Une dernière promesse

Chapitre 11 : Au fil du vent

3081 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/09/2020 18:09

Debout au sommet de Mont Ebott, Frisk admirait la vue, une énorme jarre noire à ses pieds. Papyrus se tenait à côté de lui, le regard vide, comme bien souvent depuis le départ de son frère. 


Une semaine s'était écoulée et les choses revenaient peu à peu à la normale. Si tant était qu'elles avaient un jour été normales. Le matin-même, la cérémonie funéraire avait eu lieu. Beaucoup de monde était venu dire au revoir à Sans, des monstres, bien sûr, mais aussi quelques humains. S'il savait qu'il était si populaire, il aurait sans doute rougi. Sans n'était pas exactement le type de personne qui souhaitait particulièrement des amis. Il attirait simplement la sympathie.


La cérémonie était restée très sobre. Chacun avait pris la parole à tour de rôle. Toriel avait regretté de ne l'avoir connu "en os" que quelques années, Grillby pleura sa note à jamais non-payée et promis de l'encadrer dans son restaurant avec sa plus belle bouteille de ketchup deluxe, Asgore parla de son courage sans faille et de ses jugements aiguisés... Puis vint le tour de Papyrus. Le squelette avait prononcé quelques mots avant de fondre en larmes. Frisk l'avait remplacé et avait essayé de garder la tête froide les douze longues minutes qu'avait duré son discours. Il était resté vague, personne ne savait vraiment à quel point Sans avait été important pour leur nouvelle vie à la surface. Undyne avait terminé la cérémonie en lui donnant les hommages militaires pour son service de sentinelle, et le fit garde royal à titre posthume, afin qu'il continue de veiller sur les rois du passé. Après ça, chacun avait tracé sa route, à l'exception des amis les plus proches du squelette, qui avaient pris la route du sommet de Mont Ebott.


Ils se tenaient derrière eux, silencieux : Toriel, Asgore, Grillby, Undyne et Alphys. Frisk et Papyrus avaient décidé de disperser ses restes là où il avait mis pour la première fois les pieds à l'extérieur, à la nuit tombée. Celle qui se présentait à eux était exceptionnelle. Lorsqu'ils ouvrirent le bocal, comme pour répondre, une pluie d'étoiles filantes zébra le ciel. Les cendres s'envolèrent paisiblement au rythme du vent depuis la jarre tenue par Frisk et Papyrus. C'était ce qu'il aurait voulu. Être enfin libre et ne plus s'inquiéter de rien, passer l'éternité à faire la sieste et prendre le soleil. Frisk espérait sincèrement que ce soit le cas. Il était bien placé pour savoir que certaines âmes avaient parfois du mal à abandonner. Et Sans, contrairement à ce qu'il voulait faire croire, faisait partie de ceux-là.


Que se passerait-il s'il restait coincé ici ? Ou pire, s'il rencontrait Chara ? Il ne s'était pas battu autant d'années pour simplement se retrouver coincé pour l'éternité avec celle qui l'avait propulsé en enfer. Et puis s'il était encore là, il se serait déjà manifesté. Après tout, il avait tout raconté à Papyrus contre sa volonté et ça ne lui aurait vraiment pas plu.


Bientôt, le bocal fut intégralement vidé. Ils restèrent tous à regarder la poussière se disperser au gré du vent, avant d'enfin décider de rentrer. Après tout, la journée serait encore longue. Le discours de l'ambassade avait été décalé au lendemain. Asgore avait fait ce qu'il avait pu pour lui accorder un délai plus long, mais le président considérant déjà son absence comme un affront refusé d'accepter le deuil comme excuse. Cette insensibilité, bien loin d'abattre l'enfant, l'avait rempli de détermination. Il avait travaillé avec Undyne, Toriel et Asgore sur le discours et en était plutôt satisfait. Le problème était que le président refusait de revenir dans la citadelle des monstres. Ils allaient devoir prendre la route jusqu'à Ebott City dans l'après-midi pour rejoindre la cité.


Le voyage du retour se fit dans le silence. Undyne, Alphys et Asgore restèrent manger chez Papyrus pour pouvoir partir plus rapidement. Les valises étaient prêtes, toutes entassées dans un coin. Cependant, même si Toriel essayait de réchauffer l'ambiance et d'encourager le groupe, la bonne humeur habituelle qui précédait les discours de l'ambassade n'existait plus. Papyrus avait le visage fermé et tremblait en servant les pâtes. Undyne était distraite, le regard perdu vers l'extérieur, tout comme Alphys qui tapait frénétiquement sur son téléphone et évitait de croiser le regard de quiconque. Même Asgore, qui paraissait jusque là être celui qui supportait le plus les événements avait perdu le sourire.


