Juste un baiser
Avertissement : le début du chapitre comporte une mention explicite d’un contact sexuel non consensuel (baisers) ; c’est court mais relaté du point de l’agresseur (qui ne considère pas son acte comme une agression…) et de manière volontairement dérangeante. Ça a mis plus de temps à se construire que ce que j’avais initialement prévu, mais voilà – enfin – la perspective de Jacob sur les événements. Bonne lecture !
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Jacob Black fulmine.
— Je vais me battre pour toi, jusqu'à ce que ton cœur cesse de battre !
Bella baisse les yeux et passe nerveusement une main dans ses cheveux, se renfrognant. Elle a presque l’air irrité par sa déclaration ; Jacob secoue la tête, incrédule. Elle vient de lui annoncer qu’elle avait demandé à sa sangsue de la tuer – de la changer en monstre – dans les trois mois qui viennent et, maintenant, elle est contrariée parce qu’il tente de la faire changer d’avis ? À quel point la créature lui faisant office de petit ami l’a-t-elle éblouie pour qu’elle perde tout sens commun ?
Il soupire et fronce les sourcils.
Quelque part, il peut comprendre son engouement pour le vampire : elle est humaine. Ses yeux ne perçoivent que l’illusion élaborée par les créatures prédatrices pour attirer leurs proies. Ils sont faits pour charmer leurs victimes, pour les envoûter afin de les vider de leur sang. Ce n’est pas une spéculation, mais un putain de fait biologique. Alors, bien sûr qu’elle le trouve extraordinaire son vampire. Bien sûr que, toute subjuguée qu’elle est, elle envisage de lui abandonner son âme. Ça le fait grincer des dents.
Jacob, lui, n’est plus humain et il ne peut qu’assister en spectateur impuissant à la monumentale erreur que commet Bella.
Il avait croisé – au moins une fois – tous les Cullen, avant de devenir un gardien de la tribu. Il avait vu toute la charmante petite famille traîner en ville. Mis à part qu’ils ressemblaient tous à des gravures de mode, il ne gardait pas un grand souvenir de la rencontre. Ils n’avaient pas éveiller le moindre soupçon de méfiance dans son esprit d’adolescent humain ; au contraire, il avait même honte de se rappeler certains rêves humides faits sur la grande blonde à l’allure hautaine…
Puis il s’était transformé et tout avait changé.
Ce n’est qu’à leur retour à Forks qu’il avait réalisé ne jamais les avoir vus clairement.
Tant qu’il était humain, leurs traits semblaient à peine différents de ceux des autres. Juste un peu trop parfaits. Comme si quelqu’un avait pris des gens au physique avantageux et les avait retouchés jusqu’à les rendre irrésistibles. En tant que loup, ce n’était pas la même histoire : aux yeux d’un métamorphe, les vampires sont des cauchemars ambulants.
Leur peau est tendue, cireuse, comme si elle peinait à contenir une chair trop rigide. Leurs cernes ressortent de manière grotesque sur leurs visages blafards. Leurs dents trop blanches constituent un avertissement sinistre. Leurs mouvements fluides et brutaux sont ceux de prédateurs. Et leurs yeux… Même ceux des Cullen, avec leur curieuse teinte ambrée, ne parviennent pas à masquer ce qu’ils sont vraiment. Il y a quelque chose de profondément inhumain qui brille dans leurs pupilles : l’éclat malsain d’une faim qui ne disparaît jamais complètement.
Bella ne peut pas les voir pour ce qu’ils sont.
Elle considère Edward comme un ange torturé. Jacob, lui, distingue parfaitement le monstre sous le vernis : ses sens affûtés détectent l’effroyable absence de battement de cœur, l’aspect artificiel de la respiration et il sent son odeur infecte de corps en décomposition lui brûler les narines. Edward Cullen est un cadavre qui a échoué à rester dans la tombe et qui va attirer Bella en enfer.
Bella va sacrifier sa vie pour lui. Pour ça.
Jacob est fou amoureux d’une fille qui planifie tranquillement sa propre mort… Il est temps qu’il la fasse redescendre sur terre ; la détermination enfle en lui, elle ne lui laisse pas le choix. Il va jouer son va-tout.
— Tu sais que d’autres options existent ?
Il se penche vers elle et l’attrape par les épaules. Ses doigts se crispent pour la maintenir immobile et l’empêcher de reculer. Il sent son cœur battre la chamade et son souffle s’accélérer, il a l’impression d’être en train de se liquéfier sur place, son estomac sombrant. Il ne peut plus reculer. C’est comme la première fois qu’il avait dû prendre son élan pour sauter de la plus haute falaise de la Push : le plus dur, c'est de se jeter à l’eau. Bella ne comprend pas la profondeur ce qu’il ressent pour elle. Elle ne comprend pas comme il serait facile pour elle d’accepter ses sentiments. Simplement accepter… être heureuse et rester humaine. Elle ne comprend pas, mais il va lui montrer.
— Que fais-tu ?
Il ne répond pas à la question hésitante. À quoi bon ? Elle le sait déjà. Elle essaie de se dégager de son emprise, mais il resserre son étreinte. Il la regarde droit dans les yeux et voit une pointe de panique la traverser. Il refuse de renoncer. Pas cette fois. Ce n’est pas de la peur, mais du déni. Elle se ment à elle-même et ça ne peut plus durer.
