On a connu l'Enfer ensemble...

Chapitre 1 : On a connu l'Enfer ensemble...

Chapitre final

5550 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/03/2020 08:12

C’était une nuit sombre et orageuse ; la pluie tombait à torrents – sauf par intervalles occasionnels, lorsqu’elle était rabattue par un violent coup de vent qui balayait les rues, crépitant le long des toits, et agitant violemment les maigres flammes des lampes qui luttaient contre l’obscurité.


NOUS avancions malgré cette pluie et malgré ce vent, Thomas Everett et moi. Nous marchions d'un même pas. Je sentais que quelque chose le tourmentait et que les flammes des bougies, rendues nécessaires par le black-out, qui chancelaient derrière les vitres des fenêtres n'étaient pas les seules à s'agiter. Son esprit aussi. Je le sentais vaciller à chaque éclair, trembler à chaque coup de tonnerre. Une seule pensée le remplissait et je l'entendais hurler, encore terrorisé de ce que nous avions vécu ensemble :

"Plus jamais... plus jamais... plus jamais !"

Je m'arrêtai au bord d'un trottoir, sous cette pluie battante, le forçant à faire pareil. L'eau qui nous ruisselait sur l'échine était tiède mais elle nous semblait glacée en comparaison à la chaleur étouffante à laquelle nous avions réchappé une heure plus tôt.

J'avisai un banc, plus ou moins abrité par un pan de mur et un toit de tôle ondulée et je m'y dirigeai avec Thomas, laissant le flot des souvenirs lui remonter en mémoire : c'était sur ce banc que nous nous étions parlé, la toute première fois.


C'était il y a cinq mois.(1)

Il venait de perdre sa femme d'un cancer et s'était assis là pour prier. Je m'étais approché, attiré par ce geste, si inhabituel chez lui hors de chez lui ou d'un lieu consacré. L'église était toute proche mais il ne se sentait pas la force d'y aller et d'y entrer pour le moment. Il pensait que sa foi allait disparaître pour céder la place à sa douleur et à son deuil. C'étaient là les premiers mots de sa prière. Alors j'étais venu pour le soutenir dans son épreuve et avait tenté de lui insuffler un peu de courage. Il m'avait entendu quand j'avais joint ma prière à la sienne, assis près de lui.


Les yeux toujours fermés, il m'avait demandé d'une voix triste :

"Qui es-tu ?"

J'avais simplement répondu par mon nom :

"Castiel..."

"Drôle de nom !" Il avait ouvert les yeux et avait regardé dans ma direction avant de se figer et de me dire d'une voix étrange "Ce ne serait pas Casper, plutôt ?"

"Non, c'est bien Castiel... Et je ne comprends pas cette référence…(2) Qui est ce Casper ?"

"Un fantôme de dessin animé. Emily... C'est ma fille, elle a vingt-deux ans maintenant, et petite, elle adorait le personnage de ce gentil fantôme."

"Je ne suis pas un fantôme... Je suis un ange du Seigneur…(3) Et les fantômes ne sont pas gentils, ni méchants, en fait... Mais ils tournent mal, généralement. Je crois que c'est de ne plus pouvoir communiquer avec les vivants qui les rend ainsi. Ça, et le fait d’être coincé dans le voile entre le monde terrestre et le monde céleste. Mais pourquoi penses-tu que je suis un fantôme ?"

"Pourquoi ?" Je hochai la tête. "Parce que tu es invisible !"


Ainsi il m'entendait mais ne me voyait pas... Je restais pensif un instant, le temps d'assimiler ce détail. C'était la première fois qu'un de mes véhicules (4) potentiels m'entendait sans me voir. C'était habituellement l'inverse qui se produisait, dans mon cas. Un autre de mes véhicules, que j’avais quittée (5) quelques années auparavant, m’avait même affirmé, au tout début de notre partage de corps, que non seulement ma lumière l’avait aveuglée mais que ma voix ressemblait à un sifflement suraigu et très désagréable. Depuis, j’essaie toujours de m’adresser aux humains en chuchotant quand je suis sous ma vraie forme, pour ne pas les blesser inutilement.

