La Trilogie de l'Expansion

Chapitre 13 : Retours de Force

42338 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/07/2018 18:05

C'était la fin de l'après-midi. Le soleil de la planète Procopia se couchait, dorant les feuilles des arbres du parc de l'ambassade de la Maison Pelagia. L'atmosphère se rafraîchissait, les promeneurs de l'ambassade se redirigeaient vers le grand bâtiment ouvragé. Un spectacle dont Liam Kincaid profitait pour la première fois, de l'une des fenêtres de sa suite. Jusqu'alors, le jeune padawan n'avait jamais vraiment prêté attention à la vue, préférant passer ses soirées de libres à l'holocinéma, en boîte de nuit, parfois seul, parfois avec Chi'ta. Mais quand il avait pensé que c'était peut-être la dernière fois qu'il passerait la nuit dans la suite numéro trois de l'ambassade Pelagia, qu'il réussisse ou non sa mission, il avait pris une bonne heure à méditer, à considérer chaque élément du mobilier, et à réfléchir sur ce qu'il allait faire dans les prochains jours.

C'est alors qu'il réalisa quelque chose, un oubli qu'il devait combler. Il s'assit à son bureau, alluma son petit bloc de données. Une fois l'ordinateur en marche, il lança un programme d'enregistrement audio, sortit le micro. Il se concentra, cherchant les meilleurs mots, et quand il pensa les avoir trouvés, il cliqua sur le bouton, lançant l'enregistrement.

- Euh… Salut, Mam' ! C'est ton fils unique !

Il se sentit ridicule. Pour vanner les grandes personnes, il n'était jamais à court d'inspiration, mais lorsqu'il s'agissait de parler à sa mère, en particulier depuis qu'il avait intégré le Praxeum… c'était une autre paire de manches !

- Écoute… je vais être direct, je sais que tu seras forte, et Pap' aussi. Demain, je pars pour une planète très lointaine, qui ne figure sur aucune carte officielle. Il y a de grandes chances pour que je ne revienne pas.

Il inspira, maudissant intérieurement son manque de tact.

- Franchement… je ne sais pas du tout jusqu'où tout ça va aller. Tu sais… je ne t'ai pas tout raconté sur ce que je faisais. Je n'ai jamais voulu t'inquiéter, surtout pas depuis que le cousin Eldon vous a payé cet appartement. En fait, je me suis déjà mangé de méchantes beignes, j'ai failli finir en prison pour de bon, j'ai même été à deux doigts de claquer plusieurs fois, à cause d'un petit couillon qui m'a embroché, ou d'un tremblement de terre. Mais j'ai préféré te ménager, car tu ne mérites pas d'avoir peur à cause de moi, et de mes décisions. Maintenant que la vie te sourit enfin, je veux que tu en profites au maximum.

Il préféra s'asseoir, comprenant que ses jambes ne le soutenaient plus.

- J'ai compris que tout le monde a droit à une deuxième chance, Mam'. J'ai eu cette chance avec Duncan Blackstorm, et le Praxeum. Je sais que tu n'aimes pas beaucoup ces gens-là, tu m'as dit plusieurs fois que tu trouves que ce sont des allumés mystiques, mais j'aimerais que tu me croies au moins cette fois, quand je te dis qu'avec eux, j'ai beaucoup appris sur moi, et sur les autres.

Il sentit les larmes lui monter aux yeux, et eut du mal à articuler la suite :

- J'ai fait beaucoup de choses quand j'étais sur Coruscant, et pas des choses très, très cool. Mais il y a une chose que j'ai jamais réussi à faire, c'est que tu me dises « je suis fière de toi ». Tu vois… quand j'y réfléchis, c'est vrai que j'ai pas fait grand-chose pour te rendre fière avant de partir pour Yavin IV. Mais ça va changer… J'ai déjà commencé à progresser, je le sens. Depuis que j'ai perdu mon Maître, j'ai mûri. Pas forcément avec joie, mais il a bien fallu. Et surtout, je me suis rendu compte que… vraiment, il faut que je mette les choses au point avec toi et Pap'. Je te promets que je ferai attention, et si je reviens… quand je reviendrai, je crois qu'on devra parler longtemps, le temps qu'il faudra. Il faudra qu'on mette vraiment les choses à plat… je veux qu'on reparte sur d'autres bases.

Cette fois-ci, Liam mit l'enregistrement sur « pause », et prit une petite minute pour laisser aller son émotion. Puis il se dirigea vers le lavabo, se lava le visage à grande eau, et après s'être séché, relança l'enregistrement.

- Quand je reviendrai, je te présenterai… une amie. Ouais, ça non plus, j'ai pas osé t'en parler, mais je me suis fait une copine. Et je crois… je crois qu'il y a vraiment quelque chose entre nous. Enfin, tu dois savoir qu'elle n'est pas Humaine. Je ne sais pas si on pourra te faire des petits-enfants si ça colle vraiment, mais je sais qu'avec le tap… enfin, ton ancien métier, tu n'es pas trop regardante sur les rapports entre Humains et non-Humains. Je te jure, c'est pas une mocheté, elle est plutôt mignonne dans son genre. Et surtout, tu verras, c'est une fille vraiment adorable. Je suis certain qu'elle m'a beaucoup aidé à progresser.

Liam fit une dernière petite pause.

- Eh bien… je crois… que c'est à peu près tout. Je vais y aller. Je te promets que je ferais vraiment gaffe. De toute façon, le temps que cette cartouche te parvienne, tu sauras déjà si on a réussi, ou si l'univers tout entier est sens dessus dessous. Embrasse Pap' pour moi. Je t'aime, Mam'.

Soulagé, il coupa l'enregistrement. Il entendit alors quelqu'un frapper à la porte.

- Oui, qu'est-ce que c'est ?

- Jeune homme ? C'est Flor Mal-Roh.

Le padawan ouvrit la porte. La bibliothécaire en chef de l'ambassade avait l'air de bonne humeur, et lui dit d'un ton enjoué.

- Vous avez un appel dans la salle de communication. C'est monsieur Dankin.

- Ah, très bien, j'arrive.

- Mais… est-ce que ça va ?

En effet, il était encore tremblant d'émotion.

- Oh, ne vous en faites pas. Juste une petite fatigue, ça va passer.

- Je vous le souhaite. Votre jeune amie n'est pas avec vous ?

- Elle n'est pas là, ce soir, elle est sortie avec des copines.

- Ah, je vois, une soirée entre filles, hein ? répondit-elle avec un clin d'œil.

- Exactement. Et moi aussi, je suis de sortie, on dirait.

La Farandole était l'une des cantinas les plus fréquentées du quartier touristique de l'Île d'Estalle. Toutes les boissons connues étaient servies à des tarifs adaptés à toutes les bourses. Ses tables, ses comptoirs et ses canapés s'alignaient sur trois étages. Sur la scène du rez-de-chaussée, un orchestre jouait un antique morceau de paléo-jazz, et des haut-parleurs rediffusaient la musique à travers tout l'établissement. Le dernier étage était pratiquement vide. Près de la terrasse qui donnait sur la place animée, un client sirotait distraitement son jus de pastèque gamorréenne. Il regarda l'heure sur l'horloge murale. Dix-neuf heures…

Il ne devrait pas tarder à arriver, maintenant…

Il tourna la tête en entendant un léger bruit de pas dans sa direction. Son sourire poli se crispa de surprise.

- Ca par exemple… si je m'attendais à ça…

Lentement, assurément, Chi'ta Koskaya s'assit devant lui.

- Bonsoir, maître Blackwood.

- Alors c'est vous, mon rendez-vous.

Selik Blackwood, le tueur Rodien engagé par la Maison Melantha pour abattre Hassla Morgreed, était sincèrement admiratif. La jeune fille Drall, à l'aise dans son kimono procopien, n'avait nullement l'air impressionnée, effrayée, fâchée, en le voyant. Soit qu'elle présentât une expression totalement neutre, soit que lui n'eût pas encore l'expérience pour décrypter les émotions chez les Dralls, tout ce qu'il distinguait sur son visage duveteux était une détermination peu commune.

- J'avoue que je ne pensais pas vous revoir aussi tôt, mademoiselle Koskaya.

- Vous savez qui je suis, je n'aurai donc pas besoin de me présenter.

- Je vous ai aperçu une fois ou deux, en effet, pendant que je suivais ma proie.

- Pour ma part, je dois dire que je vous imaginais plus menaçant.

Selik Blackwood n'était pas à proprement parler quelqu'un de très effrayant. Il était d'une taille inférieure à la moyenne pour un Rodien, et d'une carrure mince. Ses vêtements noirs très serrés le rendaient maigre comme un clou. Il ricana doucement.

- C'est certain, mademoiselle Koskaya. Contre lui, au corps à corps, je n'aurais eu aucune chance. Je me débrouille bien dans les arts martiaux, mais contre un mastodonte pareil… je me serais brisé les poings sur sa carcasse !

- Je n'en doute pas. Maître Morgreed était une vraie force de la nature.

Le droïd de service s'approcha. Blackwood se pencha en avant, et demanda :

- Qu'est-ce que je vous offre ?

- Un jus de poire, s'il vous plaît.

Se tournant vers le serveur artificiel, le Rodien commanda :

- Apportez à cette jeune personne un jus de poire, et mettez-le sur ma note.

Le droïd disparut.

- Bien, parlons franchement, mademoiselle. Votre compagnie est très agréable, mais curieuse. Pourquoi une honnête élève de l'Académie Jedi cherche à rencontrer quelqu'un comme moi ? D'abord, comment avez-vous fait pour me trouver ?

- Eh bien… vous n'avez pas le monopole des contacts dans le « milieu », maître Blackwood. Votre réputation fait de vous quelqu'un de connu sur cette planète.

Le robot revint, posa sur la table un grand verre rempli de jus de fruit, avec de la chantilly, une paille et une petite ombrelle décorative. La jeune fille se mit à le boire, pendant que Blackwood posa ses mains aux doigts plats sur le bois verni. Derechef, le Rodien eut un sourire amusé.

- D'accord, inutile d'en dire plus. Maintenant, j'aimerais savoir pourquoi vous avez demandé à votre contact d'arranger cette entrevue.

- Je ne suis pas venue ici pour vous proposer un contrat.

Blackwood ne souriait plus.

- Ca, je m'en doute. Mais j'aimerais mettre les choses au point tout de suite, ma petite demoiselle. Une prime avait été mise sur la tête d'Hassla Morgreed par un haut dignitaire de la Maison Melantha dont je ne dirai pas le nom. Ce Barabel avait gravement insulté mon client. J'ai appris que ce brave Morgreed était entré dans les petits papiers du seigneur Savill, l'ambassadeur des Melantha sur cette planète, mais cela n'a rien changé aux yeux de mon employeur. Pour lui, Hassla Morgreed était un criminel. Je n'ai fait que mon métier. La justice n'a rien à me reprocher. Vous ne pourrez pas me faire mettre en prison, si c'est ce que vous voulez.

- Ce n'est pas ce que je veux, maître Blackwood.

- Alors ?

Chi'ta but encore quelques gorgées de sa boisson, et articula :

- Je suis venue vous remercier, maître Blackwood.

Cette fois, le chasseur de primes ouvrit de grands yeux surpris.

- Vous plaisantez !

- Pas le moins du monde.

- Mais… pourquoi ?

- Croyez-vous au destin, maître Blackwood ? demanda de but en blanc la Drall.

- Hum, pas spécialement, répondit le Rodien après une brève hésitation. Mais je suppose que beaucoup de Jedi y croient.

- Pour ma part, j'ai été élevée dans le culte du Grand Fouisseur, Celui qui a creusé les galeries de ma planète natale pour que mon peuple y vive… mais mon horizon s'est élargi le jour où j'ai appris que j'avais des affinités avec la Force. Je pense qu'il y a en jeu d'autres puissances qu'on n'a pas forcément besoin de définir, qui se manifestent régulièrement. Et ces forces, entre autres choses, gèrent les rencontres. Sans maître Morgreed, je ne serais peut-être plus de ce monde, à l'heure qu'il est. Plusieurs fois, il m'a sauvé la vie… ce fut même son dernier acte.

- Très touchant. Mais peut-être qu'il a été justement un vecteur pour vous attirer des ennuis. Quand le lieutenant Molina m'a dit que vous étiez sur Kal'Shebbol, il avait pour instructions de tous vous éliminer. Je lui avais donné quelques billets pour qu'il laisse Morgreed en vie pour moi, mais il n'aurait pas été tendre avec vous. Et sur Norphair, vous auriez pu être à la place du Mon Calamari que j'ai abattu si vous n'étiez pas restée à bord de votre vaisseau.

- C'est possible, mais vous n'étiez pas là sur Wakeelmui, là où a eu lieu son dernier combat. Et il est inutile de penser aux diverses possibilités qui auraient pu avoir lieu. Je prends les faits tels qu'ils se sont déroulés. Et pour en revenir à vous, j'ai appris en quelles circonstances maître Morgreed a rencontré la Dame de Sérénité, qui l'a ensuite présenté à moi et à mes autres amis. Si vous ne l'aviez pas poursuivi, nous ne nous serions probablement jamais connus. Donc, d'une certaine façon, tous les bons moments passés en sa compagnie, toute cette attention qu'il a pu manifester à mon égard, et enfin ce dernier sacrifice, tous ces événements sont les conséquences de votre chasse. Sans vous, je n'aurais pas eu le privilège de le connaître. C'est pourquoi je tiens à vous remercier, maître Blackwood.

Selik Blackwood resta silencieux, rendu muet par ces déclarations. En y réfléchissant, il crut même voir un fond de vérité dans ces paroles. Finalement, il se sentit en partie convaincu, et répondit :

- Bon… je n'ai fait que mon travail.

- Lui aussi faisait son travail. Et moi aussi, je vais devoir accomplir mon devoir. Aujourd'hui, je pars très loin, et je ne sais pas si je reviendrai un jour, même si je m'en sors vivante. Alors, avant de quitter cette planète, je veux soulager le souvenir de maître Morgreed. En son nom, maître Blackwood, je vous pardonne.

Le Rodien ne sut pas quoi répondre. Il était sincèrement désarçonné. Au cours de sa carrière, bon nombre de gens l'avaient maudit, quelques-uns lui avaient fait des remerciements polis, beaucoup l'avaient supplié… mais personne n'avait jamais utilisé le verbe « pardonner » à son attention. Enfin, il murmura :

- Cela me rappelle un vieux proverbe qu'un Humain aurait prononcé, il y a des millénaires… Un joueur de nega-ball qui aurait dit quelque chose comme « La plus noble des vengeances, c'est de pardonner ».

- Il ne s'agit pas d'une vengeance, maître Blackwood, mais d'une libération.

- Êtes-vous sûre que c'est ce qu'il aurait voulu ?

- Je suis sûre qu'il a apprécié ses dernières aventures à nos côtés. Et moi, en tout cas, cela me fait du bien de vous le dire. Je me sens en paix avec moi-même, car je suis en paix vis-à-vis de vous.

- D'accord… c'est toujours ça.

La jeune fille se leva.

- Je dois y aller, à présent.

- Vous m'êtes sympathique, miss Koskaya, sincèrement, mais sachez que si un jour, quelqu'un place un contrat sur vous, je n'aurai aucun scrupule à vous traquer.

- Parfaitement. Et je n'aurai aucun scrupule à me défendre.

- C'est de bonne guerre. Merci pour la conversation.

- Je vous en prie. Merci pour le jus de poire.

Elle tourna le dos au Rodien et se dirigea vers l'escalier. Mais Blackwood se leva.

- S'il vous plaît, mademoiselle ?

- Oui, maître Blackwood ? répondit-elle en se retournant.

Le Rodien réfléchit un peu avant de demander :

- Est-ce que je peux savoir… qui l'a tué, finalement ?

- Un ancien roi maniant des pouvoirs magiques redoutables. Mais vous devez également savoir que maître Morgreed l'a vaincu avant de passer de vie à trépas.

- Ha ! M'étonne pas de lui. Ce Barabel était vraiment un adversaire de choix !

Prenant une expression satisfaite, le Rodien se rassit et leva son verre en direction de la jeune fille. Le pianiste finissait d'égrener les dernières notes de la mélodie classique tandis qu'elle quitta l'établissement pour monter dans le speeder qui l'attendait.

Quelqu'un frappa à la porte de la suite 46 du Grand Hôtel Royal de l'île d'Estalle. Dankin, le grand chasseur Togorien, ouvrit. En baissant la tête, il vit Liam.

- Salut !

- Bonsoir, Liam. Entre.

Le jeune homme franchit le seuil. Il demanda :

- Canderous n'est pas là ?

- Si, il est dans le salon, il travaille sur son bloc de données.

Effectivement, l'imposante silhouette à large musculature de Canderous Tal était courbée sur un petit ordinateur portable posé sur la table basse. Le Mandalorien était en train de visionner des enregistrements vidéo.

- B'soir !

- Oh, salut, Liam.

Le mercenaire saisit sa canette de lum, but quelques gorgées, s'essuya le menton sur son bras, et pesta :

- Chair à bantha…

- Qu'est-ce que tu regardes, Canderous ?

Liam s'installa à côté du mercenaire.

- Ce sont les images qui ont été enregistrées il y a un peu moins d'un an, à l'anniversaire de Dame Bathos.

- Je croyais que les vidéos de sécurité n'étaient gardées qu'un mois ou deux ?

- Pas lorsqu'elles ont un rapport avec un crime, elles deviennent des pièces à conviction. J'ai pu les obtenir auprès de l'ambassade Cadriaan.

- C'est l'entrée du parc des Jardins d'Alaphoe, non ?

- Exact.

- C'est toi, là, devant la grille ?

- Ouaip. Et mate un peu qui vient me trouver.

Sur les images, Canderous, en tenue d'officier de sécurité frappé au blason de la Maison Cadriaan, parlait dans son communicateur. Puis l'un des deux gardes en armure qui l'accompagnaient lui montra quelque chose, et la petite silhouette trapue de Chi'ta Koskaya en cape de Jedi entra dans le champ de la caméra.

- Tiens ?

- Hé oui, fiston ! C'est comme ça que nous nous sommes rencontrés. Au début, j'allais lui dire de foutre le camp, mais j'ai vu son sabre-laser. J'ai appelé le responsable en chef, il m'a dit de la laisser entrer.

Effectivement, sur l'écran, le Mandalorien accompagnait la petite Drall à l'intérieur, pendant que les soldats verrouillaient la grille d'entrée derrière eux.

- C'est rigolo !

- Moment historique, Liam : mon premier Jedi. Mais ce n'est pas ça qui m'intéresse. Regarde plutôt :

Le mercenaire enclencha la fonction « retour rapide ». Puis il mit l'image en pause.

- C'est bien ce que j'avais vu.

- Quoi ? Blast ! Le sale fils de…

Aucun doute possible. Sur la vidéo, Canderous venait de vérifier la carte d'identité d'un individu qui n'était autre que Gorak Khzam, avant de le laisser franchir la grille.

- Tu vois ? Il ne plaisantait pas !

- Cette ordure a vraiment du culot ! Si seulement vous aviez pu l'identifier, le mari d'Ari serait peut-être en vie !

- Relax, nous n'avions aucun moyen de savoir que c'était un bandit, à ce moment-là. On ne savait même pas que le Soleil Noir était dans la course. Quayle était déjà mort, de toute façon, la présence de Khzam n'a rien changé. Quand t'es dans le collimateur du Soleil Noir, y a plus rien à faire.

Liam frissonna, repensant à sa douloureuse expérience de la Cellule d'Obédience.

- Ressasser ces souvenirs ne te servira à rien, Canderous, gronda la grosse voix de Dankin derrière eux. C'est passé, maintenant nous devons nous occuper du futur.

- C'est juste.

Canderous éteignit l'ordinateur portable et se releva. Il considéra ses deux comparses.

- Bon, les gars, c'était prévu, les nanas sont de sortie de leur côté, nous sommes donc partis pour une soirée entre mecs. Et c'est la dernière soirée que nous passons à Procopia. Qu'on gagne ou qu'on perde contre les Kathols, de toute façon, je ne pense pas m'éterniser ici. Cela veut donc dire que si on veut faire des folies de nos corps, c'est le moment ou jamais !

- Hé, pas de blague, surtout ! D'abord, je n'ai que quatorze ans, je n'ai pas le…

- Faux, interrompit le mercenaire avec un sourire. Tu crois peut-être qu'on ne s'en apercevrait pas ?

- Mais de quoi tu parles ?

Dankin alluma un lecteur de cartouches son, et aussitôt la chanson retentit dans la suite, reprise par les deux baroudeurs.

- Joyeux anniversaire !

- Joyeux anniversaire, Liam !

Le jeune homme resta coi pendant de longues secondes, puis lorsque la chanson fut finie, il éclata de rire.

- C'est pas vrai ! Comment vous avez su ?

- Quand tu as été hospitalisé sur l'île Lalos, Ezra a eu accès à ton dossier. Elle a pu voir ainsi ta date de naissance, et elle nous a discrètement fait passer l'info.

- Et nous allons passer cette soirée en ton honneur, Liam Kincaid. Pour commencer, prends donc ceci !

Dankin mit un paquet entre les mains du padawan. Curieux et impatient, il l'ouvrit, et ses yeux étincelèrent. C'était un magnifique blouson de cuir brun flambant neuf. Pas un modèle désuet de boutique de fashion victim fait de matières fragiles, tape-à-l'œil et hors de prix, mais un véritable blouson utilitaire, comme en portaient les contrebandiers.

- On l'a pris un peu large, histoire que tu puisses grandir encore un peu.

- Il est magnifique ! Merci beaucoup !

Liam passa son nouveau blouson, et se regarda dans le reflet de l'une des fenêtres.

- Terrible !

- Ne l'enlève pas tout de suite, fiston, on se casse !

- Comment ça ?

Canderous remit alors une enveloppe au jeune homme. Celui-ci la décacheta, et y trouva un petit morceau de papier glacé décoré de lettres argentées.

- Dany et les Droïds… Quoi ? Ils se produisent à Procopia ?

- Ouais, dans deux heures, plus précisément.

- Une place V.I.P., rien que ça ! Super, merci les gars !

- C'est un plaisir.

- Mais… et vous deux ?

Dankin et Canderous sourirent à l'unisson en sortant chacun un billet de leur poche.

- Deux heures, ça nous laisse largement le temps de profiter d'un bon resto.

- On ne va pas retourner au Chandler ? C'était bon, mais snob, et cher, j'imagine.

- T'en fais pas, on a réservé une table dans un endroit bien plus chébran !

Ezra marchait sur la moquette de la salle de séjour de l'appartement situé au dernier étage de la tour. La grande baie vitrée donnait sur la ville, et la doctoresse admira la vue.

- C'est beau, n'est-ce pas ?

- Je devrais penser à quitter l'ambassade pour déménager dans un endroit comme celui-ci. J'adore.

Un véritable tapis magique de lumières mouvantes s'étalait sous ses yeux. Quand elle pivota vers Taava, elle remarqua que celle-ci avait laissé tomber ses vêtements chics pour une nuisette assez légère.

- Je me demande comment j'ai pu passer autant de temps dans cette ville sans faire ta connaissance, Ezra Lohrn.

- Tu sais, on n'est pas amenées à fréquenter les mêmes milieux. Officiellement, je referme les blessures et toi, tu vends de quoi les ouvrir. Quelque part, c'est grâce à toi que je peux faire mon beurre. Mais bon, officieusement, plus d'un rigolo a compris qu'il ne fallait pas me prendre pour une greluche.

Les deux femmes rirent ensemble. La Togruta se rapprocha de la Calipsa.

- Crois-moi, Ezra, j'aurais vraiment voulu venir avec vous. Mais y a quand même plusieurs choses qui me retiennent.

- T'as pas besoin de te justifier.

- Si, vraiment, j'insiste. D'abord, je l'avoue, j'ai quand même sacrément la trouille. J'ai lu le rapport du docteur Akanseh, et ce que j'ai pu voir… il y a dix ans, je me serais jetée à corps perdu dans la termitière, mais maintenant, je n'ai plus mes réflexes d'antan.

C'est alors que le regard de la doctoresse tomba sur le nombril de la Togruta, laissé apparent par la coupe du tissu. Elle distingua la vieille cicatrice. Taava anticipa la question que l'Humaine posait du regard.

- Oui, c'est un petit souvenir d'un contrôle impérial qui a mal tourné. Il m'a fallu du temps pour récupérer. Et depuis, je tâche de rester prudente.

- D'accord… Dis rien d'autre, j'ai pas besoin.

- Merci. Et l'autre raison est que je pourrai me rendre utile ici. Avec la guerre contre l'Empire, et l'assaut définitif qui se prépare en ce sens, il y a besoin de beaucoup d'armes, tu penses. Et je suis une des principales marchandes du coin, ça fait que je suis débordée !

Ezra retira sa veste, ne gardant que son débardeur.

- Une personne de plus n'aurait pas été de trop, mais autant que tu couvres nos arrières ici. J'ai moyennement confiance en ce Bel Iblis, mais si les Calipsa sont équipés avec tes fusils et tes grenades à concussion, ils ne peuvent pas perdre.

Elle se retourna vers la vitre, posant son bras sur le verre renforcé, et appuya son front par-dessus. Elle reprit sa contemplation, rêveusement. Elle mit un instant à réaliser que Taava lui parlait encore.

- C'est bizarre, tout de même. J'ai un peu de mal à reconnaître petit bouchon.

- Tu parles de Chi'ta ?

La Togruta se rapprocha de quelques pas de la doctoresse.

- Quand j'ai rencontré cette petite, elle était déjà très gentille, idéaliste, motivée pour travailler pour son Ordre. Mais elle était aussi très prude. Chaque fois qu'on plaisantait sur des sujets olé-olé, elle se cachait sous un lit ou dans le placard.

- Ah ouais ? C'est étonnant, venant d'une Drall. D'après ce que je peux me rappeler de mes cours de sciences sociales, les Dralls n'ont pas leur langue dans leur poche, en particulier pour ce qui est des potins ou des histoires salaces, ça fait partie intégrante de leur culture ! Les Dralls savent se montrer discrets sur ces sujets quand ils sont face à des non-Dralls, ils sont conscients que ça peut choquer, mais entre eux, ils ne s'en privent pas ! Et en quoi elle a changé ?

- Je ne sais pas si c'est toi, Liam, Canderous, ou tout simplement ce qu'elle a vécu récemment, mais j'ai l'impression qu'elle est bien plus décoincée, maintenant ! Tu l'as vue pendant le dîner ? Elle rit avec nous, elle commence même à plaisanter sur le ton grivois, elle tolère mieux les gros mots… Elle devient plus… détendue, et j'avoue que ça me plaît.

- Ouais, moi aussi. Plus j'apprends à la connaître, plus j'apprécie sa compagnie. Enfin, en tant qu'amie, rien de plus.

- C'est quand même étonnant, quand j'y pense. Comment peut elle être aussi atypique ? Je sais bien que tous les Dralls ne sont pas exactement tous les mêmes, génétiquement et mentalement, mais à ce point… Par moments, j'ai l'impression qu'elle aurait un cerveau d'une autre espèce coincé dans un corps de Drall !

- Tu sais, je crois que c'est la Force. Je ne sais pas vraiment quelles sont les implications médicales, mais j'ai une petite idée sur le plan relationnel. Les Jedi ne perçoivent pas l'univers comme la grande majorité des gens. Ce sont des individus exceptionnels… et leur vie est vouée à être différente. Pour commencer, elle est fille unique, ce qui n'est pas très fréquent chez les siens. Ensuite, elle parle très précieusement, alors qu'elle est jeune, elle va sur ses seize ans, et j'ai rencontré ses parents, ils ne sont pas issus de la haute. Elle a dû apprendre ce genre de phrases en lisant des livres pour adultes, des textes compliqués… la Force a dû la pousser à voir plus loin que les autres, et lui permettre de mieux apprendre tout ça.

- Ouais, et je parierais qu'en contrepartie, elle n'a pas eu une enfance idéale.

Taava était maintenant aux côtés d'Ezra. Elle lui montra alors un petit cadre dans lequel était inséré une photographie. La doctoresse décolla son front de la vitre et la contempla. L'image représentait Morgreed, Canderous, Taava, Liam et Chi'ta sur une plage, en train de se bousculer joyeusement pour sourire à l'objectif.

- C'est Dankin qui avait pris cette photo. Nous étions sur Mon Calamari.

- Ca avait l'air d'être l'éclate totale !

- Regarde-la.

Sur le papier glacé, la petite Drall riait alors qu'elle ébouriffait les cheveux de son condisciple.

- Ce jour-là, c'est la première fois que je l'ai vue sourire aussi franchement. Pas un simple petit rictus poli ou gêné, non, mais un vrai sourire éclatant. C'était aussi la première fois que j'ai eu l'impression de la voir vivre pleinement. On avait vécu une expérience assez traumatisante sur Norphair, on avait tous besoin de décompresser un bon coup, et notre vaisseau avait subi d'importantes avaries. En attendant qu'on nous le répare, nous avons passé une journée de vacances. Et je peux te dire que j'ai été vraiment surprise de la voir aussi radieuse.

- Elle était si introvertie que ça ?

- Ouais, elle était même carrément « coincée » et pas qu'un peu. À tous les coups, sa jeune vie n'a pas été simple. D'abord, je ne lui connais aucun ami, à part nous autres de Procopia. Elle a des affinités avec d'autres disciples de l'Académie ?

- Pas que je sache. En dehors de sa famille, elle n'écrit à personne, et elle ne m'a jamais parlé d'autres gens restés dans le Noyau ou sur Drall qui lui manqueraient.

- Parce qu'il n'y en a sans doute pas beaucoup. Même si ses parents l'ont éduquée avec amour et tendresse, même si elle s'entend bien avec tout le monde, j'ai du mal à l'imaginer petite s'amuser au milieu de tout un groupe d'autres enfants de son âge. Je la vois plutôt à l'écart, un gros livre sur les genoux, ou en train de regarder rêveusement l'horizon, avec cette expression qu'elle affichait quand elle est sortie de la Farandole.

- C'est marrant que tu dises ça comme ça. J'en ai un peu parlé avec Liam pendant qu'elle était convalescente suite à sa crise d'appendicite. Il m'a avoué qu'avant de la rencontrer, il se l'était imaginé comme ça, justement. Le genre « intello plus plus, deuxième de la classe, passe ton chemin ». Il a compris qu'elle était beaucoup plus que ça, et lui aussi a remarqué qu'elle s'affirme.

- Ezra, j'ai quelque chose à te demander…

L'Humaine releva les yeux, faisant face à la Togruta. Celle-ci dit gravement :

- Promets-moi que tu feras bien attention à elle, là où vous allez.

- Je n'ai pas besoin de te promettre, Taava.

- Alors… promets-moi que tu feras gaffe à toi.

Les deux femmes étaient maintenant dans les bras l'une de l'autre. La doctoresse rapprocha son visage de celui de Taava, et chuchota :

- C'est promis.

- Bonjour, jeune homme.

