Une dernière promesse

Chapitre 23 : Dans l'œil du démon

2793 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/11/2020 21:10

La porte de l'ascenseur s'ouvrit sur un gigantesque chien blanc au visage fondu et dégoulinant de cette espèce de bave blanche gluante. Dès qu'il aperçut la scientifique, il s'étira, les fesses en l'air et la queue battant, envoyant des petits morceaux de son corps partout autour de lui. La scientifique lui tapota gentiment la tête. Endogeny se pencha vers Frisk et le renifla avec attention. Il poussa un grognement sourd, mais l'adolescent eut juste à le gratter derrière ce qu'il supposa être son oreille pour que l'énorme créature se roule sur le dos.


"Je-je vais aller le-le nourrir, expliqua Alphys. Lui et les-les autres. Sans, est-ce que tu-tu peux emmener Frisk dans la sa-salle principale et lui faire une-une prise de sang ? J'a-J'arrive."


Le squelette hocha la tête puis fit signe à Frisk de le suivre. Endogeny prit l'autre direction avec Alphys, visiblement ravi d'aller prendre son petit-déjeuner. Frisk suivit nerveusement son ami à travers les couloirs. Cet endroit lui donnait toujours autant la chair de poule malgré le nombre de fois où il l'avait traversé. Il ne saurait expliquer ce qui le dérangeait exactement : l'atmosphère ? Les Amalgames ? Les écrits dans cette langue étrange qui couvraient les murs ? Ou alors peut-être simplement la constante impression d'être observé. Sans actionna une vieille carte contre un bipper et une porte métallique s'ouvrit dans un grincement. Frisk remarqua qu'il y avait sa photo dessus.


"Tu as travaillé ici ? demanda-t-il pour réchauffer l'ambiance.

— Apparemment. Ça fait partie des choses dont je ne suis plus vraiment certain avec ce qui est arrivé au précédent scientifique royal. D'après ce que dit la carte, j'étais même assistant en chef. Je n'aurais jamais cru être le type de gars à gérer une équipe, et pourtant. Mais tout ça, c'est du passé. Viens, on a du travail."


Il se poussa pour le laisser rentrer. La pièce était bien plus récente que les autres : les murs moins délabrés, du matériel plus moderne... Un écran d'ordinateur produisait un souffle inquiétant. Alphys avait déjà tout préparer pour les examens. Sur une petite table en métal, de nombreux instruments médicinaux étaient alignés, dont plusieurs longues aiguilles qu'il n'avait vraiment pas hâte de voir enfoncées dans son bras.


"Installe-toi dans le fauteuil, j'arrive, lui dit Sans."


Le squelette se dirigea derrière un paravent à l'effigie de Mew Mew Kissie Cutie. Frisk hésita, puis obéit. Il s'installa sur le grand fauteuil noir et ne put s'empêcher de frissonner en constatant qu'il était couvert de vieilles sangles de cuir. S'ils l'avaient voulu, les monstres auraient pu le garder ici de force. Était-ce déjà arrivé par le passé ? Après tout, il ne savait pas grand-chose sur les précédents enfants tombés ici avant lui. Les mots d'Undyne lui revinrent en mémoire. Sans, mais aussi elle, avaient tué des enfants précédemment. Combien d'autres n'étaient pas arrivés devant Asgore ?


Sans ne tarda pas à revenir dans une blouse blanche, un calepin à la main. Il le balança négligemment sur un fauteuil et s'approcha du matériel. Il récupéra un garrot et s'approcha de Frisk.


"C'est le moment le moins agréable, s'excusa-t-il. Tu ne vas pas tomber dans les pommes en voyant ton sang ? Non, parce que je sais que certains humains ont du mal avec ça. Je peux te raconter des blagues pourries le temps de faire le prélèvement, ajouta-t-il en ricanant.

— Non, ça ira, répondit Frisk. On est repartis pour cinq ans, il va falloir que tu économises tes blagues. Tu radotes, grand-père.

— Oh c'est comme ça ? rit-il. En tant que représentant de l'humour ici-bas, je me sens profondément offusqué."