Soudain, la véhémence des paroles de Thomas me frappa de plein fouet, me ramenant au présent.

"Plus jamais, tu m'entends, Castiel ! Je ne veux plus jamais que tu m'emmènes là-bas ! Jamais, jamais, jamais ! Toute cette souffrance, tous ces gens torturés, je ne pourrais jamais oublier leurs cris de désespoir. J'espère que Myriam n'était pas parmi eux."

"Est-ce que tu l'as vue ?" lui demandai-je.

"Non ! Je te dis que j'espère qu'elle n'était pas là-bas..."

"Ta femme n'y était pas, je t'assure."

"Qu'est-ce que t'en sais ?" me demanda-t-il sans réfléchir une seconde avant d'ajouter, amer. "Tu ne l'as jamais rencontrée."

"Non, je ne l'ai pas rencontrée à l'époque où elle vivait avec toi. Mais je la connais, et je sais où elle est. Et tu le sais aussi."


Je sentais qu'il avait besoin de me faire face, à moi, son hôte. Tout en restant vigilant à ce qui nous entourait, je m'asseyais avant de le rejoindre au cœur de ses pensées. Nous étions dans la cuisine, chez lui. Il me tournait le dos, assis, occupé à regarder un objet posé devant lui sur la table. Je m’approchais. Il observait avec une grande concentration un mug de café fumer. Je l’appelai.

“Thomas ?” 

Il se tourna vivement, sursauta et se détourna de nouveau.

“Castiel, si tu veux me parler, change de tête !”

“Je ne peux pas. C’est la t…”

Il se leva brusquement, se retourna vers moi et, frappant mon torse de son index, il m’interrompit en hurlant et en évitant soigneusement de me regarder.

“C’est MA tête, Castiel ! La mienne !! Je ne veux pas te voir te payer littéralement ma tête, tu m’entends ?”

“J’ignore combien coûte ta tête, Thomas, je ne l’ai pas achetée.(6) Tu sais que je ne suis pas très à l’aise avec vos concepts et vos valeurs. J’ai même du mal à comprendre vos expressions, certaines fois.” Il leva les yeux vers le plafond et, je l’imitais quelques instants, cherchant en vain à voir ce qui avait attiré son regard puis, le regardant à nouveau, je continuai “Mais, si je n’utilise pas ton apparence pour t’apparaître, tu ne me vois pas alors je n’ai pas d’autre choix. Je n’aime pas trop que tu me compares à ce fantôme que ta fille affectionne.”

Il soupira.

“D’accord, garde ma trombine pour le moment, si ça te chante. Mais il faut qu’on parle un moment. De Myriam et d’Emily, mais pas seulement…” J’avais l’impression bizarre que ces trois derniers mots cachaient une menace. Il continua “Tu es sûr, pour ma femme ? Elle est… là-haut ?” me demanda-t-il en pointant l’index vers le plafond. 

Je compris qu’il ne parlait pas du grenier de sa maison mais de quelque chose de plus haut, vraiment plus haut… Qu’il parlait de cet endroit que j’appelais “chez moi” : le Paradis. Je vins m’asseoir face à lui et je hochai la tête. SA tête...

“Rappelles-toi ce que je t’ai promis, quand nous sous sommes rencontrés. Je t’ai donné ma parole que vous seriez réunis, quand tu mourras à ton tour. Ça faisait partie de notre accord quand tu m’as autorisé à utiliser ton corps pour me mêler à vous.”

“Et si j’étais mort là-bas, hein ? T'y as pensé, à ça ? Qu’est-ce que tu aurais fait, si j’étais mort là-bas ?”

“Rien…”

“Oui, exactement, et je serai resté coincé dans cet endroit horrible pour combien de temps avant que tu penses à venir m’y chercher ?”

