Entre le Portique et l’Autel

Chapitre 1 : Entre le Portique et l’Autel

Chapitre final

2827 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/09/2017 12:17

Note du traducteur : Ceci est une traduction en guise de prix d'un OS de Findswoman récompensée lors des Fanfic Awards 2017 du forum TheForce.net. L'histoire se déroule dans l'univers Legends sur la planète Gand dont les habitants sont si humbles qu'ils n'utilise pratiquement jamais la première personne lorsqu'ils parlent. Remerciements à Chyntuck pour son aimable et précieuse relecture.


Titre original : Between the Porch and the Altar

Période : Saga (Legends), début de l’Empire. Liée à la fiction du même auteur The Book of Gand.

Personnages : créations originales ; quelques vagues mentions d’autres personnages

Genre : nouvelle ; introspection ; drame

Public : PG-13 pour les descriptions des conséquences de violences ; sang ; mutilation ; suicide (pas le personnage principal)

Résumé : Une Pisteuse Gand du nom de Telfienne lutte pour la survie de son peuple pendant l’invasion de l’Empire.


* * *


Qu'entre le portique et l'autel pleurent les sacrificateurs, serviteurs de l'Éternel, et qu'ils disent : Éternel, épargne ton peuple ! Ne livre pas ton héritage à l'opprobre. . .

Joël 2:17 (Segond 1880)


* * *


Dans le Grand Temple de Gand, qui flottait sereinement sur la colonie isolée située dans le ciel du pôle Nord de la géante gazeuse aux mystères éternels, tout était désolé, triste, incertain. Les salles dans lesquelles les bruits de bottes et les chœurs des Pisteurs se faisaient écho et résonnaient autrefois, ne bruissaient plus qu’en de faibles lamentations et en prières — voire s’étaient tues pour de bon.


Car les envahisseurs étaient venus : les mammifères, envahisseurs humains dans de gigantesques vaisseaux tels des dagues, avaient éconduit des cieux les Saintes Brumes Visionnaires et se vantèrent auprès du monarque, des magnats et des marchands que leurs boîtes de métal grises pouvaient traquer les objets et les êtres disparus mieux que le talent mystique des Pisteurs.


Dans ces couloirs silencieux, encadrés par une statue de Saint Trynfor le Dément d’un côté et par Isthienne la Guérisseuse Sacrée de l’autre, une lampe murale projetait sa lumière bleu-gris sur un tas de robes agglutinées contre le mur de pierres froides : la forme recroquevillée d’une jeune Pisteuse.


Il y a longtemps, les Brumes lui avaient montré tout ce qui surviendrait à son monde : les droïdes sonde filiformes qui planaient, les immenses pointes telles des lames transperçant et dispersant les Brumes de Gand, ou encore les soldats de plastacier défilant en rangs serrés à travers la Capitale Sacrée. Elles l’avaient avertie du chagrin et de la détresse qui allaient s’abattre sur elle et ses compagnons Pisteurs.


Mais désormais, dispersées, Elles ne lui montreraient plus rien.


La Pisteuse ne pouvait plus rien faire, à part s'asseoir là, la tête inclinée, les épaules voûtées et la lumière dorée de ses yeux à facettes enfouies dans ses bras et genoux, et ruminer sur ces visions du passé. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée assise. Étaient-ce des jours ? Ou bien des semaines ? Cela n'avait plus d'importance. Les abjects appareils d’altération atmosphérique apportés par les envahisseurs avaient sabordé, en plus des Brumes, la temporalité elle-même, qui sait. Sans Elles, il n'y avait plus de différence entre les heures, les saisons, les révolutions, les éons.


Encore et encore, elle s'efforçait de grappiller quelques volutes de connaissance des Saintes Brumes Visionnaires. Encore et encore, ses sens mystiques se livraient à elles comme un poussin perdu qui caquette pleurant sa mère. « Quand ? » leur demanda-t-elle, encore et encore — quand saurait-elle enfin ce qu’il adviendrait d'elle-même, de ses compagnons Pisteurs, de son monde natal, de la Galaxie ? C’était un effort aussi bien physique que mental qui consumait toute l’énergie de son corps frêle.


