Fugit Memoria

Chapitre 5 : Discussion au coin du feu

2562 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/10/2019 12:57

Le portail magique éructa Maja dans les combles du manoir de la magicienne. Des dizaines de pigeons assoupis furent dérangés et s’égrenèrent par de petites lucarnes. L’aube n’était pas levée, la maisonnée toujours plongée dans le silence. Au sol, Maja épuisée, exténuée n’avait même plus la force de se lever. Ce dernier sortilège l’avait vidé de toute vigueur. Elle s’en sortait pas si mal, elle avait envisagé de n’a pas avoir l’énergie nécessaire pour ouvrir ce passage magique. 

       Bien qu’à bout de force, elle était chez elle, loin de ce lieu horrible, de ce Taker Lianat. Son esprit affaibli et confus l’invitait à dormir, à se reposer durablement. Elle se rappelait d’avoir perdue conscience, peut-être le vol passager de son esprit. Puis d’être accablée d’une infinie fatigue dans un moulin abandonné enkysté de poussière et de silence. Elle se souvenait de Dix-sept agonisant et couché sur un grabat. Elle se vengerait de ce druide, de ce Viridi Morben…

       C’est le roucoulement des pigeons et la clarté rampante de l’aube qui l’éveillèrent de sa torpeur. Elle avait récupéré quelque force et pu se lever péniblement, elle traversa les vastes combles en s’appuyant de loin en loin contre les poutres. Elle atteignit l’escalier malgré ses jambes flageolantes puis elle put le descendre et se rendre pas à pas jusqu’à l’entrée de sa chambre. Une fois dans celle-ci, elle s’écroula sur son lit. Elle parvint à faire tinter la petite cloche d’appel posée sur la table de nuit. C’est Ingrid qui arriva la première dans la chambre de Maja et ce fut alors le branle bas de combat quand la gouvernante appréhendait la détresse physique et mentale de sa châtelaine.

       Ingrid scandait les ordres à la chaîne. Pour Maja, on préparait un bain chaud aux herbes fortifiantes, un plateau repas consistant avec un bon verre de vin revigorant. Le personnel avait craint le pire, sans nouvelle de Maja depuis la nuit dernière, l’ensemble des gardes battaient la campagne même le pauvre arthritique Edmund était parti à sa recherche. Ingrid informa Maja qu’Évrard contre toute attente avait repris ses esprits. Pour l’instant, la gouvernante tenait à distance le magicien de la chambre de son ex-amante. La gouvernante lui indiqua que Messire Évrard n’avait pas changé d’un iota depuis sa dernière visite, toujours aussi pompeux, maniéré et stressant.

       Le bain chaud et aromatisé fit le plus grand bien à Maja. Dans la moiteur du bac d’eau chaud, elle se remémora les derniers évènements. Elle se rappelait du moulin et de son soudain éveil à la conscience. Dans la lumière lunaire, sous une lucarne, elle était à genoux, les yeux en larmes, les mains jointes comme en train d’implorer les dieux de sortir de cette catatonie. Comme une deuxième naissance, son esprit s’était embrasé et ouvert à toute sa vie passée, elle avait vu défilé toute son existence par flash à rebours. Le retour au présent, dans le silence sépulcral du moulin avait été une affreuse expérience psychique s’achevant sur un hoquetant vomissement la laissant pantelante et exténuée.

       Sortie de son bain, elle s’emmitoufla dans une chaude robe de chambre et s’assit confortablement près de la cheminée crépitant d’odeur mentholée. Elle réfléchissait à son plan de bataille, avertir les Stries Bleues, le Conseil du Roi et le chapitre de magie de ce qui se tramait au cercle des druides. Depuis l’été, le Roi Foltest avait quitté Wyzima et levé le ban et l’arrière-ban convoquant l’ensemble de la haute noblesse à Gors Velen, ducs, comtes et connétables de Témérie. A cette assemblée singulière, le roi appris qui était avec lui ou contre lui. Les Stries Bleues devaient suivre le roi, préparer le terrain et laisser une traînée de cadavres derrière eux. Le Conseil du Roi était ajourné jusqu’à nouvel ordre. Foltest avait congédié ses conseillers magiciens dont les plus éminents. Maja savait que Triss Merigold et Keira Metz tentaient de reconquérir leur place auprès du roi.

