L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 11 : Intrusion à Gottliebschloss

8707 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 01:35

Très lentement, Psody écarta les pans de peau de sa tente et passa le museau dehors. Le soleil ne s’était pas encore couché. Les Skavens de Jourg étaient toujours à l’abri. Comme ils n’aimaient pas s’exposer à la lumière du jour, quand ils étaient à l’extérieur, ils savaient mettre leurs sempiternels différends de côté pour tous se reposer en même temps afin d’être au mieux de leur forme une fois la nuit tombée. Le petit Skaven Blanc était donc le seul à être pleinement éveillé.

 

Il s’extirpa complètement de son abri, son sac sur le dos, et considéra la situation. Le soleil brillait dans le ciel bleu, blanchi seulement par-ci par-là de quelques nuages. En regardant vers le château, il distingua les silhouettes des gardes Humains qui faisaient leurs allers-retours sur les chemins de ronde. Au-dessus, un vol d’oiseaux criblait les cieux de petits points noirs mouvant à grande vitesse. Katel lui avait expliqué que certains de ces animaux volants à plumes se déplaçaient en grandes bandes, donnant ainsi à voir ce curieux spectacle.

 

Le jeune homme-rat progressa à pas de loup entre les abris de peau tannée. De temps en temps, il s’arrêtait en entendant un ronflement provenir d’une tente, ou tout autre bruit. Il prit soin de se déplacer sous le vent, pour éviter de porter son odeur dans la direction des cages des bêtes du Clan Moulder et les énerver. Heureusement, personne ne le remarqua. Même les deux Vermines de Choc à l’entrée du camp dormaient profondément à l’abri sous une grande peau de bête tendue entre quelques pieux plantés de travers dans la terre meuble.

 

Il s’éloigna du camp, toujours en prenant garde à ne pas attirer l’attention. Il se dirigea vers la forêt, et pressa le pas pour arriver jusqu’à la rivière. Une fois arrivé près de la source d’eau claire, il posa son sac, s’assura que personne n’était aux alentours, puis il enleva sa chemise de laine. Enfin, il descendit prudemment dans l’eau. La fraîcheur de l’onde sur ses orteils glabres le fit frissonner. Quand il se retrouva immergé jusqu’au nombril, il plongea franchement ses mains sous l’eau, et tenta tant bien que mal de nettoyer les traces sombres de sang séché qui maculaient sa fourrure.

 

Tout en se livrant à ses ablutions, le petit homme-rat guettait sans relâche la direction du campement. Il craignait d’être vu par l’un des Skavens de Jourg. Il n’avait pas du tout envie de se faire surprendre tout nu. En temps normal, c’était déjà une situation plutôt embarrassante pour un Skaven, mais depuis que Katel avait fait son éducation à la manière des Humains, il avait bien retenu que la nudité était étroitement liée à l’intimité. Troisième point, un Skaven en train de se laver dans de l’eau claire, c’était plus qu’inhabituel, et il préférait éviter d’éveiller les soupçons.

 

Mais voilà, il ne pouvait plus supporter l’odeur du sang Humain sur lui, ni voir son magnifique pelage blanc souillé. Il repensa à ce que lui avait dit Katel, quand elle lui avait promis qu’il prendrait l’habitude de rester propre. Sur l’instant, il avait catégoriquement rejeté cette idée. Et pourtant… il regretta même de ne pas avoir de savon sous la main ! Il sourit à cette pensée, tout en continuant son opération.

 

Il passa de longues minutes à se frotter énergiquement, puis quand il jugea avoir fait de son mieux, sortit prestement de la rivière, et se secoua. Il ouvrit son sac, en sortit la robe précieuse dont la vieille sorcière lui avait fait cadeau. La broderie en forme de tête de rat cornu stylisé lui garantissait la bonne fortune de la part de son dieu. Et la bonne fortune, il allait en avoir besoin.

 

Il repassa la lanière de son sac sur son épaule, et revint vers le camp. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait du camp, il faisait tourner ses méninges à toute vitesse. Il avait passé une partie de la journée à réfléchir au moyen de mettre à mal les forces Skavens qui assiégeaient Gottliebschloss. Attendre trop longtemps serait risquer d’autant plus de voir arriver d’autres Skavens mandés par Jourg, ou de se faire démasquer.

 

Je dois agir maintenant-maintenant !

 

Le mieux à faire était donc de provoquer un maximum de désordre dans les rangs des guerriers de Jourg. Des événements imprévus affolaient rapidement les Skavens, peu doués pour improviser. Les options ne manquaient pas ; entre les cages à animaux à ouvrir, la poudre des jezzails à malepierre des Skryre à enflammer, la Cloche Hurlante…

 

La Cloche Hurlante était probablement la meilleure possibilité. Elle pourrait à la fois renverser les tentes du campement, rendre fous les Skavens, et alerter les Humains. S’il s’y prenait assez tôt, il pourrait mettre la pagaille dès les prochaines minutes. Et c’est ce qu’il allait faire.

 

Enfin, il vit la machine de guerre. Le petit clocher de bois monté sur roues semblait attendre patiemment l’heure de faire résonner son carillon mortel. Et, naturellement, personne n’avait pris soin de le surveiller. C’était délirant ! Une fois le jour levé, aucun Skaven ne voulait prendre le risque de se brûler les yeux en les gardant ouverts sous le soleil, encore moins passer la journée à l’air libre. La peur de la lumière du jour et celle des espaces dégagés à ciel ouvert étaient récurrentes chez les fils du Rat Cornu. Une telle négligence allait coûter très cher à ces envahisseurs.

