Le journal d'un assassin

Chapitre 6 : Ma seconde naissance

2240 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/06/2018 23:22

Ma seconde naissance


Nous étions le lendemain de ma première mission. Je n’avais pas entraînement ce matin, Mère m’avait laissé me reposer pour me récompenser de mon excellente réussite lors de ma mission. Je repensais à ses fines mains me caressant la tête et au fait que je m'étais directement réveillé dans mon lit. Elle avait dû me porter jusqu’à ma chambre. Je ne savais pas pourquoi, mais j’étais tellement heureux en pensant à sa présence, je me surpris même à l’imaginer me déposer dans mes couvertures et à me souhaiter bonne nuit. Je scrutai alors le plafond de ma chambre, légèrement honteux de me montrer aussi sentimental. Honteux mais étonnamment serein et comblé… Malgré cette sérénité et le fait que j’avais plutôt bien dormi, quelque chose me tourmentait… Mais je n’arrivais pas à savoir quoi précisément. Alors que le soleil venait de se lever depuis deux ou trois heures, je sortis prendre l’air après m’être fait un bouillon de flocons d’avoine… Mais j'avais à peine pu en avaler trois cuillerées. Alors que je déambulais dans les couloirs, la lumière se coupa tout autour de moi et le soleil devint complètement noir. Ce n’était qu’une hallucination, je le savais, mais mon estomac se noua de plus en plus dans mon ventre. Ma vision se brouilla à un tel point que je ne voyais plus qu’à quelques mètres devant moi. Un bruit de grincement de plancher se rapprocha de moi, alors que le sol n'était composé que de dalles… Peu à peu, une silhouette d’enfant se dessina dans l’obscurité. Ses longs cheveux noirs cachaient son visage, sa chemise de nuit et ses petites jambes qui étaient couvertes de sang. La peur me gagna progressivement, pas à cause de cette gamine, mais plus de la raison de cette hallucination. Après avoir observé plus en détail cette enfant, je reconnus ses vêtements, c’était la gamine que j’avais tuée la nuit dernière. Elle se mit à me parler en appuyant les « s », tel un serpent.

« Est-ce-que tu te souviens de moi ? Sale assassin… Pourquoi nous as-tu fais ça ? Qu’avons-nous fait pour mériter ça ? »

À la fin de la phrase, elle se déplaça dans ma direction comme si le temps était accéléré sur elle, ses petits pas firent craquer le parquet à une fréquence invraisemblable.

« Parce qu’on m’en a donné l’ordre… C’est tout… 

- Menteur… Tu voulais être félicité par ta maman… Être aimé… C’est ça que tu veux…

- J’ai pas de leçon à entendre d’une hallucination, une hallucination d’un mort qui plus est.

- Pourquoi n’as-tu aucun remord pour mon papa ? Pourquoi suis-je morte ? Pourquoi ne m’as-tu pas juste assommée ?

- Je te trouve bien bavarde pour un macabé… J’étais juste prêt mentalement à le tuer, je faisais mon job, te tuer en faisait partie ! Je n'ai pas la moindre compassion pour toi !

- Tu en es sûr ? Pourquoi suis-je là alors ? Pourquoi suis-je ici sans mon papa ? Tu l’as effectivement tué de sang-froid, mais moi, je n’étais pas prévue au programme… Pourtant tu m’as planté un couteau dans le cou avec tout autant de flegme…

- C’est bien ce que je dis, je n’allais pas avoir pitié pour une cible dont j’ignorais tout ! »

Elle se glissa autour de moi, son corps se tordit comme une corde pour m’attacher à elle.

« Tu dis ça mais pourtant tu te mets à délirer, arrête de jouer les durs, nous sommes des gamins tout les deux…

- Je suis destiné à avoir des litres de sang sur les mains, c’est pas deux ou trois gouttes qui changeront quoi que ce soit… »

Son corps se tordit encore plus, son visage n’était plus qu’à quelques centimètres du mien… Je sentis mon maigre repas remonter doucement… Ses globes oculaires rentrèrent dans ses orbites, sa bouche s’élargit et sa peau se mit à ‘'suer’' du sang. Elle émit un rire extrêmement malsain. 

