Un parfum de fleur

Chapitre 1 : Un parfum de fleur

Chapitre final

2929 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/06/2022 21:41

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Retour en enfance - (mai juin 2022)




Il y a quatre ou cinq jours, une semaine tout au plus, je me suis réveillé en sursaut avec, au pied de mon lit, Fenrir, Narfi et Sleipnir, les trois fils de Loki. Quelques heures plus tôt, j'avais gagné les mises de ces trois-là, deux jolies filles et un beau mec, mais pour lui, j'avais décliné ses services nocturnes, en leur jouant un petit tour à la façon de l'Embrouilleur. 1 Je me souviens avoir rapidement eu la tête couverte d'un sac de toile avant de me faire saucissonner dans un drap. Ce que j'ignore, par contre, c'est où ils m'ont emmené ... et ce qu'ils ont fait pour me rendre incapable d'utiliser mes pouvoirs et me libérer. Je sais seulement que je suis assis, le dos appuyé contre un mur froid, toujours ficelé comme une papillote et que j'entends quelqu'un approcher. Une voix masculine. Et, vu les odeurs de loup et de cheval qui l'accompagnent, je dirais que deux de mes ange-nappeurs 2 sont là aussi. La voix parle, sur ma droite.

"Je veux être sûr que c'est bien le véritable archange Gabriel ! Montrez-moi son visage ... J'aime savoir ce que j'achète."

(Attendez, là ... Il a bien dit m'avait acheté ! Mais je ne suis pas un objet, je suis un archange et à moins d'être capable de me voir moi, et pas seulement mon véhicule désolé si ça vous choque que je parle de lui ainsi mais, c'est vrai, j'utilise le corps d'un de vos semblables. C'est le prix que mes frères et moi devons payer pour communiquer avec la plupart d'entre vous, le gars n'a aucune chance de savoir avec certitude que je suis bien moi ... enfin, le moi d'avant l'opération qui m'a fait ressembler à Loki). Tout en pensant à ça, je sens qu'on dénoue certaines des cordes qui me retiennent puis le sac qui me maintient dans le noir depuis plusieurs jours. La lumière m'éblouit un instant et je cligne des yeux avant de découvrir la tête de celui qui a parlé. Immédiatement, je comprends ... et la peur puis la terreur me gagne. Je sais qui est l'individu devant moi. Vêtu d'un costume d'un blanc littéralement lumineux, 3 se tient Asmodeus, un des Quatre Princes de l'Enfer. L'un des cinq uniques démons que Lucifer a lui-même créé. Et, comme tous les démons, il peut ME voir tel que je suis. Et à sa réaction, je sais qu'il va vraiment me faire souffrir mille morts et que je ne suis absolument pas préparé à ça. Il faut que je trouve un moyen de lui échapper, de me cacher là où il ne me cherchera jamais. Mais où aller, puisque je suis coincé dans ce corps ? Soudain, une idée saugrenue qui me vient à l'esprit ... Et si je me réfugiais à l'intérieur même de ce corps, dans le seul endroit que je connaisse qui soit à l'abri des horreurs que ce bourreau complètement chtarbé a en tête ... Ok ! Tout d'abord, diviser mon esprit pour en laisser une copie quasi-conforme en place, histoire d'embrouiller Asmodeus dans les grandes largeurs tout en me préservant au maximum. Ne laisser que quelques traces de ma cachette, invisibles à un autre que moi au cas où je devrais me retrouver, rejoindre mon refuge et m'y enfermer à triple tour.

_ _ _ _


Je martèle la porte d'entrée de chez l'autre avec frénésie. Il lui faut quelques minutes pour réaliser que c'est moi, et m'ouvrir. Je me précipite à l'intérieur et referme derrière moi en prenant soin de masquer l'entrée pour éviter qu'Asmodeus ne la trouve trop facilement. Mon hôte, qui, par un heureux hasard de l'existence s'appelle comme moi, me regarde d'un air inquiet et me questionne.


"Qu'y a-t-il, Gabriel ? Pourquoi est-ce que tu as l'air aussi paniqué ? J'ignorais qu'un ange, ou un archange, dans ton cas, pouvait avoir peur.