Il s’empare de ses lèvres.
La fraîcheur et la fermeté du corps de Bella – filtrant à travers ses vêtements — contre son torse dénudé et bouillant lui font perdre ses moyens, il sent sa respiration se couper. Enfin ! Sa bouche épouse parfaitement la sienne. C’est tellement bon. Ses lèvres sont si douces… malgré la réticence de Bella, Jacob ne peut s’empêcher de savourer le moment. Ça le met en colère quand il sent qu’elle se débat et cherche à se dégager : elle fuit encore, niant ses sentiments pour lui par loyauté envers un mort-vivant. Ça le rend furieux. Il s’accroche à elle et la maintient fermement en place, la tenant par la nuque et continuant à presser sa bouche contre la sienne. Il l’embrasse comme si ça pouvait tout changer, comme si sa vie en dépendait. Et c’est le cas, quelque part : il doit lui faire réaliser son amour pour lui, s’il veut qu’elle reste humaine. Ce baiser peut lui sauver la vie. Littéralement.
Elle se débat toujours, même si sa force est trop infime comparée à la sienne pour que cela ait un impact. Les mains poussent inutilement contre son torse, puis les doigts graciles agrippent son visage pour tenter de le faire reculer. Jacob est contrarié qu’elle résiste mais – au fond – il est persuadé qu’elle désire l’étreinte autant que lui : Bella le repousse parce qu’elle est une fille bien qui refuse de tromper son petit ami… Ce baiser est peut-être sa seule chance de lui faire réaliser que les sentiments qu’elle éprouve pour lui sont aussi forts que ceux qu’elle réserve à son vampire. Il décide de tout donner et d’y mettre toute la passion qu’il a en réserve. Il insiste, force l’entrée de sa bouche et approfondit le contact. Sa chaleur l’enveloppe et son cœur bat si fort qu’il a l’impression qu’il pourrait sortir de sa poitrine. Soudain, elle arrête la lutte. Elle abandonne et accepte ce qui lui est offert : il ressent une glorieuse sensation de triomphe. Les conditions ne sont pas idéales, mais c’est presque un rêve qui se concrétise. Jacob sent les bras de Bella sagement retomber le long de son corps. Il sourit intérieurement, un sursaut d’espoir naissant dans la petite partie de son cerveau qui n’est pas totalement bombardée par les hormones. Il a l’impression d’être sur un nuage : enfin, elle comprend !
Il relâche la pression, dépose un baiser plus léger sur ses lèvres, puis un autre. Il aimerait qu’elle réponde, mais elle reste immobile. Peut-être est-elle timide ? Ou peut-être un peu perdue quant à ses sentiments… il rejette l’hypothèse désagréable émise par une voix perfide dans un recoin de sa tête. Il doute un peu, malgré tout. Il ne sait pas s’il s’y prend bien ; il n’a pas beaucoup d’autres points de référence : un baiser chaste avec la Mia, la sœur de Jared, quand il avait douze ans et quelques baisers maladroits et humides avec une camarade de classe l’été précédent. Pour lui, en tout cas, c’est bon. Il brosse délicatement ses lèvres contre les siennes – une dernière fois – et se recule, les yeux clos, un demi sourire rêveur s’imposant sur son visage.
— Tu as terminé ?
Les mots de Bella sonnent étrangement, sa voix blanche. Pas encore tout à fait redescendu sur terre, Jacob ne réalise pas la platitude de la question. Il répond dans un souffle absent, encore sur un petit nuage.
— Oui.
Le coup part avant qu’il n’ait le temps de réagir. Un bruit sec. Un craquement. Un petit poing serré a violemment percuté sa mâchoire. Ça ne lui provoque pas plus de douleur que si elle l’avait frappé avec une plume – truc de loup – mais la surprise lui fait se mordre la langue. Le goût du sang envahit désagréablement sa bouche et il ouvre de grands yeux, abasourdi. Bella grimace, sa main tordue dans un angle incongru et les phalanges rougies : elle est échelée, livide et des larmes roulent sur ses joues, tandis qu’elle laisse échapper une respiration chuintante, puis un gémissement plaintif en bougeant ses doigts. Il reste figé, un instant interdit, la regardant bêtement, un peu sonné. Il n’arrive pas à prendre la pleine mesure de la situation. Elle l’a frappé ? Lui ? À cause de la solidité de son corps de métamorphe, elle s’est sans doute cassé le poignet et certains doigts, voire le bras entier…
Merde ! Quelle connerie… qu’est-ce qui lui avait pris ?! Le baiser était-il si mauvais ?
Elle le dévisage comme si elle ne le connaissait pas. Puis, soudain, son joli minois perd toutes ses couleurs, comme si elle était choquée ; elle fait quelques pas en arrière avant de lui tourner le dos. Il essaie de la calmer, lui dit qu’il va la raccompagner chez elle – dans cet état elle ne peut définitivement pas conduire ! – mais elle rejette violemment sa proposition, commençant à s’éloigner d’un pas furibard. Il veut stopper sa fuite en la prenant dans ses bras, mais ça semble la plonger dans une sorte de crise d’hystérie : il ne l’a jamais vue si hors d’elle. Elle lui hurle de ne pas la toucher tout en sanglotant, avant de déguerpir en courant.