Après avoir pris ses constantes vitales et sa tension, il serra le garrot sur son bras, puis alla récupérer l'unité de prélèvement. Frisk détourna le regard lorsqu'il approcha l'aiguille de son bras. Avec des gestes experts, Sans piqua immédiatement juste, faisant sursauter l'adolescent, puis s'occupa du prélèvement. Il serra les dents en bougonnant, avant de soupirer de soulagement lorsqu'il retira le morceau de métal de son bras. Il posa un coton avec du désinfectant là où il avait piqué et laissa Frisk appuyer pour faire cesser le saignement.


Alphys rentra à ce moment-là. Frisk lui adressa un sourire chaleureux alors que Sans terminait de fermer les échantillons. Elle vérifia que le travail avait été bien fait, puis remercia le squelette pour son aide. Après ça, elle prit le relai. Elle lui fit passer une radio, puis un scanner fort inhabituel. Plongé dans une espèce de gelée rose magique, un rayon étrange lui passa plusieurs fois au-dessus du corps. Après ça, elle le mit sur un tapis de course où il fut contraint de trottiner pendant près d'une heure, et enfin, vint le moment qu'il redoutait tant : le combat contre Sans.


La scientifique le fit entrer dans une petite pièce aux vitres blindées. Le squelette était déjà là, endormi contre le mur. Il ouvrit un œil et lança un regard neutre à l'adolescent, qui se préparait mentalement à ce qui allait suivre. Il pouvait déjà sentir son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine comme s'il était en danger alors même qu'il n'avait pas encore fait le moindre geste.


"D'accord, dit la voix d'Alphys dans un micro au-dessus de lui. On-on va commencer par quelque chose de fa-facile. Tu-tu vas attaquer Sans, et ensuite on inversera. N'oublie pas de faire a-attention, ajouta-t-elle, gênée, Sans n'a qu'un seul point de vie. Tant que tu-tu n'as pas la volonté de lui-lui faire mal, tu ne lui feras pas de-de dégâts."


Rien de bien difficile jusque-là. Frisk attrapa une lame d'escrime laissée à son attention et se tourna vers son adversaire. Main dans les poches, Sans souriait et attendait qu'il passe à l'action. Comme si cela servait à quelque chose. Dès qu'il s'élancerait vers lui, il se téléporterait. La vraie tactique était de deviner à l'avance où il réapparaîtrait ensuite. C'était le seul moyen de le piéger à son propre jeu. Frisk chargea. Comme prévu, Sans disparut et réapparut quelques centimètres à côté de lui. L'adolescent réitéra plusieurs fois l'opération, pour apprendre ses nouveaux patterns d'esquive. Et puis, au moment de charger, il fit volte-face et le rata de très peu. S'il n'avait pas baissé la tête à ce moment-là, il l'aurait eu.


Au fond de lui, une voix commençait à s'échauffer. Frisk tenta de l'ignorer. Ce n'était pas le moment de laisser le contrôle à Chara. Elle pourrait prendre le jeu bien plus sérieusement que lui. Frisk réessaya, mais cette fois, son pied avança tout seul et faucha les jambes de Sans. Le squelette s'écroula sur le dos et Frisk eut juste à placer la pointe de son arme sur son front. Si en soit, c'était une victoire, l'adolescent sentit la tension grimper dans la pièce. Pendant une seconde, l'œil de Sans avait pris sa couleur bleu écarlate, signe qu'il avait eu peur, lui aussi. Frisk savait que Chara avait fait ça pour mettre fin vite au combat, mais il n'aimait vraiment pas la facilité avec laquelle il l'avait mis à terre aussi vite.


"Bien joué, F-Frisk ! s'enthousiasma la voix d'Alphys. Bien, main-maintenant, Sans va t'attaquer. On va commencer lentement, et ensuite passer sur une ou deux attaques un peu plus complexes."


Sans hocha la tête et se remit en position. Frisk sentit une bouffée de chaleur l'envahir lorsque son œil prit une teinte bleue. Le squelette sourit narquoisement.


"C'est une magnifique journée aujourd'hui. Les oiseaux chantent, les fleurs s'épanouissent... Pendant une journée pareille, les gamins comme toi... devraient apprendre à couvrir le flanc gauche."


Frisk fit volte-face, surpris, alors qu'une salve d'os bien trop proche fonçait vers lui. Il l'esquiva de justesse et bondit. Son âme vira au bleu et il se retrouva coincé au sol. Pendant quelques tous, Sans enchaîna des attaques simples. Frisk se contentait de sauter et faire des pirouettes pour les éviter du mieux qu'il le pouvait. Il se prit quelques coups dans les côtes, mais rien de bien méchant.