Mais tout cela était vain, car les Brumes étaient trop affaiblies pour lui montrer quoi que ce soit. Tous ses pouvoirs méditatifs étaient inutiles désormais. Toutes ses longues heures d’études passées sous la supervision des Maîtres Pisteurs, s’étaient dissipées dans le néant.


Elle repensa à ces Maîtres Pisteurs : l’aimable Ancien voûté au regard bienveillant, la majestueuse dame Pisteuse vénérée par tous, et même le vieux dadais à la silhouette imposante qui ne cessait jamais de se plaindre de ses élèves. Elle les avait vus, eux aussi, prostrés dans les labyrinthes du temple ; elle s'était agenouillée à côté de chacun d'entre eux, prodiguant des mots et des gestes de réconfort, prodiguant des prières et des chants de guérison. Seul l’un d'entre eux lui avait répondu. Mais il y en avait un quatrième, aussi, qui était à la fois Maître Pisteur, zaviir, tarnuur, fiancé. . . Et où se trouvaient à présent les étincelles de ses yeux d'argent impétueux, ou l’étreinte de ses griffes ? Oh, puisse la plus simple des Requêtes aux Brumes, le plus simple des Rituels d’Orientation le retrouver où qu’il soit !


En dépit de tout, il restait encore la Tranquillité du Brouillard, cette praxis apaisante des Pisteurs. Même si les Brumes de Gand avaient été affaiblies, peut-être pourrait-elle ainsi communier au moins avec ses Brumes Intérieures, tout en se reposant de la fatigue causée par ses méditations futiles.


Il y avait six niveaux de Tranquillité du Brouillard, allant de la simple relaxation pour le premier niveau jusqu’à l'arrêt temporaire des fonctions vitales pour le sixième — l'état de mort feinte, connu aussi comme la Passivité Mortelle. À mesure que les heures s’égrenaient, elle s’engageait dans chacun de ces états, l’un après l’autre. Tels les remous d’un étang ou les brouillards qui se meuvent puis se reposent jusqu’à l'immobilité, ses Brumes Intérieures s’étaient d'abord installées dans une simple relaxation, puis dans une relaxation légèrement plus profonde. Vint ensuite le passage à une transe comparable au sommeil pour aboutir à un semblant de coma. Durant toutes ces heures, l’unique mouvement dans ce couloir était la lampe qui scintillait.


Finalement, elle concentra ses Brumes Intérieures qui infusèrent jusqu’à l’intime de ses poumons, mettant en place l'effort mystique, vital et terminal qui la propulserait d’un coup dans la transe comateuse de la Passivité Mortelle. Elle prit une profonde inspiration, remplissant ses poumons alors qu'elle récitait les formules mystiques dans son esprit. Puis elle expira brusquement, s'effondrant à terre en un tas amorphe d’étoffes.


Mais cette lueur bleu-gris devant elle n’était-elle pas la lampe de la salle ? La statue de Trynfor ne se reflétait-elle pas à l'envers sur une facette de ses yeux composés, la statue d'Isthienne sur une autre ? Son cœur ne battait-il pas toujours ? Ses Brumes Intérieures n’étaient-elles pas trop affaiblies pour traverser le royaume de la Passivité Mortelle ?


Et une voix ne lui parlait-elle pas ?


« Dame Pisteuse Telfienne ! »


Son nom, son nom d’outre-tombe ! À ce signal sonore, elle se redressa puis cligna des membranes nictitantes de ses yeux. Accroupie devant elle, une servante du Temple — une personne qu’elle connaissait et qui avait fait preuve de bonté par le passé — dans l'habituel uniforme couleur ardoise bleue avec ses mains tendues dans une posture de supplication.


« Je vous en prie, venez ! Il y a quelqu'un qui vous appelle ! »


« Telfienne viendra. » Et elle se leva et avança avec la servante dans le couloir, en direction de la statue de Trynfor.


* * *


Telfienne marcha avec la servante dans les salles du Grand Temple. Tout comme les Brumes le lui avaient montré plus tôt. Des Pisteurs altiers, des Maîtres Pisteurs érudits, d'éminents Anciens et des apprentis juvéniles, tous étaient accroupis dans les couloirs du temple, comme elle il y a peu, en un chagrin décrépitant : ils se recroquevillaient, tremblaient, pleuraient, priaient, se frappaient la poitrine, griffaient leurs vêtements. Et comme cela fut le cas pour elle, ils s'étaient ensuite effondrés sur place de désespoir et de fatigue. Sans les Brumes, il était dérisoire de chercher refuge dans les salles d’études, les chambres de méditation, les chapelles ou les jardins.


