La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 28 : Une rencontre atypique

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Dernière mise à jour 25/02/2024 11:24

Chapitre 28 : Une rencontre atypique.



Ils n'étaient plus qu'à quelques lieux de la ferme abandonnée qui était devenu leur refuge. En route, Orgrim leur avait constitué de belles réserves de viande tandis que Keera s'était engouffrée un peu plus dans l'art de « soustraire aux gens ce dont ils n'ont plus besoin », selon ses dires.

Ils avaient donc trouvé de quoi se vêtir en attendant de retrouver leurs propres affaires à la ferme.


Arrivés sur les rives du lac Thondroril, ils longèrent la berge, puis firent ralentir les chevaux.

  • Quelqu'un est là, dit Orgrim, l'air méfiant.
  • Regarde, devant la grotte, un bélier, ce doit être un nain, en déduit Keera.
  • Qu'est-ce qu'un nain ferait dans un endroit pareil ? grommela Orgrim qui trottait aux côtés de sa compagne.
  • Attendons derrière ces arbres, proposa-t-elle en montrant du doigt deux énormes pins près de la ferme.

Tous deux descendirent de cheval et s'approchèrent discrètement, laissant leurs chevaux en arrière, De là, ils purent apercevoir un petit bonhomme coiffé d'un chapeau d'archéologue, marcher vers le bélier, et pester :

  • Ça, c'tait du sale, ventrebleu, du sale ! Pah !

Le nain fouillait dans la besace accrochée à son bélier. Il semblait chercher quelque chose de précis.

  • Il est seul, déclara Orgrim qui le scrutait. On peut facilement le chasser.
  • On peut aussi le laisser partir, et...


L'un des chevaux hennit, mettant un terme à leur incognito, car le nain se retourna derechef et bondit incroyablement vite à la vue d'Orgrim.

  • Va-t'en fissa, orc ! gronda-t-il dans son saut, une masse énorme au poing.
  • Viens-donc, nain, que je t'écrabouille, répondit Orgrim qui attrapait le marteau-du-destin sanglé dans son dos.
  • Ou bien vous ne vous battez pas, proposa nonchalamment Keera qui sortit de sa cachette.


Le nain s'interrompit, laissant Orgrim dans son élan et qui dû fournir un effort surhumain pour ne pas occire le nain.

  • Par les feux d'la Grande Forge, tonna le nain qui s'avançait droit sur Keera, qu'est-c'qu'on a là ?

Orgrim prit une posture offensive, mais Keera lui fit signe que tout allait bien :

  • Je ne pense pas qu'il nous veuille du mal, c'est un explorateur, annonça-t-elle après avoir aperçu la pioche et tout l'équipement monté à côté du bélier.
  • Tout juste ma pt'tite dame, z'avez l’œil, acquiesça le nain, les yeux toujours braqués sur la princesse.


Il finit sa course et se dressa devant Keera qui le fixait. À l'évidence, il semblait interloqué par ce qu'il voyait.

  • D'où qu'tu viens beauté ? questionna le nain tout en scrutant les traits de Keera.
  • D'Azeroth, je suppose, répondit la princesse, quelque peu prise au dépourvu.
  • Que lui veux-tu ? s'interposa Orgrim, toujours dans la méfiance.
  • Ce grand vert, là, il t'accompagne ? Il t'fait pas d'mal au moins ? s'enquit le nain en désignant Orgrim du doigt.

Orgrim se renfrogna, tandis que Keera expliqua :

  • Il ne me ferait jamais de mal, le rassura-t-elle. C'est mon compagnon.
  • Ohhh, alors là, z'êtes encor' plus intrigants que j'l'aurais cru, et pourtant j'en ai vu d'ces choses, pensa le nain tout haut. J'suis l'gars Hermand Foudrepique, grand explorateur, et j'cherche des raretés comme c'que j'vois là, dit-il en lorgnant la jeune femme.

Keera et Orgrim échangèrent un regard, puis Keera se lança :

  • Je suis Keera, et voici Orgrim, mon époux.


Hermand les examina. Assurément, il n'existait nulle part un tel couple dans tout Azeroth. Les orcs étaient soit emprisonnés, soit tués, soit en fuite.

  • Alors là, va falloir m'expliquer comment ce genr'd'miracle arrive, dit Hermand.
  • Nous n'avons rien à t'expliquer, nain ! cracha Orgrim qui perdait patience. O'nosh, tu penses qu'il saura tenir sa langue, ou je le fais taire pour de bon ?
  • L'a l'sang chaud bouillant c'ui-là, s'amusa Hermand qui empoigna sa masse. J'aime pas bien les orcs non plus, r'marque.
  • Orgrim, nous ne craignons rien, lui assura Keera en l'attrapant par le bras. Et je pense qu'il peut même nous aider, dit-elle en regardant le nain.
  • De quoi parles-tu ? s'étonna Orgrim.
  • De mes origines, dit-elle en fixant le nain.



