Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 10 : Peur

4265 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/06/2021 12:10

‘’La peur est le chemin du côté obscur : la peur mène à la colère,

la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance…

Je sens beaucoup de peur en toi...’’

- Maître Yoda

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ZELDA

Le bal d’ouverture avait lieu dans le Grand-Hall ; la fête de l'Équinoxe d’Automne se prolongerait ensuite pendant trois jours à la Citadelle. En temps normal, cette fête était une de mes préférées: selon la légende, elle célébrait le moment de l’année où la frontière entre le Royaume du Crépuscule et le nôtre s’estompait - et même disparaissait un instant - dans un parfait équilibre entre le jour et la nuit. L’atmosphère y était particulière et il était d’usage pour les enfants de se déguiser en Twilis ou autres créatures de l’ombre. Mais cette année, la situation particulière de mon entrée en âge avait complètement éclipsé l’ambiance traditionnelle de l'Équinoxe... M’apprêtant à être proposée en mariage comme une pouliche est vendue aux enchères, je n’avais en outre pas du tout le cœur à la fête.

On m’avait affublée d’une longue et ample robe de soie sauvage écrue, relevée d’un passement doré. Seule la doublure intérieure et les parties émaillées de la ceinture arboraient le bleu Royal. C’était une robe somptueuse mais lourde, et ses larges manches, menaçant de se souiller en traînant au sol, m’obligeaient à garder à tout moment les mains au-dessus de la taille. Il m’avait fallu insister lourdement pour obtenir le droit de porter mes chaussons de danse aujourd’hui - et non des souliers à talon -  et que la robe soit taillée en  fonction. J’avais prétendu souffrir des chevilles et avais assuré les couturières et habilleuses que je n’arriverais pas à danser en talons ; la vraie raison était que je ne voulais pas paraître trop grande aux côtés de Link lorsque nous danserions ensemble.

Malgré ma place sur l’estrade qui me permettait une vue d’ensemble de la salle bondée, et même si ma perception de la Lame purificatrice m’assurait qu’il n’était pour une fois pas en retard, je peinais à retrouver mon Chevalier parmi les invités. Je compris pourquoi lorsque, mes yeux s’accrochant enfin aux siens, je le vis me sourire avec indulgence dans son uniforme de Capitaine de la Garde Royale. C’était la première fois que je le voyais le porter : il n’assumait pas cette fonction à proprement parler, trop pris par ses responsabilités auprès de moi pendant cette guerre… Mais il avait été promu à ce grade honorifique après avoir été élu par l'Épée et à ce titre, il lui était parfaitement légitime d’en porter l’uniforme ce soir.

Le tabard lui donnait une allure princière avec sa coupe élaborée et ce bleu nuit incrusté d’or... Comment avais-je pu ignorer le fait que les couleurs de l’uniforme étaient exactement assorties à celles du fourreau de l'Épée de Légende ?  Il portait également une fine capeline de velours noir, autre signe de son statut : mon cœur battait à tout rompre à la vue de ce fier et magnifique Prince. Pas que ses vêtements - ni même leur absence - aient pu changer quoi que ce soit à la valeur qu’il avait à mes yeux… Mais pour une fois, que tout le monde puisse le voir tel que moi je le voyais !

Pendant quelques instants, nous ne pûmes que nous couver mutuellement des yeux, envoûtés par notre vision l’un de l’autre. Quand il porta sa main gantée de blanc sur son cœur et m’embrassa du regard,  je lui répondis de même, maintenant mes yeux clos un peu plus longtemps pour recouvrer le contrôle de mes pensées…

En dépit de son rang, il occupait une place parmi les autres convives plutôt qu’avec nous ; tous les prétendants devant être mis sur un pied d’égalité à partir de ce soir… Lorsque plus tard dans la soirée mon père demanda à « tous ceux qui s’estimaient en droit de réclamer la main de la Princesse d’Hyrule» de se faire connaître, Link fut le premier à se lever. N’attendant même pas que le Roi ait achevé sa phrase, il vint poser un genou à terre devant l’estrade et planta férocement ses yeux d’acier dans les miens : « À moi ».