"J'ai entendu dire que des émeutes ont éclaté en ville suite à l'annonce du discours, dit calmement Asgore après un long silence. J'espère qu'il n'y aura pas de blessés. Undyne, où en sont les effectifs ?

— Les canins vont nous escorter jusqu'à l'hôtel. Papyrus et moi allons nous occuper de votre sécurité et de celle de Frisk. Personne n'est autorisé à s'approcher à cinq mètres, et j'ai fait le lien avec les policiers d'Ebott City pour qu'on ait champ libre côté médias. Mettaton sera le seul autorisé à nous suivre avec son équipe, bougonna-t-elle, mais seulement parce qu'il prend le train avec nous. Foutu robot. Si je pouvais, je lui ferai avaler sa caméra.

— Elle est-est seulement or-or-nementale, rit Alphys. La-La vraie caméra est-est dans ses-ses yeux.

— Quoi ? Mais pourquoi il a une équipe alors ? s'étonna la guerrière.

— Caprice, s'excusa simplement la scientifique."


Elle poussa une longue plainte avant de s'affaler sur la table.


"Papyrus, aide-moi à convaincre Alphys qu'on a pas besoin de ce tas de ferraille."


Tous les visages se tournèrent vers le squelette. La tête appuyée sur sa paume de main, il fixait la veste de Sans (celle de Frisk, à présent), posée sur le canapé. Il ne leur parut pas avoir entendu la question de la garde royale. Undyne fronça les sourcils, avant de se radoucir.


"Pap', tu es avec nous ?

— Hum ? appela le squelette. Oh, je... J'étais ailleurs, désolé. Vous avez terminé de manger ? Je vais débarrasser."


Il récupéra les assiettes et regagna la cuisine sans dire un mot. Frisk le suivit des yeux, l'air inquiet. Asgore posa une main compatissante sur son épaule et lui adressa un sourire réconfortant. Undyne, elle, n'insista pas.


En début d'après-midi, la joyeuse petite troupe embarqua dans les voitures d'Asgore et d'Undyne en direction de la gare : Undyne, Alphys et Frisk dans la première, Asgore, Toriel et Papyrus dans la deuxième. Frisk apprécia de se retrouver un peu à l'écart de ses parents et du frère de Sans. Pendant quinze minutes, Undyne parla de tout et de rien, à commencer par sa robe de princesse d'anime qu'elle voulait mettre pendant son mariage. Elle essaya même de convaincre Frisk d'en porter une lui aussi, et l'adolescent promit d'y réfléchir. La dernière fois qu'il avait écouté quelqu'un pour choisir sa tenue, il avait terminé déguisé en feuille de salade dans un sandwich géant imaginé par Sans pour Halloween. La tête des gens chez qui ils avaient sonné avait été très drôle. Du moins jusqu'à ce que Sans, une des deux tranches de pain, décide qu'il était trop fatigué et fasse une sieste dans le chariot à bonbons. Le sandwich ne ressemblait plus à rien et Papyrus, déguisé en tranche de jambon, lui reprocha pendant trois semaines d'avoir perdu le concours du meilleur costume juste à cause de sa fainéantise. Ce petit interlude lui redonna le sourire. Alphys ne contredit pas sa fiancée de tous le trajet, mais le rouge qui lui montait aux joues montrait qu'elle approuvait vivement l'idée.


"Au fait, tu es officiellement notre damoiseau d'honneur.

— Undyne ! C'était-C'était une surprise ! On-on devait lui-lui annoncer après le-le discours.

— Oh, d'accord ! Tu es officiellement notre non-damoiseau d'honneur."


Alphys se claqua le front de la main alors que Frisk éclatait de rire. La nouvelle lui réchauffa un peu le coeur. Après tout, s'il n'était pas tombé dans les Souterrains, ces deux-là se tourneraient encore autour sans jamais oser avouer ce qu'elles ressentaient vraiment l'une pour l'autre. C'était l'une des rares choses pour laquelle il éprouvait une réelle fierté, et il le hurlerait haut et fort le jour de leur mariage.


La voiture ralentit à l'approche de la gare. Undyne, dans toute sa délicatesse, força une place entre le mur et une voiture mal garée. Le mur s'en sortit à bon compte. Les deux voitures, c'était une autre histoire. L'affaire s'avéra d'autant plus complexe lorsque la question de la sortie se posa. Les trois passagers crapahutèrent au-dessus des valises pour sortir par le coffre. Asgore, Toriel et Papyrus qui arrivaient derrière eux leur lancèrent un regard désapprobateur, en particulier le roi, qui était le propriétaire officiel de la voiture de fonction qu'elle conduisait. Loin de s'en formaliser, la guerrière lui adressa de grands signes pour l'encourager à se garer derrière eux. Malgré sa bonne volonté, l'ancien couple royal choisit d'arrêter leur véhicule un peu plus loin et dans les règles.