 

Quand il fut près de la cloche, il remarqua quelque chose qui lui fit étirer les commissures en un sourire malveillant.

 

Ces crétins-crétins vont me faciliter la tâche !

 

En effet, c’était un nouveau modèle de Cloche Hurlante ; normalement, il incombait à un sonneur de marteler le bronze avec son maillet, pendant que le Prophète Gris se livrait à ses incantations, et le jeune homme-rat se voyait mal faire sonner ainsi la cloche, en raison de sa force physique plutôt limitée. Or, cette arme-là était pourvue d’un marteau monté sur ressort, qu’on pouvait tendre à l’aide d’un petit volant de bois, avant de le relâcher en tirant le levier.

 

Même moi, je devrais pouvoir m’en servir ! Le Rat Cornu est avec moi !

 

Psody inspira profondément. Il voulut prendre le temps de réfléchir une dernière fois. Il était bien conscient que sa vie allait basculer pour de bon s’il mettait son plan à exécution. Il était encore possible de renoncer, de trouver une autre colonie Skaven loin de Brissuc où ses talents de Prophète Gris seraient appréciés. S’il aidait Jourg à renverser le seigneur Gottlieb, sa place serait assurée. Même si Vellux apprenait qu’il était toujours en vie, il y aurait toujours moyen de fuir ou de se venger. Mais il abandonna rapidement cette idée.

 

Je ne vais pas passer ma vie à me demander pourquoi ces visions ! Et aucun Skaven ne pourra jamais m’expliquer !

 

Et puis le souvenir de son court séjour à Sub-Marienburg finit de le convaincre ; sa vie de Skaven était définitivement terminée. C’est alors qu’il remarqua que le soleil était déjà en train de se coucher. La nuit tombait plus vite qu’il n’avait prévu ! Il était temps d’agir. Résolu à affronter toutes les conséquences, Psody grimpa lentement sur la machine de guerre. Il saisit fermement la roue, et la fit tourner. Les engrenages cliquetèrent dent après dent, pendant que le marteau se rabattait lentement en arrière, puis tout s’arrêta dans un claquement métallique. La cloche était prête à jouer sa mélodie destructrice. Le Skaven Blanc ferma les yeux, murmura une courte prière à l’attention de sa divinité tutélaire, et posa sa main sur la poignée du levier. Il prit encore une profonde inspiration, et tira fermement le manche. Le marteau s’abattit sur la cloche de bronze, et un fracas feutré tonna au-dessus de tout le campement.

 

Plus question de reculer !

 

Ni de perdre du temps ! Psody tourna de nouveau la roue comme un forcené, remettant en place le marteau. La Cloche Hurlante sonna une deuxième fois. Le Skaven Blanc entendit les exclamations affolées de ses semblables qui se réveillaient en sursaut. Les rats-ogres grondèrent de surprise dans leur cage. Les vibrations firent hérisser sa fourrure au jeune homme-rat, qui sentit l’adrénaline fouetter son système nerveux. Il frappa de nouveau sur la cloche. Quelqu’un cria :

 

-         Alerte ! Alerte ! Arrêtez cette cloche !

 

Les Skavens sortaient à présent des tentes, rendus fous d’excitation sous l’influence de la machine de guerre. Psody tendit les doigts vers la réserve de poudre à canon des tirailleurs, et en fit jaillir un éclair. Les tonneaux explosèrent, et des flammes embrasèrent l’obscurité nocturne naissante, mettant le feu aux toiles. La chaleur fit partir les coups des quelques armes déjà chargées. Le Skaven Blanc rugit de joie en tournant encore la roue. Le tintement sinistre de la cloche éclata pour la quatrième fois.

 

Psody sentit un vertige lui secouer la tête. Les vibrations de la cloche agissaient sur l’organisme des Skavens, électrisaient leurs nerfs jusqu’à les rendre hystériques, et il n’était pas une exception. Il sentait une irrésistible fureur monter, monter en lui, menaçant de lui faire perdre toute logique au profit d’une folie destructrice. Et pourtant, il devait garder le contrôle de lui-même, s’il voulait échapper aux Skavens qui allaient tenter de l’écharper. Il regarda la cloche, et ses yeux s’écarquillèrent. L’arme de guerre avait accumulé trop de puissance, et menaçait de se disloquer ! Les grands étais de bois tremblaient, les ferrures craquèrent, faisant jaillir des éclats de bois.

 

Temps d’y aller !

 

Il actionna la roue pour mettre le marteau en place une dernière fois, puis sauta à terre. Il se retrouva le nez dans la boue. Il sentit une douleur aiguë lui vriller le crâne, et son corps fut pris de tremblements violents. Il rassembla ses forces et se leva d’un bond, et courut en zigzag aussi vite qu’il put. Les Skavens étaient trop effrayés pour faire attention à lui, ils se sauvaient dans tous les sens en couinant d’affolement. Quand il se fut suffisamment éloigné, Psody leva la main, et focalisa son esprit sur un petit élément en particulier : la chaîne qui retenait le maillet de la cloche. Il mit ses trois doigts en triangle, et en fit sortir encore un éclair vert. L’énergie du Warp rompit net l’une des mailles de fer. Le marteau s’abattit sur la cloche de bronze. Le son qui en sortit ressemblait davantage à un coup de tonnerre. Ce fut le choc de trop. La machine de guerre ne put supporter une telle puissance, et s’écroula dans un affreux tintamarre de bois cassé.

