L'irresponsable

Chapitre 1 : L'irresponsable

5440 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/03/2024 05:09

Disclaimer : Stranger Things est aux frères Duffer;)


Pas de bêta... je tremble par avance à l'idée du nombre de fautes qui m'ont sans doutes échappées :p


Avant-propos : Alors à l'origine il s'agissait d'un petit One-Shot impromptu qui m'était venu après avoir revu l'intégralité de Stranger Things... toujours un plaisir de la revisionner ! Cette série tient vraiment la route/est géniale sur la durée ;)


Jonathan est clairement un de mes personnages préférés de la série, je le trouve très mésestimé par rapport à son parcours, donc j’ai eu envie d’écrire une petite histoire pour lui rendre justice et -évidemment- qui mieux que Will Byers pour prendre la défense de son grand frère… Ça a pris, de son propre chef, au cours de l’écriture une tournure plus mélodramatique que ce que j’avais envisagé : mentions de maltraitance/négligence envers des mineurs, crise d’angoisse d’un personnage et utilisation d’insultes homophobes. C’est donc une histoire centrée sur Jonathan racontée à la troisième personne du point de vue de Will. L'aspect One-shot initialement prévu, s'est perdu, l'inspiration pour une suite s'étant imposée d'elle-même.


Bonne lecture à tous !


________________________________________________________________________________


Vous êtes sûrs de ça ? Hopper est trop loin mais on peut essayer de contacter Dustin. Sans vouloir vous vexer, Byers n’est peut-être pas la personne la plus fiable du monde en ce moment.


C’est Buckley qui met les pieds dans le plat et prononce la phrase assassine avec un air laconique. La petite Sinclair hausse les épaules et lui lance un regard spéculatif. Will peut voir l’ombre d’un sourire étirer les lèvres de Steve Harrington et un profond froncement de sourcils agacé agiter le visage de Nancy, tandis que ses lèvres semblent se réduire en une fine ligne de contrariété. La petite amie de son frère a le même air buté et méprisant qu’affiche souvent Mike avant de balancer une remarque acerbe de son cru.


Certainement une caractéristique familiale. Will ne sait d’où ils peuvent tenir leur personnalité abrasive et leur aptitude à se lancer dans des invectives bien senties. Même si elle a un caractère fort, Karen Wheeler est une femme calme, pragmatique et soucieuse de l’opinion du voisinage ; quant à Ted, il est d’une indolence rare, il prend rarement part aux débats et est souvent parfaitement indifférent à son environnement, tout semblant glisser sur lui. Pas vraiment le genre de personnes à aller aux conflits et à vouloir imposer son point de vue aux autres. Allez savoir comment ces deux là ont obtenu des enfants ayant des tendances si belliqueuses…


Pourtant, au grand regret de Will, après quelques secondes d’hésitation où son beau visage se froisse de colère, Nancy se dégonfle et garde finalement le silence. La fille habituellement inflexible semble préoccupée et son expression agacée glisse une fraction de secondes, laissant transparaître de la fatigue et de l’incertitude.


Pas la personne la plus fiable du monde.


Nancy est-elle d’accord avec ces absurdités ?


Will sent une étrange vague d’indignation enfler en lui. C’est comme si une vague de froid s’emparait de son esprit et engourdissait ses capacités de raisonnement, comme si une main invisible serrait ses viscères et le poussait au combat. Comme un élan l’incitant à dire ou faire quelque chose qu’il va définitivement regretter.


Ce n’est ni le moment, ni le lieu pour une dispute : Erica, Nancy, Harrington, Buckley et lui sont tous les cinq coincés dans une situation périlleuse qui risque de dégénérer s’ils n’obtiennent pas très vite de l’aide. Le débat actuel de savoir qui entre Dustin, Hopper et Jonathan peut le plus rapidement les atteindre et les secourir est légitime. Robin ne connaît pas son frère : elle est la meilleure amie de Steve qui doit lui en avoir dressé un portrait peu flatteur. Et, une part de Will peut comprendre d’où viennent les doutes de la fille face à la potentielle fiabilité d’un type qu’elle a croisé seulement deux fois depuis leur retour à Hawkins, dont l’apparence débraillée et les vêtements encore imprégnés par l’odeur de l’herbe ne devaient sans doute pas donner la meilleure image.


