L'épopée de la Lumière

Chapitre 2 : Premiers pas, et premières amitiés

7989 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/01/2019 00:54

La journée était déjà fort avancée, mais cela n’empêcha pas l’équipe récemment formée de marcher jusqu’à Goldshire d’un bon pas.

Les Duskwood étaient très proches, à vol d’oiseau, mais un problème de taille se posait pour tout voyageur n’étant pas doté d’ailes. Un fleuve séparait la forêt d’Elwynn et les Duskwoods, forçant les aventuriers à faire un large détour par les Carmines ou la Marche de l'Ouest s’ils souhaitaient traverser à sec.

Le trio avait ainsi une longue route à faire et ne souhaitait pas s’attarder plus que nécessaire. Quand le crépuscule menaçait de tomber, ils venaient d’atteindre Goldshire et s’installèrent à l’auberge – dite de la Fierté du lion - pour dîner.

Sans surprise, Tharok se goinfra sans aucune finesse, commandant un sanglier rôti entier en sauce et un tonnelet d’hydromel pour l’accompagner. Le Nain se révéla anormalement doué pour manger comme un ours tout en continuant à parler – en particulier pour vanter les mérites d’une bonne assiette du moment qu’on avait une bonne choppe, sans jamais omettre d’encourager ses camarades d’aller un jour découvrir l’hospitalité naine – et tout au long du repas, Félicia ne cessa de se demander si l’épaisse barbe du guerrier ne faisait pas office de filtre.

Pour sa part, Aayla se contenta d’un poisson grillé et de pommes de terre. Lorsque le Nain proposa pour la quatrième fois de lui payer un verre, la Draeneï finit par se laisser séduire par un vin blanc d’Arathi. Tharok rit à gorge déployée en voyant la tête qu’elle tira lorsqu’on posa « un verre Nain » de vin devant elle. Même la Paladine ne put totalement dissimuler son amusement, et fut plus prudente que la native de Draenor en se limitant à du jus de pomme, spécialité locale, et pour se remplir l’estomac un modeste blanc de poulet aux haricots bouillis.

Difficile de dire ce qui égayait le plus le barbu, dont la bouche semblait ne jamais être inactive, entre la présence agréable des deux autres aventurières ou de sa choppe, mais il ne se tarit pas un instant d’histoires à raconter, et en dépit de son accent pour le moins rustique, Tharok s’avéra être un orateur fascinant.

Il ponctuait chaque combat, chaque épopée par de grands gestes et des éclats de voix bien choisis, faisant un bruit d’enfer mais entrainait ses nouvelles amies dans de vieilles légendes naines, les transportant aux cœurs de montagnes glaciales où les vents hurlaient en transperçant les vêtements pour une terrible chasse au gros gibier ou encore sur les interminables landes calcinées autour du Mont Blackrock où même l’air était suffoquant, chargé de suie, de cendres et de cette arrière-goût poisseux et collant de la graisse brûlée.

Régulièrement, les deux femmes l’interrompaient pour demander un détail ou lui poser une question ayant ou non un rapport avec son histoire. Elles furent fascinées d’apprendre qu’il avait déjà vu des dragons, et qu’il avait même déjà abattu – avec l’aide de quelques braves, à l’époque – un puissant Drake noir. Même en équipe, c’était un exploit le plus souvent inaccessible au commun des mortels, et Félicia se demanda quelques fois si l’entrain légendaire des Nains ne lui faisait pas arrondir un peu les angles de son récit.

  • C’était une histoire très impressionnante, Tharok. Mais…bien que ce soit très déplacé, je ne peux m’empêcher de m’interroger quant à votre niveau.
  • C’est vlai, surenchérit la Draeneï, si tu as vaincu un dlake noil, tu dois avoil depuis longtemps dépassé le niveau lequis pour les Duskwoods !
  • Oh, à un temps c’t’était vrai pour sûr ! fit le Nain en se rinçant allégrement le gosier. Mah ! J’ai bieng vieilli d’puis, j’n’ai zélas plus la force de ma jeunesse.
  • Ah oui ? s’étonna Aayla. Je ne suis pas tlès douée pour dételminée l’âge des laces d’Azeloth.
  • C’est difficile pour nous aussi, Aayla, rassures-toi. C’est d’autant plus vrai que bon nombre de races sont dotées d'une longévité hors normes.
  • Vrai ? Bahrum ! M’enfin vous z’en faites pas p’tites m’selles, les Duskwoods ne m’apporteront point grand-chose, pour sûr, mais ça m’fait bien plaisir d’pouvoir être utile et de r’partir un peu sur les routes, en particulier en si bonne compagnie !

Il appuya sa déclaration en levant haut sa choppe, vociférant en Nain ce qui aurait pu être un cri de guerre ou un juron auquel répondirent avec entrain les autres Nains de l’auberge, avant que tous ne lèvent haut le coude.

Malgré le fait qu’elle soit déjà bien éméchée en dépit de sa grande taille, Aayla se laissa emporter par la convivialité des natifs de Dun Morogh et renversa à son tour la tête en arrière. Quand elle reposa sa choppe, elle se laissa tomber contre son siège et se mit à rire, sa peau violaçant sous l’effet du vin.

Inarrêtables, les Nains commencèrent à chanter et la Paladine se demanda si le sens des paroles lui échappaient car ils beuglaient dans leur langue natale ou parce qu’ils parlaient dans leurs barbes plus imbibées qu’une éponge après la plonge. Cela dit, vu les rires gras que les chants suscitaient, la demoiselle estima qu’il valait mieux rester dans l’ignorance.

