En attendant la pluie

Chapitre 6 : Le temps de la fraternité

5525 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/05/2024 02:36

Disclaimer : Twilight ne m'appartient toujours pas ;)


Bêta : KillerNinjaPanda (Ao3)


Avant-propos : allez, c’est parti pour un chapitre vraiment plus léger (si, si, je peux) et purement transitoire qui reprend en pagailles quelques éléments clefs du fandom pour « poser » tranquillement les choses concernant l’installation d’Alice et Jasper chez les Cullen. Ici je rappelle quelques poncifs de la saga, à savoir : Carlisle bosse à l’hôpital et rate donc une partie des aventures de sa petite famille, Alice aime acheter des fringues et desserrer les cordons de la bourse grâce à son don, Emmett est toujours à la recherche de distractions et aime les compétitions sportives, Edward a tendance à être maussade et à parler avant de réfléchir (un comble pour une télépathe) et Jasper passe la majeure partie de son temps libre à lire des ouvrages académiques (notamment d’histoire et de philo). Pour information, si ça en choque certains, il est normal qu’Edward, Rosalie et Emmett n’aillent pas jouer les lycéens/étudiants ici : l’arrivée de Jasper et Alice se fait pendant les vacances scolaires (Alice a calculé son coup, dirons-nous), ce qui fait que la question de qui fait quoi dans la mascarade humaine des Cullen ne se pose pas immédiatement. J’espère que vous aimerez ce chapitre un peu moins « intense » que les derniers. Bonne lecture ;)


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Alice était peut-être une menace bien plus terrible que son compagnon.

 

« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. »

L’homme révolté – Albert Camus.

 

Cela faisait maintenant trois semaines qu’Alice et Jasper étaient arrivés chez les Cullen et –c’était une agréable surprise – tout semblait se passer pour le mieux. Tout le monde était plutôt rassuré de la manière dont les choses s’étaient pour l’instant déroulées. Alice paraissait déjà faire partie des meubles, s’étant intégrée à une vitesse surprenante à leur famille comme si elle en était la pièce manquante depuis la nuit des temps : décorant la chambre volée à Edward de manière fantaisiste, prenant plaisir à donner des détails sur son don à Carlisle, se jetant avec enthousiasme dans les bras d’Esmée pour un oui ou pour un non, plaisantant avec Emmett, bavardant joyeusement avec Rosalie de voitures et de vêtements et – exploit rare – réussissant même à dérider périodiquement Edward.

 

Jasper restait réservé, mais semblait bien plus détendu que le jour de son arrivée. Tout du moins, il avait arrêté de se tendre au moindre bruit et paraissait assez à l’aise pour laisser Alice traîner hors de son champ de vision au sein de la maison. Ce qui paraissait déjà signifier beaucoup. Il n’avait que très peu parlé depuis son long et sordide exposé sur la Confédération et les Guerres du Sud, mais il semblait au fil des jours devenir un peu plus naturel et confiant dans ses contacts avec les membres de la famille Cullen. Souriant facilement aux frasques de sa compagne et d’Emmett et n’ayant plus l’air d’être un homme sur le point de subir une attaque à tout instant. Il avait l'air également plutôt à l’aise autour d’Esmée et de Carlisle, même s’il restait avec eux d’une politesse si extrême que même le guindé Edward la trouvait exagérée.

 

Il avait un peu parlé d’Histoire et de Philosophie avec Carlisle, acceptant avec un certain enthousiasme la proposition du patriarche de lui emprunter des livres de sa bibliothèque personnelle. Il avait depuis un livre quasiment en permanence greffé à une main, prenant des notes et écrivant des remarques dans divers carnets offerts par Esmée de l’autre. Il rattrapait des décennies où il n’avait eu accès qu’à quelques textes épars glanés ici et là. Maria lui avait procuré quelques livres de stratégie militaire au début de leur collaboration et il avait, au cours des années, sporadiquement pu récupérer quelques romans et journaux en pillant les domiciles de ses victimes, mais jamais il n’avait eu accès à autant de livres. Encore moins portant sur des sujets l’intéressant. Voir une pareille collection d’ouvrages, même de son temps en tant qu’humain, aurait été incroyable. Jasper avait toujours était un fervent défenseur de l’adage « la connaissance, c'est le pouvoir » [1] et il était bien décidé à obtenir autant de données que possible sur le monde l’entourant. Qui plus est, ça avait le bénéfice secondaire de lui permettre de relâcher un peu l’étroit contrôle qu’il essayait d’exercer sur son esprit depuis qu’il vivait sous le même toit qu’Edward – peu importe qu’Alice lui ait dit que la manœuvre était vouée à l’échec et ne tiendrait pas sur le long terme –. Le vocable Navajo était trop limité pour qu’il forme des pensées complexes et l’utilise systématiquement au quotidien sans que ce ne soit fastidieux, même avec son cerveau de vampire. Lire d’un autre côté ne semblait pas présenter de grands risques. Si Jasper était par principe répugné à l’idée que le télépathe ait un libre accès à tout ce qui pouvait lui traverser l’esprit, c’était bien davantage qu’il capte des pensées parasites sur son appréciation de son temps dans les guerres du Sud et sa relative méfiance envers les Cullen qui le gênait. Il se souciait peu de ce que l’autre vampire pouvait penser de sa manière d’analyser des sujets ayant trait aux sciences sociales.