Ce n’est pas le moment d’un conflit et, en réfléchissant de manière rationnelle, Dustin pourrait certainement les aider aussi rapidement que Jonathan ; pourtant, les mots échappent à Will avant qu’il ne puisse les retenir, pleins d’une morgue qui ne lui ressemble pas. Il émet un étrange rire sans joie et sa voix claque froidement dans l’air. Son ton est sans appel.


-Mon frère est littéralement la personne la plus fiable de cette fichue ville. Appelez-le.


Pas fiable. De toutes les remarques injustes ou stupides qu’on aurait pu jeter sur Jonathan, c’était sans doute la pire. Si personne ne monte au créneau pour défendre son frère, alors il le fera.


-Ne le prends pas comme ça mini-Byers, Robin ne pensait pas à mal. Reconnais que ton frère n’est pas exactement fiable depuis votre déménagement en Californie. Je veux dire, il a laissé son ami perché vous conduire complètement stone à travers la moitié du pays, c’était assez irresponsable et Dustin est…


Le reste du petit discours d’Harrington se perd dans un brouillard, il n’arrive pas à comprendre les mots prononcés. C’est comme si la colère l’engloutissait tout entier. Ce qu’il disait n’était pas si grave, ça n’avait aucune espèce d’importance, Jonathan aurait jugé que ça n’avait aucune importance. Juste les remarques insipides de personnes qui ne connaissent pas et n’apprécient pas son frère : ça n’avait pas de sens de s’énerver pour quelque chose comme ça, quelque chose de si anecdotique alors qu’ils sont tous en danger.


C’est peut-être le manque de sommeil dû aux cauchemars constants qui le rend irascible mais Will ne s’est jamais senti aussi enragé : pas quand son propre père le traitait de tapette, pas quand Troy ou d’autres petits caïds s’en prenaient à Mike, Dustin, Lucas et lui, pas quand des gens méprisants murmuraient « zombie boy » à son passage, pas quand des intimidateurs sans valeur insultaient Elfe qui était sans doute la fille la plus fantastique qui ait jamais existé, pas quand il entendait certains idiots se moquer de sa famille pauvre et qualifier sa mère de timbrée, son frère de pervers ou de sociopathe. Non, jamais il n’avait combattu les injures proférées contre ceux qu’il aimait. Jamais. Mais Will a changé et Jonathan, entre toute autre chose, n’est pas irresponsable. C’est le point de rupture de Will et aujourd’hui, même si ça n’a pas d’importance, il se sent plus furieux que jamais.


Will peut compter sur les doigts d’une main, le nombre de fois de son existence où il s’est mis réellement en colère. Trois fois en tout et pour tout. deux étaient liées à Mike Wheeler, la dernière à sa mère, l’une d’entre elle avait même mené à la destruction du château Byers… le refuge que son frère lui avait construit le jour où ses parents s’étaient accordés sur le divorce et où Lonnie avait enfin pris les voiles. C’était le drame de Will, il ne se mettait jamais en colère contre les « vrais méchants », juste contre lui-même et les personnes qu’il aimait le plus au monde. Sa colère était toujours entachée de tristesse et elle disparaissait aussi vite qu’elle était venue.


Pour une fois, il n’a pas envie de la laisser retomber, pour une fois il n’est pas triste mais réellement indigné. Il connaît mal Robin et Steve mais ils ne sont pas vraiment des inconnus, encore moins des méchants : ils font partie des rares initiés connaissant toute la situation folle entourant le monde à l’envers et qui les aident à sauver Hawkins, voire le monde entier. Ils sont tous frères d’armes, des compagnons de galère et il ne peut pas les laisser se complaire dans l’idée que Jonathan soit un minable. Will lui-même avait jugé assez durement son frère pour ces quelques mois passés perché dans les palmiers avec Argyle. Il n’avait pas été ravi de voir son frère habituellement si prévenant et perspicace devenir lointain, les yeux absents et le sourire idiot, alors que l’essentiel des événements semblait lui échapper, passant à des kilomètres de lui. Il l’avait jugé durement avant de se rappeler durant leur périple en van quel genre de personne Jonathan avait toujours été.