- Bonjour, m'dame. J'ai deux petits paquets à envoyer.

- De quoi s'agit-il ?

- Des cartouches de courrier.

- D'accord… quelle destination ?

Liam posa sur le comptoir de l'antenne procopienne du Bureau Officiel des Services Stellaires deux colis de petite taille.

- Celle-ci part pour Coruscant, et celle-là pour Drall.

- Eh bien ! Ce n'est pas le point de saut à côté !

- Je sais, c'est pour ça que je viens ici. D'habitude je passe par les réseaux plus « simples », mais ces messages sont urgents. La famille, vous comprenez…

- Bien sûr, répondit la préposée. Vous avez de la famille sur Drall ?

- Non, mais j'ai une amie qui vient de ce monde, et je lui poste le courrier pour ses parents, pendant que j'y suis.

- C'est gentil de votre part. Bien, ça nous fera deux cents crédits.

Le jeune homme, averti des coûts d'une telle opération, avait prévu suffisamment d'argent liquide. Il demanda un reçu, pour le remettre à l'administration de l'ambassade de la Maison Pelagia qui acceptait de couvrir ce genre de frais, puis il quitta le bureau de poste, satisfait d'avoir accompli cette tâche. Il regarda sa montre. L'heure fatidique approchait. Il n'avait que quelques minutes de marche à faire pour retourner à l'ambassade Pelagia. Une fois revenu dans sa suite, il vérifia pour la douzième fois son paquetage, puis rajusta son sabre-laser à la ceinture. Puis il soupira. Les adieux aux nombreuses personnes de l'ambassade allaient sans doute être une étape longue et ennuyeuse.

Il rajusta son sac, ferma à clef l'armoire où il avait rangé ses costumes, quitta sa suite, et alla frapper à la porte de celle de Chi'ta.

Personne ne répondit.

Liam fut pris d'un brusque accès de sueur froide.

Oh non, pas encore !

Il effectua un scan psychique à travers la cloison, et décela de l'inquiétude mêlée à un sentiment d'urgence. Sans hésiter davantage, il ouvrit la porte, sabre-laser en main, sens en alerte. Il entendit une petite voix gémir :

- Oh, misère de misère !

La porte de la salle de bain s'ouvrit brutalement, laissant passer Chi'ta, trempée, une serviette sur les épaules. Elle sursauta en voyant Liam avec un petit cri. Celui-ci se retourna, par réflexe.

- Oh, c'est toi ! Tu m'as fait une de ces frayeurs !

- Euh… je suis…

- Mais qu'est-ce que tu fais là ?

- J'ai frappé, tu ne répondais pas. J'ai cru à un mauvais gag du genre « disparition », alors j'ai sondé ta chambre, et j'ai senti ton inquiétude.

La jeune fille eut un petit rire à la fois navré et soulagé. Liam sentit la gêne lui empourprer les joues.

- Tu… tu veux que je te laisse ?

- Pas la peine, au contraire. J'ai encore tout un tas d'affaires à ranger. Avec toi, ça ira plus vite, et nous serons à l'heure. Tu veux bien m'aider ?

- Bien sûr.

Chi'ta se frictionna, passa rapidement un kimono, et se mit face au jeune homme.

- Je m'excuse, Chi'ta.

- Ce n'est rien, répondit-elle avec un beau sourire.

- La plupart des filles que je connais m'auraient pété les dents pour les avoir surprises en petite tenue…

- Oui, mais je te rappelle que cette question-là est différente sur Drall. La seule chose que je puisse te reprocher est d'avoir fait irruption dans ma suite à mon insu, mais compte tenu des circonstances, tu es pardonné.

Elle lui désigna la valise rangée dans le placard. Il alla la sortir du compartiment, la posa au milieu de la pièce et l'ouvrit.

- D'accord, cette fois, je me suis planté. Mais avoue qu'après l'histoire du mariage, j'avais vraiment de quoi ignorer le protocole !

- En fait, j'étais inquiète parce que j'ai médité un peu trop longtemps ce matin, et je n'ai pas vu le temps passer. Il a fallu que je me dépêche, une fille Drall doit consacrer un peu plus de temps à sa toilette matinale qu'un garçon Humain. Quand je pense qu'hier soir, j'ai soutenu une conversation avec un tueur à gages sans perdre le contrôle de mes émotions, et aujourd'hui, je suis tellement déboussolée que je ne suis même plus capable de me préparer à temps !

- Un tueur à gages ? Comment ça, un tueur à gages ?

Tout en commençant à rassembler ses affaires, la petite Drall prit quelques instants pour expliquer ce qu'elle avait fait la veille avant de profiter de la soirée avec ses amies. Il l'accepta, avec un petit hochement de tête doublé d'une moue admirative.

- Allez, je veux que tout soit prêt dans vingt minutes ! Mister V, vérifie bien que le plein soit fait ! Eve, contrôle le fonctionnement des canons de l'appareil ! Cil, Doc, assurez-vous que vos instruments soient utilisables et l'armoire à pharmacie pleine à craquer !

Canderous coupa le micro, quitta le siège de pilotage, et se frotta les mains, visiblement impatient de repartir à l'aventure. Il se rendit dans sa cabine, et contempla encore une fois son armure mandalorienne sous tous les angles, rattachant une sangle par-ci, rajustant une jointure par-là. Toutes ses armes étaient chargées à bloc. Il sortit, et vit dans le sas d'entrée le docteur Lohrn et la Dame de Sérénité.

- Salut, toubib !

- Salut, cap'tain ! Bonne soirée ?

- Pas mal, et toi ?

Elle fit un petit clin d'œil, mais ne dit rien. La Dame de Sérénité demanda :

- Sommes-nous les dernières ?

- Non, les deux gosses ne sont pas encore là.

- Je regrette d'avoir à vous donner tort, capitaine Tal, mais les deux jeunes gens viennent d'apparaître dans le champ de vision des caméras externes du vaisseau, intervint Eve.

Effectivement, un instant plus tard, les pas légers des deux padawans retentirent sur la rampe d'accès. Liam portait son sac à dos d'une main et la valise de sa condisciple de l'autre. Le docteur Lohrn les accueillit avec le sourire, mais quand le mercenaire vit Chi'ta, il eut une sensation bizarre. En effet, la petite Drall avait quelque chose d'assez étrange dans le regard.

- T'as l'air bien calme.

- Oui, Canderous. Je peux partir en paix pour Travnin. J'ai réglé tout ce que j'avais à régler sur ce monde. Je n'ai plus aucun conflit, maintenant.

- Qu'est-ce que tu as fait ?

- J'ai pardonné.

- En effet, je le ressens, approuva Liryl. Tu parais plus sereine.

Le Mandalorien haussa les épaules avec une moue sceptique, mais n'ajouta rien.

- J'espère que Khzam ne nous talonnera pas trop vite, murmura Ezra.

- J'ai fait faire quatre scans complets à cet appareil et à chaque droïd. On n'a rien trouvé. Ou bien il a placé des traceurs nouvelle génération, ou bien il n'a rien mis.

- La deuxième solution me paraît plus probable, Canderous. Autrement, ils auraient trouvé le module à l'intérieur de votre copilote cybernétique.

- Très juste, ma Dame. Par contre, ce qui est tout à fait possible, et même sûr, c'est que ce cornichon ait des agents un peu partout pour le renseigner sur les mouvements des vaisseaux divers et variés dans les astroports. Enfin, va falloir faire avec. Bon, allez ! Tout le monde dans le salon !

Il appela les autres et les droïds à travers les couloirs exigus du Vandread. Une fois tout l'équipage rassemblé, Canderous, voulant faire valoir son rôle de capitaine qu'il prenait très au sérieux, se racla la gorge, croisa les mains derrière son dos tel un militaire au repos, et parla d'une voix autoritaire.

- Bon, écoutez-moi, vous tous. Vous êtes tous plus ou moins en train de penser à la même chose que moi, alors j'ai envie de mettre ça sur le tapis, qu'on se mette d'accord. Cette fois, nous allons droit dans le bourbier, et vous savez aussi bien que moi que le dangeomètre va monter en flèche. Pour l'heure, nous nous dirigeons vers Travnin, qui n'est déjà pas un monde particulièrement paisible, mais c'est pour trouver le moyen d'aller directement sur Kathol. Et là, c'est très simple, on ne sait rien de cet endroit, à part que c'est sans doute truffé de cancrelats géants. Le rapport de Ciro n'a fourni aucune précision à propos de ce qu'ils ont vu sur cette planète. Donc, que ce soit vivant ou droïd, si l'un ou l'autre d'entre vous ne se sent pas capable d'assurer jusqu'au bout, et préfère rester ici, c'est son droit le plus absolu, et je ne l'en blâmerai pas. Même toi, Dankin, même toi, Liam, même toi, Mister V. Pour abandonner, c'est maintenant ou jamais.

Comme il s'y attendait, personne ne fit mine de quitter le vaisseau. Satisfait, Canderous tapa dans ses mains.

- Très bien, nous sommes tous d'accord. Vous avez un quart d'heure pour vérifier que vous avez bien tout votre nécessaire pour l'expédition sur Kathol. Passé ce délai, nous quittons Procopia. J'en profite pour ajouter une dernière petite chose pendant que j'en ai encore l'occasion.

- C'est-à-dire ?

Le mercenaire réfléchit un court instant, et répondit :

- On n'a pas toujours été d'accord sur tout, moi-même je reconnais que je n'ai pas forcément toujours eu une conduite exemplaire aux yeux de certains d'entre vous, mais comme il y a de fortes chances qu'au moins un ou deux membres de notre équipage, voire plus, ne revienne pas de cette mission, autant que je déballe ça tout de suite : j'ai été très content de faire tout ce boulot avec vous. Ca faisait bien longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à travailler en équipe.

La voix monocorde de Eve crachota dans le haut-parleur du salon.

- Capitaine ? Trois individus approchent de l'appareil. Ils n'ont pas l'air hostiles.

- Allons bon…

Canderous s'approcha d'un petit panneau de commande incrusté dans la cloison métallique, et entra une séquence. Une image holographique miniature de l'extérieur apparut sur la table d'holo-échecs, révélant les silhouettes de Tahé l'Indomptable, Rosh Penin et Garm Bel Iblis. Ezra fronça les sourcils.

- Ah, je sens qu'on va avoir droit au quart d'heure d'encouragements d'usage.

- On n'a plus un quart d'heure, autant abréger ! Dankin, va vérifier que tout va bien dans la salle des machines, je vais m'occuper des formalités.

- Okay.

Et le Mandalorien trotta vers le sas, abaissa la rampe, et descendit jusqu'à la hauteur des trois arrivés, talonné par les deux padawans.

Garm Bel Iblis, campé sur ses deux pieds, bras croisés, regarda attentivement les trois personnes descendre jusqu'à leur hauteur. Il salua le petit groupe, et tiqua quand il remarqua que le mercenaire ne lui rendit pas son salut, contrairement à Liam et Chi'ta qui s'étaient inclinés avec respect.

- Maître Tal, on ne vous a pas appris à saluer un supérieur chez les Crocs d'Acier ?

- Les Crocs d'Acier m'ont trahi le jour où mes amis sont morts pour satisfaire l'ego du sergent Belik. Je ne suis plus un militaire régulier, et je n'ai aucune raison de vous considérer comme un supérieur, encore moins de m'aplatir à vos pieds.

- Un soldat républicain qui m'aurait adressé la parole ainsi aurait été envoyé au cachot sur-le-champ, mais comme vous venez de l'observer, vous n'êtes qu'un agent à louer, aussi je ne dirai rien pour cette fois. J'étais simplement venu vous souhaiter bonne chance, car je suppose que c'est ce dont vous allez avoir le plus besoin dans les jours qui viennent.

- Génial. Les troupes républicaines sont parées ?

- Nous ferons notre possible pour contrer les assauts de l'Empire et des Kathols. Cependant, le plan dont nos deux jeunes amis m'ont parlé me paraîtra plus décisif si nous affrontons les deux armées simultanément, nos chances risquent d'être minces. Alors si ce « projet Renaissance » nous débarrasse des forces Kathols, la balance penchera en notre faveur. Nous ne savons que peu de choses des moyens des Kathols, et ce que nous savons est déjà très effrayant.

Canderous regarda les deux padawans, l'air navré.

- Bon sang, les enfants, vous étiez vraiment obligé de lui déballer ces infos ?

- Maître Tal, ne vous en prenez pas à eux. En tant que serviteurs de l'Ordre, ils ont fait leur rapport à leurs professeurs qui ont jugé bon de me transmettre ce rapport. Ces padawans savent encore ce qu'est le sens du devoir.

Les deux padawans sentaient l'atmosphère ambiante s'alourdir. Quand la petite Drall leva timidement la main pour suggérer de passer à autre chose, le général fit un signe de tête.

- Vous avez raison, jeune fille, nous avons assez perdu de temps, et vous êtes tous pressés. Cela m'ennuie de le dire à quelqu'un comme vous, mais le sort de l'Univers est entre vos mains, tâchez de faire votre travail proprement.

- Propre ou sale, un boulot d'infiltration reste un boulot d'infiltration. Maintenant, si vous le permettez… et puis d'ailleurs, non, je n'ai pas besoin de votre permission !

Et Canderous remonta à bord sans même un regard pour les deux Jedi. Bel Iblis pesta.

- Je commence à me demander si nous pouvons compter sur cette tête brûlée !

- Général, il est toujours comme ça quand il s'agit de parler avec des gens portant l'uniforme, mais c'est un guerrier efficace, et nous devrions pouvoir mener à bien notre mission sous son commandement.

- Oui, enfin bon, quand ma condisciple et moi-même serons de vrais Jedi, nous tâcherons de garder un œil sur lui, histoire qu'il ne fasse pas trop de dégâts.

Le général eut un rire ironique.

- Mouais… Bon, Skywalker a confiance en vous, la Présidente Leïa a confiance en vous, et d'après ce qu'on a pu me dire sur vous et vos agissements ces derniers mois dans le Secteur Tapani, vous avez pu vous en tirer jusqu'à présent. Tous mes vœux vous accompagnent.

Derechef, les padawans s'inclinèrent, et Bel Iblis salua à nouveau avant de tourner les talons et de s'éloigner. Canderous en profita pour redescendre sur la piste. Ce fut Chi'ta qui ouvrit le dialogue.

- Sire Penin, sire Tahé…

- Bon, c'est là où vous devez nous déclamer l'éternel refrain sur les valeurs telles que l'héroïsme et le don de soi, je suppose, ironisa le mercenaire.

- Canderous, tu fais suer, à la fin ! soupira Liam. Ces gens sont de vrais chevaliers Jedi qui ont fait leurs preuves, pas des planqués au service d'une des Maisons !

- Ouais… mais si vous êtes si balaises, pourquoi vous ne venez pas avec nous ?

Les deux Jedi prirent un air un peu hésitant. Penin répondit :

- Croyez-nous, si ça ne dépendait que de nous, on n'hésiterait pas à vous accompagner, mais nous devons suivre les instructions du Conseil. Pendant que vous allez au cœur du problème, l'Empire n'attend pas. La Sphère À Torpilles Avancée est pratiquement opérationnelle, il faut que je m'assure d'en retarder sa mise en service, même si cela doit impliquer la collaboration avec le R.A.J.

- De mon côté, il vaut mieux que j'anticipe les coups du Soleil Noir sur l'échiquier du secteur Tapani, ajouta Tahé. Quelque chose me dit que notre ami Khzam va redoubler d'efforts pour parvenir à ses fins.

- Ca, y a de fortes chances. Bon, cette fois, faut vraiment que je vérifie tout.

- Les esprits guident votre bras et vous accordent la victoire, maître Tal.

Une fois Canderous de nouveau à bord, Penin murmura :

- Si l'on en croit les derniers rapports, votre mission ici touche à sa fin. Katarn m'a chargé de vous dire que, jusqu'à présent, vous avez rempli le Praxeum de fierté. Vous avez fait un travail exceptionnel dans des circonstances vraiment difficiles.

- En revenant de Wakeelmui, j'ai mis le Conseil au courant pour votre petite « entrevue » avec Khzam. Skywalker a été sincèrement impressionné par vos capacités de résistance – d'autres Jedi plus expérimentés n'ont pas survécu à la Cellule d'Obédience. Je n'ai plus de doute sur ce point : revenez-nous en état de nage, et soyez sûrs qu'on vous appellera « Sire Kincaid » et « Dame Koskaya ».

Les deux padawans parurent un peu gênés, mais se continrent. Puis les deux Jedi leur firent l'accolade, et les saluèrent une dernière fois alors que la rampe d'accès remontait. Une fois à l'intérieur, Liam s'assit sur le canapé du petit salon.

- Cette fois, on est vraiment partis.

- Je le crois bien, Liam.

- « Sire Kincaid »… ça sonne pas mal, non ? Vu que je suis sensible à la Force, j'avais peut-être des ancêtres Jedi, mais je me demande si je ne serai pas le premier depuis longtemps à porter ce titre !

- Nous n'y sommes pas encore, Liam, il ne faut pas que ça te monte à la tête…

- Ouais, t'as raison. T'as beaucoup d'histoires de famille étonnantes, à ce propos ?

- Non, à ce que je sache, je suis la première de ma lignée à présenter les aptitudes de la Force. Mais peut-être qu'il y en aura d'autres. Si c'est une évolution spontanée, d'autres futurs membres de ma famille pourraient en avoir les caractéristiques.

Les moteurs grondèrent, le signal sonore de décollage retentit. Chacun se dépêcha de boucler sa ceinture. Le vaisseau de transport s'ébranla, vrombit, et quitta le hangar avant de décoller vers les cieux. Une fois le Vandread dans l'espace, tout le monde se détendit. Les deux padawans se rendirent au cockpit. Canderous était en train de rire.

- Comme c'est tordant ! « Le sort de l'Univers entre vos mains » ! Et dire qu'il y a encore des croulants pour sortir des beaux discours à deux crédits comme ça ! Mais où vous l'avez dégotté, ce mariole ?

- Canderous, n'avez-vous pas honte de parler ainsi du Général Garm Bel Iblis ? C'est un grand homme !

- Je suis d'accord avec Chi'ta. Est-ce que tu sais ce qu'il a fait, au moins ?

- Non, mais je parie que tu as envie de me faire profiter de tes cours d'histoire. Remarque, vas-y, je claquerai moins ignare.

Liam s'assit sur le siège de copilote.

- Pour faire bref, Bel Iblis a été l'un des fondateurs de l'Alliance Rebelle, avec le sénateur Bail Organa et le sénateur Mon Mothma. Sans lui, je ne serais pas là aujourd'hui, pas plus que Chi'ta, car il n'y aurait pas eu de Praxeum. Et sans son génie militaire, son audace et ses renforts, le Grand Amiral Thrawn aurait peut-être renversé la République il y a six ans.

- Il aura fait quelque chose d'utile, votre général Bel Iblis. Et j'espère pour le secteur Tapani que ça ne changera pas. Bon, assez de bavardages, on a de la route à faire, et j'aimerais réviser mon matériel avant d'arriver. Mister V, prends le pilotage, passe en hyperespace et préviens-moi quand nous arriverons à Travnin.

- À vos ordres, capitaine Tal !

- Tenez, venez voir, les padawans, dit alors Ezra.

La doctoresse emmena les deux jeunes gens jusqu'au petit hangar du compartiment bâbord du Vandread.

- Ouah ! s'extasia Liam en voyant le fonceur Mobquet de classe Super Fusée, parqué sur le côté.

- Pas mal, comme engin, non ? Je pense qu'il pourra me servir un jour ou l'autre. Mais il y a mieux.

- Oh ? fit la petite Drall en montrant du doigt le fond de la pièce.

L'une des trois caches de marchandises officieuses était désormais occupée par une cuve bacta toute neuve.

- Plus besoin d'un hôpital en cas de gros bobo ! Qu'est-ce que vous en dites ?

- Voilà qui est beaucoup mieux qu'un énième dispositif de combat ! répondit Chi'ta avec un beau sourire.

Assis dans le petit salon, Liam contemplait rêveusement le damier de la table d'holo-échecs sur laquelle il était accoudé. C'est à peine s'il entendit la voix éraillée de Mister V répéter :

- Capitaine Tal, vous êtes attendu au poste de pilotage, communication entrante ! Capitaine Tal, vous êtes attendu au poste de pilotage…

La porte de la cabine sanitaire s'ouvrit, et Canderous sortit en refermant précipitamment sa braguette avant de courir vers la proue du Vandread. Inquiet, le jeune homme se leva et le suivit. Arrivé au cockpit, il put voir une planète au milieu du vide spatial. C'était un globe grisâtre, tacheté de quelques petites étendues bleutées. Juste devant le Vandread volaient trois chasseurs de modèle Aile-A, ces petits appareils légers et rapides qui avaient démontré toute leur efficacité à la Bataille d'Endor. Canderous parlait nerveusement dans le micro.

- Évidemment que je vous demande l'autorisation de nous poser ! Y a que les pirates qui se poseraient en cachette !

- Veuillez nous suivre sans discuter, Vandread.

En grommelant d'agacement, Canderous positionna l'appareil entre les trois petits vaisseaux.

- Mister V, prends le relais. Tous les autres, rassemblement dans le salon.

Une fois les six amis assis autour de la table d'holo-échecs, le capitaine prit la parole :

- Je récapitule, que tout le monde soit d'accord. Officiellement, nous sommes un groupe de chercheurs menés par le docteur Ezra Hallett et ses deux jeunes stagiaires, escortés solidement par deux blasters à louer. C'est une couverture suggérée par notre amie Taava, qui a pu nous fournir de faux papiers.

Le mercenaire fit passer les cartes plastifiées.

- Je ne connais pas ses contacts, mais ils sont efficaces. Ces faux papiers sont d'autant plus réussis qu'ils sont absolument authentiques. Cette couverture sera préférable à la version officieuse, comme quoi on est ici pour donner un coup de vidéophone à des non-Humains bouffis de complexes pour qu'ils nous laissent aller dans une termitière planétaire afin qu'on plonge un bidule d'une technologie inconnue et mystérieuse dans une bassine avant de revenir.

- On est des archéologues à la Jenos Idanian, quoi.

- Si tu veux, Ezra.

- Ca me plaît, dit Liam, enthousiaste. Et quelle sera la couverture de Dame Liryl ?

- Je n'en aurai point, jeune padawan. Il vaudra mieux pour tout le monde que je reste à bord pendant votre recherche. Quand nous arriverons sur Kathol, je vous accompagnerai, mais tant que ma présence n'est pas nécessaire, je préfère rester seule au calme, et éviter de trahir ma présence aux yeux de la Reine Na'Toth.

- N'oubliez pas, il faudra m'appelez « docteur Hallett » pendant que nous sommes parmi les citoyens de Travnin. Contentez-vous de m'appeler par mon prénom ou mon titre si vous ne voulez pas prendre de risque.

- Oh, nous n'avons pas changé de nom ! remarqua Chi'ta en examinant sa carte.

- En fait, je suis la seule à avoir changé, vu mon appartenance à la Maison Calipsa. Vous deux, vous remarquerez que ces cartes ne sont pas frappées du logo de l'Ordre. Bien entendu, en cas d'urgence, sauver une vie sera plus important, mais autrement, il vaudrait mieux éviter de dire que vous êtes des padawans.

- Tiens, il y a un logo dessus. « Czerka »… C'est quoi, la Czerka ?

- C'est une grande corporation interplanétaire très ancienne, spécialisée dans l'armement, répondit Ezra. Ses employés organisent fréquemment des fouilles archéologiques pour mettre la main sur des technologies exploitables. Autant vous le dire tout de suite, elle n'a pas une excellente réputation, car elle a tendance à « oublier » l'éthique la plus élémentaire, pourvu qu'il y ait du profit, et se tire toujours des difficultés judiciaires à grands coups de pots-de-vin ou de disparition de témoins gênants. Cela dit, on ne soupçonnera pas nos deux amis d'être des Jedi.

Après un court silence, Liryl demanda :

- Que savons-nous exactement de cette planète, capitaine Tal ?

- Pas grand-chose… C'est le satellite d'une géante gazeuse, juste un caillou recouvert de poussière grise avec des petits océans épars. Cette planète se trouve au fond de l'Amas de Minos, qui se trouve en bordure du secteur Kathol, à quelques parsecs de Kal'Shebbol.

- Il faut croire que les Moines Aing-Tee se sont aventurés un peu plus loin que les limites qu'ils ont imposées, observa pensivement Chi'ta.

- Théoriquement, on ne devrait pas avoir trop de soucis, continua Canderous. La capitale de ce monde est Pozne, et environ cent quarante millions d'habitants, pratiquement tous Humains, se partagent cette planète. Il y a peu de zones habitées et le terrain est accidenté mais dépourvu de végétation. Cela ne devrait donc pas être trop difficile de retrouver des ruines, si elles n'ont pas déjà été repérées et cartographiées par la population locale. Mais…

- Pourquoi faut-il toujours qu'il y ait un « mais » ? râla Liam. Alors, c'est quoi, le problème, cette fois ?

- Le problème, c'est que c'était la base de la Flotte Impériale de l'Amas de Minos.

Il y eut un soupir de lassitude général. Le mercenaire continua :

- Une seconde ! Ces informations datent de plus d'une dizaine d'années ! Cette planète est aussi paumée que ne l'était Wakeelmui ! Il y a donc une bonne chance que les installations impériales qui étaient sur place aient été laissées au moins à moitié à l'abandon depuis la chute de Palpatine !

- Si ça se trouve, ils croient toujours que c'est l'Empire qui domine !

- Je ne crois pas, docteur Lohrn, intervint Dame Liryl. Tous les officiers de toutes les armées doivent régulièrement présenter un rapport, surtout en temps de guerre. Il ne s'agit pas d'une poignée d'hommes coincés sans radio sur une île déserte. À moins que l'Amas de Minos tout entier ait été privé de communications, ce qui n'est pas le cas, ils ont forcément eu vent de la défaite capitale de l'Empire. Peut-être même que les troupes sur place ont été mobilisées et déplacées.

- Et la population civile ?

- Terrorisés, mais serviles à souhait, d'après les derniers écrits. Histoire de leur aérer un peu la tête, on a fait construire « l'Anneau », une grande piste de course.

- Ca a marché ?

- Du tonnerre, jusqu'au jour de l'inauguration où tout s'est effondré. Voilà ce qui arrive quand les membres d'une administration aussi pourrie préfèrent investir dans des matériaux de construction bon marché et garder les sous pour eux.

- Je suppose que, pour mon bien-être, il vaudrait mieux que je me tienne éloignée de ce lieu, murmura la jeune Drall.

- On n'aura pas à y rester bien longtemps. Tout ce qu'on cherche, c'est des ruines isolées. Nous allons atterrir.

Tous les membres de l'équipage se retirèrent dans leurs cabines respectives. Canderous, resté seul dans le cockpit avec Mister V, pouvait voir la surface de la planète Travnin. Dans le communicateur, le pilote de tête ordonna :

- Veuillez nous suivre jusqu'à la piste principale.

Quelques minutes plus tard, le Vandread était à l'arrêt. Ezra descendit de l'appareil, à la rencontre du préposé. Le jour était en train de se lever, et il n'y avait pas d'autre vaisseau sur la piste. Quelques minutes plus tard, après les formalités d'usage, elle retourna à bord pour se préparer. Dans le petit salon du vaisseau, le mercenaire finissait de lacer ses bottes. Il avait décidé d'y aller calmement, et son armure mandalorienne était restée dans son placard.

Du coin de l'œil, Ezra vit la petite silhouette de Chi'ta. Elle constata que la jeune fille s'était changée : elle portait un gilet orange sombre à rayures bleues garni de poches, sous un ciré jaune vif qu'elle finissait de boutonner.

- Tiens, c'est quoi, cette tenue ?

- C'est une combinaison d'exploration que ma mère m'avait acheté à l'occasion d'un stage sur un site de fouilles archéologiques avant que je ne passe mon diplôme de sociologie – j'étais dans une période d'intérêt pour l'archéologie.

- Voilà qui tombe à pic, alors ! Ta couverture n'en sera que plus crédible.

- En fait, docteur Lohrn, j'aurais pu faire des études plus complètes d'archéologie, mais quelque chose me poussait à m'intéresser plus à mes contemporains qu'aux traces du passé. J'ai gardé cette combinaison car je savais qu'elle me servirait de nouveau un jour. Elle n'est pas très esthétique, mais confortable et étanche, ce qui me sera utile dans les prochaines heures.

- J'avais déjà remarqué que tu ne mettais plus ta robe de Jedi. Tu l'as jetée ?

- Oh non, docteur, je l'ai juste laissée sur Procopia. Je ne la porte plus qu'à l'occasion d'une mission diplomatique, ce qui ne sera pas le cas aujourd'hui.

- Tu m'étonnes ! Toutes vos robes, vos capes, et tous les froufrous qui peuvent s'accrocher aux branches d'arbre, se coincer dans les portes ou vous faire trébucher, c'est pas top ! ricana Canderous.

La porte de la cabine des hommes s'ouvrit, laissant passer Liam. Il avait passé sa vieille combinaison blanche, dans laquelle il avait débarqué pour la première fois sur Procopia, et qu'il n'avait pas sortie depuis bien longtemps. Voyant le regard interrogateur du Mandalorien, il expliqua :

- Cette combi, c'est un peu mon gri-gri. Je l'ai suffisamment portée pour savoir qu'elle est solide et qu'elle encaisse bien. En plus, avant, elle était un peu trop grande, mais maintenant elle me va parfaitement !

- C'est vrai, la première fois que je t'ai vu avec, tu nageais un peu dedans, observa Dankin.

D'une main ferme, Liam ouvrit le placard à vêtements, et en sortit le blouson de cuir brun que les deux baroudeurs lui avaient offert. En le mettant, il se sentait comme un gladiateur d'holofilm en train de passer son armure. Dankin baissa la manette d'ouverture, et la rampe du sas s'ouvrit sur un spectacle peu réjouissant. Canderous fut le premier à descendre, suivi par le docteur Lohrn et les deux padawans, tandis que le Togorien ferma la marche.

La piste d'atterrissage sur laquelle était posé le Vandread était en préfabriqué, comme tout le reste de la base. Trois hommes vêtus d'armures constituées de bric et de broc et armés de vieux fusils à poudre noire attendaient. Chi'ta pouvait sentir la tension de leurs nerfs. Celui en tête demanda :

- Qui est le capitaine Tal ?

- C'est moi, répondit le mercenaire en faisant un pas en avant.

- Veuillez nous suivre, s'il vous plaît.

- Et pourquoi je le ferais ?

L'homme de tête se fit plus insistant.

- On vous a donné la permission de venir ici, mais avant de vous laisser gambader sur Travnin, nous voulons être sûrs de bien savoir à qui nous avons affaire. Nous avons ordre de vous amener au colonel Niourk, notre chef.

- Est-ce nécessaire ? demanda Liam.

- On voit bien que vous êtes des touristes ! Le colonel vous expliquera tout.