 

Présentement, voilà plusieurs jours qu’il compulsait tranquillement des ouvrages de référence de divers domaines l’intrigant : Histoire, Sociologie, Philosophie, Psychologie, Droit, Économie, etc. Tout y passait et Emmett avait fini par lui adresser un regard vraiment navré, après qu’il ait entamé son treizième livre de la semaine.

 

-Qui aurait pu penser en te voyant que tu t’avérerais être un indécrottable rat de bibliothèque… pire qu’Edward ou même Carlisle ? Mec, quand allons-nous passer un peu de temps de qualité entre frères ? Tu ne peux pas ressembler au Lone Ranger [2] et te comporter comme un vieil universitaire coincé !

 

Peut-être parce qu’Emmett lui avait fait subir un épisode de l’effroyable série la veille sur cette fabuleuse prouesse technologique qu’ils nommaient un téléviseur; peut-être parce que le géant était agréable à côtoyer, ses émotions toujours calmes et espiègles, la remarque le pris par surprise et le fit éclater de rire. Le son avait tiré un grand sourire joyeux à Alice, heureuse de voir Jasper commencer à réellement se réchauffer avec certains membres de la famille. Elle l’avait vu s’intégrer aux Cullen dans ses visions, certes, mais c’était toujours doux et rassérénant de voir les choses suivre leur cours positivement « pour de vrai ».

 

Emmett avait l’air assez fier de son effet et les autres membres de l’assistance qui n’avait jamais vu Jasper si authentiquement réjoui depuis leur rencontre furent brièvement médusés. Le ravissement d’Alice et Emmett couplé à l’incrédulité amusée de Rosalie et Esmée et à l’étonnement franc d’Edward fit encore monter d’un cran l’humeur gaie de Jasper et il dut se retenir de rire de nouveau.

 

-Ton Lone Ranger est brun, petit, ne sait pas tenir correctement une arme et porte une sorte de pyjama moulant… je présume que mon unique ressemblance réside dans son insupportable faux accent, dit-il avec un sourire narquois, mâchant volontairement les mots et faisant traîner exagérément les syllabes pour amplifier la sonorité texane. Je suppose que je préfère ressembler à un universitaire coincé. Et de très loin.

 

-Allez, Faulkner [3], fais une pause dans tes lectures et faisons quelque chose de marrant, rétorqua Emmett rieur.

 

-Bien. Que suggères-tu comme activité marrante pour « passer du temps de qualité entre frères » ?

 

Jasper avait refermé son livre d’un claquement sec et avait levé un sourcil avec défi.

 

-Bagarres amicales ?

 

-Proposition déjà refusée. Deux fois.

 

Jasper n’était pas sûr d’à quel point il pouvait être gentil et combattre de manière ludique un quasi inconnu, aussi amical soit-il. Il avait peur de ce que pourrait donner ses instincts face à quelqu’un du gabarit d’Emmett s’il perdait la maîtrise de la situation. Il n’avait aucune envie de blesser grièvement l’autre vampire.

 

-Tu céderas un jour, cowboy, plaisanta Emmett en singeant un accent du Sud. Mais, en attendant, une compétition pour voir qui pourra entre Edward, toi et moi, attraper deux ours bruns le plus rapidement possible ? Ils sont sortis d’hibernation depuis trois mois : la période des chaleurs commence, ça promet un peu de combat !

