Battlespire

Chapitre 7 : La Porte du Weyr

4430 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/11/2016 23:16

Un mauvais pressentiment étreint Agnès à peine eu-t-elle atteint le corridor menant au bureau de Paxti Bittor. Plantée devant la porte cloutée d'une plaque de bronze indiquant «  Héraut Paxti Bittor, maître invocateur. Responsable en second des portails de Mortecime », elle écouta ce qui semblait être un air de musique s'en échapper.

La légionnaire colla son oreille au panneau de bois, une main sur la poignée de la porte, l'autre sur celle de Châtiment. Prête à intervenir. Une voix nasillarde fredonnait une chanson désuète :

Quand Akatosh tua Lorkan, il lui arracha le cœur.

Il le lança haut dans le ciel, et alors nanaaa... le cœur :

Diamant Rouge! Diamant Rouge!

Des hommes nanananaa...

Diamant Rouge! Diamant Rouge!

Protège-nous des...

— Ce n'est pas bientôt fini ? l’interrompit la voix métallique d'un drémora . La première voix repris, calmement :

— Vous êtes là pour me protéger, Dregas, et me protéger uniquement. Je prendrais le temps qu'il faudra.

— Vous êtes inutile. Vous n'avez même pas su ouvrir l'armurerie. Le Seigneur Dagon ne verra aucune différence si vous... disparaissait. Vous n'êtes qu'un pion, mortel. Remplaçable.

— Ce sont vos troupes qui n'ont pas sécurisé le sceau à temps. Je ne suis en rien responsable de leur échec. J'ai conscience que Dagon n'accorde aucune importance à mon existence. Autant qu'à la votre, d'ailleurs. Des séides, il en a à la pelle. Mais mon maître pense différemment. Je lui suis encore utile. Il serait mécontent si vous touchiez un seul de mes cheveux. Alors taisez-vous, et aidez moi.

La voix métallique grommela quelque chose qu'Agnès n'entendis pas. Après quelques secondes de silence ponctuée du bruit d'objets déplacés, la voix nasillarde demanda :

— Qu'en est-il des fuyards qui vous ont échappé dans la citadelle ?

— Je ne sais pas qui s'en occupe. Sumeer Jabran ou Vonshala Keriayn, probablement. Je miserais sur Keriayn. Je crois que le Seigneur Dagon a ordonné à Jabran de retirer ses troupes. Xivilai Moath interroge les prisonniers. S'ils savent quelque chose sur vos fuyards, on le saura très vite.

Il y a des prisonniers ! Des survivants ! Il faut prévenir Josian, voir si l'on peut faire quoi que ce soit pour les sauver ! Agnès n'aimait pas ce que le ton de voix métallique impliquait « s'ils savent quelque chose, on le saura très vite ... » Elle frissonna. Elle avait vu assez de cadavres de ses frères légionnaires pour savoir de quelles immondices les daedras étaient capable.

La Bretonne s'extirpa brutalement de ses pensées. La discussion avait continuée et elle avait perdu le fil.

Peu importe. J'entre et je les neutralise. La voix nasillarde doit être celle de Paxti Bittor. Quand au drémora, eh bien... il va tâter du Châtiment Daedrique.

Bon. C'est parti.

Agnès pris une grande inspiration, et se lança. Deux violents coups de pieds les voler les gonds de la porte. Les deux individus sursautèrent et se tournèrent vers elle. Elle se mit en garde campée fermement sur ses deux pieds, Châtiment devant son visage pour le protéger tandis que sa main gauche brandissait une boule de feu menaçante vers l'intérieur du bureau.

— LÉGION IMPÉRIALE, NE BOUGEZ PLUS ! S’époumona la Bretonne. Crier la rassurait. AU NOM DE L'EMPEREUR, JE VOUS ORDONNE DE VOUS RENDRE !

Le drémora hurla un cris de guerre à son tour en voyant cette apparition. Il se précipita sur son arme, geste qu'Agnès remarqua du coin de l’œil. Quelque chose cloche. Au même moment, un nuage de brume entoura Paxti Bittor. Lorsqu'il se dissipa, le petit homme vêtu d'une robe de mage s'était paré d'une armure noire et rouille. Il commença à incanter un sort dans ses deux mains jointes. La légionnaire le força à s'arrêter en l'obligeant à se baisser pour esquiver la boule de feu qu'elle lui lança, qui alla s'éclater avec fracas contre le mur du fond. Le mage répliqua en faisant apparaître dans son poing un pointe de glace acérée comme un javelot qu'il projeta sur son adversaire. Sa précipitation l'avait fait viser à la hâte. Le projectile n'atteint que le flanc de sa cible, et dévia sur la courbure de l'armure en éclatant en morceaux.

