La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 38 : La fin d'une ère

Chapitre final

4265 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/03/2024 10:40

Chapitre 38 : La fin d'une ère.



Les semaines passèrent, et le clan Chanteguerre avait rejoint Orgrim, les Loup-de-givre, et le clan rassemblé par Ethrok au sud des Contreforts de Hautebrande.

  • Ethrok, s'écria Orgrim. Merci à toi et à ton clan de nous avoir rejoints.
  • C'est un honneur de servir la Horde, répondit le jeune orc. Na'an, ça faisait longtemps ! dit-il en proposant l'accolade à la princesse.
  • Heureuse de te revoir Ethrok, dit Keera qui répondit à son étreinte. Grom nous parlait justement de toi.
  • Le gamin se démène comme un diable, cria Grom qui s'approcha d'eux et lui envoya une tape dans le dos. Il a réuni une vingtaine d'orcs à lui seul.
  • Je n'ai aucun mérite, chef de guerre, avoua Ethrok. Les orcs que nous avons croisé durant les dernières années ont accepté de me suivre d'eux-même.
  • Ton humilité t'honore, Ethrok, fils de Morgral, fit Orgrim. Tu es déjà un chef de clan fort et brave.
  • Merci à toi, chef de guerre, répondit Ethrok en frappant son poing serré contre sa poitrine. Lok'tar Ogar !
  • Lok'tar Ogar, répondit Orgrim.


Orgrim s'éloigna pour rejoindre Grom et faire le point, tandis que Thrall s'entretenait avec Ethrok, jeune chef du clan des Crocs-vengeurs.

À eux tous, ils représentaient plus de soixante orcs. Étant donnée la configuration des camps d'internement, ainsi que le nombre de gardes, c'était suffisant. Et, à mesure qu'ils libéreront les orcs, leurs rangs grossiront.

Ils devaient à présent lancer leur plan de libération des orcs avant d'être repérés.

Cachés dans les fourrés à la pointe sud, le groupe regardait Thrall, l'air aussi misérable que possible, se diriger vers une habitation humaine un peu plus loin. Il tenta de voler de la nourriture et fut pris d'assaut par deux soldats dont la garnison était stationnée près du village.


Et le plan fonctionna. Cela prit l'après-midi à Thrall pour convaincre ses frères et sœurs orcs de renaître de leurs cendres et se libérer. À eux seuls, ils s'étaient déjà débarrassés de plusieurs gardes avant que le groupe n'intervienne.

  • A l'assaut ! cria Orgrim en levant bien haut le marteau-du-destin tandis que tous le suivirent.

À la vue de leurs frères qui s'élançaient pour les secourir, les orcs libérés reprirent encore davantage courage et devinrent plus farouches. Keera plaignit presque les humains qui n'étaient de toute évidence pas prêts à affronter ce qui venait de leur tomber dessus.

Ils parvinrent à libérer une quarantaine d'orcs durant ce premier assaut. Les Chanteguerre avaient regroupé suffisamment d'armes et d'armures pour équiper plus de la moitié des nouveaux venus.

La troupe s'enfonça dans la forêt et disparut.



Trois autres camps avaient été attaqués suivant le même schéma. Comme prévu, il fut décidé que Thrall ne se battrait plus qu'aux côtés des siens, et non en se laissant capturer. L'information devait être remontée jusqu'aux commandants des camps, et ils s'aperçurent qu'à mesure qu'ils attaquaient, la sécurité ainsi que le nombre de gardes avaient augmenté. De plus, Thrall avait été reconnu lors du dernier assaut. Il ne prendrait plus ce risque. D'autant qu'il savait que Landenoire le recherchait.

Malgré tout, le nombre de combattants de la Nouvelle Horde grandissait également, et demeurait bien supérieur à leurs défenses. Ce qui signifiait qu'ils gardaient l'avantage.


C'est lors du précédent assaut qu'Ethrok et Keera eurent le grand bonheur de retrouver Tula. Reconnaissable à son orbite vide et son air farouche, l'orque reconnut d'abord la princesse, qui eut droit à une étreinte vigoureuse et particulièrement affectueuse. Puis, lorsque son fils l'approcha, elle crut que son cœur allait cesser de battre.

  • Mon fils, tu ressembles tant à ton père, fit-elle, émue, posant son front contre le sien.
  • Mère, je suis si heureux de te retrouver, dit Ethrok qui lui tenait les épaules. J'ai tant de choses à te raconter.
  • Viens fils, tu me diras comment tu es devenu un fier chef de clan.