Alors qu’elle s’apprêtait à offrir aide et réconfort, la servante l’en dissuada gentiment.


Non loin, ses antennes se convulsèrent sous l’effet d’un parfum chimique toxique en provenance d'un groupe d'apprentis pétrifiés, blottis entre eux et appuyés contre un pilier porteur. Les plaques de chitine sur leurs mains, leurs pieds et leurs visages étaient déformées, écaillées et corrodées ; Telfienne reconnut les effets du poison distillé à partir des feuilles du bruugaanier. Un peu plus loin encore, un Ancien dans une tenue d’apparat était affalé contre l'arcade menant au sanctuaire principal du Temple. Sa tête pendouillait dans un calme somnolent au-dessus d’une cavité béante aux contours calcinés dans son thorax. Telfienne remarqua le canon à moitié fondu d'une arme laser qui se détachait du trou et comprit ce qu’il s'était passé : ce Gand avait paisiblement mis son blaster en surcharge dans la poche intérieure de sa robe.


Mais de nouveau, la servante la pressa de l’avant en tapotant de ses griffes impatientes sur son épaule.


Enfin, elles arrivèrent à la porte donnant sur les jardins du Temple. La servante conduisit Telfienne à l'extérieur sous la voûte d’un large portique, dans une nuit d’un noir anormalement impénétrable et dénué brouillard.


« Ici. »


Une silhouette en robe de Pisteur était assise contre l'une des colonnes, se tordant et gémissant violemment de douleur, pendant que du sang brun ruisselait abondamment d'une blessure à l’épaule. Telfienne pouvait à peine discerner son visage, car la tête était renversée à la fois en arrière et sur le côté avec un angle étrange et visiblement inconfortable. Un autre guérisseur, masculin cette fois-ci, était assis à côté de lui et appliquait à la blessure des pansements enduits de bacta qui ne semblaient cependant guère efficaces. Un grand bâton paralysant reposait sur le sol un peu plus loin, sa pointe autrefois affûtée était désormais tordue et émoussée. Encore plus loin, deux des envahisseurs blancs de plastacier, empilés l’un sur l’autre, gisaient immobiles.


« Une escouade de. . . une escouade d’envahisseurs est parvenue à pénétrer dans le jardin », expliqua la servante qui accompagnait Telfienne. « Il leur a fait front. . . Il en a éliminé deux d'entre eux, comme vous le voyez, mais un autre — »


Elle s'arrêta brusquement. Le Pisteur blessé se tenait à présent debout, et regardait directement Telfienne à travers ses yeux d'argent vitreux saisis de délire. La Pisteuse sursauta à la vue de ces yeux, car ils avaient pour elle quelque chose de familier — mais ils brillaient dans un visage dont les plaques étaient si raclées, tailladées et à demi arrachées qu'ils en étaient méconnaissables.


« Telf — » commença-t-il. Le nom fut instantanément avalé dans un autre gémissement paroxystique, incitant le guérisseur à redoubler d'efforts avec le bacta. « Enfant sacré. . . Tu es là. . . »


« Ou-oui, oui, elle-même. . . » Ces yeux, ce visage. . . cela pouvait-il être. . . Mais cela ne pouvait pas être. . . À moins que ?


« Par la puissance ancestrale qui réside en toi. . . A-aide ce Gand ! »


Telfienne baissa le regard sur ses mains. Elle savait ce qu'il voulait qu'elle fasse ; elle l'avait su dès qu'elle l'avait vu. Cela serait-il possible avec les Brumes dans un état aussi affaibli, dans son état aussi affaibli ? Mais elle devait essayer. La vie d’un Gand en dépendait.


« Telfienne fera de son mieux. »


Le guérisseur avec le bacta lui fit de la place pendant qu'elle s'agenouillait à côté du Pisteur, posa doucement ses mains sur la blessure et canalisa tout ce qui lui restait de son énergie intérieure vers celle-ci. Les minutes s’écoulèrent. Il continuait à se tordre et à se distordre — cela fonctionnait-il ? — Et était-il vraiment son. . . ? Mais il était vain de s'interroger sur cela dorénavant. Le mieux qu'elle pouvait faire était de maintenir son patient sous contrôle, et ce en dépit de sa propre énergie qui déclinait.


