Une dernière promesse

Chapitre 4 : Ceux qui restent derrière

2988 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/09/2020 11:14

Confortablement installé sur le lit d'auscultation, Frisk se pliait aux différents tests du docteur Alphys. L'adolescent suspectait qu'elle savait très bien qu'il n'avait rien, mais ne parvenait pas à éloigner Undyne et Papyrus pour avoir une conversation plus privée. Dans tous leurs états, la femme-poisson et le squelette s'inquiétaient réellement de son état de santé, même s'il en faisait un peu trop pour des yeux un peu gonflés. Il avait entendu Papyrus appeler Toriel quelques minutes plus tôt, il allait devoir ruser pour avoir quelques minutes de tranquillité.


Une idée lumineuse lui traversa l'esprit. Il regarda soudain autour de lui, complètement affolé, ce qui alerta immédiatement ses deux gardes du corps désignés.


"Oh non ! J'ai perdu mon téléphone quand on est descendus ! Maman va me tuer !"


La mâchoire de Papyrus se décrocha presque à la simple pensée de ce que Lady Toriel pourrait lui faire si elle apprenait que la perte de l'appareil était de sa faute. En quelques secondes, ils déguerpirent pour voler à la rescousse du malheureux mobile de l'adolescent. Frisk poussa un soupir, rassuré, avant de se redresser de la banquette. Il se dégagea des trois couches de couvertures dans lequel le squelette l'avait enroulé et posa enfin pied à terre. Alphys lui lança un regard complice avant de s'approcher de lui.


"Je-Je savais que-que tu-tu-tu le faisais exprès. Il-Il-Il y a un problème dont tu-tu voulais me parler ?"


L'adolescent replia ses jambes contre lui, mal à l'aise. Il ne savait pas vraiment s'il était déjà prêt à en reparler à voix haute à quelqu'un. L'annonce lui serrait toujours le coeur et cette épée de Damoclès géante qui pesait sur Sans l'opprimait. Il chercha ses mots, mais il se rendit compte rapidement que de nouvelles larmes coulaient le long de ses joues.


Pas très douée en relations sociales, Alphys se contenta de le fixer les yeux ronds, avant de faire un tour sur elle-même pour récupérer la boîte de mouchoirs. Elle la déposa sur le lit, puis monta l'escabaut pour le rejoindre. Frisk se blottit dans ses bras. Enfin... Il se colla à elle et la dame-lézard essaya de positionner maladroitement ses mains en s'excusant à chaque fois qu'elle le touchait. Cela eut au moins pour mérite de rassurer l'adolescent qui la gratifia d'un sourire timide.


Il prit une grande inspiration avant de s'adresser enfin à elle.


"Sans m'a dit qu'il était malade et qu'il allait mourir."


Elle se figea, avant de baisser les bras pour le serrer contre elle. Il l'entendit marmonner un "mais quel idiot" de circonstance, avant de baisser la tête vers lui. Mal à l'aise, elle poussa à son tour un soupir avant de jouer avec ses mains.


"Oui... J'ai-J'ai fait tout ce-ce que j'ai pu-pu pour l'aider, mais... Je-Je suis désolée, Frisk. Tu-tu n'aurais pas-pas dû l'apprendre comme ça. Il aurait dû-dû le dire-dire bien avant."


Une pointe de rancoeur était perceptible dans sa voix. Elle avait dû essayer plusieurs fois de convaincre le squelette de parler. Frisk était bien placé pour savoir qu'il avait refusé avec une vanne moisie pour cacher sa propre détresse, comme d'habitude. Mais c'était de cette manière que fonctionnait Sans, il ne pouvait pas lui en vouloir. Il n'avait jamais été quelqu'un de très ouvert sur les choses le touchant de trop près, comme s'il craignait que quelqu'un s'en serve contre lui. Frisk sentit son ventre se serrer. Il avait sans doute contribué à le pousser dans ce sens lorsqu'il s'en était pris à son frère juste pour se venger de tout ce qui était arrivé dans ce maudit couloir, des centaines et des centaines de fois. Quelque part, heureusement qu'il était le seul au courant. Certains ne l'auraient jamais pardonné. Peut-être pas Papyrus, qui croyait dur comme fer au changement, mais Undyne, Alphys ou Asgore, n'auraient pas réagi de la même manière s'ils savaient ce qu'il avait fait.