Complètement sur le carreau, il abandonne l’idée de la raisonner. Il se laisse tomber au sol, s’asseyant en tailleur à même le tapis herbeux, la regardant – avec regrets – disparaître aux limites du terrain des Black, en quelques foulées agitées. Eh merde ! Il soupire, il ne comprend vraiment rien aux filles. Encore moins à Bella : il sait que sa meilleure amie le trouve beau – elle l’avait même admis une fois – et qu’elle l’aime ; alors, pourquoi est-elle si bouleversée ? Est-ce toujours par rapport à la sangsue ?
Il a peut-être eu tort de se jeter sur elle de cette façon. Peut-être a-t-il été trop brusque… Il ressent un vague malaise qui cherche à s’installer, tandis qu’il réexamine le film des dernières minutes dans son esprit, passant machinalement une main sur son visage. Ses joues le brûlent un peu en repensant aux baisers ; il pourrait sourire rien qu’en y songeant si la réaction de Bella n’avait pas été si vive. Elle a tout gâché. À moins que ce ne soit lui ? Il s’affaisse et soupire, baissant la tête et fixant longuement le sol, appuyant ses coudes sur ses genoux. Il a un peu honte, même s’il cherche à se rassurer, se répétant à lui-même qu’il n’a pas dépassé les bornes. Il ne sait pas comment arranger les choses avec Bella. Il espère ne pas avoir tout foiré entre eux… il est fou d’elle depuis qu’elle est revenue à Forks, il ne peut pas imaginer qu’elle lui tourne le dos et mette fin à leur amitié pour une broutille. Pas après tout ce qu’il a fait pour elle. Il l’avait ramassée à la petite cuillère quand son monstre de compagnie l’avait abandonnée près d’un an plus tôt.
Jacob hésite à la suivre, mais après quelques instants de réflexion, il se dit qu’il vaut mieux qu’il lui donne le temps de se calmer et faire un peu le point. Il est sûr qu’elle reviendra à de meilleurs sentiments dès qu’elle aura les idées plus claires : elle est du genre têtue mais rester vexée longtemps. Battre froid à quelqu’un n’est pas dans ses habitudes.
Il lui laisse de l’espace, attendant qu’elle se calme et revienne. Il patiente, mais les minutes s’écoulent sans qu’elle donne le moindre signe vie.
Plus d’une vingtaine de minutes sont passées maintenant. Même sous sa forme humaine, son odorat est assez aiguisé ; pourtant, il ne peut pas la sentir à moins d’un kilomètre à la ronde : il fronce profondément les sourcils à cette réalisation. Qu’est-ce qu’elle fiche ? Son pick-up est toujours garé dans son jardin. Elle est bien forcée de repasser par chez lui si elle veut rentrer à Forks ! Il ne comprend pas qu’elle boude aussi longtemps : il est tard et elle est blessée, il devrait la raccompagner chez elle – voire à l’hôpital… il grimace à la pensée – plutôt que de la laisser errer furieuse et avec un bras mal en point, quelque part dans la Réserve. Peut-être s’est-elle égarée ? Il fait sombre, même avec la lumière de la lune. Avec sa guigne, Bella est sans doute capable de se perdre dans les bois ou de tomber sur l’un des rares lions des montages traînant dans la région. Il se relève d’un bond en avalant sa salive, nerveux à cette idée. Il tire son portable de la poche de son short et compose le numéro. Après quelques sonneries dans le vide, elle lui raccroche au nez. Foutue tête de mule !
Il se met en chemin immédiatement, déterminé à vite la retrouver. Il court – souhaitant la rejoindre au plus vite – mais ne se transforme pas en loup pour accélérer sa recherche, peu désireux d’entendre dès maintenant les railleries de ses compagnons de meute sur le fait qu’il se soit fait jeter comme un malpropre par son béguin* : il imagine déjà sombrement le genre de conneries que Paul et Jared vont lui sortir. La fille aux vampires lui a filé un coup de poing après qu’il l’ait embrassée… Il n’a pas fini d’être charrié à ce propos.
Jacob repère rapidement son odeur, elle est immobile vers la lisière Est de la frontière du traité. Il n’y a pas que cette effluve qu’il capte : un arôme doucereux enveloppe la flagrance de Bella. Il n’est plus qu’à quelques centaines quand il réalise que la senteur écœurante n’est pas celle d’Edward – c’est vrai, le foutu télépathe n’est pas en ville – et il grogne, le corps sous tension. À sa connaissance, la majeure partie des Cullen sont absents de Forks ce week-end, il ne sait pas avec quel vampire Bella pourrait traîner dans ses circonstances, mais la perspective qu’elle soit en danger lui met brusquement les nerfs à vif : il ne peut que prier pour qu’elle ne soit pas tombée sur un suceur de sang humain et qu’elle soit bien en compagnie d’un des uniques spécimens dégénérés de « vampires végétariens », ayant élu résidence dans l’état de Washington. Il accélère encore la vitesse de ses foulées, sprintant comme un dératé, prêt à se transformer.