- Hahaha ! Tu crois ça ? Tu n’es pas au dessus des conséquences, jamais tu ne m’oublieras ! Un flot de sang surgit de ses yeux aussi noirs que les ténèbres, et s’écoula au sol. Son crâne perdit sa chair qui dégoulina devant mes pieds. Le reste de son corps suivit et chuta en une bouillie sanguinolente. L’instant d'après, je tombai à genoux et vomissai tout ce que j’avais dans mon estomac. Ma vision se termina et l’immonde flaque organique fut remplacée par mes restes. Je revis une nouvelle fois la scène où j’avais froidement tué cette gamine, son visage se déforma avant d’afficher un sourire macabre et de m’arracher la gorge avec ses dents. Dans mon délire, je pus observer ma propre tête décapitée rouler autour de mon corps sans vie. Mes abdominaux me faisaient souffrir tant mon estomac se contractait pour au final ne rendre que de l’air. Enfin, après avoir complément repris mes esprits, je me relevai et m'éloignai au maximum de cet endroit. Je tins mon estomac douloureux en essayant de rien laisser paraître, il était inutile de mettre ma main devant ma bouche car rien ne pouvait plus en sortir. Je me mis dans un coin isolé d’une des cours du château, puis je m'assis dans l’herbe et respirai l’air frais à plein poumons. Je lâchai un juron en empoignant de l’herbe et en la serrant de toutes mes forces. Je maudissais ma faiblesse, dans le feu de l’action, je n’avais pas réfléchi, je n’avais fait qu’agir. Maintenant je payais moralement ce que j’avais fait. Alors que j’essayais d’effacer ces visions de mon esprits, une voix qui ne m’était pas inconnue parvint à mes oreilles, Impa. Exactement ce qu'il me fallait pour penser à autre chose ; ce qui était pratique avec elle, c’est que je n'avais même pas besoin de la provoquer pour que l'on se prenne la tête. Je l’entendais piailler avec deux autres greluches dont j’avais oublié le nom, leurs pas se rapprochèrent dans ma direction, et étonnamment, il s'agissaient des bruits très sourds.

« Hoooo, regardez mesdames ! Voilà le palefrenier dont je vous ai parlé ! »

Elle avait toujours été arrogante avec moi, mais là je crois que c’était de l’inédit. Elle portait une très belle robe, je l’avoue, couleur cerise ainsi qu’un bustier en cuir et de drôles de chaussures fines avec de hauts talons.

« Il a l’air encore plus vulgaire que tu nous l’as décrit ! En plus… »

Elle renifla dédaigneusement. 

« Il pue le vomi, il a dû boire comme un moins que rien à la taverne, je présume !

- C’est tout à fait possible très chère ! Cela ne m’étonnerai pas de lui, il doit noyer son chagrin dans la vinasse ! »

Je me levai, un peu difficilement et me dirigeai vers elles. Les deux pouffiasses se cachèrent derrière Impa à mon approche.

« Recule manant ! Tu empestes !

- Il va tacher nos somptueuses robes ! Protégez-nous dame Impa ! »

Ignorant leurs jérémiades d’enfants gâtées, je me concentrais sur notre amie, la futur nourrice.

« Dame Impa ? T’as pris du galon ma cocotte…

- Surement plus que toi en tout cas ! C’est mon anniversaire aujourd’hui ! On m’a offert cette sublime robe pour ce jour, mais un pécore de ton espèce ne doit point comprendre sa valeur !

- Je suis peut être un pécore, mais quand je marche, on ne dirait pas que j’ai un balai dans le cul et je ne tiens pas un dialogue de vieille truie aisée !

- Hohohooooo ne serait-ce pas de la jalousie ? Personne ne peut t’offrir de cadeaux puisque tu n’as point d’anniversaire ! Tu n’existes pas mon pauvre ami… »

Elle gloussa de rire devant moi de manière bien hautaine.

« Je préfère ne pas exister plutôt que d’être une petite soumise qui pète plus haut que son cul et qui souffre d’un énorme complexe de supériorité… 

- Qu’est-ce-que tu racontes ?

- Tu m’envie d’avoir un minimum d’orgueil ? Je me suis pas écrasé comme la petite gamine prétentieuse que tu es ! 

