L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 29 : Face aux feux de Sotek

8812 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 11:08

Les roues de la carriole cessèrent de grincer. La voix d’Hallbjörn grommela :

 

-         Bon, on y est. Vas-y, sors !

 

Le jeune homme-rat ne se le fit pas dire deux fois. Il bondit hors du panier, et se retrouva à l’arrière de la charrette. Il pouvait voir par l’ouverture sous la bâche le jardin de la propriété Steiner… et Heike, un sourire éblouissant aux lèvres, qui l’attendait.

 

-         Psody ! Mon amour !

-         Heike ! Ma chérie !

 

Il se précipita hors du chariot, et se jeta dans les bras de la jeune Skaven, avant de la serrer contre son cœur. Soudain, un affreux tintamarre de cliquetis retentit, et son sourire se figea quand il vit tout autour de lui une quinzaine de soldats portant l’uniforme d’Altdorf, armés d’arquebuses chargées, prêtes à tirer.

 

-         Mais… qu’est-ce que…

-         Pauvre naïf ! répliqua la jeune fille-rat en le repoussant fermement.

 

Elle s’éloigna de lui à pas pressés, et se blottit contre Ludwig Steiner, qui le regardait d’un air réjoui.

 

-         Voilà, Père. Nous l’avons eu.

-         Je te félicite, ma fille ! Tu es une excellente comédienne !

-         Je n’ai pas tant de mérite. Les garçons sont tous les mêmes, à baver et à obéir comme un petit chiot quand une fille leur promet une friandise !

 

D’autres gens d’armes munis de hallebardes ceinturèrent le petit Skaven Blanc, lui arrachèrent tous ses vêtements et lui mirent des fers aux poignets et aux chevilles. L’un d’eux lui flanqua un coup de hampe sur le dos, le forçant à s’agenouiller. Steiner s’approcha, et l’agrippa par le menton d’une poigne de fer.

 

-         Tu m’as gentiment appris tout ce que je voulais, et je prendrai soin de tous les trésors et de la science que tu m’as ramenés de Lustrie. Je n’ai plus besoin de toi, à présent. Mais je ne vais pas prendre le risque de te laisser filer n’importe où.

-         Shallya est miséricordieuse, mais elle nous interdit de fraterniser avec des créatures aussi viles que vous, murmura posément Romulus, descendu du chariot.

-         Laissez-moi l’exécuter, au nom de Myrmidia ! s’écria Abigaïl.

-         Non, ma chère. Je sais que cela vous ferait plaisir et honneur, mais il ne vaut pas la peine que vous salissiez vos mains sur lui. J’ai pensé à autre chose. Mon ami ?

 

Steiner relâcha sa prise, et fit un geste de la main. Le cœur de Psody s’arrêta net quand il vit approcher le Prophète Gris Vellux, un sourire carnassier aux lèvres.

 

-         J’ai pensé qu’il était de bon goût de te ramener chez toi, reprit le marchand.

-         Je te retrouve avec plaisir-joie, articula lentement le grand Skaven Blanc.

 

Vellux donna au marchand une bourse pleine et volumineuse. Steiner l’ouvrit, et en sortit prudemment un petit fragment de malepierre.

 

-         Nous en ferons bon usage, n’est-ce pas, Romulus ?

-         Je suis sûr que nos malades seront ravis de devenir plus forts et plus résistants, quitte à gagner un bras supplémentaire ou des écailles de poisson.

 

Une Vermine de Choc saisit Psody, le jeta sur son épaule, et se dirigea vers la sortie. Le petit Skaven Blanc vit encore Heike, Steiner et Romulus le regarder avec condescendance. Il cria de toutes ses forces :

 

-         Sales traîtres ! Pourritures ! Vous ne valez pas mieux que les Skavens !

-         Tais-toi, sale rat ! rétorqua Steiner.

-         Va te faire écorcher par ton frère Klur ! glapit Heike, avant d’éclater d’un rire hystérique.

-         Non ! Pourquoi, Heike ?

 

 

Le jeune Skaven Blanc se réveilla en sursaut.

 

-         Pourquoi, Heike ? Pourquoi ?!

-         Psody, Psody ! appela près de lui le prieur Romulus.

 

Psody sursauta, et couina de panique.

 

-         Espèce de sale menteur ! Je vais…

-         C’est bon, c’est fini ! dit Romulus d’un ton apaisant. C’était un cauchemar. Juste un cauchemar.

 

Le petit homme-rat secoua vigoureusement la tête, qui lui faisait souffrir le martyr.

 

-         Oh ! Oh, Romulus… Qu’est-ce qui s’est passé ?

-         Vous avez été empoisonné par une drogue hallucinogène, et ça vous a embrumé l’esprit. Quoi que vous ayez vu, c’est terminé. Je suis avec vous.

 

Psody finit de reprendre ses esprits, et écarquilla les yeux en voyant la posture de Romulus. Le prieur était debout, à sa droite. Plutôt, il était maintenu debout contre une muraille par de solides liens de corde qui enserraient ses poignets. Hallbjörn était dans la même posture à sa gauche, comme Tomas, Abigaïl et Nedland… et lui-même. Il réalisa qu’il était dans la même position que Cuelepok bien avant lui, ainsi que pendant son cauchemar où il avait vu Thanquol lui briser le corps à coups de massue. Il ne put retenir un glapissement effrayé.

