L'amour en enfer.

Chapitre 3 : Souvenir et Tabac de troupe.

Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/02/2013 10:14

En ce moment, mes réveilles étaient plutôt mouvementés, mais pour une fois depuis longtemps, je pu me réveiller naturellement vers les 6 heures 30. J'aperçus que des hommes dormaient encore profondément. Quant à moi, j'avais pratiquement dormi toute une journée en vérité, réveiller seulement pour manger, trop épuisé par tout ce que j'avais vécu : d'abord les guerres à Guadalcanal, celles à Ultihi et enfin, ici à Okinawa. Me retrouver alors dans un véritable lit ! Je ne me fis pas prier pour réussir à m'assoupir, du moins à tomber de sommeil et d’épuisement.

Bob était parti, je ne sais trop où. Les médecins m'avaient dit que je pourrais remarcher aujourd'hui normalement. Alors n'en pouvant plus de rester assit, je décidais de me lever. Enfin essayer. Ma douleur était toujours trop forte et je fis une pause en m'asseyant sur mon lit. La fièvre avait pratiquement disparu et après avoir pris suffisamment de souffle, je me mis debout et me dirigeais à petits pas vers la cantine. 
J'avais toujours été un lève tôt en temps normal. J'adorais l'air frai du matin, le rosé sur les pelouses vertes de mon quartier, la vie qui se lève tout doucement, l'odeur des boulangeries qui était ouverte n'attendant que les clients. Tout cela n'était qu'une vague de souvenir dans mon esprit à présent, et j'espérais pouvoir encore revoir ça. 
Je parviens à la salle à manger au bout d'un long moment, celle-ci était relativement vide. Pour être honnête il n'y avait que très peu de personnes. Et les seuls présents étaient sûrement là pour l'hôpital psychiatrique plus que pour l'hôpital en lui-même. Je vis Robert Leckie un peu plus loin, dégustant du café. Du café, ça alors, quel goût cela avait déjà ?  Du bon café, je voulais dire, celui avec du sucre et du lait. J'avais hâte d'y re goûter. La cuisinière, une vieille femme, derrière le comptoir me regardait d'un air mauvais.

« - Vous voulez quoi ? Grogne-t-elle.
_ Du café, juste du café s'il vous plaît. » Répondis-je en me moquant du ton qu'elle prenait trop heureux de pouvoir parler sans avoir l'impression que l'on déchirait mon ventre.
Elle m'en servit un dans un gobelet et je partis m'installer avec difficulté. Leckie me fit signe de venir me voir. Je n'avais pas vraiment envie de rester seul, donc je m'avançai et m'installai à sa table, avec son aide.
« - Bonjour Eugène. Ton premier jour hier s'est bien passé ici ?

_ Je n'ai fait que dormir pratiquement. Mais c'est mieux que dans les trous rempli de boue et de cadavre. »
Robert eut un léger rire tout en regardant l'extérieur par la vitre.

« - Ça c'est sûr. Tu restes combien de temps ?
_ Une semaine normalement. 
_ Pressé de repartir ?
_ Oui et non. »
Il sourit à ma réflexion, et comprit ce que je ressentais.
« - Sauver sa patrie, défendre notre famille. Dans quel beau merdier on s'est mis hein ? Dit-il au bout de quelques secondes, ne quittant pas des yeux l'extérieur.
_ Je me le demande aussi. »
Il remit son attention sur moi.
« - Tu peux reparler finalement !

_ Oui, l'infirmier avait raison. Pour ma blessure par contre, j'ai toujours cette douleur horrible mais ça va sinon.

