La Trilogie de l'Expansion

Chapitre 6 : Héritage de sang

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:23

Deuxième partie : intrigues, complots et Résurgences

Episode VI : héritage de sang

Plusieurs coups résonnèrent sur le bois de la porte. Toréa, plus agacée qu'effrayée, cria juste à travers la cloison :

- Allez, vas-y, cogne ! Tu peux toujours courir, je ne t'ouvrirai pas !

- Déconne pas, chérie, je sais que tu ne peux pas te passer de moi ! hurla une grosse voix rauque à travers la porte.

- Va te faire voir chez les Trandoshens, espèce de porc !

- C'est chez toi que je veux aller me faire voir, mamour ! Allez, me laisse pas sur le palier, j'ai des douleurs dans le slibard !

- Alors fous-toi des glaçons dedans !

On cessa de cogner. La jeune Wroonienne poussa un soupir de soulagement. Elle passa ses doigts délicats dans ses mèches tressées, et eut un petit sourire satisfait. Un bruit de blaster la fit sursauter, et elle plongea derrière le canapé miteux. La serrure de la porte avait fondu sous l'impact. Puis un énorme Gotal entra dans le petit appartement, arme au poing. En se relevant, elle cria :

- T'es malade ! C'est ma porte !

- C'était ta porte, chérie. Blast, t'es encore plus excitante que dans mon souvenir !

Dérangée à une heure tardive, la jeune Wroonienne portait juste un débardeur et une petite culotte. D'ordinaire, Toréa était une femme souriante, intelligente, au verbe parfois cru et au cœur toujours tendre. Comme tous ses compatriotes de Wroona, elle avait la peau bleutée et une forte personnalité. Et précisément, elle n'était pas du tout d'humeur à sourire.

- Kurzuf, je t'ai déjà dit que je ne voulais plus te voir !

- Tu causes, mais en fait, je connais les gonzesses ! Vous ne pouvez pas vous empêcher de dire le contraire de ce que vous pensez ! Tu fais ta mijaurée, mais la vérité, c'est que tu rêves de moi chaque fois que tu dors !

Le Gotal s'approcha de la jeune femme, et lui colla carrément les mains sur les fesses avant de la serrer contre lui. Elle se débattit et martela sa poitrine de ses petits poings, ce qui ne fit qu'exciter davantage Kurzuf. Tendant un bras en arrière, Toréa saisit une bouteille sur l'évier, et frappa la corne du Gotal. Celui-ci grogna de douleur, et renversa la jeune femme d'une violente claque. Elle tomba sur le carrelage, sonnée.

- Chienne vérolée ! Je devrais t'égorger tout de suite ! Regarde ce que tu as fait, pouffiasse ! Une veste que j'avais payée cent crédits ! Tu vas me payer ça ! Faut d'abord que je me nettoie. Tu perds rien pour attendre !

Kurzuf cracha sur la Wroonienne, et se dirigea vers le fond de l'appartement. La jeune femme sentait une larme amère glisser le long de sa joue bleue, mais elle se releva, résignée à affronter son agresseur. Elle ouvrit un tiroir, et sortit un couteau de cuisine. Un tir de blaster le lui arracha des mains.

- N'y pense même pas, poulette ! gronda une autre voix derrière elle.

Toréa paniqua en voyant un gros Klatoonien qui la tenait en joue avec son fusil. De la salle de bains, la voix de Kurzuf beugla :

- Toréa, mais qu'est-ce que tu fous, putain ?

- T'inquiète, vieux, je maîtrise ! répondit le Klatoonien.

- Ah, d'accord. Tiens-là bien à l'œil, j'arrive dans une minute !

Le Klatoonien s'assit à califourchon sur une chaise, sans dévier son arme de la tête de la jeune femme.

- Oh-ho ! J'en connais une qui va vite passer à la casserole ! J'en ai les bonbons qui me démangent !

- Bâtard…

- Tu changeras de ton quand on t'aura appris les choses de la vie, poupée ! Hé, en attendant que les autres arrivent, tu vas me sortir une mousse, au trot !

Toréa voyait son avenir proche de plus en plus embarrassant. Son visage se crispa d'anxiété, alors qu'elle se tourna docilement vers le réfrigérateur.

Dans la salle de bains, Kurzuf le Gotal se réjouissait tout en se passant de l'eau sur le crâne. Comme tous les Gotals, sa paire de cornes lui permettait de détecter les émotions générales qu'éprouvaient ses interlocuteurs. Il n'y avait pas à se tromper, Toréa avait éprouvé de l'espoir et une certaine excitation qu'il avait immédiatement traduit comme de l'envie sexuelle. En chantonnant, il finit de se sécher la tête, lorsqu'un petit bruit à sa droite attira son attention. Il se retrouva nez à nez avec le canon d'un blaster.

- Salut, pauvre tache !

Devant lui se tenait un Humain. Enfin, c'était une façon de parler car il était tête en bas, les jambes enroulées autour d'une barre des escaliers de secours. C'était un grand homme, au visage buriné, et aux longues nattes rasta pendantes. Il tenait un blaster lourd à travers la fenêtre. Le Gotal fut surpris, mais ne se démonta pas.

- Qui t'es, toi ? Le plombier zingueur ?

- Non, mec, je suis le vigile. Je fous dehors les casse-noisettes comme toi.

- Tu te fous dans la merde, cow-boy. Je suis pas seul, y a quatre potes avec moi.

- Quatre ? Seulement ? Mince, ils n'ont aucune chance !

- Tu crois que tu pourras te faire quatre bonshommes en rut armés jusqu'aux dents ?

- Ouaip. Mais tu ne seras pas là pour le voir !

Et d'un geste, l'homme saisit d'une main une aiguille Zenji dissimulée dans sa coiffure rasta, et la lança vers Kurzuf. Elle se planta juste entre les deux yeux du Gotal qui s'étala dans la baignoire avec un bruit flasque.

Dans la cuisine, l'homme-chien dévorait du regard la jeune Wroonienne.

- Dis donc, chérie, t'as vu ce que t'as fait ? Y a plein de lum sur le plancher !

- Et alors, ça te pose un problème ?

- Ca fait sale, on se croirait dans une porcherie. Quand les copains vont arriver, ils vont croire qu'un gros dégueulasse a pas pu se retenir jusqu'aux chiottes.

- Rien à faire.

- Allez, tu peux pas laisser ça comme ça ! Faut que tu nettoies !

- Vas-y, toi, si tu veux !

- T'as pas compris, la garce ! Toi, tu passes la serpillière ! Et tu fais ça en me tournant le dos, et dandine bien de la croupe, surtout !

Toréa se mordit la lèvre, jeta un petit coup d'œil vers la salle de bain, visiblement inquiète.

- T'occupe pas de lui, il va arriver pour passer le premier, alors autant que je profite du spectacle de ta petite croupe rebondie avant qu'il ne la défonce. Allez !

La jeune Wroonienne se sentit blessée dans son amour-propre, mais s'exécuta, tremblante. À genoux, elle passa le tissu humidifié sur le carrelage. Elle vit alors au bout du couloir la porte s'entrouvrir, et le canon d'un blaster sortir lentement…

- Continue, poupée bleue ! Et remue-toi plus que ça !

Le blaster aboya, atteignant le Klatoonien dans l'abdomen. Il s'effondra avec un gargouillis étranglé. La porte s'ouvrit complètement sur Canderous Tal.

- Blast ! J'ai eu peur que l'autre salaud t'ait repéré !

- T'en fais pas pour lui, il n'emmerdera plus jamais personne. Toi, ça va ?

- Ce connard a cru qu'il pouvait me mater, mais j'espérais que tu viennes le calmer.

- Bon, je t'aiderai à nettoyer.

- Attends ! Y en a d'autres qui sont censés venir.

- Je sais, l'autre cochon a dit qu'il y en aurait quatre. En voilà un, plus qu'à attendre les… une seconde !

L'Humain bondit vers la fenêtre, se plaqua contre le mur, jeta un coup d'œil.

- Un speeder vient d'arriver, il y a un Askajien, un Rodien et un Mrlssti.

- T'es sûr que ça ira ?

- Tu me connais, tu sais à qui ils vont avoir affaire, contrairement à ces petits rigolos. Maintenant cache-toi quelque part, je m'en occupe.… Non, attends ! J'ai une idée !

Déjà on entendait leurs voix dans la cage d'escalier. Canderous ouvrit la porte d'entrée, agrippa le corps lourd du Klatoonien, et le lança sans ménagement. Il s'écrasa dans un grand bruit sur le petit Mrlssti, le broyant sous son poids. Le gros Askajien sortit prestement son arbalète laser, et le Rodien tira deux vibro-dagues de ses manches. Ils montèrent à toute allure jusqu'à l'étage où était l'appartement de Toréa. Quand ils franchirent la porte, ils ne trouvèrent personne.

- Sortez de là !

- Allez, on vous a grillés, misérables poltrons !

Les deux voyous avancèrent jusqu'à la porte du fond. Le Rodien tira un grand coup sur la poignée, prêt à jeter ses dagues. Il vit seulement la fenêtre ouverte d'où provenaient les bruits des speeders dans la rue, et le Gotal dans la baignoire.

- Merde alors, Kurzuf est mort !

- Sans blague ! C'est quand même pas cette pouffe qui l'a dessoudé ?

Un petit bruit retentit sur le tapis absorbant, alors qu'un petit objet rebondit à leurs pieds.

- Grenade !

Épouvantés, les deux compères tournèrent les talons et se précipitèrent vers la sortie. Mais à peine avaient-ils regagné la cuisine que l'Humain bondit hors de la penderie, et les abattit coup sur coup de son arme. Il rengaina, satisfait, fit quelques pas vers la salle de bain, récupéra la grenade désamorcée qu'il gardait pour ce genre de ruse, retira de la tête du Gotal son aiguille, et appela :

- C'est bon, tu peux redescendre, ils ont compris la leçon !

Toréa se laissa descendre par la fenêtre. Le mercenaire la rattrapa et la déposa doucement sur le sol.

- Désolée pour le bazar, si j'avais su que ces saligauds viendraient…

- T'inquiète, j'ai toujours adoré jouer au tir aux mynocks.

- Bon, je vais te passer les infos.

La jeune Wroonienne se glissa dans sa chambre, pendant que l'Humain jeta les trois autres cadavres par l'une des fenêtres de l'escalier, celle qui donnait sur la benne à ordure.

- Voilà votre cinq étoiles !

- Tiens !

Toréa revint avec un disque de données, qu'elle mit dans la main du mercenaire. Celui-ci l'examina attentivement sous tous les angles.

- Mh-mh… tu es sûre que ces informations sont fiables ?

- Certaine, vu chez qui j'ai dû aller les piocher.

Canderous sortit de son portefeuille une liasse de billets, et la tendit à la jeune femme. Elle compta rapidement l'argent, et le rangea dans un tiroir.

- Hé, Canderous, c'est vraiment sympa de t'occuper de moi, comme ça.

- Bah, tu prends des risques, faut bien qu'il y ait des compensations.

- Non, mais je veux dire, par rapport aux dégénérés comme ça… et puis ce que tu me donnes va bien au-dessus de mes tarifs habituels.

- Tu connais l'adage : les petits cadeaux entretiennent l'amitié. Et puis j'ai tout intérêt à entretenir un bon investissement sur un contact aussi efficace !

Le mercenaire allait partir, quand la Wroonienne lui demanda :

- Pourquoi tu fais tout ça pour moi, Canderous ?

- Parce que si je devais choisir une seule personne à défendre dans cet univers pourri, sans hésiter, ce serait toi.

- Même en comptant les deux petits gosses dont tu m'as parlé, qui ont l'air gentils ?

- Ouais. Je les aime bien, mais je t'aime bien aussi… d'une autre façon.

Toréa sourit, et donna un petit baiser à Canderous. Alors qu'il allait franchir la porte de l'appartement, elle lui demanda encore :

- Attends une minute ! T'es obligé de partir maintenant ?

Il ne réfléchit qu'un instant.

- Non, je peux rester encore un peu.

Il reposa son manteau, et avec un sourire entendu, la jeune femme le prit par la main et l'entraîna jusqu'à sa chambre.

Les rayons du soleil pénétraient dans la chambre, par les interstices des lourds rideaux de la suite. Malgré les fenêtres fermées, Chi'ta Koskaya pouvait entendre le chant des centaines d'oiseaux colorés de l'île d'Estalle. La petite Drall cligna des yeux, s'étira avec satisfaction. Elle sortit du lit, alla se doucher, puis se sécha et passa son kimono avant de sortir, en glissant son sabre-laser sous la ceinture de tissu. En marchant dans le long couloir, elle sifflotait une petite chanson de sa planète natale, de bonne humeur, lorsqu'elle vit quelque chose par l'une des fenêtres qui la fit s'arrêter sur place. Elle colla son nez à la fenêtre, surprise par ce qu'elle venait de voir.

Cette fenêtre donnait dans la cour de l'ambassade, où les vaisseaux de passage pouvaient stationner, il y avait une navette, et une délégation était en train d'en descendre. Ce spectacle avait déjà quelque chose d'inhabituel. Bien sûr, depuis le temps qu'elle habitait l'ambassade Pelagia, elle avait vu de nombreuses délégations de ce genre. Mais il y avait deux éléments qui rendaient cette visite extraordinaire. D'abord, en temps normal, le Haut Seigneur Paddox recevait les représentants de puissance politique l'après-midi seulement, ensuite il y avait trois fois plus de gardes que d'habitude autour de la navette. Ce n'était pas étonnant, car elle reconnut sur le fuselage de l'appareil le blason de la Maison Mecetti. Elle sentit soudain une sueur froide.

Mais que font-ils ici ? Je dois vite prévenir Liam.

Elle pressa le pas jusqu'au rez-de-chaussée. En passant par l'extérieur pour se rendre au réfectoire, elle vit Liam assis à une table, qui sifflotait en manipulant des outils qu'il sortait d'une grosse boîte posée près de lui.

- Bonjour !

- Oh, salut, Chi'ta ! La pêche ?

- Oui, je vais bien, merci. Tu as l'air aussi en pleine forme.

- Parce que je le suis !

Liam était en train de bricoler la sphère d'entraînement dont il se servait pour ses exercices au sabre-laser.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Eh bien… ce qui s'est passé sur Gamorr m'a donné à réfléchir.

- Comment cela ?

- Il y a quelques mois, quand nous nous sommes rencontrés, nous avons fait connaissance avec Ari Quayle, l'assistante de la bibliothécaire, m'dame Mal-Roh. Ari se croyait menacée par un ennemi inconnu qui aurait bouté le feu à tout un quartier pour la tuer. Le jour même, il y a un cafard géant qui entre dans sa chambre. Puis, il y a un tireur embusqué qui tente de nous abattre, un speeder qui s'écrase près de notre chambre… bon, je n'étais pas sûr, mais à notre dernière sortie, on a eu droit le même jour au cafard et à la bombe dans le vaisseau. Peut-être bien qu'au début, seule Ari était en danger, mais maintenant je commence à me demander si ce danger ne s'étend pas à nous, désormais.

- C'est malheureusement vrai. Il faut bien le reconnaître, cela fait partie de la vie des Jedi, nous sommes régulièrement exposés aux différentes menaces. Mais donc, ce module ? Tu veux le modifier pour mieux t'entraîner ?

- Non, je vérifiais juste la sphère au cas où quelqu'un de malveillant aurait remplacé la batterie électrique par un vrai blaster.

- Ah, je vois. Excellente initiative ! Tu as trouvé quelque chose ?

- Non, rien. C'est pourquoi je suis en train de la refermer.

Liam rebranchait un par un les câbles d'alimentation et les circuits intégrés de la sphère. Chi'ta s'assit face à lui.

- Tu sais qu'il y a une délégation Mecetti dans l'ambassade ?

Liam leva le visage vers la petite Drall, l'air très étonné.

- T'es sérieuse ?

- J'en ai bien peur.

L'adolescent réfléchit quelques instants, mais fit un vague geste de la main avant de reprendre son travail.

- Bon. Je suppose qu'ils ont une bonne raison de venir. Voilà, c'est terminé !

Liam referma le capot et s'essuya les mains, satisfait. Il appuya sur le bouton d'allumage de la sphère, puis alluma son sabre-laser. Celle-ci décolla, se mit à planer à un mètre au-dessus du sol. Liam bondit de la table avec un flip-flap arrière et fit face à la sphère d'entraînement. La sphère tournait lentement sur elle-même tout en montant et descendant régulièrement, avec de petits sifflements de vapeur. L'adolescent marchait à pas lents autour de la sphère, prêt à frapper. Le drone tira coup sur coup trois décharges d'énergie, et Liam les para toutes les trois sans difficulté. Chi'ta le contemplait, de plus en plus captivée. En effet, il était de plus en plus audacieux, se permettant des figures acrobatiques élaborées tout en continuant de renvoyer les tirs. Il dansait d'un pied sur l'autre, faisait des tours sur lui-même, et resta même un instant en équilibre sur une main, et maniant le sabre-laser de l'autre. Puis il éteignit son sabre, et se rassit. La sphère se posa d'elle-même sur son socle posé sur la table. L'adolescent s'épongea le front.

- Très impressionnant.

- Bah, je devrais peut-être monter le niveau de difficulté, ça devient un peu trop facile. Il est réglé au niveau « trois sur dix ». Le pain quotidien des Jedi Gardiens.

- Cela fait un petit moment que je ne me suis pas entraînée.

- Tu veux essayer ?

- Euh… pourquoi pas ? Mais je t'en prie, baisse la difficulté.

- Pas de problème, je la règle au minimum.

L'adolescent ouvrit la petite trappe à l'arrière de la sphère, régla le curseur sous les yeux de Chi'ta, et la reposa.

- Elle prendra son envol en voyant la lame d'un sabre-laser.

- Je sais, je sais.

La petite Drall se leva, et fit face à la sphère d'entraînement. Elle sortit lentement son sabre-laser de sa ceinture, et l'alluma. La sphère réagit aussitôt et décolla. Tenant fermement la poignée de la main gauche, Chi'ta leva son arme, son visage verdoya sous l'effet de la lumière de la lame laser. Elle guettait la moindre réaction du petit globe argenté. Le trait orange vif partit et la jeune fille, touchée au bras, sursauta, et éteignit vite son arme.

- Ouille ! Je devrais faire plus attention.

- C'est rien, c'est rien.

- Je dois avouer, à ma grande honte, que le cours du maniement de l'arme traditionnelle de l'Ordre est celui dans lequel je me sens le moins à l'aise… mais je vais réessayer !

- T'es sûre ?

- Liam, je n'aime pas me battre, mais j'aimerais pouvoir faire plus qu'agiter mon sabre-laser en sifflant la prochaine fois que nous nous ferons attaquer.

- Okay.

La jeune fille releva son sabre-laser, Liam observa :

- J'avais remarqué que tu es gauchère, mais es-tu sûre de toi en le tenant comme ça, avec juste une main ?

- Euh… oui, je crois.

- Mon Maître m'a expliqué que le sabre-laser est une arme complexe, à la fois lourde et légère. Seul un combattant expérimenté et d'une certaine force physique peut se permettre de le manier comme ça.

- Pourtant, un sabre est léger. Peut-être un peu trop, même, si l'on estime mal le poids de cette arme, on risque justement de se blesser.

- Le problème n'est pas l'arme, mais l'adversaire. Tant qu'il s'agit d'arrêter un tir, ça peut aller, mais peut-être qu'un jour, tu affronteras quelqu'un qui sera beaucoup plus grand et plus costaud que toi, et qui pourrait te battre facilement si tu essaies de parer ses coups, en te fatiguant de plus en plus le bras.

- Comment tiens-tu un sabre-laser à deux mains ?

- Ben, très simple : moi, en tout cas, je mets ma main directrice sur la partie supérieure de la poignée, puis l'autre en dessous.

- Peux-tu me guider ?

- Si tu veux.

Liam se releva, passa derrière la petite Drall. Il posa délicatement ses mains sur ses doigts duveteux, et les positionna doucement. Il ne put s'empêcher d'éprouver une sensation plaisante en sentant la douce fourrure dorée de la jeune fille onduler au contact de ses mains. Chi'ta le regarda par-dessus son épaule, avec un étrange regard malicieux assorti d'un petit sourire en coin.

- Une de mes condisciples du Praxeum m'a dit un jour que les mâles de l'espèce Humaine adoraient caresser les phalanges des femelles.

L'adolescent rougit violemment, et retira prestement ses mains, avant de reculer d'un mètre. Chi'ta se retourna, et lui dit avec un sourire plus conciliant :

- Je voulais juste voir si c'était vrai… J'espère que tu ne prendras pas mal cette petite ruse ?

- Non… c'est moi qui suis désolé si je t'ai gênée.

- Du tout, sois sans crainte. Ce n'est pas désagréable. D'autres races ont des signes d'affection bien moins délicats. Chez maître Dankin, par exemple, la cérémonie d'union ressemble plus à une lutte acharnée. Et sur Kashyyyk… Tu savais que chez les Wookiees, on a recourt à des coups violents ?

- Ah, non. Et… sur Drall ?

- Pour montrer leur affection, les Dralls aiment se frotter mutuellement le museau.

Liam se demandait si elle allait lui proposer d'essayer, mais le visage de la jeune fille se fronça et elle siffla d'anxiété, alors qu'elle apercevait quelque chose derrière lui. Entendant un bruit de pas, il se retourna, et bondit presque. Un droïd de protocole flambant neuf se dirigeait vers eux, accompagné de quatre gardes aux armures ornées des couleurs de la Maison Mecetti, eux-mêmes escortés d'une dizaine de soldats Pelagia menés par le sergent Gill. Le couvercle facial du droïd affichait une expression sévère. Le design de sa carrosserie corporelle donnait l'impression qu'il portait un costume trois pièces. Le blason Mecetti était incrusté sur son torse, à hauteur du cœur. Il prononça d'une voix grinçante :

- Liam Kincaid ?

L'adolescent considéra le droïd avec méfiance.

- Êtes-vous Liam Kincaid, jeune Humain ? Répondez, s'il vous plaît !

- C'est bon, j'ai entendu ! Oui, je suis Liam Kincaid.

- Je me présente : K4-D0, je représente la Maison Mecetti.

- J'ai compris, tas de ferraille ! Si c'est Nycator qui t'envoie, on n'a rien à se dire !

- Le nom de Don Nycator figure bien dans mes dossiers relatifs à la composition de la Maison Mecetti, mais il n'a rien à voir avec ce qui nous concerne.