Il se souvenait encore parfaitement du regard de Undyne lorsqu'elle s'était rendue compte pour la première fois que Papyrus n'était pas au rendez-vous. Frisk avait testé différentes lignes temporelles. Dans plusieurs d'entre elles, la guerrière retournait à Snowdin après leur première course poursuite pour ne découvrir que de petits tas de cendres. Frisk ne l'avait jamais vue aussi silencieuse et sérieuse qu'à ce moment-là. Lorsqu'elle avait trouvé l'écharpe de Papyrus, bien avant Sans, elle s'était effondrée. Et puis quelque chose d'autre avait poussé dans ses yeux, une haine, une détermination sans faille qui les avaient conduits tous les deux vers leur combat final. Elle était morte ensuite, comme les autres, mais elle avait laissé Frisk au bord de la mort à plusieurs reprises.


Si elle savait ce qu'il avait fait, les choses ne seraient plus jamais les mêmes. Undyne avait cette mentalité à double-tranchant : elle donnait sa confiance sans contrepartie et faisait une alliée fidèle jusqu'à la mort, mais il suffisait d'une fois, d'une trahison pour qu'elle change radicalement d'opinion et devienne agressive, voire violente. Plusieurs fois, après la mort d'Asgore dans les routes neutres, elle avait pris le contrôle des Souterrains. A chaque fois, le royaume plongeait dans une tyrannie implacable.


Pour les autres, il était plus simple de trouver des raisons à pourquoi ils ne pardonneraient pas. La vie d'Alphys reposait presque entièrement sur celle d'Undyne. Elle était son modèle et idéal de vie. Frisk le voyait tous les jours. Depuis qu'ils étaient arrivés à la surface, Undyne poussait sans cesse Alphys à se surpasser. Lorsqu'elle était devenue ambassadrice de la science et de la médecine des monstres, elle avait rejeté toute sa pression dans sa future femme, qui avait tout encaissé sans broncher. Frisk ne savait pas vraiment comment elle avait vécu les routes génocides -et par conséquent la mort d'Undyne-, mais il n'avait aucun mal à l'imaginer.


Quand à Asgore, comment pardonner à quelqu'un qui avait pris la vie aux dernières personnes qui s'apparentait à sa famille ? Le roi n'était pas forcément au meilleur de sa santé mentale à l'époque. S'il s'était rappelé, il aurait profondément plongé dans la folie. Quelque part, c'était le cas de Sans. Il pensait sans doute que Frisk ne s'en rendait pas compte, mais l'adolescent voyait bien son oeil briller parfois lorsqu'il tenait un couteau pour faire la cuisine, ou lorsque Papyrus l'étouffait dans un câlin. Il avait pardonné, mais il n'oublierait sans doute jamais entièrement. Un peu comme lui, même s'il avait fait au mieux pour cloîtrer la responsable de tous ses problèmes là où elle ne pourrait plus l'atteindre. C'était plus facile comme ça : rejeter tous les problèmes sur Chara lui permettait de garder bonne conscience, quelque part. Mais il n'oubliait pas que c'était lui qui avait commencé ça. C'était lui qui avait frappé Toriel le premier, dans les ruines. La suite n'avait été qu'une descente aux enfers sans espoir de retour.


Un frisson lui remonta l'échine alors qu'il sortait doucement de sa transe. Alphys était descendue du matelas et faisait les cent pas dans la pièce en marmonnant à voix basse. Frisk ne saisissait pas tout, mais comprit qu'elle insultait Sans pour son manque de courage.


"Il n'y a vraiment rien à faire ? s'entendit-il demander. Même... Même avec ma détermination ?

— Oh, F-Frisk... C'est très dangereux. Tu as-as vu ce qui-qui s'est pa-pa-passé avec les autres."


Elle faisait référence aux amalgames, les créatures visqueuses qui habitaient autrefois le sous-sol de son laboratoire... Ou plutôt du laboratoire de l'ancien scientifique royal. Frisk avait passé du temps à rassembler des informations sur son compte, étant donné que personne, pas même Sans, ne semblait se rappeler de lui. Pourtant, les écrits sur les murs étaient de sa main, et Frisk avait croisé plusieurs fois d'étranges monstres à la peau grise qui parlaient d'un certain W.D.Gaster. C'était malheureusement les seules preuves de son existence. Le nom avait l'air de déranger les monstres, alors il n'avait pas insisté, mais de nombreuses questions hantaient encore parfois son esprit à ce sujet.