_ Je comprends. »
Je pris une gorgée de café. Ce liquide brûlant et si banal d'habitude, me fit retourner chez moi quelques instants, aux États-Unis. J'en fermais les yeux pour me concentrer sur ce petit instant de bonheur. Quand je les rouvrir, Leckie regardais toujours par la fenêtre.
« - Le café, c'est étrange comme cette petite chose peut redonner un peu de courage hein ? Me fit-il remarquer.
_ Oui, je n'aurai jamais cru à vrai dire.
_ Et moi donc. Il y a beaucoup de choses que je n'aurai jamais crues possibles avant d'arriver ici. »
Je regardais par la fenêtre à mon tour, et je vis que Leckie regardait une jeune fille brune assise sur un banc dehors.
« - Qui est-ce ? M'attardais-je à demander.

_ Une infirmière je crois. En vérité, je n'en sais rien, je sais juste qu'elle vient s’asseoir ici tous les jours pendant que les soldats dorment encore. 
_ Mumm. Pourquoi ne vas-tu pas la voir alors ? » 
Leckie détourna le regard de la jeune femme pour venir le poser sur moi.
« - Pourquoi ? Je n'ai pas envie. Une femme hante déjà mes pensées. Elle est aux États-Unis et j'ai essayé, quand nous sommes allé en Australie, ma division et moi, de l'oublier un peu. J'ai alors rencontré une jeune femme, une magnifique Australienne. Cependant, elle n'était pas faite pour moi car elle m'a quitté, ayant trop peur que je le fasse à cause de la guerre. Que je meurs au combat et que je la laisse seule. Elle et ses parents.

_ Je suis désolé.
_ Tu n'as pas à l'être Eugène. Ce n'est pas de ta faute. Quoi qu'il en soit allé voir cette jeune femme, et risquer de lui briser le cœur, et non je ne veux plus. Je refuse de faire du mal, plus que ce que je ne fais déjà. »
Il regarda encore par la fenêtre et rajouta :
« - Et toi ? Une femme dans ton cœur ?
_ Non, je suis partie avant d'en connaître une, et je suis resté au combat depuis.
_ Ce n'est peut-être pas plus mal non ?
_ Je ne sais pas. » 
Il sourit, et sorti de sa poche un vieux paquet de cigarettes de tabac de troupe. Il m'en proposa une que je refusa. Je ne fumais pas. Du moins pas la cigarette, seulement la pipe. Snafu, la première fois qu'il m'en proposa une et que j'avais refusé, m'avait lancé un regard l'air de dire : ''On verra au bout d'un mois''.

La vieille cuisinière vient nous voir et beugla, ce qui me sorti de mes pensées :
« - Aller dehors si vous voulez fumer. » 
Leckie fit un signe de tête et l'on partit tous les deux dehors, dans la cour. On s'assit sur un banc et Robert alluma sa cigarette.
Il tira ensuite une bouffée et expira la fumée. 
« - Tu y retournes quand toi ? En enfer. Demandais-je.
_ Bientôt j'espère, bientôt. Mes camarades me manquent. Enfin, pour l'instant je suis là et j'essaye de profiter de ce qu'on peut me donner.
_ C'est vrai, c'est étrange quand même...
_ Quoi ? 
_ Le fait d'être soulagé d'aller à l’hôpital mais d'être triste de quitter l'endroit qui nous y a conduit.
_ La guerre est illogique.
_ Ça c'est sûr. »
Il inspirai de la fumée de sa cigarette et la libérai en inclinant sa tête vers le ciel. Un panache flou et gris envahi quelque seconde l'atmosphère avant de se dissiper.
« - Tu vas faire quoi aujourd'hui ? Questionnais-je.
_ Aucune idée, je pense aller faire une partie de cartes ou je ne sais pas et toi ?
_ Je ne sais pas non plus, je pense que je vais... Visiter les alentours ! Et faire attention à ma liaison.
_ Tu as raison fait attention, et profite de voir ce que ce lieu offre. Même s'il n'y a pas grand chose. »
Il écrasait sa cigarette sur une pierre par terre et je regardais le banc où était normalement assise la jeune femme que Leckie ne quittait pas des yeux, cependant, elle n'y était plus. Robert se leva enfin.