Le soleil se couchait, tandis que le petit groupe s'était installé près du feu, pendant que le gibier, embroché au-dessus du feu, rôtissait. Keera et Orgrim étaient assis côte à côte, tandis que Hermand leur faisait face.

  • T'en a une belle arme, mon grand, avoua Hermand qui inspectait le marteau-du-destin posé méthodiquement aux pieds d'Orgrim pour que le nain comprenne bien le message. J'saurais pas dir' d'où qui vient c'minerai, à part p't'être du Mont Rochenoire.

Orgrim regarda Keera qui lui sourit, comme pour lui signifier qu'il pouvait parler.

  • C'est une roche qu'on trouve sur ma terre natale, tu n'en trouveras pas ici, dit Orgrim, le regard toujours farouche.
  • En tout cas, c'est du travail d'orfèvre, dit Hermand, admiratif. C'marteau l'est monstrueusement magnifique.


Ses yeux brillaient. Les nains étaient connus pour leur quête d'objets rares, et cela incluait les armes.

Ils étaient également réputés pour leur amour de la bière :

  • Un r'pas sans bibine c'est pas un r'pas, affirma Hermand en tirant une bouteille de sa besace. Z'en voulez une lichette ? demanda-t-il alors qu'il leur tendait un petit gobelet de terre.
  • Non, merci, pas pour moi, dit Keera poliment.

Orgrim grimaça en réponse.

  • 'Savez pas c'qu'vous ratez, dit Hermand tout en engloutissant une lampée.
  • Dis-nous plutôt, que cherchais-tu dans cette grotte ? questionna Keera.
  • Y'a d'sombres créatures dans l'fond de c'te grotte y paraît, et qui dit créatures sombres dit objet rare, en déduisit Hermand. Mais ça d'vait n'être qu'une légende.
  • Ta légende nous l'avons éliminée il y a un moment, annonça Orgrim, l'air ravi.
  • De quoi qu'il dit ? Vous avez tué les créatures d'la Grotte des pleurs ! Par la Lumière, z'êtes pas des marrants vous, dit Hermand qui se grattait la tête, très frustré par cette nouvelle.
  • Disons qu'il a fallu sécuriser les lieux pour les habiter, confia Keera. Et donc, tu disais tout-à l'heure que tu ne pensais pas que je puisse être une elfe, ni-même une demi-elfe ?
  • En fait, tu as bien les oreilles pointues, mais trop à l'horizontale, et tes yeux sont ambrés, c'que j'ai 'core jamais vu nulle part à part chez de rares druides, mais z'ont pas de pupille, s'excusa presque le nain. T'as d'beaux traits, c'est vrai, mais même ça j'le trouv' étrange.
  • Que veux-tu dire ? bougonna Orgrim.
  • J'dis qui va falloir qu'j'en touche un mot à mon collègue, l'père Futalenfer. Lui il en a vu plus que moi, et il passe son temps dans les vieux ouvrages qu'on lui amène. Y pourrait bien connaît' deux ou trois trucs à ton sujet, beauté.
  • Je ne sais pas, comme je t'expliquais, nous sommes des fugitifs, répéta Keera. Et nous ne devons pas attirer l'attention sur nous.
  • Sauf si c'est ton objectif, suspecta Orgrim, les yeux plissés.
  • Moi non plus, j'te fait point confiance, l'grand vert, et j'pense que t'es même pas conscient du trésor qu'tas entre les mains, fit-il en désignant Keera du regard.
  • Si tu crois que j'ai besoin de savoir d'où elle vient pour réaliser ma chance, alors tu es aussi bête qu'un ogre, s'offensa Orgrim. Peut m'importent ses origines, tout ce qui compte c'est l'importance que ça a pour toi, O'nosh, dit-il en la dévisageant.


Keera était pensive. Ils prenaient un risque à faire confiance à ce nain, bien qu'elle reconnût volontiers leur sens de l'honneur et leur force. Elle avait toujours entendu parler d'eux comme d'un peuple jovial, accueillant et respectable. Elle pensait pouvoir lui faire confiance, mais ce serait faire courir des risques à Orgrim.

  • Jvois qu'vous hésitez, et j'voudrais vraiment éclaircir ce mystère avec toi beauté. Faudrait trouver l'moyen d'vous convaincre de m'faire confiance. Ch'ui tout ouïe.
  • Il est tout quoi ? demanda Orgrim en direction de sa compagne.
  • Il veut que nous lui disions quoi faire pour gagner notre confiance, traduisit Keera, un léger sourire aux lèvres.