 

-         Nous sommes prisonniers !

-         Admirable sens de l’observation, ironisa le Halfling, toujours enclin à plaisanter.

-         Ils nous ont traîné dans une cave à part, je crois, expliqua le prieur.

-         Où sont mes gars ? gronda le capitaine mercenaire.

-         Espérons qu’ils soient encore en vie !

-         Ah ouais ? Alors moi, j’espère pour ces satanés lézards que… hé ! Psody !

-         Quoi, quoi ?

-         Qu’est-ce que t’as sur la tête ?

-         J’ai quelque chose sur la…

 

Le petit Skaven Blanc comprit d’où venait la migraine qui lui taraudait le crâne depuis son réveil. Romulus le regarda plus attentivement.

 

-         Mais oui… Vous portez une sorte de… couronne.

-         Rien de précieux, ajouta le capitaine Ludviksson. Elle est toute simple, constituée de tiges de… je ne sais pas, je n’arrive pas à voir dans quelle matériau elle a été forgée.

-         Je me sens mal… gémit Psody. Pourquoi-pourquoi ?

-         Il y a des petites pointes qui en sortent. Et si j’en crois le sang séché sur tes tempes, ces tiges ne dépassent pas qu’à l’extérieur.

 

En voyant l’expression de terreur montante du jeune homme-rat, Romulus remercia Shallya de ne pas lui avoir donné un nez trop sensible qui aurait perçu pleinement les effluves acides répandues par ses glandes.

 

-         Je… Romulus… je…

-         Que vous arrive-t-il, mon ami ?

-         Je ne sens plus rien-rien ! Plus de magie ! Plus de flux vitaux ! C’est comme si j’avais perdu une partie de mes sens !

-         Ma main à couper que c’est cette couronne, supposa Nedland. Nos hôtes ont vraisemblablement pris leurs précautions. J’aurais fait pareil.

-         Nous avons fait pareil quand il est venu nous trouver, rappela Romulus avec un sourire désolé.

-         Oui ! Je me souviens ! C’est comme à notre première rencontre !

 

Le raclement d’une lourde porte retentit dans la cave sombre. Psody détourna le regard, ses yeux roses éblouis par la lumière du soleil. Les prisonniers entendirent plusieurs frottements, le bruit de pieds nus dans la poussière. Plusieurs silhouettes très inquiétantes se détachèrent dans les rayons lumineux. Romulus fronça les yeux. Il essaya de distinguer ce qu’il voyait à contre-jour, mais ne vit que de longues queues, des épaules larges et des têtes allongées. Hallbjörn, lui, remarqua les armes que tenaient leurs geôliers. Son œil de guerrier professionnel reconnut d’énormes gourdins et massues stylisées, certains semblaient taillés dans la pierre, d’autres étaient ornés de lames ou de globes.

 

Le petit homme-rat releva lentement les paupières. Sa vue redevint rapidement claire, et il comprit d’où venait l’odeur caractéristique qui venait de lui tirailler le museau.

 

Ils étaient une dizaine. Ces Hommes-Lézards étaient très grands, tous mesuraient plus de sept pieds de haut, et présentaient une carrure bien plus imposante que celle de Ko’Liňon. Leurs écailles étaient sombres, et paraissaient beaucoup plus dures et solides que la peau souple et caoutchouteuse du Skink. L’un d’entre eux, qui semblait être le chef, avait même des plaques de corne un peu partout sur l’épiderme. Leurs mâchoires étaient beaucoup plus longues, et faisaient davantage penser à celles d’un dragon. Tous portaient une tunique finement ouvragée, ainsi que des bracelets, colliers et autres parures serties de plumes.

 

-         Hum, hum… comment ça s’appelle, déjà ? demanda Nedland à Tomas.

-         Des Saurus. Toute mon enfance, j’ai espéré en voir.

-         T’as de drôles de rêves d’enfant, fiston !

-         Ils avaient l’air moins sauvages dans les livres.

 

Les Saurus s’approchèrent des prisonniers. Ils les détachèrent l’un après l’autre en arrachant leurs liens. Hallbjörn espéra :

 

-         On peut peut-être tenter quelque chose ?

-         Fais gaffe, ils pourraient te comprendre, marmonna nerveusement Nedland.

 

Chaque fois que l’un des membres de l’expédition avait les bras libérés, un Saurus lui rattachait les mains dans le dos, sous la surveillance d’un autre qui se tenait prêt à frapper le prisonnier d’un coup de massue. Tomas perçut du coin de l’œil une ombre se profiler sur le seuil de la porte. Il jeta un petit coup d’œil, et se retourna immédiatement vers le capitaine.

 

-         Et puis… Avez-vous déjà compté dans votre tableau de chasse une énorme créature haute de plus de douze pieds, aussi baraquée qu’un troll, avec de longues griffes, le dos couvert de piquants, et un bec suffisamment puissant pour broyer un boulet de canon ?

-         Non, petit gars. Pourquoi ?

-         Eh bien, je crois que c’est le moment d’imaginer une nouvelle tactique de combat !

-         Mais de quoi tu… par les crocs d’Ulric !