 Bientôt, cinq autres hommes vinrent le rejoindre, créant un rang de part et d’autre de lui.

Je reconnus sans m’en étonner le Baron Hughie. Sa mésaventure de ce matin ne l’avait donc pas dissuadé d’essayer de m’acheter. Accoutré de plusieurs couches de vêtements excessivement ornés, son teint me sembla étrangement livide lorsqu’il posa le genou à terre à côté de Link. La forme de son nez aussi avait quelque chose d’inhabituel; oh flûte… Peut-être se l’était-il vraiment cassé au final! Bien fait pour lui .

Vint ensuite un jeune homme roux et replet, que je ne connaissais pas ; littéralement poussé par son père. Je compris immédiatement qu’il était aussi heureux que moi d’être là… Un homme immense et puissamment musclé le suivit : il avait la peau tannée, un petit bouc taillé en pointe et de longs cheveux noirs attachés en arrière. Ses yeux en amande rappelaient un peu ceux des Sheikah, excepté leur iris, qui était d’un noir d’obsidienne. Ondulant le long de son cou et jusqu’à sa joue, un long corps reptilien était tatoué sur sa peau ; un serpent, ou peut-être un dragon ? Il s’agenouilla avec grâce et baissa les yeux avec déférence : ses manières chevaleresques ne gâchaient décidément rien à son visage joliment ciselé.

Le suivant fut Saki, mon ami d’enfance, qui répondit à mon regard incrédule par un clin d’œil affectueux: je n’avais aucune idée qu’il nourrissait de telles aspirations à mon égard ! J’en étais aussi touchée que contrite, espérant en moi-même qu’il ne s’agisse que de l’une de ses farces. Saki était de corpulence moyenne et plutôt beau garçon : ses fins cheveux argentés, s’échappant inlassablement de son chignon Sheikah, encadraient joliment les traits délicats de son visage. Ses yeux d’un bleu sombre peu commun dans sa tribu laissaient apercevoir l’âme gentille qu’il cachait au fond de lui, et ses lèvres étaient toujours égayées d’un sourire: tantôt joyeux, tantôt farceur. Il ne pouvait s’empêcher de faire le pitre, mais restait toujours poli et attentionné. C’était un garçon cultivé, intelligent et drôle, avec qui j’aimais passer du temps. A vrai dire, si je n’avais pas été déjà éperdue d’amour pour Link, j’aurais été flattée et heureuse que Saki me courtise...

La vue du dernier, par contre, glaça mon sang dans mes veines aussi bien que l’avait fait la source de Lanelle : le Vicomte Turpan. C’était un homme grand et maigre, blond aux yeux vitreux, d’une cinquantaine d’années désormais. Je n’avais jamais aimé son regard carnassier, et le sourire en coin qu’il arborait à chaque fois qu’il posait ses yeux sur moi m’avait toujours faite frissonner. Cousin éloigné de ma propre mère, il exerçait la fonction de juge à la Citadelle où il avait la réputation d’être impitoyable. Il nous avait fréquemment rendu visite au palais durant mon enfance, me bouleversant à chaque fois… L’idée de devoir passer du temps chaque jour avec lui pendant les trois prochains mois me plongea intérieurement dans un véritable état de panique.

 

LINK

Un à un ils se présentèrent, de ma gauche à ma droite.

« Vicomte Turpan, de la Citadelle. Pour vous servir, Vos Majestés » avait dit le premier. Un frisson me parcourut l’échine. Je ne comprenais même pas qu’un type de son âge ait le droit d’être là.

« Seigneur Gosao, d’Ilemni. » La voix du grand gaillard me disait quelque chose sans que je n’arrive à mettre la nageoire dessus ; pourtant son nom et son visage m’étaient parfaitement inconnus.

Le front de ce cher Baron Hughie luisait de transpiration alors qu’il s’annonça, prenant plusieurs minutes pour réciter son impressionnant pédigrée. Puis ce fut mon tour.