Le drémora s'approchait.

Agnès compris alors ce qui clochait : deux lames courbes pâles comme le lait, agencées de part et d'autre d'un manche. Il est le porteur d'un Croissant !

— Châtiment ! Voilà que mon destin s'offre à moi. Quel humain stupide a sorti cet artefact des coffres de l'arsenal pour le remettre au main propre au plus fidèle serviteur du Seigneur Dagon ? J'en dépouillerais ton cadavre. Et ta mort, mortelle, marquera la chute de votre futile Empire.

Une peur panique s'empara d'Agnès. Elle se mit à paniquer, maladroite, et à reculer dans le couloir. Le daedra s'approchait. Elle le voyait comme au ralentis. Il faisait tournoyer le Croissant au dessus de sa tête, avec une incroyable virtuosité. L'arme ne pesait rien entre ses mains. La légionnaire, elle, sentait dans son dos le lourd poids de celui pris à Vonshala Keriayn. Elle l'avait ficelé dans un morceau de tenture trouvé aux archives et le portait en bandoulière pour ne pas s'en encombrer les mains. Si je meurt, l'Empire ne découvrira pas le secret de cette arme...

Un jet de flamme la frôla, sortant la Bretonne de ses pensées avec autant d'efficacité qu'un bain glacé. Merde !

Combattre.

Le drémora était sur elle. Agnès para le Croissant à l'aide de Châtiment. Le choc des deux armes produisit en tintement cristallin assourdissant. Il fallait également compter sur le mage Paxti Bittor. D'une main, Agnès maniait le Marteau à Daedra contre le Fléau des Mortels. De l'autre, elle répliquait sort pour sort à chaque maléfice que lui destinait le sale traître à l'Empire. Il me le faut vivant.

La cadence de tir des sorts de Paxti Bittor ralentit perceptiblement. La Bretonne eu un instant l'espoir que sa magie se soit épuisée, avant de sentir une force étrange s'insinuer dans son cerveau.

Il s'essaye à la magie d'illusion !

Le combats contre le mage prit une tournure mentale autrement plus éreintante que l'affrontement physique. Il essayait de manipuler son cerveaux pour la forcer à rendre les armes, sans risquer de toucher son garde du corps par un sort mal ajusté. Agnès élevait des défenses psychiques comme un assiégé renforce de poutres une porte tremblant sous les coups d'un bélier. Le sang coula de son nez.

Le duel contre le drémora faisait rage dans le même temps. L'esprit de la Bretonne s'en était pourtant détourné. Sa conscience ne se souciait que de se protéger du viol mental. Elle ne contrôlait plus son bras. Châtiment dansait toute seule contre le Croissant son antagoniste. Les deux armes s'entrechoquaient à une vitesse difficile à suivre à l’œil nu avec le son d'un millier de coupe de cristal fracassées.

Le daedra était possédé. De la bave coulait de ses lèvres et ses yeux vides ne montraient aucune attention au combat. La violence du duel de Châtiment et de son Croissant semblait l'effrayer. Agnès ne remarquait même pas. Elle incantait en murmure les formules magiques qui lui permettait de contrer les sorts mentaux de Paxti Bittor, les yeux fixé sur ses lèvres dans l'espoir d'y lire des indices sur ses intentions.

Le Croissant virevolta en de larges arcs de cercle, essayant vainement d'atteindre Châtiment qui tournait autour de lui à la recherche d'une faille, repoussant à la dernière secondes les deux lames lorsqu'elles s'approchaient de trop de sa porteuse. La masse attendit que le Croissant se remette en place après une attaque pour prendre de l'élan loin derrière la tête d'Agnès et s'abattre sur son adversaire en un revers fulgurant. Le Croissant fit reculer le drémora juste à temps de quelques pas. Il contempla Châtiment dont la porteuse s'était trouvée déséquilibrée par l'attaque manquée.

Le daedra ouvrit la bouche. Ce ne fut pas sa voix métallique qui en sortit mais une autre, cristalline et tranchante comme un rasoir.

— Ton porteur n'as pas la condition physique pour me battre. Le miens et plus grand, plus fort, plus vigoureux. Le tien ne connais pas ton pouvoir véritable. Il ignore comment te révéler. J'ai gagné. Jamais plus le Marteau à Daedra n'écrasera les crâne de la race immortelle !