 

Le Norse ne se sentait pas capable d’articuler autre chose en voyant la créature pantagruélique qui obstruait l’issue de son imposante carcasse. L’énorme Homme-Lézard qui approchait à pas lourds correspondait en tous points à la description du clerc de Verena. Pas besoin de réfléchir bien longtemps pour comprendre qu’ils n’avaient aucune chance de vaincre une telle procession de monstres, encore affaiblis par le poison et sans armes. Il n’était pas possible de compter sur la magie de Psody, non plus. De toute façon, celui-ci était trop épouvanté pour tenter quoi que ce soit, persuadé de finir très prochainement dans l’estomac de la grande bête. C’est à peine s’il sentit le Saurus lui lier les poignets.

 

-         Kroxigor ! précisa Tomas.

-         Hé ?

-         Cet être immense est un Kroxigor !

-         Ravi de l’apprendre, vraiment ! grogna furieusement Nedland.

 

Le Kroxigor posa sa main sur la tête du petit Skaven Blanc, et serra les doigts. Psody hurla, mais il eut plus de peur que de mal. L’Homme-Lézard géant le souleva sans le moindre effort, le posa sur son épaule, et l’emporta dehors. Le Saurus à peau cornue émit un puissant sifflement, et ses congénères poussèrent les Humains et le Halfling dehors.

 

Les membres de l’expédition se retrouvèrent à l’air libre, éblouis par le soleil au zénith. Le petit Skaven Blanc entrouvrit ses yeux plissés, et aperçut devant lui quelque chose qu’il n’avait jamais vu autrement qu’en rêve.

 

 

Ils étaient au milieu d’une cité dans le même style architectural que Capatec Hanahuac, mais celle-là était bien différente : beaucoup plus grande, avec des ziggurats plus imposantes, plus massives, et surtout bien mieux entretenues. La végétation était aussi plus ordonnée, les chemins de pavés nets, les bâtiments et les statues intacts. Et surtout, cette cité était manifestement habitée.

 

Des dizaines de créatures humanoïdes reptiliennes. Non, des centaines. Des Skinks, des Saurus, quelques Kroxigors, mais aussi d’autres créatures parquées dans des enclos. Tomas reconnut des stégadons, d’énormes pachydermes cornus mesurant une dizaine de pieds au garrot, avec une crête osseuse qui entourait leur crâne. Ces bêtes étaient utilisées pour transporter les troupes et les charges lourdes. De grands perchoirs avaient été dressés dans un coin dégagé à part, sur lesquels se tenaient les mêmes lézards volants que ceux du pont suspendu. Et dans une grande cage, une dizaine d’énormes reptiles montés sur deux pattes tournaient en rond. Au passage des prisonniers, ils grondèrent et rugirent, exhibant une très inquiétante rangée de crocs acérés.

 

-         Hé, capitaine !

 

Les prisonniers virent alors tous les autres membres de l’expédition, eux-mêmes attachés et tenus en respect par des Saurus armés de lances et des Skinks équipés d’arcs et de javelines. Ils furent poussés les uns vers les autres.

 

-         Votiak !

-         On a fait ce qu’on a pu, mais ces salauds-là nous sont tombés sur le râble, on n’a rien vu venir !

-         Beaucoup de pertes ?

-         Pas vraiment, répondit Sigurd. Ils y sont allés avec des flèches empoisonnées et des filets ! Mais je crois qu’on a quand même perdu trois ou quatre gars.

-         Arnulf, Klemet et Gunnar, confirma Wor. Ils ont chèrement vendu leur peau !

-         Ils auraient pu tous nous massacrer… Pourquoi nous avoir gardés en vie ?

-         Un sacrifice rituel général, peut-être ? hasarda Nedland. C’est plus classieux.

 

Les Saurus s’écartèrent pour laisser passer un individu particulier. C’était un Skink un peu plus grand que les autres, et très différent de par ses couleurs et sa morphologie. Au lieu d’être dans les tons bleus et verts, ses écailles luisaient d’un éclat jaune vif. Son crâne dépourvu de crête était allongé vers l’arrière, comme une énorme olive, et ses deux gigantesques globes oculaires qui sortaient plus qu’à moitié de ses orbites pivotaient par petits coups nerveux dans tous les sens. Il portait juste un pagne simple, aucun bijou ni ornement quelconque. Une longue sarbacane était nouée à une lanière de cuir entre ses épaules, et il tenait dans sa main gauche un fouet. Il approcha de Psody, et émit un sifflement aigu. Le petit homme-rat reconnut cette inquiétante silhouette.

 

Oh ! C’est la chose-froide aux écailles qui changent de couleur !

 

Le Skink déroula son fouet et le fit claquer en direction de la plus grande des ziggurats. Les Saurus poussèrent leurs prisonniers en avant.

 

-         Hé, doucement ! protesta Nedland. Vous abîmez le matériel !

 

Hallbjörn n’y prit pas garde, déstabilisé par le comportement des Hommes-Lézards. Au cours de sa carrière, il avait déjà été capturé et mené dans un campement couvert de chaînes, notamment par une bande de Norsii maraudeurs du Chaos, puis une autre fois par des Orques. Or, chaque fois, ses ravisseurs avaient toujours hué et craché sur les prisonniers qui circulaient au milieu d’eux. Tout était différent, ici. Les habitants de Lustrie faisaient preuve d’un calme aussi inhabituel qu’inquiétant. En dehors du Skink jaune, des Saurus et des Kroxigors qui les poussaient toujours à avancer le long du chemin, aucun ne bougeait. Ils étaient très calmes, certains étaient complètement immobiles, tels des statues.

