Zangief VS Guile
Chapitre 1 : Zangief VS Guile
2553 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 01/10/2025 17:41
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum de fanfictions.fr de Septembre- Octobre 2025 : « Du sang, des larmes et de la sueur», niveau 1 uniquement.
Zangief regardait ses mains sanguinolentes.
Il n'avait pas pris soin de les panser après son épreuve de qualification. Il se refusait à considérer qu'il venait d'accomplir un exploit, tant le ridicule de la situation lui mordait les entrailles. Malgré les applaudissements enthousiastes du public, il s'était senti humilié, tel une bête de foire. On lui avait commandé de démolir le plus vite possible une voiture de tourisme. À quoi bon ? Qu'est-ce que cela avait de spectaculaire ? Quel sens donner à cette violence contre un objet inerte ?
Une voiture, de surcroît ! Lorsqu'en 1917 les Bolchevik arrivèrent au pouvoir, il ne se trouvait en Russie qu'une seule automobile, offerte au Tsar par les Américains... Si plus tard Khroutchev avait lancé une production de masse de voitures, c'était notamment parce que les Nations Unis avait fait du nombre de véhicules personnels par habitant un marqueur de développement. L'URSS n'aurait-elle pas du au contraire faire valoir la densité de transport en commun et leur gratuité comme un marqueur autrement plus pertinent du développement d'une nation ? Zangief gardait une profonde rancune face à cette capitulation idéologique, mais avait démoli sans joie le triste amas de tôle. Il ne souhaitait pas accorder plus d'importance à cette distraction futile.
Le vrai combat approchait.
Profondément enfoncé dans le fauteuil du jet diplomatique qui le transportait, il observait mentalement son corps, percevant chaque muscle de sa carrure massive. Un ours. Et même plus fort qu'un ours, pouvait-il affirmer sans vantardise, lui qui préférait s’entraîner dans les forêts de Sibérie contre les terribles carnivores plutôt que contre de trop frêles humains.
Presque nu, à peine vêtu d'un slip et de bottes de catch rouges, son corps arborait les indénombrables cicatrices de ses combats passés. Zangief aimait à dire que l'on pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert, car ses blessures racontait l'histoire de sa vie.
Il mentait.
Sous son personnage de patriote aveuglément dévoué à la gloire de l'URSS, se cachait un idéologue déçu de ne pas voir advenir, plus de soixante-dix ans après la Révolution, une société dépourvue de classes et de lutte des classes.
L'avion atterrit sans heurt. Il se leva et sortit en silence, laissant sans regret deux petites flaques écarlates en contre-bas des accoudoirs de son fauteuils. Une trace irrévérencieuse de son passage, une vengeance ou un défi à ceux qui croyaient le contrôler.
Le jeune stewart qui était venu le chercher lui proposa d'éponger ses mains. Zangief tourna vers lui un visage figé. Il n'eut pas besoin de plus, et l'autre s'inclina en reculant prudemment. La barbe drue du catcheur accentuait l'angulation de sa mâchoire, renforçant l'agressivité de sa physionomie. Même en dormant à poing fermé, Zangief aurait fait peur à la mort.
« Et pourtant je n'ai rien contre toi, mon garçon, s'excusa-t-il mentalement. Mais je dois me battre contre des choses qui nous dépassent... »
Le colosse soviétique pénétra le premier sur le terrain du combat qui s'annonçait, et qui n'était autre que la piste de décollage d'une base de l'U.S. Air Force. La lumière rasante du soleil couchant jouait avec le galbe de ses muscles, dessinant des ombres menaçantes, promesses d'une force légendaire. Quelques applaudissements seulement accompagnèrent son entrée. Il ne s'attendait pas à mieux, conscient qu'il combattait à l'étranger, aux Etats-Unis de surcroît. Si le Street Fighter World Warrior, le plus grand tournois de sport de combat libre, était un événement de premier ordre, les tensions diplomatiques entre l'URSS et les Américains imposaient que la délégation soviétique fut réduite à un minimum qu'on aurait qualifié de syndical dans le monde capitaliste.
L'ovation fut en revanche d'une toute autre ampleur lorsque le Colonel Guile débarqua, avec ses cheveux blonds gominés dressés sur la tête et ses tatouages du stars and stripes encrés sur les épaules. Il faut dire qu'il était chez lui, et l'essentiel des spectateurs était constitué par les pilotes de l'armée américaine aux lunettes noires, accompagnés ça et là par une pin-up en uniforme. Des Yankee pur jus, du genre à se féliciter d'avoir aboli l'esclavage. « Mais la liberté, dans une société capitaliste, est à peu près de la même nature que dans les républiques de la Rome et de la Grèce antiques. C'est une liberté pour des propriétaires d'esclaves ». Un sourire au coin, Zangief se remémora cet enseignement du camarade Lénine.
