Quai n°3

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- Ouais Jamie.

- Salut mec, tu vas bien ?

- Ça va, et toi ?

- Ouais, ouais. T'as une petite voix, t'es sûr que ça va, toi ?

- Oui t'inquiète pas.

- Si tu le dis ... Lois est partie avec la petite, tu veux passer boire un verre ?

Russel marqua une pause. Il n'avait pas vraiment envie de sortir aujourd'hui. Dehors, le temps était brumeux et gris, à l'image de son humeur. Il soupira.

- Eh bien ... dit-il, pourquoi pas.

- Ok, je t'attends. A tout de suite !

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Il raccrocha. "Peut-être que ça me fera du bien de sortir un peu" se dit-il. Jamie était son meilleur ami, il savait qu'il pouvait compter sur lui pour lui remonter le moral. Depuis que Glen était parti, Russel ressentait un vide en lui. Il se dirigea vers la salle de bain et enleva ses vêtements. Immobile sous le jet chaud et vaporeux de la douche, il repensait à tous ces matins à la gare, à la soirée de la veille, à cette nuit et à cette matinée glaciale. Son humeur paraissait changer à tout instant. Quelques fois il lui semblait avoir honte, il se disait que tout ça n'était qu'une erreur et qu'il n'y avait plus rien à faire, plus rien à dire. D'autres fois, il repensait avec nostalgie à la nuit que Glen et lui avaient passé, en culpabilisant de l'avoir laissé filer si vite. Il s'imaginait prendre cette douche à ses côtés, testait ses ressentis et son attirance. Les yeux fermés, la tête sous l'eau, il pensait aux bras de Glen, à sa peau, lisse et mouillée contre la sienne, à ses baisers et à cette barbe presque agréable à toucher du bout des doigts. Puis, il ouvrait de nouveau les yeux et se forçait à rêvasser d'autres choses. Il se préparait, faisait le tour de son appartement, fumait une ou deux cigarettes, ou bien il écoutait la radio tout en rangeant quelques affaires. Mais quoi qu'il fasse, le visage de Glen persistait dans son esprit ... Une fois arrivé devant la petite maison de Jamie, il sonna à la porte. Après quelques secondes, son ami vint lui ouvrir.

- Hey ! s'exclama Jamie. T'en as mis du temps ! Ça va toujours ?

- Oui oui ça va, répondit Russel en esquissant un sourire quelque peu forcé.

- Si tu le dis. Allé, je t'offre un truc à boire ! Qu'est ce que tu prends ?

- Je veux bien un café s'te plaît.

- Comme d'habitude, dit-il en souriant. Je vais te chercher ça.

Jamie l'invita à venir s'asseoir dans le canapé du salon au pied d'une table basse avant de disparaître un instant.

- Quoi de neuf toi ? demanda-t-il depuis la cuisine.

- Bah rien de spécial ...

- Sûr ? - Pourquoi t'insistes comme ça.

- On me la fait pas à moi, lança Jamie. T'as fait la fête hier ?

- J'ai l'air si crevé que ça ? dit Russel.

- Honnêtement ? Oui.

Jamie réapparu avec deux cafés à la main et s'assit à côté de son ami.

- Alors, t'as ramené quelqu'un ? demanda-t-il en souriant.

Russel soupira. Il ne savait pas quoi dire.

- Eh bien, j'ai bu un verre avec quelqu'un en tout cas ...

- Comment elle s'appelle ?

- Pourquoi veux-tu savoir ?

- Bein parce que, entre potes c'est normal ! Tu me connais maintenant.

Devant l'enthousiasme et la puérilité de son ami, Russel ne put s'empêcher de sourire. "S'il savait", se disait-il.

- Chris ... tina. Christina, lança-t-il au hasard.

- Joli prénom. C'était qu'un truc sans lendemain ?

- J'en sais rien Jamie. J'en sais rien, répondit Russel en soupirant. Lois va bien ?

- Ça va, écoute. La petite grandit tellement vite ...

- Ouais c'est vrai que ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Elles rentrent quand ?

- En fin d'après midi, sûrement, répondit Jamie. Elles sont parties faire quelques courses.

Dehors, un brin de rayon de soleil pointait son nez au milieu des nuages gris. Avec son café, Russel s'alluma une cigarette. Il ne parlait pas beaucoup, semblait préoccupé et Jamie le sentait. Il le connaissait par coeur, ils se côtoyaient depuis des années maintenant. Cette façon de fixer obstinément l'horizon à travers la fenêtre du salon, et puis cette manie de regarder son téléphone toutes les deux secondes pour vérifier l'heure, ou autre chose peut-être. Il n'avait rien à dire, et se contentait de répondre aux questions que Jamie lui posait. Puis, vers cinq heures et demi, la fatigue le poussa à rentrer.

- Déjà ? demanda Jamie.

- Ouais, je suis un peu dans les vapes. Je reviendrai voir les filles un autre jour, quand je serai plus en forme.

- Comme tu veux, alors. Repose toi bien, d'accord ?

- Oui, t'en fais pas.

Jamie raccompagna son ami vers la porte. Ils se saluèrent d'une accolade amicale et Russel quitta le petit pavillon les mains dans les poches. Habituellement il prenait le vélo pour les sorties en ville. Mais cette fois il s'était contenté des transports en communs bruyants et insalubres. De toute façon, dans peu de temps il retrouverait son appartement, voilà tout ce qui lui importait. Une fois assis dans un des sièges du tramway, il méditait toujours. Il pensait à demain. Car demain, une journée de travail l'attendait. Demain, il se rendrait à la gare et, comme toujours, il croiserait Glen. Une boule emplie d'appréhension se formait dans son estomac rien qu'au simple fait d'y penser. Il regardait l'écran de son téléphone portable mais bien sûr, Glen ne lui avait pas donné son numéro. Et bien entendu, il ne lui avait pas demandé. De toute façon, que pourrait-il bien lui dire ? Le tramway venait de s'arrêter là où Russel devait descendre. Mais trop préoccupé par des questions auxquelles il ne trouvait pas de réponses, il n'avait pas bougé d'un poil. Il dût attendre le prochain arrêt. Alors que la nuit tombait, Russel perdait sa patience. Toutes ces conneries qui s'emparaient de son esprit, l'obligeaient maintenant à marcher, et encore marcher dans les rues bruyantes de cette foutue ville, alors que tout ce qu'il désirait à cet instant, était de dormir pour ne plus penser.