À cette distance, ses yeux inhumains identifient la sangsue qui tient Bella entre ses bras. Il manque de s’étouffer sous le coup de la surprise, mais parvient de justesse à se calmer – à moins ce ne soit le pouvoir du vampire qui soit à l’œuvre ? – suffisamment pour annuler la mise en phase. De tous les monstres possibles, il avait fallu que ce soit à celui-là que Bella demande de venir la chercher à la lisière de la Réserve…
Jacob sent tous ses instincts se hérisser violemment à la vue du visage cicatrisé de l’homme. Il retient un frisson involontaire : s’il peut donner un peu de crédit à la soi-disant non-dangerosité des Cullen en voyant le Docteur Canine et sa femme – sérieusement, ces deux-là semblaient si doux et pacifistes que la plupart des membres de la meute avaient du mal à les considérer comme une véritable menace –, autant certains de leurs enfants n’ont rien d’inoffensif. Celui-là en particulier : son apparence est terrifiante. Entre son expression froide, ses yeux noirs ou mordorés ne cillant jamais et la myriade de cicatrices défigurant son cou et une partie de son visage… sans conteste le pire. Ses crimes inscrits en lettres capitales sur sa peau ; personne ne fera avaler à Jacob que ce type n’est pas un tueur.
Il est effrayant. Et ce, sans même compter son curieux pouvoir qui lui permet de contrôler les émotions des autres : Sam – son alpha – se méfie de lui plus que du reste de la famille Cullen réuni… il doute encore que ce ne soit pas lui le véritable chef de clan et, Carlisle, un simple alibi. Voir Bella blottie dans son giron retourne l’estomac de Jacob. Il l’interpelle vivement, depuis la lisière de la frontière.
— Bella ! Qu’est-ce que tu fais avec lui ? Je ne comprends pas… tu…
Bella se détache à peine de l’étreinte dans laquelle le Balafré l’enserre pour lui faire face ; elle semble toujours bouleversée, le visage bouffi et des larmes plein les yeux. Elle ouvre un instant la bouche, mais la referme dans un claquement sec, comme si prononcer les mots qu’elle a sur le bout de la langue était trop dur ; puis, visiblement prise d’un regain de courage, elle se met à crier.
— Va-t’en ! Je ne veux pas te voir !
Jacob en a assez de se faire hurler dessus. Et il est plus qu’un peu agacé : il ne la comprend plus. Il culpabilise de l’avoir autant chamboulée – même s’il juge sa réaction très exagérée – mais lui en veut de faire d’un problème privé entre eux, un spectacle pour l’un de ses ennemis héréditaires… Les poils de son cou se dressent face au regard meurtrier que le vampire couvert de cicatrices darde sur lui. Il déglutit nerveusement, puis écrase sa panique et rétorque avec morgue.
— C’est ridicule ! Tu as laissé ton camion à La Push… laisse-moi aller le récupérer et je te ramènerai chez toi.
Bella baisse les yeux, elle semble incapable de soutenir son regard et s’accroche de son bras valide à la chemise du vampire. Jacob a désespéramment envie de réduire la distance entre eux, d’avancer vers elle et de s’excuser. Il ne peut pas le faire : pas avec ce public indésirable. Qui plus est, il se refuse à franchir la frontière à cet instant. Le traité est unilatéral quant au respect de la ligne de démarcation, pourtant il se sent paralysé… son instinct lui hurlant de ne pas faire de mouvement en direction du type qui tient actuellement Bella entre ses bras. Il ne veut rien faire qui puisse – encore – empirer la situation.
Bella tremble, mais elle parvient à relever le nez pour le fusiller du regard.
— Je… je ne vais nulle part avec toi ! Dégage !
Définitivement furieuse. Ça ne lui ressemble pas. Bella lui tourne résolument le dos, après avoir craché sa dernière phrase, se renfonçant contre le torse de l’abominable créature qui a toujours un bras protecteur lâchement enroulé autour d’elle. Un univers où cette chose fait mine de la protéger contre lui est un univers désaxé.
— Recule et rentre chez toi, Black. Maintenant.
C’est le Balafré qui a parlé : son ton est bas et dangereux. Avertissement limpide. Les yeux de l’homme sont d’un noir d’encre et semblent dépourvus de la moindre once de chaleur. Jacob a l’impression de regarder dans un puits sans fond. Flippant. Ignorant sa peur, il s’apprête à répliquer quand les mots se coincent dans sa gorge. Il lève vivement la tête, son odorat détectant la puanteur d’un autre vampire en approche. Il entend le bruit d’une course rapide à travers les arbres, le vampire a le plus fugitif des sourires qui passe sur ses lèvres. Génial ! Deux monstres pour le prix d’un…
Jacob croise les bras et se renfrogne. Il retient un soupir lorsqu’il voit la Reine de beauté des Cullen – certainement la créature la plus désagréable de la bande – atterrir gracieusement à quelques mètres de Bella et de son garde du corps personnel. Jacob n’avait pas croisé la vampire depuis qu’il était devenu un métamorphe. La différence de perception est choquante. Il peut encore se rappeler avoir secrètement pensé que c’était la plus belle femme du monde la dernière fois qu’il l’avait vue avec ses yeux humains ; maintenant, avec ses capacités de loup, il la voit pour ce qu’elle est : ignoble. Cette dernière embrasse la scène du regard, passant ses yeux fauves de l’une à l’autre des personnes réunies. Ses yeux s’attardent un long instant sur la silhouette de Bella avant de se planter dans les siens avec une expression mauvaise. Elle serre les poings et Jacob peut entendre un drôle de bruit retentir. Est-ce que cette Barbie meurtrière vient de s’entailler la peau ?
– Qu’est-ce que tu lui as fait ?