Alors, il ouvre la bouche et déverse tout ce qui lui pèse sur le cœur depuis la conversation que son frère et lui ont eu à la pizzeria, toutes les choses qu’il n’a pas pu lui dire mais qu’il ressent depuis des années. L’amour et la reconnaissance qu’il n’a jamais tout à fait pu exprimer.


-Dis-moi Harrington, tu te prends pour un héros parce que tu te comportes de manière décente et joue les protecteurs depuis quelques mois, n’est-ce pas ? Mon frère le fait des années sans attendre le moindre éloge en retour. Il l’a toujours fait parce que c’est quelqu’un de bien qui fait passer les autres avant lui, peu importe ce qu’il ressent. Jonathan n’a pas fumé un seul foutu joint depuis que des hommes du gouvernement ont atterri dans la maison de Californie pour emmener Elfe alors qu’elle était sous sa garde. S’il n’avait pas impliqué son ami dans cette histoire de fou nous serions sans doute morts Mike, lui et moi, à l’heure qu’il est ! Et s’il a laissé Argyle conduire c’est parce qu’il voulait que nous allions sauver notre sœur au plus vite et que nous revenions à Hawkins pour vous aider : il ne pouvait pas décemment rester au volant plus d’une quarantaine d’heures sans dormir. Alors, en quoi n’est-il pas fiable ? En quoi, est-il irresponsable ? Qu’est-ce que tu sais de mon frère, putain ?!


Nancy le fixe sans ciller, son expression illisible, Steve et Robin échangent un drôle de regard et Steve lève une main en signe de paix comme pour tenter d’interrompre sa diatribe et il remarque à peine Erica s’éloigner d’eux, le talkie walkie serré dans sa main. Will veut arrêter son éclat mais maintenant que les vannes sont ouvertes, il sent les mots couler hors de sa bouche comme mus par une volonté propre.


-Je n’ai pas fini ! T’es-tu seulement posé la question de comment quelqu’un comme Jonathan avait eu le dessus sur un sportif comme toi lors de votre combat ? T’es-tu demandé où il a appris à encaisser les coups ? Comment il a pu se relever après que des hommes faisant une tête de plus que lui, sous contrôle du flagelleur mental l’aient balancé dans des murs à plusieurs reprises et frappé avec un tabouret en métal ? Depuis qu’il est enfant, Jonathan a l’habitude de tout gérer et de subir à la place des autres. Surtout à ma place. Quand il avait dix ans et que nos parents se hurlaient des horreurs toutes les deux nuits, s’était lui qui venait dans ma chambre pour me réconforter et me lisait des histoires ou me faisait écouter de la musique jusqu’à ce que je me rendorme. Quand ma mère était coincée au travail tard le soir et que nous étions seul avec mon père qui devenait mauvais après avoir abusé du whisky, c’était Jonathan qui détournait l’attention de Lonnie et s’arrangeait pour que les insultes soient concentrées sur lui. C’était Jonathan qui réparait tous les dégâts que causait mon père, qui me consolait quand il me traitait de pédé ou de tapette et déchirait mes dessins. C’est lui nettoyait une bonne partie de la maison et qui nous préparait à manger lorsque Lonnie s’endormait ou se décidait finalement à nous laisser tranquille. Et mon frère n’avait même pas douze ans quand il faisait tout ça. Il s’est pris, sans raison, des dizaines de raclées de la part de mon père mais ne l’a jamais laissé lever la main sur moi. Tu ne connais pas mon frère !


C’était l’un des rares non-dits de leur famille : leur mère n’avait jamais su à quel point leur père était négligeant avec eux et violent avec Jonathan lorsqu’elle faisait la fermeture du magasin les quelques mois ayant précédé le divorce. Lonnie était méchant, triste et amer à cette époque. Plus que d’habitude. Il devenait parfois vraiment mauvais lorsqu’il était saoul : il se moquait d’eux et prononçait un tas de phrases idiotes pour les blesser et essayer de mettre Jonathan en colère .


