Le masque, l'art de cacher

Chapitre 10 : L'Europe, entrevue à l'Antique

3724 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 18:05

La très jeune serveuse remarque Mae, et d'un mauvais oeil. « C'est quoi son problème à celle-là ? », chuchote celle-ci, avant de partir servir un autre client.La goule excentrique semble désemparée.Une expression de gêne intense marque son visage. Il dit à Mae, « Ne vous occupez pas d'elle, Madaame. Elle n'a jamais connu les bonnes manières. »Cela fait plutôt rire la jeune humaine qu'autre chose, et de bon coeur.Elle ne semble en aucun point aussi outré que son voisin de table.« Elle semble très jeune », dit-elle plutôt, souriante.Le jeune homme lève un sourcil violet et observe sa voisine de table, perplexe.Il lui répond alors : « Oui... En effet, elle n'est pas très vieille. Mais enfin bon, passons, passons...- Elle a quel âge ? - Presque dix-sept, il me semble... S'efforce t-il de répondre en souriant.- Oh... Elle est encore lycéenne alors ? Demande Mae, curieuse.- Oui...Oui. Répond le jeune homme, agacé.- Je la trouve courageuse... Dit alors la jeune humaine, en regardant la serveuse oeuvrer.- Um...Peut-être, peut-être... »Il semble plus agacé que jamais. Il ne semble pas vraiment apprécier la jeune lycéenne à la chevelure bleue dont son invitée fait l'éloge. Il ne l'avait pas invité pour parler de cette serveuse, il fallait aussi dire.Alors, à son grand dépourvu, la jeune fille rouvre la bouche pour parler à nouveau d'elle, et c'est la pire des questions qu'il puisse entendre aujourd'hui :« Vous vous connaissez ? »Elle lui porte ce sourire radieux lorsqu'elle parle de la serveuse, qui a don d'agacer encore plus la goule.L'étudiant se contente donc de répondre : « On peut dire ça, oui. »Mae, qui semble enfin avoir saisi que son voisin n'apprécie pas trop la jeune fille qui l'anime autant, se décide à changer de sujet, quelques peu gênée.« Um... », fait-elle, hésitante.Alors, la goule tend à nouveau l'oreille, et espère pouvoir converser d'un sujet plus intéressant, afin de mieux intercepter la jeune humaine, pour pouvoir ensuite...« Tu es étudiant aussi, d'après ce que j'ai pu comprendre, n'est-ce pas ? », dit la jeune fille, l'extirpant net des pensées du jeune homme, rêveur. Le jeune homme lève la tête et la secoue, comme pour se débarrasser de quelques pensées malsaines.Il baisse alors timidement la tête et se contente de répondre d'une voix exagérément posée.« Oui, en deuxième année, à la Seinan GakuiUniversiiiity.- Ah ! Pousse alors Mae. C'est bien ce que je me disais parce que ton visage ne me disait absolument rien. - Uh- Cela ne veut rien dire. Glousse t-il.N'importe quelle université serait bien trop grande et trop peuplée d'étudiants pour que l'on puisse reconnaître qui que ce soit. - Et bien... Moi, je connais les visages d'un peu près tout le monde... Dit-elle alors, timidement.- Et puis quoi encore. Dit-il, amusé. Vous auriez donc une mémoire d'éléphant ? Ou des pouvoirs spéciaux ?- Non... Mais... Je t'assure que c'est vrai ! »Alors, le jeune homme bondit et rapproche son visage un peu trop près de celui de la jeune fille, dont les joues s'empourprent intensément. Un sourire mesquin se dessine sur les lèvres du jeune étudiant, tandis qu'il joint ses larges mains d'homme aux petites mains frêles de sa voisine, et qu'il lui glisse quelques malices à l'oreille.« Prouve-le moi donc. Montre-moi ton petit pouvoir magique. »La fille, éperdument gênée, retire ses petites mains des siennes et se met à s'agiter follement.Elle tente d'écarter cet homme de son champ d'intimité. C'est-à-dire de cet arc de cercle invisible qu'elle se trace dans sa tête, d'un rayon d'environ trente centimètres, car c'est bien la première fois qu'elle rencontre quelqu'un de si désinvolte.Il y a aussi autre chose que le fait de s'être introduit dans son intimité. Il y a qu'il venait d'arrêter de la vouvoyer. Vouvoyer ou tutoyer n'a aucune importance pour la jeune fille, car elle n'est pas de ces gens-là qui se tracassent tellement avec les bonnes manières. La gêne était venue du fait que cet homme, qu'elle connaît à peine et d'habitude si poli, se mette à la tutoyer d'une minute à l'autre et se permette de la taquiner de la sorte.Ainsi, toute affolée, elle se met à bégayer quelques mots :« C'est-C'est parce que...Je-J'ai été employée dans la-la-la médiathèque de l'université !