D’autant plus que bientôt, s’encourageant les uns les autres dans leur « fête » improvisée, les petits hommes se levèrent et commencèrent à faire des démonstrations de danses typiques, soit individuellement en faisant preuve d’une agilité détonnant avec le cimetière de choppes laissés derrière eux, soit tous ensemble, bras dessus bras dessous.

Les autres clients durent se résigner à subir le vacarme des Nains, mais bien vite la plupart ponctuèrent les chants folkloriques en tapant du pied ou du poing sur la table en rythme. Deux gnomes, membres d’un peuple aussi petit qu’intelligent et qui partageait le territoire des Nains, sortirent des harmonicas et se mirent à jouer frénétiquement une gigue d'accompagnement.

Félicia nota que les harmonies n’étaient pas très heureuses, et le tout formait une véritable cacophonie qui lui agressait les oreilles. Cela dit, le tout dégageait une ambiance puissante et entraînante, et à plusieurs reprises elle se surprit à battre elle-même la mesure.

Malgré qu’elle ait déjà bu plus que de raison, Aayla se laissa entraîner dans la danse, particulièrement vacillante sur ses sabots, et sa grande taille contrastait avec celle modeste des Nains, l’amenant plus d’une fois à trébucher et s’affaler par terre.

Mais ces chutes n’entamèrent ni son euphorie, ni celle des Nains qui l’aidèrent à chaque fois en lui tendant à la fois une main solide pour se relever et une bonne choppe pour s’en remettre.

En dépit de son accent très différent et de l’ivresse qui lui engourdissait la langue, la Chamane accompagna les danseurs dans leurs chants, bien qu’elle suivit plutôt l’air que les paroles.

Après sa huitième chute, la Draeneï semblait avoir son compte, car même avec l’aide des barbus elle fut incapable de se relever une fois de plus. En fin de compte, elle se laissa tomber sur les fesses et éclata de rire, chancelante même assise.

De plus en plus hilares – et bruyants – les Nains saluèrent leur amie qui était la première à tomber en levant haut leur choppe et rirent grassement. Tharok vida ce qui restait de son verre avant de prêter son épaule à la Chamane. Bien que le robuste bonhomme n’en avait pas besoin, Félicia vint l’aider à porter plus délicatement la Draeneï qui se mit à pouffer de rire quand ils la soulevèrent pour la reposer sur sa chaise.

La Paladine resta ensuite à ses côtés, la retentant de force sur le siège lorsqu’elle menaçait de glisser en bafouillant une parodie du chant nain.

  • Je pense qu’il est grand temps que nous prenions congé, une longue journée nous attend demain. Fit la jeune femme avant de se fendre d’un sourire. Et il est préférable que je la soustraie à votre compagnie avant que vous ne l’entraîniez dans une nouvelle danse.
  • Bahrum ! Wan Ek gorog dawi Thannan ?
  • Pardon ? dit-elle avec des yeux ronds.
  • Ha, je m’z’cuse. Tu point parler l’bon Nain, ça être vrai, Bahrum. Tharok fit l’effort de retenir un rot qui se serait révélé aussi bruyant qu’inélégant. Les gigues Naines z’être très chouettes *hic* y’a point d’mal z’à s’agiter les miches en riant !
  • Vos gigues sont très folkloriques, et très entraînantes mais je crains fort, cher ami videur de tonneau, qu’Aayla ne survive pas à une nouvelle ronde.

Tharok ricana à la moquerie de l’Humaine, puis posa les yeux sur la Draenei, plus violette que jamais et qui commençait à « se mettre à l’aise » avant de s’éventer.

  • Certes, fillette. Elle f nira ‘vec les mamelles z’à l’air si elle prend encore un verre.
  • Oh, par la Lumière !

Le temps que Félicia tourne la tête pour parler au Nain, la Chamane avait ôté sa chemise et commençait à s’attaquer à sa ceinture avec des gestes gourds. Elle se démena comme un diable, sous le regard hilare de Tharok, pour empêcher la Draenei de retirer également son pantalon.

Soucieuse de la pudeur de son amie normalement bleue, Félicia retira sa cape et en enveloppa le buste d’Aayla qui n’en pouvait plus de rire à la moindre occasion. Elle fit de son mieux pour entasser dans son sac les affaires que la Chamane avait déjà défaussé, puis passa le bras de la Draenei par-dessus ses épaules pour la faire se lever et l’aider à marcher.

  • B’soin d’aide la p’tiote ? L’Aayla l’est pô b’en épaisse, mais toi non plush.
  • Je me débrouillerais, merci Tharok. Oh, et avant que je n’oublie.

Avec difficulté, l’opération étant complexe d’une seule main, Félicia sortit quatre pièces d’argent qu’elle tendit au barbu.

  • Je n’ai pas oublié que je vous devais un « verre ». Lui sourit-elle. Prenez une dernière pinte, maître-Nain, et allez-vous coucher. Une journée chargée nous attend !
  • Oui m’dame ! s’exclama Tharok en exécutant un garde-à-vous très exagéré.

Derrière lui, la poignée de Nains avec qui il avait bu, chanté et dansé pouffèrent de rire, le pointèrent du doigt tout en se donnant de petits coups dans les côtes. Puis, dans un bel ensemble, ils parodièrent leur ami bedonnant en imitant son salut ce qui eut pour effet de faire rire la Paladine.

Lorsqu’il se retourna et découvrit ses compagnons se moquant de lui, Tharok posa les poings sur les hanches et fronça ses grosses narines.

Comme Aayla pesait lourd sur son épaule et qu’elle préférait préserver son innocence, Félicia souhaita la bonne nuit aux fêtards et fit de son mieux pour porter – ou plutôt traîner – la Draeneï dans les escaliers jusqu’à leur chambre.