 

Ce silence rendait les Humains de plus en plus nerveux. Le jeune Tomas voulut réchauffer un peu l’ambiance avec une petite boutade :

 

-         J’imagine que je risque d’être déçu si je réclame un avocat ?

-         Finement observé, fiston, marmonna Nedland, sans le moindre sourire.

 

Le petit homme n’en menait pas large, même s’il faisait tout pour continuer à paraître cynique. En revanche, le jeune Skaven Blanc était clairement catastrophé.

 

-         Mais pourquoi, pourquoi je nous ai entraînés là-dedans ?!

-         Ne t’en fais pas, Psody, murmura Tomas. Je te rappelle qu’on était tous volontaires.

 

Ils furent ainsi menés jusqu’au pied de la plus grande ziggurat. L’immense pyramide de pierre était suffisamment grande pour cacher le soleil aux explorateurs. Le Skink à peau changeante fit derechef claquer son fouet, et montra du doigt le sommet. Bon gré mal gré, les Humains, le Halfling et le Skaven Blanc commencèrent à gravir l’escalier.

 

Au fur et à mesure qu’ils montaient les marches, Psody eut une impression étrange. Soudain, il comprit.

 

-         Romulus… ce n’est pas la première fois que je vois tout ça !

-         Dans vos cauchemars ?

-         Oui, et en plus, ce n’est pas une vague impression. Tout est conforme ! Les statues sur les côtés, la configuration des escaliers…

 

Et au fur et à mesure qu’il parlait, il vit précisément des images fugitives, mais très nettes. Comme il l’avait espéré, la mémoire lui revint progressivement, mais il était trop effrayé pour s’en réjouir.

 

-         Nous sommes là où tous les Skavens de Cuelepok ont été massacrés-annihilés !

-         Ouais, sauf que nous sommes à leur place, maintenant ! s’exclama Votiak.

 

Romulus murmura :

 

-         Là où il y a de la vie, il y a encore de l’espoir. Shallya m’en soit témoin.

 

Psody se concentra sur des sensations et des images qui lui paraissaient agréables. La soupe de Dame Katel, le jardin des Steiner, les embruns sur son visage. Mais des cris terrifiés, des hurlements suraigus de douleur occultèrent ses pensées. Pas de doute, c’était des voix de Skavens, ceux qui avaient été éliminés par leurs parents adoptifs. Quand il baissait les paupières, il voyait les mêmes marches, les mêmes statues, sauf qu’il y avait des Skavens en lieu et place de ses frères d’armes. Des Skavens nus, affaiblis et désespérés, leur corps portant les traces évidentes de multiples sévices corporels. Et contrairement à ce qui se passait pour l’expédition Steiner, les Hommes-Lézards les fouettaient, les piquaient de leurs lances, sur leur passage.

 

Les images étaient d’une violence insupportable. Les Hommes-Lézards ne retenaient pas leurs coups contre leurs ennemis éternels. Mais pouvait-on parler d’ennemis, dans ce cas précis ? C’est ce qui attrista le plus le petit Skaven Blanc. Les malheureux hommes-rats de ces visions n’étaient pas les monstres égoïstes et lâches de l’Empire Souterrain. Sous les blessures, leurs traits étaient beaucoup plus doux, plus détendus, plus nobles, témoins d’une personnalité beaucoup plus humaine : la sagesse des Slanns teintée de la chaleur de leur mentor Skaven Blanc était maltraitée sans la moindre pitié.

 

Le plus bouleversé était Cuelepok lui-même. En tête de ce sinistre cortège, le patriarche n’éprouvait pas que de la souffrance physique. Il y avait du désespoir, et une grande colère. La révolte enflammait tout son être, et sans la couronne de rétention qui enserrait son crâne, peut-être qu’il aurait fait appel à la magie pour foudroyer tous les fils de Sotek présents.

 

Psody secoua la tête. Il ne voulut pas en supporter davantage. Finalement, ils atteignirent au sommet. Ils se trouvaient sur une immense plate-forme qui surplombait toute la cité. La vue était superbe, mais aucun des prisonniers n’était disposé à s’extasier. Le petit homme-rat eut l’impression de reconnaître cet endroit plus que tout le reste. C’est alors qu’il réalisa que ses yeux étaient tournés vers une lourde dalle sur le sol, dans laquelle étaient incrustés deux anneaux de métal. L’espace d’un quart de seconde, il vit des Skavens précipités dans la fosse grande ouverte. La voix du capitaine Ludviksson le ramena à la réalité.

 

-         Par la barbe d’Ulric, qu’est-ce que c’est que cette chose ?

 

Psody leva les yeux sur un spectacle singulier.

 

Devant eux, il y avait un trône de bois ouvragé sur une estrade de pierres sur lequel était assise une énorme créature. L’être devait peser quatre ou cinq centaines de livres, et ses jambes, aussi maigres que ses bras, semblaient bien trop faibles pour pouvoir le porter et contrastaient avec son corps de bibendum. Il portait un collier de plaquettes dorées, des bracelets autour de ses poignets et chevilles et une coiffe ornée de plumes multicolores sur la tête. Sa main palmée serrait un sceptre à l’extrémité surmontée d’un disque d’or en forme de soleil. Ses petits yeux étaient clos, comme s’il dormait. Son large faciès rappelant très vaguement celui d’un lézard était fendu d’une extrémité à l’autre par une bouche aux lèvres fines, dont émergeait par intermittence une longue langue tubulaire à l’extrémité ronde et plate. Il y avait la poignée d’une arme dépassant d’un fourreau, à portée de sa main.

