Fugit Memoria

Chapitre 1 : Rencontre avec une magicienne

2934 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/08/2019 14:07

Maja referma la porte de ses appartements privés du castel de Dorian. Elle déposa son manteau de fourrures sur son lit à baldaquin puis pris place à son bureau. D’un geste magique accompagné d’une courte phrase ésotérique, elle raviva le feu dans la cheminée. L’automne était bien là. Son appartement aux vieilles pierres et au plafond haut était peu propice à conserver la chaleur. Quelques courriers s’agglutinaient en attente de réponse sur son bureau. Ses péripéties dans le pays avec ses amis, Davo, Dagreed et Wyn l’éloignaient des contingences de son rang. Quand elle rentrait, elle avait du travail de correspondances.

Maja, baronne de Dorian depuis la mort de son défunt mari (par une flèche assassine d’une dryade de Brokilone) venait de fêter ses soixante ans mais n’en paraissait que trente au compteur. Elle était baronne et magicienne, une véritable exception dans toute la Témérie. Elle devait doublement batailler pour maintenir son rang, face au margrave de Velen et au Conseil Restreint du Roi. Elle pouvait compter sur le soutien du duc de Sodden ce qui n’était pas du tout négligeable. En son temps, elle avait été sa maîtresse et confidente. De plus, elle travaillait pour le service de renseignements de Foltest qui lui offrait un soutien discret du roi.

Ceux qui la connaissaient vous la décriraient comme une belle femme, au joli minois et au nez mutin, aux étourdissants yeux verts clairs, ses cheveux flamboyants et mi-longs aux originales pointes noires lui donnaient un air canaille. Sa silhouette était tout simplement parfaite, belle poitrine, taille de guêpe et longues jambes, tout cela au service des desseins secrets de cette magicienne a l’esprit affuté.

Ses appartements étaient protégés contre toute intrusion magique par un champ ésotérique de négation. Elle avait mis deux années pour dresser et ciseler un tel champ magique. Les frises murales n’étaient pas simplement décoratives, sous les dorures sylvestres se cachaient une fine écriture de glyphes. Le champ de confinement était à double tranchant, elle ne pouvait espionner qui que ce soit à partir de ses appartements. Un prix à payer qu’elle acceptait pour avoir une véritable vie privée en ces murs. Elle savait que certains de ses « collègues » mages avaient la volonté de l’espionner et elle ne doutait pas que les magiciennes du Conseil Restreint du Roi tentaient de soutirer des informations relatives à Maja. Elle suscitait la curiosité et la jalousie de ses pairs.

La réalité était bien différente. Son titre de baronne lui octroyait un subside par le comte que celui-ci rognait chaque année à la baisse prétextant des difficultés de collecte. Son pouvoir de basse justice lui avait été retiré sous prétexte que son sexe n’était pas agréé par le cabinet de justice royale. Elle avait pu conserver son titre et un petit manoir non loin de la cité de Dorian. Elle régissait un commerce de production de miel lucratif même après avoir régler les diverses taxes royales. Sa propriété comptait les plus émérites apiculteurs de la Témérie principalement trois familles de Hafelins, les Bokker, les Rivenvelt et les Bossvard. Le miel produit, connu sous le nom de Douceur de Dorian se vendait même à Novigrad dans les salons les plus respectés.

Elle avait pour habitude de trier son courrier par priorité, deux courriers retenaient son attention un émanant de la Chancellerie et un du Chapitre de magie. Elle décacheta l’unique courrier venant de la Poste Royale. Une bouffée d’anxiété l’étourdie un instant quand elle déplia la petite lettre. La page était blanche. Elle approcha la feuille d’une des bougies du chandelier posé sur son bureau. A la chaleur de la flamme, un court message se révéla sur le vélin, un dispositif simple mais efficace de discrétion.