La pièce n’était pas très grande, mais comportait deux lits individuels, deux petites commodes, un miroir en face de la fenêtre et un tableau où était représentée une Stormwind en fête de façon stylisée. Pour des voyageurs, il n’y avait pas besoin de plus.

Félicia laissa tomber la Chamane sur le premier lit. La Draenei s’y écroula, marmonnant des brides de chanson. La Paladine soupira en secouant la tête, aussi amusée que dépitée, et alla fermer à clef la porte de leur chambre avant de se changer.

Elle déposa ses affaires sur une chaise, impeccablement pliées, avant d’enfiler sa chemise de nuit et jeta un coup d’œil à son amie à sabots. La pauvre semblait baver et ronflait à moitié, La Paladine eut un peu pitié d’elle et décida de lui retirer au moins son pantalon et la cape dans laquelle elle l’avait enroulée pour qu’elle dorme mieux.

Elle plia ensuite les vêtements de la Draenei sur une autre chaise, et s’efforça de la tirer sur le matelas pour qu’elle ne dorme pas à moitié par terre, ou même ne tombe.

Mais à peine eut-elle tiré la grande bleue jusqu’à son oreiller que celle-ci tendit les bras pour l’attirer à elle. Félicia essaya de se dégager, mais plus elle se débattait, plus Aayla la serrait fort contre elle, la plaquant contre sa poitrine et se blottissant contre elle avec un sourire béat, les yeux toujours clos. Même ivre-morte et probablement inconsciente, la Chamane possédait une force extraordinaire.

La tête enfoncée dans le sein de sa nouvelle amie, la jeune Humaine commença à suffoquer et du se démener de toutes ses forces pour réussir à au moins dégager sa tête et pouvoir respirer, mais dût se résigner à abandonner la lutte. Il lui faudrait dormir ainsi, le rouge aux joues, contre la Draeneï en culotte.

Confuse et fébrile, Félicia resta ainsi pendant un long moment. Son cœur cognait fort dans sa poitrine et elle sursautait à chaque fois que la queue d’Aayla venait cogner contre sa jambe.

Le plus troublant était le parfum qui emplissait ses narines à chaque inspiration. Dans son plus simple appareil, Aayla exhalait une odeur unique, qui n’évoquait à la jeune femme aucune plante, bête ou épice qu’elle connaissait…et pourtant cette senteur intime évoquait des souvenirs.

Lentement, perdue dans ses pensées et ses perceptions, la jeune Humaine se laissa bercer par la douceur de la Draeneï et le calme de la nuit – calme ne survenant qu’après que les Nains soient allés dormir, ou se soient tous évanouis dans leur bière – et se laissa envahir petit à petit par la sérénité, et avec elle, par le sommeil.


L’aube glissait déjà ses rayons sous les volets clos de la chambre depuis presque une demi-heure lorsque Félicia se tira doucement de sa torpeur. En rouvrant les yeux, elle se figea lorsque son regard tomba sur un sein bleu, à deux doigts à peine de son nez.

Il lui fallut quelques instants pour reconstruire les événements de la veille, et profita qu’Aayla ait roulé sur le dos pour se dégager lentement. Félicia s’habilla ensuite, en récitant des mantras méditatifs pour chasser de son esprit toute pensée troublante, bien qu’elle sentit ses joues la chauffer.

La Paladine laissa son sac et son armure dans la chambre, consciente qu’elle aurait tout le temps nécessaire pour les reprendre avant leur départ puisqu’Aayla dormait encore – et qu’elle soupçonnait Tharok d’en faire autant – et prit quelques minutes pour brosser ses cheveux et se faire une couronne de tresses avant de descendre prendre un petit déjeuner.

Elle ne cacha pas sa surprise de trouver le Nain, déjà assis à table en train de manger. La robustesse universelle de si petits êtres ne cessera jamais de la fasciner.

  • Salut à toi, p’tiote !
  • Bonjour Tharok, répondit-elle en venant s’asseoir. Je ne m’attendais pas à vous trouver levé de si bonne heure.
  • Bahrum ! En vrai j’me suis point couché.
  • Vous n’avez pas dormi de la nuit ?

La Paladine écarquilla grand les yeux, choquée qu’il lui annonce une telle énormité sans la moindre gêne, et pire encore que ça le fasse rire.

  • Ha-Ha ! N’te ride pas à faire une tête pareille fillette, nous aut’ les Nains, sommes beaucoup plus costauds que tu ne le penses.
  • Je veux bien vous croire, vous avez continué à faire la fête avec vos compatriotes alors ? Pourtant l’auberge fut calme cette nuit, il me semble.
  • Ouais, en fait on a fini par aller prendre l’air…et faire un p’tit tour à la mine de Fargodeep, histoire d’piocher quelques cailloux pour s’détendre un poc.
  • Vous êtes allés prospecter ? Ivres, et en pleine nuit ?
  • Ouaip m’dame ! Même si on a r’en trouvé d’autre que du p’tit cuivre, ça nous a b’en fait marrer. Ça nous a rappelé not’jeunesse, pour sûr !

Elle ne pouvait que sourire face à la méthode qu’avait Tharok d’affronter la nostalgie, mais afficha une mine soucieuse ensuite en se rappelant d’un détail.

  • Mais…j’avais ouï dire que cette mine est envahie de Kobolds. Comment avez-vous fait pour qu’ils vous laissent entrer et miner sur leur territoire ?
  • B’en tiens, en d’mandant très poliment ma belle !

