Jusqu'à ce que la mort nous sépare

Chapitre 6 : Alba la sauvageonne

2214 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/12/2014 14:17

Je restais muette de stupeur. Le regard sombre d’Embry sembla se voiler un peu plus, mais il ne détourna pas le regard. Et pourtant, malgré cette attraction réciproque, le premier son qui franchit mes lèvres fut un grognement.

Un grognement rauque, sourd, plein de colère. Je me relevais d’un bond, surprenant les autres et les incitants à reculer. Embry ne recula pas. Lui aussi avait le regard chargé de colère, mais j’y distinguais autre chose. De l’envie, des sentiments. Je secouais la tête, repoussant mes propres sensations. Il y avait la sensation de tomber, sans pouvoir s’arrêter, ni se retenir. Il y avait cette impression que quelque chose comblait le vide qui s’était, depuis toujours créé en moi.

Et puis, il y avait les chaînes. Mes chaînes qui m’avaient toujours retenue, entravée, blessée, meurtrie. Ces chaînes invisibles disparaissaient enfin de mes poignets, libéraient mon torse, me laissait respirer. Elles ne se détachaient, pourtant, que pour s’accrocher à quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre était devant moi. J’inspirai à fond, laissant la colère inonder mon esprit, plutôt que la surprise, l’amour. Ces sentiments, je n’avais pas le droit des les ressentir.

Je ne pouvais pas me le permettre. J’avançais d’un pas, mon grognement s’accentua. Embry s’approcha à son tour, et nous nous trouvâmes à peine à quelques centimètres l’un de l’autre. Je sentais son souffle boisé, chaud. Il caressait ma peau, me criait de me laisser aller. Pas question. Je ne l’avais jamais fait, je ne le ferai pas aujourd’hui. Le grognement du loup devant moi me tira de ma réflexion. Il plissa les yeux, retroussa les lèvres. Ou plutôt les babines. Je serrais les mâchoires, tandis qu’Embry levait la main, désirant me toucher. Et moi, j’avais plus que conscience du silence angoissé qui régnait désormais dans la pièce.

Alors qu’il allait toucher ma joue, je lui attrapais le poignet, et le broyait entre mes doigts. Le craquement sec des os se brisant me tordit le cœur. Le loup devant moi grimaça, et poussa un gémissement.

- Ne me touche pas, grondais-je.

Bien sûr, je voulais qu’il me touche. Je voulais qu’il me caresse, qu’il m’embrasse, qu’il me rassure. Mais je ne pouvais pas lui montrer que j’étais imprégnée. Non, je ne pouvais pas. Lui aussi l’était, c’était certain. La lueur de souffrance dans ses yeux me fit monter les larmes aux yeux.

- Ne me touche plus jamais, lançais-je, un sanglot dans la voix.

Cette marque de faiblesse me fit craquer. Je courrais jusqu’à la fenêtre brisée, et je me glissais dans l’air glacial de l’hiver.

- Jynn !

C’était Carlisle. Il m’appelait. Il ne voulait pas que je fuie. Mais fuir, c’était ce que je faisais de mieux. Fuir pour sauver les autres. Fuir pour me sauver, moi. Mes pieds nus dérapaient dans la neige tandis que je m’engouffrais dans les bois. Je ne pouvais pas m’imprégner. Je ne pouvais pas.

Si j’aimais quelqu’un, il mourrait. C’était la même chose, à chaque fois. Aro profitait de mes faiblesses, les exploitait, me faisais souffrir. Je n’en pouvais plus. Mon mouchoir qui me servait désormais de robe se déchira tandis que je traversais un ru. Tant pis. De toute façon, l’envie de muter était bien trop forte, et cela faisait trop longtemps que je n’avais pas couru. Tout en continuant à trottiner, je sentis les tremblements agiter mes membres, tandis qu’une grande chaleur se déversait en moi.

Mes yeux larmoyants grossirent, mais gardèrent leur couleur ambrée. J’étais bientôt à quatre pattes, de puissants membres recouverts d’une fourrure blanche à la place de mes jambes. Une louve blanche. Je ne saurais jamais d’où me venait ma couleur peu répandue. Aussitôt ma mutation terminée, je fonçais à travers les bois, hurlant entre les arbres. C’était si bon. Si bon de se sentir libre, de respirer enfin. Il était clair je préférais mon côté loup, que mon côté vampire.

Mon don était certes très pratique, mais rien ne pourrais remplacer la sensation d’être soi-même. D’être louve. D’être moi. Je ne sais pas combien de temps je couru dans le froid, mais lorsque je relevais le museau, la lune était apparue, aussi brillante que pouvais l’être le soleil. La nuit était calme, seulement troublée par les animaux nocturnes. Je me roulais en boule au pied d’un arbre, et enfouis ma tête dans ma fourrure. Celle-ci me tenait chaud, comme un gros pull qui ne s’enlèverait jamais.

Je fermais les yeux, me laissant aller contre la neige qui n’était pas froide, au gré du vent qui était doux contre mon poil. Je discernais les bruits de la forêt, ils m’endormaient. J’aurais pu rester ainsi pour toujours, blottie contre ma propre chaleur, écoutant mon propre cœur. Oui, j’aurai pu, si un bruit de pas ne m’avait pas tiré de ma rêverie. Je relevais la tête, les sens aux aguets. Mes narines se dilataient face à l’odeur étrangère qui approchait. Ma louve s’agita, faisant passer l’instinct avant la raison. Je me relevais en position d’attaque, les pattes fléchies, toutes dents dehors. Ma louve ne se détendit pas lorsque sept personnes émergèrent du bois.