Mais ce fut lorsque le premier blaster arriva que les choses tournèrent au désastre. Frisk, yeux dans les yeux avec la créature osseuse, se retrouva soudainement paralysé par la peur. Tous ses membres cessèrent brutalement de lui répondre. Son souffle s'accéléra, et il fit un pas en arrière, toujours yeux dans les yeux avec la créature, qui n'avait toujours pas tiré.


"Frisk ? Tu dois bouger de sa trajectoire, lui rappela Sans d'une voix moqueuse."


Mais Frisk ne l'entendit pas. Il était de nouveau dans ce hall aux lumières dorées, face au squelette, l'écharpe rouge de Papyrus autour du cou et le regard colérique. Il allait le tuer. Il l'avait déjà fait des dizaines de fois. Il ne sortirait jamais de cet enfer. Il avait provoqué tout ça. Pourquoi seulement continuer à se battre ?


"Euh... Gamin ? Tout va bien ?"


Il entendit des pas derrière lui. Une main se posa sur son épaule. Il donna un grand coup de coude derrière lui avant de se jeter à terre dans un coin de la pièce. Il se roula en boule et plaqua ses mains sur sa tête. C'était un cauchemar, c'était un cauchemar, c'était un cauchemar... Il ne pouvait pas être revenu à ce moment-là, tout allait bien, ils étaient tous vivants. Les larmes coulèrent le long de ses joues et terrorisé, il ferma les yeux alors que Sans se rapprochait. Il allait l'achever. C'était tout ce qu'il méritait.


"Ne me tue pas, ne me tue pas, ne me tue pas, murmura-t-il à la chaîne, les membres tremblant de manière incontrôlée. Je voulais pas... Je voulais pas tuer Papyrus, c'est elle qui... C'est pas moi... Je veux rentrer, je suis désolé, je suis désolé, je suis...

— Frisk. Frisk, arrête, calme-toi. Tu es en sécurité."


Il sentit les deux mains rêches de son ami se poser sur les siennes. Doucement, Frisk revint à lui, le souffle erratique. Il releva doucement les yeux vers lui, les bras encore tremblants. Il reprit douloureusement conscience de son environnement. A l'entrée, Alphys patientait, nerveuse, un stéthoscope à la main. En voyant que Sans maîtrisait la situation, elle préféra rester en arrière et ne pas s'interposer, et finit même par se retirer pour les laisser seul. Sans s'assit à côté de l'enfant et patienta le temps qu'il se calme complètement. Frisk n'osait plus croiser son regard. Il se sentait ridicule. Qu'est-ce qui lui avait pris de paniquer comme ça ?


"Je suis désolé, dit Sans d'une voix hasardeuse. Je... Je ne voulais pas réveiller de mauvais souvenirs, je n'ai pas réfléchi.

— Ce n'est rien. Je n'avais pas à réagir comme ça non plus.

— Eh, je ne t'en veux pas. On a tous les deux fait des choses horribles ce jour-là.

— Non. J'ai fait des choses horribles, tu n'as fait que me remettre sur le bon chemin, dit-il tristement.

— Parce que tu crois sérieusement que je t'ai tué deux cents quatre-vingt-sept fois uniquement pour t'apprendre à faire plus attention ? Eh. La vengeance n'est pas plus pardonnable. Comme... Comme cette fois où tu as tenté de m'épargner. J'aurais pu... J'aurais pu m'arrêter là. Mais... Je ne sais pas, j'ai eu besoin de... Je n'arrivais plus à m'arrêter. Tuer par vengeance ne me rend pas meilleur que toi au fond. On gardera des séquelles de ça jusqu'à la fin de nos jours, l'important est d'apprendre de ses erreurs et d'avancer.

— Sauf que tu n'as jamais avancé, Sans."


Le squelette resta silencieux.