- Alors qu'est-ce que tu me veux ?

- J'ai à vous parler d'affaires importantes dans un lieu plus propice que ce jardin.

K4-D0 fit pivoter sa tête en direction de la jeune fille.

- En privé.

- Chi'ta est mon amie et ma condisciple, je n'ai rien à lui cacher.

- Je regrette, mais mes instructions sont nettes et précises. Je ne peux vous délivrer ce message que seul à seul. Libre à vous de le divulguer ultérieurement.

- Vous voulez me voir seul, ou avec vos gardes ?

- Nous pourrons nous isoler dans une pièce fermée sans eux. La confidence s'applique à tous.

Liam leva un regard interrogateur vers le sergent.

- Sergent Gill ?

- Le Haut Seigneur Paddox a déjà préparé son cabinet privé. Ce droïd pourra vous dire ce qu'il a à vous dire.

- Peut-on vérifier s'il n'est pas chargé d'explosifs ? demanda alors une voix forte, agrémentée d'un accent des mondes-jungles.

L'adolescent eut un petit sourire en coin en voyant arriver Grennan, le chasseur de primes Chiss.

- Qui êtes-vous, homme de Csilla ? demanda K4-D0 avec autorité.

- Je suis le bonhomme qu'on a engagé pour garder un œil sur ces deux mouflets. Ma patronne m'a recommandé de donner un seul avertissement en cas de problème, puis de flinguer en cas d'insistance.

- Je vous conseille de l'écouter, recommanda le sergent Gill. Et à ce propos, jeune Liam, vous en faites pas, on l'a scanné avant qu'il ne descende de la navette, il est clean. Ni arme, ni matériau instable.

- D'accord, je vous suis. J'en n'ai pas pour longtemps, ajouta l'adolescent à l'adresse de la petite Drall.

Un instant plus tard, Liam était dans le petit bureau avec le droïd.

- Alors, qu'y a-t-il de si important ?

- Désolé d'avoir interrompu votre tentative maladroite de séduction, mais ce que j'ai à vous dire ne souffre d'aucun délai, répondit le droïd sans la moindre trace de regret dans la voix.

- On commence mal, boîte à conserves !

- Je vous rappelle qu'en tant que délégué de la Maison Mecetti, tout comportement agressif ou injurieux à mon égard pourra être considéré comme un incident diplomatique. Cela fait déjà la deuxième fois que vous me désignez d'une manière désobligeante, monsieur Kincaid. Une troisième ne sera pas acceptée.

L'adolescent imagina le droïd cabossé et amputé d'un bras ou d'une jambe dans une brocante sur un monde isolé, avec un client qui discutait âprement avec le marchand sur le prix du métal au kilo. Cette idée le fit rire, ce qui ne fut pas au goût du droïd.

- Bien, si vous trouvez ça drôle, alors tout va bien…

- Allez, qu'est-ce que j'ai donc à voir avec les Mecetti ?

- J'ai été envoyé par Maître Shaun, avocat au barreau assermenté de la Maison Mecetti. D'après nos données, il ne fait aucun doute possible sur le fait que, de par votre patrimoine génétique, après trois générations et quelques degrés, vous êtes l'héritier le plus jeune encore en vie du Baron Lucian Hejaran de Mecetti.

L'expression du visage de Liam passa de l'incrédulité à la stupéfaction, puis à l'incompréhension la plus totale.

- Quoi ? Moi ? Un… un… Mecetti ?

- Telle est la conclusion de nos recherches.

- Non ! C'est impossible ! Écoutez, je connais mes parents, ils s'appellent Larrad et Winry Kincaid. Ils vivent dans les niveaux inférieurs de Coruscant, s'ils ne sont pas déjà morts du petit banditisme ou d'autre chose.

- C'est exact, mais connaissez-vous vos grands-parents ?

L'adolescent réfléchit quelques instants, mais ne répondit pas. K4-D0 continua :

- Cela fait au moins quatre personnes qui sont inconnues à votre actif. Or, je dois vous dire que l'une d'entre elles s'avère être Ry'vla Hejaran, cousin du Baron Lucian Hejaran. Un jour, Salek Hejaran, le fils unique de Ry'vla Hejaran et son tout jeune fils ont été enlevés et rançonnés, mais quand Ry'vla Hejaran a voulu négocier, l'opération a échoué. Salek Hejaran a été abattu. Son père, Ry'vla, a sombré dans le désespoir. Son épouse est morte de chagrin. Quant à l'enfant, on ne l'a jamais retrouvé, enlevé par l'un des pirates. Cet enfant a alors été déplacé de planète en planète jusqu'à Coruscant, où nous supposons qu'il a été adopté par des locaux. Cet enfant s'appelait alors Eldon Hejaran, mais sur Coruscant, il a été rebaptisé Liam Kincaid.

- Et donc, vous croyez que c'est moi.

- Ce n'est pas une croyance, mais une certitude.

- Et comment avez-vous fait pour me retrouver ?

- Très simple. Pendant le Grand Concours Galactique de Sciences de la Robotique qui s'est déroulé sur Amphor IV, il y avait Maître Shaun, venu acheter un droïd de la meilleure qualité. Pendant l'émeute qui a éclaté, il a vu votre image à l'holovision. Il a alors fait une analogie entre vous et l'un des lointains parents disparus du Baron. Il a fait son enquête sur vous, et les recherches ont conclu que vous partagiez les gênes de Salek Hejaran. Je vous laisse juger :

Le droïd projeta sur le mur une grande image, scindée en deux. Sur la partie gauche, on voyait la reproduction d'une peinture qui représentait un petit jeune homme, nommé d'après la légende « Salek Hejaran ». S'il n'était pas un sosie parfait de Liam, il lui ressemblait de manière très troublante. Même regard, même port, même silhouette menue. Cette ressemblance était facile à vérifier car sur la partie de droite, on voyait un autre portrait, celui de Liam, inconscient, debout dos au mur à toise du quartier sécuritaire d'Industrial Automaton. Ce dernier détail rendit Liam très nerveux.

- Ne vous en faites pas. Les circonstances de votre passage dans cette administration ne nous intéressent pas. Maître Shaun a immédiatement contacté sa seigneurie le Baron Lucian Hejaran. Sa seigneurie s'est empressée de payer votre caution afin que vous puissiez sortir. Nous avons pris alors les dispositions nécessaires pour vous faire venir auprès de nous.

- D'accord… et quand dois-je rencontrer le Baron ?

- C'est avec regret que je dois vous annoncer que l'honorable Baron vient de décéder, mais auparavant, il s'est empressé de modifier son testament en votre faveur. L'héritage inclut une large compensation pécuniaire ainsi qu'un titre de noblesse avec tous les droits et privilèges impliqués. Vous devrez réclamer cet héritage en personne au château Hejaran.

- Où c'est ?

- Sur la lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit, située dans le système Pella. Notre navette pourra vous y conduire, ainsi que les compagnons de votre choix.

- Ah… bon, voilà qui est plutôt inattendu, mais bon.

Quelques minutes plus tard, Liam avait tout raconté à Grennan et à Chi'ta. Celle-ci ne fut pas rassurée.

- Quelle histoire incroyable ! Cela ne m'inspire guère confiance.

- Ouais, ça tu peux le dire ! Alors tu serais en fait le rejeton d'une baronnie snob des Mecetti ? C'est difficile à avaler, cette histoire !

- Le droïd m'a ordon… enfin, « vivement prié » de venir me présenter à l'ouverture du testament qui aura lieu d'ici deux jours. La navette part dans six heures, mais j'ai le droit de demander à quelques personnes de venir. J'ai pensé à vous, mais…

- Tu vas vraiment y aller ? Cette histoire-là pue encore plus fort qu'un fromage de Kashyyyk !

- C'est justement ce que j'allais dire, Grennan. J'aimerais que vous m'accompagniez, mais je ne veux pas vous faire risquer votre vie à l'insu de votre plein gré.

Le Chiss fit mine de recharger son disrupteur avec un sourire entendu.

- C'est pas un problème, ça justifiera ma paie. Depuis qu'Ezra est partie, je manque un peu d'exercice.

- Moi aussi, je te suivrai, Liam, mais es-tu sûr que ce n'est pas une vilaine ruse pour t'embarquer dans une sombre histoire politique ?

- Euh… je ne sais pas. D'un côté, j'avoue que ça sent vraiment le piège, de l'autre, j'aimerais quand même vérifier ce que cela signifie vraiment.

- Tu connais tes parents, non ?

- Oui, en effet. Enfin… on ne se voit pas très souvent, la dernière fois remonte à un peu moins d'un an.

Chi'ta repensa à ce que Liam lui avait raconté dans le Tombeau du Veilleur. Elle ne put s'empêcher de dire :

- Tu n'es pas obligé de nous en parler, si ça te dérange.

- Ca pourrait déranger ? Okay, petit, te bile pas.

- Laisse tomber, Grennan, je ne suis pas le seul gamin qui a des difficultés relationnelles avec ses vieux. Mais bon, à ce que je sache, ils sont toujours en vie pour le moment. Ils ont les coordonnées du Praxeum, s'il devait leur arriver quelque chose, je serais rapidement prévenu.

- Donc, ce que t'a raconté ce droïd ne tient pas debout.

- C'est difficile à dire, Grennan… Dans le fond, je tiens à eux, mais bon, peut-être que ce ne sont pas mes parents biologiques ? Dans les bas-fonds de Coruscant, difficile de construire avec certitude un état civil, je n'ai eu ma première carte d'identité qu'après avoir rencontré Duncan Blackstorm.

- Qui ça ?

Liam regarda Grennan un peu surpris, puis réalisa :

- Ah oui, c'est vrai, tu n'as aucune raison de le connaître de près ou de loin. Duncan Blackstorm était le Jedi qui a révélé mon affinité avec la Force, puis conduit à l'académie Jedi.

- D'accord. Et donc ?

- Physiquement, je tiens un peu de ma mère, mais à ce que je sache, elle n'est pas sensible à la Force, pas plus que mon père, et ce que ce dit ce droïd pourrait être vrai. Et puis, il y a le portrait.

- C'est peut-être seulement une coïncidence, suggéra la jeune fille.

- J'aimerais quand même aller vérifier. Un test génétique, quelque chose comme ça.

- Et puis, je viens de penser à autre chose, Liam.

- Quoi donc ?

- Eh bien… imagine que tu soies effectivement intégré à une maison de la Famille Mecetti. Est-ce qu'ils ne risqueraient pas de te faire épouser quelqu'un d'une autre Maison, pour créer une alliance politique intéressée ? S'il s'avérait que cette histoire était véridique, si tu es bien Eldon Hejaran, ne penses-tu pas qu'il pourrait s'agir d'une ruse ? D'un plan pour que les Mecetti puissent compter dans leurs rangs un Jedi qui serait en bons termes avec les Pelagia et les Cadriaan ? Enfin, remarque, maintenant que j'y pense… ce domaine se trouve sur quelle planète ?

- Dans le système Pella. Plus précisément, la Lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit.

La petite Drall se gratta le crâne juste entre les deux oreilles.

- Pella, Pella… laisse-moi réfléchir. Ah, je me souviens ! C'est un système très isolé, d'après les documents que j'ai pu lire sur ce secteur. Ce n'est pas l'un des principaux systèmes des Mecetti, si je me remémore les pages des livres de géographie sectorielle que j'ai consulté depuis mon arrivée ici. C'est probablement un monde isolé, qui pourrait être bien loin des intrigues d'Obulette.

- Quand est-ce que nous partons ?

- La navette décolle dans une demi-douzaine d'heures, d'après le droïd. Cela devrait nous laisser un peu de temps pour faire quelques vérifications.

- De quelles vérifications tu parles, Liam ?

L'adolescent inspira, chercha ses mots et expliqua d'un ton dégagé :

- Eh bien, Grennan, il est temps que nous t'éclairions un peu sur ce que nous connaissons des intrigues géopolitiques auxquelles nous sommes mêlés. J'ai pas mal réfléchi. Depuis mon arrivée sur Procopia, il y a eu pas mal de choses assez bizarroïdes. Au début, je n'étais pas très concentré, pour des raisons que je ne peux pas encore te dire tout de suite, mais en y réfléchissant, j'ai vu que pas mal de questions sont restées sans réponse.

- D'accord. Genre ?

- Quelques jours avant que je ne vienne sur Procopia pour les rejoindre, Canderous, Morgreed et Chi'ta ont affronté un type, un cousin de Dame Bathos de Cadriaan, nommé Niklas Veiler. Il a attaqué un train qui transportait Dame Liryl et ses gardes. Il a fait ça avec un appareil de la technologie DarkStryder.

- La technologie DarkStryder ? C'est pas ce dont parlait l'enregistrement qu'on a trouvé dans SE-2-4 ?

- Précisément, maître Grennan.

- Et c'est quoi, exactement cette technologie ? En deux mots ?

Liam réfléchit quelques instants, puis dit juste :

- Des petits appareils qui carburent avec des cristaux magiques qui font un effet bœuf chaque fois qu'on appuie sur le bouton « on ».

- Okay, et donc vous avez été attaqués par un gugusse qui utilisait un de ces trucs.

- C'est cela même, maître Grennan. Nous l'avons neutralisé, il a été arrêté, puis enfermé… mais on n'a jamais pu l'interroger, il avait complètement perdu la raison, probablement à cause d'une mauvaise utilisation de ce module qui lui aurait peut-être endommagé le cerveau.

- Et il y a quelques jours, il a été empoisonné dans sa cellule. Et comme par hasard, l'infirmier qui le nourrissait, Hog Scarter, est mort le lendemain d'un accident électroménager. Et comme si ça ne suffisait pas, sur le compte en banque de l'infirmier, il venait d'y avoir un joli paquet de fric. Tu parles d'une polarité chance/malchance !

- Ouais, autrement dit, quelqu'un s'est arrangé pour les faire taire tous les deux ! corrigea Grennan. Et donc, tu comptes enquêter là-dessus ?

- C'est pour ça que j'ai demandé à Canderous de nous rejoindre. C'est le seul qui ne soit pas parti, et sa présence ne sera pas de trop.

Grennan conduisait la limousine frappée de l'écusson de la Famille Calipsa, et pouvait écouter toute la conversation. Canderous expliquait aux deux padawans :

- J'ai trouvé les informations sur ce qui va se passer sur l'île Crispos.

- Elles sont fiables ?

- J'ai confiance en ma source. C'est une escort-girl qui prend des risques inimaginables pour obtenir jusqu'à l'oreiller des informations auprès d'individus haut placés. Mais je ne citerai aucun nom. Rien de personnel, mec, dit-il plus haut à l'attention de Grennan, mais je préfère ne prendre aucun risque, cette bagnole est peut-être sur écoute, alors autant limiter les dégâts.

- Ca roule, mec.

- Et donc elle a pu décrocher toutes les informations avec précision sur cette fête. Cet événement est le Gala de l'Unification, il commémore le jour où le seigneur Shey Tapani a unifié le secteur en présentant la carte du Secteur Tapani, il y a environ six mille ans. Bien sûr, au fur et à mesure des millénaires, la carte a changé, il y a eu des conquêtes faites par-ci par-là, mais l'idée de départ était là. La tradition veut que toutes les Maisons fêtent l'événement chaque année. Il y a bien entendu les sept Maisons principales, mais il y en aura d'autres, plus modestes. Les Maisons ne sont pas au complet, il y a en moyenne deux mille invités chaque année. Mais tous les dirigeants des Maisons se doivent de venir.

- C'est bien ce que disait le Haut Seigneur Paddox.

- Oui, en effet. Je suppose que la sécurité doit être particulièrement chiadée !

- C'est le moins qu'on puisse dire, fiston ! En fait, pour éviter toute magouille, la défense est assurée de manière indépendante. Enfin, plus précisément, il y a quatre services, chacun surveillant l'île exactement avec les mêmes moyens.

- Vous voulez dire : le même nombre de gardes, de vaisseaux, d'hydroglisseurs ?

- Oui, Chi'ta. Même nombre de satellites équipés de canons laser, mêmes unités d'hydroglisseurs patrouillant autour de l'île, tous les moyens sont absolument identiques pour tout le monde jusqu'au nombre de chargeurs à fusil. Ce sont les Maisons qui paient équitablement l'addition, selon leurs moyens financiers. Au crédit près, les quatre compagnies facturent exactement le même tarif. Aucune n'est plus ou moins bien rémunérée par rapport à une autre.

- Ouah ! Et pourquoi une telle précision ? questionna le Chiss par-dessus son épaule.

- Très simple. Dans ce genre de rendez-vous, l'une des Maisons pourrait être tentée de donner un petit coup de pouce pour que la sécurité fasse un léger écart d'attention et qu'un malheureux accident se produise. Un service de sécurité indépendant serait théoriquement plus impartial, et donc n'aurait pas intérêt à ne pas relâcher son attention. Dans ce genre de contrat, s'il y a une victime, il est convenu que la Maison affectée ne paie pas sa part à la compagnie de sécurité incriminée, sans parler des complications juridiques.

- Pas mal, comme système.

- Oui, mais ça c'est la théorie. En pratique, l'appât du gain est toujours plus fort. C'est pour ça qu'il y a quatre compagnies de sécurité déployant exactement les mêmes moyens.

- Et… cette politique est efficace ?

- À ce que je sache, fillette, il n'y a rien eu depuis neuf saisons. Maintenant, ces dernières semaines, entre la tentative d'assassinat de Dame Bathos, l'attaque du Paradis Stellaire et la guerre contre les Melantha… ça risque de chauffer.

- Sans parler de ce qui va se passer entre Don Nycator et le gros fumeur à qui il parlait ! ajouta Grennan de son siège.

- Quand nous serons sur cette île, il nous faudra tripler de prudence et d'attention, murmura Chi'ta.

- Ton amie a vraiment pris de gros risques pour ces infos ?

- Probablement, elle a dû les soutirer auprès des PDG, à l'insu de leur plein gré.

- Ce n'était pas plus simple de demander leur catalogue à l'accueil de leur établissement ?

- Non, Liam, généralement ils n'indiquent officiellement que le tiers de ce qu'ils ont vraiment. Avec ces données, on va pouvoir savoir exactement comment l'île Crispos sera protégée, et agir en conséquence pour prévenir au mieux ce qui peut nous tomber dessus.

- On arrive, les gars, marmonna Grennan. Voilà la Banque de Caladan, à laquelle sont affiliés les membres de la Maison Cadriaan.

Cinq minutes plus tard, Liam et Chi'ta étaient devant la directrice de la banque. Celle-ci expliquait avec courtoisie :

- Monsieur Niklas Veiler avait effectivement un compte en banque dans notre établissement. Monsieur Stern nous avait informé que cette personne était dorénavant sous la responsabilité de la cellule carcérale de la Maison Cadriaan, et que par conséquent ses comptes étaient gelés.

- Pourtant, le chef Stern nous a dit que quelqu'un qui… enfin, qui aurait été relativement proche de monsieur Veiler avait touché une importante somme d'argent, le jour même du décès de monsieur Veiler.

- Ah ?

- On aimerait vérifier si ce virement n'aurait pas été un « petit cadeau d'adieu » de Niklas à ce gars.

- Euh… oui, je devrais pouvoir vérifier ça. Rappelez-vous bien que c'est bien parce que vous venez de la part de monsieur Stern que j'accepte de vous montrer cette information sans poser de question.

- Soyez certaine que la Maison Cadriaan vous saura gré de cette faveur, Madame la Directrice, répondit Chi'ta avec humilité.

La directrice sourit avec bienveillance, et tapa quelques commandes sur le clavier de son ordinateur. Encore quelques instants, et son visage se crispa légèrement.

- Oui, c'est étrange, vous aviez raison. Monsieur Veiler a effectué un virement sur le compte d'une autre banque. Un gros virement.

- Et vous pouvez nous dire quand ?

- Eh bien… d'après la date, je dirais le lendemain du jour où l'on m'a signalé que monsieur Veiler venait de décéder. C'est étrange, je pensais que l'un de mes employés avait clos ce compte… ?

- Comment avoir fait la manœuvre ? Je vois mal Niklas Veiler effectuer ce virement de sa cellule.

- Jeunes gens, j'ai peut-être une idée. Attendez, je dois juste vérifier quelque chose.

La directrice ouvrit un tiroir de son bureau, sortit un disque de données et l'introduisit dans le lecteur.

- Ah ha ! Exactement ce que je pensais ! Regardez !

Elle fit pivoter l'écran pour que les deux adolescents puissent le regarder.

- Voyez ! Ce disque contient une vieille copie de sauvegarde qui date de l'année dernière, alors que monsieur Veiler avait encore libre accès à son compte. Et quand vous comparez à ce fichier datant d'il y a deux semaines, vous constatez que le numéro de compte n'est plus le même !

- Le compte a donc été modifié ? Mais pourquoi ?

- J'avais déjà entendu parler d'histoires de ce genre, mais c'est bien la première fois que je vois ce genre d'astuce ici. En fait, le compte a purement et simplement été piraté. Quelqu'un a modifié dans les fichiers de la banque ce compte afin qu'on puisse continuer à effectuer des opérations financières sans que personne parmi mes employés ne s'en rende compte.

- Ce ne serait pas l'un de vos employés, par hasard ?

- Jeune homme, j'ai confiance en mes employés. Et de toute façon, moi seule ai la possibilité d'effectuer ce genre de modification à partir de ce bureau, normalement. Si vous êtes du genre soupçonneux, je veux bien être interrogée par votre chef si cela peut définitivement me dédouaner. Toujours est-il que ça peut être quelqu'un branché de l'extérieur.

- Comment une personne de l'extérieur aurait pu se livrer à une telle opération, Madame la Directrice ?

- Le principe est très simple, jeune fille. Il a simplement fallu que notre pirate se soit raccordé au réseau informatique à distance, ait perforé les codes de protection de mon ordinateur, et ait modifié les fichiers et le code d'accès pour pouvoir avoir mainmise dessus.

- Cela paraît fort simple.

- Oui, mais nous sommes la Banque de la Maison Cadriaan, et avons toujours le top niveau du secteur en ce qui concerne la sécurité. Bien entendu, rien n'est inviolable, et il reste possible qu'un pirate ait pénétré les fichiers, mais si tel est le cas, notre visiteur inattendu n'est sûrement pas un petit jeune étudiant désoeuvré qui cherche à occuper ses moments perdus. Non, il serait venu sans laisser la moindre trace, personne ne s'est rendu compte de rien… si nous avons un « hacker », c'est un grand professionnel.

