Un monde de glace

Chapitre 1 : Les regrets d'un père

3144 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/03/2023 19:35

Bien avant son arrivée sur le continent glacé du Norfendre, situé tout au nord d'Azeroth et souvent appelé le "toit du monde", on avait dit à Fyrvas qu'il y faisait plus froid que dans les montagnes du Berçeau de l'Hiver ou celles de Dun Morogh. On lui avait également dit qu'on y trouverait des vestiges de civilisation elfiques, voire de civilisations plus anciennes que les premiers elfes. Ce qu'on s'était toutefois gardé de dire au vieil elfe de la nuit, c'était que ces terres glacés étaient d'une beauté à couper le souffle.

Du moins, c'était ce qu'il en pouvait dire de la Toundra Boréenne. Le vieil elfe druide de son état s'attendait à n'y trouver que de la neige et de la glace, sans ombre d'une végétation. Il était loin de se douter d'y trouver des steppes s'étendant à pertes de vues sur lesquelles vagabondaient fièrement des troupeaux de mammouths.

Fyrvas n'était cependant pas venu sur le "toit du monde" pour admirer le paysage. Avec Harrina, une mage humaine avec qui il était devenu de plus en plus proche et intime depuis quelques temps, il était venu résoudre une affaire concernant le Vol draconique Bleu, dont le bastion, le Nexus, se situait sur une île au large de la Toundra.

En effet le chef dudit vol, Malygos, aussi connu en tant que Gardien de la Magie, avait déclaré la guerres aux sorciers et mages des races mortelles, les jugeant responsables de tous les malheurs ayant frappé Azeroth, à commencer par la Guerre des Anciens et la Grande Fracture qui en avait résulté dix milles ans plus tôt.

Ayant eu une certaine expérience avec les dragons, le vieux druide et la jeune mage s'étaient par conséquent portés volontaires pour prêter mains fortes aux mages du Kirin Tor et aux autres vol draconiques également présents sur le continents qui s'étaient opposé à la folie destructrice de Malygos.

Le combat contre les dragons du Nexus fut loin d'être de tout repos, surtout en prenant en compte les conditions climatiques de la région, mais leurs efforts avaient porté leur fruit. Malygos avait été abattu, laissant cependant son poste de Gardien de la Magie momentanément vacant et le Vol Draconique Bleu sans chef.

Néanmoins, cela avait permis aux deux volontaires de faire la connaissance des dragons amicaux, notamment Alextrazsa, la Gardiennes de Vie, Reine des Dragons et matriarche du Vol Draconique Rouge. Cela avait également permis à Harrina de retrouver d'anciennes connaissances parmi le Kirin Tor et d'apprendre par leur biais que la cité des mages, Dalaran, avait non seulement été reconstruite mais flottait à présent au dessus des terres du Norfendre. L'occasion pour la jeune mage de retrouver son ancien chez soi.

Quant à Fyrvas, il avait profité de la guerre du Nexus pour inspecter les ruines elfiques qui lui rappelait ses origines de Bien-nés. Origines dont il avait toujours du mal à assumer. Il en avait également profiter pour rencontrer et établir le contact avec des tribus de furbolgs — une race d'homme-ours avec lesquels il avait toujours senti une profonde connection — dans les collines forestières des Grisonnes plus à l'Est, aidant ses derniers à combattre la corruption des Anciens Dieux qui sévissait leur foyer depuis les profondeurs de la terre.

Et maintenant qu'il avait le loisir de faire du tourisme, il n'eût pas le cœur à ça. Car sitôt lui vint l'idée de profiter du paysage, il ne put s'empêcher de penser à sa fille, elle-même aventurière, qui aurait certainement adoré explorer ces paysages sauvages et inhospitalières et observer sa faune aussi majestueuse que dangereuse.

Or, leur relation s'étaient détérioré ces dernières années. Principalement à cause de la promesse que s'était faite Fyrvas de veiller scrupuleusement sur la sécurité de sa fille qui, en raison de son goût immodéré pour l'aventure et l'exploration, avait une fâcheuse tendance à se mettre dans le pétrin. Et puis quelques mois plus tôt, leur relation avait finalement volé en éclat quand sa fille s'était lié d'amitié avec un elfe de sang, encore vu comme un ennemi des elfes de la nuit, et que le druide avait jugé bon de tenir éloigné d'elle. Ce qui eut au final l'effet inverse.

Il n'eût dès lors plus de nouvelles de sa fille, si ce n'était qu'elle traînait encore avec ses amis aventuriers pour combattre les ennemis de l'Alliance et y maintenir la paix. Mais le peu qu'il en savait, il ne l'apprenait que via Harrina qui elle-même l'apprenait via un confrère gnome comptant parmi ces aventuriers. Mais jamais Fyrvas ne reçut la moindre nouvelle provenant directement de sa fille. Pas même une lettre écrite de sa main qui lui aurait été destiné. Il était évident qu'elle avait coupé les ponts avec son père pour avoir s'être immiscé dans sa vie privée.

