Planet Hell (Tome I) The Year 2149

Chapitre 6 : « Toute existence connait son jour de traumatisme primal. »

3006 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/02/2021 16:44

Toute existence connait son jour de traumatisme primal, qui divise cette vie en un avant et un après et dont le souvenir même furtif suffit à figer dans une terreur irrationnelle, animale et inguérissable1. Sally a connu ce traumatisme dans les premières années de sa vie, deux fois. Il y avait d’abord l’avant de sa petite-enfance, avant l’exécution de ses parents, et il y avait l’avant-guerre. Toutes les images de ses instants douloureux se redessinent sans cesse dans son esprit. Une pensée soudaine ou la simple entente d’un mot, suffit à redéclancher les souvenirs. Et la nuit, alors qu’elle espère pouvoir enfin reposer son corps de toutes ses angoisses, les souvenirs s’enchevêtrent pour ne former qu’un seul cauchemar auquel elle ne peut se soustraire.

           La jeune femme se revoit au flan Est d’Arcadia, tirant sur les alliés ennemis qui essayent d’entrer dans la cité. Avec elle, se trouvent les trois derniers camarades de son unité qui ne sont pas encore tombés. Quand le dernier soldat du groupe assaillant s’écroule, elle découvre ses parents. Ils se tiennent sur l’estrade d’exécution, les mains liées et une corde au cou.

           Sally ouvre les yeux avant de voir ses parents perdre la vie une énième fois. Elle se redresse difficilement, courbaturée par l’inconfort de son lit de fortune. Le camp ayant été dévasté par la tempête de la veille, elle a dû s’improviser une couche sur le sol de la navette pour pouvoir se reposer un peu.

La jeune femme passe une main dans sa chevelure blonde en lâchant un soupire d’exaspération. Un ricanement dans le coin de la pièce attire son attention. Ses yeux fatigués se posent sur Miller, assit sur un siège et emmitouflé dans une couverture. Il observe la blonde avec un sourire narquois. Elle préfère l’ignorer puis se lève. Alors qu’elle commence à se diriger vers la trappe, la voix de l’adolescent la retient. « Tu as tué qui ? ». Étonnée, elle se tourne vers lui. « Tu n’as pas arrêté de bouger dans ton sommeil, explique-t-il. Je doute que quelqu’un n’étant coupable que d’une petite infraction dorme aussi mal.

— Et c’est ça qui te fait rire ? demande-t-elle en arquant un sourcil.

— Non. C’est le faux air de méchante que tu te donnes qui me fait rire. ». Il se défait de sa couverture puis se lève pour se planter devant elle, plongeant ses yeux confiants dans les siens. « Tu sais peut-être distribuer les coups mais tu es incapable d’à nouveau ôter une vie. La culpabilité te colle à la peau. ». Ne se sentant d’humeur à converser sur sa culpabilité, elle soupire puis encastre son poing dans la mâchoire du jeune homme.

 Elle tourne les talons pour de nouveau tenter de quitter l’étage mais cette fois-ci c’est Bellamy qui l’en empêche, arrivant par l’écoutille. Le regard du brun passe de Sally à Miller, qui frotte sa mâchoire endolorie. « Je ne suis pas du genre à bavarder au réveil, explique froidement la blonde.

— On devrait virer cette pétasse du camp comme on l’a fait avec Murphy.

— Ça suffit ! soupire Bellamy. L’Arche nous a trouvé une réserve de matériel, pas très loin. 

— Ok. Laisse-moi juste le temps de préparer mes affaires !

— Non, Miller. Je veux que tu restes ici pour surveiller le natif.

— Alors avec qui tu y aller ? ». Pour répondre, Bellamy se contente de poser son regard sur Sally. « De toutes les personnes qui se trouvent ici, c’est moi que tu choisis ? Sérieusement ?

— Pratiquement tout le monde est réquisitionné pour reconstruire le camp. Tu es donc la seule qui reste et qui, je sais, saura se défendre si on tombe sur des natifs.

— Très bien. Mais, en cas de problème, ne compte pas sur moi pour te sauver le derrière. » réplique-t-elle en s’avançant vers l’écoutille, donnant au passage un coup d’épaule au jeune homme, avant de descendre au niveau inférieur.