« - Je vais à la douche avant que tout le monde n'y aille. Tu devrais faire de même. Conseil de soldat ».
Il me sourit et partit. Depuis combien de temps Leckie était ici ? Et pourquoi était-il là ? Problème physique... Je ne pensai pas. Problème moral ? Sûrement. Je finis par me lever également quand je fus pris d'une douleur insupportable venant de ma liaison. Elle commençait à saigner de nouveau et à tâcher tout mon bandage. Avec peine je me rassis sur le banc, essayant de respirer le mieux possible pour diminuer, même un peu, ce pic de douleur. Ce fut un infirmier qui vient m'aider à me relever. Il m’emmena rapidement dans le cabiné du médecin qui me prit en urgence. 
Il m'enleva rapidement mon bandage et regarda ma plaie. Je ne voyais pas son visage car mes yeux se fermaient contractés par la douleur.

« - Évitez de bouger monsieur Sledge vous faites empirez , je sais que c'est dur mais plus vous bougez, plus vous créez une hémorragie. »
Il prit alors une seringue que l'infirmier lui tendit et me l'enfonça dans le bras. J'avais toujours eu horreur des aiguilles mais là, c'était bien la dernière de mes priorités. À présent deux infirmiers qui étaient venu en renfort me tenaient fermant. Je ne vis pas ce qu'ils firent ensuite, la seule chose que sentit ce fut une douleur encore plus atroce me transpercer.
« - Tenez-le. » Ce fut les quelques mots que je compris avant que la souffrance finisse par peu à peu disparaître. Pas complètement certes, mais un peu. 
« - Très bien, maintenant il faut recoudre. Sinon ça risque de se rouvrir. Passez- moi le file. » 
À partir de ce moment, je fus dans une 4ème dimension. J'étais incapable de savoir ce qu'il m'arrivait. C'était comme si, j'étais au milieu d'un nuage avec un bruit ou ronflement de machin. Je voyais tout le décor flou comme dans mon rêve et j'étais incapable de bouger ou de sentir quoi que ce soit.


« - C'est bon, c'est terminé. Il faudra faire bien attention. »

Ce fut les mots que je réussis à comprendre après que l'intervention, qui avait duré beaucoup de temps soit finie. 
« - Monsieur Eugène ? Vous allez mieux ? » 
J'hochais simplement de la tête, incapable de faire quoi que ce soit d'autre.
« - Nous vous avons administré un puissant calmant. Votre blessure s'est ouverte, ce que je n'avais pas prévu. Nous vous l'avons cousu. Il faudra que vous y touchiez le moins possible. Entendu ?
_ Oui. Soufflais-je.
_ On va vous conduire à votre dortoir. Restez allongé aujourd’hui. C'était une erreur de vous avoir laisser vous levez. Nous vous gardons une demi semaine en plus. »
L'infirmier qui m'avait conduit au cabiné du médecin m'aida à me diriger dans mon dortoir. Il m'aida à m'allonger sur mon lit et puis partit sans ajouter un mot. Quant à moi, je le remercie simplement.

N'ayant rien à faire d'autre à présent, je songeais à mes voisins de dortoir. Leckie se trouvait normalement à ma droite, mais il était à la douche, et à ma gauche, il y avait un soldat ayant peut-être trente ou trente-cinq ans. Il lisait le journal et en gros titre, je vis " Lutte à mort'''. Ce qui était assez vague. Je regardais à présent, les autres, un soldat faisait des allers et retours devant son lit en répétant sans cesse : " pourquoi tu m'en veux, pourquoi tu m'en veux Max... Je n'ai pas pu faire quoi que ce soit, c'est ce Jap... ". J'espérais que je ne deviendrais jamais comme lui : complément fou et enfermé à vie dans un hôpital psychiatrique. Mais qu'est-ce qui pouvait m'indiquer le contraire ? 

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