Honneur et Amertume

Chapitre 1 : Hauteroche I : La Paria

5014 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/01/2021 16:38

Shaiélaè chassait lorsqu'elle entendit retentir à travers la forêt le fracas d'un concert de branches brisées, de feuilles piétinées et de claquement du métal sur le métal comme une pile de casserole renversée au sol. Un intrus. Ses oreilles d'elfe des bois l'entendirent venir de loin dans le silence matinal, aussi eut-elle le temps de s'enfoncer profondément dans la verdure de son affût, un haut hêtre touffu pour s'y préparer. Elle tira une flèche du carquois à sa ceinture et l'encocha lentement à la corde de son arc en corne. L'intrus fit son apparition quelques minutes plus tard, marchant pesamment entre les arbres.


De toute sa vie passée dans son village enfoncé dans la jungle impénétrable de Val-Boisé, Shaiélaè n'avait eu l'occasion que de côtoyer les individus de taille menue du peuple bosmer. Elle manquait de point de repère pour juger objectivement de la chose mais pour la petite elfe au souffle coupé, il était évident que l'homme se promenant tranquillement quelques mètres en dessous d'elle était l'un des plus grand arpentant la surface de Tamriel :


C'était véritable géant, une montagne hirsute de muscles tapissée de larges pièces de fourrure moisie, bardée du fer rouillé d'une broigne de maille et de quelques pièces d'armures hétéroclites. Le voyageur charriait sur son dos tout un barda, marmite, casque, outre en peau... qui produisaient cette fanfare annonciatrice de son arrivée


Et fixé sur son dos, coincé entre le sac et la sangle de l'armure brinquebalait une épée terrifiante, un absurde morceau d'acier long comme une lance, munie de deux crocs aiguisés forgés sur le milieu de la lame et d'une poignée au moins aussi longue que la jambe de la bosmer effarée. Cette épée reflétait les rayons du soleil filtrant à travers la futaie sur sa surface soigneusement polie. De toute ce que portait ce géant, c'était là la seule chose soigneusement entretenue.


Il marchait tranquillement dans la forêt baignée de ce vacarme, sans donner l'air de se soucier le moins du monde des dangers que la plupart des voyageurs imprudents ou malchanceux risquaient d'y rencontrer. Shaiélaè partageait son territoire de chasse avec quelques trolls auxquels il fallait prendre gare. Une nuit, elle avait aperçu des lumières étranges au loin, elle aurait juré qu'il s'agissait de spectre ou d'une réunion de sorcière. Sans compter les loups, les manticores, les ours...


"Il a de toute manière plus une tête à être lui-même le danger qu'à le craindre," pensa la petite elfe, sidérée par ce manque d'élémentaire prudence.


Elle observa son visage , une face dure encadrée de longs cheveux noirs et d'une courte barbe mal entretenue. Le nez avait été brisé plusieurs fois et même à cette distance, de petites cicatrices étaient visibles entre ses tempes et les lèvres. Il avait peint deux traits au charbon sur ses pommettes, qui soulignaient son regard. Comme peintures de guerre sans doute, ou plus pragmatiquement pour protéger ses yeux des reflets du soleil.


Shaiélaè le suivi du regard un long moment. L'étranger finit par s'éloigner en emportant son tintamarre avec lui. L'ombre invisible dans les feuille relâcha finalement son souffle et replaça sa flèche dans son carquois.


"Inutile de continuer à chasser. Toute la faune aura fuit par ce bruit," soupira-t-elle. Elle était affamée et n'avait rien tué depuis qu'elle avait franchis la frontière de Hauteroche, voilà quelques jours. Elle y été arrivé par hasard pour avoir marché sans but vers le nord. La petite elfe n'avait plus de maison, plus de famille.


"Lâche", c'est en la chassant de ses mots que les siens l'avaient bannie de chez elle quelques mois interminables plus tôt. Son village, ses amis, les haut arbres de Val-Boisé et l'entrelacs serrés de leurs branches et racines qu'elle avait passé son entière existence à parcourir pour la chasse et la guerre avaient été toute sa vie. Voilà désormais la petite elfe seule désormais, à errer dans un monde étranger qui l'intimidait par trop pour lui faire quitter le couvert protecteur de la nature sauvage. De longs mois interminables passés à éviter les routes, les hameaux, les gens, à survivre tant bien que mal de la chasse et de la récolte d'insectes. Et voilà ses rêves de festins retardés de plusieurs heures par la faute de se voyageur indiscret.