      Depuis les évènements de Thanedd, Foltest n’avait plus confiance à la confrérie des mages. Avec le dernier décret royal, le tout nouvel Ordre de la Rose-Ardente dirigé par le Connétable Jacques d’Aldersberg gérait la sécurité à Wyzima. En résumé, la Témérie était un véritable panier de crabes ou tout partait à volo… Le cercle des druides passerait en énième position.

      On tapait à la porte de sa chambre, Évrard s’annonça et souhaitait prendre des nouvelles de la magicienne. Maja se leva, veillant à être bien calfeutrée dans sa longue robe de chambre et indiqua au mage qu’il pouvait entrer. La porte s’ouvrit délicatement laissant passer le svelte gabarit de son ancien amant. Évrard ne faisait plus peine à voir, son regard et son attitude étaient bien assurés. Un peu gêné, il se passa une main sur son crâne rasé et fit une courte génuflexion devant Maja.

« - Je ne sais plus si je peux t’embrasser amicalement parlant ou dois-je juste convenir d’une courte révérence à Madame la Baronne ? dit-il à distance respectueuse de la magicienne.

-         Un baisemain et cela ira très bien, répondit Maja en tendant sa main droite. Évrard s’exécuta tout emprunt de manière.

-         Maja, j’ai pas mal de questions… Merci encore pour ta prise en charge de hier, ta gouvernante m’a quelque peu expliqué…

-         C’est normal, je t’ai trouvé en bien piteux état et je ne pouvais pas laisser impuni de tel acte. J’ai mené l’enquête…

-         Dans la soirée, mon esprit est revenu au propre comme au figuré. Tout à coup, j’ai vu ma vie défiler à rebours… Ce ne fut pas bien agréable mais au combien tranquillisant à la fin. Enfin, je n’étais plus cet esprit vide, apeuré et sénile. J’en conserve un arrière goût assez détestable…

-         Idem, j’ai vécu la même expérience la nuit dernière… Je ne sais pas à qui je dois cette chance de survie… Peut-être juste au hasard… ou à la magie…

-         A mon dernier sort de transportation, je ne pensais pas tomber sur un tel traquenard… Pas de bol, j’ai dévié d’un petit kilomètre, au mauvais endroit et au mauvais moment… Malgré mon esprit morcelé je me souviens de quelqu’un qui m’a aidé…

-         Oui, Dix-sept, un agent des Stries Bleues de Foltest… Il est certainement mort des griffes de Viridi…

-         Pauvre diable, il me semblait bien sympathique et courageux…

-         Il était assurément je te le confirme… Vernon Roche a perdu un agent de qualité.

-         Que faisons-nous ?

-         Dans un premier temps, assieds-toi près de la cheminée. Cela va m’éviter de rester trop longtemps debout, je suis encore fatiguée.

-         Avec plaisir, répondit Évrard tout en avançant un siège près de celui de Maja.

-         Malgré notre toute dernière péripétie, je remarque que tu vas beaucoup mieux qu’à la sortie de cette vieille crypte de Maupas Gylfech.

-         C’est un fait, mais cela ne fut pas simple… La mort de mon père adoré et l’empoisonnement du sang ont été de sacrées épreuves… J’ai bien cru ne pas y survivre, la prophylaxie a été aussi dure que le mal lui-même… Quand j’ai pu passer le cap, mon organisme était à l’agonie. Une erreur de diagnostic m’a fait perdre du temps sur le traitement. J’ai du suivre plusieurs thérapies pour arriver à émerger d’un état de douleur constante… Dans mon malheur, j’ai perfectionné un antidote efficace contre les morsures de vampires. J’ai pu isoler le germe infectieux.

-         Les vampires transmettent des maladies en plus de vous vider de leur sang ?

-         Oui, tout à fait, en passant de proie en proie, ils véhiculent des virus qui sont extrêmement létaux et contagieux. Je t’avais apporté le principe actif et l’ensemble de mes travaux écrits tout m’a été dérobé par le druide…

-         Pas de bol pour ta trouvaille mais tu es vivant avec la totalité de ton esprit, ce n’est pas si mal en définitive…

-         Ce n’est pas faux, c’est un moindre mal… De toute manière, ma décoction ne fera pas fureur au Chapitre de Magie de Rissberg. Le temps est à la guerre, si j’avais présenté une arme, j’aurais eu l’oreille attentive des puissants.