“Je ne serai pas venu t’y chercher… Je n’aurais pas pu le faire.” Il me regarde, un air de reproche à peine voilé sur le visage. Je continue “Je serai mort moi aussi, si tu étais mort en bas. Au même moment, probablement. Ou alors un autre aurait fait pour moi ce que j’ai dû faire pour mon propre lieutenant quand les démons ont tué son véhicule et l’ont capturée…”

Je m’interromps en réalisant que Thomas est choqué par mes paroles. Pourtant, il était là et sait ce que j’ai fait pour elle. Avant notre raid, nous nous étions tous promis que nous ne nous laisserions pas capturer vivants les uns aux autres. Si l’un de nous était pris, les autres devaient faire tout leur possible pour ne pas le laisser là-bas, quitte à le tuer pour lui éviter des tortures éternelles. Je n’avais pas eu le choix.

“Son véhicule !? Et est-ce que c'est aussi ce que je suis pour toi ? Un simple véhicule ? Je suis quoi comme véhicule, moi ? Une Cadillac pimpante ou un vélo rouillé ?”

“Tu es vexé d'être mon véhicule ?” J'étais surpris. En quoi était-ce mal d'être mon véhicule ? J'aurais compris qu'il n'apprécie pas de voir son corps être utilisé par un démon. Il ne doit pas y avoir grand chose de pire que ça dans toute la création de mon père. Mais un ange ? Il avait souvent prié pour être utile à Dieu, à l'époque où sa femme vivait encore. Et il me le reprochait, maintenant ? Ça n'avait aucun sens...

“Vexé ? Non, pas le moins du monde !” Je soupire de soulagement et il reprend “Tu viens juste de me dire que je ne suis qu’un moyen de transport, pour toi… Il n’y a pas de quoi être vexé, hein ?!” J’ai l'impression qu’il est sarcastique… Et je ne comprends encore moins. “Est-ce que tu aimerais qu’on te dise que tu n’es qu’un vulgaire objet ? Imagine que quelqu’un te dise un jour que tu es… je ne sais pas, moi… un marteau, par exemple et que tu ne sers qu’à taper sur des clous ! (7) Tu crois que tu aimerais ça ?”


Thomas s’est tu, comme pour me laisser le temps de digérer sa diatribe et de trouver la réponse à sa question. Alors je prends le temps de réfléchir. Est-ce que j’aimerais être un objet, un outil. Dans un premier temps, j’aurais tendance à répondre que ‘oui’, car un objet n’a pas de doute, pas de crainte, pas d’espoirs. Il fait ce pour quoi il est fait, ce qu’on lui fait faire. Il n’a aucune objection, non plus. Et puis, en tant qu’ange, que suis-je d’autre qu’un soldat à qui on donne des ordres et qui les exécute, qui obéit, en faisant de son mieux pour ne pas échouer et pour le faire sans état d’âme. Mes frères et moi sommes des combattants et des messagers, rien de plus. Nous sommes tous remplaçables par un autre ange tout aussi capable d’obéir que nous-même.

Soudain, je réalise que je suis, que nous SOMMES, des outils… et que je n’aime pas du tout ça. Je n’aime pas qu’on m’utilise, même si j’aime être utile à mes semblables et à l’Humanité. J’ai, pour la première fois de mon existence, envie d’avoir le choix entre deux solutions, envie de pouvoir faire le mauvais choix, tant que c’est le mien. Je tente de me raisonner, de ne pas me laisser envahir par le doute… en vain. J’aime obéir aux ordres qui me semblent logiques.

Je finis par murmurer :

“Non, Je n’aimerais pas être seulement un objet. Je préfère être ce que je suis, un soldat qui fait de son mieux pour gagner les batailles dans lesquelles il s’engage. Et pour protéger ceux qui l’accompagnent. J’ai fait tout ce que je pouvais pour t’éviter d’être blessé au combat, parce que je t’apprécie. Tu es précieux à mes yeux, même si je te désigne comme mon véhicule. Je n’ai pas envie de te faire souffrir. Tu mérites ma gratitude et je l’ai oublié. Sans toi, j’aurais été incapable de sauver cet homme.”


“Ah oui ? Ça tombe bien que tu en parles, parce que c’était l’autre sujet dont je voulais discuter avec toi… Ce gars qu’on est aller chercher, c’était qui ?”