« Est-ce qu’on va un jour faire de toi un homme ou es-tu aussi une fillette ? » « Il se prend pour une fée ou pour un elfe des bois en ce moment ? Quelle honte ! » « Ça t’amuses de jouer les serpillières ? » « Tu ne sais jamais où est ta place, hein ? » « Réagis comme un mec bon sang ! » « C’est quoi ce regard ? Tu as envie d’un combat, fiston ? » « Arrête de traiter ta pédale de frère comme s’il était en sucre, ta mère le couve bien assez ! » « Exprime tes pensées mon grand, montre que tu as un peu de cran pour changer ! » « Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter des fils pareils »


Jonathan ne ripostait presque jamais, se contentant la plupart du temps de fixer placidement Lonnie ou de le regarder avec un air de sombre défiance. Les rares fois où il réagissait c’est quand les insultes visant Will devenait trop rudes, là il répondait avec toute l’insolence dont il était capable pour focaliser l’attention de son père sur lui. Certains jours Lonnie était furieux et las du dédain de son fils aîné, il prenait n’importe quel prétexte pour le corriger… comme pour se défouler. Will se rappelait parfaitement de l’air défait et les mains tremblantes de Jonathan lorsque leur père le traînait dans une autre pièce « pour discuter en privé de son attitude », le bruit sourd des claquements de ceinture à travers la porte, le regard tourmenté et la démarche raide de son frère quand il revenait de « sa discussion ».


-Will, ça suffit. Calme-toi.


C’est Nancy qui a parlé, son ton est doux mais elle le fixe d’un air mortellement sérieux ; Robin semble au bord des larmes et Steve est blême. Le connaissant, son frère serait tout sauf heureux du fait que les affres de leur enfance aient été ainsi exposées mais Will ne peut plus s’arrêter, c’est comme s’il devait cracher maintenant tout ce qu’il a sur le cœur s’il ne veut pas exploser. Il sent une sensation d’oppression le prendre aux tripes.


-Quand j’avais presque huit ans, un samedi où ma mère travaillait, mon père était sorti de la maison et Jonathan rentrait plus tard parce qu’il était à l’anniversaire d’un gamin du voisinage ; je pense que c’est certainement une des dernières fêtes à laquelle il a assisté ; j’étais seul à la maison ce qui n’arrivait jamais, j’ai voulu me déguiser, j’ai porté les vêtements de ma mère et me suis maquillé. Je savais que ce que je faisais n’était pas normal mais je ne pensais pas que c’était si mal… mon père est rentré, il m’a surpris, il m’a giflé et m’a jeté dans une armoire qu’il a fermée à clef, je l’ai supplié de me laisser sortir mais il n’a rien voulu entendre… quand mon frère m’a trouvé des heures plus tard, je paniquais tellement que je n’arrivais plus à respirer correctement… je ne sais même pas comment il a réussit à me calmer. Je me rappelle juste qu’il a dit que je n’avais rien fait de mal et que tout allait s’arranger. Je n’ai jamais su exactement ce que Jonathan avait fait à mon père ou dit à ma mère mais le lendemain, ils étaient tous les deux d’accord pour divorcer et Lonnie a fait ses valises. Je n’arrêtais pas de pleurer et de dire que c’était de ma faute, alors Jonathan a voulu me distraire et m’a emmené construire dans la forêt le château que j’avais dessiné quelques jours plus tôt. Nous avons passé toute la nuit dehors sous la pluie, nous n’avons pas arrêté avant qu’il soit debout… Quand il avait treize ans mon frère accumulait les petits boulots pour aider ma mère à payer les factures et refusait qu’elle lui offre des cadeaux pour Noël pour que j’obtienne les jouets que j’aimais. Ma mère travaillait énormément pour nous maintenir à flots et c’est Jonathan qui s’occupait tout le temps de moi : qui me préparait le déjeuner, le dîner, m’aidait à faire mes devoir, me soignait quand je tombais de vélo et me réconfortait quand je me faisais tyranniser à l’école. Dès qu’il a eu quinze ans, il a pris le plus de quarts de travail possible après les cours et a mis tout son salaire de côté pour si l’un de nous avait des soucis de santé, qu’un appareil électroménager essentiel lâchait ou pour épargner pour nos futures études. Il ne s’est jamais plaint de la situation et a toujours fait de son mieux pour tout gérer… et nous protéger ma mère et moi… De ce que j’en sais, quand j’ai été emmené dans le monde à l’envers, il a confronté notre père… s’est battu contre un connard qui disait que j’avais mérité d’être tué parce que je venais d’une famille d’anormaux… a organisé mes obsèques pendant que ma mère menaçait de s’effondrer et a affronté un démogorgon. Et, malgré sa haine des armes à feu… et à quel point il déteste se battre… il a combattu toutes les conneries surnaturelles se présentant à Hawkins ces dernières années tout en essayant de protéger ceux qu’il aime… C’est le genre d’homme qu’il est.


