La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 12 : Un prisonnier honorable

1964 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/02/2024 09:50

Chapitre 12 : Un prisonnier honorable.



Deux années s'étaient écoulées depuis la défaite de la Horde. Les royaumes humains s'affairaient à la reconstruction, tandis que le Portail qui avait mené les orcs sur Azeroth avait été détruit.


Il ne faisait pas bon vivre dans les entrailles de Fossoyeuse. Bien que de nombreux miséreux, coupe-jarrets, ou encore contrebandiers campaient le haut de la prison, les bas-fonds, en revanche, étaient peuplés des pires meurtriers. Emprisonnés, enchaînés, et à l'occasion torturés, les détenus ne connaissaient plus que douleur et désespoir, car, chacun le savait, personne ne ressortait de Fossoyeuse, si ce n'était les pieds devant.


Certains prisonniers faisaient le bonheur des geôliers. Particulièrement résistants, se montrant parfois même hostiles, ils luttaient avec acharnement, mais finissaient toujours brisés.

C'était le cas de l'orc qui avait été amené ici il y a quelques temps. D'abord considéré comme une personnalité de renom, malgré ses apparats de chaînes solidement fixées à chaque membre, il fut accueilli en hôte de marque. Landrei, un humain à forte carrure, aux cheveux bruns relevés sur la nuque et doté d'une moustache, s'était particulièrement attaché à rendre le séjour de l'orc plus intéressant. Car, il l'avait bien vu, les tortures conventionnelles ne semblaient pas dérider l'orc plus que cela. C'était un fait que les orcs avaient la peau dure et épaisse. Or, Landrei accordait une grande importance à ce que son hôte se sente comme chez lui.


Il était intéressant de noter que, malgré tout, le temps avait suffi à réduire à néant sa résistance morale. Car, depuis quelques mois, l'orc ne réagissait plus ni aux insultes, ni aux coups. Se pourrait-il qu'il souffre de la même léthargie que ses congénères enfermés dans les camps ?

Ou bien Landrei avait-il finit par briser le grand chef de guerre de la Horde ? Oui, c'est plutôt comme cela qu'il vit les choses. Une fois de plus, il avait soumis le prisonnier qui lui avait été confié. Car jamais personne n'avait résisté bien longtemps à ses attentions.


L'autre jour, tiens, alors qu'il avait minutieusement paré l'orc de la fourche de l'hérétique, histoire qu'il ne s'endorme pas pendant la conversation, Landrei lui ouvrit son cœur :

  • Quand je pense à cette petite princesse, là, qu'ils ont retrouvée il y a pas longtemps. Elle a été joliment arrangée, d'après mes collègues soldats du roi.

Tout en narrant son histoire, l'humain jetait des coups d’œil à l'orc.

  • De longs cheveux noirs jais, et une belle gueule, d'après les hommes. Enfin, plus après ce que le roi les a laissés lui faire, ajouta-t-il d'un air sadique. Ils disent que c'est une traîtresse, et la fille d'un traître, alors bon.


Orgrim grogna légèrement lorsque son hôte installa un étau dentelé de pics autour de ses pieds.

  • En tant que bourreau officiel du roi, j'ai été invité à la petite sauterie. Et quelle sauterie ! ajouta-t-il tout en tournant amoureusement la manivelle qui resserrait l'étau. Je n'ai pas eu le droit d'y toucher, mais eux... ils l'ont tâtonné à tous les endroits possible, et elle jouissait la garce, fallait voir !

Puis, il finit en le fixant :

  • Toi aussi, tu l'a bien fait jouir la chienne, hein orc ? insista-t-il. Elle aimait ça hein ! Fils de chien ! cria-t-il devant la passivité horripilante de l'orc. Hum pfff, se moqua-t-il. Comment peux-tu penser que ceux de ta race puisse faire jouir une femme ?

Landrei lui cracha au visage. Oui, il l'avait bel et bien castré.