Le large sourire qui se devinait sous la barbe du Nain ne laissait aucun doute quant à sa conception de la « politesse ». Après réflexion, c’était idiot de s’inquiéter pour si peu. Elle-même avait déjà affronté quelques-uns de ces hommes-rats par le passé, et ils n’étaient pas très vaillants.

Au lieu de ralentir ou de menacer les Nains, il était plus que probable que les Kobolds aient au contraire participé au « divertissement nostalgique » de Tharok et ses amis nocturnes.

  • Bien sûr, suis-je bête, répondit la Paladine en glissant une œillade au barbu. Mais dites-moi, tous les Nains sont-ils comme vous ?
  • Bahrum ! Non, d’habitude ils sont plus fêtards que ça.

Félicia resta interdite quelques instants, essayant d’imaginer ce qu’était un nain vraiment « fêtard » et se mit à craindre que toutes les rumeurs au sujet des sujets du roi Magni ne soient en dessous de la réalité, avant de deviner un sourire sous la barbe épaisse de Tharok et de remarquer la malice brillant dans ses petits yeux foncés.

  • Et toué Féliféli, la forme ?
  • J’ai la nuque un peu raide...je n’ai pas très bien dormi cette nuit, mais c’est bénin. Je m’en remettrais vite.
  • Mh ? C’est la Biquette qu’à foutu l’trouble dans ta sieste ?
  • Euh, hésita la Paladine qui toussa en sentant ses joues s’enflammer, on…on peut dire ça.
  • Y’a pas qu’ma nuit qu’a été mouvementée à c’que j’vois, Bahrum !
  • C’est-à-dire…enfin, je n’ai pas l’habitude de dormir avec de la compagnie.

Le Nain dressa un sourcil épais en la fixant d’un air inquisiteur, puis finit par hausser les épaules comme le sujet ne méritait guère d’être approfondi et lui désigna le pain, la brioche et la confiture qui trainaient sur la table.

  • Fais-toi plaisir ma p’tite, tapes dedans, c’là pour ça.
  • Ce n’est pas de refus, merci Tharok.

Une bonne journée ne pouvant commencer sans un bon petit-déjeuner, Félicia se commanda une tasse remplie de lait chaud. Le temps qu’on la lui serve, elle se prépara quelques tartines en étalant au couteau beurre et confiture de fruits rouges sur des tranches de pain.

Alors que Tharok attaquait sa matinée à coup de jambon et d’une pinte – c’était à se demander s’il avait déjà bu de l’eau – la Paladine mangeait avec un raffinement notable. S’il ne dit rien, le Nain remarqua qu’elle se tenait droite à table, presque raide même, et maniait ses tartines du bout des doigts en prenant bien garde à éviter les éclaboussures.

De plus, après chaque bouchée, qui visiblement la régalait, la jeune femme prenait soin de s’essuyer les lèvres avec un mouchoir de soie.

  • Alors p’tiote, par où c’est qu’on passe ?
  • Plaît-il ?
  • Pour z’aller jusqu’aux bois. J’imagine qu’t’es z’au courant, mais y’en a un qui sépare Elwynn et les Duskwood.
  • En effet. Et il n’y a, d’ici, que deux accès au sec. Un à Westmarch, et le second à l’entrée des Carmines.
  • T’as b’en bossé ta géo, Féli. Par où c’est qu’tu veux qu’on passe ?

La Paladine finit sa tartine, qui menaçait de s’effondrer sous son propre poids après avoir été généreusement noyée dans sa tasse de lait, et s’essuya à nouveau soigneusement avant de répondre.

  • Nous passerons par le pont des Carmines. Non seulement il est un peu plus proche, mais surtout il donne un accès direct à Darkshire où nous pourrons rencontrer la population et savoir où notre aide sera la plus précieuse, tandis que le gué de Westmarch nous lâcherait dans la faune sauvage des Duskwood, complètement à l’opposé.
  • T’as b’en bossé ton plan aussi. J’ai rien à y r’dire ! Sauf p’tet qu’y faudrait pas trop que la Biquette traîne, pask’c’est pô à côté cette affaire et qu’c’est pas pask’tu fais d’la lumière qu’y faudrait s’balader là-bas en pleine nuit, Bahrum !
  • Je vous saurais gré de ne point me traiter comme une torche, cher ami, dit Félicia en feignant un air outré, mais vous avez raison. Je pense m’enquérir de son état sous peu.
  • M’est avis qu’ça s’ra pô la peine, p’tiote. La v’là.

Félicia, qui tournait alors le dos à l’escalier, se retourna pour voir la Draeneï descendre péniblement les marches, sa main posée le long du mur pour garder l’équilibre. Elle semblait accablée et parut souffrir de seulement lever l’autre main pour les saluer.

  • T’as l’air z ‘aussi fraîche qu’une dorade à l’étal en plein été, Bahrum !
  • Est-ce que ça va, Aayla ? demanda la Paladine en se levant pour l’assister.
  • Mal aux colnes…

La Chamane fit un vague geste pour refuser l’aide de l’Humaine, puis se laissa tomber sur une chaise. Elle parvenait à peine à ouvrir les yeux et tentait de se masser le crâne.

  • Ca, ma Biquette, c’t’une gueule de bois. Le vin d’hier z’y t’as pô fait qu’du bieng !
  • Ca votle faute, Thalok, marmonnait-elle avec un semblant de sourire.
  • Elle a raison, ce n’était pas raisonnable de lui faire boire une telle choppe alors nous avions des projets pour le lendemain.
  • Rhô, ça va, ça va…n’empêche qu’elle s’est b’en marré !
  • Et elle aurait pu se faire mal, continua à réprimander la Paladine d’un air qui se voulait sévère. L’excès ne peut jamais rien apporter de bon.
  • Ca est bon, Félicia. Il m’a eue hiel, mais c’est moi qui ait accepté de boile.
  • Voilà qu’est b’en parlé, la bleutée !
  • Aiee…

Le Nain avait tendance à parler fort, et son dernier éclat de voix avait visiblement aggravé la migraine de la Draeneï.

