Âme de Pureté

Chapitre 68 : L'Eveil | Chapitre 68

3509 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/01/2020 11:35

— Aidez-moi ! 

Assis à trois autour d'une table du Burger World, célèbre fastfood de Domino City, Joey et moi assistons à la démonstration des plus belles larmes de crocodile du président du club d'embellissement, j'ai nommé Tristan Taylor.

— Attends, je n'ai pas tout suivi, grogne le blondinet à ma droite, les bras croisés sur son torse. Tu es en train de nous demander de te suivre dans un plan pour séduire Soso-chan ? 

A première vue, j'ai compris la même chose que mon compagnon de table. Le brun essuie nerveusement ses fausses larmes et nous désigne tour à tour avec conviction.

— Vous êtes bien en couple, n'est-ce pas ? 

Joey me lance un regard auquel je réponds en hochant de la tête, non sans une certaine gêne.

– O-ouais.

– Alors vous devez absolument m’aider ! Jamais je n'oserai inviter Soso à partager une journée avec moi, mais si vous êtes là, elle acceptera ! 

Sa tentative d'hameçonner mon amie la plus chère me décontenance quelque peu. Mais je dois avouer que le voir se tortiller dans tous les sens pour trouver une solution m'amuse au plus haut point. Au cours de cette année, Tristan n'était pas le seul garçon à m'avoir demandé de l'aide pour approcher Zoé. Il faut dire qu'avec ses boucles brunes et ses yeux noisette, elle en hypnotise plus d'un ! Pourtant, en tant qu'amie, j'ai toujours pris le parti de refuser d'apporter de l'aide à ces pauvres âmes désespérées.

— Et tu comptes l'emmener où ? demande Joey, prêt à avaler son hamburger d'une bouchée.

Tristan pose solennellement sa main contre son cœur.

— A Tokyo.

— La ville des touristes ? j'enchaine, peu compatissante.

— Non, la ville du voyage ! Il y a tellement de choses à voir et à faire à Tokyo que je trouverai forcément une activité qui lui plaira ! 

Perplexe, je sirote une partie de ma boisson gazeuse et observe mon ami. J'entrevois déjà la scène où il tentera la moindre approche envers Zoé et qu'elle le refroidira aussitôt. C'est cruel, mais c'est pour ça que je l'apprécie. Il est dur de l'approcher, alors l'apprivoiser est de l'ordre du miracle.

— C'est une bonne idée, déclare mon voisin de table.

La réaction positive de Joey me surprend. Non pas que je doutais de son envie de porter secours à son ami, mais l'idée de voyager à quatre me semblait plutôt niais et féminin.

— Vraiment ?

— Tu n'as pas envie d'y aller ? Cela pourrait être amusant. 

Je scrute son visage, il soutient mon regard dans l'attente de ma réponse. Ai-je envie d'y aller ? Tokyo, c'est la ville, les touristes, les embouteillages, le monde entier, le danger. A l'autre bout de la table, Tristan m'adresse sa plus belle moue de chien battu.

— Peut-être... 

Les garçons ont dû interpréter ma réponse comme un oui car ils s'échangent de joyeuses expressions que mon Japonais ne saisit pas entièrement.

 — Mais il est hors de question que j'invite Zoé, je rectifie, sentant la mauvaise embrouille pointer le bout de son nez. C'est ton boulot ! 

Mais les garçons ont déjà oublié ma présence pour leurs hamburgers. Comment je vais justifier ça à Zoé, maintenant...

 

En fin de soirée, Tristan chevauche sa moto pour reprendre le chemin de chez lui. Joey et moi nous contentons de la classique marche à pieds.

— J’espère que Zoé ne sera pas trop cruelle envers lui, je soupire, les bras croisés.

— Il s'en remettra, ce n'est pas le premier râteau qu'il se prend. 

J'hausse un sourcil à la réaction du blondinet.

— Quel genre d'ami es-tu ?

— Le genre franc, sincère et incroyablement beau ! clame-t-il, une main fièrement posée sur son biceps droit.

Je lève les yeux au ciel pour lui signifier mon agacement. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... Tandis que nous nous engageons sur notre chemin habituel, notre discussion dérive sur les festivals de nos lycées respectifs.