« Baronne,

Je souhaiterais vous rencontrer dans les plus brefs délais. Je pourrais parvenir à votre castel pour la nuit de la pleine lune prochaine. Je dois vous communiquer des informations capitales. Aimablement, Dix-sept. »


Le courrier datait d’une dizaine de jours, en regardant son calendrier lunaire réalisé par le Chapitre de magie, la pleine lune du mois tombait hier soir. Corbleu ! L’agent Dix-sept devait être déjà au manoir. Pourtant, sa gouvernante ne lui avait indiqué la présence d’aucun visiteur.

La lettre suivante portait le sceau du Chapitre de magie, ses collègues n’ignoraient aucunement l’aversion de Maja pour toute communication magique à distance. Il datait déjà d’un mois. L’estampille de cire du courrier portait en filagramme, un glyphe magique de protection, si Maja n’apposait pas son index droit sur le dit sceau au moment d’ouvrir le courrier celui-ci s’enflammerait aussitôt. Une fois ouvert, le courrier était admirablement écrit, elle reconnue dès les premiers mots l’expéditeur, son premier et ex-amant du Chapitre de magie, le magicien Évrard.


« Ma très chère,

Je me languis de te revoir. Deux ans déjà que je n’ai pas vu ton adorable et revigorant visage mais ma convalescence fut longue, passant d’effet indésirable en effet indésirable et de médication efficace en médication hasardeuse. Tous ces sacrifices ont fini par payer, je suis arrivé à finaliser la décoction cela me paraît presque irréel. Je veux partager avec toi cette trouvaille et mes dernières conclusions didactiques. Comme à l’habitude, j’arriverais par portail magique successif, la distance est grande depuis ma retraite d’Aedd Gynvael et je suis toujours aussi circonspect. Ma dernière translocation est prévue pour la pleine lune de ce mois. Très affectueusement, Évrard. »



Décidément, cette pleine lune passée serait à marquer d’une pierre blanche ou noire... Le mage Évrard ne passait pas inaperçu, il aurait été le premier à l’attendre sous le porche du manoir. Elle quitta prestement son bureau et courut chercher sa gouvernante de maison.

Ingrid, nourrice de son défunt mari, avait toujours été d’une loyauté sans faille envers Maja et d’une efficacité admirable pour la gestion du domaine. Cette vieille dame, maigrelette et dégingandée au regard dur et acéré n’avait rien perdu de sa volonté de fer et de son autorité naturelle. Maja trouva celle-ci aux cuisines et Ingrid lui confirma qu’elle n’avait eu aucune visite la journée dernière. C’est à ce moment précis que la cloche de l’entrée se mit à tinter…

Interloquées et particulièrement curieuses, Maja suivie de peu par Ingrid se ruait sous le porche de l’entrée. Toutes deux traversaient prestement la petite cour humide du castel. Edmund, le vieux soldat à l’épaisse barbe blanche s’attelait à tirer le battant de la lourde porte. Une fois la porte entrebâillée, le trio se trouvait face à deux hommes. Le premier semblait confus, médusé et sur le qui-vive, Maja reconnu facilement son ancien amant Évrard. Bien que petit, à l’allure fluette, au crâne rasé et aux yeux marron, il avait un indéfinissable charme. D’une prestance naturelle même avec ces habits crottés, Evrard dégageait une aura de noblesse et de candeur. Il fit quelques pas en arrière comme si l’entrée du manoir pourtant familier l’impressionnait mais il fut bloquer en reculant par le second homme de carrure vigoureuse.


« - Où je suis ? Qui êtes vous ? Je ne veux pas rentrer dans ce manoir inconnu ! Laissez-moi tranquille !» rétorqua Évrard alors que le soldat se trouvant derrière lui commençait à le bloquer de ses poignes de fer. Le militaire portait un gambison blanc sous une armure quasi complète et finement articulée, une ample cape élimée d’un bleu délavé et un fourreau d’épée vide au ceinturon.