 

Psody faillit sauter de joie, mais reprit vite ses esprits. Il devait disparaître sans délai ! Il courut, courut jusqu’aux limites du camp. Devant lui, la sombre forme du château apparaissait dans la brume. Il vit les flambeaux de torches aller et venir sur les remparts. Les Humains étaient certainement en train de se demander ce qui se passait.

 

-         Et maintenant, j’appelle mes renforts à moi ! déclara le Skaven Blanc.

 

Il porta à sa bouche la trompe qu’il avait ramassée sur l’un des Impériaux, la cala du mieux qu’il put sous ses incisives, inspira à pleins poumons, et souffla de toutes ses forces.

 

 

Sur le chemin de ronde du château Gottliebschloss, les gardes s’agitaient. Le premier coup de cloche les avait affolés, ils y voyaient un signe d’attaque de leurs ennemis. Leur capitaine, Gerd Rothemd, avait rapidement rejoint ses hommes. Il attrapa le premier qui lui passa devant par l’épaule.

 

-         Soldat Müller, au rapport !

-         Les hommes-bêtes ont mis en marche leur machine de guerre, mon capitaine !

-         Combien sont-ils ? Est-ce qu’ils sont encore près des douves ?

-         Non, mon capitaine ! Nous n’avons pas encore vu l’une de ces saletés !

-         Comment ça ?

-         Ils sont toujours dans leur campement, mon capitaine !

 

Rothemd pencha prudemment la tête entre deux créneaux.

 

-         C’est étrange... ces créatures sont éveillées la nuit, je m’attendais à ce qu’elles attaquent plus tard ! Le soleil est couché, mais c’est encore le crépuscule.

-         En plus, elles n’entourent pas le château comme hier, mon capitaine !

-         Ouais… et puis, écoutez ces cris. Ce n’est pas de la rage, mais de la peur. C’est comme si elles étaient elles-mêmes prises par surprise.

-         Mon capitaine ! Regardez là-bas !

 

Un deuxième soldat montra du doigt un panache de fumée noirâtre dans lequel crépitait une multitude d’étincelles vertes.

 

-         Ça ressemble à un feu de poudre à canon !

-         T’es sûr, Schweigen ? demanda Müller. J’en ai vu, des feux de poudre à canon, à l’académie de Nuln. Et aucun ne faisait de la lumière comme ça !

-         On a affaire à des hommes-bêtes, Müller. Ils doivent utiliser des poudres spéciales.

-         Quoi ? s’inquiéta Müller. Tu veux dire qu’ils sont en train de préparer une malédiction avec un nuage de magie noire ?

-         Du calme, soldat Müller, ordonna Rothmed. Je ne crois pas que ce soit un maléfice. Ils ont des armes à feu, vous vous souvenez ? Il faut bien qu’ils aient des munitions. D’une façon ou d’une autre, leur réserve de poudre a pris feu.

 

Schweigen leva le bras, intimant le silence.

 

-         Qu’y a-t-il, soldat Schweigen ? demanda le capitaine.

-         Mon capitaine, écoutez !

 

Les trois hommes tendirent l’oreille. Ils entendirent nettement par-dessus les crissements de panique et le grondement du brasier un son clair, fort et parfaitement reconnaissable.

 

-         C’est le signal des forestiers !

-         Les forestiers, mon capitaine ?

-         Oui, l’un des groupes qui patrouillent dans la région ! C’est ça ! Ce sont eux !

-         Ils ont fait tout ça ?

-         Sûrement ! Ils ont saboté les armes de ces cochons de Mutants, et maintenant ils ont besoin d’aide !

-         Qu’est-ce qu’on fait, capitaine ?

 

Rothemd regarda Müller droit dans les yeux.

 

-         C’est pourtant évident, non ? On part à la rescousse !

-         Mais… ils sont bien trop nombreux, mon capitaine !

-         Bien à l’abri dans leur camp, oui, mais là, c’est la débâcle ! C’est une bonne occasion pour y aller au culot et en éliminer le plus possible ! Et puis on n’abandonne pas les citoyens de l’Empire quand on peut les sauver ! Allez !

 

Le capitaine appela :

 

-         Sergent Herzog ! Sergent ! Au pied !

 

Un garde portant une cuirasse ouvragée et une plume à son casque parut presque immédiatement devant Rothemd.

 

-         A vos ordres, mon capitaine !

-         Sergent Herzog, prenez le commandement de la garnison et abattez tout homme-bête qui approche ! Moi, je vais faire une sortie ! Müller, Schweigen, avec moi !

-         Oui, capitaine ! répondirent à l’unisson les deux soldats et le sergent.

 

Rothemd descendit les marches de pierre du rempart à toute vitesse, talonné par ses deux hommes. Une fois dans la cour, il héla six hommes supplémentaires.

 

-         Tous à cheval, on va percer leurs lignes ! Levez la herse, baissez le pont-levis !

 

Une minute plus tard à peine, les neuf hommes d’armes franchirent le fossé au grand galop, les sabots de leur monture claquant sur le bois ferré. Il ne leur fallut guère plus de temps pour atteindre les premières tentes de leurs assiégeurs. Rothemd dégaina son épée, et faucha la tête d’une des créatures au passage. Ses hommes l’imitèrent. Les rejetons du Chaos qui se trouvaient sur leur passage, complètement pris au dépourvu, n’avaient pas le réflexe de se défendre. L’explosion avait balancé des éclats de bois et de tissu enflammés dans tous les sens, et le feu se répandait d’une tente à l’autre. Certains hommes-bêtes, même, avaient la fourrure en feu, et gémissaient de douleur sans s’arrêter de courir.