— Alors Kaoruko a perdu au concours de popularité et c'est pour ça qu'elle déteste Téa ?

— C'est plus compliqué que ça, mais c'est l'idée. Chaque année, elle la défie dans une compétition de discours. C'est tellement barbant que je m'endors avant la fin.

— Bonne nouvelle, au moins quelqu'un ne m'entendra pas, je geins, apeurée par l'idée de m'exprimer en public.

— J'ai encore du mal à croire que tu t'es inscrite dans un club d'éloquence. 

Sa remarque me pique au vif.

— Pourquoi ça ? 

Il hausse les épaules et me toise, perplexe.

 — J'en sais rien, c'est plutôt un club pour les filles charismatiques. 

Définitivement vexée, je m'arrête au beau milieu du trottoir et le fusille du regard.

— Et je peux savoir dans quel club tu es ? je m'enquiers, une pointe de colère dans la voix. Parce que dans mes souvenirs, tu n'as pas beaucoup participé aux activités de ton club pour flâner dans les couloirs pendant que je nettoyais !

Malgré mon visage fermé, Joey ne se démonte pas et maintient notre contact visuel, toujours le même foutu sourire aux lèvres.

— Club d'athlétisme, Madame. Et pourquoi un Apollon comme moi aurait-il besoin d’exercice ? 

L'envie de le balayer au sol m'effleure, mais je redoute le retour de flamme s'il venait à se défendre. Pendant ce temps, Joey poursuit son monologue au beau milieu de la rue.

— J’en ai dégommé plus d'un, rien qu'avec les muscles que tu vois là, poupée. 

Il s'amuse avec mes émotions, cela se lit sur son visage. Son comportement m'agace et il prend un malin plaisir à continuer.

A tes souhaits, chérie.

— Et c'est avec ces muscles que tu te fais battre par ton père ? 

Ma gorge se bloque immédiatement. Joey se fige et écarquille les yeux. Son visage devient livide et hésitant. Même s'il ne s'agissait pas de moi, je viens de dépasser les bornes.

— J-Je... 

Je me plie en excuses, sans oser le regarder.

— Va te faire foutre Eléonore ! je maugrée, la tête portée vers le bitume. Je te déteste.

— Ne t'inquiète pas. 

La voix douce de Joey me parvient aux oreilles, mais j'attends encore quelques secondes avant de me redresser lentement. Il s'est approché et a déposé sa main sur mon épaule.

— J'ai été surpris que tu n'en aies pas parlé plus tôt. Tu sais, depuis que tu es passée et que... 

J'opine frénétiquement, les membres tendus à l'extrême. Joey pousse un soupir bruyant et referme sa poigne sur le haut de mon bras.

— J'aimerais que ça s'arrête, mais tu n'as pas à t'en faire pour moi, d’accord ? 

Dit-il cela simplement pour m'apaiser, ou craint-il qu'Eléonore prenne le dessus quand l'occasion se présentera ? N'ayant aucune idée de ce qu'une bonne réponse serait dans cette situation, je me contente d'acquiescer. Sa main remonte sur le dessus de ma tête et me tapote comme un chien.

— Bien.

— Hé !

— Je plaisante ! désamorce-t-il en glissant ses doigts bouillants sur ma joue. Merci. 

L'agacement ressentie plutôt disparait aussi vite qu'elle est apparue. Je meurs d'envie de le prendre dans mes bras, mais il m'attire contre lui et enfonce son nez dans mes cheveux. Son souffle me chatouille le cou alors qu'il enroule ses bras autour de mes hanches.

Se contenir risque d'être très compliqué à l'avenir.

 

Dim. 20:24. Expéditeur: Ryou Bakura.

Message: Je commence à trouver le temps long.