- Et aurait-il besoin d'être à proximité de votre banque ?

- Avec du matériel trafiqué et illégal, de nos jours, peut-être qu'il n'aurait même pas eu besoin d'être sur l'île d'Estalle, mademoiselle.

- Bon. Merci pour tout, en tout cas.

- Je vous en prie, jeune homme. Je vais maintenant clore ce compte, et en parler à monsieur Stern, qu'il ne vienne pas me dire que je ne l'avais pas mis au courant. Je le connais un peu. C'et un honnête homme très soucieux de son travail, et justement il lui arrive parfois d'en faire un peu trop.

- Bonne journée, Madame la Directrice.

Dans la cabine des passagers, les quatre camarades regardaient l'holovision. Un flash spécial d'informations présenté par le présentateur vedette de Procopia, Obi-Dil Yastard, interrompit la vieille série d'action que regardait Canderous.

- Une terrible tragédie vient de se produire sur Lupani, colonie de la bordure de la Province Melantha, où la Maison Reena vient de faire une incursion. La capitale a été bombardée par les croiseurs de la Maison Reena, laissant des quartiers privés d'eau et d'énergie, sans parler des victimes qu'on compte déjà par milliers. Sur place, nous retrouvons notre envoyé spécial en direct, Dalboz de Gurth. Dalboz, vous nous recevez ?

L'image filmée par un petit drone apparut : un présentateur en costume poussiéreux était dans une grande salle basse, où étaient entassés des dizaines de blessés assis ou couchés sur des matelas gonflables.

- Oui, effectivement, Obi-Dil, je me trouve dans le stade du Cœur Vaillant, stade au nom certes très approprié, car les quelques médecins rassemblés en catastrophe dans ces lieux donnent tout ce qu'ils ont pour venir en aide aux nombreuses victimes des bombardements. Des gens courageux qui se dévouent pour sauver le maximum de vies Humaines et non-Humaines.

Canderous maugréa :

- Mon émission favorite interrompue par les infos ! Je m'en fiche de la guerre, moi !

- Attends, regarde ça !

- Quoi ? Oh !

Les quatre camarades tournèrent tous la tête vers l'écran d'holovision, et firent silence. En effet, ils pouvaient voir sur l'écran que la caméra se focalisait sur un visage familier.

- Des personnes telles que le docteur Ezra Lohrn, qui mène les opérations dans ce dortoir improvisé. Docteur Lohrn, pourriez-vous répondre à quelques questions ?

Ezra Lohrn, la doctoresse forte tête de la Maison Calipsa répondit avec fermeté :

- Seulement quelques minutes alors, comme vous le voyez, je suis débordée.

- Merci à vous, docteur. Vous êtes connue comme étant l'une des plus jeunes diplômées en médecine de la planète Procopia. Est-ce que vous n'avez pas peur de vous retrouver perdue dans une situation aussi… paniquante ?

- Pourquoi serais-je « perdue » ?

- Eh bien… le fait de vous trouver dans une situation qui vous serait inédite pourrait vous surprendre, vous ne pensez pas ?

- Si j'ai été diplômée, c'est parce que j'ai travaillé pour ça, j'ai mérité mon doctorat, et ma spécialisation est la médecine sur les champs de bataille. Alors non, je ne suis pas surprise par une situation qui n'a absolument rien d'inédit pour moi.

- Ah… bien, et n'avez-vous pas peur de l'aspect politique ?

- De quoi parlez-vous ?

- Vous ne le cachez pas, vous l'exhibez même sur votre uniforme, vous êtes clairement affiliée à la Maison Calipsa. Or, nos holospectateurs le savent, la Maison Calipsa est alliée à la Maison Reena et à la Maison Mecetti contre la Maison Melantha. N'avez-vous pas peur d'être considérée par une traîtresse par vos pairs, ou par une ennemie par vos patients ?

Les quatre compères grognèrent, indignés. Liam applaudit quand il entendit la réponse d'Ezra, qui dit d'une voix cinglante :

- Qu'ils soient Melantha, Cadriaan, Barnaba ou même citoyens impériaux, qu'ils soient Humains, Wookiees, Bimms ou Elomins, mes patients sont tous des êtres intelligents et sensibles. Tous ont un point commun : ils souffrent, et veulent vivre. J'ai fait médecine pour aider ces gens, pas pour jouer les intrigantes entre les Maisons. S'il y a quelqu'un chez les Calipsa qui me méprise pour me soucier de la vie des êtres vivants, je serai ravie de lui expliquer mon point de vue. Et maintenant, regardez-les. Est-ce qu'ils ont l'air de me haïr ou de me craindre ?

- Certains pourraient penser que vous présentez un visage d'ange, mais que vous dissimulez des intentions bien moins…

- Bon, on va arrêter là. Vous êtes ridicule, et je n'ai pas de temps à perdre avec de telles diffamations !

- Diffamations, vous dites ? N'auriez vous pas plutôt peur que l'on découvre une vérité dérangeante ? Ou alors…

Le journaliste fut soudain bousculé sur l'objectif. Canderous ricana quand il vit Dankin entrer dans le champ de vision de la caméra, l'air menaçant. Chi'ta fut étonnée.

- Mais que fait maître Dankin sur Lupani ?

- Ezra lui a demandé de l'accompagner, histoire d'avoir une paire de bras digne de confiance.

Dans le reportage, Ezra continuait :

- Dankin est mon assistant, il est ici pour transporter les blessés les plus gravement atteints, et les plus difficiles à déplacer. Il s'assure également qu'aucun individu indésirable ne vienne perturber mon travail, si vous voyez ce que je veux dire. Je suppose que vous avez compris que ce n'est pas la peine de l'irriter, n'est-ce pas ?

- Euh… oui, je comprends, docteur Lohrn. Dans ce cas, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter tout le courage poss…

- Docteur Lohrn ! Docteur Lohrn !

- Oui, infirmier ?

- Monsieur Chaktak vient d'arriver ! Le chargement de bacta est prêt !

- Ah, très bien ! Je dois vous laisser, maintenant, et je vous conseille de ne plus me déranger avec des questions sans queue ni tête !

- Écoutez, vous faites mon boulot, je fais le mien, je suis journaliste et je…

La dernière chose que montra la caméra fut l'énorme patte du Togorien sur l'objectif.

- Eh bien, il ne change pas, le pépère ! ricana Canderous.

- J'aurais aimé qu'il vienne avec nous, ou bien Morgreed… soupira Liam.

- Moi aussi, Liam, mais tu sais bien qu'il honore son serment de fidélité et accompagne Dame Liryl, répondit la jeune Chi'ta.

- Ouais, c'est tout à son honneur, mais quand même, je ne la sens vraiment pas, cette magouille d'héritage. En plus, je ne sais pas du tout à quel genre d'individus je vais avoir affaire, mais à mon avis, ça va pas être triste !

- Bah ! Peut-être que ce ne sont pas tous des fins de race pourris chez les Mecetti, répondit le chasseur de primes en haussant des épaules.

Grennan fouilla dans sa poche, et en sortit une feuille à rouler et un petit paquet d'herbe. Sous les yeux ébahis de la jeune Drall, il se prépara un joint, l'alluma avec son briquet, et se mit à fumer tranquillement.

- Maître… Grennan ? Vous consommez de la drogue ?!

- Bah ! De la drogue, de la drogue, un petit stick, c'est rien de bien méchant ! Ca me permet de rester détendu. Un tireur d'élite qui a les mains qui tremblent peut louper sa cible et plusieurs dizaines de milliers de crédits avec ! Tu sais, tous les chasseurs de primes, bons ou mauvais, ont leur dope. Certains carburent au diazépam, d'autres au glitterstim, y en a, c'est les bonbecs… chacun son truc.

La voix du pilote résonna dans la cabine :

« Chers passagers, nous approchons du castel Hejaran. Au-dessous de nous, par le hublot, vous pouvez admirer le petit village de Kilmore, qui se trouve au pied du domaine Hejaran. »

Les quatre compères eurent alors une singulière vision d'un autre âge. Alors qu'ils voyaient au loin des collines verdoyantes, ils aperçurent sous leurs pieds un grand plateau montagnard de roche rouge. Il y avait un grand village dont le niveau technologique était comparable à celui des planètes arriérées. Des maisonnettes en pierre avec des toits de bois, pas de vaisseaux ni de speeders, seulement des chevaux, des moutons, des charrues tirées par des bœufs, et des villageois. Une caravane de charrettes montait un long sentier qui remontait en serpentant une falaise au sommet de laquelle il y avait le domaine Hejaran. C'était une grande construction à deux étages, entourée par une solide muraille d'acier. Canderous haussa des sourcils en voyant sur les extrémités d'énormes tourelles laser, sans doute très efficaces pour défendre le manoir d'une attaque frontale. Et quand ils survolèrent le manoir, ils constatèrent que l'arrière de la propriété était tout aussi imprenable, étant donné qu'il donnait directement sur un immense gouffre.

- Très impressionnant, murmura Grennan.

- C'est terrible, tous ces pauvres gens… Je ne pensais pas qu'il pouvait encore exister de nos jours des peuples qui en sont encore à un niveau de vie bien en deçà des standards de l'Ancienne République ! gémit Chi'ta.

- Il y aura sans doute quelque chose à faire pour les sortir de cet obscurantisme, Chi'ta, avança Liam. Quand j'aurai mis la main sur l'héritage, je verrai si je peux en faire quelque chose de constructif.

- Ouais, en attendant, quelque chose me dit que ce n'est pas encore gagné, maugréa le Chiss. Le petit héritier-surprise est attendu de pied ferme !

Sur la plate-forme d'atterrissage située derrière la demeure, dans le parc, il y avait effectivement quelques personnes. En descendant de la navette, le petit comité fut abordé par un homme entre deux âges, un peu dégarni du crâne, avec une petite moustache élégante. Il portait une tenue de majordome, et était accompagné par une unité de gardes. Il s'approcha de la rampe et salua avec entrain les quatre personnes.

- Bonjour, bonjour à tous ! Soyez les bienvenus sur la Lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit ! Je m'appelle Pershon, et je suis le majordome attitré de la famille Hejaran. Et vous devez être le jeune seigneur Eldon Hejaran, n'est-ce pas ?

- Euh… cela reste à prouver, maître Pershon.

- Et ces messieurs-dames vous accompagnent donc ? K4-D0 m'a transmis un petit récapitulatif de leurs identités respectives. Vous, vous êtes Canderous Tal, guerrier émérite au service de la Maison Cadriaan. Et je vois Grennan, le chasseur professionnel engagé par la Maison Calipsa. Quant à cette charmante petite demoiselle, il s'agit de la jeune Chi'ta Koskaya de la Maison Pelagia. Considérez-vous tous les quatre comme les invités d'honneur de la Famille Hejaran.

D'un œil professionnel, le mercenaire analysa le matériel des gardes. Contrairement à ceux de Procopia, ils ne portaient que des vestes antiblast, et d'antiques fusils à poudre noire.

Vraiment arriérés, ces gens…

- Je vais maintenant vous faire faire le tour du propriétaire.

L'adolescent fut surpris. Il n'avait jamais été sur un monde à la technologie aussi rustique, et n'en avait même jamais entendu parler. L'intérieur du château correspondait déjà plus aux normes galactiques, mais il y avait une touche incontestable d'exotisme médiéval : ils marchaient sur un épais tapis rouge sombre, l'éclairage était émis par des globes posés sur des torchères, sur les murs étaient accrochés des tapisseries et des étendards. Plus étonnant, certaines décorations étaient en fait des hologrammes représentant des scènes animées de chasse ou de guerre. Au passage, les quatre amis pouvaient voir les armoiries de la famille, ainsi que le blason de la Maison Mecetti.

Ils arrivèrent jusque dans le grand hall. Là, une vingtaine de personnes attendait. C'était toute une assemblée de gens bien vêtus, bien portants, de tous âges. Tous regardèrent Liam Kincaid avec curiosité, la même curiosité que celle qu'un promeneur pouvait éprouver face à une bête curieuse.

- Enfin, voilà notre mystérieux inconnu !

Un imposant personnage descendait de l'escalier principal qui donnait sur l'étage. Il était âgé, accusant facilement la septantaine, mais malgré un léger embonpoint, avait gardé une excellente condition sportive. Une longue crinière argentée flottait sur son uniforme serré.

- Chers amis de la famille Hejaran, permettez-moi de vous présenter Eldon Hejaran de la Maison Mecetti. Il avait disparu il y a des années, mais de récentes recherches nous ont permis de le retrouver, et maintenant il vient pour se présenter à nous et prendre la place qui lui revient de droit. C'est pourquoi, moi, Galemus Hejaran, patriarche actuel de la famille Hejaran, vous prierai vivement de le considérer comme l'un de vos frères à partir de maintenant !

Une rumeur de plus en plus gênée monta dans le hall. Liam ne se sentait pas très bien. Quand il sentit la petite main duveteuse de Chi'ta dans sa paume, il la serra doucement pour se rassurer.

- Je ne suis pas sûr de beaucoup aimer ce petit hurluberlu ! glapit alors une voix nouée de colère.

Tous les regards se tournèrent vers celui qui avait parlé. À peine avait-elle posé les yeux sur lui que Chi'ta sentit sa gorge se nouer. S'il n'était pas un esclave du Côté Obscur, l'homme qui s'avançait avait clairement l'âme tournée vers les ténèbres. Son visage portait les traces évidentes de quarante années de frustrations, de rage et de paranoïa. Quelques centimètres de barbe brune constellaient son menton, un front large, crispé de rides de colère, luisait de sueur sous quelques mèches blondes. Mais ce qui effraya le plus la jeune fille était son regard. Ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites étaient sombres, et roulaient de manière très perturbante, alors que l'homme penchait la tête en avant sans quitter Liam du regard, ce qui accentuait davantage l'agressivité de son regard. Il n'était plus qu'à quelques pas de l'adolescent, quand le mercenaire s'interposa, le dominant d'une bonne tête.

- Quoi, y en a qui sont pas jouasses ? murmura calmement Canderous.

- Mon frère était un imbécile idéaliste qui n'a jamais rien compris aux choses de la vie, répondit l'homme sans se démonter. Ses possessions me reviennent, elles m'ont toujours été destinées, et je ne laisserai pas une bande de parfaits inconnus venir fourrer leur nez dans mes affaires !

- Themion… intervint alors le patriarche Galemus.

- Ne vous mêlez pas de ça, vieux bouc impuissant !

- Themion ! cria alors une autre voix, une voix claire et forte.

Themion Hejaran jeta un petit coup d'œil derrière son épaule. C'était une femme qui avait parlé. Une grande femme athlétique, vêtue d'une combinaison verte sans manches qui moulait à la perfection ses formes superbes. Elle avait la peau couleur d'ébène, et de longs cheveux noirs de jais ondulant sur sa poitrine, si l'on exceptait une longue mèche blanche juste au milieu du front. Son visage ovale était illuminé d'une profonde détermination, et ses grands yeux noirs défiaient l'individu sinistre. Elle s'avança à son tour, d'une démarche souple, élancée et assurée.

- Themion, pensez-vous que ce soit la meilleure façon de recevoir nos invités ?

- Non, chère Brigta… mais je garde ces individus à l'œil, cracha l'homme avant de se retirer.

Les autres invités quittèrent le hall, un à un ou par petits groupes.

- Brigta, vous les amènerez à leurs appartements, je vais prendre les dispositions pour préparer la tradition.

- Bien, Patriarche.

- S'il vous plaît ? De quelle tradition s'agit-il, votre éminence ? demanda Liam.

Un personnage qui n'était pas encore parti s'avança alors avec sympathie. Il tendit la main avenante à Liam, qui la serra. C'était un homme svelte, longs cheveux roux, barbiche taillée en pointe et visage rougeaud qui présentait un signe très particulier : son œil gauche était cerclé d'une plaque de métal. Grennan reconnut immédiatement un œil cybernétique, accessoire très prisé par les chasseurs professionnels.

- Je me présente, jeune Eldon. Je suis Rodoric Hejaran de Mecetti, et je suis jusqu'à ce jour le meilleur chasseur de notre famille. La famille Hejaran est avant tout constituée de chasseurs, comme l'atteste le nombre de trophées que vous verrez dans la salle de banquet. Et la tradition veut qu'on accueille les invités privilégiés avec une chasse au Chanteur de la Nuit.

- Une chasse ? Cela n'est pas vraiment dans mes principes…

- Si vous voulez revendiquer votre héritage, il vous faut prouver que vous avez l'esprit du chasseur dans le sang.

- Bon… et quelle sera la proie ?

Pendant qu'ils parlaient, ils suivaient la dame Brigta Hejaran qui les emmenait à l'étage. Rodoric continuait avec ferveur ses explications.

- Le Chanteur de la Nuit. C'est un grand reptile volant pouvant atteindre jusqu'à une vingtaine de mètres d'envergure pour les plus grands. Ils adorent sortir la nuit et chanter, ce qui leur donne leur nom.

- Et donc… on doit chasser ces créatures ?

- À bord de véhicules à répulseurs. Nous les chasserons avec des fusils laser, si vous n'avez pas vos propres armes de prédilection. Chaque répulseur sera monté par deux personnes : le pilote, et le tireur sur la plate-forme arrière.

- Ca a l'air amusant. On pourra participer ? demanda Grennan.

- Oh, oui, il devrait y avoir au moins une place pour vous. Tout le monde ne va pas participer, vous avez dû voir qu'il y en a un peu… moins en forme que d'autres.

- Vous voulez dire « plus en formes » ! ricana Canderous.

- Oui, en effet. Bien, je vous laisse entre les mains de notre charmante experte, je dois me préparer.

Rodoric Hejaran ne suivit pas davantage le petit groupe, il s'engagea dans les couloirs de l'étage et disparut de leur vue. Bientôt, la jeune femme conduisit chacun des quatre compères à sa suite – chacun d'eux s'était vu en attribuer une. Et Liam avait la principale.

- Voilà, je viendrai vous chercher dans une demi-heure, que vous puissiez vous reposer quelques instants avant le début de la chasse.

- Bien, d'accord.

- Eldon, ne faites donc pas attention à ce que peut dire Themion Hejaran. C'est une répugnante vipère gorgée de venin.

- J'ai connu pire, mais c'est gentil à vous de me soutenir... vous paraissez être bien la seule !

- Oh, le patriarche Galemus est un homme bon, lui aussi. Quant à Rodoric, il fait le fier à bras, mais n'a pas un mauvais fond, lui non plus.

- Euh… vous croyez que j'ai à craindre quelque chose comme un accident de chasse ?

- Franchement, vous n'avez pas à vous en faire. S'il devait vous arriver quelque chose avant l'ouverture du testament, personne n'aurait aucun droit sur l'héritage. On a plutôt tout intérêt à vous protéger, au contraire. Et si c'est Themion que vous craignez, vous pouvez être tranquille. C'est un bon duelliste, mais un piètre tireur.

Une demi-heure plus tard, les quatre camarades étaient sur l'un des deux grands balcons de l'étage. Des mécaniciens s'affairaient autour d'une demi-douzaine de planeurs légers motorisés. Chaque planeur disposait d'une grande voilure peinte d'une couleur unie. À l'avant, de chaque véhicule, un siège avec un petit panneau de commande très sommaire. La partir arrière était plus large et plate, et un Humain adulte pouvait s'y tenir debout sans se prendre la tête dans la voilure. Le siège du pilote comme la plate-forme arrière étaient équipés de solides ceintures de sécurité. Chi'ta resta en retrait, s'assit sur l'une des chaises longues, refusant catégoriquement de chasser. Liam, quant à lui, n'était pas non plus très enthousiaste.

- Je suis peut-être un Hejaran, mais ce dont je suis sûr, c'est que je suis un padawan Jedi, et que je suis censé éviter la violence gratuite.

- Ne vous en faites pas. Un seul Chanteur de la Nuit sera suffisant, le rassura la jeune femme. Voulez-vous faire équipe avec moi ?

- Ma foi… pourquoi pas ?

- Vous voulez peut-être piloter l'appareil ? Comme ça, vous dérogerez moins à vos principes.

- Non, je ne sais pas vraiment piloter les répulseurs, encore moins dans des canyons aussi étroits. Je suis encore un peu jeune pour le permis de conduire !

- Très bien, dans ce cas, je vais occuper le poste de pilotage, vous n'aurez qu'à utiliser le fusil.

- Et vous, Canderous, êtes-vous intéressé ? demanda Galemus.

- Non, je n'aime pas voler. Et puis, je n'ai pas envie de laisser la petite toute seule.

- Moi, par contre, je veux bien me joindre à vous ! déclara Grennan en sortant son disrupteur de son étui.

Themion Hejaran se jeta presque sur lui.

- Pas question ! Les non-Humains n'ont rien à faire dans une chasse Hejaran !

- Themion, ne soyez pas amer ! intervint Rodoric. Moi, je le prendrai bien comme coéquipier, ce chasseur Chiss.

- Vous oseriez faire ça ? Accepter un sous-homme ?

- Où est le problème ? Vous n'avez quand même pas peur qu'il vous surpasse ? demanda Rodoric avec un ton faussement innocent.

En entendant cette question, Themion Hejaran devint cramoisi de colère. Sans répondre, il se dirigea rageusement vers le véhicule à répulsion dans lequel montait Galemus Hejaran. Un à un, les répulseurs décollèrent.

Ce fut une sensation nouvelle pour l'adolescent, qui n'avait jamais volé dans un appareil aussi léger. Il ne retenait pas son excitation et criait de joie. Le planeur volait gracieusement entre les parois de roche orangée des canyons. Le moteur n'étant pas très bruyant, il avait vraiment l'impression de flotter au gré du vent.

Brigta fit un geste vers la gauche. L'adolescent écarquilla les yeux. Il voyait une espèce de volatile reptilien d'une impressionnante envergure. C'était une sorte de lézard géant avec de grandes ailes membraneuses. Dans les écouteurs de son casque, Liam entendit la voix de la jeune femme.

- En voilà un ! Allez-y, Liam ! Tirez !

L'adolescent tenta de fermer son esprit, et ne réfléchit plus. Il ouvrit le feu, touchant la créature dans l'aile. Le Chanteur de la Nuit perdit de l'altitude, mais avant de s'écraser, poussa un crissement tonitruant, à faire éclater les tympans. Liam en eut un tel frisson qu'il lâcha son arme pour se boucher les oreilles. L'arme disparut dans le gouffre.