Keera les regarda s'éloigner, le cœur lourd d'émotions. Tant d'années s'étaient écoulées depuis leur dernière rencontre, et elle vit avec plaisir Orgrim retrouver Varok Saurcroc, son lieutenant et ami. L'orc s'était légèrement affaissé, mais avait conservé cet air digne qui le caractérisait. Celui-ci avait d'ailleurs su manifester son respect pour elle, et l'avait remerciée d'être restée aux côtés de son chef durant toutes ces années.

Ces moments précieux donnaient à Thrall l'impression d'appartenir à une grande famille. Lui qui n'avait vécu que dans le mépris des humains, rejeté, brimé, et humilié. Il découvrait peu à peu l'ambiance chaleureuse des feux de camps en extérieur, des Lok'tra qui étaient de nouveau à l'honneur, ainsi que des danses traditionnelles.


Le campement avait été dressé au nord des Hautes-terres Arathi. Ils choisirent de bifurquer afin d'être encore plus nombreux au moment de s'attaquer au nerf des camps : Fort-de-Durn.

Il restait donc peu de camps à libérer avant l'assaut final.

Assis autour du feu, Orgrim, Keera, Grommash et Thrall discutaient, parfois rejoints par d'autres orcs. Keera, qui était installée entre les jambes de son compagnon, avait été très remarquée durant les précédentes attaques. Elle et Orgrim formaient un duo de combattants impressionnants, mêlant figures martiales exécutées à deux et offensive féroce à coup de lance ou de marteau chacun de leur côté.


Quant à Grom, qui n'était pas en reste, abreuvait Hurlesang, sa célèbre hache, de sang humain tandis qu'il faisait trembler leurs os à l'aide de son cri de guerre que même Thrall aurait souhaité ne plus jamais entendre.


Lors du discours d'Orgrim aux troupes avant la précédente attaque, Keera et Thrall l'encadraient, tandis que Grom se tenait près de Keera.

Grom avait alors attendu la fin du discours pour lancer son cri de guerre afin de galvaniser les troupes encore davantage. Keera, qui avait senti le coup venir, s'était retournée vers lui lorsqu'il ouvrit sa gueule proéminente mais n'eut pas le temps de s'éloigner avant qu'il ne pousse son hurlement démesuré. Il assourdit les orcs les plus proches, et creva le tympan de la princesse dont l'oreille se mit à saigner. Hors d'elle, Keera avait tenté de lui sauter à la gorge, et fut contenue par Orgrim et les pouvoirs chamaniques de Thrall qui demanda au vent de la maintenir dans un tourbillon le temps qu'elle se calme.


Suite à cet incident, il fut convenu que Grom ne devait réserver son cri de guerre qu'à ses ennemis. Car, bien que son cri réveillerait un mort, Grom avait oublié combien Keera avait l'ouïe très fine.



Les orcs libérés reprenaient peu à peu des forces. À l'instar de Grommash et de ses Chanteguerre, Orgrim avait constaté que leur attitude reflétait une certaine lassitude, une fatigue étrange très loin de l'entrain si caractéristique de sa race lorsqu'il s'agissait de se battre.

La lueur rouge de leurs yeux brillait sur le champ de bataille, mais se dissipait rapidement une fois au repos.

Tout à ses pensées, il ne remarqua pas que Keera l'avait rejoint sous leur tente. Elle s'assit face à lui, un peu plus loin, et l'observa. Quelques légères rides étaient apparues au coin de ses lèvres, visibles lorsqu'il souriait. De fines pattes d'oie s'étaient également formées à l’extrémité de ses yeux gris et toujours vifs.

Depuis peu, une ride lui traversait également le front. Mais Keera savait, pour l'avoir remarquée du temps où il menait la Horde, qu'elle était liée à son inquiétude pour son peuple. Elle n'avait pas réapparu depuis la fin de la guerre.


Orgrim la fixait à présent. Ils restèrent un moment à se dévisager. Silencieusement.

Puis, Orgrim rompit le silence :

  • Parfois, j'ai l'impression que notre rencontre date d'hier. Et aujourd'hui, c'est le contraire. C'est comme si on se connaissait depuis toujours. Comme si ma vie avant toi était si loin qu'elle appartenait à une autre vie.
  • Tu parles trop, mon amour, dit Keera.
  • Je parle autant que je le veux, rétorqua-t-il en la tirant par le bras pour l'amener à lui.