 

 

Caché dans les hautes herbes à l’écart, Psody ne ratait rien du spectacle. La nuit était maintenant complètement tombée. Cela ne gênait pas ses sens, mais il se demanda comment les Humains s’en sortaient, de leur côté. Les lumières des feux de poudre à malepierre étaient-elles suffisantes ?

 

Il fut tiré de ses réflexions par des éclats étincelants au-dessus de lui. Il sursauta, et se retrouva sur le dos sous l’effet de surprise. Prenant appui sur ses coudes, il tendit le cou vers le ciel. Une sensation familière lui parcourut la colonne vertébrale alors que ses moustaches sentirent des crépitements. C’était ce qu’il éprouvait chaque fois que quelqu’un utilisait de la magie en sa présence.

 

Oh ho ! Ils ont un mage-mage !

 

Une pluie de flèches argentées partant d’une fenêtre de la grande tour centrale confirma cette idée. Plusieurs Skavens furent transpercés par les projectiles irisés, et moururent sur le coup. Le jeune Skaven Blanc eut un frisson. Il souhaita ne jamais devoir affronter ce mystérieux arcaniste.

 

 

Les neuf soldats montés traversèrent le campement de long en large en massacrant les hommes-bêtes sur leur passage. Les chevaux de guerre étaient bien entrainés, et avaient l’habitude de courir au milieu des champs de bataille. Or, quelque chose poussa le capitaine à ralentir, puis arrêter sa course. Au milieu d’un espace dégagé entre plusieurs tentes, une énorme masse mouvante et grondante trépignait sur place, balayant l’air de ses poings colossaux.

 

-         En voilà un gros, soldats ! Nous ne devons pas le laisser s’échapper et dévorer nos villageois ! Müller, Schweigen, avec moi ! Melk, emmenez les autres, et continuez à les combattre !

 

Le dénommé Melk prit la tête de la demi-douzaine, et tous reprirent leur chevauchée en contournant la bête.

 

-         Capitaine, mon cheval refuse d’avancer vers cette chose ! pesta Schweigen.

-         Le mien aussi ! se plaignit Müller.

 

Rothemd descendit de sa monture d’un bond.

 

-         L’odeur du Chaos les effraie ! Pied à terre !

 

Les trois hommes entourèrent rapidement la créature, épée et bouclier levés, prêts à l’expédier en enfer. Le monstre leur apparaissait plus clairement, son immense carcasse éclairée par les flammes verdâtres. Rothemd serra les dents en voyant qu’il s’agissait d’un énorme homme-bête, de plus de huit pieds de haut. Son corps lourd devait peser près d’un millier de livres. Un millier de livres de muscles visiblement durs comme de la pierre qui roulaient sous une peau claire recouverte partiellement d’une courte fourrure brune. Ses bras énormes semblaient suffisamment puissants pour plier en deux le fût d’un canon des forges de Nuln, ses griffes luisantes étaient longues et coupantes comme des couteaux. Une longue queue annelée fouettait l’air derrière lui, et une tête rappelant d’une façon choquante celle d’un gros rat, pourvue de courtes moustaches et de longues incisives, surmontait ses deux épaules.

 

Müller et Schweigen étaient intimidés par la créature, mais Rothemd, ancien patrouilleur de la Drakwald notoirement infestée de mutants, en avait vu d’autres. Il s’élança en avant, et enfonça son épée jusqu’à la garde dans le flanc massif de la bête. L’homme-bête rugit de douleur et de colère en direction du capitaine. Il fit virevolter ses poings massifs comme des meules vers l’Impérial. Rothemd bondit en arrière juste à temps, et sentit un léger frôlement sur son côté. Schweigen profita de l’ouverture pour abattre son arme en biais, de haut en bas. La pointe de son épée ouvrit une plaie dans la fesse musculeuse de l’homme-bête qui sursauta.

 

-         Visez les tendons ! ordonna Rothemd.

 

Müller comprit ce que voulait dire son supérieur. Il contourna par la droite la créature qui s’en prenait à Schweigen, fléchit ses jambes, prêt à bondir au moment opportun. Puis il plongea en avant avec un balayage de son arme. Il sectionna ainsi la saignée du genou gauche de la bête. Du sang noirâtre jaillit de la plaie. Le monstre gronda encore en faisant un mouvement large de sa patte griffue. Le soldat fut surpris de la rapidité de l’attaque, il n’eut pas le temps de l’éviter. En une fraction de seconde, sa tête se retrouva arrachée de son cou.

 

Schweigen cria de rage en voyant tomber son camarade, et se jeta sur la créature.

 

-         Retourne chez les dieux du Chaos !

 

Il frappa dans le tibia droit de l’homme-bête géant, si fort qu’il le sectionna à moitié. Cette fois, la chose piailla de douleur et tomba à genoux. Elle dut s’appuyer sur le sol de la patte pour éviter de perdre complètement l’équilibre. Sa tête répugnante se trouvait pile à hauteur de poitrine d’Humain. Rothemd saisit son bouclier à deux mains et l’envoya de toutes ses forces sur le faciès de rat géant de leur adversaire. L’homme-bête roula sur le côté, et s’étala les bras en croix sur le dos. Schweigen sauta à pieds joints sur son ventre, et enfonça son épée dans sa gorge.