 

Jasper lança un regard incertain en direction d’Alice. S’ils étaient destinés à rester pour de bon au sein du clan Cullen, il n’allait pas pouvoir continuer à la surveiller en permanence, chaque minute de chaque jour. Il savait qu’Alice ne supportait son attitude surprotectrice que par compréhension et amour envers lui mais sa tolérance avait des limites… Et il n’allait pas tarder à les outrepasser s’il continuait à la couver de cette manière. Deux jours plus tôt lorsque Esmée avait proposé à Alice d’aller faire du shopping entre filles et qu’Alice avait tristement refusé en invoquant un motif stupide après à peine cinq secondes d’hésitation et un regard oblique vers lui, il avait brièvement pu sentir sa frustration et sa déception le piquer. C’était bouleversant pour lui d’être une source de contrariété pour Alice, d’autant qu’il savait que son attitude était largement hors de propos.

 

Et Rosalie lui avait envoyé un pic de colère et un regard très sale : la fille était terriblement intuitive et n’avait pas manqué de comprendre que sa paranoïa était l’unique motivation au refus d’Alice. Il n’avait pas envie de se retrouver de nouveau du mauvais côté de belle blonde hautaine. Dieu sait pourquoi, la haine fulgurante qu’elle lui avait adressé le premier jour avait disparue aussi soudainement qu’elle était venue et Jasper n’avait aucune intention de la provoquer à nouveau. Depuis qu’ils étaient revenus et avaient officiellement été accueillis dans la famille, les émotions de Rosalie envers lui avaient été absolument incompréhensibles : agacement, amusement, compassion, curiosité, tristesse, méfiance, compréhension. Tout un cocktail détonant. Jasper avait demandé des éclaircissements à Alice sur le phénomène mais celle-ci lui avait juste adressé un drôle de sourire, lui disant que ce n’était « pas l’heure » [4] mais qu’il comprendrait bientôt.

 

Il haussa les épaules mais força un sourire, une part irrationnelle de lui détestant l’idée de laisser Alice hors d’un périmètre où il pouvait la protéger, même pour quelques heures. Il savait qu’entre son don, ses réflexes et sa malice, sa compagne était plus que capable de se défendre : elle avait survécu seule durant des décennies avant leur rencontre, Ciel ! Elle pouvait bien se balader une après-midi sans garde du corps.

 

-Pourquoi pas. Serais-tu également partant, Edward ?

 

Il se tourna vers le télépathe, intrigué, il n’avait pas vraiment besoin de son don pour savoir que l’adolescent maussade ne l’appréciait pas beaucoup. Pas du tout, même. Il était courtois avec lui mais aussi très froid, restant le moins possible dans la même pièce et retenant mal des soupirs irrités face aux conversations agréables de Carlisle ou aux tentatives d’Emmett et d’Esmée de sympathiser. Les émotions prédominantes du garçon envers lui étaient la méfiance, la peur et l’irritation. Ce que Jasper pouvait tout à fait comprendre, si le télépathe avait vu une bonne partie de ses souvenirs, la peur et la méfiance étaient les émotions qui s’imposaient naturellement ; l’irritation devait venir du fait qu’il neutralise, autant que faire se peut, sa capacité à lire ses pensées… Jasper ne pouvait que compatir sur ce point, il aurait détesté qu’une personne dangereuse vive avec lui et puisse partiellement bloquer sa perception empathique. Mais plus surprenant, il ressentait également des pointes de tristesse et de jalousie venant Edward.

 

S’il ne pouvait s’expliquer la tristesse, il était encore plus dubitatif face à la jalousie : malgré l’étonnante indulgence que le télépathe avait immédiatement développée pour Alice, il était – grâce à son don – sûr qu’il n’éprouvait aucun intérêt amoureux envers elle, la jalousie était donc un sentiment étrange et déplacé. Qui plus est, les pics de jalousie ne semblaient pas centrés sur sa relation avec Alice mais aussi sur ses interactions avec Emmett, Carlisle, Esmée et même Rosalie avec laquelle il n’avait pourtant pas dû échanger plus de trois phrases. Sa jalousie paraissait concerner sa personne même. Ce qui perturbait grandement Jasper : qu’est-ce, qu’au nom de l’enfer, le garçon pouvait lui envier ?