Quoi qu'il en soit, les amalgames étaient des expériences ratées d'Alphys. Après la guerre, plusieurs monstres mourants avaient été placés en quarantaine afin d'essayer de les sauver. Alphys, et peut-être même l'ancien scientifique royal, avaient tenté de leur injecter de la détermination, l'essence qui permettait notamment à Frisk d'utiliser le pouvoir du "Reset" et de prendre les âmes des monstres les plus puissants afin de combattre plus facilement les autres grâce à une montée du niveau de violence. Si dans un premier temps, l'expérience avait fonctionné, les créatures avaient ensuite fondues les unes avec les autres, créant des abominations de créatures fusionnées et à la conscience commune. Alphys les avait caché longtemps, étant incapable de résorber le processus, pour la simple et bonne raison qu'elle ne se rappelait pas l'avoir réalisé en premier lieu. Les dernières traces de ces expériences étaient ses écrits et d'étranges machines couvertes d'instruction dans une langue incompréhensible.


L'histoire avait malgré tout connu un tournant plus heureux. Après que les monstres aient rejoint la surface, Alphys fut bien obligée de laisser sortir les créatures de son laboratoire. La scientifique avait fini par s'attacher à eux et refusait de les abandonner à leur sort dans les Souterrains. La vérité avait été dure à avaler pour les survivants et les descendants des monstres prisonniers de ces abominations, mais l'âme des monstres n'est composée que de compassion et ils avaient fini par pardonner à Alphys. Par ailleurs, cette dernière continuait de suivre leurs progrès de très près, et tous ses "bébés" paraissaient ravis de la retrouver lors de leur check-up mensuels. Frisk avait un peu de mal avec ces créatures, mais s'était finalement lié d'amitié avec Endogeny, une meute de chiens soldats qui adorait se faire papouiller de partout.


"Mais tu m'as dit que les expériences s'étaient mal passées parce que l'âme des humains utilisés était mourante. Peut-être que cette fois, ce sera différent ?

— F-Frisk... J'ai déjà de-demandé à Sans... Mais... Il ne veut pas prendre le risque. Il-il a dit que-que s'il doit-doit partir, il veut que-que ce soit chez-chez lui et pas dans un-un laboratoire."


L'adolescent baissa la tête. Il s'attendait aussi à cette réponse. Sans avait sans doute prévu que Frisk essaie de trouver une solution avec Alphys de toute manière, il leur aurait mis des bâtons dans les roues. Mais que devait-il faire alors ? Accepter qu'il allait partir bientôt ? Il n'avait pas l'impression de réaliser ce qui se passait, comme si son cerveau reniait simplement l'idée. Il n'arrivait plus à réfléchir. Et puis, qu'était-il censé dire à Papyrus une fois que ce serait fait ? "Oh, en fait je savais tout". Le pauvre allait être dévasté.


L'adolescent serra les poings, en colère. Il était en colère contre Sans pour l'abandonner dans cette situation, en colère contre lui-même pour ne rien pouvoir y faire et en colère contre sa mère qui l'avait détourné de chez lui au moment où le squelette en avait sans doute le plus besoin. Avait-il essayé d'envoyer des signaux pendant tous ces directs où il l'avait aidé à faire ses devoirs ? Depuis combien de temps au juste essayait-il de lui dire ? Et si le problème, c'était lui qui n'avait pas fait assez attention ?


"Frisk ! Tu es là !"


Toriel entra comme une furie dans la pièce et vint serrer son fils dans ses bras. Elle aussi avait les yeux rouges. A sa grande surprise, Asgore la suivait de près. Ses cornes passaient difficilement la porte, mais il avait l'air lui aussi très inquiet. Frisk serra sa maman contre lui et chercha mentalement des excuses.


"Sans m'a dit que tu avais décidé d'aller voir les oiseaux en haut de la montagne. Mais qu'est-ce qui t'as pris ? On venait à peine d'arriver !

— Je... Euh... Je voulais voir s'il y avait des bébés depuis la dernière fois où on y a été, mentit-il. Sans m'a accompagné jusqu'en haut, et après il a commencé à s'endormir donc je lui ai dit de rentrer sans moi. Je ne voulais pas t'inquiéter, maman. J'ai juste oublié de laisser mon téléphone allumé."


Elle recula et plissa les yeux, comme pour lire entre les lignes. Frisk se mordit la lèvre en espérant qu'elle gobe le mensonge. Elle ne le crut qu'à moitié, il en était sûr, mais elle ne rajouta rien. Doucement, Toriel lui prit la main et le fit descendre de la table. Il était temps de rentrer.


"Merci encore, docteur, dit sa mère à Alphys. Nous sommes désolés de vous avoir dérangé dans votre travail.

— Ce-ce n'est rien, madame Dreemur, ça-ça ne me dérange pas."