 

L’énorme créature tressaillit, se contorsionna, puis finit par s’immobiliser. Rothemd saisit fermement son épée par la garde, prit appui du pied sur le poitrail de la bête, et la retira d’un coup sec de sa carcasse encore chaude.

 

-         Bien joué, Schweigen ! Un peu téméraire, mais efficace !

-         Capitaine… Müller…

-         On s’occupera de lui plus tard. Le combat n’est pas fini, soldat !

 

 

Pendant ce combat acharné, les six soldats menés par Melk affrontaient aussi de lourdes difficultés. Le meneur frappait sur son passage les hommes-bêtes, quand soudain sa monture s’écroula en avant avec un hennissement désespéré. L’Humain n’eut que le réflexe de bondir sur le côté, et de se recevoir maladroitement sur ses pieds. Il crut que sa monture avait trébuché, mais quand il s’aperçut que ses suivants tombaient de la même façon, il vit mieux et comprit la situation. Quelque chose grouillait à ras du sol, comme si la terre elle-même était vivante. Il entendit alors des petits couinements sous le vacarme de la mêlée, et distingua des oreilles, de longues griffes, des yeux, des dents énormes. Un des soldats se releva en braillant d’effroi et de douleur, alors qu’il était recouvert de petites créatures. Melk sentit ses yeux s’écarquiller en voyant des rats, énormes, longs d’un bon pied sans compter la queue, et animés d’un appétit insatiable. Le pauvre bougre ne resta pas debout bien longtemps. Il s’effondra dans la masse mouvante de rongeurs enragés, et ses cris se turent quand il finit dévoré, comme les chevaux. Melk leva l’épée en criant :

 

-         Reculez ! Reculez !

 

Les cinq soldats encore en vie s’empressèrent d’obéir, et s’éloignèrent du flot de vermine en repoussant comme ils pouvaient les quelques rats accrochés à leurs vêtements. Dans la confusion, Melk avait perdu de vue l’énorme homme-bête. Il jeta des coups d’œil frénétiques aux alentours, et repéra finalement la créature. Celle-ci était en rage et frappait tout ce qui passait à sa portée de ses mains gigantesques. Les hommes-bêtes plus petits faisaient de leur mieux pour la maîtriser. Un des soldats fit un immense saut jusque sur ses épaules, et lui enfonça une longue dague à travers la nuque. L’homme-bête géant tomba face contre terre.

 

Melk et ses hommes firent cercle, épée et bouclier levés et prêts à s’en servir. Chaque fois qu’un homme-bête s’approchait consciemment ou non du groupe, il était immédiatement mis en pièces par l’un ou l’autre des Impériaux. Malheureusement pour les Humains, certains des rats bipèdes surmontèrent leur peur pour les affronter. L’un d’eux frappa plusieurs fois le jeune soldat à coups de bâton. Melk se protégeait de son bouclier, mais les assauts répétés de la créature lui coupaient le souffle, et son bras commençait à lui faire mal.

 

La lanière de cuir d’un fouet s’enroula autour du cou du garde près de Melk. L’Humain lâcha son arme et tira avec acharnement. Peine perdue, l’homme-bête qui tenait le fouet recula le bras d’un coup sec, entraîna sa victime quelques pieds plus loin en la mettant à genoux, puis bondit sur son dos avant de le lacérer à coups de griffes et de crocs. Melk abattit son épée sur le crâne du monstre avec un hurlement haineux.

 

Une explosion illumina le ciel nocturne d’un brasier verdâtre. Un tonneau de poudre d’homme-bête avait pris feu, projetant des cendres et des pains de matière. Melk vit son autre voisin recevoir un fragment fumant gros comme un œuf de poule sur l’omoplate. Le matériau désagrégea le cuir bouilli en un instant, et dès qu’il entra en contact avec la peau du garde, celui-ci sursauta avec un gémissement de douleur, et se trémoussa d’une manière insolite, puis aberrante. Un tentacule jaillit avec un chuintement écœurant de la blessure, et fouetta l’air avec force. L’un des autres soldats encore debout flanqua un coup de pommeau sur la tempe du malheureux, et lui planta son épée dans le torse quand il fut à terre. Quand il vit Melk le regarder avec horreur et dégoût, il aboya :

 

-         Y avait pas d’autre solution !

 

Melk n’eut pas l’envie de répondre, car toute réponse était inutile. De toute façon, il n’en eut pas l’occasion, non plus. Un choc à la tête l’envoya rouler sur l’herbe. Il comprit en un instant que sa vie se terminait là, dans ce campement. Dans une telle mêlée, la moindre erreur était fatale. Il leva la tête, et son regard croisa celui de l’une des créatures. C’était un homme-bête très grand, au pelage noir comme la plus glacée des encres. Melk grogna en le voyant brandir sa massue. Il était encore sonné, et savait qu’il n’aurait pas le réflexe de s’écarter à temps. Ses deux camarades encore en état de se battre étaient déjà aux prises avec d’autres engeances du Chaos, et ne pourraient donc pas l’aider. Il ferma les yeux pour attendre la mort. Mais la mort ne vint pas le chercher.

 

L’homme-bête à fourrure noire s’écroula sur le ventre. Melk repéra un trou fumant dans l’étoffe grossière de sa chemise, juste au milieu du dos. Il se releva, surpris d’être encore en vie, chercha son sauveteur providentiel, sans le trouver.