Le petit groupe déambula dans le campement. D'un œil exercé, Canderous fit un repérage rapide des lieux. Ils étaient arrivés dans une base constituée de tentes de toile blanche. C'était la fin de la matinée. Le soleil éclairait péniblement la poussière grisâtre qui recouvrait intégralement le sol. Les civils et miliciens allaient et venaient, certains échangeaient quelques mots, mais tous ne semblaient pas très rassurés. L'humeur générale était à l'angoisse, Chi'ta le sentait bien.

- Où sommes-nous, exactement ?

- À une trentaine de kilomètres à l'ouest de Pozne, ma petite dame. La piste d'atterrissage de la capitale est inaccessible pour le moment.

Enfin, les trois miliciens s'arrêtèrent devant une tente plus grande que les autres. Ils y entrèrent, laissant les cinq compagnons entre eux.

Comme personne ne semblait les surveiller de près, Canderous en profita pour se tourner vers les autres.

- Tout ça ne me plaît pas, chuchota-t-il discrètement. Je n'aime pas tellement savoir Liryl seule dans mon vaisseau.

- T'as peur qu'elle nous trahisse, Canderous ?

- Peut-être pas de son plein gré. Y a un truc qui colle pas, je le sens.

- Elle nous a bien caché la vérité sur ses origines, mais a fini par nous la révéler.

- Mouais… mais j'ai quand même une toute petite sensation comme quoi elle nous cacherait encore quelque chose. Bah ! J'imagine que toutes ces histoires entre les Kathols, le Soleil Noir et l'Empire me rendent parano. Enfin, j'ai quand même demandé à Eve de garder une caméra sur elle, histoire qu'elle ne tente rien d'idiot.

Les trois miliciens se représentèrent.

- Entrez, mais faites gaffe, on vous a à l'œil.

À l'intérieur de la grande tente, plusieurs plans et cartes étaient punaisés sur des panneaux de liège montés sur chevalets. Un homme était penché sur une grande carte déroulée sur une longue table. Il releva la tête en voyant entrer la petite compagnie.

- Asseyez-vous, ne faites pas attention au désordre. Désolé si mes gars vous ont paru nerveux, ils ont du mal à se remettre de l'assaut d'hier. Je suis le colonel Rahesh Niourk.

Le colonel Niourk était un grand Humain mince. Son visage anguleux était cerné de longs cheveux blancs, et une moustache claire barrait sa figure sous un long nez. Malgré son statut de colonel, il ne portait pas d'uniforme, mais une combinaison utilitaire ornée de nombreuses poches, dont la plupart contenait des outils. Ses yeux, profonds sous un large front dégagé, scrutèrent les cinq compères avec prudence. Ceux-ci prirent place sur les tabourets laissés un peu partout autour de la table.

- Bon, qui est le chef ?

- Mademoiselle, répondit Canderous en montrant le docteur Lohrn d'un geste.

- Je suis le docteur Ezra Hallett, spécialise dans les sciences archéologiques travaillant pour le compte de la Czerka.

Le front du colonel Niourk se plissa.

- Ah ouais ? Qu'est-ce que fiche la Czerka ici ?

- Eh bien, c'est très simple ! La corporation est toujours avide d'étendre ses connaissances sur l'histoire des planètes peu connues. Nous sommes venus car nous avons entendu parler de ruines archéologiques très, très intéressantes, qui seraient sur ce monde et attendraient d'être fouillées.

Le colonel éclata de rire.

- Je ne sais pas ce qu'on vous a dit exactement, mais ce que je peux vous dire qu'ici, on n'a vraiment pas la tête à perdre du temps à creuser des trous dans le sable !

- Pouvez-vous me dire ce qui se passe sur Travnin, exactement ?

- Oh, trois fois rien ! Juste une recrudescence brutale d'hommes en blanc ! Jusqu'à présent, il y en avait quelques-uns, pas de quoi nous faire trop trembler, surtout depuis la défaite de l'Empire il y a dix ans. Mais tout a changé il y a environ trois semaines. D'un seul coup, un croiseur est arrivé et a amené tout un contingent de soldats de choc. Ils ont alors fait une rafle sur toute la planète, et depuis… hé, ça vous inquiète autant ?

Le colonel avait remarqué une certaine appréhension crisper les traits des trois Humains. Le docteur Lohrn demanda :

- Vous… vous avez le nom de ce croiseur ?

- Non, pourquoi ?

- Pour rien. Et donc ?

- Donc, du jour au lendemain, on s'est retrouvé avec tout un tas d'Imps pour nous pourrir la vie. Pour serrer la vis, ils ont serré la vis, et pas qu'un peu ! La population s'était habituée à la présence des hommes en blanc, mais ils y sont allés très fort ! Arrestations multiples et arbitraires, confiscations abusives… Les plus volontaires et capables d'entre nous se sont enfuis, et rassemblés ici pour organiser un mouvement de résistance.

- Y a beaucoup de groupuscules comme le vôtre ? demanda Canderous.

- Il y a eu un rassemblement de résistants comme ici à chaque ville de Travnin.

- Vous savez combien d'Impériaux sont à Pozne ?

- J'ai des informateurs sur place. Ils ont compté cinq cents soldats de choc rien qu'à la capitale. Nous, ici, nous sommes à peu près deux cents.

- Pas terrible, gronda Dankin. Vos chances sont minces.

- Pourquoi ne pas vous enfuir ? demanda Liam.

- Jeune homme, chacun des gars qui se trouve dans ce camp a au moins un parent en ville. Femme, enfant, père ou mère… je ne fais pas exception. Eux ne peuvent pas fuir car les Impériaux ont imposé un blocus sur les vaisseaux de transport. Et ce n'est pas avec nos trois-quatre malheureux vaisseaux de combat qu'on pourrait aller chercher de l'aide ou évacuer les gens.

Ces paroles laissèrent les cinq compères songeurs. Ezra n'en démordit pas.

- Et, à votre avis, pourquoi ces Impériaux sont arrivés ?

- Excellente question. Mes agents font aussi des recherches dans ce sens. Ils ont remarqué une chose plutôt préoccupante : il semblerait qu'une huile soit restée sur place avec le moff Cross.

- Le moff Cross ?

- Oui, le moff de l'Amas de Minos, installé ici. Il a accueilli un Impérial plutôt important.

Le jeune padawan sentit l'atmosphère de la tente se rafraîchir de quelques degrés. Ezra demanda encore :

- Est-ce que… cette huile a un signe particulier ? Des jambes de métal ? Une armure impressionnante ?

- Non, pas que je sache. Un bureaucrate en uniforme comme un autre.

Canderous parut un peu agacé.

- Mouais… Tout ça ne nous mènera nulle part. Autant j'adore massacrer les Impériaux, autant on a autre chose à faire pour le moment. On cherche un site !

- Moi, ce que je cherche, c'est libérer mes concitoyens.

- À deux contre un, avec des ennemis mieux équipés que vous, vous courez au massacre, mon vieux !

- Pas forcément. Pour commencer, avant que vous n'arriviez, j'étais sur le point d'envoyer des communications aux dirigeants des différentes poches de résistance, afin qu'ils nous envoient quelques hommes. Si nous sommes suffisamment nombreux, nous avons une chance de battre les Imps de Travnin. Si le moff Cross tombe, tout le reste suivra. Les citoyens nous assisteront, et nous pourrons les chasser, ville après ville !

- Et en quoi est-ce que ça nous concerne ?

Liam allait répondre à la doctoresse, mais Chi'ta le retint d'un geste. Heureusement, le colonel n'y prêta pas attention.

- Vous avez l'air d'être plus que de simples pieds plats d'archéologues. Vous, en particulier, le rasta, et vous, le Togorien. Peut-être que vous pourriez nous apporter votre participation ? En échange d'un coup de main de notre part. Notre banque de données devrait vous fournir la liste des lieux susceptibles de vous intéresser. D'ailleurs, je ne devrais même pas avoir à vous poser la question, et réquisitionner à la fois votre matériel et vos personnes. Vous disiez aimer massacrer les Imps ? Voilà une excellente occasion !

- Y a peut-être une solution plus simple.

- À quoi pensez-vous, docteur Hallett ?

- Eh bien, je suppose que sur une planète comme celle-ci, l'eau courante est plutôt stockée dans de grands réservoirs.

- Je vois où le bon docteur veut en venir, murmura Canderous. On peut mettre quelque chose dans la flotte. De quoi coller une diarrhée maison aux consommateurs.

Cette fois-ci, Chi'ta ne put se contenir.

- Vous n'y pensez pas ! C'est indigne !

- J'avoue que je pense comme la demoiselle, renchérit le colonel. On combat l'Empire, on n'utilise pas ce genre de procédé, surtout si ça peut toucher les citoyens eux-mêmes.

- Oh, allez, juste de quoi leur secouer les boyaux ! insista Ezra.

- Non ! Et si un civil qui boirait cette eau faisait une violente allergie et en mourait ?

- Bon, bon… Et quand nous sommes arrivés, à quoi pensiez-vous ?

Le colonel montra d'un geste de la main la grande carte sur la table.

- Très simple : prendre d'assaut le palais présidentiel.

- Rien que ça ! Et comment ?

- Les Imps sont nombreux et bien équipés, mais si mes homologues des autres villes de Travnin m'envoient chacun quelques hommes, on peut arriver à mille guerriers. D'accord, ils sont mieux armés, mais nous compterons sur le nombre et la surprise. Nous les attaquerons simultanément sur plusieurs fronts. Ils seront pris au dépourvu, et pendant qu'ils enverront leurs forces aux frontières de Pozne, un petit groupe s'en prendra au palais lui-même.

- Le palais est bien défendu ?

- D'après l'informateur, il y aurait une garnison d'une quarantaine d'effectifs. Le palais n'est pas une forteresse, il n'y a pas de défense très élaborée.

- Qu'est-ce qui nous empêche de bombarder les Imps avec notre vaisseau, alors ?

- La présence de quatre canons ioniques anti-aériens, je suppose ? Il y en a un à chaque point cardinal de la ville, ils tirent sur tout ce qui est plus gros qu'un corbeau et qui vole.

- Vous comptez faire quoi, comme assaut ? Couper le courant ?

- Ca ne changera rien pour le palais, il a son alimentation autonome au sous-sol.

- Faisons un trou pour y entrer par cette cave !

- Comme si personne n'y avait pensé auparavant ! Ca fait longtemps que toutes les parois du sous-sol sont blindées et sous alarme.

Le docteur Lohrn s'impatienta.

- Bon ! Eh bien dans ce cas, on y va au culot ! On arrive, on enfonce la porte, et on fait le ménage à l'intérieur avant de vous ramener le moff et l'huile à coups de pied au derrière !

- Tactique audacieuse, mais je dois vous prévenir d'autre chose : en plus de la garde, il y a trois droïds sondes qui patrouillent en permanence au-dessus du palais. Mais pour moi, plus c'est culotté, plus ça peut marcher. Et vous ne serez pas seuls, je vous confierai une demi-douzaine d'hommes.

Liam leva le doigt.

- Si je puis me permettre, colonel, si on se pointe à plus de dix devant le palais, avec l'air bien décidé à en découdre, ils vont se méfier !

- Vous avez raison, jeune homme. Le contingent peut vous rejoindre au palais par les égouts. Il y a un accès dans la rue. Vous, vous pourrez y accéder avec un speeder. Une fois à l'intérieur, arrivez jusqu'au bureau du moff situé au premier étage, capturez-le, et nous aurons l'avantage.

- Sauf s'ils en profitent pour abandonner leur moff et nous laissent l'abattre, rétorqua Dankin.

- Je ne crois pas. Même si nous n'avons pas affaire aux Impériaux les plus fanatiques de l'univers, abandonner délibérément un supérieur est un crime. Ce qui nous faut, c'est le moff Cross, ou à défaut, l'huile qu'il reçoit. Ca va déstabiliser les Imps, et nous ne leur laisserons pas le temps de se réorganiser.

- Et à partir de là, ce ne sera plus de notre ressort. Vous nous ferez accompagner à votre site le plus intéressant !

- Je vous ferai accompagner au site de votre choix, docteur Hallett.

Les camarades parurent plus ou moins satisfaits de l'accord, mais Canderous insista.

- C'est donc entendu. Une fois la ville de Pozne à nouveau sous votre contrôle, la première chose que vous faites, c'est nous amener là où nous vous le dirons !

- Je vous en donne ma parole d'honneur.

- Attention, colonel. Si vous ne respectez pas vos engagements, moi, je m'engage à vous le faire regretter !

Canderous n'avait pas l'air de plaisanter. Comme à son habitude, il ne prenait pas des pincettes avec les militaires professionnels.

Liam était assis sur une cantine. Il regardait d'un air absent les miliciens préparer leurs armes et faire chauffer les véhicules. Il se sentait anesthésié, engourdi, et ce n'était pas forcément à cause de la température qui baissait.

- Hé, Liam ? demanda le docteur Lohrn.

- Hein ?

Le jeune homme avait sursauté.

- Relax ! On n'est pas encore partis. Qu'est-ce qui t'arrive ?

- Oh… c'est vraiment de plus en plus glauque. Ezra, j'ai l'impression que plus on avance, plus on s'enfonce dans la gadoue ! On ne parle plus qu'à des criminels, des officiers désabusés, des miliciens épuisés, des escrocs, des politiciens corrompus et des Impériaux. Et entre les deux, on se bat, parfois pour une cause qui n'est pas forcément la nôtre, et on se fait emprisonner, torturer, si on ne se fait pas tuer. Je commence à en avoir vraiment assez.

La Calipsa parut sincèrement surprise.

- Mon pauvre Liam, tu n'es vraiment pas dans ton assiette ! Ca ne te ressemble pas.

- Je commence à me demander si je suis vraiment fait pour être un Jedi…

- Ca ne va pas, non ? Hé, Liam, tu es le premier garçon que je rencontre qui me fait croire en l'égalité des sexes, tu ne vas quand même pas nous abandonner maintenant, alors que nous sommes si près de la fin !

Elle s'assit à côté de lui, et le secoua par les épaules.

- Tu es un Jedi, je le pense sincèrement, et je te l'ai déjà dit au mariage. Tu en as la force physique et mentale, tu es fidèle à tes principes, tu es loyal envers tes compagnons et ton Ordre, tu es idéaliste et enthousiaste, et tu n'es pas étouffé par une bienséance hypocrite. La seule chose qui te manque peut-être encore, c'est l'endurance. Supporter toute cette pression pendant une longue période. Mais ça, tu apprendras avec le temps, et de toute façon, tu en as déjà supporté bien plus que la plupart des gens que tu as rencontré, moi y compris.

- Même maître Morgreed a eu un petit moment de doute, ajouta Chi'ta qui les avait rejoints. Il me l'a confié quand nous étions revenus sur Fedrana. Et n'oublie pas ce que Maître Skywalker a dit quand il a parlé de la fuite de Brakiss. Les plus grands Maîtres Jedi ne sont pas immunisés aux crises de remise en question. Mais douter n'est pas faillir, Liam. L'important, c'est de surmonter ce doute. « Il n'y a pas l'ignorance, il y a la connaissance », tu te souviens ?

En voyant la petite Drall lui faire un grand sourire, le jeune homme se sentit mieux. Il repensa alors à ce que Skywalker lui avait dit quelques mois plus tôt, peu après son coup de gueule au Praxeum, comme quoi il avait eu plus que sa part d'épreuves par rapport à son âge. Quelques mois… qui paraissaient des années.

Une corne de brume sonna alors au-dessus des toiles. La bataille allait commencer.

Coincée à l'arrière du speeder-limousine entre Dankin et Canderous, Chi'ta essayait de faire abstraction de la situation. Tout ce qu'elle avait dit pour rassurer Liam semblait avoir quitté son conscient à l'approche du danger.

Non, ma fille, tout ceci n'est qu'un rêve absurde. Tu es tranquillement en train de dormir dans le terrier de tes parents, sur Drall. Tu n'es pas une padawan. Tu n'as aucun ami ailleurs que sur le monde où tu es née. Tu n'es en aucune façon sur une planète dirigée par des Humains racistes, tu n'es pas assise à l'arrière d'un speeder conduit par un docteur spécialisé dans la médecine des champs de bataille pour prendre d'assaut un palais présidentiel…

Elle pencha la tête en avant, vers la place du mort, espéra trouver un peu de réconfort auprès de Liam, mais celui-ci était en pleine concentration, yeux fermés, doigts sur les tempes. La petite padawan comprit qu'il conditionnait son esprit pour le combat à venir. Elle voulut lui demander comment il procédait, afin qu'il puisse l'aider à en faire autant, mais n'en fit rien, ne voulant pas briser son effort. Elle décida de s'intéresser à l'architecture de la ville pour penser à autre chose.

Les rues de Pozne étaient poussiéreuses, mais les bâtiments étaient vivement colorés, comme pour pallier la blancheur du sable. Les maisons étaient dans les tons vert de jade et couleur sable, avec des toitures de briques rouge vif. D'une certaine façon, les formes des maisons lui rappelaient des vacances qu'elle avait passées sur Naboo quelques années plus tôt. Un souvenir agréable était comme un rocher sur lequel elle pouvait se cramponner pendant la tempête qui s'annonçait, maintenant qu'ils approchaient du palais présidentiel.

En le regardant, Ezra se souvint de la description que le colonel Niourk en avait fait. C'était un bâtiment formé d'un seul bloc, un grand pavé comprenant trois grands étages. Son apparence conforme au reste du quartier lui donnait un petit côté rétro. La jeune femme se souvint qu'il y avait une cour intérieure juste au centre du carré formé par ce palais, cour qu'il fallait contourner pour circuler d'un bout à l'autre du lieu. Il n'y avait pas de barrière, le palais donnait directement sur la rue. Deux soldats de choc étaient en faction devant une très lourde porte de bois double. L'un d'eux s'approcha d'un pas décidé vers Liam, qui ne le regarda même pas.

- Hé, vous, là ! Qu'est-ce que vous faites ici ?

Chi'ta se recroquevilla nerveusement sur la banquette, pressentant que les événements allaient se précipiter. Elle sursauta quand elle entendit l'onde du blaster sonique de Canderous étendre sur place le soldat resté en arrière. L'autre, complètement pris au dépourvu, pivota vers l'arrière du speeder.

- Mais qu'est-ce que… ?

Il n'eut pas l'occasion d'en articuler davantage. La lame bleutée du sabre-laser du padawan lui traversa la poitrine et disparut aussitôt, il s'effondra comme une marionnette privée de ses fils. Le jeune homme n'avait pas ouvert les yeux. Ezra jubila.

- Et hop ! Deux en moins en moins de deux !

Une alarme bruyante retentit au-dessus de la voiture pendant que l'ombre d'un droïd sonde passa sur la doctoresse qui serra les dents.

- Okay. Maintenant, les enfants, c'est quitte ou double !

Et elle écrasa l'accélérateur en tournant le volant vers la droite. Liam écarta enfin les paupières, choqué par le cri strident de Chi'ta derrière lui. La doctoresse fonçait sans hésiter vers la double porte du palais. Le véhicule enfonça les panneaux de bois, mais l'avant plia net comme un accordéon et le moteur cala, laissant toute l'équipée immobilisée dans le hall.

Dehors, les cris des miliciens de Travnin se mêlaient aux coups de feu des fusils blasters et aux détonations des droïds-sondes qui défendaient la place forte. Plus loin, l'oreille affûtée de Dankin entendit d'autres sons sans équivoque : la révolte avait commencé et les suivants du colonel Niourk étaient maintenant dans les rues, à lutter contre les forces de l'Empire. La doctoresse Calipsa décrispa son visage délicat et demanda :

- Tout le monde est entier ?

- Euh… je pense, répondit Liam.

- Moi… moi aussi, ajouta Chi'ta d'une toute petite voix.

- Sortons !

Elle bondit hors de la voiture, ouvrit la portière arrière gauche, permettant aux deux non-Humains d'en sortir. Liam était descendu de son côté. Mais Canderous ne suivit pas le mouvement.

- Attendez !

La grande porte de bois était tombée sur le côté droit du speeder et l'avait écrasé. Le Mandalorien était coincé, encastré dans la tôle.

- Blast ! T'es blessé ?

- Non, Liam, ça va, mais je ne peux pas bouger !

- Alors continue à ne pas bouger !

Le jeune homme alluma son sabre-laser et découpa proprement la carrosserie plissée. Canderous ne fut pas très rassuré en voyant la lame laser virevolter autour de lui, mais il avait confiance en l'habileté de son porteur, et ne bougea pas d'un centimètre. En une trentaine de secondes, le padawan avait sectionné suffisamment de métal. Dankin saisit la portière à deux mains, tira un grand coup et réussit à l'arracher. Enfin le mercenaire fut sur pied, et put considérer l'endroit où ils se trouvaient.

Tout était richement décoré : tapis de haute qualité, holo-portraits sur les murs, grands lustres de cristal, dorures sur les plinthes du plafond, rien ne manquait. Liam n'eut cependant pas le temps de s'extasier. Les miliciens entrèrent à leur suite en se bousculant. Une huitaine de soldats de choc de l'Empire était déjà en place sur la mezzanine qui leur faisait face, et une pluie de tirs de blaster s'abattit sur le groupe.

- Arrêtez ces bandits !

Canderous se jeta derrière la carcasse fumante du speeder. Liam courut à toute vitesse en avant pour s'abriter sous la mezzanine, talonné par Chi'ta. Malheureusement, la jeune fille se prit les orteils dans une déchirure du tapis et tomba de tout son long. Elle crispa sa tête entre ses épaules, évitant de justesse un rayon d'énergie. Ezra passa à l'action à son tour. Elle sortit de sa sacoche une grenade collante, et la lança le plus haut qu'elle put. Elle atterrit aux pieds de l'un des hommes en blanc et explosa, libérant une substance jaunâtre et gluante. Trois des soldats impériaux glapirent de dégoût en essayant de se libérer de la colle, un seul y parvint.

Dankin décida d'essayer le gadget que lui avait offert Savill. Il tendit le bras en avant dans la direction de l'un des soldats qui le visait de son arme. Le rayon orangé fusa vers le Togorien. Celui-ci s'attendait à voir apparaître le disque protecteur d'énergie dorée. Hélas, soit qu'il eût joué de malchance, soit que la montre fût défectueuse, rien ne se passa. Le tir du soldat de choc brûla net la montre, sans blesser le chasseur. Celui-ci répliqua aussitôt d'un carreau explosif qui envoya son assaillant s'écraser contre le mur boisé. Canderous sortit de sa cachette et envoya une salve horizontale de tirs en direction du balcon, abattant coup sur coup trois Impériaux. Comme les deux soldats encore valides se mettaient à couvert, Ezra en profita pour se précipiter à son tour vers la porte sous le balcon qu'elle venait de remarquer. Au passage, elle attrapa Chi'ta par la main et la tira à sa suite et la poussa à l'abri avant de suivre Liam.

Le jeune homme avait déjà passé la porte. Elle donnait sur un escalier étroit qui se divisait en deux branches, l'une partant vers la gauche, l'autre à droite. Le jeune homme opta pour la gauche et monta les marches quatre à quatre. Il tomba presque dans les bras d'un des deux soldats de choc restants qui descendait. Moins d'une demi-seconde plus tard, l'homme en armure blanche s'étalait dans l'escalier, l'armure brûlée par la lame laser. Dankin, resté en bas, visa le dernier Impérial en état de se battre et l'abattit net. Ezra, qui avait emprunté l'escalier de droite, se retrouva sur la mezzanine. Les deux soldats de choc pris dans la glue pestaient contre elle. Elle sortit son blaster.

- Ne les tue pas ! gémit Liam.

- Sois tranquille, répondit-elle en le réglant sur la fonction « paralysante ».

Un instant plus tard, cinq miliciens du colonel Niourk entrèrent en courant dans le hall. Canderous et Dankin rechargèrent leurs armes. Ezra se pencha par-dessus la rambarde de la mezzanine.

- Ah, vous voilà tout de même !

- Désolé, mais on a été retardés par des admirateurs cybernétiques !

- Hé, regardez ça ! s'écria l'un de ses comparses en montrant du doigt Liam, toujours sur la mezzanine.

- Blast ! C'est un Jedi !

Liam rangea précipitamment son sabre-laser en rougissant. Mais le milicien en tête lui sourit.

- Vous en faites pas, on les aime bien.

- Le bureau où se planque ce salaud de moff Cross est au premier étage. Trouvez-le, on finit de nettoyer le rez-de-chaussée !

Les miliciens se séparèrent en petits groupes. Les deux baroudeurs emmenèrent la jeune Drall à l'étage. Une fois tous les cinq réunis, ils reprirent leur chemin. Une porte vers le nord s'ouvrait près de chacun des deux escaliers de la mezzanine, le groupe s'engagea par celle de gauche. Bientôt, les bruits de pas de course et les aboiements de fusils blasters venant du rez-de-chaussée firent sursauter la petite Drall qui sentit son poil se hérisser. Elle n'en ralentit pas pour autant le rythme, et suivait les autres sans se laisser distancer.

Arrivés à un croisement, tous tournèrent à gauche, à l'exception d'Ezra qui s'engagea seule à droite. Ils couraient dans un large couloir dont tout le côté droit était vitré, et donnait sur la cour centrale. D'un coup d'œil sur la droite, le Togorien pouvait voir la doctoresse dans le couloir parallèle de l'autre côté de la cour, courant dans la même direction. Le couloir bifurqua vers la droite. Les quatre compères s'y engagèrent, Liam aperçut en face la Calipsa qui s'apprêtait à les rejoindre, mais au milieu de ce nouveau couloir, il y avait quelque chose qui les stoppa net.

À quelques mètres devant eux se trouvait une grande porte double. Elle était solidement surveillée : quatre soldats de choc se tenaient en joue derrière des barricades. Juste devant la porte, immobile, se tenait un personnage en armure rouge. Liam sentit une vague glaciale lui siffler dans le cou, et Chi'ta déglutit nerveusement. Les trois adultes avaient aussi reconnu un Garde Impérial, l'un des soldats d'élite de l'Empire. Comme à son habitude, Canderous ne tourna pas autour du pot.

- Ou tu nous laisses passer, ou je te démolis. Dans les deux cas, t'as perdu. Décide-toi vite !

Le Garde Impérial se mit calmement en position de combat. Les soldats de choc étaient prêts à tirer. Chi'ta s'avança avec circonspection en levant les mains.

- Nous ne voulons pas nous battre contre vous. Rangez cette arme, acceptez de vous rendre, et restons-en là. Les forces impériales ont perdu et vous le savez, il est inutile de faire couler davantage de sang.

Pour toute réponse, le Garde Impérial fit tournoyer sa pique au-dessus de son casque et l'abattit dans un sifflement vers la jeune fille. Elle n'eut que le temps de se jeter en arrière pour éviter la lame d'extrême justesse. Liam alluma son sabre-laser.

- Bon, si tu le prends comme ça, on va jouer à ça !

Canderous fut plus expéditif. Sans hésiter, il lança dans la direction du Garde une grenade à fragmentation. Le petit cylindre métallique rebondit sur le carrelage et roula aux pieds du guerrier en armure rouge. D'un geste, le Garde tapa d'un grand coup de pique la grenade, l'envoyant directement dans la cour à travers l'un des carreaux. Deux secondes plus tard, une explosion ébranla le bâtiment.

Le Togorien brandit son arbalète et pressa la gâchette, le mécanisme s'enclencha et un carreau d'énergie verte fonça vers le Garde. Celui-ci esquiva tellement vite que Dankin eut l'impression de le voir glisser sur le côté de manière surnaturelle. L'un des soldats de choc n'eut pas ce réflexe, et sa tête explosa. Dans un grand bruissement de cape, le guerrier en armure rouge fit un bond immense vers Dankin en assénant sa pique vers lui. Le chasseur détourna d'un coup de sa grande main griffue la tige métallique de son agresseur.

Canderous voulut tirer sur le Garde, mais craignit de blesser son camarade, et préféra s'occuper des soldats de choc. Deux d'entre eux ne durent plus jamais se relever. Le dernier encore debout paniqua et tenta de fuir. Il ne vit pas Ezra qui l'arrêta net d'un tir de blaster dans la poitrine.

Coup sur coup, le Garde envoya un terrible coup de pied dans le thorax de Dankin qui recula en essayant péniblement de reprendre son souffle, puis balança sa pique en la faisant tournoyer en direction du padawan Gardien. Liam se jeta à terre, sentit un furieux courant d'air lui ébouriffer les cheveux, et se releva d'un bond.

- Tu vas le regretter !

Mais un grand tintement de cristal brisé juste au-dessus de lui le fit lever la tête. Effaré, il comprit que la pique était revenue tel un boomerang, et venait de rompre l'attache du lourd lustre décoratif accroché juste au-dessus de lui. Halluciné, il vit l'énorme masse scintillante se précipiter sur lui. Il se jeta au sol en se mettant en boule sur le côté, et sentit un choc violent se répercuter sur tout son corps.

Dankin rugit de colère. Canderous vit rouge.

- Salaud !

Et les deux compères ouvrirent frénétiquement le feu sur le Garde. L'être en armure écarlate évita les rayons d'énergie en dansant d'un pied sur l'autre à une vitesse phénoménale. En quatre bonds, il fut sur le docteur Lohrn, sa redoutable pique accompagnait son pas de danse gracieux. Oui, il se battait avec la grâce d'un danseur, et la puissance d'un torbull. Poussée par le choc, la doctoresse Calipsa se retrouva sur le sol, la pique du Garde plantée dans sa veste protectrice.

- Chair à bantha !

Elle porta la main à son holster, voulant sortir son blaster, mais s'arrêta en plein geste, surprise. Le Garde ne bougea plus. Cela n'étonna pas la Calipsa qui voyait dépasser du nombril de son adversaire la pointe d'une lame laser verte qui se rétracta deux secondes plus tard. Le guerrier en armure écarlate lâcha sa pique, dont l'autre extrémité rebondit sur le carrelage dans un tintement métallique, puis tomba à genoux, avant de s'étaler sur le côté, révélant la petite silhouette tremblante de Chi'ta, les mains crispées sur la poignée de son sabre-laser éteint.

- Hé ! Je suis coincé !

- Blast !

Le mercenaire alla porter secours à Liam. La Calipsa dégagea la pique de force du Garde de son gilet désormais inutilisable. Elle vit un petit bouton enfoncé sur le manche. Elle déverrouilla la sécurité, appuya sur le bouton, et comprit que l'arme était télescopique quand elle la vit se rétracter sur elle-même jusqu'à atteindre une longueur de quinze centimètres. Satisfaite, elle la rangea dans son sac à dos, puis elle se dirigea vers les deux autres Humains.

Chi'ta n'en revenait pas. Ses mains tremblaient tellement qu'elle eut toutes les peines du monde à remettre son sabre-laser à sa ceinture.

Je l'ai fait… j'ai fait ça… rien ne sera plus jamais comme avant.

Elle entendit alors un râle étouffé, et écarquilla les yeux en réalisant que c'était le Garde qui n'était pas tout à fait mort. Comme hypnotisée, elle s'approcha prudemment vers le moribond. Celui-ci utilisait ses dernières forces pour essayer d'enlever son casque, sans y arriver. Elle s'accroupit aux côtés de l'homme en armure, posa ses mains sur la surface polie du heaume, et le retira doucement. Elle resta hallucinée devant ce qu'elle vit.