           Une dizaine de minute plus tard, son sac sur les épaules, la blonde retrouve Bellamy près d’une caisse de provision à l’entrée du camp. Ce dernier rempli sa besace, faite à partir d’un morceau de tissu plastifié et d’une ceinture de sécurité, de plusieurs sachets contenant un mélange de fruits secs et de noix. « Tu sais, on n’en a que pour quelques heures. On ne va pas mourir de faim. ». Il ignore la remarque de la jeune femme, ferme son sac puis s’avance à l’extérieur du camp. Sally prend un sachet dans la caisse puis lui emboite le pas en soupirant.

Les kilomètres défilent lentement sous les pieds des deux jeunes gens. Bellamy s’avance d’un pas décidé, rapide, tandis que Sally, à environs un mètre derrière lui, marche en détaillant la nature environnante. Le silence ambiant ne lui laissant pas d’autre choix que de se perdre dans ses pensées, elle décide de le briser en demandant au jeune homme pourquoi il refuse de discuter avec le Chancelier alors que Clarke s’échine à essayer de trouver un arrangement pour lui. Le silence se réinstalle immédiatement, encore plus pesant.

Ils arrivent finalement à une sorte de marécage, dans une clairière, où gisent les quelques ruines d’un bâtiment. Ils se séparent, arpentant l’endroit chacun de son côté, pour trouver la trappe qui les mènera à la base. 

C’est finalement Sally qui la trouve, sous un amas de roches et de branchages. « Eh, tronche de cake ! interpelle-t-elle Bellamy qui se trouve de l’autre côté du marais. Je vais avoir besoin de ton aide. ». Le brun lève les yeux au ciel puis revient sur ses pas pour rejoindre celle qui commence déjà à déblayer l’entrée de la réserve.

La voie enfin dégagée, Bellamy se saisit de la hache attachée à sa ceinture, et frappe à plusieurs reprises sur la porte. La rouille ayant attaqué le métal de la trappe, elle cède facilement et tombe, dans un fracas assourdissant, sur l’escalier qui mène à la base. Ils s’échangent un regard puis, armés de leurs lampes solaires, s’aventurent dans le dépôt souterrain.

Au fur et à mesure qu’ils avancent, Bellamy réalise qu’il ne sera pas possible de venir s’installer ici, l’endroit étant bien trop insalubre. Et l’espoir de trouver des rations s’évapore, lui aussi, peu à peu. Les deux jeunes gens fouillent chaque caisse qui croise leur chemin mais ne trouvent rien de réellement intéressant. Sous la colère, Bellamy donne un puissant coup de pied dans un baril qui s’ouvre lors du choc contre le sol. De l’huile et plusieurs longs fusils se répandent jusqu’aux pieds de Sally. Un sourire s’étire sur les lèvres du jeune homme à la vue des armes. « Plus besoin d’avoir peur des lances. » s’enthousiasme-t-il.

Tandis qu’il fabrique une cible avec une couverture rouge abîmée trouvée sur le sol, sur laquelle il dessine une croix avec l’huile qui couvrent une partie du sol, Sally s’assied sur une des nombreuses caisses vides qui meublent la pièce. Elle prend le sachet qui se trouve dans la poche de son manteau et l’ouvre. En mangeant quelques noix, elle observe Bellamy se mettre en place à quelques mètres de la cible tendue entre deux étagères. Il tente de tirer une première fois mais rien ne se produit. Il éjecte la douille puis réitère un tir. Toujours rien. « Les balles n’explose pas, constate-t-il.

— Super, on a des armes mais les munitions sont merdiques.

— Tu t’es vantée d’être une excellente tireuse l’autre jour, la provoque-t-il en lui tendant une autre arme ramassée au sol. Prouve-le-moi ! 

— Seulement si tu me dis que tu as conscience de tous ceux que tu vas abandonner. ». Les yeux du jeune homme s’agrandissent sous la surprise. Un petit rire échappe alors à la blonde. « Eh oui, je sais aussi bien me servir de mes méninges que de mes poings. … C’est pour ça que tu voulais que je vienne avec toi, pas vrai ? Tu savais que je ne te retiendrai pas.