Shaiélaè jeta un dernier coup d'œil au géant avant qu'il ne disparaisse. Elle le trouva immobile, les mains serrées autour du manche d'une sorte de piolet en os qu'il brandissait devant lui. Il faisait face à une menace que la petite elfe ne pouvait voir depuis son perchoir.


Elle s'avança sur sa branche, intriguée, dans l'espoir d'en voir plus. En atteignant une position inconfortable, la main tendue au dessus de sa tête pour se tenir à une grosse branche plus haut elle parvint enfin à repérer l'adversaire du géant. Des gobelins. La petite elfe savaient que plusieurs tribus peuplaient ces bois. Elle s'était toujours arrangé pour éviter leur rencontre, quelque soit la nature du contact. La troupe s'approchait à travers les fourrés, à moins de trente mètres de son point d'observation. Shaiélaè en compta quatre... non cinq, progressant l'air gaillard, armés d'un attirail dépenaillé de vieilles pièces de récupérations ou du fruit de leur artisanat grossier. D'autres encore arrivaient.


La petite elfe poussa un juron silencieux. Comment avaient-ils pu s'approcher autant sans qu'elle ne les détecte? Il était évident que le vacarme effroyable de l'humain les avaient attiré en même temps qu'il avait couvert leur approche à l'ouïe de la Bosmer. Elle au moins restait indétectée. Elle n'avait qu'à attendre dans la cime de son hêtre que l'altercation ne se termine et que les protagonistes ne s'en aille pour enfin redescendre.


L'étranger tournait sur lui-même, pointant son piolet en direction de ses ennemis. Il était encerclé, mais les gobelins bien trop effrayés par sa stature ne voulaient pas risquer d'attaquer les premier. Un duel psychologique les opposait : que l'homme montre le moindre signe de faiblesse et les sauvages se jetteraient sur lui. Mais son visage n'exprimait nulle peur, seule une haine furieuse.


La confrontation dura de longues minutes avant qu'un gobelin ne saisisse une occasion pour sauter sur son dos. Avait-il aperçu une faille chez son adversaire gigantesque, ou était-il simplement las de le fixer en chien de faïence ? Shaiélaè ne saurait le dire, mais cette acte marqua le début d'un extraordinaire déchainement de violence. L'homme attrapa le premier gobelin par la nuque au moment où il le poignardait. Comme le géant ne montra aucun signe de douleur, la petite elfe supposa que la maille qu'il portait avait préservé sa chair de l'estocade. Il brisa sec la nuque de l'importun au moment ou les autres, ayant suivi l'exemple de leur camarade se ruaient sur lui. Il parvint de justesse à éviter d'être submergé en repoussant leur élan de vigoureux coups de pieds.


Il faisait jaillir son piolet sur quiconque se trouvait trop proche de lui. Il opérait de large et simple moulinet, sans moindre grâce ni aucune technique d'escrimes virtuoses. Sa force, sa rage, remplissaient leur part du travail. Rapidement, deux gobelins maigrichons furent au sol le crâne brisé, et leur cervelle se répandit sur les feuilles mortes. Son arme en frappa un autre qui hurlait, lui arracha la moitié de la mâchoire. Ils étaient petit, mais ils étaient vifs. Le guerrier était incroyablement fort, mais aussi lent et trop rigide. Les gobelins étaient maintenant plus d'une douzaine, esquivant les plupart de ses coups sans le moindre problème.


Quatre d'entre eux sautèrent soudainement sur son dos, et deux autres envahirent ses bras. Si celui sur son bras droit fut instantanément balayé, les autres parvinrent à l'handicaper. Le géant hurla un juron sonore. Il recula en courant vers un chêne non loin du champ de bataille y fracassa son dos de toute ses forces. Le paquetage dans son dos se dissémina autour de lui dans un bruit de casseroles. Ses affaires roulèrent dans l'humus sans qu'il n'y accorde la moindre attention. La plupart des gobelins, sous le choc, relâchèrent le guerrier. Seul l'un deux plus persistant restait accroché malgré tout, ses petites griffes cramponnées tant bien que mal autour du cou du géant. Il prit une nouvelle fois son élan et projeta son dos contre le tronc de toute sa masse. Le craquement de colonne vertébrale brisée du gobelin retentit jusqu'au perchoir de Shaiélaè.