 

Edward eu l’air d’hésiter une fraction de secondes mais acquiesça finalement avec un sourire crispé, un peu de curiosité et d’amusement montant en lui. Emmett jubilait intérieurement que son idée ait été acceptée et Jasper se retint de soupirer de contentement face aux émotions joyeuses de l’autre homme. Définitivement une personne agréable à côtoyer pour un empathe.

 

-Ça peut être bien.

 

Alice se perdit quelques secondes dans une vision, puis piaffa d’enthousiasme, en tapant dans ses mains, sa joie et son excitation caressant Jasper.

 

-Si les garçons font ça, est-ce que vous seriez d’accord pour que nous fassions quelques boutiques comme vous le proposiez mardi, Esmée, Rosalie ? Ce serait le jour idéal ! Le temps restera couvert tout l’après-midi et j’ai vraiment besoin de nouveaux vêtements ! J’en profiterai pour acheter quelques trucs pour Jasper, il ne peut pas indéfiniment tourner avec deux pantalons et trois chemises, même si les vampires ne transpirent pas.

 

Alice et Jasper étaient arrivés avec les tenues qu’ils portaient sur le dos comme seuls bagages. Esmée avait retouché quelques-unes de ses robes pour qu’elles conviennent à la fluette voyante mais celle-ci était si menue que, même avec les talents de couturière d’Esmée, ce n’était pas parfaitement ajusté au niveau des encolures. Jasper s’était contenté d’emprunter quelques vêtements à Carlisle qui ne tombaient pas non plus correctement, l’empathe étant nettement plus grand mais ayant un peu moins de carrure que le médecin.

 

-Bien sûr, vous avez besoin de plus de vêtements pour remplir votre placard, ce sera notre cadeau de bienvenue à Carlisle et moi, dit Esmée avec un sourire chaleureux. Carlisle à l’habitude de fournir une allocation mensuelle à chacun des enfants : il n’a pas encore eu l’occasion d’en discuter avec vous mais je sais qu’il a l’intention de vous en donner une rapidement, vous pourrez l’économiser pour plus tard ou acheter ce qui vous plaît avec.

 

-Très bonne idée, je t’offrirai également deux ou trois tenues, Alice.

 

Le ton de Rosalie était sec et elle lançait un regard féroce à Jasper comme si elle le défiait d’émettre une objection ou d’essayer de faire machine arrière sur son acceptation de laisser sa compagne hors de son champ de vision.

 

-Oh, c’est très gentil à vous, mais vous n’avez pas besoin de nous offrir de vêtements. Gazouilla Alice de sa voix chantante d’oisillon. Nous avons de l’argent, vous savez ! Si je n’ai qu’une robe et que Jasper n’a qu’une seule tenue, ce n’est pas parce que nous n’avions pas les moyens d’acheter des vêtements mais parce que nous ne voulions pas les abîmer sur la route. En tant que nomades nous n’avions que rarement un toit au-dessus de la tête, alors ça aurait compliqué de conserver beaucoup d’affaires avec nous et de les maintenir dans un état correct.

 

-Vous avez de l’argent ? Et qui vient d’où ?

 

La voix d’Edward était sévère et il y avait un peu de colère et une bonne dose de mépris dans ses émotions. Il ne fallait pas être devin pour comprendre son sous-entendu : il pensait que leur argent provenait de vols commis sur des cadavres alors qu’ils se nourrissaient encore d’humains. Jasper aurait pu renifler de dédain face à l’accusation. Bien sûr, il n’avait jamais hésité à récupérer des vêtements sur les corps ou des objets dans les maisons de son temps dans le Sud. C’était monnaie courante pour n’importe quel vampire buveur d’humain et comparé aux meurtres en eux-mêmes, ce n’était qu’un détail sordide. Il trouvait les scrupules moraux à ce sujet risibles : même en tant que confédéré, il avait dû se livrer à ce genre de larcins et récupérer de l’équipement de meilleure qualité sur les corps des ennemis vaincus… Ça n’avait rien d’honorable mais ce n’était que du matériel. À la guerre comme à la guerre. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas ainsi qu’on faisait fortune et Alice n’ayant pas bu de sang humain depuis plus de vingt-sept ans, il aurait été étonnant qu’elle ait conservé des gains de l’époque. La capacité du garçon à sauter aux conclusions et à mettre les pieds dans le plat était sidérante : comment quelqu’un ayant l’aptitude de lire dans les pensées pouvait-il si souvent parler sans réfléchir et si aisément offenser son entourage ? Ça n’en finissait pas d’ébahir Jasper. Il avait réussi à contrarier Alice et celle-ci répondit assez fraîchement, malgré son sourire mutin.