  • Ah ça, le mal aux cheveux ça pique. Imagine c’que ça donne avec moi !

Péniblement, elle entrouvrit un œil bleu, comme s’il luisait entièrement d’une faible lumière pâle avec au centre comme un miroir encore plus clair en guise de pupille, et Aayla ne put s’empêcher de rire en comprenant l’humour douteux du barbu.

  • T’s’ras en forme pour la route ?
  • Il faudla bien…
  • Commence par manger un morceau, fit Tharok en lui désignant le reste de brioche et en lui tendant un bout de jambon qui avait survécu à sa voracité. Ça ira mieux après.
  • Mais j’y songe Aayla, en tant que Chamane, ne disposes-tu pas de quelque sort qui te permettrait de remédier à ton triste état ?
  • Si, si, approuva l’intéressée en hochant doucement la tête avant de grimacer. Mais je n’allive pas à me concentler.

Prenant en pitié la pauvre Draeneï, Félicia invoqua la Lumière pour lui jeter un sort de cure. Il ne suffirait pas à dissiper ses maux, mais les rendrait au moins plus supportables. Ils continuèrent à discuter ensuite tandis qu’Aayla prenait son propre petit-déjeuner en finissant ce qu’il y avait sur la table tout en lui expliquant les projets du jour.

Ils plièrent bagages ensuite, la Paladine retrouvant le confort tout à fait relatif de son équipement et éprouvant toujours la même fierté à arborer les couleurs de sa cité. Elle se planta devant le miroir pour laisser son reflet aux yeux verts l’examiner. Elle ne prit pas garde aux éphélides qui tachetaient son nez et ses joues claires, et commença à refaire des tresses tout autour de son front.

Dans la même chambre, Aayla rassembla pendant ce temps son matériel. Toujours migraineuse, elle prit plus de temps qu’à son habitude, mais put sangler les différentes pièces de son armure et quitter la pièce avant Félicia.

Elles retrouvèrent le Nain au rez-de-chaussée avec un de ses semblables, en train de parler dans leur langue natale. Ils devaient se raconter une blague pleine de subtilité, car ils s’esclaffèrent bruyamment et se tapèrent même sur les cuisses tandis que les filles descendaient l’escalier.

Félicia et Aayla remercièrent l’aubergiste pour son hospitalité – s’excusant au passage pour le bazar de la veille – pendant que Tharok faisait ses adieux à son camarade, et le trio se remit en marche.

Les sentiers de la forêt d’Elwynn étaient particulièrement soignés. Larges et plats, parsemés tout le long de barrières en bois de frêne, ils étaient aisément praticables même à cheval. De plus le temps était clément, le ciel n’était entaché que de quelques nuages blancs.

L’air était frais en ce début de matinée, notamment à l’ombre des branchages qui surmontaient les chemins, mais c’était la belle saison et le léger vent qui se faufilait à travers la forêt ne suffisait pas pour geler les voyageurs.

Ils progressèrent ainsi paisiblement pendant que le soleil continuait de se lever, mais pas en silence. Tharok fit passer le temps en racontant d’autres histoires, le plus souvent drôles même si son humour laissait parfois les deux femmes sceptiques.

Le groupe fit une brève halte à la tour de guet d’Azora, Félicia tenant à s’informer de la situation aux alentours et à saluer les gardes pour leur travail ingrat mais indispensable. Ils apprirent qu’il y avait de l’agitation aux Carmines, les Gnolls se montrant plus agressifs et plusieurs rapports faisant mention de rassemblements d’Orcs du clan Blackrock, mais la situation semblait rester sous contrôle.

Les soldats les informèrent aussi que plus au Nord, les Kobolds de la mine de Jasperlode étaient particulièrement nerveux depuis cette nuit. S’ils n’étaient pas vraiment dangereux, il n’était jamais bon de laisser une telle vermine s’affoler sans garder un œil dessus. Pour sa part, Félicia jeta un regard suspicieux au guerrier Nain qui feignit l’innocence.

Le trio continua ensuite son chemin, et traversa le pont de la rivière du Cairn en saluant les sentinelles en poste. Il restait encore quelques heures avant que midi ne sonne.

Mais comme ils avaient déjà fait un bon bout de chemin, ils se mirent d’accord pour trouver un endroit adéquat pour casser la graine et faire une petite pause. Tharok suggéra de revenir un peu en arrière et de descendre le long de la rivière pour s’installer sur les rochers, idée approuvée par la Chamane. Félicia s’opposa dans un premier temps à l’idée de s’éloigner de la route, mais la faune d’Elwynn n’était ni très hostile, ni vraiment dangereuse, même pour des débutants et elle se rangea à l’avis de ses compagnons.

Ils s’éloignèrent un peu plus que prévu du sentier, mais trouvèrent un granite plat pour s’y installer et sortir leur repas. Cette fois-ci, c’est Aayla, qui allait visiblement mieux, qui leur fit part de quelques aventures sur l’île de Brume-azur, du côté des rivages Elfiques en Kalimdor.

La Paladine se montra particulièrement attentive à ses histoires, car elle décrivait – et son accent prononcé rajoutant encore à l’exotisme du récit – des terres, des flores et des bêtes qu’elle n’avait jamais vu.

