Quand on ne regarde que les étoiles

Chapitre 7 : Retrouvailles

3106 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/12/2023 22:13

Le fort était plongé dans la pénombre ; les rares fenêtres qui décoraient les murs étaient recouvertes de panneaux de bois. Contrairement à ce que j'avais prévu avant de rentrer, je n'attendis pas de directives de la part de Valentine et m'engageai dans la pièce.

Je n'avais même pas fait quelques pas que quelque chose se mit à biper.

— Moriarty, à couvert, souffla Nick en m'attrapant par la manche avant de me tirer violemment en arrière.

Une gerbe de balle illumina l'endroit où je me trouvais quelques secondes auparavant.

— Oh, marmonnai-je en sortant mon pistolet de mon sac.

Je n'avais même pas pensé à prendre mon arme plus tôt. Désormais, je n'osais plus bouger. Nick sortit de la poche de son manteau un revolver ; un magnum, même, et se jeta en avant. Il tira avant que la chose ne s'active à nouveau.

Et la chose explosa.

— C'est bon, dit-il en me faisant signe d'approcher. Regardez où vous mettez les pieds, maintenant. J'aimerais autant que vous ne nous fassiez pas sauter.

— C'était quoi ?

— Une tourelle. C'est bon signe.

Je ne voyais absolument pas comment le fait que je sois passée à quelques secondes de la mort soit un bon signe. Néanmoins, j'acquiesçai.

— Je passe devant, dit Valentine en s'avançant vers l'escalier au fond de la pièce. Couvrez mes arrières.

Il commença à monter les marches avant que je ne puisse dire quoi que ce soit.

Je le suivis, en jetant des regards nerveux par-dessus mon épaule, ce qui me paraissait un peu bête, compte tenu du fait que rien n'était dans la pièce que nous venions de quitter.

— Mouvement détecté, dit alors une voix au premier étage.

Une voix, c'était une façon de parler. Elle tenait plus de l'annonce automatique que de la voix humaine. Une autre tourelle ? De la sécurité qui parle, ce n'est pas très malin.

— On a de la compagnie, dit Nick à voix basse. Allez voir à droite. Si vous voyez quelque chose, visez la tête.

Il s'engagea à gauche après les escaliers et disparu dans la pénombre.

— Droite, droite, droite, répétai-je nerveusement.

Peut-être qu'après cette improbable mission de sauvetage à la station de métro, Valentine supposait que je savais me débrouiller seule. Peut-être qu'il supposait que je savais me battre sans problème. Il avait même peut-être l'audace de penser que, si je m'étais mise en quête de ce fameux Kellogg, c'était que j'avais les compétences nécessaires pour me défendre dans le cas où nous le trouverions.

Peut-être.

— Mes capteurs doivent être déréglés.

Plus de doute, la voix venait de la droite. Après tous ces peut-être, je n'allais quand même pas reculer. Je n'allais pas trembler non plus.

Là. Une silhouette. Un bipède aux membres tout fins, à la démarche saccadée. Dans ses mains, un grand fusil.

— Intrus détecté, dit le robot en pointant le fusil en avant, ses yeux rougeoyants braqués sur moi.

— Merde.

Je pointai mon arme sur le synthétique et tirai plusieurs balles qui touchèrent son bras. Ça n'eut aucun effet. Oh, il y avait certes désormais des trous dans l'acier qui constituait ses membres. Certes, des fils électriques étincelaient, éclairant à intervalles réguliers le couloir. Couloir dans lequel le robot continuait à avancer, sans se presser, droit sur moi.

Arrivé à distance suffisante, il se mit en position pour tirer. Je plongeai en arrière pour me mettre à couvert ; bien trop tard.

— Valentine, criai-je en continuant à tirer sur le robot.

Dieu merci, cette créature était lente. C'était comme si, pour chaque action, le synthétique devait prendre le temps de calculer des trajectoires et des probabilités. Le temps qu'il réfléchisse, Nick fit irruption dans le couloir, et fit feu. La tête du robot explosa dans une gerbe d'étincelles.

— Merci, marmonnai-je en me tenant la jambe.