« Bonjour Mesdames, je suis Dix-sept, agent du roi » répondit le soldat tout en réalisant un courte mais polie génuflexion. « Messire Évrard, vous devez reconnaître ces dames ? » demanda Dix-sept à Évrard. Le mage le regarda avec de grands yeux exorbités « Qui est Évrard ? » Le mage continua de gigoter de plus belle et de frapper du pied tout en étant retenu dans les poignes de Dix-sept.

               Maja réalisa une courte passe de mouvements gracieux des mains tout en psalmodiant une courte phrase en langue ancienne. Son ancien amant papillonna des yeux et tout son corps s’affaissa dans les bras de Dix-sept. Évrard semblait assoupi. Edmund et Dix-sept portèrent le mage jusqu’au vestibule du manoir ou ils le déposèrent sur un long coffre-banc en bois.

« - Baronne Maja, je vous dois quelques explications mais je n’aurai pas toutes les réponses à vos questions. » rétorqua Dix-sept. La magicienne laissa le magicien endormi sous la garde du soldat et de la gouvernante. Elle invita Dix-sept à s’assoir dans la salle à manger non loin de la chaleur de la cheminée.

« - Je vous écoute, voulez-vous boire un verre de vin chaud ? » demanda Maja.

« - Oui, avec plaisir. » rétorqua Dix-sept en saisissant ferment le verre de vin chaud pour réchauffer ses doigts engourdis. Il huma la vapeur parfumé du vin chaud avant de commencer son long récit.

« - Hier soir, j’arrivais en approche de votre castel. Je marchais d’un bon pas sur le bord de la grande route de Dorian. Tout à coup, à quelques mètres de moi, je vis se dessiner dans l’air du soir, un portail magique entouré d’éclairs mordorés. Un mage en sorti, il se présenta sous le nom d’Evrard. Il s’excusait d’avoir surgi à mes pieds car il aurait du apparaître dans la cour de votre castel. Je lui appris que je me rendais aussi chez vous. A peine les présentations faites, un groupe d’hommes en armes, vêtus de noir portant des cagoules noires sortaient lame au clair d’un proche sous-bois.

               Je brandissais ma lame et m’interposais sans crainte entre Évrard et les malandrins. Mon entraînement d’épéiste leur était supérieur, j’avais tôt fait de meurtrir quelque peu leurs chairs. Sans comprendre, je perdais l’usage de mes jambes, ma dernière image fut être au sol, complètement paralysé et soufflant comme un maudit taureau érinté.

               Je me suis réveillé, il me semble au même endroit ou je suis tombé… Tout au plus, il y a une heure de cela, profondément courbaturé et frigorifié. Évrard se relevait à mes côtés complètement amnésique et confus. J’ai totalement oublié les dernières vingt-quatre heures et plus grave le message urgent que je devais vous communiquer…

- Singulière mésaventure que vous me racontez, tout cela au pied de mon castel… répondit songeusement Maja.

-         Je n’ai pas retrouvé mon épée, dit Dix-sept en dévoilant son fourreau vide sous sa cape. Je n’ai pas récupérer non plus ma besace. Évrard avait une grosse gibecière à l’épaule quand il est sorti du portail. Je ne l’ai pas retrouvé à mon réveil. J’ai tenté de poser des questions à Evrard mais je me suis heurté à son profond état de confusion mentale. Tant qu’il demeure comme çà, il ne nous sera d’aucun secours.

-         Que pouvez-vous me dire sur ces hommes en noir ? demanda Maja.

-         Ils étaient quatre, habillés de vêtements en tissu noir et souple, aucune armure. Par ailleurs, ils portaient des gants, capuches et des cagoules en tissu noir. Aucun signe distinctif avec tout cet accoutrement sombre, des malandrins assurément mais pas le petit fretin ou des paysans en maraude. Ils maniaient des épées bâtardes mais n’avaient pas le niveau martial d’une unité des forces spéciales comme dans mon cas. Je les surclassais individuellement mais ils étaient tout de même quatre. J’aurais eu ma chance bien que le combat aurait été compliqué.