Ils s'apprêtaient à quitter les lieux quand Papyrus et Undyne déboulèrent par la fenêtre. La femme-poisson avait les cheveux emmêlés, couverts de brindilles et autres plantes vertes. Frisk n'aurait pas aimé être le buisson qu'elle avait retourné. Le squelette, au bord de l'attaque cardiaque, tomba comme une masse sur le dos, bras et jambes écartés en étoile. La guerrière se mit au garde-à-vous en s'apercevant qu'Asgore était là, avant de donner un coup de pied dans le tibia de son ami pour qu'il en fasse de même. Papyrus leva pitoyablement le bras et le mit à son front dans une tentative de salut militaire.


Frisk fit mine de chercher dans ses poches, puis écarquilla ses yeux de manière exagérée avant de sortir son téléphone de sa poche. Undyne braqua son regard sur lui, comprenant immédiatement qu'elle avait été trompée.


"Oh, il était juste dans ma poche ! dit l'adolescent d'une voix un peu trop surjouée. Désolé de vous avoir fait courir pour rien.

— Ce n'est pas grave, humain Frisk, répondit Papyrus, essoufflé. Le... Le grand Papyrus ne rechigne jamais à faire du sport... Même... Même lorsqu'il faut monter la montagne pour la deuxième fois de la journée.

— Oh, mon pauvre Papyrus, le materna Toriel. Viens, Asgore va nous ramener chez nous. Frisk, va l'aider à se relever.

— Hum, oui, allons-y, approuva Asgore. Docteur Alphys, pourrez-vous passer chez moi quand vous aurez deux minutes ? Nous devons préparer le discours de notre petit ambassadeur pour après-demain, et j'ai besoin d'aide sur l'aspect scientifique. Undyne, nous nous voyons toujours demain pour parler sécurité ?

— Affirmatif ! Je la traînerais hors de son laboratoire, dit-elle en pointant sa femme du doigt. Comptez sur moi. Soldat Papyrus, rendez-vous demain soir pour la soirée anime ! Repos !"


Frisk tendit une main au squelette et le tira jusqu'à ce qu'il tienne sur ses jambes. Ils remercièrent encore une fois Alphys et Undyne avant de rejoindre la voiture d'Asgore, garée devant le bâtiment. Les deux adultes Dreemur montèrent devant. Frisk monta avec Papyrus à l'arrière. Le squelette étant trop grand pour la voiture, il fut obligé de mettre ses jambes de biais, empiétant largement sur la place occupée par son ami humain.


Dès que les portes furent fermées, tant bien que mal, le véhicule décolla du sol et rejoignit la grand route, qui flottait vingt mètres au-dessus d'eux. Comme un enfant, Papyrus se colla à la vitre pour mieux apprécier le paysage. Ces petits bijoux de technologies, conçus par l'équipe d'Alphys, étaient encore chers et rares. Le roi avait été l'un des premiers à y avoir droit. De plus en plus de monstres les obtenaient par cadeau. Le véhicule de Sans et Papyrus était d'ailleurs en préparation. Frisk voulait l'offrir pour l'anniversaire du cadet au début du mois prochain. Papyrus avait toujours voulu une voiture, et il avait récemment eu son permis (non sans difficulté, il avait fallu s'y reprendre cinq fois pour qu'il réussisse l'examen -avec un peu d'aide de Sans qui manipulait les freins avec sa magie-). Frisk n'était pas très rassuré de le laisser conduire seul, mais il était presque certain que tout se passerait bien.


Le trajet ne dura pas si longtemps que cela, à peine une quinzaine de minutes. Toriel et Asgore ne s'adressèrent pas un mot durant tout le trajet, comme d'habitude. Quelque part, Toriel l'avait quand même appelé à la rescousse, signe que tout n'était pas perdu, mais Frisk savait que le couple qu'ils formaient autrefois n'était plus qu'une illusion. Le seul qui anima le trajet fut Papyrus, pour se plaindre de son planning non-respecté et du retard qu'ils avaient pris pour aller à la plage. De toute manière, l'adolescent ne se sentait pas vraiment d'humeur pour ça. Plus ils approchaient de la maison des frères squelettes, plus son estomac se serrait. Il y avait de fortes chances que Sans soit endormi dans sa chambre, mais Frisk ne pouvait s'empêcher de réfléchir à comment il devait réagir s'il était dans le salon. Sans n'était pas idiot, il savait très bien pourquoi il avait mis autant de temps à rentrer.


Mais quelque part, cela lui permettait d'appréhender plus sainement la question de Papyrus. Ce dernier n'avait rien remarqué pour l'instant. Si tout était aussi simple que maintenant, peut-être que la situation n'était pas forcément désespérée après tout.


Il avait bien le droit de rêver.


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