— Et apparemment je me suis trompé.

— Je n’essaye pas de te retenir. Je veux juste m’assurer que tu sais ce que ton départ risque d’impliquer.

— Je le sais. Mais je ne peux pas rester. Quand l’Arche arrivera sur Terre, et ça ne saurait tarder, je serai condamné à la peine de mort. ». Sally se relève puis saisit la seconde arme qu’il tient dans la main. Elle se positionne là où il se tenait quelques minutes auparavant, face à la cible. Sous le regard du jeune homme, elle vérifie l’état de son fusil et les munitions qu’il contient. Puis elle place la crosse contre son épaule. A l’aide du viseur, elle positionne l’embout de l’arme en direction du centre de la cible.

           Au moment où elle effleure la détente de son index, des images sanglantes et les hurlements de peur des Gallifreyens envahissent son esprit. Une boule se forme dans sa gorge et son corps tout entier se met à trembler. Se sentant comme soudainement partir en arrière, elle essaye de reprendre le contrôle de son corps. Sa respiration s’accélère et devient bruyante. La jeune femme s’empresse de se débarrasser de son arme qu’elle pose brutalement sur l’étagère la plus proche. « Ça va aller ? » demande Bellamy face à sa détresse soudaine. Elle acquiesce d’un geste furtif de la tête puis essuie ses larmes naissantes. « Je vais aller voir si je peux trouver d’autres choses utiles dans ce que l’on n’a pas encore visité. » annonce-t-elle en s’enfonçant dans la réserve, une lampe en main.

Au fil des mètres, elle se sent perdre l’équilibre. Elle s’arrête alors de marcher, prenant appui contre le mur du couloir où elle se trouve. « Depuis quand as-tu peur de tenir une arme en main, Soldat ? » demande une voix caverneuse dans son dos. En veillant à maintenir un appui sur la paroi en béton, Sally se retourne lentement.

Un homme, semblant approcher la soixante-dizaine, se tient droit au milieu du passage. Ses mains sont dans son dos. Il est vêtu d’un manteau en cuir marron foncé ainsi que d'un gilet en moleskine2 vert-brun, d’un pantalon marron foncé et de guêtres en cuir gris. Une écharpe couleur ivoire orne son cou. Ses iris bleues menaçantes toisent la jeune femme. « Doc… Docteur ? bafouille-t-elle de stupéfaction. C’est impossible. Vous … Vous êtes mort.

— Qu’en sais-tu ? As-tu trouvé mon corps ?

— Non, mais…

— De plus, la coupe-t-il en s’avançant vers elle, Raven t’a parlé de ce John Smith qu’elle a côtoyée sur l’Arche.

— Ça ne veut rien dire.

— Il est temps que tu l’acceptes ; je suis bel et bien vivant. Et j’ai préféré la vie sur l’Arche et la compagnie humaine à toi. … Je t’ai abandonné, Vostanie.

— Pourquoi ? demande-t-elle les larmes aux yeux.

— Ne sois pas idiote ! s’enrage-t-il. Chaque fois que tu croises ton reflet, tu vois ce que je vois. Ce que tout le monde voit.

— Vous avez bien plus de sang sur les mains, hurle-t-elle à son tour.

— J’ai sauvé l’univers, dit-il avec toujours la même colère dans sa voix et sur son visage. Et toi ? A part toi-même, qui as-tu sauvé ? Où est donc passée ton unité ? Où sont tes frères ?

— Ça suffit ! » cri-t-elle en renversant la table qui se trouve sur sa droite, faisant ainsi disparaître son hallucination. Les larmes dévalent ses joues, creusant des sillons dans la poussière qui couvre sa peau. L’air lui semblant soudainement encore plus lourd, elle décide de sortir de la réserve.

À l’extérieur, dans l’obscurité de la nuit, des éclats de voix se font entendre. Reconnaissant la voix de Bellamy, la jeune femme s’empresse de le rejoindre.

Le jeune homme est à terre, désarmé, et un autre garçon se tient devant lui en le pointant de son fusil. « Pose cette arme ! intervient-elle d’une petite voix affaiblie.