-         Votre paralysie soudaine me fait penser à un sortilège… Vous avez vu Évrard psalmodier ? demanda Maja.

-         Non, il était dans mon dos. En tout cas, quand les malandrins ont déboulé de la futaie, il me paraissait surpris et effrayé par la tournure des évènements… Vous suspectez Évrard d’être au cœur du problème ?

-         Je ne sais pas mais notre communauté à l’art et la manière d’attirer les ennuis. L’arrivée des coupe-jarrets est curieuse, je la trouve par trop concomitante avec l’ouverture du portail magique d’Évrard. La plupart de mes condisciples développent le syndrome de la folie des grandeurs. La magie accroît le champ des possibles poussant ces pratiquants à se penser bien au-dessus des profanes. Évrard avait de nombreuses marottes et des sujets d’étude singuliers qui pourraient faire tourner la tête à quelques illuminés…

-         Il est vrai que depuis la fin de la dère des dères contre le Nilfgaard, vous avez beaucoup moins la cote avec les puissants de ce monde…

-         La politique attendra… Vous m’avez parlé d’une futaie sur la grande route de Dorian, l’attaque s’est déroulée avant le lieu-dit de la Patte d’Oie ?

-         Oui, tout à fait, je n’étais pas encore arrivé en vue du croisement de la Patte d’Oie pour prendre par la suite le chemin de votre castel. Il y avait une prairie sur la droite du sentier et une colline boisée. Maintenant que j’y pense, j’ai vu pas mal de ruches alignées en bordure de la futaie…

-         Hum, il y a la ferme de Frederick Bossvard, un de mes émérites apiculteurs halfelins, il a peut-être vu quelque chose hier soir, s’interrogea Maja.

-         Que faire d’autre de toute manière, c’est peut être une bonne piste pour commencer…

-         Nous ne sommes pas loin, cela vous dit de m’accompagner jusqu’à chez Frederick, réclama Maja.

-         Avec plaisir, je vois que les rumeurs ne sont pas exagérées, vous n’êtes pas une personne attentiste…

-         Edmund, va vous remettre une nouvelle épée… Un épéiste sans épée c’est gâché le métier… Je prends mon manteau et des chausses adaptées. Attendez-moi dans la cour. 

-         Bien madame.» rétorqua Dix-sept en finissant goulument son verre de vin chaud.


Maja demanda à Edmund d’aller chercher des bras supplémentaires et d’amener Évrard dans la chambre aux Roses Indigo et de veiller à que la porte de la pièce reste close. Le sommeil magique ne devrait pas durer plus d’une heure. Elle ordonna à Yves, le plus jeune des marmitons, doux et patient de rester au chevet du magicien. Par ailleurs, elle demanda à Wilfrid, son palefrenier de préparer deux montures, ses alezans préférés, Flocon et Charbon.

Avec précipitation, la magicienne se changea dans ses appartements, bas noirs épais en coton, bottines souples sans talon, jupe courte en cuir noir (tant pis pour les médisances, son personnel de maison était habitué à sa vêture extravagante), chemise épaisse, veste rembourrée à manches longues et capuche. Dans l’éventualité d’une problématique, elle prit une petite besace avec quelques pharmacopées et produits alchimiques.

Quand Maja arriva dans la cour, Dix-sept était déjà assis sur Charbon et Wilfrid tenait les rênes de Flocon dans l’attente de la magicienne. Elle remercia son palefrenier et se hissa en amazone sur sa selle. Elle s’habillait d’une manière irrévérencieuse mais préférait néanmoins sa sellerie de dame, quelque peu incommode mais très gracieuse pour son maintien. Edmund avait ouvert largement la portée d’entrée. Les deux cavaliers partirent au trot, Maja menant la course, elle connaissait un chemin court pour rejoindre la ferme de Frederick.

               

 

 


Laisser un commentaire ?