- Aaaaah bon. Dit-il alors. Ce n'est que ça... Et moi qui croyais que tu avais quelque chose de...spécial. Rajoute t-il donc en tentant de se rapprocher de la jeune fille à nouveau.- Oui, haha. Rit-elle de bon coeur.- Alors, je présume que tu es étudiante l'université Kamii du vingtième ? Lui demande le jeune homme d'une manière nonchalante.- Oui, c'est cela. »Une autre serveuse arrive à leur table et vient interrompre leur entrevue, leur servant à chacun d'eux, un café raffinement préparé.C'est une serveuse qui semble plus âgée, cette-fois, et qui dispose d'une belle chevelure noire ramenée à l'arrière de ses épaules. Elle semble plus douce que sa collègue, nous le remarquons, de part le timide sourire qui se dessine sur ses lèvres lorsqu'elle se replie pour servir d'autres clients.Elle semble avoir la trentaine, Mae remarque t-elle également, tandis que son voisin de table, lui, en reste indifférent. Nous en concluons donc que la compagnie de cette serveuse-là serait plus agréable au jeune garçon, disons; moins irritable.Confortablement assis à côté de ces jeunes gens, nous décidons maintenant de jeter un coup d'oeil aux tasses servies, par simple curiosité.Le café a été servi dans des tasses très singulières. Nous pouvons en effet remarquer les fines décorations les recouvrant, ces petites fleurs peintes sur le rebord, qui rendent à ces tasses-ci toute leur raffinerie.Les clients semblent en effet satisfaits du service, car la goule pose un regard satisfait sur la tasse qu'il vient de saisir de deux doigts. Mae, elle, semble avoir perdu son âme dans la noir profondeur du café. De nouvelles pensées dont nous ne préférons pas cette fois s'en mêler la gagnent une fois encore.Le jeune homme, d'un air surpris se lève à nouveau et tente de comprendre ce qui a poussé sa voisine dans cet état végétatif.Elle ne bouge pas d'un pouce, obnubilée par le fin fond de ses pensées, et cela fait près de cinq bonnes minutes qu'elle se comporte de la sorte. Le jeune homme, agité, se redresse encore et l'interpelle d'une voix qui gronde. « Tu ne goûte donc pas au merveilleux café que j'ai commandé pour toi ? »La jeune fille lève alors la tête et sentant la gêne la gagner encore, se résigne à boire la mixture noire qu'elle admirait plus tôt, d'un trait.La goule, d'une voix théâtrale rajoute donc : « C'est bien le meilleur café que je connaisse ! Ce serait bien fort dommage que Madaaame Mae ne l'apprécie point... - Non, non, non ! T'inquiète pas hein. Il est très bon, je trouve, et je trouve que c'est aussi super sympa de m'avoir invitée ce soir dans un endroit aussi mignon ! Je te remercie. Répond t-elle d'un grand sourire, et je suis désolée de ne pas t'avoir remerciée plus tôt. »Ces sur-ces derniers mots qu'une bonne heure s'est par la suite envolée, emportant avec elle des milliers de mots prononcés par les deux jeunes gens, bien bavards, qui n'ont cessé de parler.Ils avaient engagés tous les sujets d'intellectuels, en passant de la politique japonaise à l'Histoire des pays d'Europe et de littérature classique. Mae s'énerve, contente d'avoir trouvé un camarade pour parler de ses bouquins préférés, car depuis la disparition de Kaneki Ken, aucune personne n'avait encore été capable de le remplacer. Alors, nous voulons à présent savoir si le ressentit est de même chez cette goule baveuse, et si nous nous étions trompés. Et nous nous introduisant encore en lui, en tentant d'extirper de son être chacune de ses pensées.Il nous semble que nous avions vu juste.Bien que la présente goule admette qu'il passe un moment agréable avec la jeune humaine en discutant de toutes ses passions, elle n'en reste pas moins une humaine et il attend toujours le moment propice à la dégustation. En effet, de toutes ses passions, de toutes ces choses effaimères que sont celles de la littérature, de la musique, des connaissances, de la passion du savoir-même, il préfère depuis toujours celle qui se limite à la simple existence, commune à