 

La semaine a défilé à une telle vitesse qu'arrivé à mercredi, je remarque que le message de Bakura est resté sans réponse. Au début, j'évitais les axes isolés, de peur de croiser l'adolescent aux cheveux blancs au moindre coin de rue. Eléonore et moi discutions longuement le soir venu sur l'affrontement imminent qui m'opposerait à Atem. Je suis rapidement venue à la conclusion qu'il était inutile de retarder l'inévitable. Si je ne satisfaisais pas l'envie des deux esprits, je finirais par y être forcée d'une quelconque manière. Sans oublier Kaiba, qui se montre étrangement absent ces derniers temps.

 

Mer. 17:28. Expéditeur: Yugi Muto.

Message: Génial, j'ai hâte qu'on puisse en parler!

 

Sur le chemin du Seven Eleven le plus à l'est de Domino, je tapote nerveusement les touches de mon téléphone portable. Mentir à Yugi sur mes intentions me renvoie l'image d'une horrible personne, mais je redoutais que si je lui annonçais l'avènement d'un quelconque jeu des ombres, il finirait simplement par m'éviter. A juste titre.

Il n'y a pas mort d'homme, enfin pas encore.

Son rire me transperce le crâne. Ma tête est en proie à de violentes migraines, sûrement à cause d'Eléonore et du manque de sommeil. A chaque fois que je ferme les yeux le soir, je revois Madame Yoshida, riant aux éclats avant de sombrer sous mes coups. Et à chaque fois, Eléonore est obligée de prendre le contrôle de mon corps pour m'obliger à m'endormir. Parfois, ça a du bon de ne pas être seule dans sa tête...

 — Bonsoir, Yuurei-san !

A peine entrée dans le konbini qu'un jeune garçon aux cheveux noirs très courts m'accueille avec un large sourire. Quelques jours plus tôt, Mai m'avait entrainée un peu aléatoirement dans cet endroit. Je l'avais suppliée au bout de dix établissements d'arrêter de vouloir m'embaucher n'importe où. Au final, c'est grâce à elle si, après les cours, je travaille dans ce konbini auprès d'Haiyama, un autre lycéen de Flem.

— Salut Haiyama-san.

Je lève distraitement la main et dépose mes affaires pour enfiler le tablier réglementaire. Mon service ne commence que dans une dizaine de minutes, mais je tiens à faire bonne impression pour garder ce poste. Dès que j'ai annoncé à ma mère que j'avais retrouvé un petit boulot, elle a effacé de sa mémoire mes derniers accrocs dont ma demi-journée d'absence.

— Tu l'as encore mal attaché, me gronde mon collègue en attrapant les lacets du tablier.

Le voir s'appliquer à nouer mon nœud me rappelle le soin de Zoé qui attachait mes cheveux avant chaque service. Je me laisse faire et l'observe s'affairer du coin de l'œil.

— Voilà, c'est mieux, décrète-t-il en brandissant ses mains comme s'il venait d'achever une œuvre. Qu'est-ce que tu ferais sans moi, franchement ?

Je serais certainement en train de tuer d'autres personnes. »

Mon cœur s'affole brusquement et j'agite mes mains en avant.

— Je voulais dire... 

Mais avant d'avoir pu corriger les paroles d'Eléonore, Haiyama m'interrompt en éclatant de rire. La porte de la réserve s'ouvre brusquement sur le patron du konbini, un homme de la même tranche d'âge que mon père.

 — Hé les jeunes, on arrête de bailler aux corneilles et on s'y met ! Je viens d'avoir une livraison de boites de sardine qui ne vont pas s'empiler toute seule ! 

 

Malgré son ton dur, le patron paraît plutôt sympathique. Il n'a pas hésité une seconde à m'engager, bien que la poitrine de Mai pesât bien plus dans la balance que mon expérience de serveuse.

Haiyama me gratifie d'un clin d'œil rassurant.

— On arrive ! s'écrie-t-il en retour avant de se pencher vers moi, une main d'un côté de sa bouche pour me confier un secret. Cela tombe bien, j'adore les tueurs en série. N'hésite pas si tu as besoin d'aide, je connais le code de la chambre froide. 

Bien qu'il plaisante, je le toise, inquiète. Ce n'est pas une bonne nouvelle, qui sait ce qu'il va se produire si jamais l'occasion de tuer se représente. Mais bordel, à quoi est-ce que je pense, moi ? Je secoue vivement la tête, il faut impérativement que je me ressaisisse ou je vais devenir dingue.