D’autres minutes s’écoulèrent. Peut-être, contre toute attente, il y eut finalement un effet : il était plus calme à présent, le flux sanguin ralentissait, les tissus de sa carapace commençaient à se régénérer. Elle lui consacrerait encore un peu de temps, jusqu'à ce qu'il soit presque guéri, et ensuite —


Sans retirer ses mains de la blessure, elle se pencha près de son visage et murmura le seul et unique nom qui la préoccupait.


Les mandibules extérieures du Pisteur se tordirent et grincèrent. « Oui ? » grommela-t-il. « Que voulez-vous savoir sur ce satané traître parvenu ? »


Telfienne sursauta à ces mots, mais resta aussi calme que possible. « Elle s’excuse — Telfienne s’interrogeait seulement — »


« Vous avez confondu ce Gand avec quelqu’un d’autre », il se releva et frappa sa poitrine avec ses griffes... « avec lui, n'est-ce pas ? »


« Encore une fois, ses excuses les plus plates — maintenant si Telfienne pouvait vous demander de rester tranquille — »


« Ce n’est certainement pas la première fois que quelqu'un commet cette erreur », murmura le Pisteur alors qu'il se détendit de nouveau sur les dalles du porche. Telfienne comprima de nouveau la blessure. « Mais il, il souffrira, l’Étrange. . . Par sa trahison, Gand n'a plus de Gardien pour protéger ses secrets de l'envahisseur. . . Si son pouvoir s'était joint au vôtre » — il donna un coup de griffe à Telfienne — « il aurait pu sauver son peuple et les Brumes. . . Oh, mais ceux qui rejettent leur monde seront rejetés par leur monde — vous verrez ! VOUS — VERREZ !


Sur ces paroles, il se releva avec une énergie et une vigueur étonnantes, renversant Telfienne. Puis il partit en trombe vers le temple. Les deux guérisseurs tentèrent de le rattraper ; la porte se referma avec fracas.


Seule Telfienne resta en retrait sur le sol de pierre, figée, sous le choc de qu'elle venait d’entendre. Les mots terribles du Pisteur blessé (dont la blessure n'était pas encore complètement guérie !) faisaient encore écho dans tout son être : son esprit et son âme, mais aussi ses poumons, son cœur, sa plus profonde intimité.


Traître — arriviste — souffrir — trahison — rejet — rejeté — VOUS VERREZ !


Le carillon implacable de ces mots semblait geler sa circulation sanguine et étrangler ses organes internes, entravant le mouvement de son sang et de son souffle jusqu'à s'arrêter complètement. Les membranes de ses yeux clignèrent et se refermèrent ; ses membres et la tête tombèrent lentement sur le côté.


Et Telfienne reconnut cette sensation et s'abandonna à elle : la Passivité Mortelle venait d’arriver, enfin.


* * *


Un peu plus tard, deux stormtroopers impériaux tombèrent sur ce qui ressemblait à un corps allongé sur le portique du Temple.


« Hé, c'est pas l’même ! » s’exclama le premier, poussant la forme drapée et immobile avec sa botte de plastacier.


« T’as raison, c’est pas l’même. » Son camarade semblait également perplexe.


« Où est passé l'autre ? »


« Aucune idée. Mais quelle importance ? Vise un peu ça. » Il toucha à l’aide de sa botte une ceinture verte brochée attachée à la taille du cadavre présumé. « Ça pourrait faire un joli cadeau pour Moff Waddsley, tu trouves pas ? »


« Carrément ! Elle pourrait la porter avec sa robe verte de chez Deyor ! » Il s’agenouilla et commença à défaire sans précaution la ceinture, qu'il glissa dans une de ses sacoches d'approvisionnement.


« Assure-toi juste de la remettre à un droïde nettoyeur quand on remontera dans le vaisseau. Il faut virer cette odeur d'ammoniac si tu vois ce que je veux dire. »


« Ouais, évidemment. »


Avec un dernier coup de pied au corps, ils s’éloignèrent.

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