Orgrim marmonna dans sa barbe, se servant un bout de viande et toisant le nain. Hermand l'imita.

  • Écoute, Hermand, nous allons en discuter Orgrim et moi. En attendant, tu peux loger dans la grotte, proposa Keera.
  • Ça m'va, acquiesça Hermand qui se rinça le gosier et s'essuya la bouche à l'aide de sa manche. Vu qu'vous avez fait l'ménage, j'crains rien, dit-il en envoyant un clin d’œil à la princesse.


La nuit portera conseil, se dit Keera. Et elle avait besoin de connaître l'avis d'Orgrim qui n'avait fait que grogner et le provoquer jusqu'à présent. Rien d'étonnant, il avait déjà affronté des nains, et personne ne pouvait se vanter de pouvoir faire aveuglément confiance à un orc. L'attitude de Hermand aurait été suspecte si cela avait été le cas. Il semblait donc plutôt sensé. Il n'avait d'ailleurs pas insisté pour connaître leur identité.

Hermand s'installa donc dans la Grotte des pleurs avec son bélier, tandis que Keera et Orgrim reprenaient leurs marques dans leur ferme abandonnée.



  • Va falloir m'en dir'un peu plus si tu veux qu'j'y vois plus clair, beauté.

Cela faisait trois jours que Hermand avait élu domicile dans la Grotte des pleurs. Keera et Orgrim n'étant pas tombés sur un consensus à propos de la confiance à lui accorder, le nain avait alors proposé de leur laisser un peu de temps. Ce à quoi tous deux avaient consenti.

Mais de là à tout lui dévoiler...

  • Je n'en sais pas plus, j'ai été retrouvée près du Champ de Valgan, et je devais avoir quatre ans, répéta Keera.
  • Et aucune trac' d'un parent ? Un objet, un linge, un talisman ? insista Hermand.
  • Rien que l'on ne m'ait dit, en tout cas, indiqua la princesse.
  • Dans c'cas, ce s'rait intéressant d'pouvoir fouiller l'château d'ton père adoptif, mais pour ça, faudrait une armée pour récupérer les lieux, songea le nain, déconcerté.


Puis il réfléchit. Ces deux-là ne semblaient pas vouloir le suivre, bien qu'il doute qu'un orc puisse être le bienvenu en terre naine, voire à Forgefer, où reposent la majorité de leurs trouvailles. L'orc avait l'air de tenir à son épouse, ça Hermand l'avait bien compris. Et ce n'était pas par simple jalousie qu'il voulait la garder près d'elle, mais bien par amour. Et rester des semaines de plus pour mériter leur confiance n'y changerait probablement rien. Ces deux-là étaient inséparables. Une histoire vraiment étrange, compte-tenu des circonstances de leur rencontre, dans un contexte de guerre où les orcs terrorisaient tout Azeroth.


Hermand eut donc une idée :

  • J'pourrais p't'êt' vous accompagner un bout d'chemin, ma foi, si vous prenez l'sud. Z'avez pas dit qu'vous vous rendiez au sud ?

Keera et Orgrim se regardèrent. Hermand reprit :

  • J'sais point, c't'une idée qui m'vient. Tant qu'à partir au sud, autant l'faire en faisant la causette ! Comm'ça j'm'en r'tourne auprès des miens et j'chercherai dans les ouvrages qu'on a, proposa Hermand qui pensait tout haut. J'vous les aurais ben ramenés ici, mais les ouvrages sont anciens, et c'est interdit d'les bouger d'là. Y'en a même qui sont trop abîmés pour êt' lus.


Orgrim et Keera se dévisagèrent. Cela leur semblait être la solution.

  • Mais qui nous dit que tu ne reviendras pas avec une troupe pour nous arrêter ? l'incrimina Orgrim de son regard noir.
  • C'qui est sûr c'est qu'j'peux point l'prouver, z'avez qu'ma garantie sur l'honneur, va falloir faire avec, avoua le nain.
  • Et tes recherches seraient longues ? demanda Keera.
  • C't à dire que j'vais solliciter plusieurs experts avec les données qu'j'ai de toi, princesse, et ta description physique. Tu m'disais aussi que tu ressentais la terre, qu'elle te parle, et ça, ça va beaucoup aider, assura Hermand. Les elfes donnent une impression d'superbe, mais Keera ressembl' carrément à une divinité, c'est pas rien comme info non plus, ajouta-t-il.
  • Dans ce cas, il se peut que nous soyons absents quand tu reviendras, comment faire ? demanda Keera.
  • J'vous proposerais ben d'me r'trouver chez moi quand vous r'viendrez, mais ce s'rait sans dout' trop dangereux pour vous de v'nir jusqu'là, pensa le nain qui grattait sa longue barbe tressée. Surtout à cauz' du grand-là qui doit 'core êtr' r'cherché, dit-il en désignant Orgrim avec un sourire.
  • Les orcs ne font pas d'humour, si ça peut t'aider à décrypter mon faciès, lança Orgrim, le visage déformé par un rictus.
  • Dans ce cas, trouvons un lieu neutre, ou bien...
  • Si ça vous dérange pas, j'peux r'passer à coup de griffon voir si vous êt' revenus, et pis revenir une aut'fois si vous êt' absents, suggéra Hermand. J'vois pas d'aut' solution ma foi.