Courir comme il l'avait fait avait éloigné le voyageur du reste des gobelins. Ceux qui gisaient à ses pieds se remettaient encore tout juste du choc, rassemblant leurs esprits et leurs armes de fortunes. Ce court moment de répit fut mis à profit : le géant se débarrassa de son piolet gluant de sang en le plantant dans le torse d'un sauvage avant qu'il ne se relève. Il secouait dans le même temps ses épaules de mouvements frénétiques pour se débarrasser au plus vite de son sac, afin de libérer l'estramaçon cyclopéen coincé dans l'une des courroies. Les quelques affaires n'ayant pas chût lors du choc contre le tronc roulèrent à leur tour entre les racines. L'arme dégagée de ses entrave, le guerrier pût la tenir en garde. Juste à temps pour accueillir la vague hurlante qui se ruait sur lui. Il était toutefois trop tard pour les gobelins pour espérer la moindre chance de succès. Deux mètres d'acier tranchant entre les mains, un chêne solide pour couvrir ses arrières, l'homme était prêt.


Un coup formidable frappa le premier à passer à portée et le réduisit en bouillie plus qu'il ne le découpa. Le second en faucha deux dans l'élan du même mouvement. Shaiélaè en voyant l'épée dans le paquetage du voyageur s'était imaginé une chose idiotement lourde et difficile à manier. Pourtant l'homme la manipulait avec une grande aisance. Elle semblait entre ses mains à peine plus pesante qu'un bâton de balsa. La petite elfe était descendu d'une branche à son perchoir pendant le combat. Confortablement assise, elle pouvait de là assister à toute la scène sans risquer d'être vue. L'étranger ne lui inspirait aucune confiance mais elle ressentait pour les gobelin un dégout viscéral, une haine que toute être civilisé percevait à leur égard. Sa sympathie allait donc pour le géant et elle se surpris à plusieurs reprise à l'encourager mentalement. Les crampes à son ventre lui rappelaient aussi qu'elle n'avait pas attrapé de gibier par sa faute mais bah ! C'était du passé ! Il lui fournissait une réserve inespérée de viande de gobelin. La petite elfe se pourlécha les babines et attendit patiemment la fin de la bataille qu'elle suivait avec curiosité.


Cinq gobelins tenaient encore debout quelques minutes plus tard. Puis quatre. L'un d'eux lâcha son arme et se débanda. Le géant plongea sur lui dans un cris pour l'empaler dans le dos de toute la longueur de sa lame. Il ne la retira pas, mais souleva la créature embrochée au bout pour poursuivre les autres qui avaient, entretemps, suivi l'exemple de leur défunt camarade et rompu le combat. Les fuyards détalaient en piaillant. L'homme les poursuivaient en hurlant. Ils disparurent du champs de vision de la bosmer, qui n'entendais plus des frondaisons de son hêtre que les sons de la poursuite. Les bruits s'estompèrent finalement et disparurent.


Shaiélaè relâcha son souffle. Elle resta encore quelques instant immobile sur sa branche, à guetter le moindre son anormal ou le retour de quelques survivant. Enfin rassurée, la preste bosmer sauta sur le sol, ne produisant qu'un infime craquement lorsque ses pieds foulèrent les feuilles mortes. Prudente, elle encocha une flèche à son arc. Sa silhouette frêle accroupie observa les environs une poignée de seconde supplémentaires. Rien à signaler. Il n'y avait autour d'elle que l'horrible champs de bataille éclaboussé de sang. Elle s'avança au milieu des cadavres. Il lui fallait se dépécher, avant que l'odeur du sang n'attire un troll sauvage ou autre charognard.


Le spectacle était horrifiant. Il y a avait des torses sans têtes, des jambes sans corps, des mètres de boyaux éparpillés sur les feuilles mortes, comme des nœuds de vipères pâles. Autant de détails macabres auxquels elles n'avait pas prêté attention en assistant à la boucherie. Le sang avait éclaboussé les arbres jusqu'à plusieurs mètres de hauteur. Des gouttes suintaient des feuilles à intervalle régulier. L'odeur frappa la bosmer à la gorge. Son estomac se retourna et le vomi remonta vers sa bouche. Elle parvint de justesse à éviter le pire en plaquant sa main sur ses lèvres. Elle venait de perdre tout appétit et l'idée de découper un gobelin pour sa viande l'abandonna.