- Ce n’est que pure calomnie !

- Alors pourquoi te sens-tu tellement obligée de venir me rabaisser ? Et pourquoi aimes-tu à ce point te pavaner devant moi ?

- Parce que je me dois de te servir de model voyons ! Je suis meilleure que toi en tout point, tu peux ne que prendre exemple sur moi !

- Parce que tu penses que ta formidable ascension sociale m’intéresse ? Tu devrais savoir que je m’en fiche éperdument… »

Alors qu’elle allait me répondre, je me déplacai dans son dos et lui fis une clé de bras sans qu’elle puisse réagir. Impa tomba à genoux en gémissant.

« Tu as des progrès à faire juste pour que je te respecte ma grande… »

Je l’ai poussée, assez violemment, et elle tomba en se tenant l’épaule, je me retins de lui mettre un coup de pied avant de m’en aller. Par instinct, je me suis dirigé chez Mère, et comme d’habitude, la porte s’ouvrit après quelques secondes d’attente. 

Elaine était devant le feu de cheminée dans son fauteuil, elle était dos à moi et semblait être affairée à quelque chose… 

« Assis-toi… » Me dit-elle en me faisant un petit signe de la main.

J’obtempérai sans poser de question, son ton était assez lourd.

« Pourquoi t’en es-tu pris à Impa ? Tu peux mal lui parler cela n’a aucune importance, mais tu ne dois pas montrer tes compétences comme ça…

- Ce n’était qu’une petite clé de bras, rien d’incroyable maître…

- C’est une question de principe… Tu ne dois pas montrer le moindre de tes talents en publique. Tu as réussi à la prendre par surprise alors qu’elle était en face de toi, comme c’est une sorte de chamaillerie entre gosses, personne n’y prêtera vraiment attention, mais méfie-toi à l’avenir.

- Oui maître…

- J’espère que tu as compris… Bon, j’ai une petite histoire à te raconter, une tradition Sheikah. Enfin, plus précisément une tradition chez les assassins de la famille royale. Comme nous ne sommes pas censés exister, nous ne célébrons pas notre naissance, et puis de toute façon nous ne savons pas quand nous sommes nés. Notre naissance est déterminée avec notre premier meurtre, une vie s’éteint et une autre s’illumine… Je ne sais pas si cette logique à un sens, mais c’est une tradition… Et la tradition veut que le maître offre quelque chose à son disciple… »

Elle se leva, et je vis une aiguille de couture, du fil et un vêtement…

« Je te dirai bien "joyeux anniversaire", mais je crois que cela n’a rien de joyeux de fêter la mort de quelqu’un… 

- Plutôt, oui…

- D’ailleurs… Comment te sens-tu ? »

Elle me regarda droit dans les yeux, je comprenais pertinemment le sens de sa question…

« J’ai gerbé et déliré tout à l’heure…

- La gamine n’est-ce-pas ?

- Oui…

- Ne t’en fais pas, j’ai vécu exactement la même chose, ça te passera… Bref elle n’a aucune importance, accepte ce présent… »

Elaine me tendit ma tunique, celle que je porte depuis que tu me connais, avec mon turban… 

Link… Tu comprends maintenant pourquoi je m’étais énervé quand tu avais voulu la prendre quand j’étais dans la source d’eau chaude… Cette tunique représente énormément pour moi…

Immédiatement, je l’ai essayée, j’étais un peu ému de recevoir un cadeau.

« Alors ? Tu te sens bien dedans ? Ou il faut quelques retouches ?

- Ça me moule un peu le cul, mais sinon c’est plutôt confortable…

- Il faut une tenue près du corps pour éviter de malheureux accidents, comme une écharpe ou une cape volant au vent qui trahirait ta position, ou un adversaire t’agrippant par tes vêtements…

- Et pour l’hiver, il y a une version avec une doublure de fourrure ? 

- Bien sur, mais tu devras la faire toi-même… »

Je me suis approché d’elle, puis, un peu hésitant, je l’ai enlacée.

« Merci… Mère… »

Elle hésita elle aussi, mais finalement, ses bras m’entourèrent, et elle me caressa le dos.

« De rien… Fils… »


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