De son côté, Grennan se régalait. Il adorait les challenges, et celui-ci dépassait ses espérances. Il balayait du regard l'horizon, à la recherche de sa cible. Rodoric voulait impressionner son passager en rasant les parois, s'approchant de plus en plus de la roche. Mais il en fallait plus pour affoler le flegmatique Chiss. Il était tellement détendu qu'il ne vit pas l'énorme Chanteur de la Nuit qui volait à la poursuite de leur appareil avant que celui-ci n'eût le bec collé au train arrière. Le chasseur de primes ne fut pas long à réagir. Son disrupteur chargé à bloc tira une décharge, une seule, et le rayon doré traversa net la tête de l'animal, la faisant exploser net. L'immense prédateur s'abîma sur la rocaille.

Les six véhicules revinrent l'un après l'autre. Chi'ta frissonna quand elle vit descendre Themion, fou de rage. Il insultait copieusement le vénérable patriarche Galemus.

- Espèce de vieux croulant inutile ! Si seulement vous aviez eu un peu plus de jugeote et un peu moins de frousse, je l'aurais eu ! Vingt-cinq mètres, qu'il devait faire, celui-là ! Vingt-cinq ! Un record en perspective raté, et à cause de vous !

Tout le monde avait assisté à cette réprimande, mais personne n'osa rien dire. Themion Hejaran semblait tellement en colère qu'il aurait pu perdre tout contrôle et frapper le premier qui l'aurait regardé de travers. Galemus encaissa sans mot dire, sans doute habitué à une telle violence verbale.

Chi'ta se leva, voulut rejoindre l'adolescent, mais s'arrêta net.

- Hé, ça ne va pas ? s'inquiéta Canderous. Hé, Chi… oh-ho !

Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre ce qui avait douché la petite Drall. En effet, Liam descendait de son véhicule en parlant joyeusement avec la jeune Brigta, sans même tourner les yeux dans sa direction.

- Maître Tal… est-ce que…

- Une seconde, petite. Je ne pense pas qu'il se laisse embobiner aussi facilement.

Elle ne répondit rien, complètement ahurie.

Après ces émotions, Pershon informa l'assistance que le dîner allait être servi l'heure suivante. Chacun en profita pour se refaire une beauté avant de gagner la grande salle à manger de la propriété. Chi'ta était passée chercher Liam dans sa chambre, ils avaient rejoint les autres invités.

La salle de banquet était très grande, et comme le reste de la propriété, était éclairée par des torches énergétiques, mais il y avait une immense cheminée qui brûlait d'un authentique feu. Des gardes postés à chaque porte de la salle surveillaient, les domestiques allaient et venaient. La plupart des invités étaient déjà installés à table. Les quatre amis pouvaient voir deux tableaux accrochés sur le mur, au-dessus de la place d'honneur au centre de la table, au milieu de nombreux trophées. Le premier tableau était l'original de la peinture de Salek Hejaran, resplendissante. Mais ni Chi'ta, ni Liam ne surent donner un nom sur le deuxième portrait, beaucoup plus grand, et bien plus en valeur.

- Pershon ?

- Oui, jeune maître Eldon ?

- Pourriez-vous me dire qui est la personne représentée sur ce portrait ?

Cette question provoqua un grand silence… puis tous les invités éclatèrent de rire, à l'exception de Brigta qui jeta un regard compatissant, et Themion qui cracha par terre de mépris. Galemus leva les mains.

- Allons, vous avez déjà oublié que notre jeune ami n'a pas une parfaite connaissance de notre histoire ? Rappelez-vous qu'il a passé pratiquement toute sa vie sur la lointaine Coruscant. Je vais répondre à cette question, mon jeune ami. Eldon, voici notre Haut Seigneur, Bodé Leobund le Onzième de Mecetti. C'est notre Seigneur Suprême, la plus grande autorité de la Maison Mecetti, celui à qui nous devons le retour dans la course de notre Maison.

Bodé Leobund XI était un grand personnage saisissant de charisme. Il devait avoir une bonne soixantaine d'années, mais ses yeux bleus étincelants avaient la même vivacité que celle d'un jeune homme. Il avait le visage rasé de près, un menton carré, un front dégagé. Ses sourcils relevés lui donnaient un regard profond. Il avait un nez assez fort et rocailleux, et des cheveux argentés coupés court coiffés en brosse. Sur l'holoportrait, il portait un costume traditionnel particulièrement recherché, et posait devant un étendard représentant le blason de la Maison Mecetti.

- Très impressionnant… répondit Liam, sincère.

- Qui sait, peut-être que vous le rencontrerez prochainement ? C'est désormais votre Haut Seigneur, maître Eldon.

- Qui sait, Pershon, qui sait ? répéta Liam, qui avait senti ses tripes se serrer. Mais n'y a-t-il pas de portrait de feu Lucian Hejaran ?

- Themion n'a pas permis qu'on affiche son portrait ici, maître Eldon.

- Et maintenant, je vous invite à passer à table, vous êtes déjà placés. Régalez-vous, et que ce plantureux repas crée de vrais liens entre nous tous ! s'exclama Galemus.

Liam remarqua qu'il était placé juste entre Brigta Hejaran et Galemus Hejaran. Canderous s'installa à côté de Rodoric, tout content d'avoir quelqu'un d'intéressant selon ses critères avec qui parler. Chi'ta et Grennan, seuls non-Humains parmi les invités, avaient été relégués tout au fond de la table, dans le coin sombre. Cela ne surprit guère la jeune fille, et Grennan n'eut aucun scrupule à allumer un joint pour le fumer devant tout le monde.

Les quatre compères tâchèrent de voir au mieux ce repas, chacun à leur façon. Liam répondait aux questions qu'on lui posait sur son identité, celle de ses soi-disant parents des bas niveaux de Coruscant. Chi'ta ne disait rien, par contre, et se contentait de manger lentement, petite bouchée par petite bouchée. Elle ne pouvait détacher ses yeux de Brigta, à la fois fascinée et inquiète. Grennan essayait bien de lui parler, d'être amical, mais elle ne lui répondait que par intermittence.

Canderous, lui, ne perdait pas son temps. Il avait rapidement sympathisé avec Rodoric, le chasseur, et voulait en apprendre le plus possible sur les petits secrets de la famille Hejaran. Et pour cela, il y avait un moyen vieux comme le monde, simple mais efficace.

- Je suis tellement content d'avoir enfin trouvé un interlocuteur qui ne crie pas au meurtre ou à la barbarie quand je parle de ma passion pour la chasse ! Ah, messire Tal, vous, au moins, vous êtes quelqu'un qui a de la conversation !

- Comme je vous comprends, monsieur Hejaran !

- Allons, appelez-moi Rodoric !

- Très bien, mais vous m'appelez Canderous, hein ?

- Tope-là ! Buvons à la santé de votre jeune ami !

Canderous saisit l'occasion pour remplir de vin le verre de Rodoric. Ils burent cul sec.

- Ah, sacré capiteux !

- Vous pouvez le dire, Rodoric.

- Comme quoi, l'appréciation d'un bon vin n'est pas incompatible avec l'efficacité à la chasse ! Quel genre de gibier chassez-vous, mon ami ?

- Oh, je suis plutôt du genre à préférer le combat singulier, voyez-vous.

- Un grand gaillard musclé comme vous, ça ne m'étonne pas ! D'ailleurs, je n'ai pas pu m'empêcher d'admirer votre magnifique vibro-lame Jengardin.

- Je l'ai prise à un Melantha.

- Vraiment ? Vous voulez dire que vous l'avez arrachée à ses doigts refroidis ?

- Non, je l'ai gagnée au Vor-Cal.

- Oh, vous avez participé… mais oui ! Mais bien sûr ! Je me disais bien que je connaissais votre visage ! J'ai moi-même suivi le Vor-Cal dans la presse spécialisée dans la chasse. Et le gagnant de cette année, c'était vous ! Félicitations, mon ami ! Vous avez coiffé au poteau cet orgueilleux Melantha !

Derechef, Canderous servit à boire au Mecetti.

- Et alors, vous connaissez Eldon Hejaran depuis combien de temps ?

- Quelques mois.

- Cela a dû changer pas mal de choses à votre ordinaire ! Avouez que vous ne vous attendiez pas à vous retrouver ici !

- C'est sûr, depuis que je connais ce petit gars, il s'est passé pas mal de choses !

- Et encore, ce n'est rien par rapport à ce que vous allez voir, maintenant que vous êtes proche d'un baron Mecetti. Ce ne sont pas les péripéties qui vont manquer !

- Ah oui ? demanda Canderous en remplissant innocemment le gobelet de Rodoric.

- Il y a pas mal d'histoires de familles plutôt croustillantes chez les Hejaran. Lucian Hejaran lui-même n'était pas une personne très sympathique aux yeux de la plupart de ses sujets, mais ce n'est rien par rapport à son frère Themion !

- Faites gaffe, il pourrait vous entendre…

- Eh bien qu'il m'entende ! Je n'en ai rien à faire. De toute façon, il sait très bien de quoi je vais parler ! Quels genres de délits on lui reproche !

- Genre quoi ? interrogea encore le mercenaire qui servit à nouveau du vin.

- Genre le petit village de Fanore.

- Que s'est-il passé, à Fanore ?

- Une sale histoire… les habitants étaient de plus en plus pauvres, ils n'étaient bientôt plus en mesure de payer les taxes. Pershon a fait son enquête, à la demande de Lucian, et le bourgmestre s'est plaint que le village n'avait définitivement plus un sou. Renseignements pris, il s'est avéré que ce village était dans le fief de Themion, et que celui-ci avait apparemment accablé Fanore d'impôts abusifs. Themion a fait celui qui ne comprenait pas de quoi parlait Lucian, mais bon, il fallait s'y attendre, hein ! Ils ne se sont plus jamais adressé la parole sans s'insulter, depuis. Lucian traitait Themion d'escroc et de voleur, Themion l'envoyait paître en le considérant comme un utopiste irréaliste.

- Ce que c'est que les histoires de famille !

L'assistance venait de finir le dessert. Maître Shaun se leva, et annonça d'une voix solennelle :

- Mes Dames, Mes Demoiselles, Mes Sires, il est temps maintenant de procéder à l'ouverture du testament de notre regretté Lucian Hejaran.

K4-D0 apporta alors un petit coffret scellé, l'ouvrit, et en sortit un petit cube. Il posa le cube sur la table et pressa un petit bouton sur l'une de ses faces. Un hologramme grandeur nature apparut alors au milieu de la pièce. Chi'ta fut impressionnée. Lucian Hejaran n'avait qu'une vague ressemblance avec son frère Themion. C'était un grand homme, de constitution sportive serrée dans un uniforme constellé de décorations, à l'air digne. Son visage imberbe était carré, son regard ferme et résigné laissait présager une profonde assurance. On aurait presque pu voir une couronne dorée par-dessus sa crinière blonde.

- Je suis le Baron Lucian Hejaran. En accord avec les lois et les traditions de la Maison, cet holo-enregistrement, agréé par Maître Shaun, avocat de ma famille, doit être maintenant considéré comme mes dernières volontés. Beaucoup d'entre vous savaient que j'aspirais à laver le nom des Hejaran. À ce jour, il reste entre nos murs une ombre ténébreuse. Une mauvaise graine que je n'ai probablement pas pu arrêter, puisque vous regardez maintenant cet holo. Par conséquent, je décrète que mon frère, Themion Hejaran, n'obtiendra que quinze pour cent du total des biens de cette demeure. De quoi largement lui permettre de mener la vie dépravée qu'il a choisie. Quant à ma cousine Brigta, elle comprendra très bien pourquoi j'ai décidé de ne rien lui accorder. L'un comme l'autre sont maintenant bannis du château Hejaran, et de la Lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit. Pour le reste des membres de la famille Hejaran, comme vous n'avez rien fait pour empêcher cette catastrophe qui a souillé notre honneur, je ne ferai rien pour vous. Le seul détenteur de mes richesses sera confié aux bons soins de mon oncle, Galemus, dont les sages conseils devront en faire un nouveau Baron digne de diriger la famille Hejaran. Ce nouveau Baron sera Eldon Hejaran, que mon avocat, Maître Shaun, a identifié sous le nom de Liam Kincaid. En accord avec toutes les lois de la Maison Mecetti, qu'il en soit ainsi.

L'hologramme disparut. Plus personne n'osa dire mot. Tous les regards étaient maintenant fixés sur l'adolescent. Chi'ta crut sentir la température baisser de quelques degrés. Liam, en revanche, avait subitement un coup de chaud, et ne put s'empêcher de rougir. Canderous et Grennan ne résistèrent pas à la tentation d'afficher leur mépris pour les convenances en levant joyeusement leur verre.

- À ta santé, Baron Eldon Hejaran !

- Buvons à l'avenir de notre nouveau seigneur !

Mais bien entendu, aucun autre invité n'eut le cœur à partager ce semblant d'enthousiasme. Themion Hejaran se leva lentement, et posa les poings sur la table juste devant Liam.

- Je ne sais pas de quel trou boueux on vous a sorti, mais soyez sûr que je m'arrangerai personnellement pour qu'on vous y replonge. Rapidement.

Puis il tourna les talons et quitta la salle à manger sans rajouter une parole. Les autres Hejaran se levèrent d'ailleurs les uns après les autres et allèrent se coucher, certains sans mot dire comme Rodoric, d'autres en reprochant le manque de raison de feu Lucian Hejaran ou en insultant carrément Liam au passage. Celui-ci dut prendre sur lui et faire un gros effort pour se retenir de rendre la pareille à ces derniers. Une fois de plus, il sentait bien la froideur glacée du Côté Obscur lui chuchoter de faire taire ces arrogants, mais soit qu'il fût trop éberlué par la situation pour répondre, soit que la présence de ses amis inhibât ses vilaines pensées, il ne réagit à aucune parole, pas même aux plus cassantes. Le dernier à partir, cependant, un énorme homme chauve et laid qui se moqua ouvertement de l'adolescent et de ses amis pendant une bonne minute, fut expédié hors de la salle à manger d'un solide coup de pied au derrière de la part de Canderous.

Restaient donc seulement les quatre amis, le patriarche Galemus et la jeune Brigta.

- Quelle bande de pourceaux ! cracha celle-ci. J'espère que vous saurez agir en conséquence pour remettre les pendules à l'heure, Eldon !

- J'ai l'impression que le Baron n'était pas en très bons termes avec son frère Themion, remarqua Grennan.

- C'est le moins qu'on puisse dire, monsieur. Comparez seulement leurs visages, et vous verrez que Lucian était aussi sérieux et digne que Themion est indiscipliné et dépourvu d'honneur.

- Mais et pour vous ? demanda alors Chi'ta. Qu'est-ce qu'il a voulu dire par « elle comprendra que je ne lui donne rien » ?

- Vous n'avez pas remarqué la couleur de ma peau, jeune fille ?

- Bien sûr… et ça fait de vous une très belle femme. Je suis sûre que bien des mâles vous trouvent très attirante.

- C'est très gentil, répondit Brigta avec un petit sourire triste, mais hélas, tout le monde n'a pas l'esprit aussi ouvert que le vôtre. Je crois que Lucian Hejaran n'a jamais pardonné à mon père de s'être épris d'une habitante d'un monde tropical, où les Humains ont la peau sombre. D'ailleurs, il n'a jamais caché non plus son antipathie à mon égard. Je vous ferai grâce de toutes les appellations blessantes dont il a pu m'affubler au cours des années.

- Comme c'est triste.

- C'est la vie. En tant que non-Humaine, vous devez savoir ce que c'est.

- Dans une certaine mesure, ma Dame. J'ai eu de la chance, car je n'ai jamais eu à souffrir d'une quelconque discrimination. D'abord, j'ai passé pratiquement toute ma vie sur Drall. Depuis que je suis à l'Académie Jedi, je fréquente des gens de toutes espèces. J'avoue que je me suis déjà trouvée dans des endroits clairement occupés par les servants des Vestiges de l'Empire, et je ne m'y suis jamais sentie à l'aise, mais c'est tout. Mais qu'allez-vous devenir ?

- Je vais juste changer de planète. J'ai les moyens de commencer une nouvelle vie.

- Peut-être que Liam pourrait faire un peu jouer sa nouvelle influence en votre faveur ? Auprès du Haut Seigneur Bodé Leobund XI ?

- Vous plaisantez ? Sa Haute Magnificence est bien trop occupée pour s'occuper du cas d'une simple petite servante qui n'a même pas été complètement reconnue légitimement. Mais j'apprécie quand même l'effort.

Un très étrange son grave résonna alors derrière les fenêtres vitrées. Les quatre amis, surpris, regardèrent dans cette direction.

- Qu'est-ce donc que cette mystérieuse mélodie ?

- C'est le chant du Chanteur de la Nuit, mademoiselle Chi'ta. Les oiseaux que nous avons chassés tout à l'heure.

- Oh… j'aime autant les entendre chanter comme ça.

- Venez sur la terrasse, nous pourrons les voir.

- Vous êtes sûre ?

- C'est la saison des amours, en ce moment, ils passent leur temps à flirter et ne feront guère attention à nous. Allez, venez !

Brigta se leva, et invita l'adolescent à la suivre. Elle ouvrit la porte-fenêtre, et fit quelques pas sur le balcon. Liam sortit à son tour. Il vit alors les impressionnantes créatures volantes planer, battre des ailes, et se frôler les unes les autres. Et en se croisant, ces immenses oiseaux poussaient de longs barrissements semblables à ceux des baleines que Liam avait vues sur Mon Calamari.

- N'est-ce pas merveilleux ?

- J'avoue. C'est beau…

Brigta Hejaran se rapprocha de Liam, et resta près de lui, à contempler les cieux. L'adolescent ne la regardait pas, suivait du regard les reptiles. Toujours assise à table, Chi'ta ne put s'empêcher de surveiller la main de la jeune femme, priant silencieusement le Grand Fouisseur qu'elle ne se montrât pas trop audacieuse.

En allant se coucher, la jeune fille avait l'esprit en ébullition. Depuis le début de sa mission sur Procopia, elle n'avait jamais ressenti une telle sensation. Pendant les premiers jours, obnubilée par l'importance de son travail, éprouver ce genre de sentiment ne lui était même pas venu à l'idée. Non pas qu'elle s'était jurée de ne se consacrer qu'aux voies de la Force avec un vœu d'abstinence absolue, mais elle n'avait pas imaginé qu'elle aurait pu croiser quelqu'un capable de faire tanguer son cœur, volontairement ou pas. Et maintenant, elle ne savait pas comment elle devait réagir. Contrairement à la plupart des adolescentes, elle n'était pas du genre à nier ses sentiments – les Dralls avaient les mœurs relativement souples sur ce genre de question – mais était encore trop jeune et trop inexpérimentée pour connaître exactement la conduite à adopter. Quand elle se blottit dans le lit de la suite où elle avait été logée, elle avait envie de pleurer. Elle avait beau se répéter que l'heure était à la guerre contre les Précurseurs, aux dénouements d'intrigues à l'échelle sectorielle… les faits étaient là : savoir Liam Kincaid visiblement intéressé par une femme Humaine, de surcroît fort séduisante, la rendait très malheureuse.

- Je sens que je vais me plaire, ici. Tu ne trouves pas que c'est une belle demeure ?

- Assurément, Liam, mais j'avoue que je suis pas très à l'aise, pour le moment.

- C'est à cause de toutes ces personnes, n'est-ce pas ? Ne t'en fais pas, elles seront toutes parties dans la journée, quand elles apprendront ce que j'ai à leur dire !

- Ah oui ? Qu'as-tu à leur annoncer ?

Chi'ta marchait aux côtés de Liam, dans les grands couloirs de la propriété. Celui-ci avait l'air tout joyeux. La journée s'annonçait belle.

- Les résultats des tests ADN que j'ai passé hier viennent d'arriver, Chi'ta. C'est officiel, je suis bien Eldon Hejaran de Mecetti, fils de Salek Hejaran. Ce qui veut dire que toute cette propriété est mienne.

- C'est… réjouissant, répondit la jeune fille sans grande conviction.

- Allez, ne t'en fais pas ! Je n'ai pas l'intention de m'enliser dans ce luxe inutile ! Je rendrai au peuple ce qui lui appartient ! D'abord, je vais faire ouvrir de nouvelles routes commerciales, qui permettront des échanges avec les autres systèmes. Il y a des quantités de richesses inexploitées sur cette planète, et nous pourrons ainsi redresser le niveau technologique de la Lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit. Pour ce qui est de ma fortune personnelle, je donnerai l'argent à des organisations oeuvrant pour les victimes de la Guerre Civile – il ne faut pas oublier qu'il y en a toujours dans certains secteurs où l'Empire sévit encore.

- Ah bon ! Ca, c'est vraiment réjouissant ! Et que va devenir Dame Brigta ?

- Oh, celle-là ? Je vais lui donner une indemnisation conséquente, et elle pourra refaire sa vie ailleurs, et après ce ne sera plus mon problème. Elle est bien gentille, mais franchement, c'est pas du tout mon genre.

- Ah… très bien.

- Tout ce que je veux, c'est utiliser cet héritage pour faire le bonheur autour de moi.

Chi'ta devint radieuse.

- Tu raisonnes comme un vrai Jedi Consulaire.

- C'est grâce à toi, Chi'ta. Tu sais, je ne me suis jamais senti aussi bien, et je suis persuadé que tu y es pour beaucoup.

- C'est vrai ?

- Oui, c'est vrai. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir été choisi pour te retrouver sur Procopia. Sans la mission de Corran Horn, je n'aurais jamais eu l'occasion de faire ta connaissance d'une telle manière.

- Moi aussi, j'ai eu de la chance, Liam.

L'adolescent demanda soudain de but en blanc :

- Aimerais-tu savoir comment un mâle montre qu'il est très attaché à une femelle chez les Humains ?

Chi'ta comprit de quoi Liam avait parlé, et sentit son petit cœur accélérer son rythme. L'adolescent rapprocha son visage du petit minois duveteux de la jeune fille, qui ferma les yeux… mais rien ne se passa. Liam avait reculé avec un sursaut.

- Attends ! J'allais oublier !

- Quoi… donc ?

- Le meilleur pour la fin, voyons ! Figure-toi que les recherches ont été encore plus fructueuses que prévu. Tiens-toi bien : on a retrouvé mon grand-père !