La voix de la femelle vampire est polaire et le loup se sent humilié, tandis qu’elle le jauge de bas en haut avec une moue dédaigneuse. Son visage suinte le mépris et Jacob a des insultes qui dansent sur le bout de sa langue. La situation entière est insupportable. Des explications, il va vite leur en fournir si ça peut les faire déguerpir !
– Strictement rien, Blondie. C’est un malentendu. Elle s’est blessée toute seule ! C’était juste un putain de baiser. Peut-être que je n’aurais pas dû l’embrasser vu qu’elle est avec ton… vampire de frère, mais ça n’excuse pas ce foutu drame. Laissez-nous discuter et regagnez votre maison des horreurs !
Jacob regarde avec étonnement la sangsue reculer d’un pas avant de se figer et d’émettre un grondement menaçant. Durant un long moment, elle semble perdue dans ses pensées, le regard dans le vague et le visage vide ; puis, soudain, elle semble s’animer. Fini le dégoût, son expression est un masque de fureur froide. Jacob doit réfréner durement ses instincts pour ne pas entrer en phase : en cet instant, la vision qu’elle offre est terrifiante. Il a l’impression que la femme est à deux doigts de traverser la frontière pour le massacrer.
– Rose, le traité…
Le Balafré paraît d’accord avec son évaluation. Il s’est un peu écarté de Bella – ses bras ne l’entourent plus, même s’il est à moins de trois pas d’elle – et il porte un regard soucieux sur sa sœur, tandis qu’il la met en garde. La voix de l’homme est étonnement douce et calme. Jacob ne peut s’empêcher d’être troublé par les changements d’attitude du vampire : comment peut-il aussi rapidement passer de regards venimeux à son égard à une telle sollicitude envers la Barbie immortelle ? La Rose épineuse semble néanmoins se reprendre, elle souffle un peu et sa colère paraît décroître à un niveau gérable tandis qu’elle lui adresse un nouveau regard méprisant. Sa voix est tranchante quand elle reprend parole.
– Juste un baiser ? C’est vraiment ce que tu crois ? Ose la regarder et dis-moi si elle a l’air d’avoir apprécié ton élan d’affection.
Quelque chose en Jacob vacille un peu à ce commentaire. L’ombre d’un doute. Il regarde la forme tremblante de Bella et ne peut que grimacer face à l’état de nerfs visible dans lequel la fille qu’il aime se trouve. Visage blême et le souffle court. Merde ! Pourquoi réagit-elle comme ça ? Elle s’écarte un peu du Contrôleur émotionnel en chef, puis lui fait face en relevant la tête : elle a l’air triste… et en colère. Il avale nerveusement sa salive, attendant d’entendre ce qu’elle a à dire, serrant les mâchoires, prêt à encaisser.
– Rentre chez toi, Jake… je… je ne veux plus te voir et je ne veux pas en discuter. Rentre chez toi, maintenant !
Il a l’impression de se prendre un coup en pleine poitrine face au rejet explicite. Après tout ce qu’ils ont vécu ensemble, elle ne lui accorde même pas une conversation ? Ne le laisse même s’expliquer ? C’est tellement injuste… Sa propre voix lui semble étrangère – trop rauque et fébrile – quand il lui répond.
— Ils t’ont complètement retourné la tête ! Tu sais que je t’aime et… Comment tu peux me faire ça ? Je ne comprends même pas à quoi tu joues ! Comment peux-tu me faire ça ?!
Il se sent complètement hors de contrôle et les mots lui échappent avant qu’il ne puisse réfléchir. C’est parfaitement humiliant de faire des déclarations mièvres de ce genre en face du frère et de la sœur de son rival. Il crispe les poings. Il est en colère contre lui-même, mais surtout contre Bella : il lui en veut de l’avoir coincé dans cette situation foireuse. Celle-ci frissonne, étouffe un sanglot et recule d’un pas.
— Je… Qu’est-ce que tu racontes ? Toi… tu t’es jeté sur moi et…
Jacob souffle et essaie de se calmer pour réfréner l’énergie de la métamorphose qui coule dans ses veines.
Bella et lui se connaissent depuis qu’ils sont gamins. Même s’ils se sont perdus de vue pendant quelques années, cela fait des mois qu’ils sont plus proches que jamais. C’est Jacob qui l’avait aidée à se sortir de sa dépression et à refaire surface… Et ils avaient déjà manqué de s’embrasser en mars dernier et – même si Bella le niait maintenant avec ferveur – elle avait été très proche de le considérer de manière romantique.
Avant que la sangsue ressemblant à un lutin ne refasse surface et ne gâche tout. Avant que son « grand amour » ne revienne en ville.
Sans les Cullen tout aurait parfaitement fonctionné : leur histoire aurait coulé de source. Maintenant, elle ne cesse de le repousser et de prétendre qu’il n’y a que de l’amitié entre eux. C’est insupportable. Bella sait ce qu’il ressent pour elle ; pourtant, elle le met plus bas que terre. Elle fait comme s’il l’avait agressée… Eh merde ! Jacob sent la colère lui ronger les tripes. Il secoue la tête, incrédule et fait un pas vers elle en agitant les bras. Il est à l’extrême limite de franchir la frontière.
— Je sais que tu essaies de me faire passer pour le méchant pour prouver que tu es fidèle à ton suceur de sang, mais là, c’est ridicule. Arrête de jouer à ça, Bella ! Je comprends pas comment tu oses me faire ça ! Tu voulais ce baiser autant que moi !