“Il s’appelle Dean, Dean Winchester… Il est... important pour nous. C’est le véhicule potentiel d’un archange. Le plus puissant de ses véhicules potentiels, en fait. Pourquoi est-ce que tu voulais le savoir ?”

“Oh, eh bien, c’est à cause d’un truc que tu m’as dit, à la mort de ma femme. Tu m’as dit que, je te cite, ‘personne ne pouvait revenir d’entre les morts et que vous ne feriez pas d’exception pour elle’. Je me demandais pourquoi, pour ce gars-là, vous en aviez fait une. Si c’était une sorte de saint homme qui avait été tué avant son heure.”

“Non, Dean n’est pas un saint… Bien au contraire. C’est un Chasseur. Et c’est aussi un homme, un soldat, qui sait suivre les ordres, et qui saura aussi, je l’espère, en donner quand le moment viendra. J’ai obéi à l’ordre d’aller le chercher en-bas à cause de cet espoir.”

“D’accord, j’ai compris, tu l’aimes bien… Mais ce qui me chagrine, c’est que, s’il était mort, quel droit aviez-vous de le faire revivre ? Pourquoi ne pas avoir fait en sorte qu’il ne meurt pas, au départ ?”

“Je n’en suis pas certain, mais je pense que, si l’ordre n’est venu qu’après sa mort, c’est qu'elle était nécessaire à quelque chose. Peut-être même que c’est ce qui le rend si puissant comme véhicule potentiel. Peut-être que le fait d’avoir été torturé en Enfer le rend spécial… Avec ce qu’il a vécu, il ne souhaitera certainement pas que d’autres connaissent ce qu’il a subi pendant son séjour là-bas.”

“Est-ce que tu peux me promettre que nous ne retournerons jamais là-bas ? Parce que j’ai vraiment peur à l’idée de me retrouver dans cet endroit. Il est trop… horrible ! Je t’en prie Castiel, promets-le moi.”


Je baisse les yeux et reste un moment silencieux, ne sachant pas si je dois lui faire une promesse dont je sais qu’elle peut être un mensonge avec la mission qui va être la mienne à présent. Secouant la tête en signe de dénégation, j’avoue mon incapacité à lui promettre une telle chose.

“Je suis désolé, Thomas. Je ne peux pas. Je refuse de te mentir et je n’ai aucune certitude de pouvoir tenir la promesse que tu me demandes de faire. Je vais devoir veiller sur Dean et son frère, et ces deux-là ont une nette tendance à se mettre dans des situations difficiles. Je risque de devoir retourner en chercher un des deux en Enfer. Est-ce que tu veux mettre fin à notre relation, à notre accord ?”

Au fond, je crains qu’il me réponde par l’affirmative. Principalement parce que je sais la difficulté que j’ai à convaincre mes véhicules de partager leur corps avec moi, généralement. Toutes les étapes par lesquelles il me faut passer pour vérifier qu’ils sont prêts à m’accueillir me semblent plus fastidieuses que nécessaires. Et j'ai dû les faire passer à Thomas il y a quelques mois à peine. Et quand, tout aussi silencieux que moi, il hoche la tête, je suis déçu mais c'est son choix et je le respecterai, quoi qu'il m'en coûte.

“C'est moi qui suis désolé, Castiel. Tu es un homme bien... Enfin, je veux dire ‘Tu es quelqu'un de bien...’. Dis-moi... Qu'est-ce qui va se passer, maintenant ?”

“Ce qui va se passer ? Et bien, je vais te laisser vivre ta vie... Je n'ai pas le choix. Puisque tu ne veux plus partager ton corps avec moi, je dois partir.”

“Tu vas me manquer, Castiel. J'aimais bien discuter avec toi. Est-ce que je peux te demander un petit service avant que tu partes ?”

“Quoi donc ?” lui demandè-je.

“Est-ce que tu pourrais effacer ces horreurs de ma mémoire. Seulement les dernières heures. Je ne veux pas risquer de faire des cauchemars à cause de ce que j'ai vu de l'Enfer, tu comprends ?”