"Je le sais. Je vois bien ton regard quand je reste tout seul avec Papyrus, ou les semaines que tu passes au lit à broyer du noir, ou comment tu évites à chaque fois le sujet quand maman te demande si ça va. Cette façon que tu as de mentir systématiquement pour les protéger alors qu'ils pourraient comprendre... Même sur ton lit de mort tu as trouvé la force de me menacer de ne rien dire à Papyrus, alors que tu étais celui censé lui en parler bien avant. Tu n'arrêtes pas de me dire d'assumer ce que j'ai fait, mais comment je suis censé faire si à chaque fois que j'essaie d'en parler à quelqu'un, je te trouve dans mon dos avec le regard noir comme si j'étais en train de commettre un crime ? Je n'en peux plus de... De devoir vivre avec ça sur la conscience.

— Et pourtant tu l'as fait, tu as parlé à Papyrus. Peut-être que j'ai eu tort, mais je pense toujours que c'est une mauvaise idée. Tu as vu ce que les resets peuvent faire, tu as vu comment ils influent sur nos vies. Je ne peux pas regarder mon petit frère dans les yeux et lui dire que j'ai déjà vécu cette matinée des centaines de fois. Je ne peux pas non plus le prévenir qu'il va mourir, parce qu'on ne sait pas ce qui pourrait arriver. J'en suis venu à te regarder le tuer comme on regarde une mauvaise série à la télé. A quoi bon vivre quoi que ce soit si tout peut repartir à zéro le lendemain ? Je déteste savoir que, peut-être, tu ne peux pas mourir et que tu es condamné à reset si c'est le cas. Et quoi alors ? On part dans une boucle jusqu'à la fin des temps ? Je ne le supporterais pas, Frisk. Je ne le supporte déjà plus. Je ne supporte plus de me lever et de voir Snowdin par la fenêtre, je ne supporte plus de deviner à l'avance tout ce que chaque voisin va me dire le matin en arrivant chez Grillby. Il n'y a plus aucun intérêt à revivre la même chose, encore et encore. Tu crois que je n'avais pas remarqué que Papyrus savait des choses ? La première fois que tu l'as tué, il est venu au milieu de la nuit dans ma chambre en se plaignant d'un cauchemar horrible où quelqu'un lui coupait la tête. Mais Papyrus n'a que des flashs. Je suis le seul à... à subir ça en entier. Je suis à bout. Je suis au maximum de ce que je peux supporter. C'est pour ça que je ne veux pas que tu me sauves. Je ne veux pas être sauvé. Je ne veux pas avoir à revivre tout ça encore une fois. Je sais que je suis mourant depuis longtemps, bordel, je suis même condamné depuis ma naissance. Je savais que ça arriverait. J'ai toujours eu moins de temps que les autres. Et ironie du sort, c'est pourtant moi qui aurait vécu le plus de choses. Mais c'est bon maintenant, j'en ai vu assez. Je veux juste que ça s'arrête, que je puisse me reposer."


Frisk remonta ses genoux contre lui.


"Mais moi, j'ai besoin de toi, Sans.

— Gamin... Je t'ai appris tout ce que j'avais à t'apprendre. Je ne suis pas une sorte de mentor aux pouvoirs extraordinaires. Je suis un squelette qui aime les mauvaises blagues et faire la sieste. Je n'aurais jamais dû être embarqué dans tout ça en premier lieu. La vraie responsable, c'est Toriel. J'ai fait mon travail de guide aussi loin que je le pouvais, mais le vieux Sansy veut sa retraite maintenant. C'est elle ta mère, pas moi."


L'adolescent posa sa tête sur ses genoux, épuisé. Pendant longtemps, aucun des deux ne parla. Alphys passa timidement la tête à travers la porte. Elle joua avec ses mains nerveusement avant d'entrer plus franchement dans la pièce.


"J'ai... J'ai terminé les relevés, dit-elle rapidement. On peut retourner en haut, et je m'occuperais de faire un rapport pour de-demain. Merci F-Frisk !"


L'adolescent lui sourit gentiment puis se remit sur ses jambes. Il tendit la main à Sans. Le squelette la prit et se releva à son tour. Ils accompagnèrent Alphys jusqu'à l'entrée du laboratoire. Frisk marqua un temps d'arrêt devant l'immense machine d'extraction à détermination du docteur Gaster. Il ne parvenait pas à accepter. Il poussa un grand soupir et rejoignit la scientifique dans l'ascenseur. Les portes se refermèrent sur lui.


Laisser un commentaire ?