— Tu viens ? 

— J’a… j’arrive tout de suite. 

Alors, on tient le coup ?

Les gloussements d’Eléonore me tapent sur le système. Fort heureusement, ce petit boulot tombe à pic pour m’occuper l’esprit. Mon rôle au sein du konbini est plutôt basique : mise en rayon et encaissement. Haiyama se charge de m’apprendre chaque tâche comme s’il s’agissait d’une mission pour le gouvernement japonais. Apparemment, nous allons dans le même lycée, mais je ne l’avais jamais remarqué avant.

En même temps, vu sa gueule.

Je me passerais volontiers de tes commentaires odieux sur son physique. La soirée touche à sa fin aux environs de vingt-deux heures. A ce moment-là, c’est le patron qui reprend les rennes pour une question de sécurité. Et dire que Yoshida nous retenait parfois au-delà de l’heure de fermeture pour nettoyer trois fois l’argenterie. Yoshida… L’image de son corps affalé sur le sol me revient brusquement en mémoire. Je le chasse aussitôt, ce n’est pas le moment.

— Bonne soirée, Yuurei-san ! 

Haiyama, le sourire aux lèvres, se dirige du côté opposé du mien en m’adressant un signe de la main. Il est plutôt sympa, je pourrais bien me plaire dans ce konbini. Puis cela me permet de faire quelques courses avant de rentrer chez moi.

— Bonne soirée, je réponds alors qu’il est déjà trop loin pour m’entendre.

Mon regard se baisse sur mon téléphone portable. Pas de message de Zoé. Je crois qu’elle m’en veut vraiment pour l’autre soir. Tout en empruntant bifurquant vers la place principale, je pianote sur mon écran pour évaluer la situation.

 

Mer. 22:06. Expéditeur : Lorène Yuurei.

Message : Yo, je viens de finir le boulot, comment s’est passée ta journée ?

 

Sur ma lancée, j’envoie le même message à Joey. Je songe aux violentes paroles qu’Eléonore lui a adressées le matin-même.

« C'est avec ces muscles que tu te fais battre par ton père ? »

Ce n’était vraiment pas cool. Après tout ce qu’il fait pour moi, il ne mérite absolument pas un tel traitement. La ville est calme en cette fin de soirée, les commercent s’éteignent peu à peu et les gens vident progressivement les bars. J’évite soigneusement un groupe de jeunes assez éméchés et me rapproche de la rue commerçante. Devant l’absence de réponse du grand blond, je commence à marmonner :

— Peut-être que je pourrais lui rendre une petite visite… 

Après tout, je connais son adresse maintenant, et ce n’est qu’un détour de quelques kilomètres. Je suis sûre que cela lui ferait plaisir de me voir à la fin de ses livraisons. De ma main libre, je déniche mon téléphone de ma veste et compose un nouveau message.

 

Mer. 22:18. Expéditeur : Lorène Yuurei.

Message : Hé, j’arrive vers chez toi, on se capte ?

 

Drôle de manière de s’annoncer, mais je me voyais mal lui sortir une excuse du genre « Salut mon doudou, tu occupes ma tête H24, je peux passer pour faire mon plein de Joey Wheeler ? » Rien que d’y penser, je l’imagine se vanter de ses exploits en tant que petit-ami.

Au bout d’une dizaine de minutes, toujours rien. Pourtant, ce n’est pas son genre de ne pas répondre aux messages. Non, ça, c’est mon genre. Sans réfléchir, j’appuie sur l’icône en forme de téléphone. Il va voir ce que c’est d’ignorer Lorène Yuurei, je vous jure. Au bout de dix tonalités, je raccroche et réessaie. C’est idiot, comme si recomposer son numéro allait changer la donne.

— Raah, réponds. 

Je tombe finalement sur sa messagerie. Tant pis, je suis déjà engagée dans sa rue de toute façon.

Et après c'est moi qu'on jugera trop envahissante.