Will a l’impression que son cœur va sortir de sa poitrine tellement il bat de manière frénétique, il a la sensation d’être entrain de se noyer dans ses explications mais il ne peut plus arrêter de babiller. Sa gorge lui fait mal et il a le souffle court. Il sent quelques larmes rageuse lui échapper. Nancy s’est rapprochée de lui et a fermement posé ses mains sur ses épaules, l’inquiétude faisant paraître ses grands yeux bleus pâles plus sombres. Elle lui dit de respirer.


-Quand ma mère qui était en deuil d’Hopper, et qui avait enterré Bob moins d’un an plus tôt, a voulu que nous déménagions en Californie pour nous protéger… il n’a pas cherché à argumenter peu importe à quel point ça le faisait souffrir de quitter la fille qu’il aime. Alors oui, peut-être que Jonathan avait bien mérité une pause… et qu’être stone durant quelques mois… pour se distraire de ses problèmes était sa solution. Ça ne vous donne pas le droit de le juger… Vous ne le connaissez pas toi et Robin. Pas du tout. C’est la meilleure personne que je connaisse… l’homme le plus courageux, le plus honorable et surtout… le plus gentil. Alors n’osez surtout pas dire devant moi qu’il est irresponsable… ou pas fiable, tout ça c’est… C’est peut-être mon frère mais depuis qu’il est gamin, il agit comme aurait dû le faire… j’aurais vraiment aimé qu’il soit… vous n’avez pas le droit… vous n’avez pas … vous…


-Respire.


La voix de Nancy semble assourdie, même si son visage n’est qu’à quelques centimètres de celui de Will. Les larmes roulent sur se joues et il ne peut plus les arrêter, il a la sensation que tout autour de lui tourne au ralenti. Il se sent comme dans du coton et il n’arrive plus à trouver sa respiration. C’est comme cette fois où Lonnie l’a enfermé dans le placard il y a des années. La seule fois de sa vie où il avait fait une crise de panique. Comme si évoquer l’incident avait ramené la sensation. Il n’arrive pas à respirer. Il entend des voix affolées essayant de percer le brouillard dans lequel, il est pris mais il ne parvient pas à retrouver son souffle. Les mains de Nancy ont glissé de ses épaules et serrent fortement ses bras, la prise douloureuse est la seule chose qui le maintienne encore debout. Il commence à voir des tâches noires obstruer son champ de vision. Il ne peut pas respirer et tout devient flou.


Il essaie de se calmer, il tente de penser à ses amis, à Elfe, à Mike… à sa mère, à Jonathan. Il essaie vraiment mais il a l’impression que la sensation d’oppression dans sa poitrine l’étouffe aussi sûrement que pourrait le faire les tentacules de Vecna. C’est ridicule : il ne peut pas avoir survécu au monde à l’envers, à un épisode de possession, à la milice de Brenner et à Vecna pour mourir ici d’une crise d’angoisse venue de nulle part.


Il sent une claque atterrir sur sa joue et enregistre vaguement que c’est l’œuvre de Nancy qui cherche à le ramener sur terre par tous les moyens imaginables, il sait qu’elle ne veut pas le blesser mais le faire reprendre conscience de son environnement. Pourtant son cœur bondit de nouveau dans sa gorge, il s’étrangle et sa panique monte encore d’un cran alors qu’il se perd dans ses souvenirs.