Je hoche une dernière fois sa tête. Bien sûr que je comprends. Ce que nous avons vécu en-bas était éprouvant, même pour un soldat surentraîné comme moi. Je touche donc son visage, vidant sa mémoire récente de toute trace de notre combat et des raisons pour lesquelles nous l'avons mené, avant de disparaître et de le laisser seul, assis sur ce banc où nous nous sommes rencontrés, il y a cinq mois.



***


Le lendemain matin


Je ne suis pas si loin que ça de l'endroit où j'ai rattaché l'âme de Dean à son corps, alors je tente de les retrouver. La tombe est vide. Il en est donc sorti indemne. Il a laissé des traces, légères, mais suffisantes pour moi. Je les suis jusqu'à un bâtiment. Je m'approche et l'aperçois à l'intérieur.

“Dean Winchester... Tu m'entends ?” Il semble souffrir et ça m'inquiète. “Dean ?” Involontairement, j'ai crié son nom et je le vois qui se couvre les oreilles et se baisse près du sol. La vitrine du magasin n'a pas supporté la puissance de ma voix et a explosé. Comme il y a un poste de télévision près de lui, je l'allume. Je sais par expérience que, lorsque un de mes véhicules potentiels ne m'entend pas clairement, passer par le filtre d'un appareil électronique peut baisser la fréquence de ma voix suffisamment pour permettre la communication. Je lui parle donc à travers le poste.

“Dean ? Est-ce que tu m'entends mieux, maintenant ?”

J'ai à peine eu le temps de prononcer cette phrase qu'il a éteint le poste. Alors, comme il ne m'a pas répondu, je le rallume. Il faut que j'arrive à communiquer avec lui ! Malheureusement pour moi, son entraînement de Chasseur le pousse a éteindre une seconde fois le seul moyen de communication qui pourrait protéger ses tympans. Je hurle de dépit.

“Dean, bon sang, arrête d'éteindre ce truc ! J'en ai besoin pour te parler !”


Autour de lui, les murs tremblent. Il sort, visiblement au bord de la panique. Il faut que je trouve de toute urgence un nouveau véhicule pour lui parler de vive voix. Je me concentre un instant à la recherche de celui qui est le plus proche. Il y en a un dans la ville voisine, la même ville où j’ai laissé Thomas hier soir. C'est un homme pieux. Je vais aller lui parler...

Lorsque j'arrive près de lui, la première personne que je croise est une jeune fille aux cheveux longs et blonds, assise sur les marches devant la maison, un livre avec des images sur les genoux. Je regarde plus attentivement l'objet de son attention, intrigué. Sur l'une des images de la page de gauche, on voit un petit personnage blond avec un pantalon rouge et un haut noir qui parle à un autre, un géant roux qui marche un peu en retrait et porte pour seul vêtement un pantalon rayé bleu et blanc retenu par une large ceinture. Le géant porte dans son dos ce qui semble être une énorme pierre, taillée en goutte. Il doit être supérieurement fort. La première pensée qui me vient à l'esprit à propos de ce géant est que, au vu de sa force, il doit s'agir d'un néphilim. (8) Une voix de femme appelle de l'intérieur.

“Claire, tu rentres, on mange dans dix minutes.”

Sans un mot, elle se lève et pénètre dans la maison. Je la suis. Celui que je viens voir, à qui je dois parler est là, assis sur un siège et il lit la Bible. Une saine lecture à mes yeux, plus que celle de l'adolescente, sa fille, avec ses histoires de nephilim dessiné sur papier. Son père la regarde, d'un œil bienveillant, monter les escaliers et ferme le Livre qu'il tient respectueusement. Il s'appelle Jimmy Novak et je sais déjà tout ce que j'ai besoin de connaître de lui pour le convaincre d'être mon nouveau véhicule.


Quelques jours plus tard...