« Maître Link, d’Elimith. Elu de l’Epée et entièrement vôtre. »

« Kar… euh… Pardon. Duc Karl-Olef, d’Akkala. Vos Majestés. »

« Marquis Sah’Kiwa, de Cocorico:

Dévoué Poète aux jeux musicaux.

Au Château d’Hyrule qui m’a vu grandir,

Son Altesse Royale j’espère conquérir!»

Pour l’Amour d’Hylia ! Il ne pouvait donc pas s’empêcher d’en faire des tonnes, celui-là!

Zelda dut ensuite choisir son premier cavalier : elle descendit du dais et sans surprise, elle me tendit sa main à baiser. Je l’emportai vers la piste de danse. Sa main tremblait dans la mienne alors que les musiciens se mettaient en place.

« Qu’est-ce qui ne va pas, ma Luciole? » lui chuchotai-je soucieux. 

Elle fit non de la tête et murmura simplement, avec un sourire forcé :

« Rien, ne t’inquiète pas… Je t’en parle plus tard… »

Mais elle garda ses yeux inquiets rivés dans les miens pendant toute notre valse, comme pour se raccrocher à quelque chose, et je sentais bien à sa main crispée et à ses mouvements incertains que quelque chose n’allait pas. On avait tant répété pour cette danse, elle semblait avoir tant d’importance pour elle, et nous n’appréciâmes pas ce moment le moins du monde, ni elle ni moi. 

J’eus toutes les difficultés du monde à la laisser à la fin de la chanson : tout ce que je désirais était de l’emporter le plus loin possible de ce qui la tracassait, quoique cela puisse être. Elle choisit Saki à ma suite. Hmpf… Je m’éloignai, ressentant le besoin de prendre un peu de distance. Zelda allait devoir danser avec chacun des six prétendants, ainsi qu’avec son père, avant d’avoir droit à un peu de répit.

Quelques minutes plus tard, alors que je ruminais mes pensées à côté du buffet, mon casse-noisettes attitré me rejoignit.

« Ah ! Je vois que tu as trouvé des vrais vêtements, Link ! »

« Saki… Quel plaisir de te voir… » mentis-je.

Il venait de prendre congé de ma Princesse et sans doute n’avait-il rien trouvé de mieux à faire que de venir me titiller un peu plus.

« Surpris ? »

« Oui, je l’admets. Mais au moins je comprends mieux pourquoi je m’en prends plein la tronche sans raison depuis des mois. Moi qui croyais que tu me prenais juste pour un abruti, comme c’est le cas d’à peu près tous les Sheikah… »

« Et qui te dit que ce n’est pas aussi mon cas ? » lança-t-il, tout à fait jovial.

Je choisis de l’ignorer, je n’étais vraiment pas d’humeur à me lancer dans une joute verbale. Les bras croisés et fronçant les sourcils à m’en coller la migraine, je m’adossai au mur en soupirant. En contrebas, ma Princesse dansait avec le vieux vicomte : ce n’était pas facile non plus de me retenir d’aller ôter ses sales pattes de ma fiancée. Saki sembla me considérer un instant et suivit mon regard.

« Ce type me sort par tous les trous… » lacha-t-il.

« Dis donc, tu as un langage sacrément fleuri, pour un poète… »

« Eh, je maîtrise les lettres et la musique depuis bien plus longtemps que toi tu maîtrises ton épée, gamin. Cela ne m’engage en aucun cas à m’en servir à longueur de temps. Regarde-toi : tu es un guerrier, mais tu sembles pourtant capable de t’exprimer dans un hyrulien à peu près convenable, non ? Tu ne communiques pas en remuant ton arme et en criant des Aaah et des Hyaah, si ? »

« Oh, désopilant, Ménestrel… Mais plus sérieusement, moi non plus je n’aime pas ce type… Il me hérisse les écailles… » grondai-je en secouant la tête de dégoût. « Mais bon, je suppose que tu nous mets dans le même panier. Alors venant de toi… »

Une grimace de répulsion avait remplacé son sourire habituel. Il se passa la main sur la nuque, comme pour apaiser un frisson.