 

 

Diassyon avait raison, c’est vraiment facile-facile ! pensa Psody en jetant à terre le jezzail à malepierre. Il embrassa tout le camp d’un coup d’œil. Son plan avait réussi encore mieux qu’il ne l’avait espéré. C’était la panique totale chez les Skavens. Ils couraient dans tous les sens en poussant des cris suraigus, et ceux qui ne tombaient pas sous les coups d’épée des hommes d’armes finissaient brûlés par les flammes qui s’étaient répandues en traînées à travers tout le campement. Et les quelques imprudents qui se dirigeaient vers Gottliebschloss crevaient la gueule ouverte, abattus par les arquebuses des Humains ou foudroyés par les flèches magiques. Les Skavens vivants à l’intérieur du camp se raréfièrent, encore et encore.

 

 

-         Soldat Melk !

 

Melk se redressa, reprit pleinement possession de ses moyens en entendant la voix de son capitaine. Rothemd et Schweigen étaient devant lui, à cheval. Le capitaine avait attaché la monture de Müller à son propre destrier.

 

-         Mon capitaine… nous sommes perdus.

-         Mais non, soldat, reprenez-vous ! Nous avons gagné !

 

Stupéfait, Melk regarda autour de lui. C’était vrai. Son esprit avait été plongé dans un tel désordre qu’il ne s’était pas rendu compte que tout était terminé. Ils n’étaient plus que cinq survivants sur neuf, mais ils avaient réussi à chasser les hommes-bêtes.

 

-         Allons, faisons un dernier tour pour trouver des survivants Humains. Vous trois, retournez au château, et allez voir le prieur !

-         Euh… Bien, mon capitaine.

 

 

Psody ne put s’empêcher d’être admiratif. Ces Humains-là faisaient preuve d’une résistance vraiment peu commune, à pied, à cheval, à l’épée et à l’arme à feu. Bien équipés, bien entraînés, ils étaient plus redoutables encore que la petite bande de Kleist.

 

C’est vrai-vrai, je n’avais jamais vu de vrais soldats Humains se battre avant ce soir !

 

Le petit Skaven Blanc sentit soudain une poigne nerveuse s’enrouler autour de son torse et le tirer en arrière, pendant qu’une main lui agrippait les cornes pour le forcer à lever la tête vers le ciel. Une lame mordit la chair de sa gorge.

 

-         Petit menteur-menteur ! Je le savais !

 

Les glandes du jeune homme-rat répandirent un musc effrayé quand il reconnut la voix de Jourg. Pris par l’excitation du combat, il ne l’avait pas senti arriver. Et le chef Moulder avait tiré parti de ses trois bras pour le maîtriser.

 

-         Ton heure est venue, sale traître ! Je parie que c’est toi qui as tué Bougrhee ! C’était mon ami, tu vas regretter de lui avoir fait ça ! Mais je vais le venger, et quand j’aurai rapporté ta tête à notre seigneur, il me récompensera, et je pourrai tringler ma pondeuse préférée pendant une semaine, et je serai nommé…

 

Le Skaven Blanc releva brutalement la queue, tentant de fouetter son attaquant au visage. Le Moulder ne fut pas touché, mais il relâcha sa prise et leva l’un de ses avant-bras droits par réflexe. Psody se retourna, et dans le même mouvement tira son pistolet de sa ceinture, et ouvrit le feu. La balle creva la poitrine de son adversaire. Celui-ci eut une grimace de douleur, et bascula sur le dos. Le Skaven Blanc cracha sur le corps tressautant de Jourg du Clan Moulder et dit simplement en haussant les épaules :

 

-         Quand tu dois tuer quelqu’un, tue-le, ne blablate pas !

 

*

 

Des explosions tonnaient par intermittence, crevant la nuit noire de flots de particules étincelantes, et quelques derniers hommes-rats en train de brûler fuirent. Du haut du rempart, les arquebusiers virent d’abord trois des soldats revenir à pied. Ils furent immédiatement emmenés au dortoir où l’on traita leurs blessures.

 

Enfin, les coups cessèrent, les cris se turent, le calme retomba sur les lieux, seulement troublé par le crépitement des flammes qui illuminaient la brume. L’herbe était encore humide de la dernière pluie, le vent ne soufflait pas, l’incendie allait sans doute s’éteindre de lui-même. Le sergent Herzog soupira, et entendit ses hommes se réjouir. Plusieurs exclamations victorieuses retentirent à travers la cour. Après des semaines angoissantes où tous avaient eu les nerfs à vif à cause de ces monstres, le calvaire était enfin terminé, et l’Empire avait gagné.

 

-         Sergent Herzog ? demanda l’un des gardes.

-         Ouais, Kerner ?

-         C’est bien fini, vous croyez ?

-         J’en sais rien, soldat ! Si ça se trouve, ces vermines vont encore nous jouer un sale tour !

-         Le capitaine est de retour, sergent ! constata un autre soldat.

 

Tous virent le capitaine Rothemd repasser sous la herse à cheval, accompagné d’un seul de ses subordonnées et de deux destriers. Sa voix retentit jusqu’au chemin de ronde.

 

-         Baissez la herse, relevez le pont-levis !

 

Herzog donna les directives, et l’accès au château fut de nouveau fermé.

 

Le sergent poussa encore un soupir, plus profond que le précédent. Quatre soldats et six chevaux avaient fini sous les griffes et les crocs de ces abominations. C’était triste pour eux et leur famille, mais au moins, ils avaient réussi. Herzog vit le capitaine pénétrer dans le donjon, sans doute pour faire son rapport auprès du seigneur Gottlieb.