Dean a fait appel à une voyante pour découvrir le nom du ‘démon’ qui l'a ramené à la vie. Et celle-ci a trouvé le moyen de me forcer à lui montrer ma véritable apparence... J'ai pourtant essayé de la protéger, mais elle a refusé de céder quand je lui ai dit qu'il ne fallait pas qu'elle voit mon visage et qu'elle allait souffrir si je le lui montrais. Elle a insisté, peu impressionnée par ce qu'elle a appelé des ‘menaces’. Je voulais simplement éviter de la blesser... Pourtant, elle est devenue aveugle, les yeux brûlés par l'éclat de mon aura énergétique.

Un peu plus tard, j'ai essayé une fois encore, de contacter Dean directement, dans sa chambre d'hôtel, en vain, je n'ai fait que lui faire mal aux oreilles... et briser une vitre de la fenêtre et un miroir au plafond de la chambre. Pourquoi était-il placé là ? Je n'en vois pas l'intérêt...

Et maintenant, Dean et l'autre Chasseur, un dénommé Bobby Singer, me convoquent dans un hangar. Mais cette fois, Jimmy m'accompagne. Il a une dizaine d'années de moins que Thomas et je sens la différence de vigueur entre eux. J'agite l'air autour de moi de quelques coups d'ailes pour impressionner un peu l'aîné des Winchester et son ami, et me voilà à quelques mètres de la porte. J'avance, l'ouvrant à distance, histoire de leur faire savoir qu'ils vont se trouver face à un adversaire puissant, s'ils souhaitent me combattre au lieu de m'écouter. Je pénètre calmement dans le hangar, entrant et ressortant du piège à démons tracé au sol. Je suis surpris de voir qu'ils ont même essayé des sceaux en énochien, mais ceux-ci comportent des fautes d'orthographe grossières, notamment sur mon nom, qui les empêche de fonctionner. Tandis que j'approche d'eux, les deux hommes me vident leurs chargeurs dessus. Jimmy a peur, je le sens, mais il me fait suffisamment confiance pour avancer. Les projectiles contiennent du sel, apparemment, mais non, je ne suis pas un fantôme. Je protège mon véhicule de mon mieux, sans parvenir à éviter les accrocs sur son imperméable, sa veste et sa chemise. Tant pis...

“Mais qui es-tu ?” me questionne Dean.

Il connaît mon nom, puisqu'il m'a convoqué en l'utilisant. Je lui réponds donc :

“C'est moi qui t'ai ramené de là où tu étais et t'ai sauvé de la perdition.”

C'est sans doute ce qu'il voulait savoir puisqu'il me remercie... avant de planter la lame du couteau anti-démon directement dans le cœur de Jimmy, qui crie, plus de surprise que de douleur. Pourtant, même si nous l'avons tous les deux sentie s'enfoncer, je n'en éprouve qu'une légère gêne du côté gauche. Elle n'a visiblement pas eu l'effet auquel l'aîné des Winchester s'attendait et, quand il me voit la retirer de la blessure, je ne sais pas ce qui le met le plus mal à l'aise : la quasi-absence de sang autour de la blessure ou l'idée d'avoir donné une arme mortelle à une entité puissante et dont il ignore les intentions. J'ai envie de sourire mais je me contente de laisser l'arme tomber au sol. Peut-être que là, il comprendra que je suis de son côté...

Il regarde l'autre Chasseur, qui tente de m'attaquer par derrière avec un pied-de-biche. Je déteste qu'on fasse ça, alors j'empoigne son arme et je le force à l'inconscience. Je n'ai pas envie qu'il soit blessé. Je n'aime pas faire souffrir les humains et j'ai dû en blesser et en tuer plusieurs ces derniers jours, essentiellement les hôtes de démons. Mes premières victimes de guerre entièrement humaines depuis longtemps et les toutes premières de Jimmy qui m'a fait des reproches, me rappelant le Commandement divin qui interdit de tuer. Je lui ai expliqué que l'âme de ces gens était directement envoyée au Paradis, tant qu'ils n'étaient pas des hôtes volontaires et je lui ai montré le vrai visage de ceux que j'affrontais, durant une seconde. Il a compris que je n'avais pas le choix. Malgré tout, je lui ai promis d’éviter de tuer si je le pouvais… Même s’il s’agissait d’un démon, tant que celui-ci ne m'attaquait pas. Les humains ont parfois de drôles d’idées. Je ne vois pas pourquoi un de mes ennemis verrait un intérêt à ne pas me tuer… si ce n’est pour me torturer. Je suis donc certain de ne jamais avoir à éviter de tuer l’un d’eux. (9)

Je tente une nouvelle approche avec Dean.