- Ton grand-père ? Celui dont le fils a été rançonné, et abattu alors que tu avais été abandonné sur Coruscant – le père de ton père, donc ?

- Oui ! Et il est venu ! Et j'ai fait sa connaissance !

- C'est vrai ? Comment est-il ?

- C'est un homme absolument charmant ! Et c'est pour ça que je suis venu te chercher. Il faut que je te le présente !

- Ce sera un grand honneur !

Ils étaient arrivés devant la salle d'audience du manoir. Liam sourit malicieusement.

- Attention les yeux, Chi'ta, je te présente mon grand-père !

La double porte s'ouvrit, et Chi'ta vit quelqu'un assis sur le trône. Son sang gela net quand elle vit se lever la terrifiante silhouette de Daymon Thorn, une expression menaçante déformant sa figure hideuse. Elle poussa un cri strident, tellement long et aigu qu'elle se réveilla en sursaut.

Tremblante, haletante, trempée de sueur, la pauvrette était en état de choc. Elle regarda l'horloge de sa table de nuit. Deux heures du matin… Elle voulut vite rejoindre Liam, quitte à traverser toute la propriété, mais elle n'était pas au bout de ses peines. Une voix hystérique cria à travers les couloirs : « Alerte ! Alerte ! Un médecin, vite ! » Elle bondit hors de son lit et sortit de sa chambre, heurtant presque Canderous.

- Maître Tal, que se passe-t-il ?

- Dans le bureau ! hurla Grennan qui les rejoignit.

Ils se précipitèrent tous les trois dans les couloirs, suivant les gardes, retrouvant Liam sur le pas de la porte du bureau. Le majordome Pershon était étendu sur le meuble, mort. Les gardes entrèrent, écartèrent les curieux.

- Liam, qu'est-ce qui s'est passé ?

- Y a quelqu'un qui a refroidi le majordome, j'ai l'impression.

- Vous n'avez pas vu Themion ? demanda alors Brigta, qui venait d'arriver.

Personne ne put répondre. La jeune femme décida :

- Je vais faire le tour de la propriété, il n'est sans doute pas loin !

Elle quitta le petit groupe, croisant le patriarche Galemus qui arrivait alors.

- Ca suffit, mesdames et messieurs, veuillez tous regagner vos chambres, je vous prie ! Gardes, enlevez le corps de ce malheureux, fermez les portes à clef, nous mènerons l'enquête demain matin, au calme et au jour !

- Bien, seigneur Galemus.

- L'enquête sera menée sous votre direction, Eldon. C'est maintenant votre propriété, il est normal que vous soyez informé de tout ce qui s'y passe.

- Euh… d'accord.

Galemus hocha la tête avec satisfaction, et regagna ses appartements. C'est alors que l'adolescent prit conscience de l'état de la petite Drall.

- Chi'ta, mais qu'est-ce qui t'arrive ?

- Liam… j'ai peur !

- Mais de quoi ?

La petite Drall allait répondre, quand soudain, elle vit quelque chose bouger. Entre deux rideaux, l'instant d'une fraction de seconde, elle vit encore à travers le carreau le reflet de Daymon Thorn qui la foudroyait du regard. Derechef, elle cria, terrorisée, et sauta au cou de Liam. Canderous et Grennan ouvrirent le feu en même temps dans la direction de la porte-fenêtre qui vola en éclats. Mais il n'y avait personne derrière, seulement le balcon désert. Chi'ta enfouit son visage contre l'épaule de l'adolescent.

- Oh, est-ce que je deviens folle ? demanda-t-elle d'une voix nouée.

- Qu'est-ce que tu as vu ? Qu'est-ce que tu ressens ?

- Je sens une grosse menace dans l'air… j'ai l'impression que Thorn n'est pas loin.

Le mercenaire en avait assez.

- Bon, y en a marre. Je vais tirer ça au clair !

- Je t'accompagne ! ajouta Grennan.

Les deux costauds coururent jusqu'à la grande porte qui menait aux appartements de Themion Hejaran. Canderous tambourina du poing sur la porte.

- Themion Hejaran ! Sortez, ou je viens vous chercher par le fond du slip !

Personne ne répondit. Les deux padawans rejoignirent les deux guerriers.

- Il n'est peut-être pas dans sa chambre.

- Qu'est-ce qu'on fait ? On entre ?

Canderous ne prit pas la peine de répondre à Grennan, et enfonça la porte d'un coup de pied. La chambre était vide.

- On se croirait dans un mauvais film d'épouvante !

- Tu ne crois pas si bien dire, mon pote ! répliqua Grennan en levant la main, et en faisant signe de tendre l'oreille.

En effet, l'oreille affûtée du Chiss avait capté un bruit très inquiétant. Chi'ta sursauta et cria encore quand elle vit Themion Hejaran, pâle comme un spectre, apparaître au détour du couloir, plié en deux, s'appuyant contre le mur, gargouillant des sons inintelligibles, un filet de bave verdâtre et mousseuse dégoulinant de ses commissures.

- Mais c'est pas vrai, c'est la série ! Gardes ! Gardes !

Les yeux de Themion roulaient de rage, comme s'ils allaient quitter leurs orbites sous le coup de la douleur et de la colère.

- Tu… tu… tu vas payer…

- Docteur ! Docteur !

Le Mecetti s'étala de tout son long et vomit sur la moquette. Les deux hommes forts le saisirent par les poignets et les chevilles. Le médecin arrivait déjà en courant.

- Où est-ce qu'on met ce poids mort ?

- Posez-le sur son lit, voyons !

Tous suivirent le docteur. Canderous et Grennan jetèrent plus qu'ils ne posèrent Themion Hejaran sur le matelas. Le médecin sortit de sa trousse de soin une seringue, qu'il planta sans hésitation dans la poitrine de l'homme.

- Voilà, mon seigneur, cela devrait aller mieux. C'est un poison violent, mais facile à traiter. Je vais vous préparer une tisane, je reviens de suite.

Le médecin quitta la suite. Au bout de quelques instants, Themion retrouva ses couleurs… et devint très vite grenat de colère.

- Sale petite vermine opportuniste ! C'était toi, je parie !

- C'est une accusation, Themion ? demanda Liam, indigné.

- Tu vas me payer ça, et plus cher encore que tout l'argent dont tu me spolies ne pourra le compenser !

- Seigneur Themion, osa timidement Chi'ta, vous venez d'échapper à une mort affreuse. Heureusement, le médecin a pu vous sauver la vie, et ceci ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Nous l'avons tous entendu, feu votre frère a décidé de vous laisser un pécule suffisamment important pour que vous puissiez redémarrer une nouvelle vie. Ce qui vous arrive en ce moment, ne pourriez-vous pas le voir comme une renaissance ? C'est un nouveau départ, plein de merveilleuses oppor…

- Ferme ta gueule, espèce de rat womp hypertrophié ! Disparais de ma vue, ta seule présence me redonne envie de gerber !

Directement atteinte par une telle agressivité, la jeune fille sursauta avec un petit couinement, et quitta précipitamment la pièce. Liam n'y tint plus.

- L'enfoiré !

Il allait bondir sur le Mecetti, mais Grennan le rattrapa par les bras.

- Te fatigue pas, petit. Il n'en vaut pas la peine.

L'adolescent ne se débattit qu'une seconde, avant de renoncer de lui-même. Canderous, en revanche, saisit brusquement le Mecetti par le col, le forçant à se relever.

- Lâchez-moi, paysan !

- T'es un sacré veinard. J'ai pas l'habitude de me salir les mains sur les tas de fumier de bantha malade comme toi. Et là où t'as doublement du bol, c'est quand le garde du corps officiel de cette petite est absent. Sinon, il t'aurait enfoncé les mains dans ton claque-merde jusqu'à ce qu'elles te ressortent par les oreilles.

- C'est censé me faire peur ?

- Monsieur Tal ! s'exclama le médecin, de retour. Veuillez lâcher mon patient !

Canderous l'écrasa sur le lit, puis s'essuya les mains sur une tapisserie murale. Le médecin bredouilla :

- Bien, maître Themion, je crois qu'il est temps de vous reposer.

- Je sais que c'est toi, Eldon Hejaran, ou quelque soit ton nom. Tu n'es pas digne de me priver de ce que mon frère a pu constituer pour notre famille.

- Pourquoi aurai-je fait ça, si c'était vraiment moi ? Si je suis bien l'héritier de votre frère, je n'ai aucun intérêt à vous liquider. Votre départ me suffira.

- Il suffit ! Je te défie à un Kor'Shan, misérable imposteur !

- Hein ? C'est quoi, un Kor'Shan ?

- Tu vois ? Tu te prétends baron… alors que tu n'es même pas au courant de l'une de nos plus anciennes traditions ? Galemus ! Vielle mule infirme ! Expliquez-lui ce que c'est… je fixe le combat à onze heures, entendez-vous ?

Galemus posa une main sur l'épaule de Liam, et l'entraîna hors de la suite.

- Maître Galemus, qu'est-ce que c'est, cette tradition ?

- Le Kor'Shan est un duel d'honneur, que tout membre noble d'une Maison peut lancer à l'attention d'un autre noble – si vous aviez été un simple serviteur, il aurait pu vous faire exécuter sans autre forme de procès. Enfin, il faut qu'il y ait un prétexte très grave pour cela, comme une tentative d'assassinat, par exemple.

- Mais ce n'est pas moi ! Il n'a pas de preuves, à ce que je sache !

- Oui, mais il a failli mourir, et estime que c'est vous qui êtes responsable de cette tentative de meurtre.

- Et donc, à quoi ça sert ?

- Le vainqueur de ce duel est déclaré dans son droit. L'issue est généralement tragique pour le perdant.

- Ah. Il risque de me découper en petits morceaux ?

- Non, car ce duel d'honneur a des règlementations strictes. Vous êtes le défié, vous aurez alors droit de choisir quelle sera l'issue du duel.

- Vous voulez dire que ce n'est pas forcément un duel à mort ?

- Il s'agit d'une querelle interne. Pour éviter que les membres d'une même Famille ne s'entretuent pour n'importe quel prétexte qui pourrait être interprété comme valable, toutes les autorités des Familles ont imposé cette réglementation en cas de duel entre deux protagonistes de la même Famille. Cela évite à une Famille de prendre le risque de se détruire complètement de l'intérieur. Vous pourrez choisir le premier sang ou la mort.

- À mon avis, je resterai sur le premier sang.

- Je comprends qu'à votre âge, on ait peur de mourir quand on a tout à perdre.

- C'est pour lui, je n'aime pas tuer les gens pour des broutilles.

Tu parles ! se dit en lui-même l'adolescent.

- Bon, reprit Liam. Je devrais aller me reposer, si ce duel a lieu à onze heures…

- Très juste. Reprenez donc des forces !

Liam s'empressa de rejoindre Chi'ta qui errait dans les couloirs sombres, encore sous le choc.

- Hé ?

- Oh ! C'est toi ! Quel soulagement !

- Il m'a provoqué en duel. Je dois l'affronter à onze heures.

- Par le Grand Fouisseur ! Non !

- Ce duel ne sera pas à mort, à ma demande.

- Ah… j'espère qu'il n'y aura pas de conséquences trop graves.

- Moi aussi.

- Je t'en prie, peux-tu rester avec moi cette nuit ? Je n'ai pas envie d'être toute seule.

S'il parvint à ne rien laisser transparaître, cette demande chamboula l'adolescent. Avec tout le calme qu'il pouvait déployer, il demanda :

- Y a un canapé dans ta suite ?

- Oui, bien sûr.

- Alors c'est vendu.

En même temps, sur Fedrana, elle n'avait pas l'air trop gênée par mon contact… oui, enfin bon, peut-être qu'elle avait froid. Et puis, ce serait craignos de profiter de son état.

Il la raccompagna jusqu'à sa chambre, et tous deux se couchèrent sans mot dire, lui sur le fauteuil, elle dans le lit.

Quand le soleil se leva enfin sur la propriété, il n'y avait pas un nuage, mais une ombre presque palpable sommeillait paresseusement au-dessus de la propriété Hejaran. Il était neuf heures du matin quand Grennan quitta sa suite, et rejoignit les autres pour le petit déjeuner. Il retrouva Canderous, Chi'ta et Liam dans la salle à manger.

- Ca va mieux, les gars ? demanda-t-il en s'allumant un pétard.

- Tu parles d'une nuit ! Bon, alors, on va pouvoir mener un peu notre enquête en attendant la boucherie ! déclara Canderous avec fermeté. Au bureau !

- Maître Tal, nous devrions peut-être demander au médecin comment est décédé Maître Pershon ?

- Bonne idée, Chi'ta.

Le quatuor se rendit à l'infirmerie. Là, le médecin leur confia que le pauvre majordome avait été étranglé. Pas de traces d'outil, de fil de strangulation, de cordelette, ou tout autre arme. Des traces sur le cou dénotaient une force abominable.

Ils se rendirent enfin au bureau. À la demande de Galemus, en dehors du corps qui avait été déplacé, les gardes n'avaient touché à rien. Les quatre camarades se mirent à la recherche d'indices.

L'œil de lynx de Liam détecta quelque chose sur le tapis. C'était un bout de tissu.

- Regardez !

Personne ne sut exactement d'où venait ce tissu. C'était une étoffe riche, sans doute appartenant à l'un ou l'autre des nombreux nobles qui étaient dans la propriété.

- Ca peut être n'importe qui, y compris quelqu'un qui n'a pas spécialement attiré notre attention jusqu'à maintenant.

- Hé, il y a autre chose, observa le Chiss entre deux bouffées.

Il leva le nez du tiroir du bureau qu'il était en train de fouiller, et sortit un bloc de données. Il l'alluma, et commença à naviguer dans les programmes.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un bloc de données chaudes, fiston. Apparemment, c'est une compilation de plusieurs versions du testament de Lucian Hejaran. D'après les dates, il a passé les six dernières semaines à modifier régulièrement ses dernières volontés. Regardez ça. Il y a une chose qui ne varie jamais d'une version à l'autre, c'est que Themion ne touche que quinze pour cent du trésor. Pour le reste… ouille ! Tous autant qu'ils sont, ils s'en prennent plein la figure ! Et « ce gougnafier de Rodoric » par-ci, et ce « pourceau d'Ubediah » par-là… par contre, la petite sculpture d'ébène, y a pas une ligne sur elle, dans aucun document !

- Vraiment ? Pourtant, il avait l'air de se « préoccuper » de son cas dans son testament holographique, non ? Bon.

De son côté, Chi'ta avait choisi de farfouiller dans la commode où Lucian Hejaran rangeait ses livres. Elle y trouva un gros volume qui dépassait. En l'ouvrant, elle constata que c'était le journal intime du propriétaire des lieux. Elle passa directement à la dernière page remplie. Il n'y avait que deux paragraphes.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Le journal du baron Lucian Hejaran. Je vous lis l'avant-dernière entrée : « aujourd'hui, l'espoir d'une vie meilleure sur la Lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit semble enfin revenir. Maître Shaun, a retrouvé par un extraordinaire hasard le jeune Eldon Hejaran, l'un de mes lointains petits cousins, disparu il y a un peu moins d'une quinzaine d'années. Il est actuellement emprisonné par les autorités d'Amphor IV. Je vais le faire sortir de là et l'amener ici, pour m'assurer qu'il soit plus digne d'hériter de moi que Themion – maudit soit-il. »

- Quand il t'a retrouvé, commenta Canderous à l'adresse de Liam. Et après ?

- Voyons… oh, c'est bizarre ! Écoutez : « j'ai été contacté par Eldon Hejaran. Il m'a dit que nous devions nous voir de toute urgence, pour des explications sérieuses. Il n'a rien voulu me dire de plus, trop peur d'être sur écoute – ce que je comprends bien. Je suis impatient de le rencontrer. » Mais… Liam, tu l'as contacté ?

- Mais non ! Je ne comprends pas.

Grennan en eut assez. Malgré son joint, le chasseur de primes était encore énervé par cette nuit bien agitée. D'un geste vif, il plaqua Liam contre le mur, lui coinçant l'avant-bras sur la gorge.

- Dis donc, toi, tu nous caches quelque chose qu'on aurait dû apprendre ?!

- Ho, du calme, Grennan ! Les padawans apprennent avant tout à être loyaux !

Grennan lâcha aussitôt sa prise, surpris par une telle résistance de la part de ce petit adolescent. Celui-ci rajusta ses vêtements.

- Je ne sais pas du tout de quoi parle ce journal ! Avant que ce droïd vienne me trouver, je ne connaissais même pas l'existence des Hejaran !

- Là, il y a un truc pas clair.

Grennan se gratta la tête.

- On devrait peut-être jeter un coup d'œil dans la chambre de Themion Hejaran avant qu'il ne se remette complètement et ne cache des trucs qu'il ne voudrait pas qu'on trouve, vous ne croyez pas ?

- Tu as sans doute raison.

- Euh… je ne sais pas si je vais vous accompagner. Cette bêtise de duel est pour dans une heure, j'ai envie de me préparer psychologiquement.

- D'accord. Ca se passera où ?

- Dans le parc.

- On t'y rejoindra.

Liam les quitta à pas lourds. Les autres montèrent à l'étage, et gagnèrent les appartements de Themion. Grennan frappa, personne ne répondit. Le Chiss ouvrit la porte… il n'y avait personne. Themion devait être ailleurs.

- Rebelote, les enfants ! lança Canderous.

Ils recommencèrent à investiguer. D'entrée, malheureusement, la petite Chi'ta bouscula une bouteille posée sur la table de nuit en se penchant, et tout son contenu se répandit sur la descente de lit.

- Oh, non, non, non ! gémit la jeune fille.

- Pas grave, il s'en paiera une autre.

- C'est pas tout, Canderous. Tu sens pas une drôle d'odeur ?

Le mercenaire renifla, mit son nez au-dessus de la tache.

- Blast ! T'as raison, y a une cochonnerie dans ce brandy !

- Ouais, mec, je reconnais cette merde. Ca vient d'un ver-gorm, un petit lézard dont le venin est mortel.

- Reste-t-il beaucoup de cette boisson dans le verre, maître Tal ?

- Non, regarde, il y a juste un petit fond. Pourquoi ?

- Parce qu'à mon avis, si Themion Hejaran avait voulu s'empoisonner lui-même pour pouvoir accuser Liam, il aurait calculé la dose pour qu'elle corresponde pile à un verre entier.

- Mouais… je ne crois pas ce petit imbécile capable d'un calcul aussi savant. Il n'a pas dû boire la meilleure dose.

- Il a vomi, donc son organisme a pu rejeter le poison s'il y en avait trop, ou résister suffisamment pour nous rejoindre s'il n'y en avait pas assez.

- Très juste, petite.

Chi'ta avait le nez plongé dans une collection de lettres. Toutes étaient signées de la main de Lucian Hejaran, et étaient plus injurieuses les unes que les autres.

- Il semblerait que Lucian Hejaran et son frère Themion étaient définitivement brouillés, sans la moindre possibilité d'une quelconque réconciliation.

- En même temps, je n'aimerais pas avoir un frangin comme Themion, sauf si j'étais encore plus salopard que lui.

- Hé, Canderous, mate un peu !

Grennan avait sorti d'un sac toute une collection de livres et de magazines. Tous ne traitaient que d'un seul sujet.

- Bien, bien ! Apparemment, ce petit cachottier de Themion a une certaine fascination pour l'anatomie féminine…

Canderous prit l'un des livres illustrés au hasard et siffla d'admiration.

- Je pensais pas que les filles Twi'leks pouvaient faire des trucs pareils avec leurs tentacules crâniens.

- Je me demande quand même s'ils n'ont pas exagéré un peu les dimensions pour le dessin du Wookiee.

Curieuse, Chi'ta ramassa un magazine, l'ouvrit, et tira une telle tête en voyant les photos très évocatrices que le mercenaire éclata de rire. La jeune Drall jeta la revue en toute hâte, comme s'il y avait eu le feu sur le papier glacé.

En quête d'une bouteille de poison, Grennan descendit dans la cave à vin. Il chercha une bonne demi-heure au milieu des fûts, des containers et des bouteilles, mais ne trouva rien. Peu enclin à l'alcool tuant ses sens de chasseur de primes professionnel, il n'en profita même pas pour goûter un verre. Une corne de brume à la tonalité funèbre résonna dehors.

C'est l'heure, Liam. Vas-y, démolis ce balai à chiottes !

Liam avait passé un pantalon confortable, aux couleurs kaki, un maillot de corps beige, et gardait ses chaussures coquées. Il se leva, inspira profondément, noua d'un coup sec son bandana autour de sa tête, et quand il ouvrit la porte, il tomba nez à nez avec Chi'ta, main levée, qui s'apprêtait à frapper.

- Oh, tu es là ?

- Je… je peux t'accompagner ?

- Bien entendu.

Ils se mirent en route. La petite Drall murmura :

- En fait, j'ai quelque chose à t'avouer.

- C'est rapport à cette nuit, n'est-ce pas ?

- Oui, en quelque sorte.

- Tu as dit que tu sentais que Thorn « n'était pas loin ». C'est-à-dire ?

- Je l'ai vu en rêve, juste avant qu'il y ait cette panique, puis j'ai cru voir son horrible visage à la fenêtre.

- Mince alors. Je comprends maintenant pourquoi tu avais autant la trouille.

- Dans mon rêve, on me le présentait comme étant Ry'vla Hejaran, ton soi-disant grand-père !

Liam en fut interloqué.

- Tu crois qu'en fait, je serais le petit-fils de ce wampa en conserve ?

- Je… je ne suis sûre de rien.

- Ce serait quand même une sacrée coïncidence, tu ne crois pas ? Il n'y a que dans les histoires kitsch où le méchant et le gentil ont un lien de parenté. Non, je crois plutôt qu'il s'agit de ce que Maître Katarn a dit… zut, comment il avait appelé ça, déjà ? Une image, un symbole, une allo, alli…

- Une allégorie ?

- Oui, c'est ça. Ton cauchemar était une allégorie du Côté Obscur, c'est tout. Tu as senti une menace, d'accord, mais à tous les coups, elle n'a rien à voir avec Thorn. Tiens, il reste quelques minutes avant l'heure, on va aller vérifier les portraits de mes soi-disant ancêtres, nous verrons bien à quoi ressemble Ry'vla Hejaran.