Il sait pertinemment ce qu’elle ressent pour lui, même si elle n’assume plus son béguin depuis le retour d’Edward. Il la regarde droit dans les yeux, cherchant une faille, un aveu, n’importe quoi qui prouverait qu’elle se ment encore à elle-même, qu’elle a juste peur d’admettre ce qu’elle ressent pour lui. Mais quelque chose cloche. Ce qu’il voit, c’est autre chose. De la hargne, de la tristesse… et une pointe de dégoût.
— Je voulais ce baiser ?!
Bella crache les mots avec indignation. Elle semble ulcérée. Où a-t-il foiré ? Jacob a l’estomac noué, il ne sait pas s’il va se remettre d’un rejet aussi abrupt. Est-ce qu’il a vraiment franchi la ligne ? Est-ce qu’elle lui en veut vraiment ? Ça lui paraît absurde, mais…
Jacob est coupé dans ses réflexions par la voix tranchante de la Reine de beauté.
— Non, petit garçon. Ce n’est pas à toi de décider ce qu’elle veut ou ce qu’elle ressent. Tu n’avais aucun droit de la toucher contre son gré.
Sa voix dégoulinante de mépris et son sourire condescendant le mettent hors de lui. Jacob se tourne de nouveau vers elle, furieux. Cette femme vampire – Rosalie, non ? – déteste Bella de ce qu’il en sait, elle ne la connaît même pas, pourtant elle se permet de parler à sa place. Il la renvoie dans les cordes.
— Contre son gré ?! Je la connais mieux que vous. Elle a juste peur de ses sentiments pour moi, c’est pour ça qu’elle est bouleversée ! Mêlez-vous de vos putains d’affaires !
La manière dont Rosalie a prononcé les mots « toucher contre son gré »… elle parle comme s’il était un foutu pervers ayant sauté sur Bella dans une ruelle. Pour qui elle se prend ? Et surtout, pour qui elle le prend ? Jacob sent une honte cuisante monter en lui, voulant lui colorer les joues. Il secoue la tête et tente de réprimer le sentiment, la chaleur croît dans ses veines, l’adrénaline pulse au bout de ses doigts.
La femme fait quelques pas dans sa direction et lève un doigt accusateur. Elle le transperce du regard et poursuit sa charge, implacable. Le Balafré – toujours en faction derrière Bella – le fusille des yeux.
— C’était son choix, Black, pas le tien. Elle a dit non. Et tu l’as ignorée. Tu es un connard irrespectueux doublé d’un prédateur !
Il est estomaqué par le commentaire. La Barbie immortelle est complètement hors de propos. Bientôt, elle va le traiter de violeur… Il a deux sœurs, bordel. Jamais de sa vie, il n’a été irrespectueux avec une fille, ça le met en rogne qu’on lui accole cette image. Les baisers volés à Bella étaient une erreur – d’accord ! – mais il n’avait sûrement pas mérité qu’on fasse son procès en règle pour ça. Il n’a rien fait de dramatique. Il aime Bella. Et, à sa manière, elle aussi l’aime. Ce n’est pas… Il a merdé en grillant les étapes, mais ça ne veut pas dire qu’il…
— Je ne suis pas un prédateur ! Tu me confonds avec ton frère, le mort-vivant qui la traque depuis qu’elle a débarqué en ville et veut maintenant la transformer en un foutu monstre !
C’est sidérant d’être jugé comme un criminel par deux vampires ayant – très certainement – du sang humain sur les mains. Juste pour un baiser. Edward Cullen a une bonne centaine d’années ; et il décidé de faire d’une lycéenne son « quatre heure », pourtant c’est lui qu’on traite de prédateur ! Il en a marre de leurs conneries. La sangsue blonde le fusille du regard et rétorque immédiatement, venimeuse.
— Non, tu es un petit garçon idiot qui ne comprend pas le sens du mot non !
Elle laisse échapper un feulement vicieux et fait un pas de plus. Jacob grogne, les muscles bandés, sa peau qui frémit et menace d’éclater. Il sent une sensation incandescente bouillonner dans ses veine. De nouveau l’appel viscéral de la transformation se fait sentir dans la situation tendue. Un injonction lointaine qui martèle son crâne face à la menace et l’incite à se glisser dans sa forme de loup. Il ne veut pas se transformer. Pas ici. Pas maintenant. Ce serait leur donner raison en leur montrant qu’il ne se contrôle pas. Leur offrir sur un plateau une excuse pour engager le combat, puis prétendre qu’il est le méchant de l’histoire.
Le méchant de l’histoire, alors qu’ils projettent de tuer Bella. Alors qu’ils prévoient de la changer en créature des enfers.
Il serre si fort les mâchoires que c’est douloureux. Il se force à respirer lentement pour garder une prise sur la réalité. Ce n’est pas facile, mais il sent soudain une vague de calme couler en lui. C’est bon, il n’entrera pas en phase, il se maîtrise…
Un mouvement attire son attention : le Balafré s’est déplacé, s’éloignant de Bella pour se placer aux côtés de Rosalie. L’homme avance d’un pas, puis tend une main vers elle, agrippant son bras dans un mouvement mécanique. Le geste est étrange. Pas agressif, mais curieusement retenu. Jacob capte son regard orageux et un frisson lui parcourt l’échine, ses instincts de loup se hérissant à nouveau violemment. Sam a raison : ce type est dangereux. Plus dangereux que tous les autres. C’est un assassin et il porte sur son visage…
— Rose.