“On doit discuter” lui dis-je, avant de jeter un coup d'œil à l'homme que j'ai mis à terre. Je veux vraiment qu'il sache que je ne leur veux aucun mal, à l'un ou à l'autre. “Seuls !”

En attendant qu'il décide de ce qu'il veut faire, je me retourne et me dirige vers la table et je feuillette le livre qui leur a servi à m'invoquer, et à tracer certains sceaux de protection au tracé imprécis... La faute du sceau en énochien est présente dans ce livre. C'est pour cela qu'ils ont utilisé un mauvais tracé pour l'initiale de mon nom. Dès que je me suis éloigné d'eux, Dean s'est approché de son ami, sans doute pour s'assurer que je ne l'avais pas tué. Il ne me fait pas confiance, et j'aimerai savoir pourquoi. Mais cela doit venir de lui, alors j'attends qu'il parle, ne concédant qu'une seule phrase que j'espère rassurante :

“Ton ami est vivant.”

“Mais... Qui es-tu ?”

La question habituelle, celle de mon nom. Puisqu'il me le demande enfin, je lui répond.

“Castiel.”

“Oui, ça j'avais compris ! Dis-moi ce que tu es !”

Quoi ? Il l'ignore ? Après que je lui ai dit ce que j'avais fait pour lui, après ce que j'ai fait devant lui ces dernières minutes, après que je lui ai dit mon nom, il ignore encore ma nature ! Comment est-ce possible ? Je suis pourtant visible. Mais s'il a besoin qu'on lui dise alors...

“Je suis un ange du Seigneur.”

Ce qu'il me dit ensuite, tout en se relevant, me blesse profondément, mais je comprends enfin pourquoi il n'a pas deviné ce que j'étais.

“Les anges n'existent pas ! Alors fiche le camp d'ici.”

Il y a une certaine animosité qui émane soudain de lui. Il faut que je lui montre clairement que les anges existent bien... Et que j'en suis un !

“C'est ça ton problème, Dean... Tu n'as pas la foi !”

J'ai besoin de lumière, mais, comme je me suis amusé un peu plus tôt à faire fondre les filaments de pratiquement toutes les ampoules du hangar, un ou deux éclairs me seront utiles pour montrer au Chasseur ce que je cache dans mon dos... Je déploie mes ailes devant lui. Je vois dans son regard qu'il me croit enfin. Pourtant, il ne me fait pas encore confiance, loin s'en faut.

“Tu parles d'un ange ! Pourquoi tu as brûlé les yeux de cette pauvre femme ?”

Je n'avais pas besoin de ses reproches, sur ce point. Je m'en veux déjà assez comme ça... Alors je lui explique. Je lui dis que j'ai essayé de la protéger, de la raisonner. Je lui dis aussi que je tente de communiquer avec lui en vain depuis plusieurs jours. Et je vois qu'il commence à comprendre. Pourtant, il me pose une autre question à laquelle je ne m'attendais pas. Celle de savoir à qui appartient le corps que j'utilise. Je lui répond qu'il s'agit d'un homme pieux qui me sert de véhicule. Heureusement, cette fois, j'ai pris la précaution de dire à Jimmy que c'est ainsi que je parlerai de lui. Je ne tiens pas à connaître avec lui la même crise qu'avec Thomas. Mais Dean ne me crois pas. Il pense sans doute que, comme les démons, j'habite le corps d'un homme sans son accord. Mais les anges en sont incapables. Ils ne peuvent demeurer que dans un véhicule volontaire ou inconscient et c'est la raison pour laquelle j'ai quitté le corps de Thomas.