« Non, pas du tout. Toi… C’est différent. Ce type-là, je le connais depuis longtemps… Je sais que Zelda en a une peur bleue. Il la regarde toujours comme s'il la déshabillait mentalement… Et c’était déjà le cas quand elle n’était qu’une petite fille… Pas vraiment surprenant de sa part, vu la sale réputation qu’il a d’aimer la chair fraîche. »

Il me fallut quelques secondes pour saisir ce qu’il venait de sous-entendre. Enragé, je quittai mon appui et portai la main à la garde de mon épée. Le Sheikah arrêta mon geste d’un réflexe bien digne de son clan.

« Hopopopo, du calme, Paladin! Regarde : la danse est déjà finie. Ne va pas gâcher la fête pour rien… »

Au milieu de la piste de danse, Zelda avait rejoint le jeune Duc d’Akkala.

«  Si c’est un pervers je … Je vais pas le laisser la…  Par pitié dis-moi qu’il ne l’a jamais touchée ! Comment Rhoam peut-il accepter ce … Cette raclure ici?? »

« C’est un Juge, il est influent… Placé là par le Roi précédent, le Père de feu la Reine… Et il est lui-même de sang royal. Je suis sûr que si Sa Majesté l’a accepté c’est qu’il n’en avait pas le choix. Pas de Loi à invoquer, pas de preuve à montrer, rien de tangible ; tu vois? L’aurait-il évincé sans justification qu’il aurait perdu sa crédibilité en tant que souverain...»

Je comprenais. Ça sonnait exactement comme quelque chose que Rhoam aurait pu dire lui-même. Mais je fulminais. Le poète scruta mon visage quelques secondes puis dit : « Tu l’aimes vraiment, Zelda, n’est-ce pas ? »

Sa question sortie de nulle part me surprit.

« Quoi ? Mais non voyons tout le monde sait que je suis là que pour la bouffe ! Non mais sérieux, à ton avis… » ironisai-je en pointant le buffet et en  m’adossant à nouveau à mon mur.

« Elle, elle t’aime, en tous cas. » Une ombre de tristesse passa sur son visage. « C’est bien ça que je te reproche : si tu n’étais pas arrivé, j’aurais eu ma chance… »

« Si il n’était pas arrivé, elle serait morte au moins une douzaine de fois, Saki ! On serait même tous tellement morts à l’heure qu’il est...!» Impa nous avait rejoints avec la discrétion d’une vraie Sheikah : pour un peu on aurait cru qu’elle était apparue par magie devant nous. En outre, la connaissant, c’était probablement le cas. « Contente de voir que vous ne vous êtes pas encore entretués tous les deux…»

« Voyons, Dame Impa, vous savez que j’abhorre la violence ! » Le sourire de Saki était revenu soudain sur son visage.

« C’est cela, oui, et c’est justement parce que tu la détestes que tu adores la provoquer! Allez, laisse ce garçon tranquille et viens avec moi. Il faut que j’te parle. »

Indifférent, je les regardai s’éloigner avant de reporter mon attention sur la piste de danse. Tel un prédateur, le vicomte ne lâchait pas Zelda des yeux.

 

IMPA

J’éloignais Saki de Link, le trainant à moitié par son haori. J’étais furieuse contre lui : se présenter comme prétendant à la main de la Princesse et ensuite aller provoquer Link ! Il savait bien pourtant qu’à partir de maintenant, porter préjudice à un autre prétendant était puni d’exclusion du processus, voire de bannissement tout court ! Qu’espérait-il, évincer Link en le poussant à bout ? Comme si ces deux-là n’avaient pas eu assez de problèmes comme ça …

« Hopopopo… Objection, votre honneur ! Je viens d’empêcher ce sale gosse de massacrer le Vicomte ! Si ce que vous voulez c’est éviter qu’il fasse une bêtise, je ne laisserais pas tout seul, bien au contraire ! »

« Quoi ? » Je regardai Link : renfrogné au possible comme on pouvait s’y attendre, il observait la piste de danse.