— Je vous avais dit de viser la tête.

— Vous croyez que je n'ai pas essayé ?

Valentine soupira et me lança un Stimpak, que je me plantai immédiatement dans la cuisse.

— Bougez-vous, dit-il me tendant une main pour m'aider à me relever.

Sa main normale, dieu merci.


De retour sur mes pieds, je ramassai l'arme du synthétique ; un fusil blanc, très léger. En lieu et place d'un magasin dans lequel stocker les balles, il n'y avait qu'une seule cartouche fichée sur le côté. Le synthétique avait pourtant déjà tiré.

— Silence, maintenant, m'intima Valentine alors que nous marchions.

Je ravalai mon envie de lui rétorquer que je n'avais absolument rien dit. Un escalier menant au deuxième étage se trouvait au bout du couloir. J'accélérai le pas. Un peu trop.

— Mouvement détecté.

Je me figeai. Valentine fit quelques pas en avant, la main en arrière, comme pour me dire de ne pas bouger.

Il continua à avancer et, dans le doute, je restai plantée-là, mon nouveau fusil pointé devant moi.

— Vous cacher est inutile. Vos chances de survie sont de 2,58%, reprit un synthétique.

— C'est précis, laissai-je échapper.

Nick se retourna vivement vers moi. Il leva les yeux au ciel. Et trois synthétiques nous tombèrent dessus.

Je tentai de réagir vite, mais Valentine fut encore plus rapide et abattit deux synthétiques avant qu'ils n'aient le temps de faire quoi que ce soit.

— Moriarty, je dois recharger, cria-t-il dans ma direction en se mettant à couvert.

Je levai mon fusil, tirai, et compris trop tard que ce truc ne fonctionnait pas du tout comme les armes que je connaissais. L'arme fit feu d'un faisceau rouge, et le recul me fit tomber au sol. Je n'avais eu que le mur, faisant un trou fumant dans le béton, le synthétique leva à nouveau son arme, je me relevai à toute vitesse, chancelante, courus vers le robot et lui décrochai un coup de crosse dans la tempe.

— Dégâts dans les systèmes principaux, annonça le synthétique.

— Ouais, tu m'étonnes, soufflai-je en tirant dans sa tête.

Chaque minute en vie avait un goût de miracle. Nous laissâmes passer quelques instants dans le couloir avant de monter au deuxième étage. Nick devait désormais être plus réticent à l'idée me confier ses arrières, puisqu'il ne dit rien, et surveilla lui-même par-dessus son épaule alors qu'il grimpait les marches.

Sur le palier, une porte close était reliée à un terminal, comme à Park Street. Et, comme à Park Street, Nick se mit à taper sur le clavier. Je profitai de ces quelques instants de répit pour m'adosser contre le mur. Tous mes sens étaient encore en alerte. Si bien que je sursautai violemment lorsqu'une voix retentit dans tout l'étage.

— Tiens tiens tiens, ça serait pas mon amie du frigo, en chair et en os ? La dernière fois que je t'ai vue, t'étais en train de faire dodo à côté des petits-pois et des sorbets.

Je connaissais ce timbre.

Cette voix grave, comme une craie qu'on râcle contre un tableau noir. C'était le type de l'Abri, cet homme qui avait tué Nate, cet homme qui avait pris Shaun. C'était Kellogg.

Nous échangeâmes un regard soucieux avec Valentine. Je n'osai faire le moindre geste, de peur qu'une tourelle ne sorte d'un mur et ne m'exécute sur le champ. Depuis combien de temps savait-il que nous étions entrés ici ?

— C'est bon, souffla Nick après quelques instants.

Nous passâmes la porte. Deux synthétiques nous attendaient derrière. Les nerfs à vif, mes bras semblèrent réagir à ma place et je tirai deux balles dans la tête de l'un d'entre eux avant que ses systèmes n'aient eu le temps de faire quoi que ce soit. Valentine s'occupa de l'autre.

