Le Sorceleur, le Spectre et le Géant

Chapitre 5 : L'autre côté du portail

2211 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/01/2019 13:08

Pendant un instant, Wyn ressentit un froid mordant, une étourdissante apesanteur suivie d’une fulgurante douleur abdominale. Puis, il était de l’autre côté, les frissons cessèrent aussitôt. Il faisait nuit, sous un firmament étoilé sans nuage. Curieusement, la lune lui semblait plus haute dans le ciel nocturne. Le portail magique se trouvait au fond d’un canyon. Les parois rocheuses tortueuses semblaient polies et luisaient à la lumière de la lune. Un vent chaud et chargé de sable soufflait dans le canyon et s’engouffrait dans le portail.

Sans aucun mal, Wyn repéra les traces du géant dans le sable de la gorge. Les sens aux aguets, Wyn commença à suivre le lacis du goulet rocheux. Il remarqua que les parois étaient ciselées de frises anciennes aux motifs géométriques complétés peu à peu par des mots de langue ancienne. Malheureusement, le sorceleur n’avait aucune connaissance sur la langue écrite des races antiques. Peu à peu, de véritables façades creusées dans la roche se dévoilaient à la vue de Wyn. Une petite ville antique troglodyte se nichait dans ce canyon étroit, d’origine elfe sans aucun doute. La cité paraissait très ancienne et vide d’occupants depuis des siècles. Une cité vermeille, moitié vieille comme le temps. De nombreuses façades zébrées de profondes lézardes indiquaient que le sol tremblait de temps en temps. D’épais éboulis encombraient l’entrée de certaines demeures.

Wyn prit le temps de fouiller l’une de ces maisons troglodytes pour y trouver d’éventuels indices. Il découvrait de curieux et vieux fauteuils en racine fossilisée, de magnifiques céramiques murales dépeignant des elfes en robe en grande discussion ou des cavaliers elfes en armes sur de singuliers quadrupèdes au long cou totalement inconnus pour le sorceleur. Puis, il repérait dans une pièce quelques squelettes elfes quasi fossilisés par l’atmosphère sèche de l’endroit. En parcourant d’autres maisons, Wyn tombait invariablement sur des squelettes. Leurs os avaient de curieuses marbrures noirâtres, les elfes semblaient tous morts d’une étrange maladie sûrement très contagieuse.

L’étroit canyon débouchait sur l’entrée d’une vaste caverne venteuse. De nombreux bêlements se réverbéraient le long des parois de la profonde salle. Cette énorme grotte formait comme un vaste piège à vent. A certains endroits, les parois tapissées de mousse luminescente suintaient d’humidité. Des réservoirs avaient été creusés dans la grotte et recueillaient l’eau de ruissellement. Par endroit, il y avait même de vaste parterre de grosses cosses phosphorescentes. Tout un quadrillage de petits murets en grés rouge compartimentait le cheptel de moutons. Les ovins mangeaient de la mousse sèche placée dans des auges. La salle empestait l’odeur animale.

Au centre de la salle, le géant avait établi ses quartiers. Il y avait une couche, un lit épais de petits graviers recouvert par d’épaisses peaux de moutons. De hautes pierres plates formaient comme un vaste établi, le géant y avait disposé une pléthore d’outils pour travailler le cuir et la laine des moutons. Il avait monté un four à bois pour y faire cuire ou fumé la viande. De grosses jarres contenaient du lait fermenté. Un endroit était dédié au séchage de la mousse et un tas de cosses vides indiquait que le géant s’en nourrissait. A l’opposé de l’entrée ou se tenait Wyn, la caverne disposait d’une autre issue sur l’extérieur. La sortie donnait sur une vaste platitude désertique, une plaine de sable amalgamé brillant sous la lumière de la lune. Wyn semblait discerner au loin une chaîne de montagnes.

Wyn retourna dans la caverne et fouilla les affaires du géant. Tout cela empestait mais guère plus que le fumet général de la caverne. Tout laissait penser que le géant survivait plus qu’il ne vivait. L’ouverture du portail avait été inespérée pour celui-ci, les moutons lui changeant grandement son menu alimentaire.

Tout à coup, Wyn se sentit épié, son sixième sens marchait au quart de tour. Il balaya son regard dans les zones enténébrées de la caverne. Rien de rien alors qu’il avait toujours ce sentiment diffus d’être espionner. Il y avait pas mal de cachette pour se dissimuler dans cette vaste caverne. Le sorceleur préféra couper court.

-         Montrez vous qui que vous soyez ? dit Wyn en haussant la voie.

Un loup blanc se matérialisa sur le haut d’un muret et s’assis tranquillement sur le postérieur en fixant le sorceleur. Incroyable, cela ne pouvait être le Drac. Celui-ci avait indiqué à Wyn d’être dans impossibilité de passer le portail.

-         Drac, vous avez décidé de m’aider et de dépasser votre peur ? demanda Wyn en marchant tranquillement vers celui-ci.

-         Je ne suis pas votre prénommé Drac… répondit le loup blanc directement à l’esprit de Wyn.

-         Incroyable, un autre Drac alors qu’il se croyait seul au monde… rétorqua Wyn.

-         Je vous le répète, je ne suis pas le Drac et je ne connais pas d’autre membre de mon espèce…

-         Alors apprenez que vous êtes au moins deux, je connais un autre spectre comme vous… Un dénommé Drac… Excusez-moi, je me présente Wyn, sorceleur.

-         Les elfes m’appelaient l’Arpenteur du désert, le géant Tangudul me nomme Vilka. Ce dernier nom me plaît. Appelez-moi Vilka si vous voulez…

-         C’est tout bonnement incroyable, de l’autre côté du portail magique, j’ai croisé la route d’un spectre qui répond au nom du Drac. Celui-ci se croit seul au monde. Il est loin d’imaginer que de l’autre côté de ce portail se trouve son alter ego.