Au contraire : elle se crispa encore plus, et retroussa encore plus les babines. Pourtant, ma partie humaine savait qui ils étaient : la meute Quileute. Lorsque Sam s’approcha, ma louve recula, accentuant son grognement. Bien que je savais que toute cette méfiante était inutile, je laissais ma louve faire : je ne pouvais pas muter maintenant, alors qu’elle était si frustrée d’avoir été si longtemps enfermée. Mon regard se posa sur Embry. Il était en retrait, les mains dans les poches de son jean. Malgré ce je-m’en-foutiste évident, son regard était rivé sur moi, ou plutôt sur ma louve.

- Incroyable, murmura Quil. Une louve blanche. C’est une première, hein, Sam ?

Ce dernier hocha la tête, et s’accroupit à quelques mètres de moi.

- Ne faites aucun geste agressif, les gars. Elle ne connait pas nos odeurs. Sa louve ne nous reconnaît pas. Et ne mutez pas non plus.

 - Pourquoi ? chuchota Seth.

- Elle verrait notre transformation comme une menace. 

Bande d’idiots !

Ma partie humaine était confortablement étendue dans l’esprit acéré de ma louve, et elle la laissait faire.

- Que comptes-tu faire, alors ?

La voix d’Embry fit lever la tête de ma louve. Le grognement se changea en gémissement, mais pas pour longtemps. Lorsque Sam frappa doucement le sol de sa main, pour m’attirer, les vibrations dans le sol me semblèrent violentes, et le grognement sourd refit surface.

- Tu comptes la soumettre ? ricana Embry. Elle n’a pas l’air du genre à se laisser faire.

- Je suis l’Alpha, rétorqua Sam en grimaçant.

Je plaquais mes oreilles derrière mon crâne et montrait les dents lorsque l’Alpha tendit la main vers moi.

- Allez, viens, ma belle. N’aie pas peur.

- Tu crois sincèrement pouvoir l’attirer comme ça ? lança Leah. Cette technique n’a marché avec aucun loup sauvage, Sam. Elle ne marchera pas aujourd’hui.

- Elle n’est pas sauvage. Elle est méfiante. Viens, Jynn. 

Il va voir, lui.

Je m’approchais doucement. Il voulait que je vienne ? Bien, j’allais venir. Lorsque je fus à portée de sa main, il la posa sur le haut de mon crâne.

- Vous voyez, ce n’était pas si difficile.

Mon grognement involontaire trahi l’attaque que je me préparais à faire. Lorsque je voulu bondir sur Sam, quelqu’un s’interposa. Mes dents claquèrent à quelques centimètres du nez d’Embry.

- Assez.Il posa durement sa main sur mon museau, et son odeur d’herbe et de chaleur d’été envahi mes narines. Les épaules de ma louve se détendirent automatiquement. Les yeux d’Embry se posèrent sur moi. Ils étaient chaleureux, mais distant. Il avait peur. Il avait peur que je le repousse, que je m’en aille. Je ressentais ses peurs comme si c’était les miennes. Il passa la main dans les poils de mon cou, et cette stupide louve colla sa tête contre le bras d’Embry. Ah, je pouvais contrôler quand ça m’arrangeait, mais elle n’en faisait qu’à sa tête, cette louve. Pourtant, je savais qu’elle reconnaissait en Embry le compagnon qu’il devrait être. Qu’elle traînée cette louve, à faire passer les hormones avant tout.Embry eu un rire de gorge, et enfourna sa main plus profondément dans mes poils. Limite si je ronronnais.

- Alba, murmura le jeune homme en s’asseyant devant moi. Alba.

Je poussais un gémissement. C’était le nom de ma louve, la blanche et immaculée sauvageonne.

- Laissons-les.

Oh, ils avaient compris. Ils venaient tous de comprendre qu’Embry était mon âme sœur, mon imprégnation. Mon esprit humain me rappela soudainement à la réalité : je ne pouvais m’attacher à personne. Je reculais lentement, me dérobant à sa caresse. Un nouveau gémissement s’échappa de mes lèvres.

- Je ne veux pas de blesser, Alba. Et tu ne me blesseras pas.

Mes yeux se plissèrent, et si mes prunelles de louve pouvaient pleurer, je le ferais.Ma louve voulait son loup, voulait ses caresses et son odeur, mais moi, je savais que ce n’était pas bien. Je m’assis lourdement sur le sol gelé. Embry avança vers moi, et je lui grognai dessus. Il soupira, et s’agenouilla devant moi.

- Pourquoi luttes-tu ? Parle-moi, Jynn. Je ne peux rien faire si tu ne me dis rien.

Je poussais un dernier grondement, et je laissais mon humanité refaire surface. Mes poils disparurent, mes os craquèrent. Je me relevais complètement devant Embry, totalement nue, mais pas le moins du monde gênée.

- Je t’ai dit, Embry Call, de ne pas me toucher.

Ma voix me paraissait étrange, maintenant que le grondement avait disparu. Elle était moins rauque, moins agressive. Je fronçais les sourcils, et je me retournais en direction de la maison des Cullen.

- Jynn.

Je soupirais, mais retint un cri de surprise lorsqu’un bout de tissus atterrit sur ma tête : un tee-shirt.

- Tu vas attraper froid.

Embry me devança, et me lança un clin d’œil avant de courir dans la même direction que moi.Bon sang, je le détestais déjà.

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