La petite elfe trouva le corps du dernier adversaire tué par le géant à coup de piolet. L'arme poisseuse dépassait de sa poitrine, plantée entre deux côtes fracassée. Elle s'approcha et empoigna l'arme à deux mains pour l'en extraire. Elle pourrait lui être utile, constata-t-elle avec un sourire en l'examinant. L'outil lui rappelait l'artisanat de sa tribu : primitif mais solide, fabriqué de la mâchoire d'un gros animal fixée au bout d'un manche en bois recouvert de cuir. Jamais les siens n'aurait utilisé ce matériaux, du bois, pour le manche. Mais ca ne ferait pas une entorse à la tradition, n'est ce pas ? Ce n'était pas elle qui avait blessé un arbre pour fabriquer l'outil, pas plus qu'elle n'avait désiré cette blessure pour le posséder. Les siens avaient parfois recourt à ce subtil subterfuge afin de contourner les interdits religieux bosmer pour acheter occasionnellement de l'outillage en fer aux orques des bois... Une boule d'anxiété grossit dans le ventre de la petite elfe à l'évocation de sa famille et de son village. Elle cessa de contempler le piolet pour le passer à sa ceinture, se concentrant de nouveau sur l'examen du carnage. L'odeur âcre de sang et d'entrailles acheva de la ramener à la réalité.


Des feuilles bruissèrent. Un mouvement. Un gobelin moribond gisait aux pieds de Shaiélaè, se tortillant pitoyablement. Un large entaille fendait son visage de l'œil au sommet du crâne, de laquelle s'échappait la matière rosâtre du cerveau. Sa bouche s'ouvrit pour supplier la bosmer. La petite elfe retrouva ses réflexes. La corde d'arc tendu en un éclair se relâcha et réduit la misérable créature au silence avant que le moindre son ne s'en échappe. Shaiélaè avait agit sans rien ressentir et une fois sa flèche retirée de la gorge encore tiède, avait oublié l'incident. Elle venait de retrouver la piste des derniers fuyards et de leur mort qui les poursuivait. Une piste ostensible de sang et de traces de pas s'enfonçait dans les bois. La petite elfe la suivie, sans cesser de tourner la tête de droite à gauche en quête d'intrus potentiels.


La mort avait rattrapé les gobelins en cours de route. La petite elfe en retrouva les cadavres un par un. Le dernier gisait deux centaines de mètres plus loin. Le guerrier s'était acharné dessus, il était complétement écrasé. Un gros gourdin de bois mort était brisé près de lui, recouvert de pulpe sanglante et d'esquilles d'os. Shaiélaè frissonna. Mais elle avait remarqué autre chose. Elle s'accroupit rapidement et silencieusement dans une dépression causée par la chute il y a longtemps d'un arbre mort. Le voyageur était toujours là. Immense et hirsute, sa silhouette immobile était allongée contre un arbre, le menton sur sa poitrine. Mort... pensa d'abord la bosmer avec une pointe de déception. Il avait eu tout les gobelins pour succomber ensuite à ses blessures. Cela arrangeait Shaiélaè finalement. L'absence de survivant lui laissait le champs libre pour le pillage. Elle se leva et s'approcha, mais resta prudente malgré tout. Et s'arrêta à quelques mètres du corps lorsqu'elle compris que le géant vivait toujours. Sa poitrine se soulevait légèrement, au rythme de sa respiration. La petite elfe redoubla d'attention, veillant à poser le pied là où les feuilles ne pouvaient craquer. La flèche encochée à son arc visait la nuque du voyageur. Ses mains assurées étaient prêtent à tendre et relâcher la corde pour décocher le trait mortel en une fraction de seconde au moindre geste suspect .