— Franchement, franchement, reprit la voix de Kellogg alors que nous avancions dans le couloir. J'y crois pas, que tu sois arrivée jusqu'ici. Je te donnais quoi, allez, cinquante pour cent de chance d'arriver à Diamond City avec tous tes membres. Et après ? Je me suis dit que tu ferais un chouette goûter pour tout le Commonwealth.

Je souris, les dents serrées. Il avait entièrement raison. Une chance sur deux, et j'avais eu le bon côté de la pièce.

J'avais laissé ma panique au premier étage ; Kellogg était là, quelque part, il était vraiment là, et il y avait Shaun au bout du chemin. De pied ferme, j'attendais sa prochaine intervention. Je marchais la tête haute. J'étais prête à faire de ma colère un moteur. Un rempart contre la peur.

— Tu te rends pas compte dans quoi tu fous les pieds, tu sais. C'est des trucs qui te dépassent, vraiment. Tu peux encore faire demi-tour. J'suis sympa : je te laisse le choix. Y'a peu de monde qui a eu cette chance.

En guise de réponse, j'accélérai l'allure. Le message était clair. Je ne reculerai pas. Pas maintenant, pas après tout ça. Nick pressa le pas pour réussir à me suivre. Nous arrivâmes finalement devant un ascenseur. Juste avant que je ne presse le bouton d'appel, Valentine attrapa mon poignet.

— Moriarty. Il faut qu'on se serve de nos têtes, sinon, on va y laisser notre peau.

Je secouai la tête. Shaun était là, juste là, à l'étage du dessus. Je n'avais pas envie de jouer les intellectuels avec Nick, je n'avais pas envie de fomenter une attaque élaborée quand je pouvais tout simplement courir et serrer mon fils dans mes bras.

— Bon, bah, ça y est, vous êtes là. Montez, qu'on cause, dit Kellogg dans l'intercom.

Qu'on cause. Je rangeai le fusil ramassé sur le synthétique dans mon sac, vérifiai que le chargeur de mon pistolet était plein, glissai un Stimpak dans ma poche. Il fallait y aller.

— Moriarty, répéta Nick.

J'appuyai sur le bouton d'appel en regardant droit dans ses yeux jaunes.

L'ascenseur s'ouvrit. Je montai à l'intérieur. Nick, dans le couloir, sembla hésiter. Il n'avait pas l'air content. Il n'avait pas l'air rassuré non plus. S'il décidait de faire machine arrière, alors qu'importe.

C'était mon histoire. C'était mon fils, là-haut.

Finalement, il soupira, et me rejoignit.


Kellogg était tout seul. Au fond d'une grande pièce éclairée de néon, il se tenait, nonchalamment, en appui sur un des nombreux bureaux qui étaient disposés en rangs contre les murs. De l'avoir devant les yeux avait fait s'envoler les quelques doutes qu'il me restait ; la mince probabilité que tout cela soit une vaste erreur et que Kellogg ne soit pas notre homme.

Il avait toujours la même tenue de cuir que le jour où il avait tiré une balle dans la tête de Nate.


— Tiens, tiens, tiens. Je crois que t'as mérité le titre de personne la plus résiliente de tout le Commonwealth... C'est marrant, j'étais persuadé que c'était moi.

Il était vraiment avachi. Il aurait pu au moins se tenir droit. Avoir l'air un peu plus intimidant, un peu plus sérieux. Il avait parlé avec la désinvolture de celui qui s'en fout, de celui qui n'a pas le cœur qui essaie de sortir de sa poitrine à force de battre à toute vitesse.

— Kellogg. Rends-moi Shaun.

La peur était revenue, elle agitait tous mes membres, elle me serrait la gorge comme une envie de pleurer qui s'anticipe toute seule.

— Ah, oui, Shaun... dit Kellogg en attrapant son menton, mimant la réflexion intense. Bon, si on met de côté le fait qu'il est un peu plus vieux que ce que tu dois imaginer, il n'est pas ici.

Il se mit à rire, un rire faux qu'il interrompit pour me regarder droit dans les yeux ; il attendait la réaction de son public, il attendait que je sorte des mes gonds. C'était comme s'il avait répété ces instants depuis longtemps, préparant ma venue comme un grand spectacle dont il avait le premier rôle.