Piquée au vif, je m'apprête à lui répondre quand mon attention est captée par tout autre chose. Des voyants bleus clignotent sur le trottoir. Une ambulance est négligemment parquée à quelques mètres de l'immeuble. Aux alentours, des voisins vêtus pour certains de simples peignoirs se sont réunis tels des vautours.

 — Qu'est-ce qu'il se passe encore ? je soupire en vérifiant une énième fois mon portable.

La main serrée sur mon sac de provisions, je m'avance au plus près du voisinage. Deux hommes en uniformes patientent à l'arrière du véhicule. De toute évidence, quelqu'un est attendu.

— Pourquoi ça leur prend autant de temps, bordel ? grogne l'un d'entre eux quand je les contourne. J'aimerais rentrer chez moi.

Son collègue hausse les épaules et désigne l'immeuble de l'index.

­— Le signalement parlait d'un habitant du troisième étage, ça doit pas être simple de descendre un corps de là-haut sans ascenseur. C'est pas beau à voir, je te le parie en mille !

Mon visage devient livide, je m'arrête à hauteur des deux présumés infirmiers.

— Le troisième étage ? je marmonne.

C'est celui où logent Joey et son père, je m'en souviens parfaitement.

— Tout va bien, Mademoiselle ?

La bouche ouverte comme un poisson, je me mets à bafouiller. Ma tête est prise de vertiges tandis que de multiples scénarios défilent dans mon esprit. Ils ont bien dit "corps" à l'instant. Mais « corps », comme « cadavre » ? Mes questions restent coincées au fond de ma gorge, nouée. Instinctivement, je reprends mon téléphone et retente de lui sonner.

— Bon sang, réponds, Jo'.

Ma main tremble tellement qu'au bout de la cinquième tonalité, je décide de raccrocher et de l'enfoncer dans la poche de ma veste.

— E-Excusez-moi, je bredouille en m'approchant du groupe de voisins.

Certains m'ignorent, d'autres se tournent vers moi et me regardent comme s'ils avaient vu un fantôme. Je n'en mène pas large. Ma bouche est sèche, je peine à aligner deux mots dans ma tête.

— Qu'est-ce qui...Q-Qui a été...

— Bah regardez qui se ramène !

Les dernières personnes qui m'accordaient leur attention se sont tournés vers la rue avant de reprendre leur discussion privée. A l'écart, je remarque l'homme m'ayant interrompue. Une clope au coin de la bouche, il m'observe comme une bête de foire avant de cracher ses glaires sur le trottoir. Le père de Joey. Ce n'est pas le Wheeler que je souhaitais croiser, mais c'est une piste.

— Monsieur, est-ce que vous savez où...

A son visage, il avait certainement compris où je voulais en venir à l'instant où il m'a vue. Il s'empresse de m'interrompre en brandissant sa bière sous mon nez. Il empeste l'alcool.

— Ce crétin de Joey ? Là où il devrait être !

Son rire me glace le sang. Les autres voisins le dévisagent en chuchotant.

Oh merde, regarde ses mains.

Eléonore me tord le cou en direction de ses mains. En dépit de l'obscurité et de l'éclairage approximatif des lieux, je décèle des marques de bagarre sur ses phalanges. Mais ce n'est pas tout, la peau recouvrant la partie droite de sa mâchoire est plus sombre que le reste. Un crochet, il s'est pris un poing dans la figure.

— Allez, rentre chez toi gamine ! Il n'y a rien à voir ici, peste l'homme de deux têtes de plus que moi.

Dans mon dos, je perçois le mouvement des deux hommes de tout à l'heure, ils se dirigent tout droit vers l'immeuble pour récupérer un corps. Je baisse le menton vers mes pieds et avance d'un pas.

— Pourquoi ?

— Ce gosse n'a eu que ce qu'il méritait.

L'odeur de rhum emplit mes narines, ce type est bourré au point qu'il ne titube de droite à gauche pour éviter de tomber. Ses ricanements sifflent dans mes oreilles, je lâche négligemment mon sac de courses pour me les boucher. Mon cœur cogne durement contre ma poitrine. Même les pensées d'Eléonore n'interfèrent plus avec les miennes. Seulement le tambourinement de mon rythme cardiaque et ma respiration saccadée.


 

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