En face, le héros (auto-proclamé) du monde (autoproclamé) libre se méprit sur la nature de ce sourire. Il s'imagina le catcheur sûr de lui, prêt à foncer en baissant sa garde. Guile fit ainsi mine de laisser une ouverture alors que depuis un haut-parleur une voix rauque annonça l'ouverture des hostilités par péremptoire « Fight ! »
Mais Zangief ne réagit pas pour autant. Il avait mis ses mains en garde, à hauteur de visage, et observait le sang qui les maculait.
Déçu, le Colonel s'approcha tout en feintant et donnant de petits coups de poings, plutôt pour énerver son adversaire que pour chercher à l'atteindre. Et cependant le soviétique restait de marbre. Il avait appris la maîtrise de soi à force d'encaisser les railleries sur sa patrie, et, plus grave à ses yeux, sur son idéologie. « Staline, Staline ! » entendait-il parfois ricaner sur son passage, lorsqu'il se rendait à l'étranger pour exercer son art. Bien sûr, il ne prenait jamais la peine de répondre. « Ah les cons, pensait-il. Tout ce qu'il y avait à dire sur Staline a déjà été dit au cinquième siècle de notre ère, par un certain Platon, dans son ouvrage La République, chapitre sur le tyran. »
Sortant de ses pensées, il allongea brusquement son bras droit et colla une beigne prodigieuse dans la face du Colonel qui n'avait rien vu venir. Son nez craqua et une traînée rouge vive stria sa lèvre supérieure.
Zangief souhaitait sincèrement ne pas en vouloir aux imbéciles pour leur ignorance. À ceux qui lui expliquait que l'égalité salariale était une mauvaise idée, il espérait pouvoir leur faire comprendre que le communisme n'était pas l'égalité salariale, mais l'abolition du salariat.
D'une puissant gauche, le catcheur enfonça l'arcade droite de son adversaire, tout en hurlant : « l'abolition du salariat, bordel ! »
Guile ne comprit pas d'où sortaient les mots de Zangief, mais il admit l'avoir sous estimé. Imprégné du goût du sang qui coulait jusqu'à ses lèvres, et à demi aveuglé par l'hémorragie de son orbite, il préféra mettre un peu de distance et attaqua avec ses pieds. Il toucha plusieurs fois aux épaules le Soviétique, dont le regard paraissait étrangement absent.
On lui avait même dit que « le communisme, c'est bien en théorie, mais en pratique ça ne marche pas ! »
Bloquant la jambe du Colonel, à la suite d'un coup qui ne l'avait pas plus affecté que les précédents, Zangief souleva par dessus lui l'infortuné G.I. avant de le projeter au sol en retombant de tout son poids sur le dos. Il cria alors de toute sa force : « Mais comment peut-on oser proférer des conneries pareilles ? » Il savait bien que Marx, s'inscrivant dans une démarche scientifique rigoureuse pour tenter de proposer une théorie de l'Histoire, se retournerait dans sa tombe à l'idée que l'on puisse considérer comme valide une théorie si l'expérience qui devait la démontrer était fausse.
« Comment leur en vouloir ? se questionna Zangief, en regardant son adversaire resté à terre et qui portait ses mains à son visage commotionné. Il croit que Kennedy est sorti triomphant de la crise de Cuba, alors peut-il seulement avoir entendu parlé de la onzième thèse sur Feuerbach ? » S'élançant vers son concurrent, il sauta les deux genoux repliés, puis retomba de toute sa masse sur les côtes de Guile. Un craquement lugubre fut suivi d'une toux humide, qui projeta quelques gouttelettes noirâtres sur le tarmac.
Zangief se releva. Il n'avait tiré aucune satisfaction de ce coup critique. Il n'en avait tiré aucune satisfaction car ce n'était pas aux Américains qu'il en voulait le plus, mais à ses propres dirigeants, qui n'avaient cessé de se détourner du socialisme scientifique. Toutefois, pour le plus grand malheur de Guile, ce ne pouvait être que contre ce dernier que Zangief déchargerait sa frustration.
Le mastodonte donna un coup de pied dans le Colonel toujours allongé. Un peu de sang sorti de nouveau de sa bouche.
« Vous savez quoi ? Hein ? Vous savez quoi ? » hurla le Soviétique aux spectateurs qui ne comprenaient rien à la situation. « Je vais vous dire, moi, ce qui ne va pas, bordel ! »
Tandis que Zangief se détournait de lui et s’éloignait, Guile se releva péniblement. Il s'apprêtait à contre-attaquer, pensant que le catcheur le croyait encore au sol. En vérité Zangief avait simplement pris de l'élan, et fondit sur l'Américain les bras tendus à l'horizontale, en tournoyant tel une toupie.
« La vérité, c'est qu'il n'y a aucun putain de rapport entre la onzième thèse sur Feuerbach et l'invasion de l'Afghanistan ! » Le cri de Zangief déchira l'air juste avant que ses poings ne heurtent la face de Guile à cinq reprises. À chaque impact, un craquement se fit entendre, tandis qu'une gerbe de sang se projetait en retour sur le soviétique.