Les couleurs avaient abandonné le visage de l'homme. Il avait l'air en paix, presque sympathique vu de près. La barbe lui donnait cet air cruel qui avait effrayé la bosmer vu de loin. Il semblait évanoui. Shaiélaè ne voyait aucune blessure à la surface de son corps. Difficile d'être certaine à cause du sang de gobelin maculant sa maille et ses fourrures. Pour un bosmer, le vol est culturel. Il s'agit d'un jeu, d'un défi entre les individus destiné à tester leur habileté. Détrousser un homme ainsi inconscient n'était vriament pas drôle tant s'en était simple. Chez elle, Shaiélaè n'aurait sûrement pas vu l'intérêt d'un vol aussi ennuyeux. Mais elle n'était plus chez elle. Ce vol était pour sa survie, pas pour la reconnaissance de ses proches. Aussi ne marqua-t-elle aucune hésitation ni n'éprouva aucun remord à fouiller le corps du voyageur après s'être assuré qu'il ne risquait pas de s'éveiller. Seul la taille, l'allure effrayante de la victime et la violence dont la petite elfe savait pertinemment qu'elle était capable apportait un peu de tension à ce larcin.


Les économies de l'étranger étaient cousues dans la doublure de sa veste. Pas grand-chose, à peine quelques piécettes. Il portait un collier d'os et des bracelets en bronze comme ornement. Elle rafla les bijoux, plutôt joli. L'or, elle le prit par sécurité, si jamais elle était un jour forcée d'interagir avec la civilisation. Mais c'était la nourriture qui l'intéressait par dessus tout. L'homme évanoui portait une besace emplie de provision. Shaiélaè jeta dédaigneusement par dessus son épaule la miche de pain, les fruits séchés et les galettes de céréales. Elle n'était pas assez désespérée pour s'abaisser à manger des végétaux. Il y avait un pâté enveloppé dans un torchon, qu'elle jeta à son tour pour y avoir reniflé une odeur de noisette. Le gros sac de bœuf séché finit en revanche glissé dans le col de sa veste, tout comme la tranche de hareng fumé après qu'elle ai gratté de l'ongle le poivre qui en recouvrait la surface. La petite elfe était satisfaite. Elle avait de quoi se nourrir pour plusieurs jours et portait fièrement de jolis bijoux artistiquement ouvragés.


Son regard se porta au moment de partir sur l'énorme estramaçon pendu à la grosse main caleuse du voyageur. Il était encore plus effrayant vu de près, recouvert du sang de ses ennemis. La poignée de l'arme faisait à elle seule la longueur de la jambe de la petite elfe. Et l'épée en entière était plus grande de peu que son propriétaire déjà gigantesque. Shaiélaè la soupesa. L'acier était infiniment plus léger que ce qu'elle imaginait, eut-elle la surprise de constater. Elle pouvait la porter sans mal mais surement pas la manier comme l'homme le faisait. Et le tranchant tranchait. La petite elfe était heureuse de ne pas s'être trouvé parmi les rangs des gobelins. Elle s'imagina affronter lors d'une bataille un adversaire portant cette arme et conclut que la meilleure la fuite aurait bel et bien constitué sa meilleure chance de survie dans de telles circonstances. Elle s'imagina aussi le triomphe qu'elle aurait gagné au sein de son village si elle avait un jour volé un tel objet à un guerrier comme lui. Ce n'était pas la valeur monétaire qui qui importait les bosmers lorsqu'ils commettaient leurs larcins, mais la valeur sentimentale. Dérober un objet "près du cœur " de la victime apportait bien plus d'intérêt qu'un butin purement matérialiste. Et nul doute que le guerrier ci-gisant accordait une grande valeur à son épée...


Cette pensée acheva de convaincre la petite elfe de la lui piquer. Ça lui fera une bonne farce lorsqu'il se réveillera. Elle garderait cet encombrant souvenir aussi longtemps qu'elle apprécierait se remémorer ce jour, puis le bazarderait dans un fossé. Elle pourrait toujours sortir des bois et la négocier en échange es vivres et de vêtements chauds dans un village si sa situation se dégradait.


"Des orques vivent à Hauteroche. S'ils sont comme ceux de chez moi, ils seront brutaux mais honnête lorsqu'il s'agit de commerce. Surtout de métallurgie." L'idée de se retrouver seule à seule avec un orque l'intimidait. Ils étaient tous au moins aussi effrayant que l'humain qu'elle venait de dévaliser. Mais elle savait au moins à peu près à quoi s'en tenir, contrairement aux autres peuples. La petite elfe était prête à tenter le coup si besoin. Rien que le poids de l'acier devait valoir une petite fortune.