 

-Eh bien, Edward, pour rappel, j'ai un don qui me rend extrêmement chanceuse ! J’ai convaincu un charmant sans-abri de me prêter un dollar en 1932 à Youngstown, j’ai joué au Bonneteau dans plusieurs villes et ai accumulé une centaine de dollars ; j’ai ensuite dépensé mes gains dans diverses parties de craps et de poker où j’ai remporté les mises de manière systématique. Je suis tellement douée ! J’ai aussi brièvement exercé comme voyante dans un cirque du côté de Pittsburg mais j’ai eu peur que la justesse de mes prédictions n’attire une intention indésirable, alors j’ai arrêté au bout de quelques semaines. Après ça, j’ai réussi à récupérer les papiers d’identité d’une jeune femme sans famille venant de décéder et ai décidé de me faire passer pour elle et de m’intéresser au cours de la bourse [5], j’ai alors investi dans quelques actions. En 1935, quand je suis retournée à Youngstown, j’avais accumulé plus de 10 000 dollars. J’ai retrouvé le gentilhomme qui m’avait dépannée d’un dollar en 32 et lui en ai donné 6 000. Même si je n’ai plus joué à des jeux d’argent ni spéculé depuis des années, j’ai actuellement encore 30 000 dollars en banque. Si vous voulez bien me laisser participer à vos finances, ce sera avec plaisir que je vous les donnerais !


Jasper eu un léger sourire face à la surprise provoquée par l’annonce d’Alice. Ils en avaient discuté la veille lorsqu’ils étaient sortis chasser seuls et s’étaient mis d’accord pour donner leur argent en tant que contribution au foyer Cullen : ça lui paraissait juste s’ils étaient destinés à s’installer sur le long terme. S’il avait été sceptique avant leur arrivée sur le fait que les visions d’Alice se concrétisent et que les Cullen soient ce qu’ils prétendaient être et les acceptent parmi eux, il ne pouvait que difficilement se voiler la face après plusieurs semaines en leur compagnie.

 

C’était différent de tous les clans dont il avait entendu parler : ça ressemblait à une famille et le climat de la maison était… e h bien, paisible. Il n’aurait jamais pensé pouvoir être si serein avec cinq vampires quasiment inconnus dans les parages après seulement une vingtaine de jours. Esmée était l’une des personnes les plus douces et compatissantes qu’il ait rencontré, Emmett était définitivement drôle et sympathique, Rosalie était moins froide qu’elle ne le laissait paraître et semblait plutôt amusante à côtoyer en dépit de ses émotions changeantes qui le rendaient confus. Même Edward, malgré sa méfiance et son caractère emporté, ne paraissait pas réellement hostile envers lui . C’est ce qui surprenait le plus Jasper et le faisait, contre toute attente, se sentir en paix : même s’il avait avoué la majeure partie de ses crimes, ces gens étaient à peine inquiets en sa présence. Jasper avait pensé qu’ils le craindraient et le toléreraient de mauvaise grâce pour faire plaisir à Alice, mais il n’en était rien. Ils ne savaient pas s’ils étaient fous, inconscients ou tout simplement trop gentils mais le fait était là : ils étaient inhabituellement agréables et accueillants avec lui. Leurs émotions reflétant leurs actions.

 

Le chef ne semblait vraiment pas être un homme mauvais, il avait une conversation agréable et prenait visiblement à cœur de jouer au « bon » père de famille. Il n’avait pas formulé d’exigences démesurées à son égard lorsqu’il leur avait énoncé les règles du clan : ne pas attaquer les membres de la famille ni utiliser son don de manière offensive contre eux ; essayer de ne pas tuer d’humains et ne pas les exposer.

 

Cela lui paraissait être des règles de bon sens et simples à respecter.