Cela avait suffit à plomber le moral du vieux druide, déjà veuf depuis l'invasion des démons quelques années plus tôt et évincé l'année dernière du Cercle druidique Cénarien soi-disant pour insubordination.

Sa contribution à la guerre du Nexus lui aurait servi à oublier ses problèmes. Mais seulement pour un temps.

Assis au bord d'une falaise surplombant la plaine, il surveillait avec mélancolie les majestueux mammouths longeant un champ de geysers en contrebas, imaginant sa fille s'extasier à la vue de ces magnifiques bêtes. Peut-être même aurait-elle tenté de les approcher et de caresser leur fourrure au mépris du danger. Peut-être aurait-elle tenté la même chose avec les rhinocéros laineux qui arpentaient également la Toundra. Ou bien serait-elle allé voir les furbolgs dans les Grisonnes et aurait-elle visité leur village, Grisegueule, établi dans la souche d'un vieil arbre monde abattu il y avait de cela plusieurs millénaires ? Ou bien serait-elle parti visiter les camps des tribus d'hommes-morses, appelés roharts, qui vivaient sur les côtés et aurait-elle participé à leur partie de pêche à dos de tortue. Qui pouvait le savoir ?


Fyrvas entendit soudain un bruissement d'ailes et vit atterrir non loin de lui un griffon. Par chance, l'animal était dressé. Et le vieil elfe connaissait que trop bien la personne, emmitouflée dans une cape, qui descendait de l'animal.

— J'étais certaine que je te trouverai sans le coin, lui dit Harrina. Pourquoi n'es-tu pas à Dalaran, au chaud et en sécurité ?

— Bof, les villes flottantes, les tours en formes de flèches, des mages à chaque coin de rues... Trop arcanique à mon goût, répondit Fyrvas.

— Y a t'il un endroit où tu te sens chez toi, hormis ta forêt ou ton arbre géant ?

Le vieux druide n'insista pas. Il était vrai qu'il aurait de loin préféré être chez lui à Teldrassil ou dans la forêt d'Orneval mais il y avait une raison pour laquelle il y résidait de moins en moins. Sa fille loin de la maison et pas prêté d'y revenir, lui évince du Cercle Cénarien, il n'avait plus trop de raison de rester à Teldrassil. Quant à Orneval, cela lui aurait que douloureusement rappelé les bons moments passés avec sa femme et sa fille, avant l'arrivée de la Horde, de l'Alliance et de la Légion Ardente. C'était plus qu'il ne pouvait supporter.

Harrina vint s'installer à côté du vieil elfe. Elle semblait cacher quelque chose sous sa cape.

Bien qu'étant d'une constitution normale pour une humaine, elle paraissait si petite et fragile à côté de l'elfe de la nuit qui était grand et robuste. Et les cheveux auburn de la magicienne contrastait la crinière bleu qu'arborait le druide.

— Quoi qu'il en soit, je te cherchais car j'ai là une petite surprise pour toi, repris Harrina qui révéla la chose qu'elle cachait sous sa cape.

Au grand étonnement de Fyrvas, il s'agissait d'un dragon qu'elle tenait fermement contre sa poitrine, aux écailles rouges et visiblement à peine sortie de l'œuf au vue de ses ailes encore trop malingres pour le maintenir dans les airs.

— C'est un orphelin de guerre qu'Alexstrasza a accepté de me confier... De nous confier en remerciement de l'aide que nous lui avons apporté, s'expliqua Harrina devant le visage abasourdi de l'elfe. J'ai pensé qu'on pourrait en faire notre compagnon. N'est-il pas mignon ?

Avec sa tête de lézard et ses yeux globuleux, Fyrvas ne put s'empêcher de penser que sa partenaire devait avoir une conception saugrenue de la mignonnerie.

— C'est que... Je n'ai rien contre l'idée d'élever un dragon mais je tiens à te rappeler que ce n'est pas un vulgaire animal de compagnie, finit-il par dire dubitatif. Ce sont des êtres plus complexes et avancé que n'importe quelle race mortelle. Rien a voir avec vos chats ou vos chiens...

— Je le sais bien, l'interrompit la magicienne. Mais à cet âge, il ne doit pas être différent qu'un nouveau-né. Et j'ai déjà promis à la Reine des Dragons que je veillerai sur lui, ou sur elle, comme mon propre enfant. Que nous veillerons sur ce dragonnet comme s'il ou elle était le nôtre.