Crac ! « Aucun ! » Crac ! « Putain ! » Crac ! « De ! » Crac « Rapport ! » Crac !
Guile s'étala quelques mètres plus loin, et Zangief s'autorisa à reprendre son souffle. De nouveau, il contempla ses mains ensanglantées. Mais cette fois-ci le sang de son adversaire se mêlait au sien.
« Nous voilà frères de sang, songea-t-il ironiquement. Nous que tout sépare. Et qui de nous deux voit le vrai, après tout ? Ne peut-on pas faire des reproches à la pensée de Marx ? »
Lentement, au prix d'un effort surhumain, le Colonel de l'US Air Force se releva.
« Une pensée qui, pour révolutionnaire qu'elle fut, s'inscrivait pourtant dans les grands paradigmes de son époques : évolutionniste, elle considérait que l'Humanité devait nécessairement passer par plusieurs stades de développement, depuis l'état « sauvage » jusqu'à une société industrialisée, » poursuivit cette fois à voix haute Zangief, toisant du regard les spectateurs américains déconfits par la débâcle de leur champion.
« Positiviste, elle impliquait que la science pouvait permettre d'appréhender le monde dans sa totalité. Optimiste, elle croyait que la prochaine étape de l'évolution de la société serait plus propice à l'épanouissement de l'Homme. »
Cette fois, il dévisagea les membres de la délégation soviétique.
« Évolutionnisme, positivisme et optimisme étaient trois courant de pensée produits par la conjoncture de la Révolution industrielle et de l'accroissement exponentielles des découvertes technologiques, combinée à l'expansion coloniale et la rencontre violente avec d'autres peuples militairement inférieurs. »
Zangief aperçu Guile du coin de l’œil qui tentait une ultime approche. Il lui refusa l'initiative et le saisit, avant de s'élancer dans les airs en tournoyant.
« Ce qui voulait dire que la pensée marxiste, celle du matérialisme historique, que Marx résumait lui-même ainsi « ce n'est pas la conscience des Hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leurs conditions matérielles d'existence qui déterminent leur conscience », cette pensée-la, donc, avait été matériellement déterminée. » Tout en tournant et tournant encore sur lui-même, à une hauteur où l'on ne l'aurait jamais imaginé au vue de sa masse, le catcheur retourna son opposant et coinça sa tête en ses cuisses.
« Le concept de matérialisme historique avait été historiquement déterminé. » Contemplant la beauté formelle de cette auto-démonstration, Zangief se laissa retomber sur le sol, sans prendre conscience que la nuque de son adversaire se brisait, mettant fin au combat.
Un murmure lointain lui parvint progressivement.
Il mit un certain à comprendre qu'il s'agissait des acclamations de sa délégation. Il se releva alors, et découvrant tristement que le cadavre de Guile baignait dans une marre écarlate, et que ses mains étaient souillées de la même couleur.
Trotsky avait maté la rébellion des marins de Kronstadt, pourtant des piliers de la Révolution. Puis Staline avait assassiné Trotsky. Et Khroutchev avait renié l'héritage de Staline, dénonçant son autoritarisme avant d'écraser, la même année, la révolte hongroise. Les uns après les autres, les dirigeants se succédaient, contre-disant leur prédécesseurs, se contre-disant eux-mêmes. Qu'est-ce qui faisait l'unité du monde soviétique ? Quel projet politique rassemblait aujourd'hui sa patrie ?
Il venait de vaincre un Américain. Voilà le projet pour se déclarer un peuple : en écraser un autre.
À quel moment la haine était-elle devenue une force plus fédératrice que l'amour ?
Zangief tomba à genou, comme plaqué par un poids qu'il ne pouvait plus supporter. Non, il n'avait pas gagné ce soir. Personne n'avait gagné.
Il se remémora cette phrase par laquelle Marx concluait sa onzième thèse sur Feuerbach : "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières ; ce qui importe, c'est de le transformer." Or, il le constatait amèrement, la philosophie avait échoué à transformer le monde.
Une goutte se forma sur son visage.
Tour à tour, elle prit la teinte violacée de ses cernes, le pâle de sa joue, le brun de sa moustache. Il voulut l'essuyer et elle se dilua dans le rouge qui maculait ses mains.
Une larme dans une marre de sang.
« C'était cela, se dit Zangief, juste une larme dans une marre de sang. »
Post-scriptum :
Je trouve la coiffure de Guile vraiment insupportable, néanmoins je reconnais qu'il ne méritait pas un tel déchaînement de violence.
Malgré son slip rouge ridicule, Zangief reste mon personnage préféré de Street Fighter. J'ai pris certaines libertés avec lui dans ma fiction, il n'est dans le jeu qu'une brute épaisse patriotique et ne se soucie pas de philosophie. Toutefois ses attaques sont ses authentiques techniques spéciales de combat issues du jeu. J'avoue que quand je joue à Street Fighter j’appuie sur les touches un peu au hasard et je suis content quand ça déclenche une attaque puissante.