-         Que faisons-nous pour le druide, une idée ? demanda Maja.

-         Bougez les autorités, je n’y crois guère. Avant ma dernière transportation, j’ai séjourné dans une auberge à Wyzima. L’ambiance est bien plombée, le roi n’est pas là et les souris dansent. Le connétable Jacques d’Aldersberg et son nouvel ordre de la Rose Ardente est bien enflammé. Cela va mal finir, c’est certain… L’épisode de la Catriona a laissé Wyzima exsangue épargnant la population des elfes et nains, amplifiant l’idée que la maladie était une création des races anciennes. Les heurts entre les chevaliers et les non humains vont bientôt finir dans un bain de sang. Le Taker Lianat semble risible par rapport au risque d’embrassement du pays.

-         C’est affreux, j’en ai mal aux tripes… Pensez que nous ne pouvons rien faire et laisser un malade faire mumuse avec l’esprit des innocents…

-         Du côté du Chapitre de Magie, je n’y crois guère… Depuis la mort d’Ortolan, les jeunes mages de Rissberg s’écharpent pour des miettes de pouvoir et de richesse. A Thanedd, l’école n’est plus qu’un champ de ruines et les rois font le ménage dans nos rangs clairsemés. De plus, laissez la Cérébrosénia dans les mains du Chapitre ne serait pas en y réfléchissant bien, la plus sage des idées… On pourrait facilement lister une ribambelle de mages intéressés par un tel fruit, voleur d’esprit !

-         La Hanse du Lys… Voilà, la solution, prévenir mes compagnons d’aventure, Wynn le sorceleur, Davo mon amoureux et Dagreed le médecin. Tu vas nous aider, Évrard ?

-         Je ne suis pas très courageux, je m’estime heureux de m’en être sorti mais je ne peux rien te refuser. Je vais éviter de trop réfléchir et foncer à tes côtés… Qui sait, nous pourrions gagner quelque avantage à la fin des fins… » rétorqua Évrard en se tapant énergiquement la cuisse pour se donner du courage.

               C’est à ce moment précis qu’une des fenêtres de la chambre vola en éclats. Une odeur rance se diffusa dans la salle faisant hoqueter de dégoût Évrard et Maja. Puis les deux mages le virent, l’inénarrable Polype Vivant, une masse tournoyante de chair noire papillonnant de mille protubérances malsaines. La masse de la créature semblait se fragmenter en plusieurs morceaux dévoilant d’affreuses viscères, plaies et bouches suintantes. Un son chuintant et horriblement dissonant conclu l’arrivée de l’affreuse créature.

               Pendant quelques instants, Évrard et Maja furent tétanisés par la peur. Leur esprit refusait d’accepter ce qui se dévoilait à sa vue. Le corps du Polype Vivant pulsa vivement générant une vague de souffle envoyant boulée chaises et tables dans la pièce. Malgré la sidération de son esprit, face à la menace, Évrard eut le temps de réaliser un Signe, un Quen, une magie rapide, apanage des sorceleurs mais aussi des mages. L’ensemble des objets projetés rebondirent contre le champ de force sans inquiéter les deux mages. En un instant, des tentacules émergèrent du corps du Polype Vivant, elles attrapèrent de menus objets au sol qu’elles lançaient vivement en direction d’Évrard et Maja. Le champ de force scintillant céda et un plateau en argent vint à cogner la tête de Maja. Sous le choc vif, la magicienne chancela et mit un genou à terre en posant une main sur un bel hématome se dessinant sur son front.

               D’une main, Évrard sortit prestement de sa veste un petit disque ciselé et posa son autre main sur l’épaule de Maja. Il prononça une courte phrase magique et dans un miroitement instantané, Évrard et Maja disparurent de la pièce. Au sol, il demeura le disque qui finit de tourner sur lui-même avant de choir. Aussitôt, le Polype Vivant comprit que sa proie n’était plus là. Il émit un bruissement rageur. Il ne pouvait se soustraire au pacte, il devait impérieusement traquer Maja. Quasi invisible, la créature franchit de nouveau la fenêtre en sens inverse.


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