̵ Ouais, je sais que tu l'ignorais, Gabe, et pour cause ... la dernière fois que j'ai eu une telle trouille, t'étais pas encore né. Mais là, j'ai vu un vrai monstre de cauchemar et je ne suis pas prêt pour l'affronter alors, si tu permets, j'aimerais rester ici avec toi pendant quelques temps. Parce que celui-là, c'est du maousse costaud ... Mais j'ai des ... (zut, voilà que j'hésite à dire que les Winchesters sont des potes). Enfin bref, je connais deux frangins qui, dès qu'ils en auront le temps, se chargeront de lui régler son compte. Pour le moment, ils sont occupés avec Lucifer et l'Apocalypse ... En attendant, crois-moi, ça va certainement ressembler à l'Enfer, pour nous, si on sort !"


Gabe a hoché la tête, compréhensif. J'ai toujours apprécié ce mec, même avant qu'il accepte de partager son corps avec moi. Il est généreux, doux, patient et simple. Tout ça avec un caractère bien trempé. Sans compter qu'il a un humour à vous damner un ange ! Oui, il est la définition même du 'mec bien'. Soudain, alors que nous venons de nous mettre d'accord en silence, un cri, suivi d'un gémissement à vous fendre l'âme nous fait sursauter. Mon doppelgänger, de l'autre côté de la porte, est en train de souffrir. Et, vu la douleur sur mon flanc gauche, nous venons de prendre un sacré coup dans les côtes. Je n'ai pas eu assez de temps pour nous diviser correctement et je ressens une partie de ce qu'il subit. J'espère que ça n'ira pas trop loin ou je risque de hurler moi aussi ... L'instant de surprise passé, Gaby se précipite vers moi.

"Eh, ça va ... Qu'est-ce qui t'arrive, Gabriel ? Tu as mal quelque part que tu as crié comme ça tout à coup ?

(Comment ça, j'ai crié ? ... Oh, non, pitié, ne me dites pas que le cri de tout à l'heure était le mien ...)

̵ J'ai ... J'ai crié, Gabe ?

̵ Oui, désolé de devoir te le dire mais tu as crié, et gémis ... Ça m'a surpris, c'est pour ça que j'ai sursauté. Tu as fais ça en même temps qu'un autre, que j'ai entendu aussi, de l'autre côté de la porte.

̵ Ne t'inquiète pas trop pour celui que tu entends derrière cette porte, c'est une copie, un leurre que j'ai laissé pour le monstre ... Tant que le leurre est là, on est en sécurité. S'il disparaît un jour, Asm... (oups, j'ai failli dire son nom, et à coup sûr, ça, ça ferai paniquer mon hôte, vu qu'il a grandi dans un orphelinat dans lequel on préparait très tôt les petits garçons à la prêtrise en leur apprenant le nom des démons...), notre bourreau risque de s'apercevoir de la supercherie et de me chercher."


Gabe a l'air d'avoir compris que je cherche aussi à le protéger parce qu'il a hoché la tête de nouveau et ne me questionne pas plus avant sur le sujet.


"Tu veux faire quoi, en attendant que tes amis s'occupent de lui ? Une partie de cartes, ou discuter. Nos discussions d'avant me manquent un peu, je t'avouerais ...

̵ Un poker, à deux, c'est un peu ... barbant, non ? Mais on peut discut... Aaaaaaïïïïeee !"


Je viens de sentir quelque chose, comme une aiguille à laquelle serait attaché un fil épais et grossier, me transpercer dans les coins supérieur puis inférieur droit de ma bouche. Même si je sais que c'est une sensation qui vient directement du corps que nous partageons, ça fait très mal de réaliser que, dehors, quelqu'un s'amuse à me coudre la bouche pour m'empêcher de parler, de hurler ... ou même de manger. Quelques instants plus tard, alors que la douleur d'avoir eu les lèvres scellées de cette façon barbare s'atténue et que j'ai encore le goût du sang dans la bouche, une autre aiguille, dans mon cou celle-ci, m'arrache un second cri.


"Non, non, non, non, non ! Pas ça ! Pas ma grâce ... Pitié, non !

̵ Ta grâce, Gabriel ? Qu'est-ce qui se passe avec ta grâce ?

̵ Le monstre ... Il vient de me voler de la grâce. Et il est en train de se l'injecter dans le corps. Il la souille en faisant ça. Donc il me souille, et il m'affaiblit. C'est un peu comme ... comme mon sang, tu comprends ? Mais en plus précieux que le sang humain. C'est pas un jugement de valeur mais chaque humain adulte a environ cinq litres de sang dans le corps. Nous, les anges, on a dix fois moins de grâce, un demi-litre, trois-quarts pour les plus chanceux, et on est pas sept milliards sur Terre, contrairement à votre espèce.