« Je lui ai peut-être laissé entendre que ce sale pervers avait un goût prononcé pour les toutes jeunes filles. Eh, ne me regardez pas comme ça, c’était seulement pour le mettre au parfum! Mais depuis, il bouillonne tellement que même moi j’arrive à percevoir son aura ; et vous savez bien que les auras ne sont pas vraiment ma tasse de Macha ! »

Je me concentrai un instant sur Link: son aura exsudait une intense colère ; rien à voir avec l’agacement que Saki aurait pu provoquer en l’enquiquinant. Le ménestrel ne mentait pas… Je lâchai son vêtement et il fit mine de s’épousseter dramatiquement...

« Je m’en vais si c’est ce que vous voulez, Ma Dame. Mais un conseil si je puis me permettre: surveillez le. Quand La Princesse elle-même va lui confier ses craintes, il risque de devenir fou!»

Il commença à s’éloigner.

« Saki, pourquoi tu ne l’as pas laissé faire ? Ça t’aurait fait deux concurrents en moins… »

Il se retourna vers moi; un sourire moqueur s’alluma sur son visage tandis qu’il levait les yeux au ciel et les bras en prière.

« Ça, ma Dame, c’est exactement la question que j’étais en train de me poser ! »

 

ZELDA

La dernière danse imposée par le protocole se terminait enfin. Je saluai le Roi comme il était attendu de la part de la Princesse et fuis la piste de danse. Link était toujours là où je l’avais aperçu en train de discuter avec Saki un peu plus tôt, mais c’était Impa qui l’accompagnait désormais. Je la vis lui glisser quelque mot à l’oreille et ils vinrent tous deux à ma rencontre.

Arrivée près de lui, réalisant que je n’aurais pas le droit de me réfugier dans ses bras devant les convives, j’eus l’impression de suffoquer. Conscient de mon mal-être, Link attrapa mon bras et le pressa tendrement. Je le sentais à son regard : un simple geste, un seul mot et il enverrait tout ce cérémonial et ces faux-semblants au Banni.

Impa intervint, s’engouffrant brusquement entre nous pour prendre la place de Link. Elle prit alors la parole, assez fort pour que tous les curieux entendent:

« Oh votre Altesse ! Feriez-vous un malaise ? Laissez-moi vous conduire quelques minutes dans vos quartiers que nous vérifions ce corset avant que vous ne tourniez de l’œil! Toutes ces danses ont dû vous épuiser. Maître Link, merci d’avoir empêché Son Altesse de tomber. Je vais prendre soin d’elle à partir de maintenant, si vous voulez bien nous excuser.»

Comprenant que ma chère amie cherchait une excuse pour m’isoler, je la suivis hors de la salle puis dans ces couloirs que je ne reconnaissais même plus. Au lieu de mes propres quartiers, elle m’emmena dans les siens, et me fit asseoir sur son lit.

« Link va arriver, Votre Altesse… » me consola-t-elle avec un sourire doux. « Je vais nous préparer du thé. »

Elle n’avait pas besoin de me le dire : je sentais la présence de l’Epée se rapprocher et de fait, Link entra quelques secondes plus tard sans même prendre la peine de frapper à la porte. Je me jetai dans ses bras. Pendant de longues minutes, nous ne dîmes rien, nous serrant simplement dans les bras l’un de l’autre. Sous ses caresses rassurantes, j’eus l’impression de pouvoir respirer de nouveau. Je me confiai alors à lui :

« Oh Link, je me doutais que ça n’allait pas être facile, mais depuis que j’ai vu le vicomte arriver je… L’idée de devoir passer du temps avec lui chaque jour m’est insupportable… Il me dégoûte … Je sens quelque chose… Quelque chose de tellement malsain en lui… Comme s'il était fait de Rancœur, mais pire encore : une Rancœur contre laquelle je suis complètement impuissante.»