— Tu aurais dû rester à l’intérieur, rétorque le bourreau en menaçant cette-fois ci la jeune femme de son arme. Maintenant je dois te tuer, toi aussi.

— Qu’est-ce qui t’y oblige ? Pourquoi tu fais ça ?

— Shumway a dit : Pas de témoin.

— Qu’est-ce qu’il raconte ? demande-t-elle à Bellamy qui peine encore à retrouver ses esprits.

— C’est Shumway qui m’a donné l’arme pour tirer sur le Chancelier, répond-il. 

— Tire-toi ! fini par dire celui qui tient Sally en joue. Et je ne te ferais rien.

— Lâche ton arme ! insiste-t-elle posément.

— Tu l’auras voulu. » dit-il en appuyant sur la détente. Maladroitement, encore sonnée par les noix qui ont provoqués son hallucination, elle se baisse pour éviter que la balle ne l’atteigne puis se réfugie derrière le tronc d’un arbre. Bellamy se redresse et profite que l’adolescent lui tourne le dos pour se jeter sur lui afin de le désarmer.

           Tandis qu’ils se livrent à un combat à mains nues, dans lequel Bellamy perd très vite l’avantage, la blonde s’empare de l’arme tombée au sol. Ses mains se mettent de nouveau à trembler. Elle prend une grande inspiration et tire. Aucune détonation. L’arme s’emble enrayée. Sally retourne alors le fusil puis, a l’aide de la crosse de l’arme, d’un geste vif et fort, frappe l’arrière de la tête de l’adversaire de Bellamy. Ce dernier, profitant que son assaillant soit étourdi par le coup, se saisit d’une douille trainant sur le sol et la plante en travers de la gorge de son ennemi.

Le souffle coupé et le sang cessant subitement d’irrigué son cerveau, l’adolescent place une main tremblante sur la plaie béante formée dans sa peau. Mais le liquide rougeâtre continue d’affluer en dehors de son corps, se répandant sur le sol boueux. Il s’écroule en arrière dans un dernier soupire rauque.

Sally s’avance d’un pas tremblant vers Bellamy qui, toujours au sol, est tout aussi fébrile qu’elle. La jeune femme lui tend une main pour l’aider à se relever mais, bien trop occupé à fixer le corps inerte qui se trouve devant lui, il n’y prête pas attention. Elle s’accroupi alors à ses côtés en posant une main sur son épaule. « Ma mère, commence-t-il la voix serrée, si elle savait ce que j’ai fait. Elle m’a élevé pour être un mec bien, un mec bon. Mais je n’arrête pas de faire du mal à tout le monde. … Je suis un monstre.

— Non, dit-elle d’une voix ferme mais rassurante. Tu es un soldat. Et c’est pour ça que le camp à besoin de toi. » Sur ses mots, elle se redresse et lui tend une nouvelle fois sa paume en lui demandant de rentrer au camp avec elle. Il passe une main dans ses boucles brunes en adressant un dernier regard au jeune homme inerte devant lui puis il saisit celle qui lui est tendue pour se relever. 

Quelques heures plus tard, enfin revenus au camp, les deux jeunes gens présentent aux autres les armes qu’ils ont trouvés. Bellamy, en chef, annonce que les entrainements commenceront dès le soleil levé.

Tandis que tout le monde retourne à ce qu’il faisait avant leur retour, et que Bellamy va enfin affronter le Chancelier, Sally entre dans la navette et monte au troisième niveau. En passant l’écoutille, elle découvre une pièce vide de toute présence humaine. Le natif n’est bel et bien plus là. Dans le camp, la rumeur cour qu’Octavia l’aurait aidé. Ce romantisme Shakespearien arrache une moue de dégoût à la blonde. S’il y a un mystère qu’elle ne parviendra jamais à résoudre, c’est celui de l’amour. Elle n’a jamais réellement compris comment cela marche. Et ça ne l’a jamais réellement intéressée. Épuisée, elle s’installe sur la couche de fortune qu’elle s’est fabriqué la veille et s’endort.

 

(1) « Toute existence connait son jour de traumatisme primal […]. » est tirée de Stupeurs et Tremblement d’Amélie Nothomb.

(2) Moleskine : Toile revêtue d'un enduit imitant le cuir.


Laisser un commentaire ?