Une fois les valises déchargées, ils retrouvèrent leur escorte canine. Les cinq gardes-chiens étaient attroupés au pied d'un gros arbre et discutaient de la meilleure façon d'attraper l'écureuil qui les narguait quelques mètres plus haut. En voyant Frisk, ils lâchèrent toutes leurs armes pour venir lui faire la fête la queue battante. Une session de gratouilles derrière les oreilles plus tard, tout ce beau monde prit place dans la locomotive privée du roi Asgore Dreemur. Etant donné le nombre de personnalités importantes de la ville et les risques de l'accueil à Ebott City, il fallait au moins ça pour être serein. Frisk s'installa dans la capsule de Undyne, Alphys et Papyrus.


Ils jouèrent à la console tout le temps que dura le trajet. Si Papyrus, qui avait temporairement retrouvé son esprit combattif, et Undyne dominaient le jeu, Frisk réussit à les prendre tous les deux à revers en leur volant de peu la victoire lors d'une course sur Mario Kart. La vicieuse petite carapace bleue qu'il avait gardé toute la partie les avait surpris tous les deux à quelques mètres de la ligne d'arrivée. Ils étaient arrivé dernier, et la guerrière ne décolérait toujours pas, comme s'il s'était attaqué à son honneur, alors que les premiers bâtiments de la capitale apparaissait à l'horizon.


Pourtant, la bonne humeur qui s'était installée dans le train disparut dès l'entrée en gare. Le véhicule fut immédiatement la cible de projectiles. Plusieurs gros rochers s'écrasèrent sur leur vitre, et l'un d'eux réussit même à créer une large fissure. Undyne décida de faire changer Frisk et Papyrus de place, pour cacher l'enfant de la vue des trop nombreux manifestants qui les attendaient de pied ferme sur le quai, repoussés tant bien que mal par un cordon de policier si petit que les hommes semblaient se faire engloutir par la foule. Ce n'était définitivement pas le même accueil que dans la capitale des monstres. Le train ralentit puis s'arrêta enfin.


"Ils sont trop agressifs, s'énerva Undyne. Pap', va chercher les chiens. On va encadrer la famille royale de près. Frisk, Alphys, vous restez bien derrière moi.

— Tu es sûr que ça va aller ? s'inquiéta l'adolescent d'une voix angoissée. Ils n'ont vraiment pas l'air commode.

— Je défie l'un de ces minables de nous attaquer, dit-elle d'un ton qui ne présageait rien de bon."


Alphys et Frisk s'échangèrent un regard incertain avant de la suivre dès l'arrivée des gardes royaux. La route jusqu'à la sortie allait être compliquée. Frisk prit la main que Toriel lui tendait avec grand plaisir. Undyne se plaça devant lui et Papyrus juste derrière. Le squelette plaça une main rassurante sur son épaule et ils s'engagèrent vers l'immense foule. Dès qu'ils reconnurent Asgore, les manifestants devinrent hystériques.


"Assassin !

— Mangeur d'enfants !

— Traîtres impurs !"


Les insultes fusèrent de tous les côtés et le maigre cordon de policier se retrouva fragilisé par la charge des manifestants. Plusieurs cailloux volèrent dans leur direction, mais les chiens les bloquèrent de leur lance. Tout du moins les premiers. Ensuite, un homme réussit à passer les forces de l'ordre humaine, puis un second. En un instant, ils furent encerclés par des manifestants en colère. Les chiens firent de leur mieux pour garder leur sang froid malgré les coups de plus en plus nombreux qui pleuvaient sur eux. Toriel fut violemment bousculée et lâcha la main de son fils, qui se retrouva à découvert. Il put lire toute la haine derrière le regard des hommes qui lui faisaient face. L'un d'eux lui aggripa le bras et tenta de le tirer vers eux. Frisk poussa un cri de détresse et Papyrus déboula devant lui pour le protéger. Leur groupe avait complètement explosé désormais, et il n'arrivait plus qu'à apercevoir Mettaton au loin, en train de hurler sur un homme qui venait de lui mettre une main aux fesses.


"Reculez, demanda sèchement Papyrus.

— Ou quoi ? rugit l'homme qui lui fit face."