“Et pourquoi un ange me ramènerai de l'Enfer ?” - me demande-t-il soudain.

“La vie réserve aussi de belle choses.”

“Pas d'après mon expérience.”

“Mais comment ça ?” - Je me sens poussé à regarder les tréfonds de son âme pour comprendre ce qui cloche avec lui. Et ce que j'y vois m'étonne et m'inquiète. - “Est-ce que tu trouves que tu ne mérites pas d'être sauvé ?”

L'étincelle que je vois s'allumer dans ses yeux me plaît. Elle me réchauffe et me conforte dans mon idée qu'il a cet espoir enfoui au plus profond de lui. Oui, il espère sincèrement être sauvé. Comme un petit garçon qui fait fasse à un danger mortel.

“Pourquoi tu l'as fait ?”

Je n'ai pas l'autorisation de lui révéler certaines choses pour le moment, mais je peux au moins lui dire ceci :

“Parce que c'est Dieu qui me l'a ordonné...” - Surtout, ne pas le lâcher maintenant... Qu'il sache qu'il pourra compter sur moi pour le seconder s'il me l'ordonne. - “Parce que nous avons du travail pour toi !”

J'ai envie de lui en dire plus, mais je me tais. Je sais qu'il me faudra attendre, si je veux que le véhicule de Michael ne me considère pas comme quelqu'un dont il doit se méfier. Pour qu'un jour, il décide de me parler de NOUS.


_____



NOTES


1 - Cinq mois, cela correspond à 1 mois avant la fin de la saison 3 de Supernatural, au niveau de l’action. 

2 - Ah, cette réplique, comme quelques autres, fait partie des répliques cultes du personnage.

3 - Cette phrase “Je suis un ange du Seigneur…” est la cinquième réplique de Castiel dans l’épisode 1 de la saison 4 (oui, j’ai compté, même si, “quand on aime, on ne compte pas” ! ^.^).

4 - Dans Supernatural, les anges utilisent le mot “véhicule” pour parler des humains dont ils habitent le corps. Les démons, quant à eux, préfèrent l’expression “costume/vêtement de chair”.

5 - Oui, Castiel a parfois habité le corps d’une femme. Comme beaucoup de ses semblables, il ne pas fait vraiment la différence, au début, entre les deux genres (pour lui, il n’y a pas de vraie différence entre un humain mâle et un humain femelle, et après tout, les deux sont des humains, point barre).

6 - Castiel a déjà tendance à prendre les choses au pied de la lettre sans qu’on lui dise. Alors, quand Thomas lui dit qu’il “se paye littéralement sa tête” (dans le sens que Castiel utilise son propre visage pour il lui faire face), le pauvre ange prend ces mots-là littéralement aussi et se sent obligé de nier avoir payé pour avoir la tête de Thomas.

7 - C’est ce que Dean lui demandera, en V.O., quelques épisodes plus tard (épisode 8 saison 4 - chrono à 18 minutes et quelques secondes en parlant de Castiel et d’Uriel : “Are you just a couple of hammers ?”). En version française, il lui demande s’ils sont “des soldats bien obéissants”. À la fin de ce même épisode, Castiel lui répondra, qu’il n‘est pas un marteau (“I am not a hammer”, en V.O., et un “bon petit soldat”, en V.F.). J’avais envie qu’il ait eu le temps de réfléchir sur le sujet, avant ce jour-là.

8 - Ce petit personnage en "pantalon" rouge (en fait, il s'agit de braies, mais Castiel l'ignore car il ne connait pas les personnages en question) et haut noir et son ami le géant roux porteur de pierre taillée sont un petit hommage de ma part à M. Uderzo, qui nous a quitté le mardi 24 mars 2020, alors que je m'apprêtais à terminer d'écrire cette fanfic. Il s'agit en effet d'Astérix et d'Obélix. Alors R.I.P., Monsieur Uderzo :,(

9 - Voilà donc pourquoi Castiel a accepté de ne pas tuer Meg, qui est pourtant un démon, quand il l’a rencontrée pour la première fois : il avait fait une promesse à Jimmy Novak.

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