 

De chaque côté du trône se tenait un Saurus. Ces deux-là faisaient penser à des gardes d’élite, de par leur attitude – appuyés sur leur massue de pierre ouvragée – et par leur tenue : ils portaient une tunique de tissu coloré et une cape de plumes bariolées. Sur la tête, le crâne d’os d’un de leurs animaux de bât faisait office de casque.

 

Tous les mercenaires furent rassemblés à quelques yards du trône, et les Hommes-Lézards les encerclèrent.

 

-         Frère Tomas ?

-         Oui, prieur Romulus ?

-         C’est bien un Slann, je suppose ?

-         Absolument, prieur.

-         C’est leur chef ? demanda Hallbjörn.

-         Plus précisément un prêtre-mage. Les prêtres-mages constituent la plus haute autorité pour les habitants de Lustrie. Ils sont les intermédiaires entre eux et leurs dieux. Et ne vous fiez pas aux apparences, capitaine. Même s’il n’a pas l’air capable de quitter son fauteuil, je peux vous garantir qu’il maîtrise la magie comme il respire. Et sachez qu’il devrait pouvoir communiquer par la pensée.

 

Le Skink aux écailles vives siffla avec agressivité, intimant le silence. Puis il se plaça à la droite du trône de bois.

 

La créature adipeuse ouvrit lentement un œil, puis l’autre, ses paupières clignèrent deux fois, et sa main libre se crispa sur l’accoudoir de son fauteuil. Tous les membres de l’expédition Steiner entendirent alors une voix résonner directement dans leur esprit. C’était une voix douce, grave, et un peu lasse, le timbre d’une personne ayant vécu tellement d’expériences que toute la lassitude d’un peuple pesait sur ses épaules.

 

-         Eh bien, eh bien… Qu’avons-nous là ? Des voyageurs égarés ? Drôle de compagnie, en réalité. Avec des armes, des agents divins… et un Xa’Cota !

-         Un quoi ? demanda le capitaine Ludviksson qui n’avait jamais entendu ce mot.

-         Ils se nomment « Skavens » ou « Fils du Rat Cornu », mais nous les désignons sous le terme « Xa’Cota ». Un mot qui signifie « fléau », entre autres choses. Un mot on ne peut plus approprié pour désigner cette petite horreur blanche, continua la voix qui devint plus dure, plus cassante.

 

Au plus profond de lui, Psody fut piqué au vif par le ton hautain et le verbiage insultant du Slann. Or il ne s’agissait plus d’un Skink isolé, et la moindre réponse de sa part comportait bien plus de risques de provoquer des conséquences désastreuses.

 

-         Qu’est-ce que vous êtes venu faire sur notre territoire ?

 

Le capitaine Norse s’avança, l’air déterminé, bien décidé à ne pas laisser paraître la moindre crainte.

 

-         Je suis le capitaine Hallbjörn Ludviksson, et c’est moi qui commande cette expédition. Nous sommes venus ici pour explorer le coin et trouver des explications. Nous étions sur le point de tout comprendre et de nous en aller, quand vos serpents nous ont attaqués, et capturés.

-         Tel est votre point de vue, capitaine Ludviksson. Maintenant, laissez-moi vous présenter le mien : vous êtes des pillards, venus vous emparer de connaissances qui ne vous sont pas destinées, et qui vous dépassent complètement. Vous êtes des sacrilèges, sans le moindre respect pour ce qui est précieux et pur à nos yeux. Vous êtes des vandales, renversant tout sur votre passage, la nature et ses habitants.

 

Le prêtre-mage fit une pause. Romulus en profita pour parler à son tour :

 

-         Grand Prêtre, je suis le prieur Romulus. Tout comme vous, je suis un homme de religion, je sers Shallya, la déesse de la Compassion. Nous ne sommes pas venus avec des intentions hostiles. Le capitaine Ludviksson dit vrai, notre but était de connaître le fin mot d’une histoire qui nous a été contée il y a quelques mois. C’est ce jeune garçon du peuple des hommes-rats qui nous a parlé des rapports entre les Slanns et des Skavens.

-         Nos rapports se sont limités à la guerre, prieur de Shallya.

-         C’est ce que nos érudits ont déterminé, or notre jeune ami ici présent nous a expliqué qu’au moins une fois, votre peuple et le sien ont fraternisé.

-         Et vous l’avez cru ? Un Xa’Cota ? Ils ont la traîtrise et la duperie dans le sang !

-         Pas cette fois-ci, protesta Sœur Abigaïl. Nous avons trouvé d’autres indices étayant cette théorie avant de monter cette expédition. Et nous avons suivi les traces de Cuelepok jusqu’à la cité de Capatec Hanahuac.

 

L’énorme Slann cligna lentement des yeux.

 

-         Cuelepok était un pauvre fou illuminé qui a commis une erreur fatale : il a voulu détourner de leur nature les fils du Rat Cornu. Il l’a payé de sa vie.