C'était un trentenaire blond aux bras couverts de tatouage. Il empestait l'alcool et son pantalon était déchiré dans l'entrejambe, signe qu'il s'était déjà battu aujourd'hui. Ses copains rirent à sa remarque comme s'il s'agissait de la meilleure blague qu'ils avaient entendus depuis des siècles. Frisk tira le bras de Papyrus.


"On s'en va, supplia-t-il."


Papyrus hocha la tête et fit l'erreur de leur tourner le dos. Une bouteille de vin s'abattit brutalement sur l'arrière de son crâne et il tomba à terre, sonné. Horrifié, Frisk vit la foule se jeter sur lui. Dans un réflexe idiot, il se jeta dans ses bras et l'encercla pour amortir les coups. La suite devint floue. Ce ne fut qu'un enchaînement de douleur, de cris et d'appels à l'aide. Les caméras des journalistes ne ratèrent pas une miette de la scène, mais aucun ne tendit la main pour les sortir de là. Après quelques secondes, Frisk éclata en sanglots, incapable de supporter les coups plus longtemps, et il s'accrocha à l'écharpe de Papyrus comme si sa vie en dépendait, ce qui était sûrement le cas.


Undyne finit par s'apercevoir de la situation. Elle abandonna toute diplomatie et saisit le blond au cou. Elle lui offrit sa plus belle droite et Frisk jura que sa mâchoire se déboita sous l'impact. Sans relâche, elle frappa et donna des coups de lance jusqu'à ce que le groupe qui s'était rassemblé autour d'elle estime qu'elle représentait une menace trop importante pour s'y risquer.


"Papyrus ! pleura Frisk en se redressant difficilement."


Le squelette était inconscient et son crâne zébré de vilaines fissures. Par chance, Frisk avait encaissé tous les coups en direction de ses côtes et il s'en sortait sans trop de mal. Undyne souleva l'adolescent d'une main et le glissa sur ses épaules. Elle attrapa ensuite Papyrus sous les bras et le traîna vers la sortie où le reste de leur escorte attendait, à l'abri dans la petite supérette de la gare. Les autres n'étaient pas en meilleur état. Dogamy et Dogaressa pansaient l'épaule de Doggo, salement amochée. Asgore se tenait la cuisse en grimaçant et une de ses cornes était brisée. Toriel avait une vilaine trace de morsure au bras. Seule Alphys semblait avoir réussi à se glisser dans la foule sans trop de difficulté.


"Frisk ! cria sa mère, horrifiée."


Elle se précipita à son chevet et lui retira les lambeaux de sa chemise. Il ne pouvait pas voir son dos, mais il devina sans mal que les traces auraient cette fois du mal à s'effacer. Son bras cassé lui faisait également mal, mais un sort de soin vint calmer rapidement la douleur. Elle le fit asseoir à côté d'Alphys avant de rejoindre Undyne qui essayait de secouer Papyrus pour qu'il ouvre les yeux. Elle tremblait légèrement, et son air inquiet était loin d'être habituel. Le squelette ne tarda cependant pas à reprendre conscience. Toriel appliqua un sort de soin sur sur sa tête, et mis à part une vilaine fissure qui traversait l'arrière de son crâne, la plupart de ses blessures s'évanouirent grâce à ses soins.


Derrière la grille fermée du magasin, les manifestants continuaient de beugler et de tenter de les atteindre. L'épicier les prit en pitié et décida de les accompagner vers la sortie de service, plus discrète. Asgore avertit les taxis qui devaient les prendre et ils réussirent enfin à s'échapper de cet enfer. Frisk insista pour rester avec Papyrus, trop inquiet pour sa santé. Undyne en fit de même. Dès que la porte claqua, la guerrière lança un regard vide à Papyrus qui somnolait déjà contre la vitre, puis elle s'effondra totalement à côté de Frisk.


"Je savais qu'il n'aurait jamais dû rentrer dans la police, murmura-t-elle. Il est blessé, ou pire, et c'est de ma faute. Je suis stupide ! Stupide !

— Eh, ne t'inquiète pas, tenta Frisk pour la rassurer. Il s'en remettra. Et puis, sans lui, je ne sais pas si..."


Il préféra ne pas terminer sa phrase. Il ne voulait pas savoir ce que la foule lui aurait fait si Papyrus ne s'était pas interposé.


Le chauffeur leur annonça que deux heures de trajet les attendaient pour gagner l'hôtel, situé en plein centre-ville. Frisk se blottit contre Papyrus, qui passa distraitement une main autour de lui.


Frisk se força à lui sourire pour faire bonne figure, mais cela ne dura pas. Il réalisait peu à peu que ce discours n'était pas comme les autres, et reconnut même que, pour la première fois depuis qu'il était nommé ambassadeur, la situation lui échappait complètement.


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