La main de l'étranger ne contint en un éclair plus que du vide. Shaiélaè chargea l'arme encombrante sur ses épaules, grimaçant au contact du sang caillé sur sa nuque puis tâcha de repartir aussi discrètement qu'elle était arrivée. L'épée disproportionnée n'était pas trop lourde à transporter mais sa taille et son tranchant gênait la bosmer. Ce qui devait arriver arriva : en tentant de réajuster sa position, Shaiéalè fût déséquilibrée. Elle essaya de se rétablir mais son pied glissa sur un intestin de gobelin étalé sur le sot et chuta lourdement, empêtrée dans l'estramaçon qui s'écrasa sur le sol avec fracas lorsqu'il heurta un bouclier brisé. La petite elfe avait lâché son chargement lorsqu'elle eu le réflexe mettre les mains en avant pour amortir son plongeon. Lesdites mains s'enfoncèrent dans le ventre ouvert d'un cadavre avec un bruit de succion répugnant.

La petite elfe poussa mentalement une interminable série de jurons. Elle allait se relever lorsqu'un grognement fatigué retentit derrière elle. Nul besoin de se retourner pour savoir que l'étranger se réveillait. Elle extirpa vivement ses bras du tas de boyaux puants mais trop tard : Le temps de se remettre debout, elle trouva le géant assit. Il lafixait en clignant les yeux. Shiaiélaè rougit de honte, elle ne savait que faire.


" T'es qui toi ? " demanda-t-il d'une voix pâteuse.


" Une voyageuse " improvisa la petite elfe à toute vitesse. "Je t'ai trouvé évanoui. "


L'homme la sondait du regard. Elle craignait qu'il ne juge qu'elle représentait un danger pour lui, alors elle prit l'initiative :


" Euh...les gobelins voulaient te dépouiller. Je les ai fait fuir et j'ai récupérer tes affaires. "


Shaiélaè tendit timidement les vivres et les bijoux dérobés, espérant survivre à cette rencontre pour retrouver une occasion de les lui reprendre. Le géant se releva en grognant. Il massa sa nuque un instant sans cesser de fixer la petite elfe. A son regard perçant et son visage stoïque, elle était certaine qu'il avait décelé la vérité. Pourtant iln'agissait pas pour la châtier pour une raison inconnue. Elle s'attendait à n'importe quel moment à le voir foncer sur elle à tout moment pour la briser comme il l'avait fait aux gobelins, mais elle n'osait faire le moindre geste vers son arc. Ça pourrait le provoquer. La bosmer guettait le moindre de ses mouvement, prête à fuir si besoin.


L'étranger s'approcha calmement et reprit sans mot dire les biens tendus par cette inconnue. Il ramassa son épée et planta-là Shaiélaè pour s'en aller inspecter les cadavres de gobelins atrocement mutilés . Les blessures qu'il avait causé avaient l'air de l'effrayer, remarqua la petite elfe. Loin d'une fierté cruelle, son visage d'une pâleur de mort n'exprimait que du dégout. Plus rien à voir avec le barbare frénétique qui avait un à un sauvagement mis en pièce ses adversaires.


Le guerrier s'assit sur un rocher, sa longue épée posée sur ses genoux.


" Merci. " dit-il finalement à la bosmer. Elle n'était pas certaine qu'il la croie entièrement, mais au moins faisait-il semblant. Il n'avait pas l'air si méchant que ça finalement. Peut-être qu'il lui offrirait volontairement quelques vivres pour la remercier... Tout ses efforts ayant été réduit à néant par cette stupide chute, ça serait mieux que rien. La petite elfe décida de prendre le risque de rester. Elle s'assit à ses côtés, essuyant distraitement sur ses braies ses mains poisseuses d'intestins. L'odeur quand elle refusait de s'en aller. L'homme nettoyait quand à lui son épée, la frottant méticuleusement à l'aide d'un chiffon graisseux. Ils devaient avoir l'air comique tout les deux. A côté du guerrier colossal rouge du sang de ses ennemis, Shaiélaè était insignifiante. Elle n'était pas plus haute que trois pomme. Déjà qu'elle se situait juste en dessous de la moyenne selon les critères bosmers. La fatigue, la tristesse et la malnutrition n'avaient fait qu'accentuer sa maigreur et son teint naturellement pâle. Elle flottait dans ses vêtements de cuir aussi sale que les cheveux bruns terne qui lui tombaient sur les épaules. Elle n'avait que peu d'occasion de les laver. Même ses grands yeux dorés avaient perdu de leur éclat depuis qu'on l'avait chassé de chez elle.