-         Le Vénérable Seigneur Kroak l’a condamné à mort, nous le savons, répondit Tomas.

-         En effet, et c’est moi qui ai exécuté la sentence… tout comme je vais prononcer et exécuter votre sentence.

 

Cette déclaration eut un effet particulièrement réfrigérant sur le moral des Humains.

 

-         Capitaine Ludviksson, reprit le Slann, je pensais pourtant que vous aviez retenu la leçon. Or, vos plaies ne sont pas encore guéries que vous avez foncé tête baissée dans le danger, de nouveau ! Ce n’est même plus de la folie, c’est une recherche délibérée de la douleur !

-         Je suis un Berserk, mon vieux. Les blessures et la douleur, c’est dans ma nature.

-         Est-ce dans votre nature de vous montrer cupide à ce point ?

-         Il faut bien vivre, non ? On me paie pour ce que je sais faire le mieux ! J’assume.

-         Y compris quand ça vous fait perdre autant d’hommes, comme à Zlatlan ?

 

La fourrure de Psody se hérissa davantage quand il vit le visage du capitaine Norse, jusqu’alors impassible, s’empourprer de rage.

 

-         Sois maudit, crapaud baveux géant !

 

L’un des Kroxigors gifla Hallbjörn sur l’occiput, assez fort pour le faire tomber par terre. L’Humain se releva lentement, et se tourna vers l’énorme brute reptilienne.

 

-         Quel beau manteau je pourrais me faire avec tes écailles !

-         Un peu de tenue, répliqua le Slann. J’ai l’impression que vos hommes ne savent pas de quoi je parle.

-         C’est pas leurs oignons !

-         Bien sûr que si. Ils n’aimeraient pas savoir que vous avez déjà rencontré notre peuple sur le grand Continent du Sud, ni que tous vos hommes y ont perdu la vie, si l’on excepte maître Votiak et sire Grangecoq.

 

Le jeune Ranulf bégaya :

 

-         Hallbjörn… ce n’est pas vrai ? Dis-moi que ce n’est pas vrai ?

-         Il dit la vérité, répondit simplement le Norse d’un ton neutre.

-         Je confirme, ajouta Nedland.

-         Pourquoi t’as rien dit ? demanda Wor.

-         Pour éviter de vous foutre la pétoche, répliqua Votiak. On n’était pas sûr de rencontrer ces charmantes personnes. Les Hommes-Lézards ne sont pas des rigolos. Tant que vous ne le saviez pas, vous étiez davantage motivés et efficaces.

-         Il existe une cité habitée par notre peuple, nommée Zlatlan, dans le pays que vous appelez « Terres du Sud », expliqua le prêtre-mage. Avant de vous retrouver dans cette ferme abandonnée, le capitaine Ludviksson a accepté de participer à une expédition dans les terres du Continent du Sud. Il espérait y trouver suffisamment de trésors pour monter une petite armée, et tenter de réaliser je ne sais quel rêve absurde de reconquête de ce qu’il a perdu. Un autre projet dans lequel tous ceux qui l’accompagneraient n’en reviendraient jamais, évidemment.

-         Je fais ce que j’ai à faire pour mon peuple ! aboya Hallbjörn. C’est plus constructif que de rester le cul vissé sur son siège à écouter pousser l’herbe !

 

Le prêtre-mage leva l’index de la main gauche, sans lâcher l’accoudoir. Aussitôt, une force irrésistible souleva le Norse à trois pieds du sol, et le projeta sur ses compagnons.

 

-         Bien évidemment, les trois survivants n’y ont trouvé que déception, encore que le fait de survivre est déjà en soi quelque chose. Mais tout ceci ne nous intéresse pas, aujourd’hui. Revenons plutôt à votre venue ici.

 

Pendant que le capitaine Norse et ses camarades se remettaient debout, la tête massive pivota lentement dans la direction de frère Tomas.

 

-         Vous, jeune Humain, j’avoue que votre présence me surprend un peu. Je peux comprendre qu’un prêtre de Shallya soit utile pour panser les blessures et rassurer les esprits les plus superstitieux. La présence d’une templière apporte également dans votre groupe un contre-balancement qui favorise une certaine harmonie vis-à-vis des autres gens. Mais qu’est-ce qu’un enfant cultivé et sédentaire comme vous fait au milieu de ce ramassis de canailles ?

 

Le jeune clerc de Verena toussota, et expliqua :

 

-         Je réalise un rêve d’enfant, grand prêtre-mage. Depuis que j’ai appris l’existence des Hommes-Lézards, je n’ai qu’une envie, c’est de les voir de mes propres yeux. Les Humains savent que vous existez, mais ont beaucoup d’a priori sur vous. Cette expédition est pour moi l’occasion unique de vous voir en personne, et de pouvoir connaître la vérité sur vous. Je pourrai ainsi corriger les idées fausses !

-         Quel genre d’idée fausse ?

-         Eh bien… que vous seriez agressifs… et peu hospitaliers.

 

Mais au fur et à mesure qu’il parlait, le jeune homme se sentit de plus en plus mal à l’aise. Le prêtre-mage lui répondit :

 

-         Et il ne vous est jamais venu à l’esprit que ces idées pouvaient être exactes ? Et qu’une rencontre avec nous pouvait se solder par votre mort ?