Agnès parla, bien qu'elle l'oublia par la suite. Sa voix ne fut pas humaine mais rocailleuse, dure comme l'ébonite trempée.

— Tu es seul contre moi et sans tes frère pour me soutenir. Je te vaincrais sans recourir à mon pouvoir véritable. Je me suis déjà servi de ma porteuse pour vaincre l'un de tes semblable. Elle arbore ton frère sur elle comme un trophée et son porteur nage dans les limbes de l'Oblivion. Vous deux subiraient le même sort.

La magie d'Agnès s'épuisait. Elle ne parviendrait pas à maintenir plus longtemps ses défenses mentales. Son adversaire était bien plus expérimenté qu'elle dans ce domaine. Il ne saigne même pas du nez. Elle n'avait plus de poutre pour renforcer la porte. Paxti Bittor s’aperçut de la faiblesse de la Bretonne, et redoubla ses attaques.

Le Croissant poussa un cris de rage.

— Nous verrons bien, dit-il à travers la bouche de son porteur.

Le drémora éleva le Croissant au dessus de sa tête. Il prononça une longue incantation dans une langue odieuse, insoutenable pour l'oreille d'un mortel. Aucun alphabet au monde ne saurait comment retranscrire à l'écrit les syllabes qui sortirent de cette bouche.

Paxti Bittor entendit cette formule alors qu'il s’apprêtait à abattre le dernier mur mental d'Agnès. Il émergea brutalement de son intense concentration et se jeta en hurlant sur son garde du corps, se bouchant à moitié les oreilles. Il ne parvint pas à temps pour l’empêcher de la prononcer en entier. Le mage regarda impuissant l'espace entre les deux lames du Croissant se distordre. Un globe de lumière apparut, s'étendant jusqu'aux pointes en deux arcs électrique. L'orbe d'énergie pris un puissant vert brillant et grandit, grandit, grandit... Il irradiait toute la salle.

Les yeux fous de Paxti Bittor s'étaient écarquillé de terreur. Le petit homme assistait à la libération du pouvoir véritable du Croissant Daedrique. Agnès le voyait également, bien que ne compris pas tout de suite ce qu'il se passait. Elle restait planté debout en face du drémora, Châtiment à la main, son regard pivotant successivement entre un Paxti Bittor paniqué et l'orbe d'énergie grandissant.

La boule lumineuse atteint son paroxysme. La moindre parcelle d'ombre dans le bureau disparu une fraction de seconde dans un éclair vert aveuglant et l'orbe se mua en un rayon ardent qui jaillit sur Châtiment et sa porteuse. Le bras d'Agnès bougea tout seul et parvient à interposer la masse d'un réflexe surhumain avant que le rayon ne la frappe de plein fouet.

Une onde de choc secoua toute entière l'aile de Mortecime dans laquelle ils se trouvaient. Agnès sentit un tisonnier ardent fouailler dans son cerveau et un bloc de glace lui enserrer le bras. Elle perdit connaissance dans la seconde.


Elle ne se réveilla que bien plus tard, étendue au travers d'un fauteuil réduit en miette. Elle était blanche de la poussière rocheuse qui la recouvrait et son crâne la torturait d'une migraine intolérable. La Bretonne se sentait comateuse. Comme un lendemain de cuite. Elle fit un effort pour se relever en prenant appui sur les gravats autour d'elle. Son bras droit engourdit la trahie et elle retomba lourdement sur le sol. Et poussa un râle étouffé en sentant une lame invisible lui retourner les intestins. Sa blessure au ventre s'était rouverte. Elle nageait dans le sang coulant à l'intérieur de sa cuirasse. Merde... Le sang commençait à affluer de nouveau vers son bras. La légionnaire reprenait lentement le contrôle de son membre, supportant en grimaçant les centaines d'aiguilles chauffées à blanc plantées dans sa peau. La douleur diminua rapidement et elle put le bouger librement de nouveau.

Il s'est passé quoi ? Elle ne se rappelait que vaguement des événements récents. La Bretonne se souvenait d'un flash d'un vert aveuglant suivi d'une douleur intense et du noir complet. Elle se risqua à un coup d’œil autour d'elle.

Le mur derrière elle et une partie du plafond s'étaient effondré. Les armoires, le bureau de bois massif, la bibliothèque qui meublaient jadis le bureau de Paxti Bittor gisaient sans dessus-dessous, répandant livres et classeurs à travers leurs parois éventrées.

Paxti Bittor, ce sale traître, était tassé dans un coin comme une poupée désarticulée. La pierre autour de lui s'était teintée de sang et sa nuque, ses bras, ses jambes formaient des angles inédits desquels ressortaient des éclats d'os blanchâtre. Le choc l'avait tué sur le coup. Au temps pour l'interrogatoire, pensa-t-elle, déçue.

Agnès entendit un grognement qui la sortit de sa torpeur. La Bretonne se tourna pour en découvrir l'origine. Le garde du corps drémora de Paxti Bittor tâchait lui aussi de se remettre debout avec la même expression hagarde d'incompréhension. Il avisa la légionnaire et ses lèvres se retroussèrent en une moue haineuse. Une fois sur ses deux jambes, le daedra tituba lentement jusqu'au centre de la salle. Là gisaient l'un contre l'autre Châtiment et le Croissant Daedrique. Agnès se souvint. Merde...

Elle essaya une nouvelle fois de se lever et échoua. Faute de quoi elle se mit à ramper jusqu'aux armes. Le drémora trébucha et tomba à mi chemin. Il perdit quelques seconde à essayer de se relever, sans succès. Le démon abandonna et se mit lui aussi à ramper, accélérant en voyant Agnès augmenter sa vitesse.

Ils arrivèrent en même temps. Le daedra tandis le bras vers son Croissant. Au lieu de s'emparer d'une arme, Agnès lui attrapa les doigts et les lui tordit jusqu'à ce que la douleur force son ennemi à se mettre la face contre terre. La Bretonne ramassa Châtiment. Le drémora tenta de l'en empêcher jusqu'à ce que la légionnaire lui assène un coup sur le bras qui le fit hurler de douleur. Ce n'étais pas un coup puissant mais il écrasa l'armure comme si elle n'avait été faite que de papier mâché.

Le daedra serrait son bras brisé en pleurant presque, les yeux exorbités par la peur et la douleur.

Agnès ajusta un nouveau coup et frappa de toute ses forces dans le visage. L'os et la cervelle éclatèrent avec la facilité d'un melon lâché du haut d'une tour.

Un voile bleuté entoura le daedra dans un bruissement de soie froissée et il disparu de cette existence. Il restait de lui qu'un flaque de plasme azur comme celle que Vonshala Keriayn avait laissée d'elle lors de son bannissement.

Agnès se releva lentement, difficilement et s'assit se reposer un instant sur un bloc de pierre arraché du plafond.

Allez, ce n'est pas finit, se motiva-t-elle après quelques minutes pour se remettre au travail. La légionnaire commença par retirer sa cuirasse pour s'occuper une fois de plus de sa blessure. Ce n'était pas beau à voir. C'est en essayant d'appliquer dessus un sort de soin qu'elle se rendit compte à quel point elle avait faim. C'est quand la dernière fois que j'ai grignoté un truc ? Dans les quartiers de l'Artificier ? Merde... Elle avaient l'impression que c'était il y a des jours. Peut-être est-ce le cas. Il n'y a aucune notion du temps qui passe, ici. La Bretonne se demanda ce qu'il était advenu de l'Artificier. Il sûrement mort à l'heure actuelle, pensa-t-elle avec une pointe de tristesse.

Elle réussit à refermer grossièrement la plaie et à calmer la douleur. Des robes de cérémonies s'éparpillaient autour d'une penderie. Agnès en choisit une à peu près propre et la déchira pour s'en faire un pansement qu'elle sera contre son abdomen, luttant contre la vive douleur que la pression lui procura.

Bien. Au moins maintenant, la peine dans sa tête dépassait en intensité celle dans ses entrailles.

Le Croissant Daedrique du drémora reposait toujours au centre du bureau. Agnès le ramassa, ne sachant pas trop quoi en faire. Une seule de ses armes l'encombrait bien assez. Tant qu'elles ne retombent pas aux main de l'ennemi...

Il fallait détruire celle là. Le bloc de maçonnerie sur lequel elle s'était reposée ferait une parfaite enclume. Elle y disposa le Croissant, posé bien à plat et tapota dessus quelques coups de Châtiment. Puis elle leva la masse à deux mains au dessus de sa tête et l'abattit de toute ses forces, tel un maître forgeron d'Orsinium.

La légionnaire plaqua ses mains devant ses oreilles, stoppée dans son élan par l'assourdissant résonnement cristallin que produisit l'arme sous le choc de la masse. Elle leva de nouveau Châtiment, prête cette fois à encaisser le bruit et frappa à de nombreuse reprises. On dirait qu'il crie.

Il lui fallut une dizaine de coups avant que la première lame ne se désolidarise du manche, rapidement suivit de la deuxième. Agnès frappa encore dans l'espoir de voir le métal se fendre mais ne put rien obtenir de tel. Faute de quoi elle enterra chacun des trois morceaux séparément dans les gravats, se demandant si un daedra prendrait la peine de venir fouiller dedans.

Paxti Bittor maintenant. L'irruption de la légionnaire dans son bureau l'avait interrompu alors que lui et son garde eu corps cherchaient à faire disparaître des documents. Son cadavre tordu portait en bandoulière la sacoche dans laquelle ils les avaient fourré.

Agnès la lui retira, dégoûtée de toucher le corps. Elle regrettait sa mort. Et surtout, se sentait coupable. Un sentiment bien étrange après avoir massacré autant de daedra pour venir jusqu'ici. Mais ce n'était pas pareil. Il était humain. C'était la première fois qu'elle versait le sang d'un mortel, comme elle. Ce n'était pas comme elle l'imaginait. Ce n'est pas comme on nous a appris à la Légion.

Ce n'est pas toi qui l'a tué. Tu ne te rappelle même pas de ce qui c'est passé, essaya-t-elle de se rassurer. Non. Il ne serait pas mort si je n'avais pas passé cette porte dans le but de le capturer. C'est de ma faute.

La Bretonne se tourna dos au cadavre et reporta son attention sur le contenu de la sacoche. Des effets personnels de grande valeur, surtout. Qu'il tenait à sauver du sac de Mortecime. Il y avait de l'argent en grande quantité, bien plus que la solde d'un mage de guerre pouvait permettre de posséder, un lot de parchemins magique d'une extrême rareté, quelques livres... Agnès examina attentivement un lot de papiers.

Oui ! C'est ça ! Il y avait des codes secrets impériaux que cette vermine de traître s’apprêtait à vendre à Mehrunes Dagon. Les plans de divers portails magiques barbouillés d'annotations manuscrites indiquant la meilleur façon de s'y prendre pour les détourner. La liste de noms de dizaines d'agents de la Légion des Ombres en mission sous couverture, qu'il avait du voler quelque part car il n'était pas accrédité pour avoir connaissance d'un tel document. Enflure !

Et il y avait ce minuscule bout de papier chiffonné trouvé collé au fond de la sacoche, qui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre à Agnès. L'écriture qui y était griffonnée était devenue presque invisible tant le papier avait été plié et replié. Mais la Bretonne parvint à le déchiffrer :




Lisez ceci et ne permettez pas que ce qui y est dit soit mis en doute.

Le porteur de ce message s'est présenté sous le nom de Lomegan Mariel, secrétaire impérial. Il est en réalité Sirran Angada, mon serviteur. Sirran Angada à toute ma confiance et parle en mon nom. Suivez ses instructions, l'heure est proche.


J. Tharn




Jagar Tharn ! Elle nourrissait l'espoir de l'innocenter en interrogeant Paxti Pittor mais voilà que ses soupçons se confirmaient ! C'était pire que ce qu'elle imaginait. Jagar Tharn, le Mage de Bataille de l'Empereur... Et qu'était-il arrivait du véritable Lomegan Mariel ? L'avait-on éliminé pour que Sirran Angada prenne sa place ? A quel point la Cité Impériale est-elle compromise ? L'Empereur est en danger, c'est sûr maintenant !

Jagar Tharn ! Elle frémit de colère. Il était le commandant en chef de la XXIIIème légion et de la Battlespire. Il avait vendu ses propres hommes !

Mais pourquoi?Est-il vraiment prêt à livrer Mortecime à Mehrunes Dagon pour satisfaire son ambition ? Et Josian ? Où en est-il dans son enquête ? Elle bouillait d'impatience de le retrouver. Pourtant maintenant, un autre devoir la tiraillait. Il faut retourner sur Nirn, prévenir l'Empereur de la trahison de son conseiller s'il n'est pas trop tard. Je dois prendre le portail offert par cette gamine, Rishaal Tamir et trouver un passage vers Tamriel une fois de l'autre côté.

La Bretonne ne voulait pas rester seule. Elle ne voulait pas laisser son frère seul. Je me suis pourtant bien débrouillée seule. Et lui aussi... Est-ce qu'il comprendra si je l'abandonne ? Oui, lui souffla une voix dans la tête. Il a toujours fait passé son devoir de légionnaire avant le reste. Il approuverait que tu fasse pareil.

Agnès, résignée, prit sa décision. Décidément, j'ai bien changée depuis mon arrivée ici.

Elle se doutait que Josian viendrait fouiller le bureau de Paxti Bittor à un moment ou un autre. Alors elle fit comme lui en avait pris l'habitude et déposa bien en évidence dans le couloir un carré de parchemin rédigé en dwemeri dans lequel elle exposait ses découvertes :




Josian,

J'espère que tu vas bien, si tu lis ce message. Moi je vais bien. Je suis un peu blessée, mais ce ne sont que des égratignures. Ne t'inquiète pas. Tu avais raison. Paxti Bittor était bien associé avec les daedras. J'ai découvert en fouillant son bureau que le seigneur Tharn tire les ficelles ! J'ai négocié un passage vers l'extérieur avec l'un des généraux daedra (longue histoire). Je suis désolée de te laisser, mais je dois y aller pour essayer de prévenir l'Empereur. Trouve Rishaal Tamir si tu veux tenter de me suivre. Sinon, je te ramènerais des renforts une fois de retour sur Nirn.

J'ai sécurisé l'armurerie, ne te fais plus de soucie pour ça. Et j'ai récupéré la masse Châtiment. C'est un atout précieux dans cette bataille (je la rendrait à la Légion une fois cette histoire terminée) Prend soin de toi. Je t'aime.

Agnès







C'est Rishaal Tamir qui la trouva la première dans les couloirs de Mortecime.

— Vonshala Keriayn...

— … a été punie, confirma Agnès.

— Je sais, dit la petite fille d'une voix innocente. J'aurais aimé être là....

— Vous avez promis...

— ... et vous l'avez mérité. C'est triste de vous voir partir, vous savez ? Je vous aimais bien. La daedra soupira. Je n'avais pas eu d'amie comme vous depuis bien longtemps...

La Bretonne resta silencieuse. Elle suivit la créature dans les dédales les plus profonds de la citadelle, ceux-là même qui l'avaient étonnée plus tôt par leur ancienneté. Agnès nota que Rishal s'était déplacée pour marcher à sa gauche, du côté opposé de la main qui portait Châtiment. Lire la peur dans les yeux de sa guide lui donnait un sentiment de force que contrebalançait les regards envieux que jetaient la daedra sur la forme du Croissant enveloppé d'une couverture dans le dos d'Agnès. Elle craignait qu'elle ne tente quelque chose de stupide pour s'en emparer. Pas tant que j'ai Châtiment en ma possession, se rassura-t-elle.

— Voilà le portail, annonça Rishal au bout d'un moment. Les mages qui l'ont créé l'appelle la Porte du Weyr. Votre Empire n'a pas achevé sa construction. Il ne marche que dans un sens. Vous êtes prête ?

Le portail ressemblait à une version miniature des Pilier des Lumières. Sauf que les obélisques qui s'agençaient en cercles pointaient également du plafond, en une version inversée. La pénombre de Mortecime rendait encore plus effrayant les horribles inscriptions taillées dans le basalte noir.

— Où cela va-t-il me mener ?

— Un autre plan. En Oblivion. Il y a des passages pour Nirn de l'autre côté.

Agnès flairait le piège.

— Je n'ai pas confiance.

— Rien ne vous oblige à partir. Vous pouvez rester ici avec moi pour toujours, toujours... Ça me ferait plaisir d'avoir de la compagnie. Je n'ai que les galopins pour jouer, et ils sont si ennuyeux...

Tout bien réfléchi...

Très bien. Commencez le rituel.

Rishal sourit, dévoilant ses dents de lait. Une poignée de galopins apparue et se disposa en cercle autour de l'autel. Ils marmonnèrent quelques paroles et les lettres gravées sur l'édifice s'illuminèrent d'un faible éclat. Agnès grimpa sur l'autel central, les tripes serrées par un étau d'angoisse.

Rishal entra dans le cercle des galopins et se mit à murmurer elle aussi, prenant petit à petit la tête du rituel. La Bretonne lévita quelques instants puis un puissant éclair l’enveloppa. Progressivement, la Battlespire de Mortecime se déroba à sa vue.


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