Quai n°3

Chapitre 12

1167 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/12/2014 21:12

Trois jours s'étaient écoulés depuis. Russel se plongeait dans les papiers ; le travail était devenu son occupation principale, malgré la fatigue. Mais tandis que son esprit était occupé la journée, la nuit lorsqu'il cherchait le sommeil, ses pensées déviaient toujours sur Glen. Il cogitait durant des heures, se tournait et se retournait sans cesse entre ses draps. Cette nuit, il s'était demandé s'il devait retourner lui parler. Car tous ces matins lui semblaient aussi étranges que tristes. Avoir passé un moment aussi intense avec une personne et devoir tout oublier, faire comme si jamais rien ne s'était passé. Il luttait intérieurement contre des sentiments qu'il rejetait. Aimer un homme lui semblait absurde, voire impensable. Pourtant il s'y accrochait et ne pouvait s'empêcher d'y penser. Il avait l'impression qu'il y perdrait sa confiance en lui, son sentiment de virilité et peut-être même ses amis. Car la société a beau évoluer, la question de l'amour entre deux hommes, ou bien deux femmes reste un sujet tabou, une chose absurde, voire impensable et même une honte pour certains. Qu'allait-il faire ou bien dire s'il tombait amoureux de Glen ? Non c'était impossible, jamais il n'aimerait un homme. Était-ce alors une simple attirance ? Russel était perdu. Pouvait-il vraiment appeler cela une "simple attirance" ? Non, c'était bien plus que ça. Mais quoi ? Car même si Russel niait tout ça, il ne savait comment appeler ses sentiments autrement que des "sentiments". Cela lui faisait souvent bizarre de penser à un homme. De penser à ses bras, à ses lèvres, à sa voix. De ressentir un manque, et un vide grandissant lorsque les yeux de cet homme ne cherchaient plus les siens, derrière les rails. Glen ne lui avait jeté aucun regard ce matin. Il s'était contenté de monter dans le train, comme si rien ne lui importait. C'est fou comme un détail peut vous toucher. Car c'est peut-être ce détail qui avait déclencher ce désir d'aller lui parler. Rien qu'une fois, une dernière fois ... Aujourd'hui, à la gare, en cette heure matinale, Russel hésitait. Il regardait les escaliers menant au quai d'en face, comme s'il attendait une réponse. Cette fois, il s'était levé plus tôt au cas où une envie soudaine d'aller parler à Glen le saisirait. Mais à cet instant, il ne savait plus s'il en avait envie. Il s'était allumé sa cigarette quotidienne et attendait. Il attendait de changer d'avis, il attendait le courage, la motivation, que Glen s'en aille pour de bon, peut-être. Il jeta un coup d'oeil à son téléphone. Dans quelques minutes seulement il arriverait ... Tout à coup, toute l'histoire défila dans son esprit comme un film projeté sur un écran : son obsession pour un inconnu, leur première rencontre, le bar, le tourne-disque, leur premier baiser et cette nuit passée ensemble ... Sans réfléchir davantage, Russel s'engagea dans l'escalier. Au loin, il aperçut Glen. Celui-ci ne l'avait pas remarqué et s'apprêtait à rejoindre son quai, les mains dans les poches. Alors le jeune homme pressa le pas, en s'efforçant de garder son sang froid. Il monta sur le quai. En lui, un sentiment de détermination se perdait au milieu d'une grande appréhension. Glen se tenait maintenant à quelques mètres de lui et lui tournait le dos. Son coeur s'accéléra d'un seul coup. Russel resta derrière lui quelques instants, paralysé par le doute. Puis, il prit une grande inspiration avant de déposer sa main sur l'épaule du jeune homme : maintenant il ne pouvait plus reculer. Glen se retourna vers lui, souleva les sourcils d'un air surpris avant de baisser les yeux et de reprendre un visage inexpressif. Russel ouvrit la bouche, les yeux dans le vague. - Salut, commença-t-il embarrassé. Tu vas bien ? Glen acquiesça sans rien dire. - Eh bien ... Le jeune homme perdait ses mots au milieu d'un tas de pensées qui défilaient dans son esprit. - Je suppose que ce n'était pas ce que tu étais venu me demander au départ, n'est-ce-pas ? lança Glen. - Pas vraiment, non, répondit Russel. Je voulais juste ... Que tu saches que j'aimerais qu'on se revoit ... Un de ces quatre, si t'en as envie ? L'autre ne répondit rien. Il poussa un soupir, et un rictus apparut soudain au coin de ses lèvres. Russel le prit comme une moquerie à son égard et se sentit un peu vexé, presque ridiculisé. - Après m'avoir poussé à partir de chez toi, tu reviens comme une fleur pour me dire que tu veux qu'on se revoit ? Tu me fais rire, Russel ... Tout à coup, le jeune homme sentit son coeur se glacer et sa gorge se nouer, sans qu'il ne puisse plus rien contrôler.  Il ne s'attendait pas à recevoir un tel discours. Son visage se figea, il ne savait plus où regarder ni quoi répondre. - Je ne t'ai pas poussé à partir, balbutia-t-il. - Je le sentais bien. J'avais l'impression de parler à un bloc de glace. Tu faisais la gueule, t'avais l'air complètement ailleurs. Tu voulais que je m'en aille. Et c'est ce que j'ai fait. - Alors j'ai eu tort, répondit Russel en essayant tant bien que mal de contenir sa peine. J'étais perdu, tu peux le comprendre. Tout est allé si vite ... Glen l'interrompit : - Alors voilà ! Je la connais déjà l'histoire de l'hétéro qui, le lendemain, se rend compte de sa "connerie", qui doute et qui veut pas devenir une "tapette". Et moi alors ? Cette fois Russel en avait trop entendu. Il avait essayé de faire bien, il avait voulu lui montrer de l'importance mais tout ce qu'il récoltait au final, le blessait terriblement. Il se sentait ridicule d'avoir pu penser que cela était une bonne idée. Alors, il s'imposa enfin face à Glen et osa hausser la voix. - Arrête ! Soudain, les mots cessèrent. - Arrête avec tes provocations ! J'en ai assez entendu. À mon tour maintenant. Oui j'ai peut-être mal agi il y a quelques jours mais je suis revenu vers toi. À croire que j'aurais pas dû. Et puis au final, à quoi ça a servi, hein ? J'étais quoi moi pour toi ? Un plan baise comme un autre, c'est ça ? Glen soutenait son regard. Mais derrière ce regard sévère et impassible se cachait de la déception, de la crainte et de la rancoeur. - Ouais t'as raison, t'aurais pas dû, dit-il. Et j'aurais jamais dû venir te parler sur ce foutu banc moi non plus. À ce moment, le train arriva en furie derrière Glen qui s'éloignait d'un pas sec et irrité. Et au milieu de tous ces mots blessants, de tout ce bruit insupportable et de cette tornade de vent et de peine, Russel se dressait alors sur ce quai comme une chaise oubliée sur une table ...

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