Et il l'enlaça tendrement. Elle se blottit un moment, puis dit :

  • Voilà, je préfère quand tu agis.
  • Je croyais que tu avais toujours apprécié nos causeries, dit-il l'air déçu.
  • C'est vrai, mais je préfère quand tu es dans l'action, avoua-t-elle, le regard pétillant.
  • Dans ce cas, au diable les bavardages, fit l'orc qui se rua sur elle.


Elle bascula en arrière sous le poids de son compagnon. Il ne prit pas la peine de la dévêtir et arracha sa cotte avec vigueur, tandis qu'elle lui mordilla le lobe de l'oreille, ce qui le rendait fou. Elle agrippa son dos au moment où il s'inséra, et tous deux ne firent plus qu'un. Comme au premier jour. Il fondit en elle alors qu'elle se perdait en lui, totalement à la merci de leur désir, laissant l'ivresse les envahir. Elle l'enjamba alors, ses yeux dorés plongés dans les siens. Il la tenait par les hanches, et suivait ses va-et-vient. Et tandis qu'il accélérait le rythme, elle se laissa guider, submergée de plaisir, euphorique.

Exaltée.

Heureuse.

Transpercée. Il saigne.

Transpercée. La lance.

Ce noir.

Dans le dos. Où suis-je ?

Le tumulte tout autour. Bruyant. Trop bruyant.

Transpercé. Orgrim !


  • ORGRIM !


Keera avait hurlé, et sortit de sa torpeur. Trois orcs traînaient le chef de guerre hors de la bataille.

Keera reprenait ses esprits. L'assaut. Le tonnerre invoqué par Thrall. Le noir. Des têtes fauchées à coup de lance. Le noir encore. Puis...

Keera réalisa la scène devant ses yeux. Elle se souvenait. Mais ses jambes refusaient de lui obéir.

Une main vint alors se poser sur son épaule. Grom. Il était recouvert de sang. Il la fixa, et lui donna l'élan dont elle avait besoin pour rejoindre Orgrim.


Elle marcha lentement vers lui, puis s'écroula à ses côtés.

Une lance le traversait, dont la pointe ressortait de son ventre. Il toussait, et du sang sortait de sa bouche. Il la fixait de son regard vif. Elle vit une étrange lueur traverser ses yeux. Elle pivota vers la lance et la toucha. Puis, elle vit Drek'Thar s'agenouiller et poser sa main sur le ventre d'Orgrim. Il évaluait les dégâts pour essayer de le soigner. Elle savait pourtant que c'était inutile. Il allait mourir.

Le vieux chaman leva la tête vers elle, et elle sentit les larmes couler sur ses joues.


Soudain, un doigt caressa sa joue humide et essuya ses larmes.

  • Finalement, c'est moi qui accomplirais la prophétie du marteau-du-destin, dit douloureusement Orgrim.
  • Ne parle pas, garde tes forces, lui dit Keera, désespérée.
  • Grom !

Grommash attendait tout près, et s'approcha.

  • Grom, je compte sur toi, reprit Marteau-du-destin. Prends soin d'elle. Ne la laisse pas...

Grom attendit, puis répondit :

  • Tu as ma parole, Marteau-du-destin.


Le visage de Grom était grave. Orgrim cracha à nouveau du sang. Il attrapa la lance nichée dans son ventre.

  • Enlevez-moi ça, ordonna-t-il. C'était un coup de traître !
  • Tu vas mourir si on te l'enlève, gronda Hurlenfer.
  • Je vais mourir, assura Orgrim, mais pas avec ce bout de trahison humaine enfoncée dans ma chair !

Il essaya de l'extirper lui-même mais Keera le retint :

  • Ne fais pas ça Orgrim. Ne t'inflige pas ça !

Elle réprima un sanglot, bien que ses larmes ne cessaient de couler.

  • Chef ! Orgrim ! cria Thrall qui s'approchait à grand pas.
  • Ah, Thrall, marmonna Orgrim. Viens, j'ai à te parler.

Thrall était horrifié. Il voyait bien que son ami, son mentor, était en train de succomber à sa blessure mortelle. Il attrapa la main qu'Orgrim lui tendit et s'agenouilla près de lui.

  • Comment c'est arrivé ? demanda le jeune Loup-de-givre.
  • Huit cavaliers l'ont encerclé, répondit Grom. Ils savaient à qui ils avaient affaire, peuh ! Les lâches !


Keera restait silencieuse. Elle se souvenait avoir vu la scène de loin, mais ensuite c'était le trou noir.