tous les êtres : la saveur qui ravive un repas. Rien que le fait de s'imaginer goûter sa chair suffit à l'animer.Mais la jeune fille, qui ne se doute pas de cela, se contente d'observer la bedaine de son voisin, se demandant d'où peut venir cet air si joyeux.Les bras croisés, la tête penchée, c'est à son tour de rêver. Le jeune homme semble être entré dans un rêve si agréable qu'il se met à sourire sans s'en rendre compte, ce qui amuse la jeune fille en face de lui. Alors, Mae s'approche un peu plus du jeune étudiant.Elle se plaît à l'observer de près.Un sourire, non, un large sourire, apparaît sur le bas de son visage. C'est un bien grand sourire, cerné par deux grandes fossettes, se dessinant à chaque coin de joue. Ce sont ces fossettes là, se creusant lorsqu'il sourit, embellissant un menton très masculin, qui lui donnent un certain charme. Ce n'est pas un vilain minois, c'est bien ce que Mae pense aussi, l'entendons-nous, et nous sommes bien d'accord. Cet homme-ci est de ceux qui possèdent ce visage trop bien fuselé, ce genre de visage de mannequin.Ce visage à lui-seul en ferait succomber des milliers, de femmes, ou quelconques demoiselles, si on ne lui avait pas décerné une âme. En effet, c'est parce qu'en ses yeux nous pouvons lire en lui que la perfection physique n'est pas encore atteinte. C'est ce regard-là qui change la donne. Ce n'est pas répulsif mais c'est effrayant. C'est mystérieux et malin. C'est malicieux.
En la lueur qui se reflète dans ce regard intelligent, nous pouvons déceler une espèce de folie dérangeante, et nous pouvons cerner la personne chimérique résidant en lui.La jeune fille, elle, ne se doute sûrement pas de cette facette-là, car tout ce qu'elle connait pour l'instant du jeune homme se tenant en face d'elle se limite à son aspect excentrique et à son intense passion pour l'Europe.L'âme trop pure encore, trop enfantine et innocente, cette jeune fille, ignorant tout des souillures du monde, est incapable de déceler la folie perceptible dans les yeux de son voisin.Au contraire, elle roucoule à chacune de ses plaisanteries, profitant de ce moment délectable, plus encore que le café qui leur avait été servi, ravie à l'idée d'avoir enfin pu rencontré quelqu'un avec qui causer de ses racines. La nuit tombe bien vite, sans que le temps qui passe ne puisse se faire ressentir. Les deux « amis » bavardent toujours autant tandis qu'une serveuse vient alors les interrompre. C'est la petite jeune, celle que la goule ne peut pas supporter, nous pensons donc.En effet, nous voyons le jeune homme grimacer et se fâcher à l'idée d'interrompre leur discussion et de devoir partir. « Mais enfin, pourquoi devrions-nous partir ? On ne t'as jamais appris à respecter les clients, Touka ?- Je viens de t'expliquer gentiment qu'on allait fermer parce qu'il est déjà vingt heures passées et que vous êtes les derniers clients, tu as un problème avec ça ? S'exclame la très jeune serveuse, l'air effrontée. - Quelle indignation ! Cris alors l'étudiant au cheveux violets.Comment une serveuse peut-elle parler à un client de la sorte ?- Tu vas voir comment je te causes, moi, espèce de pervers ! S'énerve alors la jeune fille. »A ces mots, la goule se lève d'un bond et s'avance jusqu'à la jeune serveuse, lui jetant de ces regards méprisants, du haut de ses cent quatre-vingt centimètres. La jeune serveuse, ne prend pas peur et s'avance de même un peu plus près. Elle fronce les sourcils et croise les bras, en tapotant du pied nerveusement.C'est le jeune homme qui fait le premier pas dans la bataille. « Alors, vas-y, jeune effrontée, montre-moi. » Dit-il froidement.La jeune serveuse allait commencer à grogner cependant, Mae, qui, elle, ne veut sûrement pas causer d'ennuis, s'interpose entre les deux jeunes gens.