Depuis peu, Landrei s'amusait à laisser la clé sur la serrure de la porte de cage de l'orc. Il proposait même au gardien de nuit d'en faire de même, et s'en vantait auprès des autres geôliers, glanant qu'il avait castré la bête.

Il prenait son service tôt ce matin. Le temps était maussade, et cela ne le dérangeait pas d'être enfermé à Fossoyeuse les jours de pluie. Il pénétra dans les quartiers réservés aux criminels les plus dangereux, et entra dans la pièce où trônait la cage de l'orc. Plus loin étaient disposées tables et chaises, où il entreprit de se rendre avant de s'arrêter net. Quelque chose n'allait pas. Où était Gavid ?


Landrei écoutait. Un bruit étrange, comme un craquement, juste derrière lui. Il se retourna lentement, puis jeta un œil par-dessus son épaule. Il vit la tête de Gavid, entourée d'une main verte énorme. La bouche ouverte, les yeux révulsés, le cou brisé, Gavid était mort. L'orc, qui se tenait debout derrière lui, maintenait le gardien debout par la tête, et fixait Landrei d'un air réjoui.

L'humain sentit la sueur couler le long de son dos. Il ne bougeait pas. Il en était incapable. Il se trouvait face à un orc immense, le plus grand criminel tueur d'humain jamais vu, et il ne put bouger le moindre membre.


L'orc lâcha sa prise, laissant tomber le corps lourdement sur le sol glacé, et soutint le regard de l'humain. Un rictus vicieux élargit la gueule d'Orgrim qui empoigna son bourreau par le cou et le projeta loin derrière. Il prit soin de ne pas l'envoyer sur la table, pour éviter d'attirer l'attention à cause du bruit. L'humain se tenait la gorge, douloureuse, et ne tenta même pas de se relever. Il regarda l'orc s'avancer lentement vers lui. De toute évidence, il prenait plaisir à le voir apeuré au sol, se tortillant comme si cela changerait quelque chose.


Que la situation se retourne à ce point contre lui était presque ironique. Ce qui n'échappa pas à l'orc qui semblait jubiler. C'était la première fois que Landrei était aussi terrorisé, lui qui était pourtant rompu aux pires traitements depuis si longtemps. Il voyait à présent la mort arriver, et elle était laide.

  • Toi aussi, tu vas jouir, lança l'orc sans équivoque.

Orgrim ne pouvait perdre plus de temps. Il transperça les yeux de l'humain de ses pouces, et éclata son crâne contre le sol. Ce fut vite fait, trop à son goût. Mais l'heure n'était pas à la vengeance, il fallait fuir au plus vite. Il avait longuement écouté les discussions des gardiens, et savait qu'il pourrait trouver une voie de sortie par les égouts.


Il récupéra son armure de plaques noires que les humains avaient exposée sur le mur tel un trophée, ainsi que le marteau-du-destin qu'ils avaient amené jusqu'ici à l'aide d'un chariot poussé par trois hommes. Il se dirigea ensuite vers la porte d'entrée, écouta, et sortit discrètement.

De longs couloirs sombres et malodorants serpentaient le gouffre qui formait la prison souterraine. À peine éclairés, ces couloirs menaient à une cellule à chaque intersection. Des cris horribles s'en échappaient. Orgrim longea les couloirs jusqu'à tomber sur un chemin plus pentu qui remontait légèrement. Il surprit un gardien à qui il brisa la nuque proprement. Les huit autres gardiens qu'il rencontra subirent le même sort.


Lorsqu'il atteignit une pente plus importante qui menait à une canalisation, il s'y engouffra tant bien que mal. En effet, sa corpulence ne lui permettait pas d'avancer rapidement dans le conduit, mais c'était le seul chemin vers la sortie. Après un long moment à parcourir le conduit à quatre pattes, Orgrim tressaillit. Il sentait l'air humide de l'extérieur pour la première fois depuis deux ans.


Débouchant sur une sorte de caverne, l'issue donnait sur une petite clairière pluvieuse surplombée d'une tour de briques accidentée. Personne à vue. Libre.