Il avait sans doute été Humain autrefois, mais le visage qui venait de lui apparaître n'avait plus rien de naturel, ni d'harmonieux. La peau grisâtre était craquelée de multiples fissures noires, sous lesquelles disparaissait tout le côté gauche de la figure. Des dents pointues et irrégulières dépassaient des lèvres desséchées. Plus aucun cheveu n'ornait le crâne crevassé. C'est alors que la jeune fille remarqua son regard. Deux braises pratiquement consumées profondément enfoncées dans leurs orbites. Elle essaya désespérément de se libérer de l'emprise de ce regard, hélas elle n'y parvint pas. Mais elle ne s'attendait pas à voir ce qu'elle vit.

- Allez, soulève !

Canderous et Dankin conjuguèrent leurs forces pour soulever la lourde masse et la balancer sur le côté. Ezra s'agenouilla près de Liam.

- C'est douloureux ?

- Pas trop, mais je ne sais pas si c'est parce que ce n'est pas grave ou si c'est parce que la Force amortit la douleur.

- À première vue, il y a eu plus de peur que de mal. Pas de fracture apparente mais dans le doute on fera une radio. T'es verni, Liam, ou alors c'est ton instinct.

- J'aurais dû l'esquiver…

- Oui, bien sûr, mais on dirait que la Force t'a tout de même poussé à prendre une position dans laquelle tu as pu éviter les parties métalliques du lustre.

- Hé, où est la mouflette ? demanda alors le Togorien.

Canderous jeta un bref regard par-dessus son épaule, et son sang ne fit qu'un tour.

- Attention !

Il se précipita vers la petite Drall, se jeta sur elle et la renversa, la forçant à s'éloigner du Garde. Elle dérapa sur le marbre avec un petit couinement. Elle secoua la tête, cligna des yeux.

- Que… qu'est-ce qui s'est passé ?

- Hé, ça va ?

Le mercenaire l'aida à se remettre debout. Elle sursauta quand elle vit le corps désormais sans vie du Garde, se rappelant de ce qu'elle venait de vivre.

- Oh, par le Grand Fouisseur, quelle frousse ! Mais… oui, ça va.

- Il ne t'a pas jeté le Mauvais Œil, ou une connerie de ce genre ?

- Non, je vous assure. Je vais bien. C'est terminé.

Derrière la porte, le bruit d'un tir de blaster creva le calme qui était revenu dans le couloir. Dankin l'enfonça d'un bon coup de pied, et les trois adultes entrèrent en courant, les deux padawans restant en retrait. Ils se retrouvèrent dans un grand bureau encore plus richement décoré que tout le reste du palais. Canderous manqua de trébucher sur le cadavre d'un homme étendu sur la moquette face contre terre, le dos brûlé par l'énergie mortelle d'un tir de blaster. C'était un Humain en uniforme couleur olive, portant des gants de cuir noir et des bottes militaires. Derrière le meuble ciré, un autre Humain en blazer impérial tenait un blaster encore fumant. Immédiatement tenu en joue par les trois camarades, il le laissa tomber à terre et leva les mains. Canderous ricana.

- Quelle bonne surprise !

- Vous trouvez ça drôle, espèce de pirate ?

Liam et Chi'ta, surpris par la remarque de Canderous, étaient entrés. Le jeune homme écarquilla les yeux d'étonnement.

- Vous ?!

- Par le Grand Fouisseur !

- Tiens ? Vous connaissez cette crevure ? s'étonna le docteur Lohrn.

- Un peu, oui ! On a été ses prisonniers !

L'Impérial finit par comprendre à qui il avait affaire.

- Oh, non ! Les terroristes !

- Allez, debout ! Nous avons à parler, ordonna le Mandalorien en poussant violemment hors de la pièce le capitaine Lin Nunsk, commandant du Gantelet.

Les miliciens de Travnin avaient finalement neutralisé les soldats de choc restants dans le palais. Ils avaient ordonné à Nunsk d'annoncer sa reddition par radio et holovision, et avaient fait état du décès du moff Cross. Les agents spéciaux du Conseil furent rapidement convoqués auprès du colonel Rahesh Niourk, qui avait pris ses quartiers dans le bureau du directeur de l'hôpital municipal de Pozne, où avaient déjà été transférés les nombreux blessés.

Le colonel Niourk se frottait les mains avec satisfaction.

- Une opération rondement menée ! Mais si j'en crois les gars qui vous ont talonné, et qui ont observé votre entrée pour le moins fracassante, vous utilisez un bien curieux équipement. Du genre « sabre-laser de Jedi ».

- Nous avions des ordres, nous étions tenus de vous cacher certaines choses, répondit Ezra.

- Bah, sur un monde où pullulaient les Impériaux, je comprends que vous ayez pris quelques précautions. Et… vous êtes toujours venus dans un but archéologique ?

- D'une certaine façon, mais nous ne pouvons pas trop vous en dire. Seulement que nous ne faisons pas ça contre l'intérêt de votre peuple.

- Ouais, ouais… De toute façon, la présence de Jedi est préférable à celle des larbins de la Czerka. Bon, en attendant, la présence de ce capitaine impérial, Nunsk, ça ne me rassure pas ! Vous savez quelque chose sur lui ?

- Il s'agit de l'un des collaborateurs du seigneur Daymon Thorn.

- Thorn, vous dites, chasseur de Togoria ? Le type qui prétend être un Sith ?

- Croyez-moi, il ne raconte pas des salades !

Le colonel soupira.

- Faudrait qu'il nous dise ce qu'il est venu faire ici, mais jusqu'à présent, il a refusé de parler. On n'a pas encore pris le temps de l'interroger comme il faut.

Canderous se leva alors.

- Laissez-moi faire.

- T'es sûr que c'est une bonne idée ? demanda ironiquement Dankin

- J'ai un compte à régler avec ce type, colonel Niourk. Et le môme n'aura qu'à me surveiller. Je lui ferai les gros yeux, mais je ne le toucherai pas, je m'y engage. Dans le cas contraire, j'autorise Liam à me retenir.

- Le caporal Haït va vous conduire. Pendant ce temps, je vais prendre des dispositions pour préparer une équipe. Vous avez une idée d'où aller, maintenant ?

- Pas encore, mais ça ne saurait tarder.

Debout sur la terrasse du toit du bâtiment, le docteur Lohrn laissait les rayons du soleil chauffer la peau de son visage. C'était une sensation vraiment plaisante, qu'elle n'avait pas pu savourer depuis bien des semaines. Elle se surprit à penser aux Jardins d'Alaphoe. Une bonne séance de sauna après une petite promenade, voilà le meilleur des traitements. Elle entrouvrit les yeux, buvant du regard la vue magnifique de toute la capitale. Elle déambula lentement, ses bottes courtes sonnaient sur les dalles de granit, puis s'arrêta. La petite silhouette ronde de Chi'ta venait d'entrer dans son champ de vision. Celle-ci était assise sur le banc, contemplant le soleil se coucher sur la ville, et son minois traduisait une profonde réflexion interne.

- Tu es sûre que ça va, petite souris ?

La jeune doctoresse s'assit près de la petite padawan qui dit d'une voix monocorde :

- J'ai tué un homme.

Ezra soupira.

- Il allait me tuer, lui ! D'ailleurs, je te dois des remerciements. Tu m'as défendue alors que j'étais en mauvaise posture, il n'y a rien à ajouter. Votre Code autorise que vous… enfin, sur le plan des lois, tu n'as rien à te reprocher. Et sur le plan moral… c'était un Sith.

- C'est la première fois… que je romps le fil… d'une existence. La première fois que je… tue… quelqu'un.

Chi'ta avait eu du mal à prononcer ces derniers mots. Elle fit une pause, le docteur Lohrn attendit la suite.

- C'est le genre de chose sur laquelle… on ne peut jamais faire… machine arrière ! Et je viens à peine de m'en rendre compte…

- C'est normal, on vient d'échapper à une sacrée embrouille ! C'est le contrecoup de toutes ces émotions qui te fait chavirer. Fais-moi confiance, ça va passer.

La jeune fille tourna la tête. Son expression mêlait angoisse et compassion.

- Quand il a retiré son masque, il m'a regardée droit dans les yeux. Et ce que j'ai vu, c'était… il n'y avait ni rage, ni fureur, ni haine. Je vous assure qu'il ne m'a pas jeté une malédiction, ou quelque chose comme ça. Je n'ai pas décelé chez lui une sensation d'outrage d'avoir été vaincu par quelqu'un de moins grand et fort que lui. Ce n'était pas du tout ce qu'éprouvait ce pauvre diable. J'ai ressenti seulement une immense tristesse, un puits sans fond de souffrance et de chagrin… et juste avant la fin, il y a eu un dernier soubresaut de chaleur. Comme s'il était… reconnaissant. Et c'est ce qui m'inquiète. J'ai tué cette personne, mais même si je ne me réjouis pas de cet acte, même si je ne me félicite pas de m'être comportée en guerrière, je ne parviens pas à me sentir coupable. Depuis mon entrée dans l'Académie, je me suis souvent représenté cette situation, dans quel état je serais après mon premier combat à mort, et ce que je ressens est bien en deçà que ce que j'imaginais alors. Serais-je en train de perdre mon âme, docteur Lohrn ?

Ezra ne savait pas si la jeune fille avait cherché à la convaincre ou à se convaincre elle-même, encore moins si elle y était parvenue. Elle prit son temps avant de lui répondre.

- Dans la vie, il y a pas mal de « premières fois » qui laissent des traces, Chi'ta. La première fois que l'un ou l'autre de tes parents te colle une fessée, la première fois que tu es confrontée à la mort, la première fois que tu découvres qu'il existe des personnes différentes de toi, la première fois que tu pars en voyage vers un endroit qui n'a rien à voir avec ton foyer, la première fois que tu fais l'amour, la première fois que tu subis une déception amoureuse… et puis, pour les gens comme nous, qui sommes amenés à prendre les armes, il y a la première fois où l'on prend une vie. Mais tu sais, il ne faut pas voir ça comme « perdre son âme ». Ce que tu perds, à chaque première fois, c'est une partie de ton innocence. L'innocence qui caractérise les enfants, et qui disparaît avec l'âge et ce genre d'expérience. Mais rappelle-toi que ce que tu perds en innocence, tu le gagnes en maturité. C'est comme ça que, peu à peu, tu deviens une femme, sûre d'elle, responsable.

- Je crois que vous avez raison, docteur Lohrn. Nous passons tous par-là. C'est douloureux, mais nécessaire.

La jeune Drall se leva, et fit quelques pas vers la barrière. Le vent se leva, et la Calipsa discerna une petite étincelle éclatante. Résignée et admirative, elle pensa :

Une larme. Une seule larme. Pour une âme libérée de ce Côté Obscur…

Poussant un petit soupir, elle l'entraîna vers l'intérieur.

- Rentrons, il commence à se faire tard. Je vais donner un coup de main aux toubibs, y a eu beaucoup de blessés. Tu veux bien m'aider ?

- Vous pensez que je pourrais vous être utile ?

- Mais oui, tu as fait ça très bien, sur Wakeelmui. Maintenant que ta condition de Jedi n'est plus un secret, autant en faire profiter le maximum de gens, pas vrai ?

- Sans doute. Je vous suis, docteur.

Pendant que les deux filles du petit groupe allaient se préparer à soigner des blessés, une autre scène se déroulait au sous-sol. Le Mandalorien s'apprêtait à faire passer le capitaine Nunsk à la question. Liam l'avait accompagné pour prévenir les débordements.

- Et alors, t'es dans quel état ?

- Le toubib n'a rien trouvé de grave. Quelques bleus dissipés avec une pommade, deux ou trois coupures dues aux bouts de fer du lustre… de toute façon, une petite séance de méditation avant d'aller dormir et demain, il n'y aura plus rien.

- Parfait ! Bon, écoute, je vais te répéter ce que j'ai dit à Niourk. On va l'interroger, mais je te donne ma parole d'honneur que j'irai mollo.

- C'est bien ta promesse, hein ? Tu ne le touches pas !

- Pas un cil. Sauf s'il devient insultant, faut quand même pas exagérer. Et dans ce cas-là, je tâcherai de ne pas le secouer trop fort.

- Bon, allons-y, alors.

Ils entrèrent. Le padawan s'était promis de tout faire pour éviter la violence physique, mais en voyant à sa merci l'Impérial qui l'avait conduit à Thorn et qu'il estimait responsable de ce nouveau massacre, malgré sa formation et ses principes, il ne pouvait s'empêcher de jubiler. Il prit plaisir à débuter la conversation en imitant son timbre sévère :

- Alors, mon vieux, j'espère que vous n'avez pas beaucoup d'amis, parce que vous n'êtes pas près de revoir ces malheureux qui ont la malchance de vous connaître !

- Jeune homme, il semblerait que vous ne connaissiez pas toutes les conventions.

- Ah ouais ? Intéressant… racontez !

- Pour commencer, nous ne sommes clairement pas dans une salle d'interrogatoire décente. Vous n'avez pas à m'imposer le spectacle de tous ces corps, fussent-ils emballés dans des sacs.

C'est à ce moment-là que le jeune homme se rendit compte que l'Impérial avait raison. De nombreux cadavres contenus dans des emballages de plastique opaque étaient sur les tables et des placards ouverts laissaient en voir d'autres. Mais après avoir survécu à plusieurs affrontements violents et vu des champs de bataille devenus de vrais charniers, il commençait à avoir l'habitude. Aussi, il ne se laissa pas démonter et répliqua :

- Vous devriez en être fier, capitaine, c'est votre tableau de chasse !

- Vous n'avez pas le droit de faire ce que vous voulez de moi. Quand on a un prisonnier de guerre, en particulier de mon rang, il y a des règles à respecter.

- Ben voyons ! Le supplice du « ravalement » ? Et les coups de fouet et de crosses de fusils sur une fille ? Ca fait partie de vos règles ?

- Ces enfantillages me fatiguent.

- Tu vois, Canderous ! J'adore ce genre de réponse ! Voilà la réaction du gars qui fait preuve de mauvaise foi en pensant que ça va le sauver, alors qu'il sait très bien qu'il est coupable de ce qu'on lui reproche !

- Je ne te le fais pas dire, fiston, acquiesça Canderous en se craquant les doigts.

- Il y a des lois, et j'exige que vous vous y conformiez !

- Vous n'êtes pas en position d'exiger quoi que ce soit ! rétorqua le jeune homme.

- Il est clair que votre jugement est obscurci par des relations que vous entretenez avec des individus peu fréquentables.

- Vous vous trouvez plus fréquentable que mes amis ?

- C'est évident. Mais il est encore temps de faire le bon choix. La proposition du Seigneur Thorn tient toujours, vous le savez ?

- Je m'en tape.

- Je ne sais pas pour toi, Liam, mais puisque tu parles de « taper », j'ai une furieuse envie de coller mon poing dans la figure de cet empaffé, grogna Canderous.

- Non. Même si ça me démange aussi, on ne doit pas recourir à ces moyens-là.

- T'es sûr ?

- C'est ce que dirait Chi'ta, mon pote.

Nunsk eut une moue méprisante.

- Vous voulez parler de cette petite boursouflure velue qui vous suit partout? C'est tout les Jedi, ça ! Écouter les babillages des simples animaux !

À ces mots, le jeune homme sentit tout son système sanguin s'embraser.

- J'ai mal entendu. Qu'est-ce que vous venez de dire ?

- Vous avez très bien entendu, sale petit garnement ! Quand notre victoire sera totale, je ferai dépecer cette bête, et j'offrirai sa peau à mon Seigneur pour qu'il s'en serve comme descente de lit !

C'en fut trop pour les nerfs chamboulés de Liam. Il décocha à l'Impérial un crochet au menton. Stupéfait, l'Impérial s'exclama :

- Vous m'avez frappé… sale petite vermine !

- J'y crois pas ! Pour la première fois, j'ai flanqué une beigne à un capitaine impérial ! Même dans mes meilleurs trips, j'aurais jamais espéré faire ça !

- Oh, oui ! Vous levez la main sur un aîné, honorable et respecté, incapable de se défendre ! Oui, vous pouvez être fier de vous ! Et vos maîtres seront sans doute enchantés quand ils apprendront la nature de vos méthodes de persuasion !

Liam ne répondit pas, sentant l'adrénaline lui secouer le système nerveux. Canderous posa une main sur son épaule.

- Laisse délirer ce connard. J'en ai vu mille, des rigolos dans son genre. Que de la gueule, mais rien dans le pantalon.

- Tu crois ?

- Allez, votre naïveté est vraiment exaspérante ! Cessez de vous intéresser aux histoires de grandes personnes !

- Fermez-la, chair à bantha ! hurla Liam en levant le poing, prêt à frapper à nouveau.

- Allez-y, mon jeune disciple. C'est la meilleure chose à faire.

Le padawan se figea net. Il avait vu Nunsk articuler une phrase, or ce n'était pas sa voix qui était parvenue à ses oreilles, mais bien celle de Daymon Thorn. Le temps d'une seconde, il lui avait même semblé voir en superposition le visage crayeux et les yeux noirs du Sith par-dessus la figure du capitaine. Affolé, Liam quitta précipitamment la pièce. Canderous reconnut sa réaction de panique, et ne dit rien. Inconscient de ce que ressentait vraiment Liam, le prisonnier ricana.

- Quoi, vous avez peur de lever encore la main sur un homme attaché ? Et c'est moi le lâche ? Laissez-moi rire !

Canderous s'approcha de Nunsk, et lui fourra les doigts dans les narines. Le capitaine fit une grimace en louchant de douleur, ce qui fit rire le Mandalorien. Canderous leva la main, obligeant sa victime à se lever avec son siège, puis le relâcha. L'Impérial retomba sur sa chaise avec un couinement de douleur, et toussa, cracha, avant de lancer un regard furibond vers le mercenaire.

- Espèce de… de…

- Et dire que l'interrogatoire n'a même pas commencé ! ricana Canderous.

Un groupe de patients avait fait cercle dans le dortoir. Tout le monde écoutait avec attention Chi'ta Koskaya, assise sur une pile de caisses, qui racontait avec passion un conte de son monde natal. En dehors de la petite voix emplie de conviction de la jeune Drall, on n'entendait pas le moindre bruit.

- Et le mendiant fut bien obligé d'admettre qu'il avait fait ce qu'on lui reprochait, mais lorsqu'il déclara « j'ai voulu nous protéger d'un danger qui pesait sur nos femmes et nos enfants », il semblait tellement convaincu que les juges crurent sa version des faits. Aussi décidèrent-ils de l'acquitter. Moralité : les croyances sont des forces extrêmement puissantes, qui peuvent tout faire, à partir du moment où on les accepte. Souvent, elles aveuglent, parfois, elles détruisent, et quelquefois, elles illuminent, mais toujours elles influencent.

Chi'ta se tut, prit sa tasse et but quelques gorgées d'eau. Les quelques blessés encore éveillés la regardaient avec admiration. Deux d'entre eux applaudirent timidement.

- Bien, maintenant, si vous le permettez, je vais vous laisser prendre du repos. Nous avons fait ce que nous avons pu, à présent, il vous faudra vous armer de patience pour récupérer. Avec le temps, je suis certaine que le peuple de Travnin saura panser ses blessures. Demain, je devrai repartir pour une autre planète, et je ne sais pas si je pourrai revenir parmi vous. Mais suivez le chemin qui vous semble le plus éclairé, et je vous promets qu'il vous conduira vers un avenir optimiste.

La jeune fille se leva, et marcha à pas silencieux jusqu'à la sortie du dortoir, sous les regards respectueux des patients. Au passage, elle capta un sourire, un petit mot d'encouragement. Avant de quitter la pièce, elle s'approcha d'une vieille femme avec un bandage autour du crâne.

- Tout ira bien, murmura la jeune fille à l'oreille de l'Humaine.

- Je n'osais pas espérer voir de Jedi de ma vie, et voilà que l'une d'entre eux s'occupe de moi… vous avez ma reconnaissance.

- J'accomplis mon travail, et je satisfais ma vocation, madame. C'est tout ce que je désire. Que la Force soit avec vous.

Et elle sortit. Le docteur Lohrn la rejoignit bien vite.

- Décidément, quand tu veux, tu mets tout le monde dans ta poche ! Tu les as vus ? Ils étaient tous prêts à se mettre à genoux devant toi, comme à la Chambre du Grand Conseil de Procopia.

- Oh, je n'en demande pas tant, répondit la jeune fille avec un petit rire.

- Tu as déjà pensé à te reconvertir dans le théâtre ou la rhétorique ?

- Non, ça ne m'est jamais venu à l'idée.

- Tu devrais. Taava m'a dit que tu étais très timide avant, mais elle m'a fait observer que tu t'affirmais de plus en plus. Je suis certaine que tu as un grand potentiel à exploiter dans cette voie-là. Il y a des spécialisations, non ? Tahé l'Indomptable est clairement un chamane guérisseur. Et si tu étais une déclamatrice ?

- Remarquez, vous avez peut-être raison. J'ai entendu parler de Dame Tionne, une Dame Jedi qui avait une formation de ménestrel et de conteuse. Je devrais en référer à Maître Horn, c'est peut-être effectivement une possibilité à creuser ?

- Je parierais que tu fais circuler la Force de cette manière, même si tu ne t'en rends pas compte. Et Skywalker parlait encore de ton empathie, l'autre fois, et de ce que tu pourrais en faire en t'entraînant. J'ai bien vu que les gens n'avaient pas la même mine avant et après ton intervention. Penses-y, vraiment.

Les deux femmes étaient maintenant dehors, dans une cour silencieuse.

- Je ne voudrais pas me montrer trop orgueilleuse, mais j'avoue que je suis très heureuse de voir les citoyens de Travnin apprécier nos services.

- C'est la raison pour laquelle la plupart des médecins embrassent cette carrière – enfin, c'est ce que la majorité des étudiants dira si tu leur poses la question, même si ce n'est pas forcément l'altruisme qui les pousse à devenir médecins. D'ailleurs, puisqu'on parle d'études, j'aimerais savoir…

- Oui, docteur Lohrn ?

- Peux-tu me dire où vous en êtes, de votre formation, Liam et toi ? Enfin, ne réponds pas si c'est top secret.

Chi'ta réfléchit quelques instants.

- Cela n'a rien d'un secret, docteur Lohrn. Toutefois, c'est difficile à évaluer. Notre formation passe par des circonstances un peu exceptionnelles.

- Oui, je suppose qu'une guerre sectorielle n'est pas au programme de la formation des apprentis. Et dans des circonstances « ordinaires » ?

Chi'ta s'assit sur un banc et s'étira.

- La formation traditionnelle se déroule en plusieurs étapes. Quand elle commence, les padawans de la même promotion suivent ensemble des cours magistraux.

- Ah oui ? Je croyais que chaque élève avait un Maître, et qu'on s'en tenait là.

- C'était avant les purges impériales. La situation a changé depuis, et l'Ordre a adapté ses règles. En suivant des leçons collectives, les élèves peuvent être sur un pied d'égalité sur les différentes matières : histoire, culture générale, biologie, lois, et parallèlement, il y a, bien évidemment, des séances d'exercices physiques.

- Entre autres, le maniement de votre arme, j'imagine.

- En effet. Pendant cette période, les élèves suivent d'autres cours par petits groupes, des cours avec des matières plus « pointues ». C'est grâce à ces ateliers que les futurs Jedi voient quelle sera l'orientation qui leur conviendrait le mieux, s'ils ne sont pas déjà fixés comme Liam et moi l'étions à notre entrée.

- Quelles sont les différentes « orientations » ?

- Traditionnellement, il en existe trois. Les Jedi Gardiens, comme Liam, qui constituent le bras armé de l'Ordre, les Jedi Sentinelles, qui agissent comme Tahé l'Indomptable et qui privilégient la ruse et l'infiltration, et les Jedi Consulaires, qui sont spécialisés dans la diplomatie.

- Comme toi.

- Tout du moins, comme je m'efforce d'être. Du temps de l'Ancienne République, on reconnaissait facilement les représentants de chaque branche par la couleur de leur sabre. Vert pour les Consulaires, doré pour les Sentinelles, bleu pour les Gardiens. Mais avec le temps, cette habitude s'est un peu perdue, comme les orientations qui sont maintenant plus subtiles. Vous me suivez ?

- Oui, sans problème. Et ensuite ?

- Ensuite, c'est là qu'enfin un élève se voit attribuer un Maître, selon l'orientation désignée – en accord mutuel entre le padawan et le Conseil, bien entendu. Et les leçons approfondies commencent. Pour l'heure, il n'y a pas encore suffisamment de Maîtres pour qu'il n'y ait qu'un élève par Maître comme le veut la tradition, et j'ai été formée par Maître Horn avec deux autres disciples.

- Et combien de temps ça dure, tout ça ?

- C'est variable. Avant de venir sur Procopia, j'ai eu une formation de six mois. Elle était un peu accélérée. Et maintenant, ma formation passe par l'apprentissage sur le terrain. C'est plus risqué mais plus efficace que des centaines d'heures de cours.

- Moi, je te vois bien adoubée, maintenant. Après tout ce que tu as traversé…

Chi'ta eut un sourire un peu gêné, comme lorsque Tahé lui avait fait ses adieux.

- Vous me flattez, docteur, mais ce n'est pas aussi simple. Pour être officiellement nommée Dame, il me reste encore au moins deux choses à faire. Premièrement, terminer ma mission sur Procopia, et avec l'arrivée des Précurseurs, ce n'est pas gagné, et deuxièmement…

La jeune fille se tut. Elle tremblait, ce qui inquiéta Ezra.

- Hé, ça ne va pas ?

- Ce n'est rien.

- Tu n'es pas obligée de…

- Laissez, je vais répondre. En fait, il nous reste une dernière épreuve, et j'avoue qu'elle m'effraie.

Chi'ta ferma les yeux, prit son inspiration et déclara gravement :

- Je dois affronter directement le Côté Obscur, et m'en sortir victorieuse.

- Mais… ce n'est pas ce que tu as fait avec le Garde Impérial ?

- Ca ne compte pas. Ce pauvre Humain n'était plus qu'une coquille vide, comme une excroissance morte du Côté Obscur. Il faut que j'affronte un acteur important de ces noires puissances, le genre contre qui tout Jedi doit se dresser activement.

- Blast ! Tu veux parler de Thorn ?

- Thorn, ou les seigneurs Kathols, peut-être encore quelqu'un d'autre.

- Et tu appréhendes ce moment, j'imagine ?

- Le Côté Obscur se nourrit de la haine, mais aussi de la peur. Si j'ai encore peur, je ne puis l'emporter. Et je n'ai pas l'entraînement de Liam au sabre-laser. Ce qui m'est arrivé face à ce Garde m'incite à penser que je ne suis pas encore prête à assumer le fait de prendre volontairement une vie intelligente, autrement je ne serais pas encore en train d'y penser. Contre quelqu'un comme Thorn, j'ai bien peur de ne pas faire le poids. Et c'est ce qui m'effraie le plus.

Comme la jeune fille se renfrogna, Ezra passa un bras amical sur son épaule.

- Ne t'en fais pas. Je sais que tu seras prête, le moment venu. Bon, on a fini avec eux, j'ai bien envie d'aller me changer les idées. Faut qu'on se remette un peu en forme. Je t'offre un café ?

- Avec plaisir, docteur, ça me fera le plus grand bien.

Un peu plus tard, les deux filles arrivaient à la cafétéria. Chi'ta demanda cependant à la Calipsa de commander pour elle le temps qu'elle soufflât encore un peu dans le patio. La doctoresse entra dans le réfectoire, saisit un pichet de café et deux tasses. Cherchant une table où s'installer, elle fut surprise de voir Liam. Celui-ci était prostré devant une limonade. Ezra s'assit à côté de lui.

- Je sais. Je me suis encore conduit comme un idiot.

- De quoi tu parles, Liam ?

- Ezra, chaque fois que quelqu'un m'énerve, et que je commence à lui répondre, je suis finalement obligé de me taire, sinon le Côté Obscur me fait de l'œil.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Liam raconta à la doctoresse ce qui venait de lui arriver. Ezra mit deux sucres dans son café et commença à remuer la cuiller. Le padawan continua :

- Franchement, j'en ai vraiment plein le dos ! Comment je te l'aurais remis à sa place, ce fils de Hutt ! Ah, si j'avais le droit de leur rabattre le caquet, à tous ces casse-noisettes, je peux te dire qu'ils regretteraient de…

- Je n'ai rien à te dire, normalement, mais comme je tiens à toi, je me permets de te mettre en garde : ce serait la porte ouverte vers le Côté Obscur, tu ne crois pas ?

- Encore et toujours le Côté Obscur ! Je vais finir par renoncer à mes vœux de Jedi ! C'est pas une vie d'être obligé d'écraser sans arrêt devant des lopettes comme ça !

Liam avait crié, attirant l'attention du personnel. Conscient de son état avancé de frustration, il se rassit, et souffla profondément, pour reprendre le contrôle de ses émotions. Ezra répondit calmement :

- Je peux comprendre que ça doit être extrêmement énervant, surtout pour quelqu'un bouillant d'excitation. Mais considère les choses ainsi : si tu insultes ceux qui t'agressent, non seulement ça n'arrangera rien car tu ne feras que t'énerver plus, mais tu ne vaudras pas mieux qu'eux, parce que tu te mettras à leur niveau. Un jour viendra où tu sauras te défendre sans recourir à la colère ou à l'agression. Tu verras que ce sera beaucoup plus gratifiant pour toi parce que tu sauras que tu réagiras en homme responsable, et par-dessus le marché, la personne qui t'agressera se retrouvera complètement désarçonnée. Mieux, si elle ne se rend pas compte que tu as le dessus, elle s'enfonce encore plus et tu la ridiculises. Plus tard, un autre jour viendra où tu n'auras même pas besoin de te défendre, car personne n'osera t'attaquer.

Ezra avait trouvé les mots et le ton justes. Liam se rassit.

- Tu as peut-être raison…

- Tu es jeune, enthousiaste, et les événements t'ont sacrément fait valser ces dernières semaines. Il est normal que tu finisses par avoir encore des moments de faiblesse, mais je suis certaine qu'avec le temps, tu deviendras aussi balaise en self-control que tes profs. Et puis, pour l'heure, tu peux être tranquille. Ce n'est pas parce que tu es jeune que tu as forcément toujours tort. Les gens comme Lin Nunsk ou ceux qui hantent les strates politiciennes ne sont pas de bons exemples. Je peux même dire qu'ils ne valent pas grand-chose question courage Nunsk se sent à l'aise quand il a son armée derrière lui, et quand il est pris, tu es le seul dont il ose se moquer. Par contre, quand c'est un adulte sûr de lui qui lui parle, il se sent déjà moins à l'aise. Je parierais qu'il n'a rien dit à Canderous. Je me trompe ?