Sans se l'avouer, Fyrvas se sentit déstabiliser par les paroles d'Harrina. Ils étaient devenus si proches et intimes ces derniers mois qu'ils avaient cessé de se tutoyer et se parlaient de plus en plus comme un couple. Cette perspective l'effrayait autant qu'elle l'intriguait.

— N'est-ce pas... un peu tôt pour parler de... ce genre de chose ? demanda-t-il.

— Pourquoi ça t'effraie tant ? Tu as déjà été père, tu dois avoir un peu d'expérience dans ce domaine...

— Sauf que je n'élevais pas de bébé dragons.

Le druide vexé détourna le regards sur ces mots et son regard se perdit de nouveau dans le paysage.


— Bon, là ça ne peux plus durer, Fyrvas Sombrétoile ! s'impatienta Harrina excédée par la mauvaise humeur de son compagnon.

En l'entendant l'appeler par son nom complet, le vieil elfe commença à regretter de lui avoir révéler son nom de famille de naissance qu'il avait renié car trop lié à ses origines Bien-nées qu'il reniait tout autant.

— Il faut impérativement que tu renoues tes liens avec ta fille, par n'importe quel moyen. Autrement, cela ne fera que s'empirer avec le temps. Je sais de quoi je parle, c'est qui a amené mon propre père et moi à nous mépriser mutuellement.

Fyrvas ressenti un certain malaise à la simple évocation du père d'Harrina, un mort-vivant Réprouvé exerçant la profession de démoniste auquel lui et la jeune mage avaient déjà été confronté et même contraint de coopérer pendant une brève période. Un effroyable individu d'une cruauté proche du sadisme, dont l'elfe peinait à croire qu'il avait un lien de parenté avec la jeune et brillante magicienne dont il était devenu si proche.

De base, Fyrvas comme ses semblables vouaient une sainte horreur vis à vis des morts-vivants, dont l'existence même représentait pour eux un sacrilège vis à vis de la Nature, ainsi tout que ce qui était lié aux démons, leur ennemis héréditaires. Un mort-vivant pouvant invoquer des démons de son propre chef représentait par conséquent tout ce dont les elfes de la nuit avaient en horreur. Mais de plus, durant leur brève (bien que trop longue à son goût) coopération, il aurait exercé une mauvaise influence sur le druide en le recommandant d'être plus ferme et intransigeant envers sa fille. Ce qui n'avait fait que les amener à se séparer.

— Alors pas de "j'attends qu'elle fasse le premier pas" ou je ne sais quel autre connerie de ce genre avec moi, reprit Harrina. Pas si c'est pour durer l'éternité et finir avec des perdants des deux cotés. À un moment, il faut savoir mettre son ego de côté et se faire violence, faire sa part des choses pour que tout rentre dans l'ordre. Et seulement après tu peux attendre d'elle d'en faire de même.

— C'est bien beau tout ça mais qu'est-ce que je peux faire pour qu'on se réconcilie ? demanda Fyrvas sceptique. Tu m'imagines aller la voir et lui dire de but en blanc : "Hé Gahahli-chéri ! Tu te rappelles de notre dernière dispute ? Alors je te propose de faire table rase de tout ça ! Tu veux bien rentrer à la maison maintenant ?".

— C'est sûr que dit comme ça, tu ne risques pas de convaincre qui que ce soit.

— De toutes façons, c'est peine perdue. Tu as vu comment elle m'a regardé la dernière fois ? Comment elle m'a parlé ? Comme si je n'étais plus qu'un monstre à ses yeux ? Moi son père ? Jamais elle ne voudra que je lui adresse la parole. Pas même avec la meilleure volonté du monde.

— Et bien je suis persuadée du contraire, qu'elle sera tout-à-fait disposée à t'écouter... pour peu que tu parles avec tact, sans reproches ni hausser la voix, en admettant et lui présentant tes excuses et ce avec sincérité. Ce qui, j'en conviens, n'est pas encore gagné, te connaissant.

— Très encourageant, comme remarque ! Mais pas entièrement fausse...

— Ce qu'il faudrait, ce serait que tu commences par écrire sur papier tout ce que tu souhaiterai lui dire, ce que tu as sur le cœur, ce que tu ressens et que tu voudrais que ta fille comprenne.

— Peine perdu, je suis un piètre écrivain !

— Cessé d'être aussi défaitiste ! Tu n'arriveras jamais à rien avec une telle attitude ! Et puis il ne s'agit pas d'écrire un roman, simplement t'aider à trouver les mots qu'il faut, te préparer pour le moment où tu lui parlera à nouveau face à face.

— Mais si je suis incapable de trouver les bons mots à l'oral, comment le pourrais-je par écrit.

— Mais justement ! Je connais des gens qui sont de piètres orateurs, souffrent d'une timidité maladive ou bien sont simplement peu loquace et qui pourtant sont de vrais prodiges à l'écrit. Et mon petit doigt me dit que tu pourrais être de ceux là.