Elle raconta comment elle afflonta…pardon, affronta, Séléniens, Nagas et murloc, l’enfer des combats aquatiques contre des guerriers amphibies ou encore les charges à dos d’Elekk, ces espèces d’éléphants originaires de Draenor, comme ceux de sa race. Même s’il fallut expliquer à plusieurs reprises certaines choses, Félicia n’ayant pas la moindre idée de ce qu’était un Sélénien, un Naga ou même un éléphant, la narration était prenante.

Le récit fut interrompu à un moment lorsque Tharok se leva pour chasser un loup gris, attiré par la nourriture, en criant et faisant de grands gestes.

Peu après, le trio reprit la route, rejoignant les sentiers en direction des Carmines. S’il faisait frais le matin à l’ombre des bois, l’écran que formaient les branchages devenait le bienvenu avec l’après-midi. Le soleil cognait de plus en plus fort, et la température montait.

Tharok semblait indifférent au froid comme à la chaleur. Après réflexion, Félicia songea que ça tombait sous le sens, ils vivaient dans les montagnes enneigées de Dun Morogh le plus souvent, mais travaillaient au cœur de leur puissante cité-forge sans se soucier ni de la lave qui coulait à foison ni des glaces qui les voyaient naître.

La Paladine jetait de temps en temps des regards à la Draeneï, qui semblait fort bien s’accoutumer de la chaleur. Il se disait qu’ils venaient du même monde que les terribles Orcs, et quand on voyait où vivaient les peaux-vertes habituellement, il ne faisait aucun doute que les Draeneïs étaient plus coriaces que ce que la silhouette élancée d’Aayla laissait penser.

Quelque part, Félicia jalousait un peu ses deux compagnons. Elle avait vécu toute sa jeune vie ici, mais l’été demeurait une période éprouvante. Sous sa maille et son gambison, l’Humaine commençait à transpirer. On l’avait formée à manier les armes, les boucliers et à porter l’armure de mailles – et de plaques, lorsqu’elle aurait acquis suffisamment de force et d’expérience – mais si elle s’accoutumait sans mal de son équipement la pauvre Paladine souffrait toujours de la chaleur excessive que générait un tel empilement de couches protectrices.

La voyant en sueur, Aayla se rapprocha un peu. Elle n’était pas très douée pour estimer les âges, comme elle le disait elle-même, mais pouvait deviner si un individu était jeune ou vieux. Et à ses yeux, Félicia semblait être une enfant.

  • Ne folces pas tlop, tu es encole jeune et ton almule doit etle loulde. Si tu as besoin de te leposer, n’hésites pas à demander.
  • Oh, merci Aayla. Mais mes protections ne me gênent pas, pas par leur poids en tout cas, même si je n’ai pas la prétention d’être aussi forte que toi.
  • Aussi folte que moi ? interrogea la Chamane en penchant la tête. Que veux-tu dile ?
  • Hé bien…tu…tu ne te souviens pas de cette nuit ?
  • Non ?

La Draenei marqua une pause et prit un air soucieux.

  • Je…je n’ai lien fait de bizalle j’espèle ?
  • Euh…c’est-à-dire que…

Le rouge lui remontait aux joues en repensant à ladite nuit, et la Paladine préféra détourner le regard pour se concentrer plutôt sur la route et le paysage en espérant que ça l’aiderait à penser à autre chose.

Sentant que quelque chose se passait entre les deux filles, Tharok les rejoignit avec curiosité, à défaut de délicatesse.

  • Qu’y’s’passe ?
  • On reparlait de cette nuit, à l’auberge. Et je…disais qu’elle était très forte.
  • N’ah bon ?
  • Oui, en fait...

Félicia jeta un coup d’œil à la Draeneï, et hésita à raconter ce qui avait eu lieu…mais la Chamane paraissait angoissée de rester dans l’ignorance, et puis au final il ne s’était pas réellement passé quelque chose se dit l’Humaine.

  • Comme elle avait trop bu, elle s’est écroulée sur le lit, telle quelle. Alors j’ai voulu l’aider à…à se déshabiller, que ce soit plus confortable. Dit la Paladine, avec une voix qui se faisait plus faible et où transpirait une pointe de honte. Mais elle m’a attrapée et m’a serrée contre elle avait une force incroyable ! Je me suis débattue un long moment, mais impossible de me dégager.
  • Oh misèle…
  • Ha-ha-ha ! Je comprends mieux pourqwô que t’étais toute engourdie c’matin, Bahrum !

Redevenue violette de gêne, la Draenei se confondit en un torrent d’excuses, et le sens de certaines échappaient même à Félicia, qui supposait que c’était des traductions maladroites depuis le Draenique.

  • Ne t’en fais pas Aayla, ce n’était rien. Cela m’a juste surprise, il ne s’est rien passé d’autre !
  • Mh ? Et qu’est-ce qu’y aurait pu s’passer d’autre, fillette ?
  • Euh…mais je n’en sais rien moi !
  • Poullions nous paller d’autle chose s’il vous plait ?

Pendant un bout de trajet, le Nain continua à asticoter la jeune Paladine, lui demandant notamment si la Draenei était confortable. Félicia essaya d’esquiver la question, mais plus Tharok l’interrogeait, plus elle rougissait, et plus il riait tandis que la Chamane n’osait même plus la regarder.

Quand ils arrivèrent aux Carmines, et au poste de garde des Trois Chemins, ils avaient retrouvé leur calme et discutaient plutôt de théologie. Félicia était fascinée par la culture Draeneï qui plaçait la Lumière sacrée au moins aussi haut que ne le faisaient les Paladins eux-même, et pourtant les natifs d’Argus vénéraient également les esprits et d’autres forces de la nature.