-         Euh… j’y ai pensé… mais quand on ne prend pas de risque, on n’obtient rien !

-         Vous réfléchirez avant de traîner avec des bandits. Je crains que vous n’y perdiez plus que votre temps… et peut-être plus vite que vous ne le croyez.

 

Le Slann s’adressa alors directement à Psody.

 

-         C’est votre présence qui me gêne le plus, Xa’Cota. Le simple fait d’avoir foulé de vos pattes sales le sable des plages de Lustrie est une insulte pour notre peuple. Vous avez mis des idées absurdes dans la tête de rêveurs comme le frère Tomas, éveillé la cupidité de crapules Norses, vous avez violé la quiétude de nos terres, vous avez pillé la tombe d’un serviteur de Sotek, vous avez volé un objet précieux, et en plus de tout ça, vous avez assassiné un honorable prêtre de Sotek, de surcroît de mes rarissimes amis ! Mais où aviez-vous la tête ? Pensiez-vous vraiment que vous pourriez faire tout ça en toute impunité, pauvre fou ?

 

Le pauvre petit Skaven Blanc se sentait littéralement écrabouillé par la pression qu’exerçait le Slann par sa voix devenue tonitruante et son regard plus perçant que le plus acéré des dards.

 

-         Hé, pour l’objet, j’avais bien dit de ne rien toucher ! protesta le capitaine Norse. Je vous l’aurais rendu si vous l’aviez demandé gentiment, l’ami.

-         Et puis, il faudrait savoir ce que vous voulez ! renchérit Votiak. D’abord, vous dites que le gars dont on a visité la tombe est un « pauvre fou illuminé », ensuite vous l’élevez au rang de « serviteur de Sotek » ! Alors, quoi ? Si c’était quelqu’un qui vous faisait honte, on vous en a débarrassé, et si c’était un individu sacré, fallait pas le mettre là où le premier imbécile venu pouvait le trouver !

-         Il suffit.

 

Les Hommes-Lézards se rapprochèrent, et les plus proches sifflèrent de plus en plus fort. Les Kroxigors rugirent. Le Slann leva son sceptre.

 

-         Votre présence en ces lieux est aussi inappropriée que celle du ver dans un fruit. Selon nos lois, vous allez devoir en subir les conséquences. C’est une décision que je ne vais pas prendre seul. Je vais m’adresser à mes frères Slanns par la pensée. Je vous répéterai leur sentence.

 

Le prêtre-mage reposa sa main sur l’accoudoir du trône et ferma les yeux. Il resta immobile pendant de longues minutes. De longues minutes qui semblèrent durer une éternité pour toute la compagnie, en particulier le petit homme-rat. Plus d’une fois, Hallbjörn fut tenté de héler le gros Slann pour accélérer les choses, mais son instinct de guerrier lui ordonna de n’en rien faire. Sœur Abigaïl se demanda même si le Slann était vraiment en train de s’adresser à ses frères de race, ou s’il avait commencé une petite sieste.

 

Enfin, le prêtre-mage releva lentement les paupières. De nouveau, sa voix détachée retentit dans tous les esprits.

 

« Depuis des temps immémoriaux, les Hommes-Lézards sont installés en Lustrie, et veillent sur des secrets, des savoirs et des concepts qu’ils sont les seuls en ce monde à pouvoir pleinement comprendre. Nous sommes les instruments des Anciens qui ont construit ce monde et créé les peuples qui y vivent. L’équilibre du monde, le maintien des forces du Chaos dans leur réalité dépend de nous. Aussi, nous devons tout faire pour maintenir les choses en place, et nous ne pouvons pas tolérer que des individus aussi insignifiants puissent menacer de perturber nos plans. »

« Vous êtes venus sur notre continent, et avez débarqué en un lieu d’où les Humains se tiennent normalement à l’écart. Ensuite, vous avez ignoré notre avertissement, et vous avez profané successivement le temple de Tixoco et la cité de Capatec Hanahuac. Ce sont des lieux saints à nos yeux, même s’ils ne sont plus habités, et tout le monde en Lustrie sait qu’il est interdit à ceux qui ne font pas partie du peuple de Sotek d’y pénétrer. Vous vous êtes introduits dans une tombe, vous avez détruit le corps qui y reposait, et vous avez tenté de nous voler un artefact. Et à cause de vous, un prêtre de Sotek qui se contentait de remplir ses fonctions en protégeant Tixoco est mort. Tout ça commence à faire beaucoup, étrangers. »

« Vous avez cependant de la chance. J’ai tout expliqué aux prêtres-mages de la génération précédant la mienne. Ils jugent que le préjudice n’est pas suffisamment grave pour les énerver, et imaginer une punition élaborée et mortelle. Ils ne veulent pas perdre du temps et de l’énergie à traiter une affaire que nous pouvons régler simplement, ici et maintenant. Ils m’ont laissé libre de choisir et prononcer la sentence que je vais vous annoncer. Aussi, par les pouvoirs qui me sont conférés, en tant que prêtre-mage du peuple de Sotek, je vous déclare tous anathèmes. Je vous condamne au bannissement définitif. »

 

Les prisonniers se regardèrent mutuellement, à la fois soulagés et énervés. Ils n’aimaient pas du tout s’avouer vaincus devant un adversaire, même quand ils sentaient que c’était la meilleure chose à faire pour rester en vie. La créature continua sur le même ton monocorde :

 

-         En conséquence, vous allez tous quitter cet endroit pour ne plus jamais revenir. Et toute autre personne qui reviendra ici pour tenter de profaner ce lieu sera considérée comme sacrilège, et nous agirons en conséquence.