-         Moi de même, j’ai du mal à vous croire mais vous semblez sincère… Je ne peux pas non plus franchir le portail mais Tangudul m’a conté ce qu’il a découvert de l’autre côté. Il ne m’a jamais parlé d’un quelconque Drac.

-         Bizarre, le Drac m’a raconté qu’il lui avait parlé… Par rapport au géant, Je peux comprendre qu’il soit affamé mais de l’autre côté du portail, il se livre à des crimes et des vols… Il a tué deux bergers et sacrément appauvri par ses rapines le coin proche du portail. De l’autre côté du portail, les humains ne brillent pas sous l’opulence.

-         Pareillement, je comprends mais voyez-vous je suis assez indifférent au sort des uns et des autres. Ce que j’en pense est fort simple. Il y a des siècles, des elfes ont fui l’animosité humaine tentant de fonder ici un havre de paix. Malheureusement, la terre est très inhospitalière ici et même maudite d’une certaine manière. Après quelques siècles, les elfes sont tous morts de maladie. Puis, il y a quelques mois, un géant esseulé est arrivé ici. Il était aux abois, affamé et terriblement seul. Il veut survivre, il répond au même instinct que celui des humains ou des elfes. Pour l’instant, la réouverture du portail lui réussit plutôt bien.

-         Qui a rouvert le portail ? Ce n’est pas l’œuvre de Tangudul ?

-         Non, Tangudul ne connaît rien à la magie et même à pour habitude de s’en tenir éloigné. C’est la faim qu’il a poussé à dépasser sa peur et à franchir le portail. Pour ne rien vous cacher, j’ai réactivé le portail. Je ne connais rien à la magie mais j’ai du temps devant moi. J’ai passé des décennies à étudier les glyphes magiques et appréhender la lecture de la magie. Il m’a fallu autant de temps pour découvrir les runes qui avaient été dégradées et trouver un moyen de les ciseler à nouveau. Mon intangibilité était un sacré barrage à la ciselure. C’était un challenge, une marotte qui m’a tenu éveillé pendant un temps certain ou un certain temps pourrais-je dire…

-         Et maintenant que le portail est ouvert, vous regarder les fruits de votre curiosité. Si je ne règle pas le problème du géant, des hommes en armes de plus en plus nombreux viendront jusqu’ici. Ils discuteront, déféreront et mettront un terme au portail peut-être de la pire des manières. Tout cela dans votre plus grande indifférence, c’est bien çà ?

-         Oui, c’est bien ça ! Mais il y a un mais… Vous me dites que j’ai un alter égo de l’autre côté du portail… Cela change la donne et pique de nouveau ma curiosité… Je m’ennuie dans cet endroit désolé, l’autre côté du portail me parait doublement intéressant… Je vois une solution… Vous m’aidez à franchir le portail et je ferais en sorte de le fermer en laissant Tangudul de ce côté-ci, quand pensez-vous ?

-         Votre proposition est intéressante. Je suis d’accord. Avez-vous une idée pour franchir durablement le portail ?

-         Je viens de réfléchir à une possibilité. J’ai longuement étudié le portail. Ma qualité de spectre génère un curieux effet, je me reflète dans le portail à l’instar d’un miroir. Si mon alter-égo est bien là, nous devons au même moment nous mirer dans le portail. Quand nos reflets se juxtaposeront, je pourrais passer le rejoindre…

-         D’accord, de mon côté, je traverse le portail. J’en parle au Drac, nous attendons que le géant franchisse de nouveau le portail. Vous faites votre tentative. Une fois que vous êtes de l’autre côté, vous désactivez celui-ci.

-         Marché conclu, émit Vilka.

Sorceleur et spectre partirent en direction du portail magique. Durant le trajet, Vilka relatait l’histoire de la cité troglodyte elfique. Les elfes lui contèrent qu’ils avaient abandonné toute lutte armée contre la haineuse humanité. Au cours des siècles, Ils s’adaptèrent peu à peu à la vie dans le désert. Certaines demeures disposaient de puits d’eau douce. Grâce à la magie, ils avaient rendu possible une production de plantes nutritives adaptées au désert. Malheureusement, il y a deux siècles, une maladie mortelle ravagea leurs rangs en une seule génération. Sans remède, ils s’abandonnèrent l’étreinte de la mort.

Pour Vilka, cette terre était maudite. Récemment, la zone rocheuse était fréquemment sujette à des tremblements de terre. Toutes ces cavernes finiraient par s’écrouler faisant disparaître à jamais la beauté de cette cité troglodyte. Le spectre avait découvert dans les grottes les plus profondes des émanations de vapeur délétère et inodore. Pour lui, le malheur de cette terre venait de ces entrailles. Les elfes n’avaient pas pressenti le danger sous leurs pieds. Vilka regrettait ce temps-là, les elfes avaient été d’agréables compagnons de solitude.

Elle ne savait pas grand-chose du géant, Tangudul n’était pas très loquace, ni affable. Il lui avait vaguement raconté qu’il venait de l’Est, qu’il avait traversé ce désert non sans mal. Il avait fui les prédations d’une vaste armée de cavaliers humains vindicatifs. Vilka avoua à demi-mots que le géant avait finalisé la réouverture du portail. Sous la dictée du spectre, le géant fort habile dans le taillage de la pierre avait ciselé les glyphes manquants. Pour lui, l’option du portail avait été une véritable aubaine.

Arrivé au portail, Wyn remerciait Vilka et n’hésitait pas une seconde à franchir d’un pas léger celui-ci…


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