En effet c'était la seule solution. Ce voyage ensemble leur permettrait de savoir s'ils pouvaient réellement faire confiance au nain. Et puis, Keera commençait à l'apprécier le bougre.

  • Pourquoi pas ? Nous comptons partir à la basse saison, le temps de prendre du repos et de nous préparer, dit-elle également en direction d'Orgrim qui ne dit rien.
  • Fort bien, ça m'permettra d'faire un saut dans l'patelin du coin pour récupérer quelqu'fioles, si vous voyez où j'veux en v'nir.


Il était évident que Hermand, qui avait vidé son stock d'alcool, ne pouvait s'en passer. Mais il ne semblait pas boire plus que de raison. Cela ne devrait donc pas être problématique pour leur périple.

En attendant, ils passeraient un moment de convivialité autour du feu, dégustant une viande bien cuite et juteuse, donnant à Orgrim l'impression étrange de partager un repas entre amis, le nain racontant ses trouvailles insolites de son discours chaleureux et burlesque, et Keera écoutant telle une enfant à qui l'on raconte des histoires.

Et, tandis qu'ils allèrent se coucher, Hermand put entendre le rire de Keera depuis sa grotte, ce qui le rassura : l'orc devait finalement avoir plus d'humour qu'il ne voulait bien le laisser croire.


Le jour suivant, Hermand prit le chemin de l'ouest en direction d'Andorhal. Il y resterait quelques jours et reviendrait avec « un bon stock d'bibine pour l'ventre ».



Ces derniers temps, Keera et Orgrim avaient vécu de telles péripéties qu'ils avaient hésité à se rendre dans les Paluns pour visiter les Chanteguerre. Cependant, ils s'étaient accordés sur une visite chaque basse saison dans la mesure du possible. Ils allaient honorer le rendez-vous cette année, avec un nouveau compagnon de route. C'était donc également l'occasion de vérifier s'ils pouvaient faire confiance au nain.

Mais en attendant, ils comptaient bien profiter des derniers beaux jours qui ne tarderaient pas à décliner.


Tous deux étaient assis à l'ombre d'un arbre, Orgrim curant ses ongles à l'aide d'un couteau, et Keera lisant un roman qu'elle avait « emprunté ». Leurs jambes s'entrelaçaient.

  • C'est étrange de penser que le collier que t'avait légué Mannar soit resté accroché à ton poignet depuis tout ce temps, remarqua Orgrim.
  • Tu veux dire, malgré tout ce qui est arrivé, rectifia Keera.

Orgrim prit un air boudeur. La dernière chose qu'il voulait, c'était rouvrir ses blessures en ressassant le passé. Keea reprit :

  • Tout s'est si vite enchaîné que j'ai à peine pu réaliser les mort d'Orla et de Hath, constata-t-elle. Je ne leur ai même pas rendu hommage.


Orgrim s'arrêta et la fixa. Il réalisa qu'il ignorait ses rites de deuil.

  • Et de quoi as-tu besoin pour les honorer ? s'enquit Orgrim.
  • D'une pensée d'un moment heureux avec les disparus, d'un discours, ou d'une chanson.

Orgrim l'observait toujours, attendant qu'elle fasse son choix.

  • Je n'aime pas les rites religieux, concéda-t-elle.
  • Alors chante, proposa Orgrim qui était tout ouïe.

Keera prit alors un air sévère. Depuis combien de temps n'avait-elle pas chanté ? Elle se redressa, l'air solennel, et pris une profonde inspiration pour commencer à entonner :


« Rouge, rouge, du sang tu nais, Zin-al-dorei

Rose, rose, de corps tu pousses, Zin-al-nor

Bleu, bleu, tu parcours la terre, Zin-al-tel

Blanc, blanc, la mort t'emporte, Zin-al-kal »


Sa voix était fluette et mélodieuse. Si une brise avait soufflé à ce moment-là, il aurait pu croire que sa voix provenait du vent, tant elle était cristalline. Loin de la voix grave des femelles orques, sa voix chantée lui paraissait pourtant familière.

Orgrim ferma les yeux lorsque Keera reprit. Cette élégie chantée et très courte les laissa muets pendant un moment après que Keera eut terminé. Une marque de respect comme pour honorer les disparus.

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