À la bibliothèque, Liam demanda un document parlant de la généalogie de la famille, et le bibliothécaire lui confia un disque de données. Quand les deux adolescents ouvrirent le fichier présentant les portraits, ils virent la reproduction informatisée du portrait de Salek Hejaran, puis l'image de Ry'vla Hejaran. L'homme ventripotent, avec une longue barbe d'or et des yeux débonnaires, n'avait absolument aucune ressemblance avec le terrible Seigneur Noir. Chi'ta poussa un soupir de soulagement.

- Tu vois ? Il faut se méfier de ce genre d'image, on ne sait jamais si c'est fiable.

Des gardes entrèrent alors dans la bibliothèque.

- Maître Eldon Hejaran, c'est l'heure du Kor'Shan. Nous avons l'ordre de vous escorter seul jusqu'au lieu du duel.

- Bon. Faut que je te laisse, j'ai un sale boulot à faire.

Il se leva pour partir, mais elle le retint par le bras.

- Liam ! Je… s'il te plaît, sois très, très prudent !

- C'est promis. Je ne ferai pas le malin, j'ai envie que ça se termine vite et proprement.

Toute la famille Hejaran avait fait cercle autour d'un espace circulaire délimité par des buissons taillés. Avec appréhension, Liam vit Themion Hejaran en costume noir, jouant avec une vibro-lame étincelante, sans doute très bien entretenue et tout aussi tranchante. Galemus salua l'adolescent, et prit la parole :

- Comme vous le savez, membres de la Famille Hejaran de la Maison Mecetti, le Kor'Shan est une tradition dont la sentence est sans appel. Le vainqueur sera considéré comme étant dans son bon droit. Lorsque les deux protagonistes font partie chacun d'une Maison différente, la tradition ordonne que l'affront soit lavé dans le sang, et donc le combat se termine avec la vie de l'un des duellistes. Quand il s'agit d'un conflit interne, pour éviter qu'une Maison ne s'amenuise d'elle-même incessamment, le défié se voit accorder le droit de choisir entre le premier sang ou la mort. Alors, Eldon Hejaran, quelle issue déterminera ce duel ?

- Je choisis le premier sang.

- Qu'il en soit ainsi. Je rappelle que si cette règle ne devait pas être respectée, si l'un d'entre vous – sa voix traîna tandis que son regard croisa celui de Themion – tuait volontairement ou non son adversaire, il serait déclaré automatiquement perdant. Themion Hejaran a sa propre lame, à vous de choisir la vôtre, jeune Eldon.

Galemus montra un râtelier garni de toute une collection d'armes blanches de toutes formes et toutes tailles. Avec appréhension, Liam les regarda attentivement l'une après l'autre, ne sachant laquelle choisir. C'est alors que la poignée d'une arme lui passa sous le nez. À l'autre bout, il y avait Canderous qui lui tendait sa vibro-lame double Jengardin.

- Tiens, celle-ci est légère, elle fait mal, et t'es sûr qu'elle n'a pas été sabotée.

- Je peux ? demanda l'adolescent à l'attention de Galemus.

Themion tapa du pied, criant au scandale et à l'anti-jeu. Le patriarche n'y prit pas garde, et acquiesça d'un petit signe de tête.

- Je te la rends tout de suite.

- Prends ton temps, surtout. Fais pas l'andouille, et tout ira bien.

Liam soupesa la vibro-lame double Jengardin, fit quelques moulinets, et l'eut rapidement bien en main. Brigta s'approcha à son tour de Liam, et lui murmura à l'oreille.

- Méfiez-vous de lui, c'est un vrai serpent.

Ces paroles ne rassurèrent pas l'adolescent, et le regard de psychopathe de Themion Hejaran l'ébranla davantage.

- Écoutez, êtes-vous sûr qu'il n'y a pas d'autre solution ? Vous n'avez pas la preuve que c'est moi le coupable !

- Peu importe ! Tu n'es pas digne de diriger cette maison, et je vais le prouver !

- Je n'ai pas envie de me battre contre vous ! S'il vous plaît, je vous demande…

- Assez bavardé ! En garde !

Liam soupira de résolution.

- Très bien, vous l'aurez voulu.

Liam leva la vibro-lame de Canderous, peu rassuré. Son adversaire ricana.

- Allez, je vais te donner un avantage, petit bouseux ! Je vais te laisser porter le premier coup !

Ce disant, il se tint droit, présentant crânement son flanc. Liam décida d'en finir au plus vite. Il fit un moulinet vers la gauche, mais feinta et abattit son arme sur la droite. C'était sous-estimer l'habileté de Themion. Celui-ci réagit comme un éclair, et para sans difficulté ce premier coup.

- Tu as eu ta chance, petit crétin. Maintenant, tu vas morfler !

Et le Mecetti s'élança en avant, son épée fendant l'air. Liam réussit à faire glisser l'acier sur la cortose de la vibro-lame Jengardin. Themion ne s'en tint pas là, et flanqua au passage un coup de pommeau sur l'épaule de l'adolescent qui croassa de douleur. Liam s'éloigna d'un bond, et se remit en position de défense. Les deux adversaires tournèrent pas à pas en rond le long de la zone circulaire. Themion s'amusa à pousser Liam à la faute en esquissant de petits sursauts, mais l'adolescent ne s'y laissait pas prendre. Celui-ci décida de prendre l'initiative. Il fonça en avant en faisant quelques tours sur lui-même, et abattit sa lame de haut en bas vers Themion. Le Mecetti leva les poignets, tournant la lame de son épée vers le sol, et dévia l'arme de Liam avant de porter un coup d'estoc en avant.

Il y eut un horrible bruit de déchirure.

Liam ne fut pas conscient immédiatement de ce qui venait de se passer. Quand il baissa les yeux, il vit avec terreur la pointe de la vibro-lame de Themion Hejaran, enfoncée à l'horizontale dans sa cage thoracique. Le sang giclait, barbouillant son maillot de corps d'un torrent rougeâtre. Déjà, un voile rouge envahit son champ de vision, une terrible sensation de froid l'envahit à toute vitesse tandis qu'un martèlement sourd à ses oreilles étouffa les cris de la foule qui assistait au duel. Le monde entier bascula, et c'est à peine s'il entendit le cri suraigu et affolé de Chi'ta.

Les serviteurs emportèrent rapidement Liam sur la civière, et regagnèrent le manoir au pas de course, talonnés par Canderous et Grennan. Chi'ta, trop choquée, n'avait pas osé les suivre, jusqu'au moment où elle vit Brigta se diriger à son tour vers le cabinet du médecin. Interloquée, puis indignée, elle se mit alors en marche, et poursuivit le petit groupe.

Pendant ce temps, Liam Kincaid était dans un autre monde. Il ouvrit les yeux, se redressa… et rendit compte que si son maillot de corps était fendu, il était propre et pas une goutte de sang ne coulait. Il n'entendait qu'une vague rumeur, le souffle du vent qui balayait les collines au milieu desquelles il était maintenant debout, un peu chancelant.

- Seul vous n'êtes pas seul vous n'êtes pas seul vous n'êtes…

Une fois de plus, la voix tonitruante avait éclaté, puis s'était tue. Il était sur un petit sentier de pavés couleur de bronze, près d'une colonne. Le ciel était vert émeraude, et non loin de lui, il vit une demi-douzaine de bâtiments ronds, constellés de mosaïques, aux toitures hémisphériques.

- Blast… où suis-je ? J'ai l'impression d'être déjà venu ici.

- Ce n'est pas une impression, répondit amicalement une voix familière derrière lui.

Quand l'adolescent se retourna, il vit la petite Drall, souriante, assise sur un banc.

- Chi'ta ? C'est bien toi ?

- Eh bien non ! Désolée de te décevoir, mais je ne suis pas celle que tu crois. Mais pour te parler, j'ai rapidement lu dans tes pensées, et j'ai préféré prendre l'apparence qui te plairait le plus.

- C'est gentil de votre part. Qui êtes-vous, alors ?

- Je ne peux pas te le dire pour l'instant, mais un jour, tu le sauras. Considère que je suis ton guide, pour le moment !

- D'accord… euh, je suis mort ?

- Non, ne t'en fais pas. Tu as pris un très vilain coup d'épée, mais tu t'en sortiras. Il faudra cependant faire vite, car quand tu reprendras connaissance, cela interrompra notre conversation. Suis-moi !

La pseudo-Drall se leva, et se dirigea à petits pas vers les bâtiments. Dans le ciel, Liam vit voler plusieurs ptérodactyles fantômes.

- Où sommes-nous, exactement ?

- Sur Kathol. Enfin… avant la catastrophe.

- Quelle catas… vous voulez dire la bataille entre Jedi et Sith ? Celle où les Jedi étaient menés par Halbret ?

- Cette bataille causa la fin des Kathols… du moins, en tant que civilisation.

Ils étaient maintenant dans une grande rue au milieu des bâtiments. Il y avait des statues représentant de grands humanoïdes figés dans des attitudes mêlant gravité et dignité.

- Tu as déjà entr'aperçu cet endroit il n'y a pas très longtemps. En vérité, tu as vécu ce moment où tout est arrivé, dans une vie antérieure à celle que tu vis en tant que Liam Kincaid.

- J'ai vécu la bataille de Kathol ?

- Eh oui, et je ne sais pas si tu me croirais si je te disais que nous nous connaissions très bien en ce temps-là.

L'adolescent fut d'abord un peu étonné, mais prit le parti de rire.

- Euh… je ne vais peut-être pas avaler tout ça tout de suite.

- Oui, à ta place, je ne serais pas sûre d'y croire. Une autre fois peut-être ?

Il y eut soudain un inquiétant grondement. Liam regarda de tous les côtés, à la recherche de l'origine du bruit. Il ne vit rien, et quand il se retourna vers Chi'ta, il se rendit compte qu'elle n'était plus là.

- Euh… où êtes-vous ?

- Inutile, son temps de parole est écoulé.

Liam se retourna, et sursauta. Devant lui se tenait une très étrange créature humanoïde. C'était une grande femme qui portait une robe noire, ainsi qu'une longue cape. Il lui était cependant impossible de distinguer avec précision les traits de son visage car, par un effet d'illusion, son visage était complètement masqué par une ombre noire, si l'on exceptait deux grands yeux topaze qui le fixaient avec une terrible méchanceté.

- Blast ! Mais qui êtes-vous ?

- Tu le sais parfaitement. Tu connais mon nom, pour l'avoir déjà prononcé…

- Je… Oh ! Vous êtes…

- Ah, tu vois ?

- Na'toth ?

- Euh… pas vraiment, non.

- Quoi ?

Liam ouvrit brutalement les yeux. Les signaux aigus réguliers d'un oscilloscope dérangèrent ses tympans. Il regarda autour de lui, tentant de comprendre et de se rappeler, surtout, des derniers événements qui l'avaient précipité là où il se trouvait. Il était allongé sur une couchette, et était relié à tout un attirail de machineries par des perfusions. En baissant les yeux, il vit qu'un énorme bandage cerclait son torse. Et à sa gauche, il y avait Brigta Hejaran, qui le regardait avec espérance.

- J'ignore qui est Na'toth, mais ce n'est pas moi.

- Oh… Brigta ?

- Je ne vous ai pas quitté d'une semelle… mais j'avoue que j'ai été un peu gênée. Elle non plus ne vous a pas quitté.

- De qui vous… Oh !

En effet, à la droite de l'adolescent était assise Chi'ta. La jeune femme suggéra :

- Bien, votre ami est sur pied, je suis sûr qu'il est très heureux de vous revoir, mais maintenant, vous voilà rassurée, n'est-ce pas ? Vous devriez pouvoir aller vous reposer, je peux veiller sur notre ami.

- C'est bien aimable à vous… mais je reste.

Avec un petit soupir de résignation, la jeune femme se leva. Elle murmura à l'oreille de l'adolescent :

- Je vous attendrai à dîner, ce soir, à sept heures. Votre amie vous expliquera pourquoi ce sera votre dernier repas ici.

Puis elle quitta la chambre, laissant les deux padawans. Chi'ta sauta au cou de Liam.

- Le Grand Fouisseur soit loué ! J'ai eu tellement peur !

- Aïe !

- Oh, pardon !

- C'est pas grave… qu'est-ce qui s'est passé ?

- Themion Hejaran t'a gravement blessé. Heureusement qu'on a réussi à te mettre sous assistance médicale très rapidement ! Le médecin a dit que s'il avait tranché trois centimètres plus loin, il aurait rompu une grosse artère, ce qui t'aurait condamné. Tu vas vivre, malheureusement, étant donné qu'il n'y a pas de cuve bacta ici, tu garderas désormais une cicatrice au torse.

- Bon, tant pis, ça fera un souvenir. Combien de temps il s'est passé ?

- Environ trois heures. Tu es resté inconscient pendant tout ce temps.

- Et tu es restée près de moi ? Comme c'est gentil… murmura Liam avec sincérité.

La jeune fille se contenta de baisser la tête, et de murmurer :

- Tu as encore prononcé ce mot étrange.

- Oui, je m'en souviens. « Na'toth »… Je me demande si…

- Quoi ?

- Non, rien. J'ai un peu moins mal que je ne pensais.

- D'après le docteur, ton organisme a guéri bien plus rapidement que la normale.

- C'est grâce à la Force, pour sûr… et grâce à ta présence, je crois.

- Tu… tu es sûr ? N'est-ce pas… la présence de Brigta ?

- Non. Celle qui m'a guidé dans mon inconscience, c'était bien toi.

- Ah… bon.

- Mais qu'est-ce qu'elle a voulu dire par « dernier repas » ?

- Ah oui ! Oh, Liam, c'est… Themion Hejaran a poussé l'avocat, Maître Shaun, à faire réviser le testament de Lucian Hejaran ! Comme tu as perdu le Kor'Shan, il va pouvoir s'attribuer tous les biens de Lucian Hejaran, et nous mettre tous dehors ! Il nous a donné jusqu'à demain matin à la première heure pour rassembler nos affaires et quitter la lune de l'Orbe du Chanteur de la Nuit !

- C'est pas vrai ?! Mince ! C'est ma faute, j'aurais dû gagner ce duel !

- Allez, ne te sens pas coupable. Il doit avoir plus d'une vingtaine d'années d'entraînement à l'escrime, comme tous les nobles de son âge !

- Bon, j'en ai marre, je veux me lever !

- Crois-tu que… ?

Sans attendre la fin de la question, l'adolescent se leva, arracha toutes les perfusions, et quitta le lit. Chi'ta l'aida à sortir de la chambre. Alors qu'ils rejoignaient les autres, ils croisèrent plusieurs Hejaran. Ils durent essuyer plusieurs regards en biais, certains semblaient presque dire à haute voix « eh bien, vous n'avez pas fini de faire vos valises ? », mais les deux adolescents n'y prenaient pas attention. Quand ils arrivèrent à la salle de banquet, Themion était déjà en train de faire décrocher tous les trophées et les tableaux des murs.

- Alors, sale morveux, j'espère que tu auras bien retenu la leçon !

- Vous allez bien vite en besogne, Themion ! répondit courageusement l'adolescent.

- Et ce n'est qu'un début ! Alors écoute bien. Je dois rentrer chez moi pour le moment, histoire de finir de ramener mes affaires. Je reviendrai en fin de soirée. Si vous n'êtes pas tous partis à mon retour, je vous ferai tous exécuter !

- Le testament n'a pas encore été modifié, à ma connaissance.

- Question d'heures, petite vermine d'imposteur !

- Vous aviez dit « demain matin », Seigneur Hejaran…

- Mais tu oses en plus me parler, espèce d'immonde perroquet à poils ! Sois heureuse que je ne te fasse pas empailler sur-le-champ ! Allez, bougez-vous, vous autres ! Balancez-moi tout ça par la fenêtre ! cria-t-il à l'attention des serviteurs.

Chi'ta siffla doucement, triste et indignée en même temps. Les deux adolescents s'éloignèrent, et rejoignirent bien vite les deux guerriers.

- Alors, ça va mieux, gamin ? demanda Grennan.

- J'ai connu pire…

- Même pas vrai ! ironisa Canderous.

- D'accord, okay, je suis passé à un doigt de la mort.

- T'es trop têtu pour mourir aussi bêtement, Liam.

Liam s'assit dans un canapé.

- Alors, vous savez qu'on va jarreter d'ici ce soir ?

- Ouais, il n'a vraiment pas perdu son temps.

- Euh… Canderous, j'ai quelque chose à te demander.

- Vas-y.

- Brigta m'a invité à dîner, ce soir. Toi qui dois savoir parler aux femmes, tu ne pourrais pas aller lui demander d'aller faire parler Themion, histoire qu'on connaisse ses intentions ?

Le mercenaire eut le sourire du chasseur voyant son gibier.

- Je vais voir ce que je peux faire, mais ne te fais pas de fausses idées, à mon avis elle couche pas dès le premier soir.

- Maître Tal ! s'indigna la petite Drall.

- Quoi ? C'est les choses de la vie ! Oh, je me demande comment les Jedi comptent refaire leurs effectifs s'ils sont tous aussi coincés ! s'esclaffa Canderous.

- Je vous en prie ! s'écria la jeune Drall, choquée.

- Vas-y mollo, quand même, maugréa Liam.

- C'est bon, je rigolais. Allez, je vais la voir.

Canderous s'éloigna. Chi'ta oublia bien vite ce petit incident, et dit alors :

- J'aimerais bien examiner le corps de Lucian Hejaran… on ne sait pas encore comment il est mort, non ?

- Oui, tu as raison. On ne nous a encore rien dit, ils ont tous l'air d'être d'accord pour ne pas dire grand-chose là-dessus, observa Grennan.

- Vous croyez qu'ils nous laisseront approcher de mon… enfin, de mon « peut-être » ancêtre ?

- On peut toujours demander, ça ne coûte rien.

Les deux padawans, toujours accompagnés du chasseur de primes, allèrent trouver Galemus. Celui-ci fut surpris par la demande de la jeune Drall, mais conduisit le trio à travers le parc jusqu'à un grand mausolée.

- Voici la Maison des Ancêtres. C'est ici que les membres de la Famille Hejaran terminent leur présence dans cet univers. Pour les quelques jours de deuil, votre ancêtre tient la place d'honneur.

Grennan resta à la porte du petit bâtiment, surveillant les alentours. Galemus se retira, laissant les deux padawans face au cercueil posé sur une dalle funéraire dans lequel reposait désormais Lucian Hejaran. Grâce aux huiles d'embaumement et autres procédés complexes, il était magnifiquement conservé. On l'avait revêtu d'un uniforme noir, et ses mains posées le long du corps étaient encore couvertes de bijoux. Sa vibro-lame reposait à son côté, dans son fourreau. La lumière cyan émise par les globes d'énergie finissaient de donner un aspect étrange au tableau déjà peu engageant.

La jeune fille se pencha au-dessus du cercueil, passa ses mains au-dessus de Lucian Hejaran, à la recherche d'une quelconque anomalie. Liam ne vit aucune trace de blessure sur le visage ou sur les mains, et avait bien trop peur de s'attirer les foudres de la famille Hejaran pour tripoter le cadavre, ou pire encore. Il sentit un picotement électrique traverser son système nerveux quand il vit la petite Drall poser sa main sur la poitrine du défunt.

- J'ai l'impression que le cœur manque. Non, plutôt… on l'a pressé comme un fruit.

- Sans trace à l'extérieur ?

- Une force sans doute effrayante.

- Peut-être la même force que celle qui a tué Pershon ?

- C'est bien possible, Liam.

- T'en as encore pour longtemps ? Cet endroit me fiche les jetons !

- Allons-y, j'en ai assez vu.

Et les deux adolescents quittèrent rapidement le mausolée. Liam voulut se reposer pendant les dernières heures qui restaient avant le repas. Il aida tout de même Chi'ta à faire son paquetage avant de terminer le sien, puis s'allongea sur son lit, en profita pour améliorer ses techniques de méditation pour accélérer la guérison de sa blessure encore douloureuse.

Quand le septième coup sonna à la balance, Liam finissait d'ajuster la cravate du plus beau costume que Galemus avait mis à sa disposition dans la penderie de sa suite. Il descendit jusqu'à la grande salle à manger, et s'arrêta devant le spectacle qui se présenta à lui. Il n'en revenait pas. Pour un dernier repas dans ce manoir, il allait avoir droit à un festin de roi. Le cuisinier avait soigné la présentation comme le contenu, et des plats très appétissants étaient accompagnés de quelques liqueurs les plus sirupeuses. Debout près de la table, Brigta portait une robe de cuir noir, et toute une collection de bijoux d'or et d'argent assortis. L'adolescent fut encore plus admiratif.

- Ouah !

- Je vous plais ?

- D'enfer !

Sans hésiter, Liam s'installa près de la jeune femme, puis ils commencèrent la salade.

- Pas à dire, c'est un beau petit pot d'adieu !

- Themion Hejaran a accepté de nous laisser profiter de la cuisine du manoir une dernière fois… en échange de… enfin, vous voyez ce que je veux dire.

- Eh bien… vous n'étiez pas obligée de faire ça !

- J'y tenais. C'est notre dernier repas ensemble ici, je ne voulais pas qu'il soit raté.

- Alors, Brigta, qu'allez-vous devenir ?

- Je ne sais pas encore. Je vous remercie de vous soucier de moi, mais ce ne sera pas nécessaire. Je dispose d'une petite somme rondelette qui me permettra de tenir le coup le temps de me retourner. Je n'aurai qu'à changer de planète ! Avant, je n'étais pas déjà très appréciée, seulement tolérée, mais avec Themion Hejaran…

- Vous êtes sûre que vous… enfin, j'ai cru comprendre que vous pouviez quand même avoir une certaine influence sur lui. Ne pourriez-vous pas… ?

- Non. Je peux être convaincante, accepter un dîner au restaurant, mais ce ne sera pas au point de partager son lit.

- Vous… vous voulez dire que vous n'avez jamais couché avec lui ?

Liam était éberlué. La jeune femme rit de bon cœur.

- Vous êtes encore bien jeune, mais vous verrez en temps et en heure qu'une femme n'a pas forcément besoin d'en arriver à cette extrémité pour arriver à ses fins par rapport à un homme, en particulier quand cet homme a des vues sur elle.

Quand ils en furent au plat de résistance, la jeune femme rassura Liam sur les options qui s'offraient à elle.

- J'ai bien l'intention de construire mon avenir ailleurs, avec d'autres personnes.

- Vous avez des amis ?

- Quelques-uns… mais surtout, je dois vous avouer que je tiens beaucoup à vous. En effet, j'ai décelé chez vous un grand potentiel. Un potentiel qui pourrait être décisif dans l'accomplissement de mes projets, si vous acceptez d'y participer.