 

Il avait été soulagé que Carlisle ne paraisse pas surpris ou trop dérangé par l’aveu de son difficile respect du régime végétarien. Même après avoir rencontré Alice, il s’était alimenté d’humains à trois reprises. Peu importe l’agonie que lui apportait les meurtres, il n’avait toujours pas une assez bonne maîtrise de sa soif et pouvait facilement glisser lorsqu’il rencontrait des personnes blessées. Pire, maintenant qu’il cherchait à s’abstenir de tuer, sa résistance lui paraissait bien plus mauvaise qu’à l’époque où il essayait de reculer indéfiniment l’heure de ses repas : le goût du sang animal était révoltant ; après une certaine période à se priver de sang humain, ses instincts s’emballaient à la moindre effluve significative venant par surprise de ses proies naturelles. C’était incroyablement frustrant. Qui plus est, la soif des autres vampires influait également sur la sienne : les Cullen étant un grand clan, la faim de l’un ou l’autre pouvait à tout moment se mêler à la sienne au travers de sa perception empathique et le mettre sur le bord.

 

Alice lui avait bien entendu parlé de la « mascarade humaine » à laquelle se livraient les Cullen avant leur arrivée. Jasper ne pensait pas être prêt à se conformer à cette farce avant de nombreuses années et n’avait aucune hâte de devoir approcher des humains tout en étant accompagné par un groupe de vampires assoiffés. Quand il s’était ouvert sur ces difficultés à venir, Carlisle lui avait affirmé que sa dépendance au sang humain diminuerait au fil du temps mais qu’en attendant ils allaient l’aider à mettre en place des stratégies pour améliorer son contrôle et lui éviter d’être confronté à des situations à risque. Tant qu’il essayait sincèrement de se conformer à leur régime, l’homme lui avait affirmé qu’il n’aurait pas de problème, même en cas d’échec. C ’était bien plus de mansuétude que ce à quoi Jasper c’était attendu.

 

Ça semblait presque trop beau pour être vrai mais puisque son don lui disait qu’il n’y avait pas de tromperie dans les émotions des Cullen et qu’Alice était plus sûre que jamais que leur place était ici, il n’allait pas essayer de lutter contre le courant alors même qu’il se sentait plus paisible dans cet endroit qu’il ne l’avait été depuis des décennies. Alice irradiait de joie depuis qu’ils étaient ici et lui-même pouvait commencer à imaginer un avenir dans cette étrange famille aux côtés de sa compagne. Et ça le rendait bêtement heureux.

 

Pour en revenir à la question de l’argent, Jasper aurait préféré que Carlisle soit là pour évoquer la somme qu’ils possédaient et voulaient leur céder mais l’homme était au travail et puisqu’ils en étaient à des révélations sur leurs moyens financiers…

 

-J’ai également de l’argent. L’an dernier, j’ai vendu à un collectionneur les quelques objets qui me restaient de la guerre Civile. Ça fait 15 000 [6] dollars supplémentaires. Je veux vous donner cette somme pour vous remercier pour votre accueil et contribuer aux frais qu’engendre notre présence.

 

Il avait honnêtement été surpris du prix exorbitant qu’il en avait tiré : l’uniforme avait valu dans les 8 000 dollars alors même que seuls la veste et le gilet étaient encore dans un état correct. Le fait que le galon de Major soit directement brodé aux manches de la redingote devait avoir contribué à la folle générosité de l’acheteur. L’épée et le revolver étaient partis à 3 500 chacun alors que la lame était ébréchée et le barillet du pistolet complètement rouillé.

 

Les dernières choses qu’il avait conservées de l’époque où il était humain était sa plaque d’identification et la vieille blague à tabac de son père. La plaque était rouillée, pendue à son cou par une chaîne métallique, les gravures presque illisibles. Le souvenir d’un soldat jamais tombé au combat. La blague était une antiquité, le cuir extérieur avait commencé à se ronger au fil des années mais elle ne s’était pas encore entièrement déchirée, ce pourquoi Jasper était reconnaissant.

 

Esmée était ébahie et assez gênée, elle était prise de court, et ne savait que répondre aux deux nouveaux membres de la famille. Si elle avait été humaine, elle aurait rougi et bafouillé.

 

-Oh… c’est vraiment adorable de votre part à tous les deux mais vous n’avez pas à contribuer, vous n’avez pas à nous remercier de cette manière, nous sommes vraiment très heureux de vous avoir accueillis parmi nous. Gardez votre argent pour des projets futurs.