Le Contrôleur émotionnel laisse tomber le surnom de sa sœur dans un souffle. Jacob n’est pas sûr de ce qu’il met derrière, mais la femme se tourne vers lui. Elle le considère un instant, son expression glacée, puis elle fronce les sourcils et lui adresse un infime signe de tête. Barbie reporte son attention sur Jacob. Le mépris qui déforme son beau visage de cadavre est absolu : un sourire mauvais étire lentement ses lèvres pleines, tandis qu’elle ouvre la bouche pour le sermonner avec un ton dégoulinant de sarcasme.
— Tu n’as toujours pas compris, Black ? Ta meilleure amie ne voulait pas de ton baiser. Elle n’est pas un objet. Elle a le droit de choisir avec qui elle veut être. Et elle ne veut clairement pas être avec toi. Elle t’a dit non. Plusieurs fois, il me semble ! Ne prétends surtout pas l’aimer alors que tu es incapable de la respecter. Si tu l’aimais, tu te serais arrêté dès l’instant où elle t’a repoussé !
Dilapidation en règle. Cruelle et calculée. Il sent son cœur rater un battement. Les mots frappent là où ça fait mal. Est-ce que la femme a raison ? Il se déteste un instant d’être aussi touché par ce qu’elle dit et à la manière dont elle le dit. Son discours fait sonner les choses comme s’il était un minable… Elle ne connaît presque rien de la situation et en a une vision partiale. Elle ne sait rien de lui, rien de Bella. Ni rien de ce qui les lie. Il ouvre la bouche pour répliquer, mais Rosalie siffle entre ses dents, le coupant net.
— Jazz, peux-tu lui faire ressentir ce que Bella a éprouvé tout à l’heure quand il a dit qu’elle voulait ce baiser autant que lui ?
Jacob écarquille les yeux, surpris par la requête. Jazz – puisque c’est visiblement comme ça que se fait appeler la sangsue balafrée – reste un instant immobile. Son regard est insondable, figé, un masque d’indifférence, mais il penche la tête vers Bella avec une expression méditative. Un échange silencieux, un accord muet ; puis l’atmosphère se refroidit radicalement.
C’est comme un coup de poing dans le ventre. Une nausée rampante qui le prend à la gorge. Il ne voit rien de différent dans son environnement, mais ce qu’il ressent dénote brutalement de ce qu’il éprouvait quelques secondes plus tôt. Un mélange atroce de tristesse et de colère enfle en lui … agrémenté de dégoût. Une amertume acide qui lui serre la poitrine et fait sombrer son estomac. Une honte sourde s’insinue sous sa peau, s’accroche à ses os. Et pire que le dégoût et la honte, il sent de la peur.
Une minuscule partie de lui essaie encore de nier pour la forme – veut prétendre que le Contrôleur émotionnel lui joue un sale tour en lui faisant éprouver des sentiments qui ne sont pas ceux de Bella – mais les dénégations semblent bien inconsistantes. Bien faibles. Même lui n’y croit plus.
Il repasse à nouveau dans sa tête le film des événements de la soirée ; du baiser forcé et la fuite de Bella jusqu’à cette confrontation grotesque avec les deux Cullen. Son visage chiffonné par la douleur lorsqu’elle s’était cassé le bras, les larmes sur son visage et la crise qu’elle avait piquée quand il avait voulu la raccompagner chez elle. Le fait qu’elle ait appelé un grand méchant vampire à la rescousse et ait toujours l’air bouleversée, plus d’une demi heure après l’incident. Ce qu’il avait commodément nié depuis le baiser, lui saute soudain à la figure : Bella ne joue pas la comédie. Elle ne voulait pas qu’il l’embrasse. Il lui a forcé la main. Merde.
Et, maintenant, elle a peur de lui… ça le chamboule. C’est ridicule. Jamais, il ne lui aurait fait de mal. À moins qu’il ne lui en ait déjà fait ? L’émotion parasite persiste, incontestable.
Et insoutenable.
Un frisson glacé dégouline le long de son échine, ses entrailles se nouent. Il recule, pris d’un curieux vertige et d’une écrasante vague de remords. Il comprend. Il ne veut pas comprendre, mais c’est trop tard.
Subitement, le mélange de sentiments nocifs s’évapore, Jacob inspire une goulée d’air comme s’il sortait d’un cauchemar. Il sent encore la sensation lancinante des émotions troublées de Bella s’accrocher à sa mémoire, même si elle ne comprime plus ses tripes. Les remords eux s’attardent. Il cherche à les repousser, secouant la tête pour s’éclaircir les idées. Sans succès.
Rosalie le fixe toujours, implacable. La femme sent qu’il vacille. Elle veut l’achever.
— Il n’y aura pas de second avertissement, Black. Rentre chez toi. Si tu l’approches sans y être invité ou fais le moindre geste dans sa direction sans son consentement, j’arrache ta peau, celle de ta meute et m’en fais un manteau. Tu comprends ?