Tharok participa également à la discussion. Les Nains aussi croyaient activement en la Lumière, et d’une certaine façon aux esprits. Pour eux, leurs ancêtres devaient d’une manière ou d’une autre les regarder, qu’ils deviennent des fantômes, rejoignent la Lumière ou ne retournent à la montagne en redevenant pierre et métal.

La discussion dériva un peu à ce moment, les deux filles s’étonnant que les Nains pensent que le corps pouvait « redevenir » pur minéral à leur mort, et Tharok commença à leur faire part de quelques théories populaires parmi son peuple sur leur origine mystérieuse. On racontait notamment qu’ils étaient ainsi autrefois, des êtres faits de roc plutôt que de chair et qu’il s’agissait de leur vraie forme.

Fort heureusement, avant que le Nain ne se perde avec euphorie dans de très nombreuses et complexes explications – et ne cite les recherches intenses qui occupaient nombre des siens depuis quelques années – le groupe atteignit l’avant-poste à l’entrée des Carmines, nommées ainsi car le sol était riche en oxyde de fer et en cuivre, donnant à la terre une couleur rouge-orangée.

L’avant-poste possédait de simples mais hautes barricades en chêne placées entre les collines toutes proches et une tour de guet pour contrôler la route, deux paires de soldats en armure surveillant les entrées. Le trio passa sans encombre, et Tharok fut le premier à remarquer l’odeur d’un bon ragoût en train de mijoter dans une grande marmite, à l’intérieur de la tour.

Il ne se fit pas prier pour aller trouver la cuisinière, une femme d’âge mûr en chemise blanche et avec une longue jupe bleue en lin. Pour une fois, il se montra diplomate en commençant par flatter ses talents, arguant que l’odeur mettait bien vite en appétit et marchanda rapidement le droit d’avoir une portion, pour lui-même et ses deux amies, s’il filait un coup de main.

La cuisinière fut amusée, mais hésita. Elle n’avait pas le droit de décider d’accepter ou non des étrangers et devait faire remonter la question à son mari, le capitaine en charge de l’avant-poste, lorsqu’elle remarqua la Paladine.

  • Par la Lumière, Félicia ! s’écria la cuisinière en allant faire la bise à la jeune femme. Ma parole, mais tu as grandi ! Comment vas-tu ?
  • Bonjour Darcy, répondit en souriant l’intéressée. Je vais bien et vous ?
  • Très bien, très bien. Mais qu’est-ce que tu fais ici ma petite ?
  • Je me rends avec mes compagnons aux Duskwoods. Les rapports qui en parviennent sont de plus en plus alarmants, alors je voudrais m’y rendre utile.
  • Oh, toujours aussi dévouée ma petite Félicia. Mais fais attention à toi, si les Duskwoods ont mauvaise réputation ce n’est pas pour rien…

La Paladine acquiesça, consciente des dangers dans lesquels elle courait. Puis Darcy s’intéressa à ses compagnons.

  • Alors comme ça vous accompagnez Félicia ? Enchantée, je suis Darcy Parker, dit-elle en se penchant pour faire la bise au Nain, et en se hissant péniblement sur la pointe des pieds pour en faire autant avec la Draenei. Vous faites bien attention à elle hein ? Elle est adorable comme tout, mais elle a tendance à se jeter dans tous les pièges du monde.
  • Ce n’est pas vrai ! Protesta d’un air outré la jeune femme.
  • Debbie ! cria la cuisinière en retournant dans la tour. Debbie vas chercher ton père, Félicia est là !
  • Oh ! Coucou Féli ! Fit une fillette qui ne devait pas avoir cinq ans. On pourra jouer tout à l’heure ?
  • Coucou Debbie, on pourra peut-être jouer un peu après le repas.

La gamine s’en alla grimper en courant l’escalier, s’exclamant d’un grand « ouiiii » joyeux alors que sa mère retournait auprès du groupe.

  • Et du coup maître-Nain, vous pourrez vous joindre à nous. Mais je connais vos semblables et leur appétit, dit Darcy d’un ton soupçonneux, si vous ne voulez pas finir au régime il va falloir amasser pas mal de ressources.
  • ‘Vec plaisir ma p’tite dame, qu’est-ce que l’vieux Tharok y peut vous ramener pour que vous nous enchantiez de vos bons p’tits plats ?

Darcy Parker lui dressa une liste des ingrédients requis, lui demandant de ramener en égale quantité de la viande de condor, de la chair de quelques-unes des araignées géantes qui arpentaient les environs et du groin de Broche-Tripes, une espèce de sanglier locale.

Bien sûr, le Nain ne manqua pas d’accepter avec enthousiasme, se régalant d’avance en se frottant les mains et Aayla se proposa de cueillir quelques herbes pour parfumer le goulash. Félicia voulut leur prêter main-forte, mais Tharok l’enjoignit plutôt à rester avec la famille Parker pour célébrer leurs retrouvailles, assurant qu’ils se débrouilleraient très bien à eux deux.

Ils revinrent moins d’une demi-heure plus tard, les bras chargés à outrance de viande et d’œufs. Tharok trouvait – avec raison – que c’était du gâchis que de tuer une bête de la taille d’un sanglier pour ne prélever que la truffe et avait ramassé le reste en passant. De même, les condors des Carmines pondaient des œufs très nutritifs, pour peu qu’on se fende de l’effort d’aller les chercher dans leurs nids en hauteur.

Infatigable, le Nain assista volontiers Darcy à la cuisine et faisait preuve d’une expertise certaine quoiqu’un peu bourrue. Félicia et Aayla se prêtèrent également à l’effort, et si le ragoût prit un peu de retard sur l’horaire habituel du fait de leur arrivée tardive, les rations furent beaucoup plus généreuses qu’à l’accoutumée, au grand bonheur des soldats en poste.

