son esprit glissa lentement sur l'onde chaude…

Elle se réveilla en sursaut. Elle vit que la nuit était tombée, et qu'Ezra était sur le pas de la porte, prête à quitter la Maison des Bains.

- Quoi ? Oh !

- Hé, ça ne va pas ?

- Qu'est-ce que… ?

- Ca fait une heure que je suis sortie de ce bassin, et tu n'as pas bougé ?

- Une heure ? Mais je n'ai rien vu passer !

- Ohé ! Chi'ta ?

Liam appelait au-dehors. La jeune Drall sortit prestement de l'eau, et se dirigea à petits pas nerveux vers la fenêtre. En se penchant, elle vit l'adolescent, mains sur les hanches, qui attendait.

- On devrait y aller, maintenant, il se fait tard.

- Oui, tu as raison, on arrive !

- « On » ? Y a quelqu'un avec toi ?

- Oui, le docteur Lohrn.

- Ah ? Bon, je vous attends.

Chi'ta se secoua, ébouriffant sa fourrure, puis se sécha, alla chercher son kimono, le passa, et rejoignit Ezra qui l'attendait au pied de l'escalier.

- Allez, on y va.

- Je vous suis, docteur.

- Dis-moi… ça veut dire quoi, « Martouf » ?

Chi'ta s'arrêta net entre deux marches, et dévisagea Ezra d'un air intrigué.

- Quel mot venez-vous de prononcer ?

- Pendant que tu dormais, tu as murmuré plusieurs fois ce mot… « Martouf ». C'était quoi ? Un nom ? Un lieu ?

- Je… je n'en sais rien du tout.

Le docteur Lohrn haussa les épaules, et sortit de l'établissement. Mais la jeune fille resta plongée dans une profonde interrogation pendant de longues secondes. Puis, finalement, elle n'y pensa plus, et trottina rapidement vers les deux Humains.

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