Le padawan réfléchit quelques instants, et son visage s'éclaira.

- Non, t'as raison. Il m'a insulté, a mal parlé de Chi'ta… mais c'est tout.

- Alors je pose la question, Liam : est-ce que des gens comme lui valent vraiment la peine de renoncer à tout ce que tu as construit cette dernière année ?

- Sûrement pas ! répondit-il avec un grand éclat de rire, heureux d'avoir compris où la doctoresse Calipsa voulait en venir.

- Voilà ! Tu vois, quand tu veux ! Mais si je peux te donner un dernier conseil…

- Vas-y.

Ezra regarda aux alentours et se pencha en avant, pour chuchoter :

- Évite de parler de céder au Côté Obscur…

- Ca te va bien de me dire ça ! Après ton idée de torturer le mercenaire de Chaktak !

- Face à des sales types, je n'ai aucun scrupule, mais c'est pas pareil pour les gens auxquels je tiens, Liam. J'allais préciser « devant Chi'ta ». Elle tient beaucoup à toi, elle est aussi sous pression que toi, et n'a vraiment pas besoin de t'entendre parler comme ça en ce moment. Elle compte sur toi pour l'aider à garder le cap. Et d'ailleurs, on compte tous sur vous deux. J'imagine que ça vous colle un stress monumental sur les reins, mais en vous épaulant l'un l'autre, vous êtes suffisamment forts. Restez solidaires, et on arrêtera les Kathols. Je te le promets.

C'est à ce moment-là que Chi'ta rejoignit les deux Humains. Comme si de rien n'était, ils l'invitèrent à s'asseoir. Alors, comme elle se sentait mieux, elle se servit enfin une tasse de café noir bien chaud.

Canderous entra en ouvrant violemment la porte. Nunsk, toujours attaché à la chaise, n'avait pas dit un mot. Le Mandalorien écrasa ses poings sur le bureau et colla presque son nez sur celui de l'Impérial. Roulant des yeux terribles, il gronda :

- Pour la dernière fois, Nunsk, qu'est-ce que vous êtes venu faire sur Travnin ?

- …

- Bon, ça suffit.

Le mercenaire en avait maintenant assez.

- Plus de deux heures que je vous retiens, vous n'avez toujours pas desserré les dents, ça commence à bien faire. Vous avez raison, il y a des règles à respecter, même en temps de guerre, et c'est bien pour ça que je ne vous ai pas déjà démonté la gueule sur cette table. Mais il y a des cas extrêmes où les hautes sphères peuvent « oublier » certains détournements si le résultat est concret.

- Vous n'allez quand même pas vous montrer inhumain en vous réfugiant derrière les ordres ou les obligations ? Ce serait d'une mesquinerie !

- Ce genre de remarque de la part d'un capitaine impérial sadique et raciste, je trouve ça très drôle. L'envie de vous démolir le portrait ne me manque pas, Nunsk. Et vu que c'est le sort de tout un secteur qui est en jeu, je parierais que même la Présidente Leïa serait prête à m'amnistier avant de me remettre une médaille si je vous cogne assez fort pour vous faire cracher le morceau. Malgré cela, vous persistez à ne pas l'ouvrir. C'est votre droit le plus absolu, maintenant, vous allez devoir assumer. Mais bon, j'imagine que je n'ai pas d'autre solution.

Canderous se releva, recula. Tout en regardant le capitaine, il appela :

- Tu peux venir, je sens qu'il est mûr !

Essayant tant bien que mal de conserver son calme, Lin Nunsk s'attendait à voir entrer une énorme brute armée d'instruments de torture divers et variés. Mais il ne put s'empêcher de hausser les sourcils quand la jeune créature en ciré arriva. Celle-ci s'inclina poliment avec un grand sourire, exhibant ses incisives. D'un ton mi-énervé, mi-amusé, le mercenaire lui dit :

- Chi'ta, notre invité voudrait t'offrir comme carpette à son patron.

- Oh, quel dommage ! J'y tiens, à ma fourrure ! Elle est si douce, si soyeuse… je parierais que si je faisais un petit effort du côté vestimentaire et ornemental, elle séduirait plus d'un mâle sur mon monde !

- J'en suis certain, petite puce.

La jeune fille approcha en penchant la tête sur le côté, lorgnant l'Impérial avec curiosité. Celui-ci était de plus en plus mal à l'aise.

- Ne me touchez pas.

- Je n'en ai pas l'intention, capitaine. Je n'ai pas la moindre envie d'avoir un quelconque contact physique avec vous. Je ne m'y connais pas beaucoup en critères de séduction chez ceux de votre espèce, mais d'après ce que m'ont rapporté les différents Humains avec qui j'ai pu en parler, je dirais qu'un individu tel que vous serait très « quelconque », pour ne pas dire « banal »… Et le docteur Lohrn n'a pas hésité à vous qualifier de « franchement repoussant ».

- Je crois plutôt qu'elle a dit « franchement impuissant », corrigea Canderous.

- Oh, Canderous, n'êtes-vous pas un peu sévère ? Il n'a pas l'air lésé sur ce point.

- Ca suffit ! cria Nunsk. Qui êtes-vous pour me juger sur ces questions-là ? Une saleté de marmotte géante et insolente ! C'est au zoo que vous devriez être !

Chi'ta leva la main avec un petit sifflement modulé.

- Que d'agressivité… que de terreur, surtout ! Capitaine Nunsk, ne me dites pas qu'un Humain grand et intelligent comme vous, l'aide de camp du puissant Seigneur Thorn, puisse avoir peur d'une pauvre petite chose comme moi ?

- Je n'ai pas peur, je suis écoeuré ! Vous me répugnez !

- Que vous dites, capitaine. L'Empire vous a appris à détester les gens qui ne sont pas Humains, mais ce mépris n'est qu'une sublimation de la xénophobie à l'état pur que je vous inspire. Vous prétendez me considérer comme bien inférieure à vous, en réalité vous ignorez tout de moi, et c'est ce qui vous terrorise. Toutefois, vous n'avez aucune raison d'avoir peur de moi. Tout ce que je souhaite, c'est sauver des vies, aussi bien celles des miens que celles des vôtres. Et tout ce que je vous demande, c'est quelques explications.

Tout en parlant, la petite padawan avait gardé la main levée, et avait fait un petit geste du bout des doigts.

- Révélez-nous ce que nous souhaitons savoir, et je vous donne ma parole que vous sortirez de cette pièce pour être confiné dans une cellule décente où vous pourrez attendre tranquillement la décision du juge quant à votre sort.

Canderous avait compris qu'elle avait décidé de pousser le capitaine à parler en utilisant la Force. Et ça marcha, l'Impérial était sans doute entraîné à résister à de nombreuses formes d'interrogatoires, mais sûrement pas à celle-ci.

- Vous allez me dire pourquoi vous êtes venu sur Travnin.

- Je vais vous dire pourquoi je suis venu sur Travnin. La vérité, c'est qu'il y a quelques semaines, les antennes locales de ce monde ont repéré une activité suspecte et inexplicable, apparue brutalement, comme ça, sans qu'on ne puisse déterminer ce que c'était.

- Vous souhaitez me dire quelle était cette activité.

- Je souhaite vous dire quelle était cette activité, en effet, c'était… un signal. Une sorte de signal énergétique. Une communication, un code secret, on n'a pas su le décrypter. C'était quelque chose d'incroyablement puissant, et de totalement inconnu. Le moff Cross, le responsable du secteur installé sur Travnin, a contacté à son tour le seigneur Thorn.

- Le moff Cross, c'est l'Humain que vous avez tué quand nous sommes arrivés ?

- Il allait fuir. Les lâches et les traîtres n'ont pas leur place dans l'Empire.

- Thorn connaissait le moff Cross ?

- Non, mademoiselle, mais il a fait passer le mot à travers le secteur comme quoi il donnerait une prime conséquente à tout officier impérial qui le conduirait sur une piste sérieuse concernant de la technologie inconnue. Il y avait donc quelque chose à aller voir sur Travnin. Le Seigneur Thorn m'a ordonné de m'y rendre pour y mener une investigation conséquente.

Le sourire de la jeune fille s'élargit, comme celui de Canderous. Elle agita les doigts.

- Vous voulez me décrire ce que vous avez trouvé, exactement.

- Je veux vous décrire ce que j'ai trouvé, exactement. J'ai envoyé quelques sondes sur la surface de cette planète, et nous avons rapidement trouvé que le signal venait d'un emplacement précis à l'écart. Et les archives de la ville m'ont indiqué qu'il s'agissait de la Vallée du Soleil.

- La Vallée du Soleil ?

- C'est un site désert à quelques centaines de kilomètres de Pozne. J'y ai envoyé un petit contingent en éclairage, et j'étais en train de préparer une expédition plus conséquente au moment où vous êtes arrivés.

- Vous êtes sûr de ne rien me cacher d'autre ?

- Je suis sûr de ne rien vous cacher d'autre.

Chi'ta se tourna vers Canderous.

- Je ne sens pas la moindre trace d'appréhension. À mon avis, s'il n'ajoute rien, c'est qu'il n'a rien à ajouter.

Le Mandalorien hocha lentement la tête, et parut satisfait. Il recula vers la porte.

- Gardes ? On a fini.

Deux miliciens entrèrent, tenant l'Impérial en joue, pendant que le mercenaire et la jeune fille quittaient ensemble la pièce d'interrogatoire improvisée. Ezra, Dankin et Liam, qui avaient tout vu à travers la vitre, les attendaient. Ils applaudirent avec enthousiasme.

- Chi'ta, tu m'épates ! Je pensais que toute sa méchanceté te ferait fuir à toutes jambes ! Comment t'as fait ?

- Simplement en écoutant ses émotions, Liam. Le capitaine Nunsk était avant tout un homme effrayé. Bien qu'il n'ait pas voulu le montrer, Canderous l'avait bien impressionné. J'ai fait abstraction du nombre de dépouilles pour ne pas paraître faible et rester en position dominante. Et puis, j'ai appris à me fortifier face aux êtres insensibles à la Force. Leurs émotions sont bien moins intenses que celles de ceux ayant la Résonance. Devant tout un auditoire hostile, je pense avoir encore besoin d'entraînement, mais face à une personne isolée, je m'en sors, maintenant.

- L'essentiel, c'est que tu aies réussi à le faire parler. T'es la meilleure !

- Merci, docteur Lohrn. À présent, nous savons où chercher.

- Ouais ! Il est temps pour Niourk d'honorer son engagement !

Les cinq camarades étaient à bord d'un long speeder conduit par un grand gaillard du nom de Gillian. Il rappelait un peu Canderous à la jeune Drall, de par son look de baroudeur, avec cheveux longs, barbe de deux semaines, jean délavé et chemise à fleurs, et son attitude nonchalante. Le répulseur s'arrêta au sommet d'un petit monticule.

- Et voilà, les amis ! Nous y sommes !

- Mais… !

Une surprise de taille leur apparut. La Vallée du Soleil était bien là, devant eux… mais elle était complètement inondée. L'eau n'était qu'à quelques mètres d'eux, et les vaguelettes clapotaient sur la poussière.

- Hé, ce n'était pas prévu, ça !

- Ageer ne t'avait rien dit à ce sujet ?

- Non, docteur Lohrn… je ne comprends pas.

Ezra demanda à Gillian :

- Est-ce que ce lac a toujours été là ?

- Non, docteur. Il y avait effectivement des ruines, mais il y a une quinzaine d'années, le gouvernement a voulu construire un barrage pour pouvoir en tirer de l'énergie hydraulique. Conséquence, ce lac artificiel. Évidemment, les archéologues ont râlé, mais quand on leur a coupé les crédits, ils n'ont pu rien dire.

- Le capitaine Nunsk a bien dit qu'il avait envoyé une avant-garde ?

- Ouais, petite puce. Et alors ?

- Je suppose qu'il s'agit de ces gens, là-bas.

Chi'ta montra du doigt le centre du lac. Il y avait une base montée sur flotteurs. Liam distingua des petites silhouettes habillées de blanc qui allaient et venaient sur les passerelles, et quelques bateaux à moteur hors-bord stationnés le long d'un quai amovible. Un drapeau impérial flottait sur le bâtiment le plus grand.

- Ils n'ont pas l'air très nombreux.

- Après ce qui s'est passé, vous pensez bien que le gros des troupes a dû tout laisser en plan pour résister. Il ne doit plus y avoir que quelques soldats.

Canderous utilisa la fonction zoom de son casque pour avoir une meilleure vue de la situation. Il repéra rapidement l'un des hommes en blanc, et étudia son équipement.

- Des soldats des mers. Ils ont des armures légères conçues pour aller sous l'eau, avec un système respiratoire intégré et des fusils à harpon. Leur équipement les rend plus rapides sous l'eau, mais forcément ils sont moins résistants.

- Mais ils ne sont pas venus à pied ! Regardez ça !

Liam fit un geste vers la droite. Les mines se crispèrent devant la forme sombre d'un énorme engin flottant placidement sur la surface du lac. Canderous grinça des dents.

- Aïe, aïe, aïe… Un Transport Blindé de Terrain Aquatique…

- Et son petit frère ! remarqua le docteur Lohrn en désignant un autre véhicule blindé qui émergeait de derrière la base préfabriquée.

Dankin demanda à Gillian :

- Quel est le plan ?

- Regardez sur votre gauche.

Au bord du lac, un peu plus loin, il y avait une grande bâtisse.

- Voici la station de sports nautiques du Lac du Soleil. Jusqu'à ces derniers mois, il y avait régulièrement des touristes pour faire du ski nautique, du parachute ascensionnel, de la plongée, du jetski… La station a dû fermer, mais les équipements sont toujours fonctionnels. De quoi vous permettre de pénétrer au cœur des ruines.

- Je ne suis pas sûr qu'ils nous laissent entrer comme ça.

- Sans doute pas, docteur, mais ils auront fort à partie avec nous.

- Avec vous ? demanda Chi'ta, surprise.

- Oui, jeune fille. Vous nous avez aidé à renverser le tyran, nous avons le devoir de vous renvoyer l'ascenseur. Nous allons détourner l'attention des Impériaux en les attaquant pendant que vous irez au fond du lac.

- Vous feriez ça pour nous ?

- Oui, jeune homme.

- Mais… vous allez prendre de gros risques ! Il y aura sûrement des blessés dans vos rangs, et peut-être même des morts ! Vous ne devez pas faire ça pour nous !

Chi'ta, comme à son habitude, laissait parler son empathie naturelle, et prit un air chagriné. Cela contraria un peu Canderous.

- Tu ne vas pas pleurnicher ! Ce sont des durs à cuire, pas des civils empotés !

- Et nous choisissons de vous aider. Votre concours nous a été très précieux, et j'imagine que ce que vous comptez faire dans ces ruines doit vraiment valoir le coup, après tout ce que vous avez fait pour nous. Nous allons montrer à ces Imps qui sont les vrais habitants de Travnin ! Sérieusement, de toute façon, après le coup qu'on a porté à Pozne, ils vont se rendre sans faire d'histoire ! Quand ils verront nos gars arriver par centaines, ils ne joueront pas aux héros !

Un deuxième vaisseau de la milice se posa près de la base nautique. Le Togorien eut une moue irritée.

- Ces mouvements vont créer des soupçons chez les Impériaux.

- Peut-être, mais ils n'ont pas tellement les moyens de prendre des initiatives d'attaque, et ça, c'est une certitude. Assez parlé, allons à l'intérieur !

Le petit groupe passa une vingtaine de minutes à explorer la base nautique. La deuxième équipe était menée par une Humaine en combinaison de mécanicienne nommée Trisha. C'était une femme d'une trentaine d'années, à la peau noire, et aux cheveux noués en longues tresses blondes. Elle paraissait aussi énergique et volontaire que Gillian, sinon plus. Elle avait réuni toute l'équipe au grand complet dans la salle de cours théorique de sports, avec un tableau blanc sur lequel elle avait dessiné un plan avec les feutres.

- Voici en gros la situation : la base impériale a été installée juste au-dessus de la tour principale des ruines. Ils acheminent régulièrement le matériel et leurs hommes par le biais d'un submersible qui fait des allers-retours. Le plan est simple : dans une dizaine de minutes, les renforts seront arrivés, et nous lancerons un assaut sur les Imps à la surface. Il n'y aura plus qu'une patrouille ou deux dans les ruines. Vous n'aurez aucun mal à vous y rendre avec les motos sous-marines.

- Les motos sous-marines ? répéta Liam.

- Oui, des jetskis amphibies fonctionnels en surface et sous l'eau. Ca se conduit comme une bécane, rien de…

- Vous voulez dire que nous… serons directement dans l'eau ? interrompit Chi'ta.

- Oui, nous n'avons pas accès à un submersible, mais ne vous en faites pas, c'est moi qui m'occupe de l'entretien de ces appareils, ça ira comme sur des roulettes.

C'est alors que Liam sentit des effluves désagréables faire des ondulations dans le courant de la Force. C'était une peur panique virulente qui émanait d'une personne qui se trouvait près de lui. En regardant autour de lui, il remarqua que sa voisine avait l'air terrifiée.

- Mais… qu'est-ce qui t'arrive ?

- Je… j'ai un gros problème.

La jeune Drall tremblait comme une feuille, et ses yeux étaient plus grands que des soucoupes. Liam s'inquiéta.

- Hé, pas de souci ! On va juste faire une excursion dans la flotte !

- Justement…J'ai… je suis sujette à la thalassophobie.

- Décidément, je ne m'habituerai jamais aux mots des Consulaires ! C'est quoi, la thalo… thassalo… enfin, ce truc, là ?

- La peur de l'eau, Liam, intervint Ezra.

- Plus précisément des grands fonds marins, docteur Lohrn. Je peux nager au bord de la mer ou dans une piscine, mais la simple pensée des abysses et des créatures qui s'y cachent me terrorise. Je n'ai même pas vécu d'expérience traumatisante, mais c'est comme ça. C'est bête, hein ?

En voyant le petit sourire navré de la padawan, le docteur Lohrn soupira. C'est à ce moment-là que Canderous rejoignit les autres en bouclant la ceinture de son harnais.

- Ne t'en fais pas, Chi'ta. Normalement, nous ne devrions pas descendre très profondément. On ne sera pas dans le noir complet, y aura au moins les éclairages de l'installation des Imps. Et si ce sont les bêtes qui t'effraient, tu peux être sûre qu'il n'y en aura pas. L'Empire a dû déjà toutes les faire fuir ou les liquider en venant faire leurs fouilles. On verra sans doute un petit poisson ou deux, mais sûrement pas de kraken de Goroth ou de poisson-mâchoire d'argent

- Je vais vous trouver de quoi vous couvrir complètement, intervint Trisha. Comme ça, votre fourrure n'entrera même pas en contact avec l'eau. Vous n'aurez qu'à penser que vous êtes dans l'espace, la différence ne sera pas trop importante.

- Vous avez du matos pour la morphologie d'une Drall ?

- En cherchant bien, on devrait mettre la main sur quelque chose.

Voyant que Chi'ta ne réagit toujours pas, le Mandalorien insista d'une voix qu'il essaya de rendre conciliante :

- Allez, petite puce, ne nous oblige pas à te laisser en arrière ! On ne sait pas du tout ce qu'il y aura dans ces ruines, mais moi, je sais qu'on aura de meilleures chances avec toi. Tout se passera bien, je te le promets. Tu monteras entre moi et Liam, comme ça tu seras en sûreté. Dankin, Ezra, vous prendrez un deuxième véhicule.

Les deux autres approuvèrent. Se sentant poussée par le groupe, la petite Drall finit par acquiescer silencieusement, l'air résolu.

Un quart d'heure plus tard, Liam et Chi'ta entrèrent main dans la main dans la salle de plongée. Le jeune homme avait passé une combinaison légère, avec des chaussures étanches, des gants de caoutchouc, et tenait un masque conçu pour recouvrir le visage, avec une réserve d'oxygène d'une heure intégrée dans le bec. C'est à peine s'il sentait l'équipement sur son dos. Chi'ta, par contre, était engoncée dans un attirail lourd pour elle, et se déplaçait difficilement, mais ne se plaignit pas. On lui avait prêté un scaphandre intégral renforcé de protections de cuivre, avec une épaisse cloche de plexiglas transparent sur la tête et un système de renouvellement d'air.

Le hangar de plongée était une grande pièce au plafond bas, avec une vitre blindée donnant sur une petite salle annexe d'où l'on commandait l'ouverture de la grande porte du fond qui donnait directement sur la mer. Cinq speeders sous-marins étaient alignés à l'opposée de la sortie. Canderous avait déjà pris place sur le siège avant de l'un des véhicules nautiques. Trisha finissait de lui expliquer les fonctions des différentes commandes. Dankin et Ezra étaient montés sur leur appareil.

- Mam'zelle ? Venez par ici, invita Gillian.

La jeune fille approcha docilement de l'Humain. Il était près d'une grue, et jouait avec le crochet.

- On va vous hisser jusqu'à votre siège. Votre scaphandre est équipé d'un harnais. Je vais vous accrocher.

Trisha manoeuvra la grue tandis que Gillian la guidait, poussant de temps en temps Chi'ta d'un côté, puis de l'autre. Au bout d'une minute, elle était pile au-dessus de la moto, et n'avait pas l'air fière.

- Je suis… désolée de…

- Arrête d'être désolée d'exister et d'avoir tes défauts, Chi'ta ! coupa Canderous. Personne ne te demande d'être parfaite. Moi, je trouve ça même plutôt amusant !

Trisha baissa la manette de commande de la grue, fit descendre lentement la jeune fille et la déposa pile entre les deux Humains. Canderous retira le crochet, le poussa vers la mécanicienne, et reprit sa position mains sur le guidon. Trisha et Gillian entrèrent dans la cabine de commande du sas. Un haut-parleur crachota et la voix de la mécanicienne se fit entendre.

- Tout va bien, les amis ?

- Au poil !

- Impeccable.

- Pas de problème !

- C'est quand vous voulez.

- Jusqu'ici… tout va bien.

- Parfait. Mettez vos masques et calez bien les écouteurs dans vos oreilles !

Liam regarda plus attentivement son masque de plongée, et remarqua deux petites tiges latérales qu'il n'avait pas vues. Gillian expliqua :

- Ces bitonios ont une double fonction : ils vous permettront de recevoir et d'entendre les communications radio, et protégeront vos tympans de la pression.

- Jeune fille, vous avez un système de communication dans le scaphandre.

- D'autres questions ? Non ? Bon, on lance la procédure.

Une alarme retentit et plusieurs gyrophares tournoyèrent. La jeune Drall sentit un frisson nerveux lui hérisser le pelage quand elle vit plusieurs grilles sur la paroi d'en face laisser passer de l'eau de mer. Une flaque se forma au pied de la grande porte, puis se répandit rapidement à travers tout le hangar. Bientôt, il y avait une quinzaine de centimètres d'eau, et le niveau montait rapidement.

- Dankin, fais comme moi : enclenche la fonction « amphibie ».

Le Togorien obéit. Des ouvertures laissèrent l'eau pénétrer dans les flotteurs de leurs engins, qui restèrent posés sur la plate-forme alors que le niveau d'eau salée montait toujours. Chi'ta respirait de plus en plus vite, de plus en plus bruyamment. Canderous l'entendit par le communicateur et regarda par-dessus son épaule. La pauvrette s'agitait de plus en plus nerveusement.

- Tout va bien. Souffle profondément, ta combinaison est parfaitement étanche. Trisha me l'a confirmé : au moindre pépin, on arrête tout et la pièce est immédiatement vidée.

- D'accord… Je…. je serai forte.

- Fermez les yeux et respirez un bon coup, conseilla Gillian à travers le communicateur. Cela devrait vous détendre, vous aider à ne pas faire attention.

L'eau montait de plus en plus. Bientôt, la jeune fille sentit le contact de la matière liquide effleurer ses pieds, puis remonter le long de ses mollets.

C'est purement psychologique, ma fille, ce scaphandre est étanche, tu ne devrais même pas éprouver une différence de température !

Alors elle suivit les instructions de Gillian. Elle crispa les paupières, et tâcha de respirer le plus lentement qu'elle put. Chaque expiration lui demandait plus d'une dizaine de secondes.

- Hein ? Qu'est-ce que tu dis ?

- J'ai dit quelque chose, maître Dankin ?

- Tu as parlé d'émotion et de paix, de passion… je n'ai pas tout compris.

- C'est le credo des Jedi, Dankin. Je crois que Chi'ta l'a récité sans s'en rendre compte.

C'était exact. Elle avait tellement fermé ses sens qu'elle n'avait plus tellement la perception de ce qu'elle faisait vraiment. Elle entendit une sorte de grondement devant elle, et la voix de Canderous :

- Prêts à partir, les gars ? Dankin, pousse la manette des gaz !

Et le véhicule s'ébranla. La jeune fille osa alors ouvrir les yeux, et ne put réprimer un petit gémissement apeuré. Le hangar était complètement inondé, si l'on ne tenait pas compte des quelques bulles d'air emprisonnées sous le plafond, et le rideau d'acier était relevé, laissant voir l'extérieur.

- Tout est nickel, les voyants de votre combinaison l'indiquent, mam'zelle.

- Bonne chance, les gars ! Ne vous faites aucun souci pour les Imps, on s'en charge.

- Bon, c'est parti ! jubila Canderous.

Les deux jetskis décollèrent simultanément, et après quelques tâtonnements, les deux pilotes quittèrent le hangar pour se retrouver dans les eaux du lac. Chi'ta passait alternativement d'une peur panique difficile à contenir à une sorte d'étrange fascination. C'était quelque chose de vraiment extraordinaire, à la fois merveilleux et inquiétant. Au-dessus d'elle, à plusieurs dizaines de mètres, elle pouvait deviner la surface de l'eau qui ondulait furieusement tandis que les embarcations impériales et des forces insurgées se croisaient. Et en dessous, l'obscurité des profondeurs ressemblait à une gigantesque bouche prête à la happer. Elle s'empressa de tourner la tête vers l'autre moto pour ne pas y penser.

- Où est-ce que nous devons aller ? demanda le docteur Lohrn.

- Gillian m'a montré une issue, à l'aide d'un schéma fait avec des senseurs tridimensionnels. On va descendre un peu. Regardez en face, plus bas.

Tous pouvaient distinguer quelque chose pile sous la base impériale préfabriquée. Plusieurs bâtiments d'aspect ancien étaient partiellement engloutis par le sable et les diverses mousses aquatiques. Au milieu de cet amas, il y avait une construction particulièrement grande. C'était un gigantesque cylindre de plusieurs centaines de mètres de circonférence, qui dépassait du fond sableux d'au moins une quarantaine de mètres. Canderous continua son explication.

- Nous allons entrer par ici, les Impériaux ont débloqué une ouverture de l'autre côté de cette grande tour centrale. Dankin, on contourne par la droite.

- Compris.

À l'avant de son speeder, Dankin ressemblait à une sorte de monstre marin dont le pelage ondulait au gré des eaux.

Certaines ethnies surnomment les phoques « lions de mer »… Voilà un surnom qui lui irait à merveille ! pensa la jeune fille avec amusement.

Les miliciens de Travnin avaient l'avantage du nombre, et les quelques Impériaux ne résistèrent pas longtemps. En levant les yeux, Ezra vit nettement les coques des embarcations à moteur accoster. Même les deux TB-TA furent rapidement coulés par les assauts répétés des torpilles envoyées sous leur ligne de flottaison.

- Oh-ho ! Les soldats des mers nous ont repérés ! constata Liam. On aurait peut-être dû prendre des fusils à harpons !

- Relax, ils ont trop la trouille pour s'intéresser à nous. Regardez, ils regagnent la surface ! Ils vont se rendre, eux aussi.

- Ces Imps savent quand s'arrêter, au moins.

Chi'ta voyait l'immense masse cylindrique se rapprocher, envahir peu à peu tout le champ de vision que lui laissait son casque. Comme ils étaient très proches, elle constata que le bâtiment était construit tout de pierre taillée, et que des formes grossières ressemblant vaguement à des statues étaient visibles ça et là dans des niches pratiquées. Encore plus bas, il y avait bien un grand trou dans la paroi, éclairé de l'intérieur par des projecteurs installés par les Impériaux.

- Parfait ! On y va, sans se bousculer, ça va être un peu délicat.

- Y a longtemps qu'ils ont commencé leurs recherches là-dedans, tu crois ?

- J'en sais rien, Liam. L'avantage, c'est qu'on devrait déboucher dans un endroit relativement praticable.

Liam ne put s'empêcher de serrer un peu les dents quand le jetski pénétra dans l'ouverture. Ils débouchèrent dans une grande salle inondée, mais haute de plafond. D'autres projecteurs éclairaient les lieux suffisamment pour qu'ils puissent voir au-dessus d'eux les coques de deux speeders aquatiques parqués non loin d'une partie du plafond encore en place.

- Parfait, on va pouvoir accoster ici. Dankin, les ballasts !

En appuyant sur la commande appropriée, Canderous et Dankin lancèrent l'évacuation d'eau des flotteurs de leurs véhicules, les faisant remonter jusqu'à la surface, et se garèrent près du quai improvisé. Tous mirent pied à terre – les deux grands costauds conjuguèrent leurs muscles pour faire descendre la jeune Drall. Le docteur Lohrn brandit la tige enregistreuse de son bloc de données.

- L'analyse est formelle, c'est de l'air parfaitement respirable. Nous pouvons enlever les masques.

Ce qu'ils firent. Liam aida Chi'ta à retirer son attirail, à la demande de celle-ci. Quand elle n'eut plus sur le dos que la tunique légère qu'elle avait gardée, elle s'étira en soupirant de soulagement.

- Comment tu te sens ?

- Très bien, maître Dankin.

- Pas de difficultés à respirer ?

- Absolument aucune, docteur Lohrn. Je... je pense m'en être bien sortie, compte tenu du comité d'accueil.

- Tu vois, c'est allé tout seul ! plaisanta le mercenaire.

Ezra s'était déplacée vers l'un des murs. Elle regardait les centaines de glyphes et de dessins gravés dans le mur, et les filmait consciencieusement avec la caméra de son bloc de données.

- Je n'arrive pas à voir de quoi il s'agit, mais autant garder des souvenirs.

Au milieu de la salle, non loin d'une grande ouverture taillée dans la paroi qui donnait sur un corridor sombre et étroit, les Impériaux avaient entassé quelques caisses de matériel. Dankin y jeta un œil, ne vit rien d'intéressant à son goût. Du matériel de recherche, des excavateurs, des senseurs portatifs, des projecteurs sur pied… Les autres s'apprêtaient à franchir le seuil de l'arche. Canderous avait sorti son armure du coffre du jetski, et finissait de la rajuster.

- J'ai un système de vision infrarouge, je passe devant.

Puis, tenant son blaster sonique à deux mains le canon pointé vers le sol, le mercenaire avança bravement dans l'obscurité, suivi par Ezra, les deux padawans, et Dankin, qui ferma la marche. La jeune Drall frémit en sentant sous ses pieds nus l'humidité glacée des pavés. Elle avait un peu de mal à respirer. L'atmosphère était très humide, et de plus en plus chaude. On n'entendait que de petits claquements, ceux de l'eau tombant ça et là goutte à goutte.