Grom poursuivit :

  • Marteau-du-destin les a attaqués sans hésiter, hé ! sourit-il. Deux d'entre eux en sont tombés de cheval. Puis un soldat s'est élancé derrière avec une lance et la lui a plantée dans le dos, cracha-t-il.

Thrall grimaça. La lâcheté le dégoûtait au plus haut point, et elle était responsable de la mort du plus noble d'entre eux.

  • Thrall, tu es le digne fils de... de Durotan, lança Orgrim qui crachait du sang. Tu insuffles le courage aux nôtres. Tu dois les mener.

Il empoigna à nouveau la lance qui le traversait, et dit :

  • Deux choses. Retire cette lance, il est hors de question que je rejoigne les Ancêtres avec ce morceau de déshonneur... planté dans mon corps. Ensuite, retire mon armure, elle est à toi. Ainsi que mon marteau.


Thrall fixa Keera, puis, rassemblant tout son courage, il tira sur la lance. Orgrim hurla si fort de douleur que Keera serra les dents au point de se briser la mâchoire. Le cri d'agonie ébranla Thrall qui tira à nouveau aussi fort qu'il le put pour abréger les souffrances de son ami.

  • Tire ! insista Orgrim.

Et Thrall réussit à sortir la lance ensanglantée dans un effort surhumain alors qu'Orgrim cria de toute son âme. Keera appuya de toutes ses forces sur la plaie béante pour limiter la souffrance et la perte de sang. Orgrim commença à retirer son plastron, aidé de Thrall dont les mains tremblaient. Il désigna du doigt le marteau-du-destin et dit :

  • Mène notre peuple avec force et honneur. Mène-les à la paix.
  • Je le promets, dit Thrall dont les larmes dévalaient le visage déformé par le déchirement.


Orgrim tourna la tête vers Keera, et, dans un dernier effort, posa sa main tremblante sur sa joue.

  • Je meurs, O'nosh, mais je meurs encore plus de te laisser.
  • Orgrim non ! Ne me laisse pas !

Orgrim la fixait, lui sourit, et dit :

  • Tu m'a rendu fier et heureux, Keera. S...sois...

Sa main retomba le long de son corps. Les yeux clos, Orgrim Marteau-du-destin quitta ce monde entouré de son peuple, de ses amis, et de son « Cœur ».


Keera le fixait, perdue. Elle lâcha la main qui tenait sa joue quelques secondes auparavant et, dans une douleur irrépressible, elle poussa un hurlement tel qu'il déchira le cœur de chaque orc qui s'était regroupé près de leur chef de guerre. Anéantie, elle finit par se laisser retomber sur le corps inerte d'Orgrim et posa sa tête contre son visage qu'elle tenait entre ses mains.

Grommash la regardait, accablé, tandis que Thrall se leva lourdement, essuya ses larmes et revêtit l'armure de guerre noire d'Orgrim Marteau-du-destin. Après la mort de leur chef, les orcs avaient besoin de voir son héritier fort et brave. La faiblesse n'avait pas sa place dans la Horde.


Thrall se dressa alors fièrement, entonna un discours que Keera n'entendit même pas, et brandit le marteau-du-destin en direction de son peuple, puis en direction de son chef de guerre pour lui rendre hommage. Son regard s'attarda sur la princesse qui se cramponnait obstinément au corps de son époux. Il se jura alors de tout faire pour préserver ce trésor qu'avait trouvé Orgrim il y a onze ans, et qui symbolisait toute la force et la fierté dont un cœur doit être empli.



Les funérailles se tenaient au crépuscule. Nombre de guerriers avaient péri durant l'assaut, les humains étaient de toute évidence mieux préparés et avaient vite appris de leurs erreurs.

Les bûchers funéraires étaient installés. Le plus imposant et le mieux décoré était celui où trônait Orgrim Marteau-du-destin, le chef de guerre de la Horde qui donna sa vie pour libérer son peuple. À ses côtés reposait Oreille-sage, l'ami fidèle de Drek'Thar qui s'était battu avec courage et méritait la place d'honneur aux côtés d'Orgrim.


Thrall, le nouveau chef de guerre, se tenait face aux orcs regroupés devant les bûchers. À ses côtés se tenait Keera, qui était encadrée par Grommash Hurlenfer et Drek'Thar. La princesse présentait une mine étrangement neutre. Depuis la mort d'Orgrim, personne ne l'avait entendu émettre un seul mot. Elle conservait un visage fermé.