« Shuu-kun, on... on va partir, hein ? C'est pas si grave, tu sais, on pourra reparler une autre fois et c'est vrai qu'il se fait tard... » Dit-elle nerveusement.Mais elle ne se fait malheureusement pas entendre, car les deux jeunes gens sont bien trop occupés à se quereller. Exaspérée, épuisée, elle décide de finalement se faire entendre et cela, nous le lisons à la détermination que son visage nous affiche.Elle prend une grande inspiration et expire le tout presque aussitôt. Puis, de ses deux petits poings, elle frappe d'un grand coup sur la table et crie de tout son être.Sa voix de crécelle, puissante, se fait entendre dans le Café tout entier, et fait sursauter tout le personnel, qui, se montre alors, curieux de savoir ce qu'il se passe.Le jeune homme aux cheveux violets et la jeune fille aux cheveux bleus, eux, se sont retournés vers la jeune femme, et demeurent à présent muets, comme si la foudre les avaient frappés tous deux.Tout le personnel du Café se présente alors devant eux. Nous y jetons un coup d'oeil, curieux. Il se compose d'une femme aux cheveux noirs de jais, celle que nous avons précédemment remarqué, d'un homme rondouillard d'âge moyen, d'un homme très grand aux cheveux gris bien que la mine étant jeune, d'un jeune homme châtain qui porte des lunettes et dont le visage nous est pas inconnu, et du manager.Ce manager attise notre regard, de part le vieil âge qu'il semble atteindre et sa mine de gentil grand-père.Ce vieil homme, droit, s'avance d'un pas lent mais décidé vers les trois jeunes personnes, le visage fermé.Puis il s'arrête.Il les observe sans dire un mot. Il joint les mains derrière le dos et sourit.Alors, sortant de nulle part, une petite adolescente montre sa tête et se glisse prudemment parmi eux. Et, de sa petite voix, appelle la jeune serveuse.« Grande soeur ? »Ces petits mots, comme une caresse subite, suffisent à taire la jeune serveuse, qui à présent, s'interroge sur son comportement. Elle baisse le regard.Le serveur à lunette, lui, pousse un éclat de rire, un rire un peu moqueur, qui fait rougir Mae jusqu'aux oreilles. Le jeune étudiant excentrique, agacé, n'a pas dit son dernier mot et s'apprête à le dire quand il se fait une fois de plus, interrompre.C'est le vétéran qui parle, vous savez, le manager. « Le client a toujours raison, Touka. » Dit-il de sa voix grave, alors qu'il s'avance vers la dénommée serveuse.Ainsi il rajoute : « Là, pour cause, on ne parle pas de cette façon à un client, peut importe quiil est. »A ces mots, la jeune fille regarde à terre, et soupire violemment.A ces mots, le jeune homme commence se mordille la lèvre, et commence à marmonner dans sa veste.La jeune Mae, elle, affreusement gênée, tente de trouver la bonne occasion pour se retirer de cette bonne farce.Une bonne farce en effet, car le spectacle est à notre goût, ce soir.Le vieil homme se retourne alors vers le jeune client, et insiste poliment pour que celui-ci se retire sans bien vouloir causer davantage de problèmes.C'est donc au dehors que la goule agacée et que la jeune humaine se trouvent à présent, marchant côte à côte sous les lampadaires allumés. Et nous les suivons toujours, emportés par cette même brise qu'est la curiosité.Puis, soudainement, la jeune fille s'arrête après un moment de marche et se retourne vers le jeune homme.Elle le salue. « Je vais rentrer. Dit-elle. Merci pour l'invitation, j'ai bien aimé parler avec toi aujourd'hui. Rajoute t-elle en souriant.- Mais je t'en prie, Madaame Mae. Dit-il.Tout le plaisir est pour moi. »C'est ainsi que les nouveaux « amis » disent au revoir. La jeune humaine, souriante, le quitte alors pour rentrer chez elle.Et la goule fait de même, après avoir rajouté « A très bientôt peut-être ».Ils partent dans deux directions différentes et s'éloignent, peu à peu de nous, qui restons un peu sur place.Il nous plaît à voir leur silhouette rétrécir, au loin. Celle de Mae Lin, du moins, car elle est déjà partie bien loin depuis dix bonnes minutes.Ce n'est pas le cas de celle de Tsukiyama Shuu, qui semble marcher à son aise, à son rythme, d'un rythme plutôt lent.Alors, nous nous rapprochons de lui et décidons de le rejoindre, jusqu'au moment où il s'arrête complètement de marcher.Dos à nous, il se tient raide comme un piquet et semble attendre quelque chose. Cela nous frappe tant que nous décidons de jeter un regard à son visage.Un immense sourire le parcoure.Un sourire bien laid.Puis, à notre grande fureur, il se retourne et commence à marcher dans la même direction que Mae Lin d'un pas rapide et motivé.

Laisser un commentaire ?