̵ Quand tu dis qu'il t'affaiblit, tu veux dire quoi, Gabriel ?

̵ Ce que je veux dire, c'est que, si par malheur il parvient à me retirer toute ma grâce, je deviendrai tout juste assez fort pour protéger cet endroit quelques minutes et nous mourrons tous les deux assez rapidement. Je suis désolé pour cette mauvaise nouvelle mais autant que tu saches la vérité, au cas où, parce que je serai le premier à disparaître, et qu'il ne te laissera pas lui échapper. Il te torturera probablement toi aussi, jusqu'à te transformer en démon à sa botte ... Simplement pour te faire payer d'avoir accepté d'être mon véhicule.

̵ À ton avis, ce sera pire que ce que j'ai subi avec le Père Martins ?

̵ Je croyais avoir effacé toute trace de lui. Tu te souviens de quoi ?

̵ Je me souviens de lui, debout devant moi, m'écrasant de son regard noir et méprisant, en abattant sa férule 4 sur ma main de toutes ses forces parce que j'avais reniflé un peu trop fort et que je l'avais fait sursauter. J'avais seulement sept ans."

(Ouf, j'ai crains un instant qu'il se rappelait de ce que ce pédophile lui avait fait vivre, durant les cinq années suivantes, tous les jeudis soir et les dimanches après-midi. Les mauvais traitements sur le gamin que Gabe était à l'époque ne s'étaient arrêtés que lorsque j'avais enfin pu me faire entendre de la Sœur Myriam et que celle-ci le lui avait soustrait, au mépris de sa hiérarchie. Le Père Martins n'avait pas fait de vieux os comme Confesseur de sa communauté, après ça. C'était une sainte et une sacrée bonne femme, cette frangine-là ! Par contre, si Asmodeus parvient à ses fins avec moi, il n'hésitera pas à réactiver la mémoire de mon véhicule pour le torturer alors je n'ai pas d'autre choix que celui de faire ça).


Je tends le bras vers le front de Gabe et, tout en l'effleurant du bout des doigts, j'efface la dernière trace de son monstre personnel de sa mémoire. Il me regarde soudain d'un œil vide tandis que je fais mine de m'essuyer les doigts. Il me demande :

"Qu'est-ce que j'ai au front ? J'ai eu l'impression que tu me le touchais, à l'instant ...

̵ Oui, désolé, c'était juste une ridicule petite tâche (et un pieu mensonge de ma part), qui me gênait mais c'est bon, elle est partie !

̵ Hmm ... On parlait de quoi, déjà ? J'ai l'impression que c'était important.

̵ On était en train de décider ce qu'on allait faire de notre après-midi. Si on jouait aux cartes ou si on discutait un peu. J'ai dit que le poker à deux et sans jolies filles, c'était pas vraiment trop mon truc. Et toi, que nos discussions te manquaient depuis quelques temps. J'allais te répondre que moi, j'étais d'accord pour reprendre nos petites habitudes et nos bavardages avec toi si tu le souhaitais.

̵ Oui, à cent pour cent ! Je me souviens de notre dernière discussion, à propos de ta rencontre avec Marie ... Euh, par contre, est-ce que ça te dérange si j'ouvre la fenêtre, je trouve qu'il fait chaud, depuis quelques jours.

̵ La fenêtre, non, pas de problème, tu es chez toi ..."

(En prime, cette fenêtre est entièrement virtuelle, elle n'existe que dans l'esprit de Gabe et personne, pas même moi, ne pourrait l'utiliser pour entrer ici, sauf s'il lui imaginait que c'était le cas. Et même ainsi, ce ne serait qu'une entrée virtuelle.)


Ce qui me semble très réel, par contre, c'est l'entêtant parfum qui parvient soudain à mes narines. Je souris de surprise en reconnaissant l'odeur si caractéristique du lys.


J'ai fermé les yeux en pensant que cette odeur était toute ma vie. Depuis la toute première fois, j'ai toujours aimé ce parfum capiteux et envoûtant. Cette senteur m'enveloppe et soudain, les sensations affluent en nombre. J'avais sept ou huit mille ans à l'époque et j'étais aussi innocent qu'un nouveau né. C'était avant la Chute de Lucifer, si ça peut vous donner une idée d'à quel point c'est ancien. Je le revois en train de grimper sur la plus grosse branche de l'arbre préféré de notre Père, Michael sur les talons, en train d'essayer de l'imiter en sautant pour attraper celle du dessous, en vain. À l'époque encore, je l'admirais, mon Grand Frère si plein de Lumière. On l'admirait tous, Michael le premier !