" Tout ce qu'il faut c'est que tu crois un minimum en toi et que t'essaies. Même si c'est à petit pas. Au pire, c'est à ça que sert le brouillon.

Fyrvas demeurait sceptique mais la parole de la magicienne n'étaient pas dénuée de sens. Peut-être avait-elle raison au fond. Peut-être devrait-il s'y mettre, dès lors qu'ils seront rentrés à Dalaran. Après tout, cela ne coûtait rien d'essayer.

— Au fait... Il a un nom ce petit dragon ? demanda-t-il soudain histoire de changer de sujet.

Harrina ne sembla pas lui tenir rigueur pour autant. Elle paraissait même ravi que le druide s'interessât enfin à sa surprise.

— Pas encore ! Normalement les dragons du Vol Rouge ont des noms qui finissent en "strasz" pour les mâles ou en "strasza" pour les femelles. Mais on peut lui donner un nom ou un diminutif qui sera plus simple à retenir et qui nous conviendra à tous les deux.

— Tu sais quoi ? Prend celui que tu veux, ça me conviendra parfaitement.

— T'es lourd ! Je comptais sur toi pour me donner des suggestions.


Le bébé dragon se mit soudain à s'agiter, de même que le griffon qu'Harrina avait utilisé pour venir. Tant est si bien que Fyrvas dut précipitamment calmer l'animal en l'attrapant par les rênes tandis qu'Harrina faisait de son mieux pour réconforter le dragonnet en le serrant dans ses bras.

Puis rapidement, l'agitation gagna toute la plaine. En contrebas, les mammouths jusque là paisibles se mirent à barrir de panique et furent rejoint dans leur débandade par des rhinocéros laineux, des caribous et des loups géants, tandis qu'une nuée d'oiseaux de proies envahit le ciel.

Le vieil elfe scruta le comportement de ces animaux avec inquiétude. Cela ne ressemblait en rien à une chasse, étant donné que les même les prédateurs semblaient désordonnés et en proie à la panique. C'était comme si tous fuyaient quelque chose de plus terrifiants et mortels. Quelque chose qui proviendrait du nord-est.

Mais quoi, impossible à le déterminer. Fyrvas et Harrina avaient beau scruter l'horizon, il ne voyait aucunement l'ombre d'un ennemi pouvant provoquer une telle débandade. Seulement la chaîne de montagne au nord qui séparait la Toundra du reste du continent. Ainsi que d'épais nuages noirs se former par delà ses montagnes. Et pourtant rien d'inhabituel.

Puis ils virent quelque-chose se détacher des nuages et survoler les montagnes tel un aigle géant à l'affût d'une proie. Quelque chose d'un bleu brillant et qui à cette distance avait bien l'apparence d'un dragon.

Et non des moindres. Un qui devait être suffisamment gigantesque pour saisir un mammouth adulte avec une seule patte.

Le druide et la magicienne songèrent dans un premier temps à un rescapé du Vol Bleu venant venger la mort de son maître. Mais à mesure que la bête approchait, ils constatèrent avec stupéfaction que le dragon n'avait pratiquement ni écailles, ni peau, ni chair. Ce n'était qu'un squelette volant, avec tout juste une membrane en lambeaux pour maintenir ses ailes et une lueur bleu émettant de ses orbites vides et de sa cage thoracique.

Un dragon mort-vivant.

La créature survola la plaine sans tenir compte de l'elfe et de l'humaine qui la scrutèrent avec effroi mais ne se priva pas geler de son souffle de glace les animaux malchanceux n'ayant pas eu le temps de fuir à son passage. Après quoi elle vira vers l'est poursuivre son funeste vol.

Avant que Fyrvas et Harrina n'eut le temps de comprendre ce qui venait de se passait et d'où sortait ce dragon mort-vivant qui soufflait le froid au lieu de cracher du feu, ils virent en contrebas le sol se remuer au passage de la créature et des bras décharnés jaillirent de la terre.

Bientôt, ils virent des squelettes et des goules s'extraire par centaines de la terre, là où deux minutes plus tôt les animaux arpentaient et broutaient paisiblement.

Puis, le dragon mort-vivant hors de vue, le ciel fut cette fois envahi de créatures ressemblant à des chauves-souris géantes et monstrueuses mais s'avérant être des gargouilles sortant à l'instant de leur sommeil de pierre.

Ce qui était cinq minutes plus tôt un paysage de carte postale se transformait petit à petit en scène de cauchemar.


Fyrvas fut sans voix face à ce sinistre spectacle. Il risqua un regard vers Harrina qui, le dragonnet serré contre sa poitrine, était livide et avait les yeux écarquillés d'effroi.

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