L’air choqué de son père lorsqu’il l’a découvert couvert de maquillage et portant un chemisier de sa mère. Le choc vite remplacé par la rage. Les cris et les injures qui pleuvent. La violente gifle qui s’abat sur le côté de son visage. La prise serrée sur son bras alors que Lonnie le traîne à travers la maison et le jette dans l’armoire de la buanderie. La terreur froide qui l’envahit quand il entend le cliquetis de la clef dans la serrure. Ses suppliques qui restent sans réponse. Le noir partout autour de lui. La peur, la douleur et la honte qui se mélangent, le submergent. Il doit sortir.


Il a fait quelque chose de mal. Il ne veut pas que Jonathan ou sa mère le voit comme ça. Pas avec ces vêtements. Il a fait quelque chose de mal, il n’est pas normal. Il n’arrive plus à respirer.


1 - 2 - 3 - 4 - 5


Il fait noir. Il n’arrive pas à respirer. Il n’est pas normal.


« Ce n’est pas de ma faute si tu n’aimes pas les filles ! »*


1 - 2 - 3 - 4 - 5


Il sent le sol sous ses genoux et entend des murmures agités autour de lui. Il avale un peu d’air.


« Tu sais que tu peux tout me dire ? Que je serai toujours là pour toi ? Tu es mon frère et je t’aime. Il n’y a rien au monde… absolument rien qui pourrait changer ça. »*


1 - 2 - 3 - 4 - 5


Le brouillard se dissipe et il sent quelque chose pulser sous sa main. Il n’est pas tout à fait conscient de son environnement mais il se rend compte que quelqu’un est assis sur le sol face à lui et presse l’une de ses mains sur sa poitrine. Il essaie de se concentrer sur les battements. Inspirer. Expirer.


1 - 2 - 3 - 4 - 5


Une voix douce et grave résonne, comptant lentement de un à cinq. Des yeux marrons, presque noirs, sont fixés sur lui, vifs et brillant de larmes qui ne couleront pas, profondément enfoncés dans un visage sombre et nerveux. Jonathan. Will prend des inspirations tremblantes, l’une après l’autre, et voit le soulagement envahir le visage de son frère.


-C’est bon, mon pote, tout va bien. Je te tiens. Tout va bien. Continue comme ça.


1 - 2 - 3 - 4 - 5


Will prend à nouveau la mesure de son environnement : soudainement très conscient de la présence d’Harrington, Buckley et Erica qui les observent avec inquiétude quelques mètres plus loin. Le visage de Steve suinte la culpabilité et Robin a visiblement pleuré, ses yeux sont rouges et son visage livide. La petite sœur de Lucas a une expression triste qu’il lui a rarement vue. Nancy est agenouillée juste derrière Jonathan et a les mains qui tremblent légèrement. C’est une première, cette fille est un roc, elle ne tremble jamais. Inspirer. Expirer.


Will sent la honte le consumer en se rendant compte de l’esclandre qu’il a piqué et de toute la situation chaotique qui en a résulté. Il se demande s’il pourra à nouveau regarder les autres dans les yeux. Les larmes lui brouillent la vue et il a encore du mal à respirer. Il ne sait pas pourquoi il s’est mis dans un état pareil ni pourquoi les choses ont dégénérées à ce point. Il a mis tout le monde en danger. Ils sont toujours tous en danger, il faut qu’ils partent, il arrache la main posée sur la poitrine de Jonathan : il doit s’excuser et se lever. Maintenant.


-Je suis désolé… désolé… je…


-N’essaie pas de parler. Tu n’as rien fait de mal. Ne bouge pas et continue à respirer lentement.


1 - 2 - 3 - 4 - 5


-Voilà, comme ça. C’est parfait. Prends ton temps. Tout va s’arranger, je te le promets.


Les mêmes mots qu’il y a près de huit ans.