— Belle image…
Le Balafré persifle, Jacob ne répond pas. Ne réagit pas à la dernière pique, son esprit est ailleurs. Il est confus, tout ce qu’il sait, c'est que la culpabilité l’étrille durement. Il voudrait dire quelque chose pour sa défense – trouver une justification, n’importe quoi – et essayer de recoller les morceaux avec Bella. Les mots ne lui viennent pas et les excuses restent coincées dans sa gorge.
Un silence pesant s’installe.
Finalement, il recule d’un pas. Puis d’un autre. Il n’a plus la force de rester. Il a l’impression de sentir le regard de Bella le transpercer tandis qu’il s’éloigne. Il se sent comme un lâche, tandis qu’il part tête baissée et les pensées sens dessus dessous. C’est trop tard pour les regrets. Il ne sait pas s’il s’agit d’un adieu et ça, plus que tout le reste, lui brise le cœur.
Jacob ne rentre pas chez lui. Il erre sans but, ses pas le guidant machinalement vers la seconde plage de La Push. La nuit est tombée depuis un moment déjà, l'air iodé s'insinue dans ses poumons à chaque inspiration profonde. Il n’en tire aucun réconfort. Il pourrait se transformer, courir dans les bois, laisser la végétation défiler à toute vitesse sous ses pattes. Courir jusqu'à oublier son propre nom.
Il ne peut pas à cause du fichu esprit de ruche de la meute : il ne veut pas entendre Sam le sermonner avec sa foutue voix d’Alpha, ni Seth tenter maladroitement de lui remonter le moral. Encore moins endurer les railleries de Paul.
Il s’assoit sur un rocher humide, les coudes appuyés sur ses genoux, Jacob fixe l’océan sans vraiment le voir. Il serre les mâchoires, incapable de chasser la sensation oppressante qui pèse sur sa poitrine. Tout ce qui s’est passé ces dernières heures tourne en boucle dans son crâne. Ça lui file la. nausée. L’adrénaline est retombée, il n’a plus personne avec qui se disputer et le voilà rendu à être seul avec lui-même. Ça n’a rien d’agréable. Ce qu’il a fait… ce qu’il a dit à Bella… Il s’en veut. Et pas qu’un peu. C'est un poids, lourd et poisseux, qui comprime ses côtes et lui bloque la respiration.
Comment a-t-il pu en arriver là ? Il sait qu’il se contrôle mal depuis qu’il est devenu un métamorphe. Il sait que son aversion pour les sangsues brouille souvent son jugement et que, parfois, il laisse cette haine viscérale dicter sa conduite. Mais ce soir… il ne peut pas leur mettre toute la situation sur le dos. Même si c’était une dispute à propos de la future transformation de Bella qui avait mis le feu aux poudres ; c’est lui qui avait perdu les pédales et avait – sans assistance – sans doute bousillé son amitié avec Bella. Est-ce que les choses sont réparables entre eux ?
Il ne trouve pas le sommeil. Il reste les yeux rivés sur la ligne d’horizon, jusqu'à ce que le ciel commence à s’éclaircir et à prendre des teintes d’un gris froid et brumeux. Ce n’est qu’au matin, harassé, qu'il se décide enfin à rentrer. Il marche comme un automate jusqu’à chez lui. Une fois arrivé, la camionnette de Bella, toujours abandonnée au milieu du terrain. Elle semble le narguer.
Lorsqu'il pousse la porte de la maison, il trouve son père assis dans son fauteuil au milieu du salon, le regard fixé sur le téléviseur au fond de la pièce. Il attrape la télécommande et éteint le poste, sans se tourner vers lui. Aucune remarque sur son absence nocturne. Aucun bonjour. Juste un silence tendu qui s’étire entre eux.
Après quelques minutes inconfortables, son père lève enfin les yeux vers lui. Ce que Jacob y lit le cloue sur place.
— J’ai reçu un intéressant coup de téléphone…
Le jeune Quileutes, cligne bêtement des yeux, abasourdi. Il a un temps mort, puis un ersatz réalisation point. L’image de la Barbie immortelle traverse immédiatement son esprit. Elle n’a tout de même pas osé ?
Voyant qu’il reste muet, son père se décide à finir la phrase qu’il avait laissée en suspend.
— Un coup de téléphone de Jasper Cullen**.
Sa voix est d’un calme plat, mais Jacob sent son estomac se retourner. Dans les prunelles sombres, il y a bonne dose de colère, mais ce n’est pas ce qui fait frémir et lui donne envie de se recroqueviller. Derrière la colère, il y a une amère déception.
Et ça – comme la peur de Bella – c'est pire que tout le reste.
En l’espace d’une nuit, il a réussi à blesser deux des personnes qu’il aime le plus au monde.
Juste pour un baiser.
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Notes : * Le lien télépathique des membres de la meute lorsqu’ils sont métamorphosés (ou "entrent en phase" selon le vocable de la saga) me semble tout de même bien catastrophique en terme d’intimité… je les plains les louveteaux !
** Sam et les anciens de la tribu ne connaissent pas le patronyme de Jasper et l'appellent Cullen.
Voilà pour le numéro d’équilibriste (j’ai eu quelques difficultés à me mettre à l’écriture, même si j’avais l’idée en tête depuis plusieurs mois) autour des ressentis de Jacob à propos du fameux baiser dérobé ;) J’hésite un peu à faire une conclusion du point de vue d’Edward… toujours un soupçon de regret quand je dois mettre un terme à une histoire ^^