Des cris terrorisés, des vociférations et des coups de blaster répétés déchirèrent violemment le silence étouffant. Les cinq compères s'arrêtèrent net. Canderous pouvait voir loin devant une intersection comprenant un chemin vers la gauche et un autre vers la droite. Une lumière vacillante venant de la gauche s'amplifiait, tout comme les cris.

Soudain ils virent un groupe de quatre soldats de choc marcher à reculons tout en tirant comme des forcenés vers la gauche. Chi'ta n'eut aucun mal à déceler la terreur qui émanait d'eux. Les autres pouvaient entendre leurs cris épouvantés alors qu'ils disparaissaient de leur champ de vision. Les tirs orangés de leurs armes illuminaient le corridor. C'est alors que Dankin entendit un martèlement sourd qui faisait régulièrement trembler toute la structure. Il brandit son arbalète, anticipant l'arrivée d'une nouvelle catastrophe, et vit, comme ses camarades, trois énormes silhouettes lourdes passer lentement devant eux, sans s'arrêter, à la poursuite des Impériaux. Le faible niveau d'éclairage ne lui avait pas permis ce que c'était exactement.

- Qu'est-ce que c'était que ça ?

Personne ne pipa mot de leur côté. En revanche, les Impériaux poussaient des exclamations effrayées.

- Repliez-vous, soldats !

- Les blasters ne servent à rien, chef !

- Sortez vos grenades, espèce de…

- Chef ! Y en a derrière !

- Non ! AAAHHH !

D'autres grondements gutturaux retentirent par-dessus les cris épouvantés des Impériaux, puis ce fut le silence. Les lourds bruits de pas s'éloignèrent, le calme revint dans les couloirs sombres. Les deux padawans étaient littéralement pétrifiés par ce qu'ils venaient de voir et entendre. La Calipsa n'en menait pas large, pas plus que le chasseur Togorien. Seul Canderous se permit d'observer comme si de rien n'était :

- Ca ressemblait à d'espèces d'énormes statues vaguement humanoïdes. Elles avaient l'air de peser plusieurs dizaines de tonnes.

- C'est pas vrai, grimaça Ezra. Bon sang, manquait plus que ça !

- C'est peut-être pas des méchants !

- La barbe, Canderous ! Oui, bien sûr, tu as raison ! Nous n'avons rien à craindre de ces espèces de machins colossaux ! C'est juste le service de gardiennage ! Et tu crois vraiment qu'ils vont nous laisser tranquilles parce que c'est nous ?!

- Euh… je crois que nous devrions continuer notre progression, chuchota Chi'ta.

La doctoresse considéra le reste du groupe.

- Elle a raison, faut continuer. Les bruits ont cessé, je crois que ces « statues » sont parties. J'avance en reconnaissance, vous me suivrez à mon signal.

- Docteur Lohrn ! Je… je vous en conjure, soyez prudente !

L'Humaine fit un clin d'œil à la jeune Drall.

- Allons, depuis le temps, tu me connais, non ?

- Justement, raison de plus pour s'en faire ! ironisa Canderous.

Sans faire plus attention, la jeune femme prit une nouvelle tige éclairante, l'alluma, et s'avança bravement, serrant son blaster dans sa main libre.

Quelques pas plus loin, elle arriva à l'intersection. Pas moyen d'avancer davantage, il fallait choisir entre la voie de gauche et la voie de droite. La doctoresse opta pour celle de droite. Elle avança quelques dizaines de mètres dans une pénombre, et fit la grimace en voyant les soldats de choc par terre, broyés, leurs pièces d'armure blanches fendues et brisées. Mais elle continua d'avancer, sans y penser. Elle sentit un courant d'air s'amplifier encore et encore.

Le corridor débouchait sur une salle aux dimensions cyclopéennes. Elle était tellement immense que la Calipsa ne pouvait distinguer ni le plafond, ni le plancher. Son bâton lumineux éclairait faiblement sur sa droite un mur vaguement circulaire constitué d'énormes blocs de pierre taillée. Il n'y avait devant elle qu'une rampe, à peine assez large pour permettre à une seule personne de passer sans trop de risques de tomber. Il n'y avait même pas de barrière. En regardant plus bas, elle vit le chemin descendre en une longue vrille, et comprit qu'il ne devait faire qu'une vingtaine de centimètres d'épaisseur. Une technologie mystérieuse et sans doute particulièrement avancée permettait donc d'emprunter un pont qui évoluait comme une spirale, sans paraître accuser le poids de la jeune femme.

Blast... Kathols ou Aing-Tee, l'architecte et l'ingénieur ont fait fort.

Elle rangea son blaster, sortit une autre tige lumineuse de sa sacoche, l'alluma, et laissa tomber la première tige en contrebas. Le bâton éclairant descendit à toute vitesse, et fut englouti par l'obscurité. La doctoresse fit la moue.

J'espère que ça ne descend pas sur trente kilomètres !

Quelque chose la tira brutalement de ses pensées. Un bruit venait de retentir au-dessus d'elle. Pendant un instant, elle pensa à un battement d'ailes.

Y a des bestioles, là-dedans ?

Comme pour répondre à sa question, un formidable grondement s'éleva des profondeurs de la terre, faisant trembler les murs, provoquant la chute de gravillons, avant de s'atténuer peu à peu et laisser place au silence. Sans trop se poser de questions, Ezra sortit une grenade à onde de choc assommante, la dégoupilla et la laissa tomber. Quelques secondes plus tard, elle entendit l'explosion et vit un court instant l'éclat de lumière propre aux armes incapacitantes. Rien d'autre ne se produisit.

- Hé, t'as pas peur de gâcher ? demanda Canderous qui venait de la rejoindre.

- Je ne sais pas trop de quoi avoir peur. La seule chose dont je suis sûre, c'est qu'il va falloir descendre.

Les trois autres parurent à la porte, et tous les cinq suivirent prudemment le sentier. Pendant de très longues minutes, ils progressèrent sans dire un mot, surveillant chaque pas pour éviter de tomber. De temps à autre, un étrange son ondulait dans le silence. Un croassement, un battement d'aile, un grattement. Enfin, le sentier revint à l'horizontale, et partait tout droit. Encore quelques dizaines de mètres, et ils arrivèrent à une intersection.

- Bon, on passe par où ? Tout droit, ou à droite ? demanda Ezra.

- Tout droit, c'est pas la peine, répliqua Canderous. J'arrive à voir ce que c'est, le sentier remonte en une spirale comme celle qu'on vient d'emprunter.

- Ca retourne probablement vers l'entrée, au couloir d'où venaient ces… statues.

- Les statues… où sont-elles donc ? s'inquiéta Chi'ta.

- Je ne les vois pas. Si ça se trouve, elles sont tombées, elles ont sauté dans le trou, ou elles se sont encastrées dans la roche, qui sait ?

- Ou alors, elles ont emprunté le chemin de droite, gronda Dankin.

- De toute façon, c'est là où l'on va devoir aller, c'est la seule issue à part faire demi-tour.

Et la petite bande bifurqua vers la droite pour continuer. En approchant, ils distinguèrent une sombre masse vaguement éclairée par des projecteurs impériaux. Grâce à ses sens exacerbés par la Force, Liam voyait aussi clairement qu'en plein jour, tout comme Chi'ta. Il n'y avait aucun signe de vie, encore moins d'une statue mouvante.

- Qu'est-ce que c'est que ça, à votre avis ?

- Le centre de cette citadelle.

Ils étaient arrivés aux abords d'un disque de pierre flottant au-dessus du gouffre. Au centre de cette plate-forme géante, il y avait un grand cylindre d'une quarantaine de mètres de circonférence. Toute sa surface était constellée de glyphes gravés, de toutes les formes et de toutes les tailles.

Un sifflement modulé attira l'attention. C'était Chi'ta, clouée sur place, qui restait sans faire un pas de plus. Le front de Dankin se creusa.

- Qu'est-ce qui t'arrive ?

- Il y a quelque chose de vivant, ici. Une présence vraiment… très importante.

- Ouais, Chi'ta a raison, les gars. Moi aussi, je ressens… blast !

- Quoi, quoi ?

- Il y a un énorme machin sous nos pieds ! Quand je dis « énorme », c'est que c'est grand ! Ca fait plusieurs dizaines de mètres au moins !

Une nouvelle rumeur roula sur les parois de la caverne, plus grave, plus longue, plus forte. Les murs tremblèrent, et des cailloux tombèrent dans des traînées de poussière.

- Maintenant j'en suis sûr, ça vient d'en dessous. Et je ne crois pas que ce soit un simple courant d'air.

Le mercenaire avança à pas de loup jusqu'au rebord, et pencha très lentement la tête par-dessus le rebord. Il contempla attentivement le gouffre.

- Nom d'un cœur de réacteur…

- Alors, qu'est-ce que c'est ?

- Est-ce dangereux ?

- Seulement si on tombe. Venez voir. Attention les yeux.

Dankin rejoignit son ami, et leva la tige éclairante. La lumière n'arrivait cependant pas à crever l'obscurité. Canderous prit la tige, l'attacha à son rouleau de synthécorde, et la fit descendre lentement. Quand enfin elle éclaira les parois du gouffre, les autres que le fond de la caverne était conique, et était constellé d'aspérités.

- C'est étrange, ces stalagmites sont réparties de manière un peu trop régulière pour être naturelle.

- Je crois que t'as pas encore pigé, petite puce. C'est on ne peut plus naturel, mais ce ne sont pas des stalagmites.

Quelque chose bougea dans la semi-obscurité, une sorte de serpent large comme une cuisse de Wookiee. Soudain, la jeune fille comprit, et recula en toute hâte.

- Par le Grand Fouisseur !

- Par les rubans de feu du blason Calipsa !

Liam n'arrivait même plus à articuler une syllabe. Aucun doute ne subsistait, le fond de la caverne était occupé par un sarlacc, cet animal gigantesque vivant immergé dans le sol, ne laissant à l'air libre qu'une bouche immense garnie de crocs entre lesquels plusieurs langues brassaient l'air à la recherche d'une proie à capturer et à avaler. Généralement, cette créature étendait de longs tentacules sous terre, et ne pouvait presque pas se déplacer. Celui-ci était véritablement gargantuesque, et cette gueule devait mesurer une bonne centaine de mètres d'un bout à l'autre, sinon davantage.

Canderous se tourna vers les autres.

- À votre avis, quel âge a ce truc ?

- Pour avoir une taille pareille ? Plusieurs siècles au bas mot ! répondit Ezra.

- Nous devrions peut-être nous intéresser à ce grand pilier, vous ne croyez pas ?

Chi'ta s'approcha de la colonne. Les sculptures étaient d'une incroyable finesse, et l'humidité, les courants d'air et les glissements de terrain n'avaient l'air nullement altérés. En approchant, le petit groupe entendit derrière la pierre sculptée de vagues bruits de lourdes machineries encore fonctionnelles. La jeune fille leva la tête et tendit l'index.

- Regardez !

Elle montrait quelque chose qui dépassait de la surface cylindrique, une dizaine de mètres plus haut. C'était un renforcement d'où émergeait une tête de pierre carrée, dont la forme représentait vaguement celle d'un lézard. Grâce à son dispositif infrarouge, Canderous put voir qu'en face, sur la paroi opposée de la caverne, il y avait également une sculpture. Sous les deux têtes, une grande ouverture laissait paraître des engrenages. En longeant le grand cylindre central, Dankin remarqua à haute voix qu'il y avait en tout trois têtes de pierre disposées à égale distance l'une de l'autre, exactement à la même hauteur, et que chacune faisait face à une tête sculptée encastrée dans la paroi rocheuse de la grotte.

- Hé, il y a un message écrit, là-dessus !

Le mercenaire venait de repérer une lourde plaque de bronze poli dans laquelle étaient gravés de nombreux glyphes. Dankin leva son bâton éclairant et s'approcha.

- Mh, mh… C'est de l'Aing-Tee, à votre avis ?

- Ca me rappelle les glyphes du logiciel de traduction mis au point par les Jedi.

- Pas exactement, docteur Lohrn ! s'exclama Chi'ta.

Les deux padawans se placèrent face à la plaque. La jeune fille pencha la tête, et son condisciple fronça le visage.

- C'est une variante du langage des Kathols, une sorte de simplification. Bien sûr, ce dispositif est enterré ici depuis très longtemps, mais n'oublions pas que, contrairement à l'alphabet Kathol qui est resté figé pendant quatre mille ans, le langage des Aing-Tee a évolué, et toutes ces installations sont plus récentes que la catastrophe de la Faille.

- Tu arrives à comprendre quelque chose, petite puce ?

- Les Aing-Tee utilisent des dérivations de la technologie des Kathols, il est probable qu'ils en aient aussi repris le langage après l'avoir adapté à leur pratique.

- Et tu peux nous le lire ?

Liam posa son doigt sur le premier glyphe, comme s'il espérait pouvoir mieux en saisir la signification par le contact. Lentement, il articula :

- « Marche… Suis le chemin… du Ta-Ree... et de ses manifestations. »

- « Contemple l'éclat de la route… que forment les larmes des Grands Anciens… et restitue ses pas… de la terre jusqu'au ciel », continua Chi'ta.

- « Le fidèle aura la connaissance… l'infidèle sera châtié. »

- Vous êtes sûrs que c'est ce qui est écrit ?

- Pratiquement, Canderous.

- C'est dingue ! Comment vous faites ?

Les deux padawans se regardèrent.

- C'est un peu difficile à dire…

- On ne l'explique pas, docteur Lohrn. Une manifestation mineure de la Force, ou autre chose ? Dans tous les cas, ça s'amplifie progressivement.

- Plus on approche des Kathols, et plus on comprend comment ils marchent.

- Admettons… Et c'est quoi, la signification, à votre avis ?

- Peut-être bien que cela aurait un rapport avec ces espèces de cristaux ? Vous ne pensez pas, maître Dankin ?

Chi'ta montrait du doigt une petite niche creusée juste au-dessus de la plaque de bronze. Trois cristaux de la taille d'un poing, finement taillés, y étaient disposés en triangle. L'un était de couleur bleue, le deuxième était rouge, et le troisième vert.

- Qu'est-ce qu'il faut en faire, à votre avis ?

- Appuyer sur l'un d'eux, j'imagine.

- Mais lequel ?

- C'est probablement ce que raconte cette énigme.

- Est-ce que j'essaie ?

Tous les regards se tournèrent vers Liam. Il continua :

- Peut-être que ces cristaux réagissent avec la Force. J'essaie quelle couleur ?

- Vert ! s'exclama Chi'ta. Si quelque chose devait nous arriver, autant que ce soit dû à la couleur de l'espoir.

Le jeune homme tendit la main, et posa les phalanges sur la surface lisse du bloc transparent. La pierre précieuse était tiède. Il poussa légèrement, et le cristal s'enfonça avec un cliquetis. Il y eut un tintement aigu et feutré, comme le son d'un diapason, pendant qu'une lumière douceâtre illumina le cristal vert de l'intérieur.

Mais il ne se passa rien de plus. Le docteur Lohrn haussa les épaules.

- Bon. On dirait que les choses sont un peu plus complexes que prévu.

- Que faire d'autre ?

- Si vous voulez mon avis, un seul, c'est pas assez, suggéra Canderous.

Alors qu'il prononçait ces mots, la pierre transparente s'éteignit, et revint à sa place initiale.

- Bon, il doit falloir appuyer sur les trois cristaux assez rapidement, qu'ils puissent être allumés tous les trois.

- Oui, mais dans quel ordre ? Rappelez-vous que le texte dit clairement « l'infidèle sera châtié » !

- Je suppose qu'il serait préférable que nous trouvions la bonne combinaison du premier coup au lieu de faire des essais au petit bonheur…

Et ils se mirent à réfléchir. L'un s'assit par terre, l'autre resta debout à déambuler, silencieusement ou en marmonnant des syllabes plus ou moins intelligibles.

- « L'infidèle sera châtié »…

- « L'éclat de la route »…

- « De la terre jusqu'au ciel »…

Le Mandalorien était de plus en plus frustré. Il s'accroupit près de Chi'ta.

- Petite puce, c'est toi la plus intelligente et la plus cultivée d'entre nous ! Ne me dis pas que tu vas caler là-dessus !

- Non, Canderous, non ! Laissez-moi réfléchir… qui sont ces « Grands Anciens », à votre avis ?

- Sans doute ceux qui ont… enfin, qui auraient créé l'univers, suggéra Ezra. Les Précurseurs de Kathol, et peut-être d'autres de la même puissance.

- Et que seraient leurs larmes, à votre avis ? gronda le Togorien.

- Des larmes qui formerait une route allant de la terre jusqu'au ciel…

Liam laissait son regard errer sur les parois. Soudain, il reçut une goutte d'eau sur le crâne. Il se passa la main dans les cheveux pour essuyer l'eau en regardant pensivement le plafond, quand son esprit s'illumina. Il se frappa le front.

- La pluie ! La pluie, c'est comme des larmes ! Et la pluie, quand il y a du soleil…

- …ça forme un arc-en-ciel ! s'écria Chi'ta. L'arc-en-ciel relie le ciel et la terre ! Oui ! Il faut appuyer sur les cristaux dans l'ordre des couleurs de l'arc-en-ciel !

- C'est une possibilité.

- On tente ?

Les cinq amis se regardèrent avec appréhension. Comme aucun n'avait rien de mieux à proposer, ils laissèrent Chi'ta approcher de la colonne, et tendre la main vers la niche.

- Si l'on s'en tient au spectre lumineux, l'ordre serait « rouge, vert, bleu ». J'y vais ?

Après un court silence approbateur, la jeune fille poussa fermement la pierre rouge qui s'enfonça avec une tonalité grave. Puis elle fit de même avec la pierre verte, et appuya enfin sur la bleue. Les trois tonalités sonnèrent de plus en plus fort. Un grand bruit de mécanique se mettant en marche après des siècles de sommeil ébranla toute la caverne. En l'air, l'une des têtes de pierre bougea, et avança. Tous comprirent qu'elle était au bout d'un long pilier de pierre horizontal qui soutenait la tête de lézard et la bougeait lentement jusqu'à celle de la paroi opposée. Des raclements similaires laissaient comprendre que les deux autres têtes bougeaient de la même façon.

Liam fit rapidement le tour de la colonne. La première tête était maintenant à moins d'un mètre de l'autre. Un rayon d'énergie dorée jaillit des yeux et de la bouche de la tête de pierre incrustée dans la surface de la grotte et pénétra dans les orifices de la statue du pilier. Le deuxième pilier, celui sur la gauche du panneau aux cristaux, se positionna pareillement, le flux de lumière dorée illumina les alentours. Les cinq compères regardaient tous la troisième tête de pierre, à droite. La mécanique fonctionnait, le pilier progressait lentement… mais soudain, il s'arrêta, et un grincement inquiétant vrilla tous les tympans. Un dispositif de sûreté se mit en marche, et les trois piliers se rétractèrent simultanément. Le silence revint dans la grotte.

- Évidemment, c'était trop simple ! persifla Canderous.

- Et qu'est-ce qui ne va pas, cette fois ? demanda Ezra avec agacement.

Chi'ta plissa les yeux, et renifla.

- Oh-ho ! Regardez dans l'encoche !

En effet, l'ouverture sous la tête de pierre laissait voir les engrenages qui étaient bloqués par une énorme brique coincée entre deux dents.

- Saleté…

- Tu ne peux pas la faire sauter, Canderous ?

- Non, Liam ! Il ne faut pas prendre le risque de détruire tout le mécanisme ! J'ai une meilleure idée.

- Quoi donc ?

- Je vais monter pour aller la virer de là.

- D'accord. Et tu montes comment ?

- Avec ça, répondit le Mandalorien en tapotant ses bottes pour mettre en valeur les petites fusées intégrées.

Le plan paraissant raisonnable, il fut approuvé. Canderous enclencha donc les réacteurs de ses bottes, et se retrouva volant à près de dix mètres de hauteur. Faisant face à la tête de lézard sculptée, il considéra attentivement le mécanisme. Déplacer le morceau de pierre n'allait pas être une opération très compliquée, mais il allait falloir agir avec prudence.

- Alors, ça se présente comment ? cria Liam d'en bas.

- Une seconde, je réfléchis.

- Il ne te suffit pas de pousser un grand coup ?

- Et me retrouver avec le bras coincé là-dedans ? Non, il faut…

Le Mandalorien s'interrompit. Il venait d'entendre un son. Encore une espèce de froissement, mais celui-ci était plus près, beaucoup trop près. En tournant la tête vers la gauche, il aperçut une forme effilée foncer vers lui à toute vitesse. Il crispa les pieds, tendant les orteils en arrière, pour s'écarter de sa trajectoire il calcula mal son coup, et se retrouva compressé contre la paroi de roche taillée.

En bas, ses camarades avaient déjà tous porté la main à leurs ceinturons, prêts à sortir leurs armes. Les projecteurs sur trépied éclairaient par intermittence les silhouettes mouvantes de deux créatures ailées. La doctoresse Calipsa reconnut sans mal des ibbots, oiseaux de proie de près de cinq mètres d'envergure, défendant farouchement leur territoire. Quelque chose perturba la jeune Drall : ils semblaient émettre une curieuse radiation, différente de celle qui émanait de toute créature vivante, sensible ou non à la Force. Dankin, de son côté, distingua un éclat rouge, malveillant, qui illuminait les yeux tels des phares.

Liam préféra l'action à la réflexion. Il sortit son blaster de sport et ouvrit le feu sur l'un des ibbots. Il atteignit l'oiseau du premier coup, l'abattant sur-le-champ. Canderous se dégagea de la paroi et voulut descendre. Encore peu habitué à ses bottes à réaction, il coupa les moteurs, et tomba comme une pierre. Une rapide pression sur l'interrupteur de sa ceinture antigrav lui évita de s'écraser d'extrême justesse. Le deuxième oiseau piailla furieusement en planant en direction de Chi'ta. Ouvrant un large bec, il cracha un puissant jet de vapeur d'eau. La jeune fille roula sur le côté et évita le liquide brûlant.

L'ibbot s'éloigna, passa derrière la colonne, laissant un léger répit. Hélas, quelque chose de beaucoup plus grave attira l'attention des cinq camarades. Des coups sourds, réguliers, faisaient trembler toute la passerelle.

- Oh, blast ! Ils reviennent !

Liam avait vu juste. Quatre énormes statues avançaient en file indienne. Maintenant qu'elles évoluaient dans une zone un peu éclairée, elles paraissaient mieux. Elles étaient à l'image de grandes créatures vaguement humanoïdes, avec des bras larges comme des colonnes, d'énormes blocs carrés en guise de pied. Sur le sommet de l'assemblage compact de leur corps, leur tête était sculptée à la même effigie que celles de la colonne centrale, et étaient tout aussi inexpressives. Les deux padawans tremblaient déjà à l'idée d'avoir à affronter de tels mastodontes. Mais les gardiens s'arrêtèrent en rang au niveau de l'intersection et restèrent immobiles, comme attendant de nouveaux ordres.

L'ouïe acérée de Dankin fut attirée par le battement d'aile de l'ibbot restant. Le Togorien brandit son arbalète, et fit sauter la tête du volatile qui s'abîma dans la bouche du sarlacc.

Tous sens en alerte, les cinq compères guettaient le moindre mouvement de la part des statues animées. Elles restaient toujours immobiles. La tension rendait Liam de plus en plus nerveux. Canderous demanda :

- Je canarde ?

- T'es dingue ? Pour l'instant, ces choses ne nous considèrent pas comme étant hostiles, il faut que ça continue !

- T'as peut-être raison, toubib, mais je me sens quand même pas très tranquille. J'ai une méchante impression… comme si la situation allait encore se dégrader.

À peine le Mandalorien avait-il fini sa phrase qu'un croassement strident éclata à travers toute la caverne. Une ombre impressionnante passa en flèche. C'était encore un ibbot, mais celui-ci était beaucoup plus grand que les deux autres, et accusait une envergure de douze bons mètres. L'oiseau géant piqua vers le gouffre, disparaissant à la vue des cinq camarades en un clin d'œil, puis le silence revint. Les deux non-Humains avaient eu le temps de distinguer une forme humanoïde sur le dos de l'ibbot aux yeux rouges.

- Ce volatile géant sert de monture à quelqu'un ! s'écria la jeune fille.

- T'as eu le temps de voir qui c'était ?

- Pour ma part, j'ai une petite idée… murmura pensivement le docteur Lohrn.

Un cri mélangeant rage et amertume répondit à la suggestion de la Calipsa. C'était une voix féminine amplifiée par quelque procédé surnaturel, qui tonna à travers toute l'immensité de la caverne :

- Qu'avez-vous fait de lui, pauvres sous-créatures ?

- Ah, je crois qu'on a été rejoints par Madame Cafard ! bredouilla la doctoresse sur un ton qui se voulait dédramatisant.

L'ibbot géant resurgit des profondeurs de la grotte, volant sur place à hauteur de la petite bande. Cette fois, tous purent voir la silhouette d'une personne sur un harnais attaché à l'animal. Il n'était cependant pas aisé de voir précisément de qui il s'agissait en raison de la semi-obscurité, et parce qu'une espèce de champ de force cristallin aux reflets dorés entourait ses membres, son tronc et sa tête, comme une armure cubique. Canderous tenta bien de déstabiliser la cavalière d'un tir de blaster sonique. L'onde fut absorbée par le bouclier d'énergie. La silhouette leva un bras, et un cône de flammes vertes sorti de sa paume balaya le rebord de la plate-forme. Personne ne fut blessé, mais cette attaque avait déstabilisé les cinq amis, permettant à l'ibbot de disparaître à nouveau. Derechef, la voix furibarde éclata :

- Qu'avez-vous fait du corps de mon époux ?

- Ben… pour tout vous dire, rien, répondit Canderous. Il a été emporté par une équipe de scientifiques marrons.

- Je suis certaine qu'il a été découpé en petits morceaux sur une table de dissection comme un sujet d'étude, enchaîna Ezra, un vilain sourire aux lèvres. Votre bien-aimé repose désormais dans une trentaine de bocaux remplis de formol !

Chi'ta posa sa main sur le bras de la doctoresse.

- Docteur Lohrn, je vous en prie, vous attisez son désespoir !

- Si ça peut l'amener à montrer sa sale trogne royale, pour moi, ce n'est pas un problème. Il est temps qu'on ait une conversation entre adultes civilisés. Vous n'êtes pas d'accord, votre Altesse ?

Évidemment, par « conversation entre adultes civilisés », le docteur Lohrn sous-entendait quelque chose de beaucoup moins amical. Déjà elle avait le blaster levé, prêt à tirer, et jetait de brefs coups d'œil aux alentours. Parée à tout recevoir, elle invectiva encore :

- C'est ça, allez ! Restez planquée dans les ténèbres, là d'où vous émergez ! Surtout, ne vous montrez pas ! Si vous sortez de votre trou, ces automates vont vous broyer ! Les Aing-Tee n'aiment pas beaucoup qu'on vienne mettre le boxon chez eux, mais ils aiment encore moins les Kathols !

- Pauvre limace décérébrée ! Pensez-vous que les Aing-Tee sont à même de me faire peur, à moi, la Reine des Kathols ? Ils s'inclineront comme les autres, et même avant les autres ! Ces sacrilèges ont volé notre science, et c'est cette science qui va maintenant vous détruire !

L'oiseau ibbot géant refit un passage au-dessus de la plate-forme. La cavalière jeta sur la passerelle quelque chose qu'elle avait gardé dans son poing serré. Canderous put voir qu'il s'agissait de petits cristaux qui se brisèrent au contact de la pierre. Il y en avait quatre. Aussitôt, quatre silhouettes vaporeuses jaillirent. Ezra crut distinguer des formes vaguement humanoïdes, Dankin vit même un visage de la même espèce que celui de feu le Roi Martouf. Les fantômes tournoyèrent autour du petit groupe en hurlant, leurs cris à glacer le sang mêlaient une terreur indicible à une douleur démesurée. Instinctivement, Chi'ta se jeta par terre en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles. Une telle débauche de souffrance pouvait lui faire le même effet qu'une violente décharge électrique en plein cœur. Liam sentit ses cheveux se dresser sur sa tête quand il vit l'un des spectres foncer vers lui, la bouche ouverte sur un crissement épouvantable, il fit une roulade sur le côté pour l'éviter. Pendant de longues secondes, les cinq compères ne purent qu'esquiver les allers et retours des ectoplasmes, jusqu'à ce qui se passât quelque chose de plus déstabilisant.

Une par une, chacune des quatre âmes en peine se colla à un gardien, et s'insinua en lui en un instant. Les quatre colosses mécaniques tressaillirent, l'un recula et perdit presque l'équilibre, puis ils se stabilisèrent, regardèrent leurs propres mains, leurs jambes… et une lumière rouge, incandescente, se mit à brûler au fond de leurs yeux. Comme les cris avaient cessé, la petite Drall osa se redresser, et cria d'effroi en voyant les quatre monstrueuses masses avancer à pas lourds. La voix de la Reine Kathol ricana :

- Et voilà ! Maintenant, mes fidèles serviteurs ont un corps, et ils vont s'en servir !

Et elle glapit quelques syllabes gutturales. Ezra mit un genou à terre, se positionnant à la hauteur du visage de Liam. Celui-ci suait à grosses gouttes.

- Qu'est-ce qu'elle a dit ? Qu'est-ce qu'elle a dit ?

- Elle leur a rappelé que s'ils sont maintenant dans ces carcasses, c'est à cause de nous, les Jedi !

- Ils vont nous broyer les os ! s'écria Chi'ta.

- Alors il ne faut pas que ces machins traversent la passerelle !

Et la jeune femme se releva d'un bond, et courut sur le pont. Arrivée à mi-chemin, elle dérapa plus qu'elle ne s'arrêta, farfouilla rapidement dans son sac. Elle posa en vrac sur les pavés tous les explosifs qu'elle avait gardés. Devant elle, à moins d'une vingtaine de mètres, le premier colosse approchait à pas pesants. L'oiseau géant planait derechef au-dessus des quatre autres, qui se mirent à l'abri pour éviter une nouvelle vague de flammes vertes.

Ezra Lohrn de la Maison Calipsa comprit que cet instant était quitte ou double. Elle puisa dans ses réserves les plus profondes, se concentrant comme elle ne s'était jamais concentrée sur un champ de bataille. Ses doigts couraient d'une grenade à l'autre, joignant les pains de matière explosive à l'aide de sparadrap en rouleau. Elle releva brièvement la tête. Dix mètres. En serrant les dents, elle prit l'un des détonateurs en sa possession, et tourna la molette en la calibrant sur un temps de cinq secondes. Sept mètres. Elle se leva d'un bond, se jeta en arrière plus qu'elle ne se retourna, focalisa la plate-forme circulaire, et s'élança en avant, prête à dévorer la distance en un temps record… mais c'était sans compter un vilain coup de malchance et la présence d'une mince couche d'eau sur l'une des dalles de la passerelle.