 

-J’insiste, madame. Je me sentirais mal si vous ne reconsidérez pas la question. Nous ne voulons en aucun cas être un fardeau et nous nous sommes imposés chez vous de manière assez cavalière. Je comprends bien que ce n’est pas le fonctionnement normal de votre famille et, qu’en principe, Carlisle finance entièrement les dépenses de ses créations mais nous avons eu une longue vie avant de vous rejoindre et nous avons des fonds propres. C’est un paramètre à prendre en compte. L’argent n’a que très peu d’importance pour des nomades et puisque vous semblez déterminés à nous loger et à subvenir à nos besoins matériels, il me semble normal d’apporter une mise de départ. S’il vous plaît, prenez au moins le temps d’y réfléchir.

 

Il était dur d’argumenter avec Jasper, même quand il n’utilisait pas son don, il était toujours étrangement convaincant sans qu’on sache si ça venait de sa personnalité ou d’une qualité persuasive que conférait son pouvoir même lorsqu’il n’en faisait pas sciemment usage.

 

-Bien. J’en discuterai avec Carlisle ce soir, concéda Esmée avec un léger sourire.

 

Emmett semblait lassé des tergiversations autour de l’argent et se leva d’un bond.

 

-Bien ! Tout ça est palpitant mais les ours nous attendent messieurs, il serait peut-être temps de nous y mettre et de laisser ces dames planifier leur après-midi shopping !

 

-Ça s’est bien parlé, approuva énergiquement Alice. Elle fit ensuite un sourire éblouissant à Jasper et se rapprocha de lui d’un mouvement brusque, puis se retrouva à demi perchée sur ses épaules d’un bond si étrange et gracieux qu’autant gymnaste humain n’aurait facilement pu le reproduire. Elle se pencha et murmura très bas pour que lui seul l’entende.

 

-J’ai regardé mon futur et nous rentrerons dans moins de cinq heures avec tout un tas de superbes vêtements. Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi. Je n’ai pas regardé qui avait gagné la chasse pour laisser du suspens à votre compétition mais vous êtes tous les trois entiers à notre retour et semblez bien vous entendre.

 

Bien. Il était donc venu le temps de qualité entre frères.


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[1] « Scientia potentia est» maxime généralement attribuée à Francis Bacon ou à Thomas Hobbes mais dont une variante « La connaissance est la clef du pouvoir » est déjà trouvable dans les écrits de Confucius au VI siècle avant J-C.

[2] Il y a eu plusieurs versions de Lone Ranger, on va supposer que les — très riches – Cullen avaient un téléviseur en 1950 et qu’Emmett a fait visionner à Jasper (qui n’avait sans doute jamais eu accès à une télé auparavant) un épisode avec Clayton Moore (qui était originaire de Chicago)… qui n’était pas du tout petit, certes, on va dire que ce sont le faux accent texan et le pyjama qui ont heurté la sensibilité de Jasper et le rendent injustement caustique ;p

[3] Grand écrivain du Sud profond, ses thèmes de prédilection étaient l’héroïsme tragique (notamment la fatalité des passions), les liens familiaux et les rapports raciaux au temps de la guerre de sécession (et en post guerre après le déclin de l’idéal sudiste). En 1949 il venait de gagner le Nobel de littérature, ce qui faisait que ces romans étaient assez populaires aux USA durant le déroulé de mon histoire.

[4] Référence gratuite à Doctor Who ;)

[5] Il est dit qu’Alice faisait déjà des transactions boursières avant d’atterrir chez les Cullen et que c’est elle qui a convaincu Carlisle d’investir dans des actions peu après son arrivée… il est également dit qu’elle et Jasper sont arrivés « sans biens matériels » au Minnesota, j’essaie de valser à travers ces différents paradoxes.

[6] Aucune idée de ce que représentent les sommes annoncées par Jasper et Alice, ni si elles sont un minimum crédibles, j’ai essayé de trouver des infos sur les revenus moyens des foyers américains dans les années 50 et du prix auquel se seraient vendus des objets de la guerre de sécession… échec critique, je n’ai rien compris aux quelques données que j’ai trouvées. On va admettre que c’est une très grosse somme (on pouvait apparemment avoir une maison pour 8000 $ dans les années 50), d’où la gêne d’Esmée. Jasper n’étant pas vraiment fier de son passé de confédéré dans cette histoire, je lui fais bazarder toutes ses possessions liées à cette époque… sauf la plaque d’identification qui, à mon sens, a une autre résonance.


J’espère que ça vous a plu, le prochain chapitre sera centré sur Alice, plus précisément sur ses premières visions et comment celles-ci l'ont menée à Jasper et aux Cullen :)




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