"Luce ! Aide-moi, steuplè ! Comment je fais, dis ?

̵ Si tu sais pas monter aux arbres, alors cherche pas à le faire, Micky !

̵ Mais je veux apprendre ! Montre ! Allez, steuplè Luce !

̵ Pffff ! T'es trop nul ! ... Bon, d'accord, je te ré-essplique, mais écoute bien, passe que c'est la dernière fois, hein ! J'en ai marre de t'esspliquer à chaque fois comment on fait ! La prochaine fois, t'iras te faire pendre ailleurs !"


Oui, à cette époque, les disputes entre eux étaient plutôt gentillettes. Je les regardais de loin. L'idée de grimper aux arbres d'Éden ne m'était jamais venue. Moi, je préférais rester assis par terre, voir carrément couché à plat ventre en regardant les brins d'herbes. Et là, je venais d'en repérer un à l'allure particulière : des feuilles plus longues et plus larges que les autres, une tige épaisse, et, tout au bout, plusieurs élargissements de forme oblongue et de couleur blanche. Je les observe quand, sous mes yeux, l'extrémité la plus éloignée de la tige de l'un d'eux s'ouvre brusquement dans un délicat petit plop. Un parfum suave me chatouille maintenant les narines. Je n'ai qu'une envie, plonger mon nez à l'intérieur de cet étrange végétal. Ce que je fais sans une seconde d'hésitation. Puis j'inspire à fond et je sens quelque chose qui vient se coller sur ma lèvre supérieure puis une poudre pénètre mon nez, me faisant éternuer brusquement. Mon père et quatre de mes frères se tournent vers moi et me regardent d'un air surpris, avant de sourire, visiblement amusés. Az, qui était penché au-dessus de la source de la rivière Éden, s'approche de moi et, d'un coin de sa tunique, me frotte la lèvre supérieure, comme pour enlever une tâche.

"Là, c'est beaucoup mieux comme ça, Petit Frère ! Tu n'as pas encore assez vécu pour ombrer ta lèvre avec quoi que ce soit.

̵ C'est quoi ce truc, Azou ?

̵ Je crois que c'est ce que Père appelle 'fleur'. Et il me semble que la poudre que tu as respiré sert à reproduire cette plante, pas à te barbouiller avec.

̵ J'ai pas fait ekseuprès ! C'est ce truc qui s'est collé tout seul sur mon nez quand j'ai voulu la sentir.

̵ Je sais, Gabriel."


Une nouvelle sensation de douleur qui s'insinue violemment entre mes côtes me fait sursauter en me ramenant à la réalité de l'instant présent. J'ai dû crier, une fois de plus, car Gabe me regarde, visiblement stupéfait. Puis je réalise qu'une goutte d'un rouge vif perle à la commissure de ses lèvres. Avant d'avoir eu le temps de faire le moindre mouvement, il devient peu à peu transparent avant de disparaître tout à fait.


"Gabe ! Hé, me laisse pas tout seul, mec ! J'ai besoin de toi ! Reviens !"


Je sais pourtant que mes appels resteront sans réponse. J'ai compris pourquoi il a disparu. Il a quitté ce corps qui devient le mien seul, maintenant. Soit en paix, mon ami ... Je veillerai à bien le traiter en ton nom ... Soit en paix ... J'espère que les frères Winchester se dépêcheront de me sortir de là. Heureusement, j'ai laissé une petite clé à mon double. Si l'un d'eux me demande un jour de l'aider, ça enclenchera une réaction en chaîne chez lui qui lui permettra de me retrouver rapidement.


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NOTES


1 - Aussi connu par les fans de Supernatural sous le nom de ... Gabriel !

2 - Néologisme formé sur le modèle de "kidnappeur" mais concernant un ange ou, comme ici, un archange.

3 - C'est ce qu'on appelait du "blanc plus blanc que blanc" dans une pub pour la lessive Omo dans les années 80, en réponse à la pub Persil qui, dès les années 50, lavait "plus blanc".

4 - Sorte de baguette, absolument pas magique, avec une extrémité en forme de planche avec laquelle les enseignants des siècles passés étaient autorisés à frapper leurs élèves, notamment à la main, pour les corriger à la moindre incartade.

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