— Oups, comme on dit, reprit-il. Bon. Je t'ai proposé de te tirer, dans ma grande bonté, tu l'as pas fait. J'ai bien peur que ce soit la fin pour toi, continua-t-il en faisant mine d'être triste.

Je cherchais des mots, je cherchais des répliques cinglantes. J'aurais pu le tuer pendant qu'il fanfaronnait, j'aurais pu enserrer son cou trop large pour l'étouffer ; j'aurais pu.

— Où est Shaun ?

Il fallait que je sache. Kellogg se redressa, se frotta les mains. Valentine avança de quelques pas, son magnum pointé devant lui.

— C'est quoi, ce qu'on dit, déjà ? dit Kellogg avec componction. Si proche... Et si loin en même temps ? Ton gosse, c'est un peu ça. Mais, t'en fais pas, t'en fais pas... Il est en parfaite santé. Il est même très heureux, dans sa nouvelle maison.

Kellogg soupira, comme pour faire durer le suspense. Il planta ses yeux dans les miens, sourit, et dit :

— Il est très bien traité, à l'Institut. Tu peux mourir l'esprit tranquille.

Les larmes s'étaient mises à ruisseler sur mon visage sans que je ne puisse rien y faire. C'était terminé ; Shaun n'était pas là.

C'était terminé.

— Pourquoi tu ne m'as pas descendue dans l'Abri, Kellogg ?

— Oh, hé, dit Kellogg en levant les paumes. Je suis pas le bureau des plaintes, moi.

De la colère, j'étais devenue le pantin. La haine m'animait, elle avait pris possession de moi. Dans la pièce, il n'y avait plus que moi et Kellogg ; tout le reste avait disparu.

— Comment tu peux t'en foutre à ce point ? Comment tu peux ne pas avoir un peu de regret qui te tord le ventre ? Y'a pas un truc en toi qui se révolte ? T'es le genre de merde qui suit les ordres les plus affreux sans se poser de questions ?

De sa main libre, Valentine amorça un geste pour me faire taire - ou me faire reculer. Je le repoussai violemment sans quitter Kellogg des yeux. Kellogg, qui lui, faisait mine de trouver très drôle ce qui sortait de ma bouche.

Et pourtant, une légère contraction agita sa mâchoire ; une pointe d'énervement sur un homme qui faisait tout pour donner l'impression d'être imperméable aux balles comme aux mots.

— Je sais pas dans quoi t'as été élevé pour commettre ce genre d'atrocité, Kellogg, continuai-je en passant le dos de ma main sur mes yeux. Mais j'espère pour toi que tu n'as pas d'enfants : les pères comme toi, on les préfère crevés.

Je reniflai. Kellogg fit un pas en avant, la main juste au-dessus du holster qui tenait son revolver.

— Ferme-la, ok ? hurla-t-il, soudainement victime à son tour de sa colère. Tu la fermes, c'est tout, ou je te descends maintenant !

— Mais qu'est-ce que t'attends, Kellogg ? Qu'est-ce que t'attends ? Je me demande bien si ton gosse s'est enfui pour échapper à tes horreurs ou s'il est mort à cause de ce que tu fais pour gagner ta vie.

J'en avais trop fait, et je souriais, attendant à mon tour la réaction de Kellogg. Je souriais, alors que les larmes continuaient à sortir des mes yeux comme d'un verre qui déborde.

Valentine me poussa en arrière, pointa son arme sur Kellogg, son index sur la gâchette, son muscle extenseur tentant d'obéir à la demande très claire de son cerveau : presse la détente, mais Kellogg fut plus rapide. Il tira deux balles, la première sur Nick, qui s'écrasa au sol, la deuxième sur mon arme, qui sauta de ma main pour atterrir plusieurs mètres plus loin.

Mon sourire s'effaça. Nick ne bougeait plus. Je me jetai en avant pour récupérer mon arme au sol, mais Kellogg était fulgurant, entraîné, affuté.

Il se jeta sur moi, m'attrapa la gorge et me souleva au-dessus du sol comme si je ne pesais que quelques grammes. