Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 1 : Blessures

4117 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/06/2021 10:29

"La plupart des blessures guérit avec le temps,

mais la culpabilité est un cancer qui sait où se cacher."

- RMA Spears

*

ZELDA

Je sentis mon estomac se serrer : c’était la première fois, depuis le réveil du Fléau Ganon, que j’allais mettre les pieds dans mes quartiers. Notre victoire sur la fatalité ne datait que de quelques heures seulement et l’euphorie de la victoire laissait petit à petit la place à l’épuisement et au vide.

Revali m’avait galamment déposée sur la passerelle qui joignait ma chambre à la tour dont j’avais fait mon étude, puis il était parti survoler la plaine à la recherche de blessés. C’est Urbosa qui dirigeait l’équipe de recherche au sol. Mipha et Impa s’affairaient dans l’hôpital de fortune qu’était devenu le Grand Hall, tandis que Daruk et ses hommes déblayaient les gravats. Link avait insisté pour patrouiller dans le château afin de débusquer les derniers monstres. Père lui avait pourtant assuré qu’après ses exploits contre Ganon, il méritait largement un peu de repos, il était tout de même parti…

« Merci Majesté,” avait-il déclaré, “mais tout le monde s’est battu de toutes ses forces aujourd’hui et je ne vois personne se reposer.»

C’était tout lui... Et puis, maintenant que le Fléau était scellé, il allait pouvoir retrouver un peu de liberté: son rôle de protecteur rapproché de la Princesse n’aurait plus autant d’importance, n’est-ce pas ? Plus besoin de me suivre partout comme une ombre… La Princesse avait-elle encore seulement de l’importance ? Ah oui, « Transmettre le Sang de la Déesse »… Notre survie à tous avait été si drastiquement et si longuement compromise par mon absence de  pouvoirs que j’avais presque oublié ce devoir-là...

Je descendis avec précaution l’escalier intérieur, qui avait miraculeusement tenu le coup. Mes yeux mirent de longues secondes à s’habituer à l’obscurité de ma chambre, et le chaos qui y régnait ne m’aidait pas vraiment à retrouver mes repères. Tout un pan du mur et une partie du plafond s’étaient écroulés, jonchant le sol de pierres et de débris; le reste avait été mis sens dessus dessous par les monstres.

J’avançai avec précaution,  choisissant soigneusement où poser mes pieds déjà meurtris d’avoir subi cette guerre en sandales. La porte principale ne donnait plus que sur un amoncellement informe de pierre de taille et de poutres brisées. L’escalier extérieur, quant à lui, avait été pulvérisé par des tirs de gardiens; me privant de tout accès à ma chambre si ce n’était par les airs. Mon lit, dont le sommier était brisé et dont un pied manquait, se cambrait comme un animal à l’agonie. Au fond de ma chambre, ma penderie éventrée semblait retenir tant bien que mal ce qui restait du solide mur sur lequel elle s’était appuyée pendant  des siècles.

C’est pour elle que j’étais là. Il était hors de question que je laisse tout le monde gérer les  suites de cette bataille sans m’impliquer: la « Princesse Inutile » était morte, ce jour-là, à Necluda, avec l'Éveil tant espéré de ses Pouvoirs… Mais avant cela, si je pouvais au moins récupérer une vraie paire de chaussure... Et me débarrasser de cette maudite robe, retrouver des vêtements pratiques, confortables et chauds. Et propres ! J’en étais arrivée à détester cette robe de cérémonie qui m’obligeait à garder les jambes serrées  en permanence et à bomber le torse de peur qu’elle ne glisse! Cette guenille déchirée par nos épreuves et constellée de boue et de sang ne tenait plus que par l’opération de la Puissante Hylia... Comme si les mauvais souvenirs de mes prières infructueuses dans toutes les sources d’Hyrule ne suffisaient pas déjà à me la faire haïr…

À genoux au milieu des gravats, le bras enfoncé jusqu’à l’épaule dans les entrailles du meuble,  je fourrageai à la recherche de mes vêtements.


LINK

Le ciel d’Hyrule ne m’avait jamais semblé aussi bleu. Cela m’étonnait à chaque fois que je détachais mon regard des décombres du château. Après cette longue bataille nocturne sous le halo rougeâtre de la Lune de Sang, l’intensité des vraies couleurs du monde était presque aveuglante. Ganon était vaincu, enfin. Hyrule était sauve. Je me sentais… nu: sans ce fardeau sur mes épaules, j’étais vulnérable à tout ce que j’avais réussi à faire taire en moi; et je savais que ce serait encore pire le lendemain.

J’avais prétexté une patrouille autour du château pour chercher un peu de solitude. Je n’avais trouvé que quelques Bokoblins et un ou deux Lézalfos; seulement de ceux qui étaient déjà trop amochés pour fuir avec les autres. Les images de notre combat me revenaient constamment en tête : il me faudrait encore quelques heures pour que la tension redescende complètement. Une image en particulier revenait souvent : Zelda se retournant vers moi, triomphante, après avoir accompli sa Mission Sacrée… Et me souriant…

Je n’avais jamais douté d’elle, jamais! J’aurais aimé avoir assez de courage à ce moment-là pour le lui rappeler : «Je vous l’avais bien dit» ! Et ce sourire : plus éblouissant que tout le reste… Encore une fois, j’avais brûlé d’envie d’aller la prendre dans mes bras… Pfff… C’était à peine si je pouvais bouger… Et c’était sûrement mieux comme ça.

Avant de remonter de cet étrange coupole où nous avions combattu Ganon, nous avions cherché et ramassé autant de morceaux du Petit Gardien que nous avions pu en retrouver; tous ensemble, à la Lumière du Pouvoir de Zelda... Egg… Non… Quel était son vrai nom déjà ? Trico ? Non… Ah, Terrako… Penser que je n’avais su ton nom qu’après avoir été forcé de te détruire me donnait la nausée. Toi notre ami à qui nous devions tant…

Zelda ne m’avait fait aucun reproche mais je me doutais qu’elle allait m’en vouloir : un coup de plus dans l’aile de son estime de moi... Je ne l’aurai pas volé : moi-même je me détestais pour ça. J’aurais dû penser plus vite et trouver une solution: peut-être qu’en l’immobilisant avec cinetis nous aurions pu le désactiver sans le détruire? Ou alors en lui arrachant simplement les pattes? Aurions-nous pu le purifier ? «Chevalier Purificateur », qu’on m’appelait… Mon œil, oui… Je détruisais tout ce que je touchais…


Ma patrouille touchait bientôt à sa fin. A ma droite, la haute Tour de la Princesse semblait me jeter un regard noir ; la passerelle qui la reliait à sa chambre me surplombant tel un couperet. Au-delà, j’apercevais déjà la foule des armées Hyruliennes, qui avaient trouvé refuge sous le grand préau : Gorons, Zoras, Piafs, Gerudo, Hyliens, Sheikahs, et même les Yigas : tous frères d’armes. Tous mes frères d’armes. Même si je n’étais pas pressé de me mêler à eux, je me régalais de ce spectacle: je les savais écartelés entre l’exultation et le deuil, entre le soulagement et l’exténuation, entre la fierté et la douleur. Écartelés intérieurement, mais entre eux : plus unis que jamais.

Afin d’éviter la foule, j’empruntai l’escalier à ma droite pour prendre un peu plus de hauteur, arpentant désormais le familier chemin de ronde qui montait jusqu’aux Jardins Suspendus. Alors que j’atteignais le premier pallier, un cri étouffé me sortit de ma rêverie. Puis un second, qui résonna au-dessus de moi: il semblait provenir de la Suite Princière. Cela ne pouvait pas être elle: tous les accès à sa chambre étaient complètement effondrés! A moins qu’elle y ait accédé par un autre moyen...?

Un troisième cri, presque un gémissement cette fois : qui que ça puisse être, il y avait bien quelqu’un là-haut. 

« Votre Altesse…? » Le bruit d’un bris de verre fut ma seule réponse. « Princesse Zelda, est-ce que c’est vous ? Tout va bien !? ».

J’entendis cette fois distinctement un sanglot. Abandonnant ma ronde, je pris l’initiative d’escalader l’escalier en ruine pour aller voir ce qu’il en était.

 

MIPHA

Sidon était reparti à son époque. Nous allions nous revoir. En fait, j’allais le retrouver dès mon retour au Domaine, juste en plus petit ! Oh, en beaucoup plus petit… Et pourtant, quelque chose me tracassait. Je repassais en boucle nos discussions et un détail m’échappait, me rongeant sans que j’arrive à mettre la nageoire dessus. Une ombre dans son regard, un sourire qui tardait toujours à briller… 

« Votre Altesse Mipha ! On a encore une fracture ouverte par ici…  Auriez-vous un instant ? »

« Oh ! Entendu Impa, je viens au plus vite ! »

Fort heureusement, si je puis dire, le flot continu de l’arrivée des blessés me tenait assez occupée, ne me laissant que peu de temps pour sombrer dans la mélancolie. Link était parti patrouiller: le connaissant, il voulait certainement juste s’isoler un peu après cette dure bataille. Link et ses escapades en solitaire… Qu’est-ce qu’il avait pu nous inquiéter quelques années auparavant, à l’époque où le Domaine l’avait pris comme pupille... 

En effet, alors que Link était encore tout jeune, sa mère était morte en couches avec sa petite sœur à naître. Son père, un Capitaine de l’Armée Hylienne affecté à la protection de l’Aqueduc et du Barrage, avait décidé de le confier à une nourrice Zora du domaine plutôt que de le laisser à sa famille à Elimith, où il ne l’aurait pas vu grandir. Link avait donc passé une grande partie de son enfance parmi mon peuple. Il menait la vie dure à sa pauvre nourrice auprès de qui il enchaînait fugues et facéties. Mais parmi les enfants de mon peuple, il était comme un poisson dans l’eau.

Il était plus petit que moi à l’époque : peut-être ai-je servi de figure maternelle ou fraternelle, mais nous sommes vite devenus les meilleurs amis du monde. Mes sentiments étaient encore si purs à l’époque: limpides, comme l’eau des sources… Nous étions comme frère et sœur, tout bêtement.

Quelques années plus tard, lorsque son père mourut à son tour, en défendant le Domaine d’un Lynel, c’est tout naturellement que mon père, le Roi du peuple Zora, avait pris Link sous son aileron...

Il resta au domaine jusqu’à ce qu’il ait douze ans, soit l’âge minimum requis pour entrer - et sur dérogation seulement -  à l’Académie Militaire Hylienne. Il voulait absolument suivre les traces de son père, le plus tôt possible. Quelque chose là-bas l’appelait si fort que personne n’avait pu le retenir… Je ne l’avais plus revu depuis son départ: plus du tout jusqu’à ce jour où la Princesse Zelda était venue me recruter pour piloter Ruta… Accompagnée d’un très séduisant garde du corps…

Tout était si compliqué dans ma tête depuis lors! J’ai pourtant vite compris vers qui son cœur le portait, et un peu plus tard, Sidon me l’avait confirmé en me parlant de leur vie dans le futur. Là-bas dans le futur, Sidon avait été témoin à leur mariage. Là-bas dans le futur, il se réjouissait à l’idée d’apprendre à nager aux futurs petits princes et princesses d’Hyrule. Là-bas dans le futur, il considérait toujours le Roi Link comme son frère…

Oh, Sidon… J’aurais tant aimé que tu restes encore un peu… Des dizaines d’années devront passer avant que je puisse me confier à toi sur ces choses-là de nouveau… Mon cher petit frère…

 

ZELDA

Assise dans la cassure de mon lit, j’avais entrepris de délacer mes sandales pour pouvoir me changer. Le cuir des lanières  avait laissé une marque profonde dans mes chairs et la semelle, complètement inadaptée à la course, m’avait brûlé la peau. La sensation de ces lanières de cuir entravant mes chevilles était devenue insupportable mais en essayant de m’en défaire, chaque effleurement de mes doigts sur mes plaies m’arrachait un cri de douleur. J’étais en colère de constater ma propre faiblesse.

J’avais passé des jours à me répéter que ce n’était rien: rien du tout comparé aux souffrances qu’avait endurées mon peuple à cause de moi, rien du tout à côté des coupures béantes qu’arborait parfois Link à la fin de ses combats… Vraiment, ce n’était toujours rien du tout comparé au sacrifice de Terrako... Ganon était scellé et  toutes les douleurs que j’avais choisies d’ignorer jusqu’alors revenaient à la charge, toutes en même temps.

Dans un accès de rage contre moi-même, je jetai ma seconde sandale à travers les ruines de mon ancienne vie et cachai ma tête entre mes mains pour pleurer.

« Votre Altesse…. ? »

Je sursautai en reconnaissant la voix de Link. Je levai les yeux, juste à temps pour le voir trébucher et s’étaler au sol en pestant. Par réflexe,  je retendis  ma robe pour couvrir mes genoux et essuyai mes larmes. 

« Link, mais… Qu’est-ce que tu fais là? … Tu ne t’es pas blessé au moins … ? »

Il se releva rapidement et j’en fus doublement heureuse car égoïstement,  je redoutais de devoir aller jusqu’à lui pieds nus…

« Je vous prie de m’excuser Votre Altesse : j’ai entendu quelqu’un pleurer alors j’ai appelé et comme personne ne m’a répondu… »

Il avait l’air si embarrassé…

« Je … Je n’avais pas entendu… tout va bien, merci, Link… »

Je détournai les yeux, ravalant douloureusement le trop mesquin «tu peux disposer» qui avait failli suivre… Alors il resta planté là sans rien dire. Les sourcils froncés, son regard passait de mes pieds à mon visage avec consternation. Je n’avais aucune envie qu’il me voit ainsi : une petite chose fragile qui pleurniche pour des ampoules de rien du tout. Il avala sa salive et s’avança finalement vers moi, toujours muet. Il vint s’agenouiller au pied du lit et dit enfin:

« Je me demande depuis des jours par quel miracle de Farore vous arrivez encore à marcher… Je n’aurais pas tenu une seule journée si j’avais été chaussé comme ça. Laissez-moi vous aider, s’il vous plait… »

Il avait dit ça doucement et calmement, sans une once de pitié. Presque admiratif au contraire… Je pouvais pourtant voir sa main trembler nerveusement sur sa cuisse, et une nouvelle fois j’aperçus sa pomme d’Adam monter puis descendre dans sa gorge, autre signe de sa nervosité. Puis il releva la tête et plongea ses beaux yeux d’azur dans les miens. Derrière la douceur et les regrets qu’ils exprimaient, ils semblaient luire de leur propre lumière.

« Link … »

« Je suppose que vous allez refuser si je vous propose d’aller voir Mipha… Et vous savez aussi bien que moi que je ne vous laisserai pas comme ça, alors… Laissez-moi vous aider… »

Un léger sourire empreint de tendresse se dessinait sur son visage, discret et pourtant si chaleureux qu’il me semblât avoir allumé un petit feu dans ma poitrine. C’était à mon tour d’être muette... Interprétant mon silence comme un accord, il hocha la tête, se leva et gravit l’escalier en direction de la passerelle. J’en profitai pour prendre une grande inspiration que je laissai échapper en un long soupir, comme pour me rappeler comment respirer. Il revint quelques instants plus tard avec une bassine remplie d’eau.

« Je l’ai tirée de vos citernes à eau de pluie en zinc, elle a l’air saine… tenez. »

Il posa la bassine à mes pieds et sortit de sa poche un petit pot en verre. Il prit une noix de l’onguent qu’il contenait et la dilua dans l’eau. Puis, il se releva en balayant la chambre du regard.

« L’eau est froide, désolé… Et sinon, la tour a été relativement épargnée mais je n’ai rien trouvé pour vous sécher … »

Je plongeais mes pieds dans l’eau glacée – j’avais connu bien pire lors de mes prières dans les sources. Le soulagement fut presque immédiat. D’une main, je frottais doucement mes pieds et mes chevilles, jusqu’à mi-mollet.

« J’ai vu des draps propres au fond de l’armoire. Derrière moi. Le mur est à moitié tombé dessus mais le linge est resté à l’abri de la poussière. Oh Link, ça fait un bien fou! Oh, par Nayru, qu’est-ce que tu as mis dans cette eau ? »

Jetant un regard par derrière mon épaule, je l’aperçus me sourire avec une candeur enfantine. Il semblait plus fier de sa pommade que d’avoir terrassé Ganon …

« C’est une pommade spéciale à base de plantes, que fabriquait ma mère… Qu’est-ce que j’ai pu en utiliser quand j’étais petit ! Quand nous étions à Necluda, j’ai reconnu la plante qu’elle utilisait - des années que je n’en avais pas trouvé - alors j’ai essayé d’en préparer, juste au cas où… A vous entendre j’en déduis que je l’ai assez bien réussie ! J’aurais aimé vous en faire profiter plus tôt, mais… Je… »

Le sourire que j’entendais encore dans sa voix jusqu’alors avait complètement disparu. Il n’avait même pas besoin de finir sa phrase. Je ne savais que trop bien à quoi il pensait…


LINK

Zelda baissa les yeux sur ses mains et se raidit. Le malaise qui s’était installé entre nous depuis Necluda ne s’était finalement estompé que fugacement...

En effet, tout avait dégénéré lors de la Bataille du Fort d’Elimith, quand j’avais ordonné à Impa d’emmener la Princesse en lieu sûr tandis que j’allais affronter seul les créatures d’Astor. Je ne suis pas du genre à m’avouer vaincu facilement, et pourtant je dois admettre qu’à ce moment-là, l’issue du combat me semblait difficilement favorable. J’espérais seulement lui laisser assez de temps pour qu’elle puisse s’enfuir ou se cacher et j’étais en paix avec mon choix. Après tout, comme le disait ironiquement mon père si longtemps auparavant, mourir pour elle était ce que je pouvais espérer de mieux.

J’avais rapidement été dépassé par les attaques coordonnées des quatre abominations ; celle de foudre surtout, si rapide...  Mais au moment où tout aurait dû s’arrêter définitivement pour moi, au lieu d’être plongé dans l’obscurité de la mort, j’avais été nimbé de Lumière. Une douce chaleur irradiait dans mon dos tandis que sous mes yeux, les Ombres de Ganon se dissolvaient dans la lueur dorée d’Hylia. Quand je m’étais retourné, Zelda était là : sa main tendue vers moi illuminant l’Univers tout entier; son regard transperçant mon âme... Son pouvoir du Sceau s’était enfin éveillé !

Pas le temps de lui demander comment c’était arrivé, ni pourquoi elle était revenue ; pas même le temps de lui dire à quel point j’étais heureux et soulagé pour elle… Fier aussi ; tellement fier… Nous saisîmes cette opportunité pour retourner la situation à notre avantage sur le champ de bataille.

Lorsque le dernier gardien, imprégné de la Rancœur de Ganon, était passé à l’attaque, nous l’avions combattu ensemble : la Prêtresse Royale et son Chevalier Purificateur, comme dans les contes de fées. A l’issue du combat alors que je rengainais mon épée, nous nous retrouvâmes face à face. J’aurais eu tant de choses à lui dire si je n’avais pas été intimidé à ce point... Je me sentais pathétique.

Alors que je cherchais mon courage et mes mots, je la vis vaciller et parcourus sans plus réfléchir les quelques pas qui nous séparaient. J’attrapai ses épaules pour la soutenir tandis qu’elle agrippait ma tunique dans ses poings et plongeait le visage vers mon cœur. Instinctivement, mes bras l’enveloppèrent et je la serrai contre moi. Ses longs cheveux dorés qui glissaient entre mes doigts, la chaleur de son corps contre le mien :  je n’avais jamais rien connu d’aussi doux. Je posai mes lèvres sur son cou nu pour m’enivrer de l’odeur de sa peau.

Et soudain elle lâcha ma tunique et se mit à me frapper le torse du poing avec vigueur.

« Je te défends de te sacrifier pour moi, tu m’entends? » hurla-t-elle, « je te l’interdis !»

À nos pieds le Petit Gardien faisait écho à ses cris de son sifflement d’alarme, courant frénétiquement autour de nous…

« Tu penses que ta mort aurait servi à quoi, hein? Tu voulais mourir en Héros ?? Si tu imagines que j’aurais pu m’enfuir tu n’es qu’un idiot! Et même si j’avais pu m’en sortir… J’aurais fait comment ensuite, pour vaincre Ganon sans le Chevalier Purificateur, hein ?? »

Elle était en larmes et ponctuait ses phrases de coups de poing sur mon cœur tandis que je l’enlaçais toujours un peu plus fort.

« … Tu crois que j’aurais fait comment… Link… Pour continuer… Sans toi …? J’ai eu si peur…»

Elle sanglotait désormais et s’effondra sur elle-même : je posai un genou à terre pour continuer à la soutenir. Elle posa son front sur mon épaule, et je caressais affectueusement le bas de sa nuque pour essayer de la consoler.

« Je suis là, ne t’en fais pas… Je suis là et je vais bien et c’est grâce à toi, Zelda. Tu n’aurais pas dû te mettre en danger pour moi, toi non plus... Mais tu nous as tous sauvés… Merci… Tu es plus forte que je ne le serai jamais… »

Je ne réalisai qu’après coup que je l’avais tutoyée. Je ne me corrigeai pas : elle était ma princesse, elle était dans mes bras, d’où elle imprégnait tous mes sens. Et j’étais à elle. A cet instant nous n’étions qu’une seule âme déchirée. Je murmurai :

 « Je suis désolé que tu aies eu si peur… Et je suis désolé mais donner ma vie… Si c'est mon seul moyen de sauver la tienne, je le referai sans hésiter... »

Je déposai un baiser tendre sur son cou avant de continuer :

« Parce que je t’aime… ».


ZELDA

Link m’avait écoutée patiemment le sermonner et avait subi mes coups sans broncher, me serrant contre son corps jusqu’à étouffer toute ma colère. Il était vivant, Hylia soit louée, il était vivant et j’aurais pu mourir de soulagement dans ses bras…

Quand il avait pris la parole à son tour, il m’avait appelée Zelda, avait posé un baiser sur mon cou et m’avait dit qu’il m’aimait. C’était trop, trop d’un coup! Je ne pouvais pas me le permettre, ce désir d’abandon total que je ressentais pour lui, dans mon âme et dans mon corps. Il y avait trop à faire! Trop d’espoirs ravivés soudain par l’éveil de mon Pouvoir, trop de responsabilités envers mon peuple. Trop d’émotions sauvages déchaînées en moi. Ce n’était pas le moment, Link!!

« LINK ! » aboyai-je en le repoussant furieusement, incapable de prononcer autre chose.

Je me levai d’un bond et titubai sur quelques mètres en direction de la Muraille avant que tout ne devienne noir.  

Je me réveillai dans un lit de fortune de la tente infirmerie montée à la va-vite, avec seulement Impa à mon chevet.


*



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