- Ah oui ? C'est très généreux de votre part, mais j'ai déjà des engagements, vis-à-vis de mes amis, et de l'Ordre Jedi.

- Oui, je sais, mais l'un n'empêche pas l'autre. Il serait dommage de ne pas exploiter au mieux vos capacités, vous ne pensez pas ? Contre ce que vous savez.

- Ce que je sais ? Quoi donc ?

- Allons, tout le secteur Tapani est menacé par une guerre stérile entre Maisons d'un côté, et les Précurseurs de l'autre, et personne ne semble y prendre garde ! Rien qu'ici, vous voyez comment les gens réagissent ! Ils sont tous en train de se battre entre eux pour savoir qui aura le plus de pouvoir ! Pensez à toutes les belles choses que nous pourrions accomplir ensemble ! Ne soyez pas aussi borné que ne l'était Lucian Hejaran !

Liam fut plus interloqué qu'il ne le pensait par les paroles de Brigta.

- Que voulez-vous dire ?

- Je veux dire qu'il n'était pas assez attentif à ce qui se passait dans l'univers, trop occupé à se soucier de son fief. Il n'a alors pas vu venir…

- Pas vu venir ? Mais qu'est-ce que… attendez une minute ! Blast ! Ne me dites pas que c'est vous qui…

- Je ne voulais pas quitter cette planète, mais Lucian Hejaran allait s'en charger de par son testament. En me bannissant, il aurait compromis mes projets.

- C'est vous qui avez aussi empoisonné Themion ? Et Pershon ?

- Themion ne mérite pas de vivre, c'était du nettoyage. Pershon était sur le point de découvrir mes plans, et je craignais qu'il ne mette en péril ma mission.

- Votre mission ? Mais quelle mission ?

- Trouver un maximum de collaborateurs pour pouvoir résister tous ensemble face aux envahisseurs du secteur Kathol. Et donc, je suis chargée de vous proposer une nouvelle fois de vous joindre à nous.

Liam eut un petit pincement au cœur, qui s'accentua dangereusement.

- « Une nouvelle fois » ? « Nous » ? Qui ça, « nous » ?

- Sa Seigneurie Daymon Thorn, bien évidemment.

Le coup au cœur. Le visage de l'adolescent se crispa progressivement.

- Vous êtes au service de Thorn ?

- Oui, et il ne tient qu'à vous de prendre votre place parmi nous. Parmi les vainqueurs, car nous serons les vainqueurs.

- Alors c'est ça… Chi'ta avait bien raison. Il y avait bien un Sith dans le coin.

- Oubliez donc cette petite gerboise sans intérêt. Moi, j'ai beaucoup mieux à vous offrir. Serez-vous des nôtres ?

Alors qu'elle prononçait ces mots, elle fit glisser lentement le décolleté de son épaule. Liam jeta un coup d'œil rapide vers la porte. Elle était loin, à l'autre bout de la pièce, et Dame Brigta était entre lui et la sortie. Quant aux fenêtres, il savait qu'elles étaient donnaient sur la falaise. Il était pratiquement sûr que ça allait se terminer par un affrontement, et essaya de s'y préparer.

- Non.

- Vous êtes bien catégorique, jeune homme.

- Je sais exactement ce que je veux. Daymon Thorn est un Jedi Noir.

- Et alors ? Vous autres, les Chevaliers de la Force, vous voyez tout en noir et blanc ! Et le noir est à repousser avec fanatisme ! L'univers est bien plus complexe que ça ! Regardez-moi ! Vous n'oserez pas dire que c'est à cause de ce concept ridicule de manichéisme que je suis telle que je suis ?

- Et vous, l' « Ordre Nouveau », vous trouvez ça complexe ? Purification par le vide, ceux qui ne vous suivent pas sont éliminés, tout ça…

La jeune femme se leva, et regarda Liam avec irritation.

- L'univers tout entier est menacé par les Précurseurs, vous devez l'avoir senti comme notre Seigneur l'a senti. Et tous ces pauvres fous inconscients du secteur Tapani pourraient y faire quelque chose, mais ils préfèrent s'embourber dans leurs petites querelles de terrain. Alors que nous, nous voulons et nous pouvons changer ça. Nous sommes en passe d'apprivoiser leur technologie. Nous pourrons ainsi nous défendre, et nous battre avec leurs propres armes.

- Vous faites une très grave erreur. Un jour, cette technologie va vous sauter au nez, et vous aurez l'air vraiment bête. Et je ferai tout pour que ça n'arrive jamais.

Elle fit quelques pas vers lui.

- D'accord. Dans ce cas, je vais devoir…

Liam ne lui laissa pas le temps de poursuivre, et porta la main à son ceinturon. Mais il n'avait pas sorti la poignée métallique de son étui qu'il sentait quelque chose d'invisible lui écraser la trachée. Surpris et épouvanté, il se contorsionna sur son siège en essayant vainement de desserrer la pression. Dame Brigta tendait la main dans sa direction.

- Bien essayé, padawan, mais inutile. Je n'ai nul besoin d'arme pour tuer. Pershon l'a compris, et vous allez très vite le comprendre.

- Je… je…

- Alors, cela vous aide à réfléchir ?

La douleur s'estompa, et l'adolescent inspira un bon coup.

- Euh… euh… oui, j'ai réfléchi.

- Et donc ?

- Le mieux serait… de me montrer raisonnable.

- À la bonne heure !

- Je vais vous suivre, et revoir… oh, et puis non, tiens ! J'ai changé d'avis ! Je veux être libre comme un dragon-condor ! Je veux ma liberté !

Il avait dit cette dernière phrase en changeant brutalement de ton, se montrant effronté. La jeune femme s'emporta.

- Petit impertinent !

Elle tendit de nouveau la main, Liam fut projeté contre le dossier. Brigta murmura d'une voix mielleuse :

- Je vais vous apprendre à nous respecter, Jedi !

Liam avait de plus en plus de mal à respirer. Il sentait ses yeux sortir peu à peu de leurs orbites. Sa vision se troublait, se noircissait, et ses oreilles bourdonnaient tellement qu'il entendait à peine la voix suave de la femme qui l'invectivait.

- Inutile de tenter quoi que ce soit, Jedi. Votre route s'arrête ici.

Quelqu'un ! Chi'ta ! Chi'ta ! AU SECOURS !

Tranquillement installé sur un banc de pierre dans le parc, Grennan entendit soudain un sifflement perçant, le genre de cri émis par une marmotte de montagne. Le Chiss aperçut alors la petite silhouette capée de Chi'ta clouée sur place, tremblante. Il bondit en avant et se précipita vers elle.

- Hé !? Que se passe-t-il ?

Canderous accourut, talonné par d'autres badauds. Le mercenaire repoussa les gens.

- Poussez-vous, il lui fait de l'air ! Chi'ta ? Chi'ta ?

Elle ne répondit rien, mais se précipita en direction du château. Sans prendre le temps de se poser la question, les deux guerriers lui emboîtèrent le pas au galop.

Liam avait peur. Avant d'avoir été admis au Praxeum, il avait déjà été confronté à plusieurs reprises à des situations dangereuses. Il avait risqué sa vie de nombreuses fois, et s'en était toujours sorti, sans avoir conscience que c'était en partie grâce à la Force. Et maintenant qu'il savait ce dont il était capable, il était à la merci d'une femme, avec les mêmes pouvoirs que lui, mais qui n'hésitait pas à les utiliser pour tuer. Ce qui lui faisait le plus peur était qu'il ne savait pas ce qui pourrait lui arriver s'il passait de vie à trépas à cause du Côté Obscur. Les histoires qu'il avait entendues sur les âmes perdues, et autres, lui revenaient en tête. La femme desserra un peu son étreinte, juste assez pour qu'il puisse encore prendre une goulée d'air.

- Je vous le demande pour la dernière fois, Liam Kincaid : allez-vous assister le Seigneur Thorn dans sa croisade ? Ne gaspillez pas cette dernière offre bêtement en vous laissant mourir…

- … !

- Oui ?

- Va…

Brigta Hejaran était maintenant penchée sur l'adolescent, approchant son visage pour entendre son murmure :

- Va te faire voir, pauvre cloche !

Furieuse, elle serra le poing. Liam eut la langue qui lui sortait de la bouche, et expira faiblement avec douleur. C'est alors que les lourdes portes s'ouvrirent avec fracas. C'était Canderous, Chi'ta et Grennan. Pas le temps de se poser des questions pour les trois compagnons de l'adolescent. Chi'ta se précipita vers la femme, en portant sa main à sa ceinture. Hélas, elle n'était décidément pas à l'aise avec les armes, et fit un mouvement maladroit. Elle alluma trop tôt sa lame laser, et manqua de se brûler le pied. Canderous bondit sur le côté, prêt à se précipiter sur la jeune femme. Brigta fit un geste hypnotique vers Grennan, et brusquement le chasseur de primes éprouva une sensation particulièrement désagréable : il ne contrôlait plus son propre corps ! Il vit ses bras se crisper, se tourner vers la petite Drall qui était toujours sous le coup de la surprise, et son doigt appuya d'un coup sec sur la gâchette. Un rayon argenté sortit du canon, et frappa la jeune fille de plein fouet. Elle s'écroula net. Devant cet épouvantable spectacle, Liam écarquilla les yeux.

- NOOOOOOOOOOOOOOOON ! OH NOOOOOON !

Brigta avait relâché son étreinte. Il sortit son blaster de poche, et tira sur la femme. L'onde de choc paralysante ne lui fit malheureusement aucun effet, sans doute à cause de son état de surexcitation et sa résistance accrue grâce au pouvoir du Côté Obscur. Mais cela avait suffi à perturber l'adepte, qui avait relâché son contrôle sur le Chiss. Celui-ci répondit derechef et ouvrit le feu, le tir doré de son arme atteignit la jeune femme dans la poitrine.

Brigta, hébétée, recula vers la fenêtre. En voyant Canderous, elle tendit la main vers lui en glapissant :

- Tue ce misérable avorton bleu, imbécile !

Mais à la grande surprise de la jeune femme, le mercenaire ne ralentit même pas sa route. Il l'attrapa à la gorge, la souleva d'une main, et la plaqua contre la vitre.

- Imp… imposs…

- Laisse tomber, chérie !

D'un geste violent, le mercenaire projeta la femme par la fenêtre, la vitre se brisa dans un grand fracas, et Brigta Hejaran s'écroula quelques dizaines de mètres plus bas.

Liam se traîna de ses faibles forces vers la jeune Drall.

- Non… ! Pas ça !

- Tout va bien, petit, elle va se réveiller, répondit Grennan en posant la main sur l'épaule de l'adolescent.

- Mais… comment ?

- Regarde !

Le chasseur de primes présenta le côté de son disrupteur à Liam.

- Avant d'allumer cette nana, j'ai dû régler la molette de mon arme sur cette position.

Le sélecteur de puissance du disrupteur était sur « mortel ».

- Tu as dû la « remettre » sur « mortel » ? Mais pourquoi ?

- Parce que je suis un professionnel, et je m'assure toujours de ne prendre aucun risque au cas où un coup partirait tout seul. Du coup, à part les moments où je vise précisément une cible pour tuer, mon flingue reste toujours réglé comme ça.

Le Chiss plaça le sélecteur sur « paralysant ». Liam n'en revint pas.

- Et donc, cela signifie que… blast !

- Oh…

Chi'ta remua doucement, et ouvrit les yeux en les clignant plusieurs fois.

- Que… qu'est-ce qui s'est passé ?

- Chi'ta ! J'ai eu tellement… tellement…

Terrassé par tant d'émotions, l'adolescent tomba à genoux, et se laissa renverser sur le côté. Il entendit un bruit de pas se rapprocher de lui. Il ouvrit les yeux, et distingua le visage de Canderous qui lui sourit avec bienveillance. Il demanda avec hésitation :

- J'ai… j'ai pas été trop nouille ?

- Tu as été très bien.

Attirés par le bruit, les gardes coururent vers la salle à manger. Arrivés au pied de l'escalier qui y conduisait, ils s'arrêtèrent net. Dans l'encadrement de la porte, ils virent sortir, fier comme un dieu, Canderous Tal, portant dans ses bras le petit Liam Kincaid, qui avait l'air inconscient. Il était suivi de Grennan, qui soutenait délicatement Chi'ta. Canderous descendit lentement l'escalier, et sortit en direction de l'aile où se trouvait le service médical. Alors qu'il était dehors, le vieux patriarche Galemus se précipita vers le mercenaire, affolé. Mais celui-ci le rassura d'un petit signe de tête. L'adolescent entrouvrit les yeux, et inspira l'air pur à pleins poumons, heureux d'être vivant.

Liam tournait inlassablement en rond de long en large du balcon qui donnait sur le parc. Près de la porte vers le salon, ses amis parlaient entre eux. Canderous était appuyé contre le mur, affûtant son couteau.

- Depuis le début, c'était bien cette gonzesse, la « mauvaise graine » dont avait parlé Lucian Hejaran. Tu parles d'un sale coup ! grogna Canderous.

- Elle avait l'air tellement gentille, soupira tristement Chi'ta.

- Avoue tout de même que tu es bien contente qu'elle ne puisse plus lui faire de l'œil ! railla gentiment Grennan.

La jeune Drall se tourna vers le Chiss, le regardant d'un air chagriné.

- Maître Grennan, même s'il peut y avoir un fond de vérité dans votre interprétation, je ne puis me réjouir délibérément de la mort de quelqu'un.

- Allez, laisse tomber, je rigolais. Et puis, je te dois des excuses pour t'avoir tiré dessus.

- Je vous en prie, maître Grennan. Tout est passé, et vous n'aviez aucun moyen de vous défendre contre les pouvoirs du Côté Obscur. Si seulement je n'avais pas encore été aussi maladroite… il faudra que je m'entraîne davantage !

- Il y a une chose que t'as pas pu voir, petite Chi'ta.

- Quoi donc ?

- Quand tu as été assommée, Liam a cru que je t'avais tuée. Il n'a même pas pris le temps de reprendre sa respiration. Il a sorti son blaster paralysant, et a copieusement mitraillé cette femme qui lui avait pourtant bien plu.

- Ah oui ?

- J'ai vu pas mal de choses, et je sais reconnaître la tête d'un gars qui voit mourir quelqu'un à qui il tient beaucoup, ou qui croit voir ça. C'est cette tête qu'il faisait.

- Oh…

- Et puis, si son but était de prendre Liam dans ses filets, elle lui a fait les yeux doux, mais n'en pensait sûrement pas un mot !

- Mais oui… c'est vrai !

Chi'ta sentit alors le poids qui pesait sur elle depuis la veille s'alléger, s'alléger… et eut un sourire euphorique. Canderous rangea son couteau dans son étui.

- Et je dois bien reconnaître que tu avais raison, jeune padawan. Quand tu as vu Thorn, ce n'était pas pour rien, il avait bien son influence dans ce château.

- Et Lucian Hejaran a dû s'en apercevoir. C'est elle qui l'a tué. Peut-être que ton parent n'était pas si infâme, au bout du compte, suggéra Grennan en élevant la voix, à l'attention de Liam qui ne répondit pas.

- Oui, enfin bon, ce n'est pas parce qu'il avait senti que Brigta puait que lui était forcément sans reproche ! rétorqua le mercenaire.

Liam trépigna, et se planta sur l'appui du balcon. Il cria en direction du parc :

- Je commence à en avoir vraiment assez d'être un Mecetti ! Je sais bien ce que vous pensez, vous autres ! Qui sera le prochain ? Continuez à comploter entre vous, et je vous promets que personne ne profitera plus jamais de ce sale pognon pourri !

Il y eut quelques réflexions de la part des Mecetti présents. Sans leur laisser le temps de protester plus fort, il retourna vers le petit groupe.

- J'en peux plus ! Ce matin c'était Themion, ce soir c'était Brigta, mais demain, ce sera lequel ? En moins d'une journée, j'ai failli crever deux fois de suite, par la main de gens soi-disant de ma « famille » ! Et puis j'ai autre chose à faire que de m'emmêler les pinceaux dans les affaires familiales des Mecetti ! Je ne peux pas vous obliger à rester avec moi, mais je ne veux pas non plus me morfondre sur ce caillou tout seul, pendant que vous êtes tous à vous battre contre les Précurseurs !

Liam semblait prêt à pleurer. Il s'assit par terre contre la muraille, prostré, la tête enfouie dans les mains. Personne n'osa parler. Chi'ta s'assit près de lui, et posa timidement sa main sur son épaule.

- Quelle que soit ta décision, je la soutiendrai, Liam.

- On peut trouver une solution, gamin ! assura Canderous. Je comprends, dans ton cas, je serais dingue, moi aussi.

Le mercenaire se gratta le crâne, et réfléchit.

- Brigta… Brigta a beaucoup manœuvré, tu dis ? Ca ne servira sans doute pas à grand-chose, mais mon instinct me dit qu'on devrait voir dans sa piaule, histoire de vérifier s'il n'y aurait pas encore quelque chose de pas clair caché chez elle.

- Bien sûr, c'est une coupable confirmée, faut qu'on y aille ! approuva Grennan. Elle a voulu détruire cette famille, elle a peut-être rassemblé des trucs compromettants ! De quoi mettre Themion à genoux avant qu'on ne parte !

Liam releva la tête, et inspira un grand coup.

- Canderous, tu veux bien demander à Galemus de nous rejoindre, s'il te plaît ? J'irais bien moi-même, mais je voudrais souffler encore un peu.

- Pas de souci, gamin, tu as eu une dure journée. Je reviens.

Chi'ta lui fit un grand sourire.

- Voilà, tu sembles plus optimiste, maintenant !

Un instant plus tard, Canderous était de retour, accompagné du vénérable Galemus.

- Alors, maître Eldon, vous souhaitiez quelque chose en particulier ?

- Oui, monsieur. D'abord, que vous m'appeliez Liam Kincaid. Je-ne-suis-pas-Eldon ! Ensuite, je voudrais que vous nous conduisiez aux appartements de Brigta.

- Ah… euh, bien sûr, si vous le souhaitez.

Mené par le patriarche, le petit groupe se dirigea comme un seul homme vers la suite de la traîtresse. Ils fouillèrent sans ménagement les moindres recoins, ouvrant en grand les armoires, vidant les tiroirs à même le sol, comme s'ils recherchaient quelque chose d'autre que de simples livres de compte. Une intuition les poussait à chercher la clef d'un mystère… et c'est ce que trouva Chi'ta, précisément une lourde clef de fer rouillée.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Liam.

- On dirait la clef d'un cachot à porte à serrure mécanique, observa Chi'ta.

- Que dites-vous là ? demanda soudain Galemus.

Le vieil homme se pencha vers la clef, la regarda en fronçant des sourcils.

- Ca par exemple ! Mais c'est la clef des oubliettes !

- Oubliettes ? Il y a des oubliettes, ici ?

- Oui, mais jusqu'à présent, la clef des oubliettes était rangée dans le coffre-fort de Lucian Hejaran, et n'avait aucune raison d'en sortir !

- Comment ça ?

- Elles n'ont pas servi depuis des années.

Grennan s'exclama :

- Peut-être qu'elles servent, maintenant ! Un prisonnier à l'intérieur ?

- Mais ouais ! renchérit Canderous. Cette sorcière devait y garder quelqu'un ! Où sont ces oubliettes ? Allez, conduisez-nous, Papy !

Surpris et un peu pincé, le vieil homme conduisit le petit groupe à travers un dédale de couloirs sombres et étroits, jusqu'à une petite antichambre. Il baissa le bras d'une statue, faisant ainsi coulisser toute une cloison, jusqu'à un escalier poussiéreux. Ils descendirent, Canderous et Grennan gardant chacun un œil sur Galemus. En bas de l'escalier, il y avait une lourde porte d'acier, que Liam ouvrit avec la clef. Ils évoluèrent encore le long d'un couloir, jusqu'à une grande salle basse de plafond, au milieu de laquelle il y avait un puits de deux mètres de profondeur.

- Ah, enfin ! Je commençais à trouver le temps long !

Un petit jeune homme était attaché solidement dans le puits, les pieds pataugeant dans de l'eau saumâtre. Il était mince, vêtu de loques, avait une barbe de quelques jours, mais son regard était flamboyant. Même s'il ne payait pas de mine, il n'était probablement pas un prisonnier ordinaire.

- Alors ? Qu'allez-vous faire, cette fois ?

- Relax, mon vieux, on est du côté des gentils.

- Je n'ai confiance en personne, ni en rien !

- Si c'est l'autre grue qui vous manque, vous devrez vous trouver une autre compagne d'un soir. Celle-là est à la retraite pour de bon.

- Pardon ? Vous voulez dire que Brigta Hejaran…

- …est officiellement clamsée depuis une heure. Grâce à moi.

Canderous regarda mieux le jeune homme. Ses yeux s'habituaient à l'obscurité, il distingua les traits… et perdit son cynisme, surpris par ce qu'il voyait.

- Blast ! Mais qui t'es, toi ?

- Je suis Eldon Hejaran, fils de Salek Hejaran, petit-fils de Ry'vla Hejaran, et héritier de cette baronnie ! Je suis venu réclamer ce qui me revient de droit !

- Si c'est le cas… bon sang, tout s'explique, maintenant ! s'écria Liam.

- De quoi parlez-vous ? Allez, sortez-moi de là !

- D'accord, d'accord. Bouge pas ! Grennan ?

Le Chiss sortit son disrupteur, et fit sauter net la chaîne qui retenait le prisonnier. Canderous s'approcha du puits, et remonta sans effort le petit jeune homme. Celui-ci vit alors Liam, et écarquilla les yeux de surprise. Canderous reprit :

- Amène-toi, on remonte !

- Mais qui êtes-vous ?

- Vous… vous êtes Eldon Hejaran ?

- Oui, monsieur… et vous êtes Galemus Hejaran, n'est-ce pas ?

- Holà, holà, holà ! Une seconde, je veux savoir ce qui se passe !

- Sortons d'abord de ce bourbier, s'il vous plaît ! supplia presque la petite Drall.

Une heure plus tard, ils étaient tous rassemblés dans le salon, avec le mystérieux prisonnier. Une fois lavé, rasé et bien habillé, plus de doute possible sur son identité. Il pouvait être le frère jumeau de Salek Hejaran jeune. Assis juste à côté du portrait posé contre le mur, il présentait aussi bien.