Il est agité de sanglots silencieux et Jonathan le serre doucement dans ses bras, comme il l’avait fait des années plus tôt alors que son visage était maculé de larmes et de maquillage séché. Et Will y croit vraiment.


Parce que, comme il l’a toujours fait, Jonathan en prend la responsabilité.


________________________________________________________________________________


Remarques : J’ai vu que le côté stoner/à côté de ses pompes de Jonathan était beaucoup commenté de manière négative et j’ai eu du mal à comprendre la perspective de ceux qui adoptent un point de vue très critique sur le personnage dans la saison 4 (qui ne fait, certes, que des apparitions très fugaces mais ça c’est la faute des showrunners!). Franchement, depuis le début de la série avec Will et Elfe, c’est sans doute celui qui en a le plus bavé, je ne trouve pas étonnant le cheminement de son personnage qui -alors qu’il n’y a plus de menace imminente- vit difficilement la relation à distance avec sa copine, n’est pas certain de ce qu’il veut faire pour l’avenir et gamberge sûrement sur tout un tas d’événements passés, s’essaye à la fumette pour se distraire de son quotidien. Je ne trouve pas l’idée mauvaise en soit, c’est même plutôt cohérent vu sa personnalité et ça n’en fait pas subitement un minable… comme il le prouve à maintes reprises lors de l’épopée du club californien (même s’il faut avouer que ce n'est pas les aventures les plus palpitantes durant cette saison) et j’ai trouvé sa discussion avec Will très percutante et forte en émotions : les deux acteurs sont spécialement bons dans cette scène. Charlie Heaton a fait quelques performances incroyables dans la série et j’espère que Jonathan sera davantage mis en valeur dans la saison 5 pour qu’on puisse le voir à l’œuvre.


J’ai essayé de respecter l’univers et j’espère que je n’ai pas trop dérivé des éléments donnés dans la série. Je ne sais pas si j’ai forcé le trait au niveau des maltraitances envers Jonathan et Will de la part de Lonnie mais par rapport à ce qui est suggéré dans le canon, ça ne me semble pas incohérent de penser qu’il aurait pu être violent (que ce soit moralement ou physiquement) avec ses fils dans le dos de Joyce. Franchement les quelques interactions entre Lonnie et Jonathan dans la première saison sont lunaires et laissent penser que Lonnie a pu être vraiment mauvais avec eux : rien que la manière dont il saute à la gorge d’un gosse de seize ans et le plaque contre un mur pour s’amuser, les insultes rapportées par Joyce concernant Will et l’anecdote de la chasse conjuguée au fait que Jonathan ait été jusqu’à vérifier que Will ne soit pas enfermé le coffre de la voiture… ça dresse un portrait charmant du type et donne matière à réfléchir sur ce qu’il a ou non pu faire à ses enfants avant le divorce.


Les remarques de Will sur le fait « qu’il n’est pas normal », « que ce qu’il a fait est mal », etc. sont évidemment le fruit d’une homophobie intériorisée en lien avec l’époque/le contexte dans lequel il vit. Même s’il se maquille, essaye les vêtements de Joyce (au moins une fois) dans cette histoire ça ne veut pas dire qu’il ait des tendances au travestissement ou qu’il s’identifie en tant que fille (je le précise pour la suite de l'histoire;)), je le vois plutôt comme la phase exploratoire qu’ont beaucoup d’enfants vers 5/6 ans où ils essaient les vêtements de papa/maman, qui se serait fait sur le tard pour Will (parce qu’il n’en aurait jamais eu l’occasion avant) et aurait pris une tournure traumatisante à cause des actions de Lonnie. Pour la crise d’angoisse s’est survenu assez spontanément à l’écriture… je me suis dit que ça pouvait être intéressant pour le personnage de Will (le pauvre… les scénaristes aiment vraiment lui en faire voir de toutes les couleurs… et moi aussi xD), qu’il craque pour quelque chose n’ayant rien à voir avec le monde à l’envers mais avec sa propre histoire.


Les phrases avant les astérisques sont des répliques directement tirées de la série, Mike à Will en S3, pour la première; Jonathan à Will dans la pizzeria à la fin de la saison 4, pour la seconde.



Laisser un commentaire ?