 

-         Sergent, tout va bien ? s’inquiéta encore Kerner.

-         Hein ? Oh, ça va… Ne vous en faites pas.

 

Ah oui, ils étaient loin, les jours pendant lesquels Herzog et ses frères jouaient à la guerre avec des épées de bois, étant enfants. Comme ils avaient été loin de la réalité, aussi. La guerre n’avait décidément rien de glorieux, et même le fait de se défendre contre des envahisseurs avec succès ne le réjouissait pas. Herzog décida de cesser d’y penser. Après tout, ils n’avaient pas essuyé tant de pertes que leurs ennemis, et avec le temps, la douleur s’estomperait.

 

Pendant qu’ils étaient là, ils n’auront pas attaqué des villages isolés. Et maintenant qu’ils sont partis, on va enfin pouvoir respirer.

 

Tous les habitants du château se retirèrent peu à peu pour se reposer, en dehors du sergent Herzog et de quelques gardes volontaires restant sur le chemin de ronde. Ils se détendirent, convaincus que le danger était passé, quand soudain, ils entendirent une voix aiguë.

 

-         Ohé ! Ohé ! Soldats de l’Empire !

 

Schweigen, revenu à son poste, montra du doigt quelque chose.

 

-         Sergent, regardez !

-         Quoi, soldat ? Oh ! Par le marteau de Sigmar…

 

Sur le chemin qui menait au pont-levis relevé, il y avait une petite silhouette qui s’avançait, seule. Le sergent reconnut un homme-bête, à la fourrure blanche, à tête de rat, et avec deux longues cornes. L’engeance du Chaos avançait lentement, et tenait à deux mains une lance sur laquelle il avait fixé un tissu blanc, qu’il agitait lentement. Il cria encore, en reikspiel :

 

-         Je me rends ! Je suis votre prisonnier !

 

Le sergent empoigna fermement son fusil, et cria :

 

-         Saleté de rat géant ! Va-t-en, ou je te tue !

 

Mais l’homme-bête s’arrêta devant le fossé, et ne bougea plus. Le sergent pressa la gâchette de l’arme, et le coup de feu partit. La balle ricocha à moins d’un pied de l’homme-bête. Celui-ci sursauta, mais ne recula pas. Il insista :

 

-         Je vous en prie, je vous en supplie ! Tout ce que je veux, c’est parler à Maître Félix Jaeger ! Je sais qu’il est avec vous !

-         Et qu’est-ce que tu lui veux, à maître Jaeger, vermine puante ?

-         Je veux discuter avec lui d’égal à égal ! Il faut que je le voie, c’est très important !

 

 

Psody maudit les Humains en les entendant éclater de rire. Mais il tint bon, et demeura immobile, cramponné à son drapeau. Que devait-il faire ? Se mettre à genoux ? Bonne idée, c’est ce qu’il fit. Lâcher la lance et tendre les bras ? Trop risqué, ils risqueraient de croire qu’il s’apprêtât à lancer un sort. Il tint plus fermement son drapeau, tout en restant à genoux.

 

 

Sur le rempart, l’un des soldats demanda :

 

-         Je l’abats, sergent ?

-         Attendez, c’est bizarre. Ce n’est pas la première fois que j’affronte ces maudits rejetons du Chaos, et jamais je ne les ai vus se rendre avec un drapeau blanc.

-         Que se passe-t-il ? éclata alors une grosse voix.

 

Les soldats se mirent immédiatement au garde-à-vous, alors que le seigneur Gottlieb approchait. Wilhelm Gottlieb était un grand homme, de six pieds de haut. Engoncé dans une armure de plates lourde à ses mesures, il était aussi large d’épaules, et son torse était massif, comme quoi il aimait conjuguer exercice et bonne chère. Son visage sévère était caché par une impressionnante barbe châtain. Ses sourcils broussailleux se croisaient presque au-dessus de la racine de son nez bulbeux, et sa chevelure en bataille faisait penser à la crinière d’un fauve des Terres du Sud.

 

-         Alors, sergent Herzog ? Pourquoi avoir tiré ?

-         Mon seigneur, il y a un homme-bête devant le château.

-         Eh bien qu’est-ce que vous attendez ? Débarrassez-vous de lui !

-         C’est que, il vient donner sa reddition, mon seigneur.

-         Hein ?

-         J’ai voulu le faire partir, mais il insiste.

 

Le seigneur Gottlieb regarda par-dessus le rempart, et vit à son tour l’homme-rat blanc, toujours debout, avec son drapeau blanc.

 

-         Il dit qu’il veut rencontrer sire Jaeger, mon seigneur, précisa le sergent Herzog.

-         Il parle notre langue ?

-         Il veut me rencontrer ?

 

Un autre Humain avait suivi le seigneur. C’était un grand homme, dont les cheveux blonds cendrés étaient collés en mèches crasseuses. Il était bien habillé, et avait une prestance certaine. Il émanait de lui une impression de calme, de maîtrise de soi, une aura qu’on devinait forgée par des années d’aventures, de batailles et de tragédies. Son visage grave était rasé de près. Il portait à son côté une épée dont le fourreau et le pommeau étaient finement ouvragés, et une cape de laine rouge flottait sur ses épaules.

 

-         Un ami à vous, maître Jaeger ? s’enquit le seigneur Gottlieb.