« Allons, je serai constamment avec vous, votre Altesse, » me rassura Impa en nous offrant à chacun une tasse de thé, « c’est moi qui serai chargée de vous chaperonner à chaque instant. Je ne laisserai rien vous arriver, vous avez ma parole ; ne vous inquiétez pas autant… Et puis vous êtes devenue si forte ! Vous avez scellé le fléau Ganon et sauvé le Royaume… Et avant cela, pendant des semaines vous avez mangé du Lynel au petit déjeuner ! Comment pouvez-vous vous mettre dans un tel état pour un simple hylien comme lui? »

« Je sais Impa… Mais justement, les choses sont tellement plus compliquées dans les carcans de l’Aristocratie… Je préfèrerais que ce soit un monstre. En plus, il porte le sang d’Hylia, tout comme moi : même si en tant que mâle il est incapable d’utiliser le Pouvoir Divin lui-même, je ne pense pas que ma Lumière puisse lui faire quoi que ce soit. Et sans Terrako je ne peux plus me défendre avec la tablette Sheikah non plus… Je suis désarmée contre lui ! Quand il me regarde, j’ai l’impression d’avoir huit ans de nouveau, je suis tétanisée. »

« Est-ce qu’il t’a déjà fait du mal ? »

Ce furent les premiers mots que j’entendis Link prononcer depuis notre danse. Il était aussi tendu et déterminé qu’il pouvait l’être en plein combat. Un bras toujours enveloppé autour de ma taille, il serrait son autre main sur la tasse en terre cuite brûlante. Il n’en avait pas bu une gorgée.

« Non… Non ne t’inquiète pas … » J’hésitai avant de poursuivre. Je ne voulais pas rajouter à sa fureur mais j’avais tellement besoin de me confier… « Mais une fois, quand j’avais une douzaine d'années, il m’a croisée dans un couloir… Il a commencé à supposer tout haut que j’étais perdue - perdue ! Dans mon propre palais ! Quand il m’a prise par la main… J’ai essayé de me dégager mais il me tenait tellement fort… »  Le bras de Link tremblait de rage dans mon dos. « Heureusement que Saki est passé par là… Il a fait croire que justement, il me cherchait, que le précepteur voulait me voir séance tenante… Depuis ce jour-là je n’ai plus jamais laissé le vicomte s'approcher à moins de deux pas de moi… »

Link avait soupiré bruyamment.

 « Saki… »

« C’est un gentil garçon, Link. Je sais qu’il est pénible avec toi, mais c’est mon ami… »

Il avait affiché un sourire un peu forcé.

« J’ai cru comprendre. Ne t’en fais pas… Je vais pas le mordre. Encore moins maintenant que je sais qu’on lui doit… D’avoir empêché quoi que ce soit qu’il a empêché ce jour-là… »

« Et il a aussi empêché Link d’aller casser la figure au vicomte au moins deux fois, déjà, votre Altesse ! N’est-ce pas, Link ? Il aurait très bien pu saisir cette occasion de se débarrasser de toi, p’tite tête ! Alors oui, c’est vrai, il sait être vraiment horripilant, et maintenant on sait qu’il voudrait bien Son Altesse pour lui tout seul, mais ce n’est pas un mauvais bougre… Quand on y pense… Un casse-pieds à la tête blanche et aux yeux bleus, qui aime chanter et qui est un ami d’enfance de la Princesse…. Il est un peu comme Terrako, non ? »

« D’accord… D’accord ! » pesta Link, « Et puis quoi d’autre? Tu vas me dire qu’il a trois jambes, lui aussi ?»

Cette dernière remarque eut le mérite de détendre l’atmosphère… Link s’en fut ensuite rejoindre les festivités en premier , suivi d’Impa et moi quelques minutes plus tard. Le reste de la soirée se passa sans encombre. Et sans joie.

 

LINK

Plus tard dans la soirée quand le Vicomte, ne résistant plus à l’envie de se faire mousser auprès du Chevalier Purificateur, s’approcha de moi et me tendit sa main à serrer, je lui répondis simplement :

« Je suis le Garde du Corps de la Princesse d’Hyrule. Si quiconque lui fait le moindre mal, sang royal ou pas, je veillerai à le faire souffrir longtemps avant de le tuer. »

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