Thrall, revêtu de l'armure de guerre noire d'Orgrim et armé du marteau-du-destin, l'air solennel, se concentra et entonna :


  • Onze années nous séparent de notre dernière défaite. La Horde a été emprisonnée, humiliée, battue. Aujourd'hui, nous sommes libres. Et en ce jour, nous honorons nos morts.

Il prit une grande inspiration, et poursuivit avec émotion :

  • Orgrim Marteau-du-destin. Mon chef, mon frère. Tu as affronté la mort avec honneur, et tu nous a libérés. Tous ici te devons beaucoup, à commencer par notre vie et notre honneur. Repose en paix, mon frère.


Il envoya un signe presque imperceptible à Drek'Thar qui en appela au feu afin qu'il emporte la dépouille des guerriers morts au combats jusqu'aux Ancêtres. Il marmonna quelques prières et le feu prit, entamant son chemin jusqu'au corps d'Orgrim et l'inondant de ses flammes ardentes. Le corps du guerrier fut emporté en quelques secondes, sous les yeux de son peuple, et de Keera, qui observa la fumée monter vers les cieux assombris. Une légère brise vint lui caresser le visage, comme un dernier adieu à celle que le noble guerrier avait aimé plus que tout. Elle ferma les yeux comme pour imaginer son compagnon là devant elle.


Keera resta encore un moment devant le bûcher, qui n'était plus qu'un tas de cendres. Un orc s'approcha et s'immobilisa à sa hauteur, silencieusement. Puis, après quelques minutes, il dit :

  • Perdre son compagnon ou sa compagne, c'est perdre la moitié de soi. Ce sera douloureux pendant longtemps, et puis tu t'habitueras à cette douleur. Tu apprendras à vivre avec.

Grom se tourna alors pour lui faire face :

  • Écoute Keera, tu n'es pas seule. Tu as une famille, tu es des nôtres. Et, les Ancêtres m'en soient témoins, nous ne te laisserons pas choir dans les abîmes du désespoir !


Il attrapa son menton de sa main et releva sa tête. Elle vit la détermination dans son regard rougeoyant, mais ne dit rien.

Un peu plus loin, Tula attendait, l'air inquiet. Elle avait été témoin de la métamorphose de la princesse, il y a des années. À présent, elle aussi était déterminée à l'aider à supporter la perte de son compagnon. Un fardeau qu'elle ne connaissait que trop bien, elle aussi. Tout comme Grommash.


Le chef des Chanteguerre laissa alors Keera aux bons soins de Tula, puis rejoignit Thrall et ses lieutenants qui organisaient la prochaine attaque.

  • Comment va t-elle ? demanda le nouveau chef de guerre, très inquiet lui aussi.
  • Elle est brisée, avoua Grom. Son regard est vide, comme si son âme avait été aspirée.
  • C'est le cas, j'en ai peur, dit Thrall. Ils étaient tout l'un pour l'autre, et tu es mieux placé que moi pour le savoir.
  • C'est vrai, mais elle va devoir apprendre à vivre sans, à présent, dit Grom. Ce sera long, et ce sera douloureux
  • C'est pourquoi nous devons veiller sur elle, conclut Thrall. Pour l'instant, laissons Tula s'occuper d'elle. J'ai à te parler à propos du prochain assaut.

Grommash lança un regard vers Keera et Tula derrière lui. Thrall comprenait son inquiétude, mais ils devaient garder la tête froide, surtout en pareil moment.

  • Je t'écoute, chef de guerre, se reprit Grom.



La nuit était tombée depuis plusieurs heures. Tula emmena Keera sous sa tente. Depuis la crémation, elle n'avait pas bougé de devant les bûchers. Il fallait dormir à présent.

  • Je peux rester avec toi la nuit, ma sœur, proposa Tula.

Pour toute réponse, Keera s'engouffra dans les peaux qui composait sa couche, et y nicha son visage. Elle n'était même pas en état de penser. Elle voulait juste sentir l'odeur d'Orgrim et s'endormir.

Le regard triste, Tula sortit de la tente, bouleversée devant l'état apathique de son amie. Elle repasserait d'ici quelques heures pour vérifier si tout va bien. En attendant, elle rejoignit son fils, très inquiet lui aussi.


La nuit fut longue. Thrall et ses lieutenants discutaient stratégie, tandis que le reste de l'armée se reposait, au pied d'un arbre, à l'intérieur d'une tente, ou bien au bord de la rivière.