-         Vous n’allez pas nous faire disparaître ? demanda Hallbjörn, qui n’y croyait pas.

-         Si je le faisais, les vôtres finiraient par s’en rendre compte, notamment ceux qui vous ont fait venir ici. C’est ce que mes pairs ont prédit. Nous n’avons pas besoin de déclencher une guerre avec les Humains. Mais ce sera notre unique avertissement. Capatec Hanahuac n’est plus que ruines, mais elle reste un lieu tabou. Vous allez maintenant tous partir…

 

Psody serra les dents, déçu de ne pas avoir obtenu ce qu’il voulait, mais son sang se glaça dans ses veines quand il entendit le prêtre Slann continuer.

 

-         …sauf le Skaven.

-         Hein ?

 

L’énorme créature pivota lentement vers le petit Skaven Blanc.

 

-         Vous êtes un Xa’Cota. Les Xa’Cota sont les ennemis par excellence des Slanns. Les vôtres ont attaqué les miens, brûlé nos arbres, détruit nos cités, encore et encore, et je sais qu’ils ont embarqué les maladies de ce pays pour les répandre partout ailleurs. Les Fils du Rat Cornu sont un fléau aux yeux des Enfants de Sotek. Vous laisser en vie serait trahir mon dieu et ma race. Vous en savez beaucoup trop sur nous, je ne peux pas me permettre de vous laisser dilapider nos secrets.

-         Non ! protesta Psody. Je… je ne suis pas comme les autres ! Je suis avec les Humains !

-         De plus, continua le Slann un ton plus haut pour intimer le silence au jeune homme-rat, c’est vous qui avez tué mon ami Ko’Liňon. Vous êtes un meurtrier pour nous. Nos lois sont très claires : vous méritez la mort.

-         Non, s’il vous plaît ! Je ne dirai rien, pas un mot ! Je vous le jure !

-         Non, vous ne direz rien. J’y veillerai personnellement.

 

Deux des Kroxigors soulevèrent alors la grande dalle de pierre, révélant le puits noir qui avait été la conclusion de la vie des Skavens de Capatec Hanahuac. Le petit Skaven Blanc crissa de terreur, les yeux exorbités. La voix du Slann expliqua encore :

 

-         Dans le cas peu probable où vous survivriez à la chute, vous mourrez de faim et d’épuisement, tout seul, dans les ténèbres, comme le rat que vous êtes. Telle est la punition réservée aux rejetons du Rat Cornu.

 

Les deux Saurus casqués approchèrent du petit homme-rat, l’air menaçant. Romulus avança de quelques pas, se mettant à ses côtés.

 

-         Attendez, prêtre-mage. C’est un enfant qui a passé sa vie dans la violence et la peur, mais il a changé ! Il raisonne comme nous, maintenant, et veut sincèrement faire le bien, selon notre point de vue !

-         C’est un Xa’Cota. Jamais il ne fera le bien, même en y mettant toute sa volonté.

 

Le prieur se plaça entre l’homme-rat et les deux Saurus, qui s’arrêtèrent.

 

-         Laissez-le rentrer chez nous, et gardez-moi !

-         Romulus… murmura Psody.

 

Six mois plus tôt, il aurait bondi de joie à l’idée de voir quelqu’un se sacrifier pour lui. Or, comme il avait effectivement appris à raisonner avec altruisme, il eut un nouveau coup au cœur devant le risque de perdre son ami. En même temps, il était trop paniqué à l’idée d’être immolé par ces créatures, et n’osait rien dire de plus. Le prieur se retourna, lui fit un petit sourire rassurant, et continua :

 

-         Mon âme est préparée à ce sacrifice, prêtre. Pas la sienne. Il a toute une vie à vivre, et n’aspire qu’à l’employer pour faire progresser notre connaissance. Il nous a déjà beaucoup aidés en nous révélant de nombreux secrets de la société des Skavens.

-         Peut-être, mais ce qu’il a fait chez vous n’a aucune importance chez nous. Oubliez-le, et allez-vous-en.

 

Hallbjörn s’approcha à son tour. Il défia du regard les deux gardes reptiliens.

 

-         Pas sans lui !

-         Je suis prête à le défendre ! déclara Abigaïl.

-         Moi aussi ! renchérit l’un des mercenaires.

-         Le premier lézard qui touche au petit rat blanc, je me taille des bottes dans sa peau ! ajouta un autre.

 

Bientôt, tous les hommes d’Hallbjörn levèrent le poing. Encore une fois, Psody se sentit comme transporté. Tous ces gens étaient donc prêts à se battre pour le sauver ! Le Slann ne manifesta aucune émotion.

 

-         Allons… vous savez que vous n’avez aucune chance. Nous sommes bien plus nombreux que vous, et nous avons vos armes. Vous avez le choix entre laisser l’un des vôtres derrière vous, un Skaven de surcroît, ou tous y laisser la vie. Si vous choisissez la violence, aucun de vous n’en réchappera, et personne ne viendra vous chercher. Ne me dites pas que ce choix est tellement difficile à faire.

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