Le monde se renversa sous ses pieds, et une violente douleur lui meurtrit les rotules et les avant-bras. En relevant la tête, elle marmonna juste :

- C'est pas vrai !

Avant qu'une formidable explosion n'illuminât toute la caverne. La jeune doctoresse fut projetée comme un fétu de paille dans une bourrasque. Elle sentit la chaleur des flammes lui brûler les vêtements, le vent lui ébouriffer les cheveux alors que tout son corps était violemment balancé par la puissance de l'onde de choc. Sa course s'arrêta encore plus brutalement quand elle entra en contact avec le pilier central. Elle s'évanouit aussitôt.

Ce vol plané n'avait pas échappé à la jeune Drall.

- Docteur Lohrn !

Elle courut aussi vite qu'elle put jusqu'à la Calipsa.

- Attention, petite puce !

Le grand oiseau venait de reparaître, et plongeait sur la petite padawan, serres en avant, prêt à la lacérer. Elle se jeta en arrière, se fit mal au dos en roulant sur les pavés. Canderous profita de la proximité de l'ibbot géant pour lui éclater le crâne d'une salve de rayons soniques. La grande créature se vautra de tout son long, roula jusqu'au précipice. Sa cavalière fit un immense bond au dernier moment, et se reçut en souplesse, face au vide, tandis que l'ibbot s'y abîma.

Canderous et Dankin brandissaient leurs armes vers l'étrange femme, toujours encadrée par son champ de force. Elle se remit debout en prenant son temps.

- J'aime pas tuer les dames dans le dos, Majesté de mes bottes. Retourne-toi lentement et réglons ça pour de bon.

Le mercenaire était bien décidé à mettre un terme à la vie de leur ennemie. Mais quand celle-ci leur fit face, il hésita, sentant que quelque chose n'allait pas comme il pensait. Liam posa sa main sur son épaule pour le retenir.

- Un instant ! Canderous, ce n'est pas la Reine !

- Tu as raison !

La femme s'avança, la lumière des lampes impériales éclaira mieux son visage. Chi'ta poussa un sifflement terrifié. Le padawan Gardien sentit son estomac se tordre et se retordre.

- Blast ! Non !

Tous venaient de reconnaître Jessa Halbret. Mais elle n'était plus elle-même. Ses cheveux châtain clair étaient devenus complètement blancs, et ses yeux étaient désormais deux portes vers le néant, tout aussi noirs que le plus froid des recoins de l'espace inconnu. Une protubérance de peau circulait d'une commissure à l'autre en ondulant au-dessus de la racine du nez. Ses traits ordinairement délicats étaient crispés par une haine brûlante.

- Comment… Maître Halbret… bredouilla la petite Drall, incrédule.

- Votre soi-disant maître n'est rien d'autre qu'un assemblage constitué de matériel génétique volé aux Kathols et de souillure. Cette expérience m'appartient de droit !

- Non ! s'écria Chi'ta avec une révolte qui ne lui était vraiment pas coutumière. Jessa Halbret est un Maître Jedi respecté, et non pas un cobaye !

- Vous êtes pathétique. Je suis la Reine Na'toth, souveraine de Kathol, future impératrice de l'univers connu, et vous, vous êtes tous morts !

Il n'y avait plus rien de bon à attendre de la Reine. Celle-ci leva les mains, et un maelstrom de vives couleurs brûla les quatre paires d'yeux de ses adversaires. Liam, Chi'ta et Dankin en furent complètement étourdis. Ils ne voyaient plus qu'un tourbillon de colorations vives, et n'entendaient qu'un vague bourdonnement. La sensation était particulièrement désagréable, un peu comme lorsque Bratak s'était servi d'un module sur le Gantelet, en plus fort. Chi'ta tomba sur le côté, sous l'effet du vertige.

Seul Canderous était resté maître de lui. Une nouvelle fois, son organisme complètement insensible à la Force réduisit à néant l’effet du sort Ta-Ree en absorbant l’énergie psychique émise par la Reine. Il leva d’un geste son blaster sonique crispé entre ses deux mains.

- Essaie encore !

L'arme sonique sonna trois fois, et atteignit sa cible. Le Mandalorien grinça des dents quand il vit le champ de force de la Reine dissiper les trois ondes de choc. Elle serra le poing. Canderous lâcha en toute hâte son blaster. Les senseurs de son armure indiquaient que l'arme tombée sur le pavage avait chauffé au rouge.

Liam secoua la tête, à nouveau en pleine possession de ses moyens. Il jeta un bref coup d'œil derrière la Reine. Au grand soulagement du jeune homme, le plan désespéré de la doctoresse Calipsa avait réussi. La passerelle était en miettes, et le grand trou qui séparait la plate-forme circulaire des sentiers en spirale était bien trop large pour que d'aussi pesantes créatures puissent le franchir. Redoublant d'énergie, il tira de sa ceinture le sabre-laser de feu son maître et l'alluma. Na'toth, qui pouvait voir l'étrange lame violacée par les yeux d'Halbret, brailla de colère.

- Sacrilège ! Comment osez-vous utiliser notre technologie ?

Le padawan Gardien bondit en avant, et abattit de toutes ses forces le sabre-laser sur la Reine. L'écran d'énergie vola en éclats dans un grand tintement, et les débris se désagrégèrent immédiatement, laissant Na'toth/Halbret vulnérable. Elle répliqua en balayant l'air de la main. Un fragment de roche de la taille d'un poing de Barabel fonça vers Liam et le cogna à la base du crâne, l'assommant net. Canderous sentit une poussée d'adrénaline lui enflammer l'épine dorsale.

- Espèce de garce !

À son tour, il s'élança vers la femme en faisant tournoyer sa vibro-lame double Jengardin. Il la balança de haut en bas, et trancha net le bras droit de la Jedi manipulée. Dans un terrible hurlement amplifié par la relâche d'énergie consécutive, elle s'écroula sur le dos.

Dankin, de nouveau prêt à l'action, visa le gardien de pierre qui hésitait à franchir le trou. Mais il se détendit et détourna l'œil quand il vit les lumières rouges des yeux des statues diminuer, diminuer, et s'éteindre complètement. Sans la magie de la Reine pour les maintenir en place, les âmes torturées des Kathols s'étaient purement et simplement estompées.

Enfin, le combat était terminé. Quelques minutes seulement, mais d'une violence terrible. La jeune Drall secoua la tête, cligna des yeux, et revint enfin à la raison. Elle sursauta en entendant son nom.

- Padawan… Koskaya…

Jessa Halbret semblait être redevenue elle-même, au moins sur le plan mental. Un sang noir coulait à flots de la plaie béante qu'avait laissé la vibro-lame de Canderous. Celui-ci ramassa précautionneusement son pistolet sonique. La petite Drall s'assit près de la Jedi.

- Maître Halbret… je peux peut-être…

- Inutile, padawan Koskaya. Souciez-vous plutôt… de vos amis.

- Oh, Maître Halbret…

- Si seulement… j'avais pu… prévoir cela… Je vous en prie, vous tous… pardonnez-moi.

- La vraie meurtrière est Na'toth, gronda Dankin.

- Dommage seulement que vous n'ayez pas pu la bloquer, reprocha le mercenaire.

Chi'ta soupira :

- Pourquoi, Maître Halbret ? Pourquoi toute cette folie ?

- J'ai voulu résister… mais l'appel… a été trop fort. Elle a voulu que je réduise le nombre d'Impériaux… pas moyen de lui refuser. J'ai utilisé un module qu'elle m'avait confié… et affolé leurs détecteurs.

- Et donc, vous les avez attirés ici pour mieux les massacrer, comprit Canderous.

- J'étais sur le point… de donner le signal d'attaque… à la flotte. Ce monde aurait été stérilisé… en moins de douze heures.

- Très audacieux.

- Le moins triste… dans l'histoire… c'est que vous êtes… arrivés à temps... pour éviter la catastrophe finale.

Le mercenaire s'approcha, tenant fermement à deux mains son blaster sonique vers la femme. Chi'ta se tourna vers lui.

- Canderous, baissez votre arme, je vous prie.

- Désolé, petite puce, mais il n'en est pas question.

- C'est très bien. Canderous… achevez-moi.

La petite Drall sursauta avec un hoquet étranglé.

- Maître ! Vous… n'y pensez pas ?!

- Je sens que l'ADN katholien me régénère… mais va prendre peu à peu possession de mon cerveau… définitivement. Je veux mourir… sans souffrir davantage… ni faire du mal à d'autres.

Canderous acquiesça, et régla son pistolet sonique à la puissance maximum. La jeune fille se planta entre lui et le maître Jedi, bras tendus.

- Non ! Par le Grand Fouisseur, ne faites pas ça ! Je vous en prie, Canderous, vous n'êtes pas un assassin ! Vous n'êtes pas condamné à être un tueur sans âme ni pitié ! Vous n'êtes pas un Mandalorien ordinaire, aussi brutal et borné que les autres ! Il y a du bon en vous, je le sais ! Vous n'allez pas faire ça, n'est-ce pas ? Ne lui faites pas de mal, s'il vous plaît ! Il y a forcément une autre solution ! Vous n'allez pas abattre un Jedi de sang froid ! Je vous en supplie, ne faites pas une victime supplémentaire !

Chi'ta gémissait, et versait de chaudes larmes. Canderous hésita. La détermination de la jeune fille voulant l'empêcher d'accomplir ce qu'il jugeait nécessaire l'intrigua. Il commença à baisser peu à peu son arme, très lentement. Mais il distingua derrière la malheureuse un mouvement : une longue patte insectoïde pourvue d'une griffe menaçante qui jaillissait du moignon du bras de la Jedi, prête à frapper Chi'ta dans le dos. Il n'hésita pas une microseconde de plus. Il tira, arrachant l'horrible protubérance.

- Non !

Chi'ta sauta en avant, tentant d'agripper l'arme du mercenaire.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? Lâche-moi, idiote !

- Ne tirez pas !

- Arrête ! J'ai le doigt sur la…

Le cœur du Togorien s'arrêta net. Il y avait beaucoup trop de chances pour qu'une telle empoignade dégénérât en un tragique accident. Et ce qui devait arriver arriva. Le coup partit, et foudroya la jeune Drall qui s'étala de tout son long cinq mètres plus loin.

- Nooon ! Canderous, je vais te…

- Calmos, mon pote ! J'ai pu me mettre sur le mode paralysant.

Dankin se précipita vers la jeune fille, se pencha sur elle, et constata avec un soupir de soulagement qu'elle avait seulement perdu connaissance sous l'effet de l'onde sonore. Il fit quand même la grimace.

- Canderous, tu as osé tirer sur une enfant !

- Elle est seulement dans les vapes ! Ces ondes ne sont pas plus dangereuses qu'une bourde de clôture à bétail. Faut pas se prendre une dose toutes les dix minutes, bien sûr, mais y a pas de quoi rendre stérile ou paraplégique. Je suis désolé, je m'excuse, d'accord ? C'était un accident, rien de plus, rien de moins ! L'important est qu'elle n'ait rien de grave, tu ne crois pas ? Puisqu'on parle de choses graves…

Il se rapprocha tranquillement de l'Humaine. Elle gargouilla :

- Chi'ta… je… je ne voulais pas…

- Pas de lézard.

- Merci… de ne pas l'avoir… blessée.

- J'y tiens, à ma petite puce. Vous pouvez être fière d'elle. Elle fait honneur à votre Ordre. Elle a fait ce qu'elle a pu. Je crois savoir que vous autres, Jedi, n'avez pas le droit de rester les bras croisés quand il y a risque de mort soi-disant évitable.

- J'ai eu tort de douter de ses capacités… Elle deviendra certainement une grande Dame. Mais moi… Vous comprenez… pourquoi… il faut en finir ?

- Oui.

Lentement, Canderous régla de nouveau l'arme sur la puissance maximale.

- J'espère… qu'ils ne garderont pas… un trop mauvais… souvenir. Visez le cœur.

- On répandra le mot comme quoi les Précurseurs vous ont capturée et détruite. En un sens, c'est ce qui s'est passé. Une dernière parole ?

Jessa Halbret eut un petit rire ironique.

- J'ai toujours su… que je finirais… comme ça.

Liam revint lentement à lui, la tête en feu. Il distingua la silhouette de Canderous éclairée par un projecteur. Le mercenaire braquait le canon de son blaster vers le torse de la Jedi. En comprenant ce qui allait se passer, il gargouilla péniblement :

- Il n'y a pas… de… mort. Il y a…

Trois détonations éclatèrent dans la grotte.

Au bout d'un temps indéfinissable, le jeune homme releva la tête, rompu d'épuisement. Son regard tomba sur le corps de Maître Halbret. Pendant un court instant, il eut envie de se laisser tomber à terre et de ne plus se relever, mais prit sur lui, et peu à peu l'énergie lui revint. Non loin de lui, Canderous était en train d'administrer des soins au docteur Lohrn. Liam se traîna vers le mercenaire.

- Chi'ta… où est-elle ?

- Juste derrière toi. Ne t'en fais pas, elle est seulement assommée, dans quelques minutes, elle devrait se réveiller. Notre amie doctoresse, par contre…

- Comment… comment ça se présente ?

- Elle respire encore, mais elle est dans un très sale état. J'ai réussi à lui injecter quelques médocs pour la maintenir en vie, mais si on ne la colle pas dans un hôpital très rapidement, ça finira mal. Il faut qu'on mette ce satané système en marche puis sortir d'ici !

Liam récupéra le sabre-laser de Blackstorm et vit du coin de l'œil la dépouille de Jessa Halbret. Il ne put s'empêcher de marmonner :

- C'est pas vrai… Maître Halbret !

Le Togorien posa une grosse main sur l'épaule du padawan.

- L'âme de Maître Halbret a été dévorée par la Reine Na'toth. Celle-ci n'a desserré son étreinte que pour la laisser mourir. Je te promets qu'on lui fera regretter d'avoir été aussi lâche.

- Ce n'est pas ce que je veux, Dankin. Ce que je veux, c'est qu'on sauve le secteur Tapani de la menace qu'elle représente, en laissant le moins de cadavres possible.

- Pour cela, il va falloir appeler les Aing-Tee, et donc, débloquer cette pierre !

- Je m'en occupe ! intervint Canderous. Liam, tu peux me prêter ton sabre-laser une seconde ? Le normal, celui qui pourra tailler cette caillasse, hein !

Sans mot dire, le jeune homme lui tendit le petit tube argenté. Grâce à ses bottes, le mercenaire vola sans difficulté jusqu'à la charnière. Sans créatures hostiles pour le gêner, il y parvint en moins d'une dizaine de secondes. Avec des précautions qui ne lui étaient pas coutumières, il alluma l'arme Jedi, et découpa proprement le bloc coincé dans l'engrenage. La roche coupée en deux bascula dans la gueule béante du Sarlacc. Le choc provoqua une longue plainte grave, mais la créature géante ne réagit pas plus, et bientôt le calme revint dans la caverne. Le Mandalorien redescendit en trois mouvements. Liam s'approcha du panneau de commande, et poussa de nouveau les trois cristaux dans l'ordre.

Une fois de plus, le formidable bruit de mise en marche roula à travers toute la caverne. Les deux premières têtes de pierre se remirent en place, et la troisième s'engagea à son tour. Les milliers de glyphes taillés dans les colonnes s'embrasèrent, illuminant la grotte d'une lumière dorée. Les têtes de pierre se désolidarisèrent, les trois grands bras se levèrent. La structure toute entière trembla de plus en plus, et s'éleva lentement, comme un ascenseur. En regardant en l'air, le mercenaire vit le plafond de la grotte se fendre, s'ouvrir et se déployer comme une immense fleur. L'eau du lac se déversa en cascade par les interstices. Les trois amis conscients durent se boucher les oreilles à cause du vacarme, et distinguèrent la lumière du soleil de Travnin. La plate-forme montait de plus en plus vite, jusqu'à arriver à l'air libre. Enfin, lorsqu'ils furent arrivés au-dessus de la crevasse par laquelle s'était évacuée toute l'eau du lac, la colonne arrêta son ascension, et resta au-dessus de la Vallée du Soleil, dont les bâtiments noyés étaient à nouveau exposés au grand jour.

L'un après l'autre, Dankin, Canderous et Liam se relevèrent. Ils n'en croyaient pas leurs yeux.

- Alors ça… alors ça, c'est dingue…

- Tu parles d'une montée, waouh !

- Le sarlacc vient de se prendre un sacré bain de bouche !

Ils dominaient toute la vallée et les alentours. Au loin, Liam put voir la petite base de sports nautiques. Tous les navires, les TB-TA, les jetskis étaient éparpillés entre les ruines et les rochers. L'avant-poste préfabriqué des Impériaux pendait lamentablement à moitié dans le vide laissé par l'ouverture.

- Oh… par le Grand Fouisseur… qu'est-ce qui s'est passé ? Où sommes-nous ?

La petite Drall avait repris ses esprits, et se tenait éloignée du bord, n'osant pas se décoller de la paroi cylindrique. Canderous répondit simplement :

- Nous sommes en l'air, on dirait.

- Pour qu'une telle masse puisse prendre ainsi son envol, cette technologie est vraiment d'une puissance inimaginable… Oh !

La jeune fille venait soudainement de se rappeler de ce qui s'était passé quelques minutes plus tôt. Affolée, elle courut vers la Calipsa toujours inconsciente et s'agenouilla à ses côtés.

- Docteur, docteur !

- Pour le moment, elle tient bon.

- Pour combien de temps, Canderous ? Je dois faire quelque chose !

Pensant à juste titre que la doctoresse ne serait pas trop gênée vu les circonstances, la petite Drall s'empressa de dégrafer sa combinaison, retira sa veste et écarta les pans de sa chemise, dénudant son ventre et ses côtes bleuis d'ecchymoses. Chi'ta appliqua délicatement ses doigts duveteux sur la peau satinée de la jeune femme, ferma les yeux, et se concentra. La Calipsa était bien plus gravement blessée que ne l'avait été Morgreed sur le Gantelet, mais la petite padawan avait confiance en ses capacités.

Canderous la regarda faire sans mot dire. Il allait allumer le communicateur de son armure, quand il sentit une violente onde calorique émaner de la pierre taillée.

- Regardez le sommet !

- Il brille de plus en plus fort !

Une colonne de lumière jaillit de l'extrémité de l'aiguille de pierre. Et une série de sons aigus, abscons, retentit au-dessus de la Vallée du Soleil. Ils eurent l'impression d'entendre les piaillements des cétacés géants des planètes aquatiques, en plus fort et plus grave. Chi'ta n'en relâcha pas pour autant son effort, et redoubla de volonté, fermant son esprit aux perturbations extérieures. La mélodie abstraite dura une longue minute, puis la lumière disparut, les glyphes s'éteignirent, et le calme revint.

Le dispositif de communication flottait silencieusement dans les cieux, maintenu en lévitation par une force mystérieuse et invisible. Le soleil se couchait, et ses rayons dorés réchauffaient Chi'ta, encore engourdie, les mains toujours posées sur la doctoresse. Dankin avait encore les oreilles qui bourdonnaient, mais il entendit le petit rire de Liam.

- Hé ben ! C'était un sacré coup de vidéophone !

- Oui, c'était sans doute de la langue Aing-Tee.

Pensant avoir fait tout ce qui était en son pouvoir, la jeune fille voulut relâcher un peu sa concentration. Elle quitta sa position et s'approcha de la dépouille de Jessa Halbret. Elle rabattit délicatement sa cape sur le corps de l'Humaine. Derrière elle, Canderous murmura :

- Je suis sincèrement désolé, Chi'ta. Il n'y avait pas d'autre solution.

La jeune fille pivota lentement vers les deux Humains. Son minois ne présentait pas la moindre trace de rancune ou de rage, seulement de la tristesse.

- Hélas, le pire est que vous avez probablement raison. Canderous, vous avez fait ce qu'il fallait. Maître Halbret ne souffrait pas d'une maladie qu'on pouvait soigner, elle était telle qu'elle était de naissance. Et Na'toth ne l'aurait pas laissée vivre.

- Crois pas que j'ai fait ça de gaieté de cœur. Et je m'excuse de t'avoir tiré dessus.

- Je m'en suis remise. Pardonnez-moi pour la frayeur que j'ai pu vous causer.

- Pas de souci.

- Nous devons emmener le docteur Lohrn à la clinique, et vite !

- Tout juste, Dankin.

Canderous s'approcha du rebord de la plate-forme, et alluma le communicateur intégré à son armure.

- Mister V, au rapport !

- Je vous entends, capitaine ! répondit la voix éraillée.

- Tu vois notre position ?

- Affirmatif, capitaine !

- Parfait. Viens nous chercher, au galop !

- À vos ordres, capitaine !

- Préviens aussi Doc et Cil, on va étrenner la nouvelle cuve bacta.

Au bout de quelques minutes seulement, le Vandread passa les récupérer avant de les remmener au palais présidentiel. Là, ils purent faire leur rapport auprès du colonel Niourk. Celui-ci avait déjà vu les images de la Vallée du Soleil, filmées et transmises par Gillian. Il leur confirma que les quelques Imps restants s'étaient rendus, et avaient tous été incarcérés.

Ensuite, à la demande des deux padawans, le colonel les laissa passer une transmission par holo-réseau au Conseil des Jedi afin de prévenir qu'ils avaient « retrouvé » Jessa Halbret. Mara Jade, qui avait pris l'appel, les invita à l'incinérer sur place. Selon son point de vue, personne n'allait réclamer la dépouille, et il n'était pas nécessaire de réaliser un grand caveau pour une Jedi qui avait fini d'une telle manière, et dont le corps contenait peut-être encore des germes dangereux. Les cendres de la Maître Jedi furent donc entreposées dans une urne qui allait être expédiée vers Yavin IV. Enfin, tout le monde put récupérer, prendre une douche, et manger un morceau.

Une cacophonie insupportable mêlant cris d'épouvante, explosions, ricanements et éboulements secouait encore l'esprit du docteur Lohrn quand elle ouvrit un œil. Peu à peu, les sons et images violents se dissipèrent alors qu'elle reprit progressivement conscience. Tout son corps était douloureux. Elle comprit qu'on lui avait passé une chemise de nuit légère, et qu'elle se trouvait dans un lit au milieu d'une chambre sobre. Une chambre d'hôpital, à n'en pas douter. Elle essaya de remuer les orteils, et y parvint. Cela déclencha une vive douleur, à tel point qu'elle en eut la larme à l'œil, mais elle se sentit soulagée. Elle fit de même avec les doigts de ses mains, les compta tous les dix. Elle pouvait entendre les ronronnements et bips des machines médicales, et peu à peu sa vision se faisait plus claire.

Va savoir qui veille sur toi, ma vieille, mais tu as l'air encore en un seul morceau… à première vue.

C'est alors qu'elle sentit une présence non loin d'elle. Elle tourna lentement la tête, et eut un sourire attendri en voyant Chi'ta, assise sur une chaise près du lit. La petite Drall était endormie, la tête enfouie entre ses bras croisés sur le matelas. Très doucement, la doctoresse posa la main sur l'épaule de la jeune fille qui se réveilla.

- Salut, Chi'ta.

- Mh… docteur Lohrn ! Le Grand Fouisseur soit remercié !

- Ca fait longtemps que tu es là ?

La petite padawan se redressa, jeta un petit coup d'œil à l'horloge murale, et réfléchit en remuant les moustaches.

- Oh, deux ou trois heures, j'ai perdu le compte.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Chi'ta annonça avec excitation :

- Nous avons réussi, docteur ! Nous avons pu mettre le système en marche ! Maintenant, nous attendons les moines Aing-Tee.

- Et la Reine ?

- Euh… docteur, il faut que vous sachiez… ce n'était pas la Reine Na'toth. Enfin, si, d'une certaine façon, mais…

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

La jeune Drall hésita. Comment présenter la chose le plus simplement possible, sans mélodrame ni désinvolture ?

- L'esprit de la Reine Na'toth menait bien l'attaque, mais c'était par l'intermédiaire du corps de Maître Jessa Halbret.

- Mince ! Tu veux dire qu'en fait, c'était Halbret qui était contrôlée par la Reine ?

- Oui. Et nous avons bien été obligés de nous battre contre elle, jusqu'à sa mort.

- Ah, je vois. J'en suis navrée, j'ai cru comprendre que tu l'admirais beaucoup.

- Canderous l'a exécutée, à sa demande. D'une certaine façon, il l'a libérée.

La jeune femme essaya de se lever, mais ses muscles étaient encore trop douloureux.

- Je vous en prie, reposez-vous encore un peu, vous avez été vraiment à deux doigts de ne plus jamais vous réveiller !

- Quel est le diagnostic ?

- Compte tenu de ce qui vous est arrivé, vous avez eu beaucoup de chance. Après notre affrontement, Canderous vous a fait quelques injections d'adrénaline et de coagulants pour maintenir votre organisme actif, puis j'ai tenté de motiver un peu vos cellules réparatrices pour faciliter votre récupération, jusqu'à l'arrivée du Vandread. Les deux droïds médicaux vous ont alors placée dans la cuve bacta.

- Comme quoi, j'en aurai vite éprouvé l'utilité ! Et ensuite ?

- Vous y avez séjourné quatre bonnes heures. Puis on vous a mise à l'hôpital.

- Et tu es restée près de moi tout ce temps… Merci, Chi'ta, tu es une véritable amie.

Chi'ta prit un air un peu navré.

- Vous devez savoir cependant que vos jambes ont été très gravement touchées par l'explosion, et le choc sur la colonne a sérieusement compressé votre cage thoracique. J'ai fait ce que j'ai pu avec la Force pour vous aider à récupérer, mais j'ai bien peur de n'avoir pas pu tout arranger. Il y a eu des lésions vraiment très importantes qui laisseront des séquelles.

- Tu as fait exactement ce qu'il fallait, j'en suis certaine. Et donc ?

- Vous allez sans doute avoir le souffle un peu plus court, et la jambe droite légèrement raidie, définitivement.

- Vu ce qui m'est arrivé, je ne vais pas me plaindre. Je crois que je renoncerai facilement à mon grand rêve de devenir championne intergalactique de marathon !

Les deux filles rirent ensemble, ravies de s'être retrouvées.

Quelques heures encore plus tard, Travnin était libre. Les nouvelles étaient parvenues rapidement, de ville en ville, les représentants de l'Empire avaient présenté leur reddition. La nuit était tombée, et toute la ville de Pozne était à la fête dans les rues, hommes et femmes riaient, dansaient, applaudissaient les combattants armés qui paradaient sur les véhicules. Les drapeaux aux couleurs de l'Empire étaient déchirés et brûlés. Sur la place publique, on avait rassemblé les casques et armures des troupes de choc de l'Empire, et les citoyens s'amusaient à jeter dessus toutes sortes d'objets.

Dans le palais, les festivités avaient tourné à l'orgie. L'un des miliciens avait trouvé la cave à vins, et s'était empressé de prévenir ses camarades. Moins d'une demi-heure plus tard, les réserves d'alcools et de nourriture avaient été prises d'assaut. Les résistants gisaient ça et là dans tous le palais, certains dormaient dans leurs propres vomissures, et d'autres avaient investi les chambres d'où émanaient des rires gras, des gloussements lubriques et des gémissements traduisant douleur et plaisir.

Gillian, aux trois quarts saoul, vit passer dans son champ de vision embrumé une petite forme courtaude qu'il reconnut vaguement. Il l'invectiva d'une voix pâteuse.

- Hé, la loutre ! Ch'peux vous apprendre à nager… ici, vous risquez rien !

Chi'ta ne s'arrêta même pas, trop choquée par tout ce qui l'entourait. Elle rajusta le col de son ciré et marcha d'un pas rapide jusqu'à la salle du trône, où s'était installé le colonel Niourk. Elle vit que le docteur Lohrn, Dame Liryl et Canderous étaient déjà sur place. Le mercenaire parlait au colonel.

- Et quelle nouvelle politique va endurer cette planète ?

- Ce n'est pas à moi de décider. Je suis un militaire, pas un politicien, et contrairement à nombre de mes camarades, je ne me sens pas concilier armée et pouvoir. Une fois que les gens se seront calmés, ils fonderont sans doute plusieurs partis, et la majorité l'emportera pour mieux régir tout ce foutoir. Moi, je me mettrai au service du pouvoir en place, et on n'en parlera plus.

- Rien de bien folichon, quoi. Enfin, c'est plus notre problème. Maintenant, nous allons… hé ? Petite puce ?

Le Mandalorien fut surpris par l'expression de la jeune fille, qui mêlait tristesse et révolte. D'une voix énergique, elle dit :

- Colonel Niourk, nous vous remercions pour l'aide que vous nous avez apportée, mais maintenant il nous faut partir. Comme l'a dit si bien Canderous, nous ne sommes plus concernés.

- Oh, pourquoi vous en aller si vite ? Vous avez joué un rôle décisif dans cette victoire, même si vous refusez de l'admettre. Vous avez bien gagné un peu de repos et de détente. Les moines Aing-Tee ne sont pas encore arrivés. Votre camarade et le Togorien n'ont toujours pas reçu de signal.

- Nous les attendrons près de leur installation à la Vallée du Soleil.

- Ca peut bien attendre demain matin, non ? Qu'est-ce qui vous arrive ?

Ezra, qui commençait à bien connaître la petite Drall, savait parfaitement ce qui la perturbait, tout comme Liryl, qui pouvait percevoir ses émotions fortes. La jeune fille se dirigea vers l'une des fenêtres et l'ouvrit en grand. Des cris parvinrent à leurs oreilles.

- Voilà comment les fiers et audacieux libérateurs de Pozne se comportent envers les vaincus ! Vous entendez ça ? Vos hommes sont en train de se déchaîner sur les Impériaux qui se sont rendus à eux ! Et n'allez pas me chanter l'éternel refrain comme quoi je devrais m'en réjouir, en tant que non-Humaine ! Impériaux qu'ils sont, ces hommes sont des êtres vivants, la plupart d'entre eux n'ont fait qu'obéir aux ordres, des ordres qui n'étaient pas plus déviants que ceux appliqués par la majorité des armées dites civilisées, y compris la vôtre !

- J'approuve ce que dit notre jeune amie, dit alors la Dame de Sérénité. Trop souvent, la victime se transforme en bourreau, et c'est ce qui est en train de se produire ici. Reconnaissez-le, colonel Niourk, vos hommes ont perdu toute dignité.

Le colonel ne répondit rien, mais son expression semblait aller dans le même sens.

- Je ne peux rien faire pour les empêcher de se conduire aussi indécemment, reprit Chi'ta. Mais vous ne pourrez pas m'obliger à rester ici pour contempler et applaudir ce triste spectacle. Toute cette débauche me rend malade !

Canderous ferma la fenêtre.

- Moi aussi, j'en ai ma claque. J'aime bien faire la fête, mais ça, ça me fout vraiment la gerbe. T'as raison, petite puce. On n'a plus rien à faire ici, on s'arrache.

- Le plus tôt sera le mieux ! renchérit Ezra avec un regard méprisant vers le colonel.