- Alors, qui êtes-vous, exactement ? demanda Liam.

- Je m'appelle Eldon Hejaran, comme je vous le disais tout à l'heure. Je suis l'héritier de Lucian Hejaran.

- Comment vous êtes-vous retrouvé enfermé dans cette oubliette ? demanda Chi'ta. Vous n'étiez pas censé avoir complètement disparu ?

- Qu'est-ce qu'on vous a raconté ? répondit le soi-disant Eldon.

- Eh bien en fait, il y a quelques jours, un droïd est venu me chercher pour me dire que j'avais hérité d'un manoir et d'un domaine appartenant à Lucian Hejaran, qui venait de mourir. J'avais été repéré quelques semaines plus tôt, et il a cru que j'étais Eldon Hejaran, disparu depuis des années.

- J'avoue que la ressemblance peut prêter à confusion. Et ensuite ?

- Je suis venu avec mes amis pour réclamer l'héritage, et comprendre ce qui s'était passé ici. Au début, on a tous soupçonné Themion Hejaran d'être le responsable de toutes ces histoires – faut dire qu'il avait vraiment la tronche de l'emploi – mais en fait, il s'est trouvé que c'était Dame Brigta Hejaran. Elle a tué Lucian Hejaran, puis Pershon… et elle a failli me tuer, moi !

- Eh bien je peux maintenant vous raconter ce qui m'est arrivé, à moi. Pour tout vous dire, je ne me rappelle pas vraiment de grand-chose, la plupart de ce que je sais m'a en fait été rapporté. Il y a un peu moins d'une vingtaine d'années, j'étais âgé à peine d'une quinzaine de mois, j'ai été enlevé, et mon père Salek Hejaran a été abattu par des pirates. Or, quelques jours après cette tragédie, j'ai été emmené par l'un des kidnappeurs, qui a préféré s'occuper de moi plutôt que de m'abandonner. Il m'a élevé avec sa sœur, et ne m'a jamais caché cette histoire. Il m'a toujours dit qui j'étais, et pourquoi j'étais avec lui.

- Au moins, il aura joué la carte de l'honnêteté. Mais qu'est-ce qu'il cherchait à faire ?

- Il voulait que je reprenne ma place… mais surtout, il savait à quel genre de famille j'aurais affaire une fois revenu. Il faisait partie d'un mouvement de résistance local qui se battait pour l'amélioration des conditions de vie des habitants du secteur Pella – au cas où vous ne l'auriez pas vu, ils ne sont pas très bien lotis par rapport à la plupart des mondes. Le fait d'avoir sous la main un Hejaran qui ne serait pas aussi dépravé et égoïste que les autres était pour lui une bénédiction. Donc, lui et sa sœur m'ont « formé » à me battre et à tenir tête, à être combatif et débrouillard. Ils m'ont également appris à espionner les Hejaran.

- Donc, vous étiez en pleine possession de vos moyens. Plus qu'à attendre le moment propice, commenta Grennan.

- Et ce moment est arrivé. Il y a quelques jours, la nouvelle de mon soi-disant « retour » a été discrètement diffusée dans les communications Mecetti. J'ai compris que c'était l'occasion attendue de revendiquer mon héritage. J'ai pris contact avec Lucian Hejaran.

- On a vu ça dans son journal. Vous lui avez alors tout raconté ?

- Juste en très gros. En me voyant, il était troublé, ne savait pas lequel de nous deux était effectivement le fils de Salek Hejaran. D'un côté, comme vous pouvez le voir, je ressemble trait pour trait à Salek Hejaran, de l'autre ce parent retrouvé sur Amphor IV correspondait au niveau de l'identification biologique, d'après les dossiers. Lucian Hejaran a pensé que les dossiers avaient été falsifiés, probablement à raison. Il a alors voulu nous réunir tous les deux pour d'autres tests d'identification génétique… malheureusement, ça ne s'est jamais fait. Pendant que j'étais dans la navette pour le rejoindre, Dame Brigta s'est occupée de lui. Puis elle m'a accueilli. Elle avait l'air bien comme ça, mais elle a dû m'ensorceler, car je me suis brutalement retrouvé dans ce trou à rats. Là, elle m'a expliqué que j'étais désormais le seul au courant de ce quiproquo, qu'il n'avait pas eu le temps de rechanger le testament, et que j'allais finir mes jours dans cette geôle.

- Je comprends ! En fait, tout ceci n'était qu'un piège, rien que pour moi ! Quand Dame Brigta a appris que le baron Lucian Hejaran avait repéré sur Amphor IV quelqu'un qui ressemblait à son parent et qui se trouvait être moi, elle a prévenu le seigneur Thorn, avec qui elle était apparemment en contact. Elle devait avoir mon signalement, et a compris que c'était une bonne occasion de me coincer pour de bon, tout en s'attirant les bonnes grâces de son maître. Et quand vous avez annoncé votre venue, elle a compris qu'il y avait eu erreur sur la personne, mais a préféré continuer le plan initial en vous neutralisant !

Un petit silence suivit. Le jeune Eldon Hejaran se racla la gorge, et reprit :

- Tout s'explique, en effet. Mais même si le testament vous donne raison, je souhaite vous remercier de m'avoir sorti de cette prison et d'avoir fait éclater cette vérité qui empoisonnait le nom des Hejaran.

- Laisse donc, c'est rien. Au contraire, je crois qu'en fait, ça tombe très bien ! se réjouit le mercenaire.

- À quoi pensez-vous ?

- Très simple, répondit Liam. Vous êtes Eldon Hejaran, vous êtes venu revendiquer votre héritage, alors je vais vous le rendre, et bien volontiers ! Je n'en veux pas ! Vous êtes préparé à le gérer, moi pas ! Ce n'est pas comme ça que j'aime vivre.

- Oui, mais non ! Tu as perdu contre ce saligaud de Themion !

- De quoi parlez-vous, maître Grennan ?

- Vous voyez qui est Themion Hejaran, le frère de Lucian Hejaran ?

- Oui, bien sûr. Mes parents adoptifs m'ont aidé à enquêter sur toute la famille Hejaran, et je me suis solidement renseigné sur chacun d'eux. Themion Hejaran est l'un des pires. C'est un maniaque, une hideuse créature assoiffée de douleur.

- Il m'a défié à un duel d'honneur. Le Shok'Nar, ou Nok'Rahn…

- Le Kor'Shan ? Il vous a défié à un Kor'Shan ?

- Oui, c'est ça. J'ai demandé le premier sang, mais ce tordu m'a saigné tellement fort que j'ai failli y passer ! Du coup, j'ai perdu, et il va pouvoir faire modifier le testament en sa faveur !

- Je ne crois pas, non ! répondit Eldon avec malice. Il vous a défié, vous, Liam. Or, avec un test génétique, nous allons établir rapidement que vous n'êtes pas Eldon Hejaran. Du coup, ce n'est pas Eldon Hejaran qu'il a défié, mais bien Liam Kincaid, et le testament vu par tout le monde attribue les biens à Eldon Hejaran.

- Et donc, vous allez pouvoir tout récupérer, et accomplir la volonté de votre parent ! Tout se termine bien, alors ! constata Chi'ta, toute joyeuse.

- Et, dis voir, tu vas essayer de te réconcilier avec Themion Hejaran ?

- Vous rigolez, maître Grennan ? Ca fait des années que j'attends d'avoir les moyens de le punir comme il mérite !

- C'est vrai, il a saigné à blanc tout un village en le taxant de manière exagérée ! rappela Canderous.

- Non, maître Tal, pour ce coup-là, c'était sans doute Brigta, et elle lui a collé ça sur le dos. Je ne le vois pas faire preuve d'une telle subtilité. Il n'empêche que c'est une sale ordure, et je vous promets que je vais le virer de cette planète à coups de pied au derrière ! Où est-il, d'ailleurs, seigneur Galemus ?

- Pour l'instant, il est en train de ramener ses affaires de chez lui, jeune Maître, mais il va avoir une drôle de surprise en vous voyant ! rit le patriarche.

- J'en suis sûr. Chers amis, je vous suis très reconnaissant. Malgré ce que d'autres Hejaran pourraient penser, vous êtes plus sages que la plupart des gens qui hantent cette baronnie. J'ai quand même à cœur de vous rendre l'ascenseur. S'il y a quelque chose que je puisse faire pour vous…

Les padawans échangèrent un sourire entendu. Liam répondit avec un regard décidé :

- Baron Eldon Hejaran, on pourrait peut-être s'arranger…

Dans le vaisseau qui transportait les quatre compères, si l'humeur générale n'était pas exagérément joyeuse, elle n'était pas non plus trop morne. Les passagers étaient silencieux, se reposant après ces émotions. Assise à côté de l'adolescent, Chi'ta lui caressait doucement la main.

- J'ai beaucoup d'estime envers toi, Liam. Tu as agi comme un vrai Jedi Consulaire.

- Merci, c'est très gentil.

- C'est dommage ! Tout ce fric, toute cette baronnie en perspective, tout ça aurait pu être à toi, si ça n'avait pas été un sale coup de ce salaud de Thorn.

- Tant pis ! Qu'est-ce que j'ai à regretter, Canderous ? Un tas de fric ? Et après ? Chez les Pelagia, je ne manque déjà de rien, et vivre dans le luxe m'aurait donné envie de dégueuler, à la longue, même si c'était excitant au début. Un domaine, des belles fringues, des servantes ? Même sans cette influence du Côté Obscur, tout ceci serait allé à l'encontre de mon enseignement de Jedi. De toute façon il y a encore autre chose : jamais les Maisons ne m'auraient laissé tranquille. Être Baron aurait impliqué trop de responsabilités pour moi… ou pas assez. En tant que Jedi, c'est du sort de l'univers entier dont je dois me soucier, et pas de conneries du genre « quelle couleur ira le mieux avec ces bottes-là ? », ou bien « dois-je boire le thé de la main gauche ou de la droite si je veux respecter le protocole ? ». Quant à jouer au jeu des petites mesquineries entre noblaillons, très peu pour moi.

- Là, tu marques un point. Si j'ai bien tout suivi, tout s'est bien terminé, et le petit Eldon va se montrer plus digne que les autres, c'est bien ça ?

- Le nouveau baron Hejaran a pris des engagements écrits devant Maître Shaun concernant la nouvelle répartition de ses biens. Je suis certaine que cette planète va pouvoir émerger, et que ses habitants vont évoluer et sortir de l'obscurantisme technologique dans lequel ils sont prisonniers depuis si longtemps, se réjouit Chi'ta. Les nouvelles routes commerciales seront un bienfait !

- Sûr, Eldon saura gérer son héritage mieux que je ne l'aurais fait. Et puis, très franchement, ça m'aurait vraiment beaucoup déplu d'avoir des ancêtres en commun avec cette grande folle de Don Nycator de Mecetti.

- J'ai été aussi très touchée par ta demande spéciale.

- Une « demande spéciale » ? répéta Canderous, curieux.

- Eldon a insisté pour me rendre un service à titre personnel. Alors je lui ai demandé d'envoyer un peu d'argent à mes parents sur Coruscant. Enfin, « un peu »… au moins de quoi vivre quelque temps sans souci. Il leur a également acheté une petite propriété sur l'un des niveaux supérieurs de la planète, histoire qu'ils ne soient pas à la rue s'ils dépensent tout de manière imprudente.

Grennan fit un petit grognement ironique, puis se leva, regarda par le grand hublot, et se mit à rire.

- Hé, ho ! Venez voir !

Les trois compères se collèrent à la vitre, et virent que le vaisseau passait au-dessus d'un village, et qu'à la sortie de ce village, Themion Hejaran fouettait avec la dernière énergie un bœuf rachitique qui tirait une charrette sur laquelle il avait entassé toute une collection d'objets encombrants. Derrière lui, les villageois riaient, se moquaient de lui, et quelques-uns lui lançaient même des détritus. Canderous et Liam rirent sans retenue à leur tour, tandis que Chi'ta se rassit, ne voulant pas en voir davantage. La navette Mecetti traversa la stratosphère, et entra dans le vide parsemé d'étoiles de l'espace.

Le lendemain soir, la vie avait repris son cours normal sur Procopia. Canderous était tranquillement assis sur la rambarde de la terrasse de l'ambassade Cadriaan. En dessous de lui, tout le parc rougeoyait sous la lumière dorée du soleil couchant. Un peu plus bas, près d'un petit kiosque, il pouvait voir Morgreed et Dankin, rentrés de mission, qui s'exerçaient à des prises au corps à corps. Le mercenaire sirotait sa bière corellienne, savourant chaque gorgée. Il entendit quelqu'un se diriger vers lui. En se retournant, il aperçut Liam.

- Tiens ? Qu'est-ce que tu fais là, gamin ?

- Je suis venu te parler quelques minutes… si ça ne te dérange pas.

Sans dire un mot, le mercenaire tapota la pierre blanche de la rambarde près de lui, invitant l'adolescent à s'asseoir, ce que fit ce dernier. Au loin, on n'entendait que les ahanements et les grognements des deux non-Humains toujours en train de se battre.

- Je… je voudrais te dire merci, Canderous.

- De quoi ? Oh, pour l'autre morue ? Laisse tomber, va.

- Non, je t'assure, sans toi elle m'aurait tué ! Tu parles d'un padawan ! J'ai même pas su me défendre seul.

- Déconne pas, cette garce t'a pris en traître, et tu n'as pas encore son entraînement ! Le jour où tu auras terminé ta formation, je suis certain que Daymon Thorn aura toutes les raisons d'avoir peur, si on ne l'a pas déjà démoli avant.

L'adolescent ne répondit pas tout de suite, se contenta de chercher ses mots avant de changer de sujet :

- Tu sais… quand j'y pense, ça fait quelque temps qu'on part en vadrouille ensemble et… je ne sais pas grand-chose de toi.

- Peut-être parce qu'il n'y a pas grand-chose d'intéressant à savoir sur moi, fiston.

- Ben, je sais pas. T'as pas des amis, de la famille ?

Canderous inspira à son tour.

- Je suis mercenaire de métier depuis près de vingt ans, mon garçon. Dans ce boulot, moins il y a de personnes auxquelles tu tiens, mieux tu te portes. Y a moins de risques que quelqu'un à qui tu es attaché se fasse descendre à ta place, et moins de parents pour te regretter le jour où c'est toi qui y laisses ta peau. Non, je n'ai pas de parents. Je les ai connus, j'avais un petit frère, ils sont morts tous les trois pendant une rafle impériale alors que je faisais mes classes comme jeune cadet volontaire de l'armée procopienne. J'étais dans une base sur une planète voisine quand c'est arrivé, je devais avoir seize ans. Trois ans plus tard, j'ai participé à un raid que notre milice a gagné, mais au prix du sacrifice inutile de mes meilleurs amis. Après ça, je ne voulais plus servir ces bons à rien qui n'avaient pas su s'organiser pour défendre les civils à temps. Alors je me suis barré. Et j'ai baroudé jusqu'au bureau du chef Stern. Au passage, j'ai rencontré Dankin, et on s'est bien entendu. C'est bien le seul à me supporter.

- Je vois. Je n'en avais pas parlé, à toi, mais maintenant je peux te le dire : j'ai rencontré Duncan Blackstorm il y a environ sept ans, il m'a permis de voir l'univers autrement, mais avant ça, j'étais promis à un avenir de criminel.

- Sympa. On aurait pu se croiser dans des circonstances beaucoup moins agréables, alors… Du genre « toi contre moi ».

- Peut-être, mais ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est ce que nous sommes maintenant, et ce que nous en faisons. Tu ne crois pas ?

- Hé, tu te mets à parler comme Chi'ta !

Ils rirent à l'unisson. Liam dit encore :

- Il y a quelque chose d'autre, que je dois te dire.

- Ah oui ?

- Je… en fait, puisque tu parles de Chi'ta…

- Qu'est-ce qu'il y a ? Elle a des soucis ?

- Non, non ! Mais elle a senti quelque chose… et moi aussi, j'ai senti quelque chose. Et… ça te concerne.

Le mercenaire fronça les sourcils, intrigué.

- Mais de quoi tu parles ?

- Si j'ai bien compris, Canderous, tu as toujours été quelqu'un de très seul. Ca n'a peut-être rien à voir, mais il y a comme un grand vide, en toi.

- Houlà ! Encore un peu, et on fait la séance de paléo-psychanalyse !

- Ce n'est pas qu'une image, Canderous. Voilà, Chi'ta et moi avons senti que tu… enfin, que la Force ne circulait pas normalement en toi, comme elle circule avec les autres êtres vivants de l'univers.

Canderous ne riait plus.

- Comment ça ? Attends une minute ! Tu veux dire… tu vas quand même pas me dire que je serais sensible à la Force ?

- Non, Canderous. En fait, ce serait plutôt le contraire. La Force circule à travers tous les êtres vivants. Mais il y en a certaines, très rares, chez qui ça ne marche pas comme ça. Et j'ai l'impression que tu en fais partie.

- Qu'est-ce que tu es en train de me dire ? La Force ne circule pas en moi ? Alors selon toi, je serais un droïd humaniforme exceptionnellement réussi ?

- Non, car si c'était le cas, depuis le temps, on l'aurait vu, tu as quand même encaissé des blessures devant nous, même bénignes. Et puis, les droïds, on ne les sent pas, car ce sont des « objets », certes très perfectionnés, mais ils ne sont pas plus vivants que les speeders ou les vaporateurs. Toi, c'est encore différent, Canderous. On a l'impression que tu absorbes la Force.

Cette affirmation intrigua davantage le mercenaire. Liam continua :

- Voilà pourquoi les modules DarkStryder ne marchent pas sur toi, pas plus que les pouvoirs des Jedi qui agissent sur l'esprit. Et c'est peut-être pour ça, par extension, que tu inspires un peu le malaise chez les gens qui ne te connaissent pas du tout. Il y a comme une « fausse note » dans l'équilibre de la Force à ton niveau.

- T'es sérieux ?

- Je commence à tenir vraiment à toi, Canderous, et si je dis ça, c'est parce que ça me tient à cœur.

Canderous descendit de la rambarde, et fit quelques pas.

- Et t'es sûr de ce que tu dis ?

- Je ne suis qu'un padawan, je n'ai pas le niveau nécessaire pour me prononcer complètement, mais je te propose au moins qu'on en parle avec les membres du Conseil des Jedi, à l'occasion.

- Mais si je ne veux pas en parler, tu vas quand même me balancer à tes supérieurs, n'est-ce pas ? Vous, les Jedi, vous ne pouvez pas rester sans rien faire quand vous êtes devant des histoires comme ça, je parie.

- En principe, non… Mais si j'en parle au Conseil, j'insiste : c'est pour ton bien.

- Et si ça ne m'apporte que des ennuis ?

- Ca va me mettre dans une position très délicate. Je vais être coincé entre le respect que j'ai pour toi, et les devoirs que j'ai envers le Praxeum.

Le mercenaire s'arrêta, et eut un petit sourire.

- Allez, te casse pas la tête, va. Si j'ai quelque chose qui permet de résister aux Sith, autant que je sache vraiment ce que c'est, si ça peut m'aider à le contrôler. D'accord, on va y aller, au Conseil des Jedi. La prochaine fois qu'on passera par Yavin IV, j'irai moi-même en parler à tes chefs, je te le promets.

- Merci, Canderous.

- Petite idée de ce que ça pourrait être ?

- Ben… peut-être, oui. Pendant les cours, j'ai entendu parler d'une race presqu'humaine qui était exceptionnellement résistante à la Force. Il y a environ sept mille ans, elle s'est mêlée à des Humains, et du coup ils ont partagé certains gènes, dont celui de cette résistance. Les premiers descendants des couples ainsi formés se sont rassemblés en un peuple au nom devenu légendaire.

- Quel peuple ?

- Les Mandaloriens.

Canderous écarquilla des yeux surpris.

- Alors si je te suis, Liam, je serais un Mandalorien ?

- C'est une possibilité. Je me trompe sûrement, mais c'est une possibilité.

- Je croyais qu'ils avaient tous disparu ?

- Comment peut-on en être sûr ? À l'époque de l'Ordre Nouveau, tous les Jedi avaient soi-disant disparu, aussi.

- Ouais… alors si c'est ça, faut qu'on aille vérifier.

Sentant une présence, les deux Humains regardèrent vers la porte vitrée, et virent la petite Chi'ta. Elle avait l'air un peu intimidée.

- Tiens, salut ! Tu étais là, toi aussi ?

- Oui, en effet, maître Tal. Je… je voulais juste vous dire merci pour ce que vous avez fait pour Liam.

- Décidément, c'est le jour, ironisa le mercenaire. Mais j'ai fait mon boulot, Chi'ta ! Je suis payé pour vous défendre, c'est tout ! Les deux grands tas de muscles n'étaient pas là, il a bien fallu que je mette les bouchées doubles, sinon je pouvais dire adieu à mon travail et à mon pognon !

- Je sens que vos motivations sont plus profondes que l'argent, même si je ne les connais pas précisément. Écoutez, je sais que vous avez votre caractère, vos méthodes, et que ces traits de caractère ne me plaisent pas toujours, mais je sais aussi que dans le fond, vous n'êtes pas un méchant homme. Il y a du bon en vous, même si vous n'osez pas le laisser s'exprimer.

- Schéma classique, hein ? Je dissimule ma peur et ma solitude sous ce masque de gros dur à cuire ?

- Je… oui.

Canderous Tal éclata de rire.

- Vraiment, je ne regrette pas de vous avoir rencontré. J'ai l'impression d'avoir deux petits neveux, avec pratiquement que les bons côtés !

- Maître Tal… est-ce que je peux vous appeler Canderous ?

- Eh bien c'est pas trop tôt, petite puce ! répondit le mercenaire en ébouriffant amicalement la fourrure sur le crâne de la jeune fille. Ca me va mieux que « bête sauvage », tu ne crois pas ?

La nuit était maintenant tombée. Dankin et Morgreed revenaient vers le bâtiment. Canderous posa une main sur l'épaule de chacun des deux padawans.

- Hé, les enfants, vous êtes déjà allé voir un match de nega-ball ?

- Euh… je n'en ai vu qu'à l'holo.

- Qu'est-ce que le nega-ball, Canderous ? Il paraît que c'est « très excitant », selon les témoignages.

- Eh bien je vais vous montrer pourquoi c'est tellement excitant !

Et le mercenaire emmena les deux adolescents jusqu'au stade de l'île d'Estalle.

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