Les humains auront tôt fait d'apprendre son évasion. Il fallait fuir et vite.

Orgrim prospecta la tour en ruine et y trouva un long linge qui servirait de cape pour le moment. Pas de nourriture.

À présent qu'il était libre, il était temps de s'éloigner et de partir à la recherche de sa compagne.

Keera. Il avait beaucoup pensé à elle ces deux dernières années. Seule la pensée de sa compagne à ses côtés, de sa tendresse, son odeur, et sa défiance lui avait permis de patienter sans broncher malgré les brimades et les mauvais traitements.

Elle avait dû retrouver les Loup-de-givre depuis le temps, et d'après ce qu'il avait entendu dire des gardiens, un groupe de loups géants au pelage blanc avait été repéré dans les montagnes d'Altérac. Aucun doute : c'étaient les Loup-de-givre.


Il se dirigea alors vers le sud, et emprunta de longs sentiers aux herbes sauvages qui pouvaient le camoufler dans sa fuite. À pas de course, il regagna rapidement les Contreforts de Hautebrande. Le lac, en revanche, allait poser problème. Pour atteindre l'autre rive, il faudra le contourner.

Cela lui prit presque la journée pour arriver jusqu'à une petite ferme située aux pieds des montagnes. Non loin du camp qu'ils avaient monté pour atteindre Lordaeron.


Cette période lui paraissait venir d'un autre temps, très lointain, ce qui lui donna l'impression d'avoir vécu plusieurs vies. Il y avait pourtant vécu une étape capitale de sa vie, et il ne regrettait rien. Il avait depuis longtemps accepté le fait d'avoir perdu la guerre pour restaurer l'honneur des orcs. Et il ne désespérait pas qu'un jour, il sortirait ses frères de ces infâmes camps et les conduirait vers une contrée qui serait la leur.

En attendant, il termina son repas frugal à base de plantes trouvées près des arbres le long du lac et de poissons. Le gibier serait plus facile à prendre à l'aide d'un couteau plutôt qu'avec le marteau-du-destin. Il reprit la route.



  • Ceci est tout bonnement inacceptable !

Le roi Terenas ne manifestait que très rarement sa colère, et jamais en public. Or, il venait d'apprendre l'évasion de l'ancien chef de guerre de la Horde. Depuis son trône, Terenas s'avança vers le gardien de prison et l'invectiva.

  • Sait-on au moins de quelle manière il s'y est prise ? interrogea le roi, dont la respiration saccadée l’essoufflait.
  • Eh bien, risqua le gardien, nous supposons qu'il a fui par les égouts.
  • Vous supposez ? reprit Terenas. Et comment a t-il pu s'échapper ainsi de sa cellule ?
  • Nous l'ignorons, avoua le gardien, qui regardait ses pieds. Nous avons retrouvé sa cage ouverte, la clé sur la porte, et les cadavres de ses gardiens.
  • Il aura donc fait deux victimes, pensa tout haut le roi.
  • Sauf votre respect, votre Majesté, poursuivit le gardien, ce n'est pas l'exacte vérité.
  • Que voulez-vous dire ? questionna le roi, l'air suspicieux.
  • Eh bien, il n'a pas fait que deux victimes. En réalité, nous avons retrouvé onze gardiens sur le chemin qu'il a dû emprunter. Et tous avaient la nuque brisée.


Le roi ferma les yeux et se rassit au fond de son trône. Comment cela avait-il pu arriver ? Terenas lui-même avait argué les mérites du système de sécurité mis en place à Fossoyeuse. Jusqu'à présent, personne n'en était jamais ressorti. Et il allait devoir en informer les autres Nations.

  • Général Walmor, formez une troupe d'élite et retrouvez-moi Marteau-du-destin au plus vite, il ne doit pas s'être aventuré si loin, ordonna le roi.
  • Bien, votre Majesté, acquiesça le général qui tourna les talons et partit rapidement.
  • Par la Lumière, soupira le roi, se tenant la tête de sa main droite accoudée au siège royal.


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