Sans plus attendre, le mercenaire guida les trois femmes à travers les grands halls du palais jusqu'à l'extérieur. Une fois dehors, ils empruntèrent un speeder impérial laissé à l'abandon, et retournèrent à la Vallée du Soleil. Trois quarts d'heure plus tard, ils étaient arrivés. Immédiatement, la jeune Drall se sentit mieux, loin des effluves psychiques toxiques de Pozne. Dankin et Liam les accueillirent avec soulagement. Mais la nuit était avancée, et il n'y avait toujours pas le moindre signe des Moines Aing-Tee. Le capitaine du Vandread prit les devants.

- Allez vous coucher, les padawans, vous avez eu votre compte d'émotions fortes pour la semaine. On prend le relais.

Les deux jeunes gens obéirent sans discuter, trop heureux d'avoir enfin un vrai moment de répit. Chacun gagna sa cabine, ils s'endormirent rapidement.

- Liam ? Chi'ta ?

Le jeune homme se réveilla… ou crut se réveiller. Il était dans une sorte de sarcophage sans couvercle. Il s'en extirpa, et s'aperçut que la grande caisse était posée sur un socle de pierre d'un mètre de hauteur. Il sauta à terre, et vit un autre sarcophage identique. La main de Chi'ta en sortait déjà. Il aida la jeune fille à sortir de la boîte.

- Merci, Liam.

- Ce n'est plus le Vandread, ici ?

- Il semblerait que la Force unisse nos esprits dans une sorte de rêve.

- Ouais… t'as pas entendu une voix t'appeler ?

- Si, mais il n'y a personne.

Ils firent quelques pas dans la grande salle circulaire.

- J'ai déjà vu ça.

- Ah oui ?

- La dernière fois que j'ai eu une vision, quand Khzam nous a capturés, j'ai assisté à la mort de Keltan. Juste avant de se faire tuer par des Sith, il était là. Cette pièce, c'est là où le couple royal a été mis en catalepsie. Dans ces sarcophages.

- Et cette voix ? J'ai l'impression de l'avoir déjà entendue au moins une fois.

- Moi, je la reconnaîtrais entre mille. C'est celle de Duncan Blackstorm !

- Tout juste, répondit alors le chevalier Jedi, subitement apparu juste en retrait des deux padawans.

Liam et Chi'ta se retournèrent ensemble avec un sursaut, et firent face à l'apparition. Comme à son habitude, Chi'ta s'inclina respectueusement.

- Maître Blackstorm… nous devons vous remercier. Grâce à vos instructions, nous avons pu continuer notre quête.

- J'espérais bien que tu fusses assez futée pour décoder mon petit rébus. J'ai voulu vous voir une dernière fois avant votre croisade. Une fois que les Moines Aing-Tee vous auront emmené à Kathol, je ne pourrai plus vous aider.

- Maître Ageer m'a prévenue que les courants de Force étaient particulièrement violents sur cette planète.

- Justement, cela m'interdit toute communication. Le psychisme du secteur Kathol a complètement perdu sa cohérence. Des milliers de Jedi et de Sith ont trouvé la mort au même moment, et des dizaines de milliers de Kathols avec, sans parler des dégâts sur l'espace-temps même. Vous vous en doutez, ça a laissé un sacré chantier ! Il vous faudra être particulièrement prudents.

Profitant de cette occasion qui serait probablement la dernière, Liam demanda :

- Vous saviez pour le projet « Renaissance », n'est-ce pas ?

- Depuis le début. Et crois bien que j'avais l'intention de t'en parler, une fois ton titre obtenu. Tu me semblais suffisamment intelligent, volontaire et loyal pour ça. Mais j'ai l'impression que tu n'auras pas besoin de moi, finalement.

- C'est curieux, je réalise une chose… vous avez été élève d'un Kathol. Il aurait dû vous apprendre les voies de la Force à travers la Magie Ta-Ree, non ?

- Oui, mais quand Ageer m'a rencontré, je ne savais même pas que j'étais sensible à la Force. Il a préféré m'enseigner une conception un peu plus conventionnelle de l'usage de la Force avant de me révéler les secrets de sa magie. Et il est mort avant d'avoir pu m'expliquer comment fonctionne le Ta-Ree.

- Oh, les voies de la Force nous ont bien guidé jusqu'à présent, Maître, répondit Chi'ta. Pour ma part, je sens tout au fond de moi que nous pouvons le faire.

Le chevalier Jedi, qui semblait bien plus consistant dans cette vision, regarda gravement chacun des deux padawans.

- Mes enfants, vous arrivez au terme de votre voyage, et de votre formation. Vous n'avez plus qu'une seule épreuve à surmonter avant de devenir de vrais Jedi. Vous savez de quoi il s'agit, n'est-ce pas ?

Ils n'eurent pas besoin de répondre.

- Bien. Alors continuez, ne vous en faites pas pour la suite. Qui que soient vraiment vos adversaires, n'oubliez pas qu'ils restent des êtres vivants, avec leurs forces, et leurs faiblesses. Aussi grande soit leur colère, les Kathols ne sont pas invincibles.

- Maître… s'il vous plaît ? articula Liam.

- Oui, mon petit ?

- Doit-on… enfin, peut-on toujours faire confiance à Dame Liryl ?

Duncan Blackstorm eut un petit sourire un peu étrange.

- Sans hésiter, jusqu'à la fin. Si tu crois en mon jugement, tu peux te fier à elle.

- D'accord.

- Au revoir, et que la Force soit avec vous.

Le bruit d'une alarme retentit alors dans la salle de confinement.

- …en approche ! Je répète : vaisseau inconnu en approche ! Tout le monde à l'espace détente !

La voix de Canderous, manifestement nerveuse, réveilla en sursaut la petite Drall. Elle sauta prestement de sa couchette, et courut jusqu'au salon. Tous les autres étaient déjà là.

- Ils sont arrivés ?

- Oui, petite puce. Un navire de technologie inconnue vient d'apparaître sur le radar. Un très gros navire. Il se dirige droit vers nous.

- Est-ce qu'ils ont tenté un contact radio ?

- Pas encore, Liam, répondit le docteur Lohrn. Ils n'ont pas non plus répondu à notre appel. En fait, ils font comme si on n'existait pas.

- Si c'est le cas, on va leur montrer qu'on est bel et bien là ! Attachez tous vos ceintures, on décolle !

Canderous se jeta sur le siège de pilotage, et poussa rapidement les interrupteurs de démarrage. Le Vandread se mit à vibrer, prit lentement de l'altitude.

- Canderous, que comptez-vous faire ? demanda la petite Drall, inquiète devant la précipitation du mercenaire.

- Piquer leur place de parking !

Le Vandread était à la hauteur de la plate-forme circulaire de l'antenne Aing-Tee. Précautionneusement, le Mandalorien joua des manettes, et posa l'appareil juste devant le panneau de commandes aux cristaux. L'équipage quitta le vaisseau, et les six compères attendirent.

Un très étrange appareil flottait paresseusement au-dessus de l'installation. Il était de forme allongée, aux angles arrondis, avec des protubérances émergeant ça et là sur la coque. Liam pensa à une espèce de pomme de terre avec ses tubercules. Il était très grand, au moins huit à neuf fois plus que le Vandread. Un diaphragme s'ouvrit sur sa face inférieure, et un élévateur circulaire en sortit. Le disque volant glissa jusqu'à la grande plate-forme, et stationna à côté du Vandread.

Trois créatures singulières en descendirent. Les Aing-Tee étaient de grands lézards bipèdes, à la peau recouverte d'épaisses écailles luisantes. Leur corps semblait constitué de bourrelets compressés les uns sur les autres sur lesquels des symboles abscons étaient peints avec des couleurs criardes. Cet aspect insolite de bibendum aurait fait rire le padawan s'il n'y avait pas eu leurs yeux. Trois paires de minces fentes laissant entrevoir des globes dorés dépourvus de pupilles, fixés sur le petit groupe avec l'insistance d'un inquisiteur.

L'un des Aing-Tee descendit de la plate-forme, approcha lentement. Il ouvrit la bouche, laissant entrevoir une flopée de petites langues fines, et siffla :

- Qui se permet de poser la main sur notre précieuse technologie ?

- On se permet beaucoup de choses quand c'est ce qu'il nous reste à faire ! rétorqua Canderous avec agressivité.

- Vous avez enclenché l'antenne de relais de notre laboratoire. Des informations d'une valeur incommensurable ont été émises et ont circulé à travers le vide spatial. Peut-être que des oreilles mal intentionnées – les vôtres, entre autres – ont pu les intercepter. J'espère que vous aviez une bonne raison d'avoir agi ainsi !

- On en a six, même ! répondit Ezra. Six lettres : K-A-T-H-O-L.

Les trois Aing-Tee eurent comme un sursaut. L'un des deux autres restés sur la plate-forme s'étira, se secoua et posa pied à terre à son tour.

- Vous connaissez les Kathols ? Des êtres aussi attardés que…

- Arrêtez ! coupa le Mandalorien. Ca fait plus de six mois qu'on leur court après !

- Vous, en revanche, vous avez l'air moins capables que vous le prétendez ! Si vous aviez une technologie si précieuse et si avancée, vous auriez pu les empêcher de franchir vos frontières et tout détruire sur leur passage !

Ezra ne s'expliquait pas pourquoi elle faisait preuve d'une telle audace devant les Aing-Tee. D'instinct, elle s'était méfiée d'eux, et n'avait pas du tout aimé leur ton hautain et leur attitude méprisante. Contrairement à d'autres cas de ce genre où elle avait dû baisser la tête devant une sommité de la Maison Calipsa, elle n'hésita pas à rabrouer les non-Humains. Le premier Moine cracha d'irritation.

- Nous pourrions vous désintégrer sur-le-champ si vous ne surveillez pas vos paroles. Mais il y a un point sur lequel vous avez raison, je suis bien obligé de l'admettre. Les Kathols ont été tirés de leur torpeur qu'on croyait éternelle.

- Maintenant, ils veulent imposer leur vision des choses à l'univers tout entier, de préférence par la force et la destruction. Nous n'avons qu'un souci, maîtres Moines, celui de les en empêcher.

Le troisième Aing-Tee, qui n'avait rien dit, étira un long cou, cligna des yeux en fixant Chi'ta avec insistance, et gloussa d'une voix aiguë :

- Auriez-vous la prétention de vouloir… stopper les Kathols ?

- C'est justement ce qu'on essaie de vous expliquer, répondit le padawan Gardien. Nous devrions pouvoir changer la donne si quelqu'un nous amène sur leur planète d'origine, Kathol. Et d'après ce que nous savons, vous êtes les seuls qui ont la science pour ça. Si vous nous amenez chez les Kathols, nous pourrons les mettre hors d'état de nuire pour de bon.

Le premier Aing-Tee s'empourpra.

- Il y a quatre millénaires, nous avons commis la folie de rester impassibles quand les Humains manipulant la Force ont commencé à se battre sur la planète Kathol. Ils ont provoqué un cataclysme sans précédent.

- Nous le savons, maître Moine, répondit Liryl. Et la venue d'autres Humains a déclenché une nouvelle catastrophe en réveillant Martouf et Na'toth, ils leur ont permis de mettre en branle leurs projets de conquête et d'asservissement.

- Fort bien. Vous le dites vous-mêmes, chaque fois que des Humains sont venus sur Kathol, nous l'avons amèrement regretté. Nous n'avons déontologiquement plus le droit de rester passifs. Nous avons prévenu les survivants de la bataille de Kathol d'il y a sept années standard que nous n'autorisions plus la moindre entrée volontaire dans la Faille de Kathol.

- Nous le savons, mais nous devons cependant insister, déclara la Dame de Sérénité. Nous pouvons renverser la situation en leur défaveur.

- Ah, vraiment ? ricana le deuxième Aing-Tee. Une poignée d'individus hétéroclites va pouvoir arrêter une armée entière ?

- On peut le faire, c'est tout, répliqua le Mandalorien. Libre à vous de nous croire ou pas, mais on a une petite chance de renverser les Kathols.

- Vous êtes fous…

Un lourd silence plana. Le premier Aing-Tee répéta « Vous êtes fous… vous êtes fous… ». Il marcha de long en large, et demanda :

- Qui nous dit que vous n'allez pas rendre la situation pire encore qu'elle ne l'est ?

- Est-ce que c'est seulement possible ? Au point où en est le secteur Kathol…

- Et pourquoi devrions-nous vous aider ?

- Vous n'avez pas réfléchi, mon vieux ? Parce que les Kathols sont sortis, eux, et je parie que ça vous met tellement les boules de voir quelqu'un échapper à votre contrôle que vous seriez prêts à tout pour les arrêter et préserver votre ego !

L'un des Moines leva la tête et répondit d'un ton hautain :

- Pauvre Humain ridicule… Vous pensez vraiment que ce genre d'arguments serait à même de m'émouvoir ?

- J'ai un autre argument d'un genre plus approprié, messire.

- J'écoute…

Ezra ne prit pas garde au ton ironique de l'Aing-Tee, et expliqua :

- Les Kathols viennent de se réveiller après un sommeil de quatre mille ans, et n'ont rien raté de la chute de leur civilisation. Ils sont maintenant en pleine possession de leurs moyens. Ils ont prévu de raser tout ce qui se dressera en travers de leur chemin. Le Secteur Tapani risque d'être leur première cible.

- Je ne vois pas en quoi cela nous concerne.

- Vous êtes vraiment naïf, mon vieux ! Vous croyez vraiment qu'ils vont s'en tenir là ? Quand ils auront récupéré leur technologie empruntée par l'Empire, ils reviendront pour faire le ménage chez eux, dans le Secteur Kathol, là où vous êtes, vous autres ! Et c'est dans le meilleur des cas, parce qu'il y a une autre possibilité, le cas où l'Empire fait une fausse manœuvre avec leur bricolage et boum ! Adieu le Secteur Tapani, et peut-être une plus grande partie de l'univers !

Les yeux du Moine rétrécirent jusqu'à devenir deux fentes luisantes.

- Si tel est le cas… pourquoi se battre ? Pourquoi vouloir insister ? C'est le cours du destin de la galaxie, ce qui…

- Arrêtez vos conneries ! coupa le Mandalorien. On se bagarre parce qu'on a justement le moyen de le changer, le cours du destin de la galaxie !

Cette fois, les paupières du Moine s'ouvrirent en grand.

- Expliquez-moi ça ? Je serais curieux de comprendre comment une demi-douzaine de malheureux vagabonds serait à même d'arrêter les légions de la Reine Na'toth.

Dame Liryl expliqua d'une voix posée :

- Nous n'avons pas l'intention de recourir à la violence autrement que pour nous défendre. Nous avons rencontré au cours de nos pérégrinations un Kathol du nom d'Ageer. Aussi étonnant que cela puisse vous paraître, il n'était pas obsédé par la rage et la soif de vengeance, mais avait conservé les principes philosophiques qu'avaient les siens avant que n'arrive cette tragédie, il y a quatre millénaires. Il nous a donné un moyen de soulager la douleur des Kathols. Ce n'est pas la colère qui motive le plus ce peuple, mais la douleur et le désespoir. Permettez-nous de nous rendre dans le laboratoire d'Ageer, et nous mettrons à exécution le plan qu'il avait conçu pour sauver son peuple.

Les Moines l'avaient écoutée sans rien dire. Elle semblait avoir parlé d'une façon qui les avait poussé à la prendre un peu plus au sérieux, mais restèrent sceptiques.

- Vous n'arriverez pas dans son laboratoire. La surface de Kathol est grande et infestée de guerriers. Savez-vous au moins où chercher ?

- Dans le Puits de Vie, nobles Aing-Tee.

L'Aing-Tee à la voix aiguë piaffa :

- Mon frère, n'est-ce pas dans le secteur déserté ?

- Possible. Oui, les Kathols ont laissé quelques-unes de leurs installations à l'abandon. Peut-être que ce « Puits de Vie » y est.

- Son accès ne sera pas facile, toute cette zone reste instable sur le plan psychique.

- Nous ferons le nécessaire pour traverser les obstacles, s'exclama bravement Liam.

- Et quand bien même vous arriveriez à l'installation de cet Ageer, que comptez-vous faire, exactement ?

Chi'ta tira d'une de ses poches l'œuf d'Ageer et le montra aux Moines.

- Il nous a remis un module DarkStryder. Grâce à cet appareil, nous devrions pouvoir changer le cours de la situation, expliqua encore la jeune Drall.

- Comment ?

- Maître Ageer m'a assuré que les Kathols ne représenteraient plus le moindre danger une fois que nous aurons utilisé de manière appropriée le module, une fois celui-ci traité dans son laboratoire.

- Oui, mais vous n'avez pas répondu à ma question, jeune fille. Avec un tel module, qu'est-ce que vous allez faire, précisément ?

Le Moine avait penché la tête en avant, la mettant à la hauteur de celle de la petite Drall. Elle sentait sa respiration lente et glaciale lui hérisser le poil. Canderous avait déjà posé sa main sur la crosse de son blaster sonique.

- J'attends…

La padawan Consulaire baissa la tête, incapable de répondre.

- Ha ! J'en étais sûr… Prête à se jeter tête baissée dans le danger sans même avoir de certitude… Quelle folie !

Les trois Aing-Tee reculèrent, et tournèrent le dos à la petite bande. Dankin les entendit marmonner quelques mots dans une langue qu'il ne put comprendre. Pendant leur conversation, l'un d'eux jeta un petit coup d'œil dans leur direction, avant de reprendre la parole. Puis ils revinrent vers le groupe. Le premier Moine déclara :

- Nous ne vous croyons pas capable de faire quoi que ce soit pour arrêter les Kathols. Votre entreprise est vraiment trop insensée. Vous êtes tous voués à disparaître à tout jamais si nous accédons à votre requête. Cependant, si vous tenez tant que ça à finir prisonniers de la folie de la Reine Na'toth, et si c'est pour ça que vous nous avez appelés, après tout… cela ne nous concerne pas.

- Vous voulez aller sur Kathol, au milieu des légions des Précurseurs de Kathol, sur cette planète tourmentée ? Cela ne nous coûte rien de vous y conduire.

- Rappelez-vous que nous ne pourrions être tenus responsables si quelque chose de fâcheux devait vous y arriver ! piailla le troisième.

- Vous pouvez embarquer notre vaisseau ?

- Oui, notre hangar est assez grand. Mais vous, vous allez nous suivre.

Ils regagnèrent le disque ascensionnel, et invitèrent les six compères à les rejoindre. Une fois tout le monde en place, la plate-forme monta vers le grand vaisseau. La trappe s'ouvrit à leur approche, ils furent à bord.

L'intérieur du vaisseau Aing-Tee, à l'image de l'extérieur, tenait autant de l'organique que du mécanique. Les parois étaient jaunâtres, et suintantes. Le sol était rouge, et semblait couvert de papilles comme une langue. Chi'ta hésita avant d'y poser les orteils. L'un des Aing-Tee chanta quelque chose d'une voix puissante. Devant l'air interrogateur de Canderous, il précisa :

- J'ai demandé à ce que votre vaisseau soit transporté. Maintenant, nous allons nous confier à nos frères de science.

- Pour quoi faire ? demanda le mercenaire avec suspicion.

- J'adore les expériences médicales, mais j'aime moins en être le sujet ! ajouta Ezra.

- Si vous voulez avoir une chance de débarquer sur Kathol, il le faudra bien.

- Comment ça ? s'enquit Liam, de plus en plus inquiet.

Le premier Aing-Tee désigna d'un geste maladroit la Dame de Sérénité.

- Cette Humaine a modifié sa structure corporelle, elle est devenue une Kathol, elle pourra franchir la faille dans notre vaisseau sans le moindre problème. En revanche, vous, c'est différent. Pour vous amener sur le monde des Précurseurs, nous allons utiliser des procédés de distorsion spatiale dont les ondes de choc se répercuteront à travers tout le vaisseau. Pour supporter les changements occasionnés, il vous faudra subir un traitement d'isolation moléculaire.

- Pardon ?

- Nous devrons vous plonger en stase dans des équipements appropriés.

Liam ne comprenait toujours pas. Ezra traduisit :

- Ils vont nous mettre au congélateur, sinon on va tous se transformer en marmelade.

- Ah. Okay…

- Veuillez nous accompagner, dit l'un des Ingénieurs d'une voix mielleuse, en plissant les yeux de manière inquiétante.

Ils se déplacèrent quelques minutes à travers les couloirs courbés du grand vaisseau. Chemin faisant, l'Aing-Tee de tête montra un hublot. En y jetant un coup d'œil, ils purent voir le Vandread, stationné dans un grand hangar.

Enfin, ils entrèrent dans une salle circulaire basse de plafond. Au centre, il y avait huit grands caissons de nacre à l'intérieur rembourré de soie rouge, disposés en cercle. Au-dessus de chaque boîte, il y avait un grand couvercle de verre transparent. Liam eut l'impression de voir huit cercueils de luxe, fabriqué dans les matériaux les plus précieux, avec les ciselures, les décorations, le capitonnage confortable. De l'autre côté de la pièce, il y avait un pupitre de commande garni de cristaux qui émettaient des lumières de différentes couleurs, avec un banc qui suivait la courbure du mur non loin. Derrière chaque sarcophage, enfin, il y avait un coffre. L'Ingénieur balaya l'air d'un geste large.

- Nous nous servons de ces dispositifs pour transporter sans dommage les non-Aing-Tee isolés que nous trouvons.

- Je pensais que vous les désintégriez ? s'étonna Dankin.

- S'ils nous résistent. En revanche, les gens qu'on retrouve parfois égarés, qui se sont trompés de route, ou qui souhaitent simplement quitter leur monde pour un endroit plus hospitalier, nous les ramenons au monde habité le plus proche situé à l'extérieur du secteur.

Chi'ta se frappa le front.

- J'y pense ! Vous avez interdit l'accès au Secteur Kathol à tout le monde, mais tous ceux qui y habitaient déjà ? Vous les avez tous exterminés ?

- Vous êtes bien curieuse, jeune fille, répondit un deuxième Ingénieur qui entra dans la chambre, suivi d'un troisième. Ce n'est pas votre problème.

- Le respect de la vie est mon problème, messire !

- Nous ne sommes pas des exterminateurs, dit alors le troisième Ingénieur. Nous faisons un blocus autour de leurs planètes, ils ne peuvent en sortir, sauf pour quitter le Secteur Kathol pour de bon, sous notre surveillance.

Cela ne plut pas à Canderous.

- Une vraie flicaille de l'espace, hein ?

Ce à quoi le premier Ingénieur répondit :

- Humain, apprenez que nous aurions pu éviter cette catastrophe si nous avions été plus vigilants il y a quatre mille ans. Et peut-être que si nous avions abattu à vue tous les vaisseaux qui se sont approchés de Kathol depuis, personne n'aurait pu tirer le couple royal de sa torpeur. Alors excusez-nous de vouloir limiter les dégâts autant que nous le pouvons, et rappelez-vous que nous avons toutes les raisons de ne pas accéder à votre requête, nous pourrions vous laisser là et repartir pour le secteur Kathol. En tout cas, c'est ce que nous ferions si vous ne nous aviez pas montré le module.

Le deuxième Ingénieur se posta derrière le pupitre de commande, et expliqua alors :

- Pour vous permettre d'arriver à destination sans dommage, nous allons vous mettre dans un état d'arrêt moléculaire. Vous continuerez à respirer, mais vos cellules cesseront d'évoluer le temps de votre stase.

Chi'ta parut étonnée.

- Vous voulez dire qu'on ne vieillira pas ?

- En effet. Il n'y aura absolument aucune dégénérescence dans votre organisme. Toutefois, vous ne pourrez ni bouger, ni parler, et vous ne serez pas conscients. Notre technologie n'est pas évoluée au point d'offrir la jeunesse éternelle.

- D'accord. Je me disais, aussi…

Encore une fois, le mercenaire affichait clairement son scepticisme, mais les Ingénieurs Aing-Tee ne s'en offusquèrent pas. Liam demanda :

- Et, au fait, combien de temps durera le voyage ?

- Comptez trois jours selon votre calendrier.

- Trois jours ?! Pour la précédente expédition, il a fallu trois mois !

- Notre technologie est bien plus avancée que la vôtre, vous avez déjà oublié ?

- Une fois que vous serez sur Kathol, il ne faudra plus compter que sur vous-mêmes. Ce qui se passe sur la surface des planètes ne nous concerne pas.

- Quand vous aurez trouvé ce que vous cherchez, vous nous appellerez.

- Comment ?

- Nous laisserons un émetteur à bord de votre appareil, dans le poste de pilotage. Il vous suffira de le brancher à votre poste de communication, il enverra une onde similaire à celle du temple. Nous la recevrons, et nous viendrons nous chercher.

- Tâchez de ne pas trop vous plonger dans les ennuis. Nous n'aimerions pas risquer de mettre nos vies en danger pour vous.

Le premier Ingénieur leva alors un index, avec un petit regard insidieux.

- Parfait. À présent, veuillez retirer tous vos effets.

Ezra eut une moue nerveuse. Liam, lui, semblait ne pas comprendre.

- Euh… pardon ?

- Il veut que nous nous déshabillions, Liam, expliqua Chi'ta.

Ezra demanda d'un ton d'un calme inquiétant :

- Et on peut savoir pourquoi ?

- Ne discutez pas les consignes, s'il vous plaît.

- Dans vos rêves ! Ca vous plairait de nous reluquer, petits vicieux !

Le premier Ingénieur haussa les épaules avec un sifflement méprisant.

- J'oubliais à quel point les Humains sont chatouilleux lorsqu'il s'agit de la nudité.

- Hélas, frère, c'est un sujet tabou pour eux. Une autre preuve de leur faiblesse…

Cette remarque agaça le Mandalorien. Il demanda d'un air faussement innocent :

- Et si je connaissais un de vos tabous et que je m'en vantais auprès de vos ennemis ? Vous feriez moins les malins !

- Paix, guerrier, paix, répondit le troisième Ingénieur d'un ton apaisant. Il ne s'agit pas de vouloir vous humilier ou de satisfaire des envies perverses, mais de raisons utilitaires. Le port de tissus, de métaux et d'autres matériaux artificiels par-dessus votre épiderme risque d'interférer avec les ondes de conservation qui vous maintiendront en stase.

- Vous êtes très évolués par rapport à nous, et pourtant vous ne savez pas fabriquer des rayons qui passent à travers les fringues ? Y a bien d'autres créatures qui ont inventé des systèmes d'hibernation qui n'ont pas ce problème, non ?

- Jeune homme, répliqua le troisième Ingénieur avec un petit rire dans la voix, un grand nombre de peuples se passe de vêtements, et nos installations sont prévues pour fonctionner avec le plus d'espèces possible, dussent-elles ébranler les principes de quelques-unes. Et même si les champs de stase existent bel et bien chez d'autres peuples que le nôtre, n'oubliez pas que nous allons emprunter des raccourcis dimensionnels particulièrement violents. Nous traverserons des tempêtes énergétiques de très forte amplitude, et seule notre race a su concevoir des systèmes de stase suffisamment performants pour permettre à vos corps d'y résister… comme les Kathols, en leur temps, qui y étaient parvenus.

Le premier Ingénieur revint à la charge, un peu agacé.

- Bon, allez, vous n'avez pas besoin de tout retirer. Gardez le strict minimum. Et n'oubliez pas de déposer vos affaires dans les casiers.

Les trois Humains se regardèrent.

- Et puis zut ! dit alors Liam.

Puis il s'assit sur le banc et retira ses bottines, rapidement imité par les autres. Bientôt les deux hommes se retrouvèrent en slip, tandis qu'Ezra garda également son débardeur. Les deux non-Humains, de par leurs caractéristiques raciales et les mœurs de leurs peuples respectifs, n'éprouvaient aucune gêne à circuler dans le plus simple appareil, et avaient obéi à l'Ingénieur sans protester.

Dankin s'approcha de l'un des sarcophages.

- J'y vais en premier, comme ça, s'il y a un problème, vous le saurez.

- Soyez sans crainte, Togorien, il n'y aura pas de problème.

Curieux, j'ai l'impression d'avoir déjà vécu ça, songea le padawan Gardien, qui ne quitta pas Dankin du regard. Le grand chasseur félin s'installa péniblement dans la grande boîte capitonnée, et se sentit aussitôt à l'étroit. Le deuxième Ingénieur se positionna derrière le pupitre, et frappa du bout des doigts les cristaux, émettant un tintement à chaque contact. Le couvercle transparent se referma sur le Togorien. Trois secondes passèrent, puis un petit vrombissement se fit entendre.

- Voilà, dit l'Ingénieur. Votre ami est en stase, parfaitement conservé.

Dans un réflexe professionnel, le docteur Lohrn se pencha vers le Togorien. Elle pouvait voir qu'il avait l'air en parfaite santé, juste comme s'il dormait. Elle sembla convaincue.

- Pas de signe particulier d'anormalité… La respiration est régulière, les traits détendus… Tout a l'air d'aller.

- Maintenant, il nous faut un deuxième voyageur.

- J'y vais, de toute façon on y passera tous, alors…

Ezra sauta dans l'un des autres sarcophages. Liryl se pencha sur elle.

- Je veillerai personnellement sur vous tous pendant tout le voyage, je m'y engage.

Trente secondes plus tard, le couvercle s'était refermé sur elle.

- Eh bien, je suppose que c'est notre tour…

Avec un peu d'hésitation, la petite Drall se cala au fond de sa chambre de stase, avoisinée par Liam. Mais le mercenaire hésita encore.

- Les gars, j'espère que vous savez ce que vous faites…

- Insinueriez-vous que nous ne sommes pas capables de contrôler à cent pour cent notre technologie, Humain ?

- En outre, vous avez bien vu que le traitement a marché avec vos deux amis.

Canderous préféra ne pas répondre, afin de ne pas prendre le risque d'un accrochage. Il s'allongea dans le coffre décoré. Las de ces protestations diverses et variées, l'Ingénieur déclencha la mise en stase, plongeant instantanément le Mandalorien en hibernation. Liam sentit une appréhension monter, monter...

Dans le meilleur des cas, on se réveille sur une planète inconnue, à des tas de millions de kilomètres de tout et au milieu de nulle part. Dans le pire des cas, ils nous jettent dans la fourmilière, ou ils ne nous réveillent que dans deux cent ans… s'ils nous réveillent !

Un murmure capta alors son attention. Sur sa gauche, Chi'ta fredonnait le Chant de la Sérénité, pendant que la cloche de verre descendait lentement, avant de la couvrir. L'Aing-Tee frappa un cristal, et le verre s'irisa, plongeant instantanément la jeune fille dans un profond coma. Liam était maintenant le dernier à être conscient. La cabine vibra alors que le couvercle transparent s'abaissait inexorablement. Il ferma les yeux, son visage se crispa.

Je t'aime, Maman !

Le bloc de verre s'abattit sur les rebords du caisson. Un petit sifflement retentit, suivi d'un bref crépitement, et ce fut la dernière sensation qu'éprouva le jeune homme.

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