 

Félix Jaeger se gratta le crâne. Il jeta un bref coup d’œil vers le bas par-dessus le créneau, puis revint au seigneur Gottlieb.

 

-         Ce n’est pas un homme-bête, mais un Skaven.

-         Quelle différence ?

-         C’est aussi un rejeton du Chaos, mais avec un mode de vie différent de celui des hommes-bêtes de la Drakwald.

 

Le regard du seigneur Gottlieb se chargea de soupçons.

 

-         Quoi ? Jaeger, ne me dites pas que vous nous avez tu des informations !

-         Ça n’aurait pas fait une grande différence, monseigneur. Et quand je vous aurai expliqué ce que je sais d’eux, vous comprendrez pourquoi.

-         Je suis curieux de vous entendre. Mais pour l’heure, il faut nous occuper de celui-là ! Nous devons l’éliminer !

-         Attendez, monseigneur. J’ai rencontré beaucoup de Skavens. Celui-ci n’est pas ordinaire, c’est un Skaven Blanc. Croyez-moi, ce sont les plus malins, les plus vicieux et les plus dangereux.

-         Raison de plus ! Il ne faut pas le laisser en vie plus longtemps !

-         Monseigneur, un instant ! C’est étrange, je n’ai jamais vu un de ces êtres se comporter de la sorte. Il veut se rendre à moi, vous dites ? demanda-t-il au sergent.

-         C’est ce qu’il dit, maître Jaeger.

-         C’est probablement une ruse, maugréa Gottlieb.

-         C’est possible.

-         Si je puis me permettre, seigneur… osa Kerner.

 

Le grand homme pivota vers le garde.

 

-         Quoi ? Parle, soldat !

-         Vous avez vu ce qu’il a autour du cou ?

 

Gottlieb et Jaeger regardèrent à nouveau rapidement le Skaven Blanc.

 

-         On dirait une corne des gardes forestiers ?

-         Oui, mon seigneur, répondit Schweigen. C’est en entendant son signal que le capitaine Rothemd a décidé de faire une percée.

-         Mais Rothemd m’a dit n’avoir vu aucun Humain, dans le camp ! Rien que des charognards de… « Skavens » en fuite !

-         Vous pensez que ce serait ce Skaven Blanc qui aurait appelé à l’aide avec cette corne ? demanda Jaeger, incrédule.

-         Voilà qui me paraît plutôt inhabituel ! s’exclama le seigneur. Mais peut-être qu’il a voulu attirer nos hommes pour les piéger ?

-         Alors qu’il y avait déjà du grabuge dans le camp ?

-         Oui, ç’a commencé avec la cloche, monseigneur, rappela le sergent. Quelqu’un a également détruit leur cloche. Et si c’était lui ?

-         Si c’est le cas, il nous a permis de les mettre en déroute, réalisa Jaeger.

-         Et si ce n’est pas lui ?

-         Eh bien peut-être qu’il sait des choses ? De toute façon, si l’on procède de la bonne manière, on devrait pouvoir le faire parler ? En plus, c’est ce qu’il veut !

-         Hum… J’hésite vraiment à prendre le risque de laisser entrer cette petite horreur.

-         Prenons nos précautions, monseigneur ! Demandez à Kaufman !

-         Alors, que décide-t-on, mon seigneur ? demanda le sergent.

 

Le visage rubicond de Gottlieb passa par plusieurs expressions.

 

 

Psody suait sous l’effet de la chaleur des flammes, et à cause de sa nervosité. Les Humains avaient ouvert le feu sur lui une fois, ils pouvaient recommencer. Il distingua des mouvements au-dessus de sa tête, et comprit qu’il y avait désormais une douzaine d’arquebuses pointées droit sur lui. Il entendit alors le bruit caractéristique des lourdes chaînes en mouvement, alors que le pont-levis s’abaissa lentement avant de s’immobiliser dans un grand fracas. La herse se leva.

 

À travers l’encadrement de pierre de l’entrée du château, le Skaven Blanc distingua une dizaine de soldats armés de hallebardes qui avançaient dans sa direction. Ils étaient menés par deux Humains : un grand homme en armure, avec deux gros yeux menaçants au-dessus d’une barbe en bataille, et un homme bien moins grand, qui portait une robe aux tissus dorés avec des renforcements de cuir, dont le visage était dissimulé par un masque de cuivre qui ne laissait voir que sa bouche et son menton. L’Humain en armure ordonna :

 

-         Vous autres, en haut, s’il fait un geste brusque, vous tirez ! Toi, le mulot, pose ce drapeau par terre lentement. Très lentement.

 

L’homme masqué était sûrement le magicien qui avait mis à mal les Skavens de ses pouvoirs. Le petit homme-rat sentit le musc caractéristique de la peur exhaler de ses glandes, et vit qu’il tremblait de tout son corps. Il baissa son drapeau et le laissa tomber le plus lentement qu’il put.

 

Ce n’était peut-être pas une très bonne idée !

 

-         Bien ! reprit le chef. Maintenant, mets tes mains sur la tête, et ne bouge plus !

 

Encore une fois, Psody obéit sans oser faire un mouvement superflu. Il vit l’Humain en armure murmurer quelques mots à l’attention de l’Humain en robe. Celui-ci se mit à articuler quelques syllabes, leva la main, et un rayon lumineux jaillit d’entre ses doigts, atteignit le Skaven Blanc directement à la tête, ce qui le renversa, et ce fut le trou noir.

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