" Je suis ravi d'être tombé sur une visage amical, elfe. " dit l'étranger pour briser le silence. " Cette forêt est dangereuse, qu'est ce qui t'y amène ? "


" Je voyage juste... " répondit la petite elfe qui avait choisie de rester vague. Elle avait envie de lui rétorquer que la forêt n'était absolument pas dangereuse si l'on si déplaçait discrètement, mais se retint.


" Où vas-tu ? "


"Orsinum " mentit Shaiélaè.


" Fais attention. Les orques ne sont après tout que de gros gobelins. " Un sourire fendit son visage, qui disparu lorsqu'il compris que son interlocutrice ne riait pas à sa blague. "Je m'appelle Ioreck, " reprit-il pour étouffer le malaise. " Je viens de Skyrim. "


Shaiélaè lui demanda la raison de son voyage. Elle s'efforçait d'étoffer la discussion, ne sachant pas comment aborder le sujet des vivres.


" Je part me faire engager chez une compagnie de mercenaire. J'ai une recommandation et je sais chez quel employeur ils passent l'été. J'espère les y rejoindre avant qu'ils n'en changent... Je me suis attiré... quelques ennuis, chez moi. Des erreurs que j'ai commise et qui m'ont tout coûté. Disons que j'ai tout perdu et que je ne peut y retourner. Le mercenariat, c'est l'idéal pour refaire sa vie. "


Des ennuis... Elle ne l'interrogea pas sur le détail de ces "ennuis". La petite elfe comprenait le besoin de garder ces choses-là pour soi. Elle le comprenait mieux que quiconque. Et elle en éprouvait de la sympathie pour cet homme. C'était à la fois effrayant et rassurant de penser que le hasard avait fait se rencontrer dans une forêt deux malheureux chassés de chez eux, forcés de fuir. La petite elfe lui sourit tristement. Le malaise du premier échange commença à s'estomper.


Elle le félicita de son combat contre les gobelins. Ils discutèrent de longues minutes, évoquant les dangers de la forêt, parlant de leurs peuples respectifs, connu seulement pour l'un et pour l'autre à travers les rumeurs. Les nordiques étaient tous bien très grand, apprit la petite elfe. Mais peu autant que celui qu'elle avait sous les yeux. Il lui raconta que son épée portait un nom, "Foyer".


"Enfin, c'est moi qui l'ai appelée comme ça quand on me l'a donnée... " précisa Ioreck. Sa longueur absurde et les crocs disposés de part et d'autre de la lame ne servaient pas seulement à frapper d'effroi le cœur de ses ennemis, expliqua-t-il. Elle était à l'origine conçu pour affronter des cavaliers. Sa taille permettait de briser une charge en s'en servant comme pique et trancher d'un coup l'encolure ou les jarrets d'un cheval. Les crocs permettaient d'agripper le cavalier pour le désarçonner.


"Mais elle est aussi pratique contre les gobelins. " Shaiélaè ne s'était pas trompé, le nordique tenait beaucoup à son épée. Elle lui montra son arc en échange et lui expliqua qu'elle aussi y tenait beaucoup. Mais ne lui avait pas donné de nom.


Midi passa. Ioreck expliqua qu'il était temps pour lui de se remettre en route. Il ramassa le reste de ses affaires semées au vent et le fourra dans son sac à dos.


" Ravi d'avoir fais ta connaissance, elfe. Cela faisait trop longtemps que je n'avais pas croisé de visage amical. Je te remercie pour ton aide, puisse les Neuf te bénir. Adieu ! "


Il se mit en route vers l'est, accompagné du même vacarme qui l'avait annoncé à la petite elfe plus tôt dans la mâtiné. Shaiélaè le suivit.


" Tu n'allais pas à Orsinum ? C'est de l'autre côté ! " il lui fit remarquer une centaine de mètres plus tard.


" J'ai plus envie. Dis... tu penses que tes mercenaires voudraient de moi ? "

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