De plus, les surplus de viandes ramenés par Tharok serviraient à charger un peu plus les prochains repas, une bonne nouvelle également pour la garde.

Une fois installés à l’ombre et servis, les trois compagnons attaquèrent avec appétit leur assiette. Midi était passé depuis presque deux heures, le soleil brillait au plus haut dans le ciel et les estomacs grondaient fort. La famille Parker se joignit à eux pour le repas.

  • J’dois z’avouer fillette qu’ça m’a surpris d’te voir taper la causette ‘vec la garde locale.
  • Je suis déjà venue aux Carmines par le passé, répondit Félicia en prenant soin d’avaler sa bouchée avant et de s’éponger les lèvres.
  • C’était l’année dernière, continua le capitaine Parker. La situation était plus instable alors, les Orcs tentaient de mener des raids jusqu’à Lakeshire, les Gnolls rôdaient dans toute la région et attaquaient à vue les voyageurs et leur présence excitait les animaux sauvages qui se montraient hostiles à toute approche…
  • Un véritable enfer, continua sa femme en soupirant. C’est d’ailleurs à cette époque que ces fichues peaux-vertes ont saboté le pont. Ils y sont allés si fort que nous n’avons toujours pas fini de le réparer. Mais au moins, il est praticable
  • Et pis un beau jour, elle est arrivée comme une fleur pour nous proposer son aide. Et vu ce qu’elle a fait, je peux vous dire qu’on a été sacrément content de la voir débarquer !
  • Allons, allons Capitaine James, essaya de tempérer modestement la Paladine. Ce sont vos hommes et ceux du Colonel Troteman qui ont fait tout le travail.
  • Tu te sous-estimes beaucoup trop, Félicia. Tu n’es pas une grande guerrière, mais tu avais quand même le courage d’affronter tous les dangers pour protéger les autres, ce que même des soldats professionnels ont du mal à faire parfois.

Elle baissa un peu la tête, gênée, ses joues rosissant légèrement tandis qu’elle faisait mine de se cacher derrière sa fourchette. D’autant plus qu’elle était consciente que ses deux compagnons de route écoutaient attentivement l’histoire.

  • J’ai essayé de faire de mon mieux en tant que Paladine…et au final ce n’était pas grand-chose.
  • Tu as regonflé le moral des soldats, et tes sorts de protection et de soin ont changé la donne de pas mal de combats. Quand tu as annoncé que tu repartais, ça a été la catastrophe ici, on a même hésité à engager des mercenaires pour te ramener de force !

L’Humaine rougit de plus belle tandis que la femme et la fille du capitaine riaient à la plaisanterie. La Draeneï écoutait calmement, ne s’étonnant guère de ce qu’elle apprenait tandis que Tharok bâfrait allègrement.

  • Ca r’ssemble bien à cette p’tiote, Bahrum ! Elle r’met d’ailleurs ça pour les Duskwoods, mais j’espère qu’elle f’ra mieux que la mascotte !
  • Je…je ne suis pas une mascotte ! protesta Aayla.
  • Mah, t’as raison. Y faudrait t’attacher su’l’drapeau et t’secouer dans tous les sens pour qu’t’en sois une. Mais m’est avis qu’ça pourrait marcher…
  • Je conteste un plan aussi barbare, Tharok !
  • D’autant qu’il ne selvilait à lien, fit Aayla en prenant enfin la parole, aussi gland que soit l’étendald, pelsonne ne le vellait si c’est Thalok qui le polte.
  • Maismaismais c’est qu’elle me vanne la biquette ! Bahrum ! Ce soir t’passe à la casserole ! J’te montrerais c’que c’est qu’un steak « bleu », foi de Tharok !

La plaisanterie fit rire les humains, tandis que la principale intéressée protestait vigoureusement qu’elle n’était ni « une biquette ou un steak » mais le Nain n’en démordrait pas et s’enfonçait dans les métaphores culinaires.

Aayla renversa finalement l’échange en sa faveur en dégainant une paire de ciseaux et menaçant de couper la barbe du bonhomme bourru qui prit soudainement un air horrifié, mais ne tarda pas à retrouver ce rictus jovial qui tordait l’épaisse toison lui couvrant le menton en suggérant à la Draenei de faire attention à ne pas couper un des tentacules qui pendaient de ses maxillaires en arguant que poulpe et chèvre faisaient mauvais mélange dans la poêle.

Déterminée à avoir le dernier mot, la Chamane se jeta à l’assaut du Nain en baragouinant ce qui devait être un cri de bataille et faisant cliqueter ses ciseaux et ils entamèrent une véritable lutte en roulant dans la terre sous le regard à la fois consterné et amusé de Félicia.

La bataille fut toutefois de courte durée. Petit, mais exceptionnellement costaud, Tharok domina rapidement le pugilat et finit par plaquer la Draenei sur le ventre avant de s’installer sur son dos. Petit, costaud…et lourd. Aayla faisait deux fois sa taille, mais était parfaitement incapable de se relever, ne faisant que s’agiter sous son poids en s’épuisant en vain.

Commençant à suffoquer, écrasée par l’improbable masse du guerrier qui ressemblait à un tonneau, elle finit par taper au sol pour déclarer son abandon. Riant aux éclats, Tharok l’aida à se relever en lui proposant sa large paluche.

La Chamane préféra toutefois s’agripper à sa barbe qui pendait plus bas que sa large bedaine et arracha enfin un cri au Nain qui protesta vigoureusement, avant de rire de plus belle, accompagné par Aayla dans son hilarité devant une Félicia qui secouait la tête en souriant.

Laisser un commentaire ?