Le soleil pointait déjà à l'horizon, alors que le jour se levait à peine. Les yeux mi-clos, Thrall somnolait dans sa tente, appuyé sur la table de commandement quand Ethrok surgit :

  • Elle a disparu, chef ! Keera a disparu !
  • Quoi ? grogna Thrall. Ta mère n'était pas avec elle ?
  • Keera voulait rester seule, affirma Ethrok. Mère est passée la voir dans la nuit et elle n'avait pas bougé. Et ce matin …
  • Elle n'est peut-être pas très loin, emmène des guerriers de ton clan et ratissez le périmètre au plus vite !
  • Bien, chef de guerre. Grom est déjà sur le pied de guerre.
  • Emmenez-le s'il le souhaite, mais qu'il soit revenu dans deux heures, nous levons le camp.
  • Et si on ne la trouve pas chef ?


Thrall réfléchit. Keera n'allait pas bien, et, par amitié pour elle, mais aussi par respect pour la mémoire d'Orgrim, ils devaient tout faire pour la retrouver.

  • Après l'assaut de Fort-de-Durn, les autres camps tomberont sans effort, affirma Thrall. J'enverrai Grom et ses Chanteguerre en renfort pour t'aider à la retrouver. Prends une vingtaine de guerriers et des loups, et partez sur le champ.
  • Bien, chef de guerre.


Ethrok quitta précipitamment la tente et somma ses guerriers de se préparer aux recherches.

Cette nouvelle affectait Thrall particulièrement. Ils n'avaient pas été assez vigilants, et à présent il s'en voulait. Pourvu qu'elle ne se soit pas...

  • Chef ! Tu as appris pour Keera ? demanda Grom qui entra en trombe sous la tente.
  • Malheureusement, admit Thrall, encore secoué. J'aimerais tellement pouvoir partir à sa recherche moi-même.
  • Envoie-moi avec les Crocs-vengeurs, nous la retrouverons, proposa Grom.
  • Non, pas toi ! J'ai besoin de toi pour l'attaque sur Fort-de-Durn. Dès que le donjon sera tombé, tu les rejoindras.
  • Thrall, insista Hurlenfer. J'ai fait une promesse et je la tiendrais.
  • Tu la tiendras, Grom, et je sais combien tu t'inquiètes pour elle. S'ils ne la retrouvent pas, tu les rejoindras.


Le regard de Grom s'assombrit, puis ses yeux se mirent à luire. Thrall voyait bien combien il était contrarié, mais il ne céderait pas. L'avenir de son peuple était en jeu. Le moment était crucial et ils devaient terminer la campagne de libération des camps au plus vite, sous peine de voir surgir des armées humaines qui ne se contenteraient pas de les y enfermer à nouveau.

Devant la mine réfractaire de Hurlenfer, Thrall ajouta :

  • Si nous n'attaquons pas maintenant en force, s'en est fini de la Horde. Ils auront le temps de se regrouper, et, crois-moi, ils ne nous enfermerons pas dans des camps cette fois.

Grom savait qu'il avait raison. Mais il ne pouvait se résoudre à abandonner Keera. Il secoua la tête de gauche à droite et tourna les talons. Thrall trancha :

  • C'est un ordre !

Grom s'immobilisa. Après un moment de silence gênant, il pivota légèrement et fixa Thrall par-dessus son épaule :

  • Très bien, chef de guerre. J'espère seulement que tu ne regretteras pas ta décision.

Puis il quitta la tente, laissant Thrall aux prises avec ses pires craintes : qu'il soit arrivé malheur à Keera.


Les recherches ne donnèrent rien. Le Fort-de-Durn était tombé, et Grommash avait rejoint les Crocs-vengeurs après que Thrall ait réduit le Fort en un tas de décombres avec l'aide des éléments.

Ce jour-là, il enterra également son amie, Taretha, l'humaine qui l'avait aidé à s'échapper, et que leur maître Landenoire avait sacrifiée afin de briser l'orc. Il l'avait décapitée, et envoyé sa tête aux pieds de Thrall, dans le but d'anéantir l'orc, et de le faire rentrer dans le rang. Il n'en fut rien.

C'était une belle victoire pour la Horde, mais elle avait un goût amer pour Thrall qui avait tour à tour perdu son mentor qui fit de lui un chef, sa compagne portée disparue qui lui donnait l'espoir d'une entente universelle, et son amie défunte, preuve que la bonté d'âme existait même parmi les humains.


À l'avenir, il honorerait ces trois figures emblématiques qui contribuèrent à le forger et laissèrent une emprunte immuable au plus profond de son être.


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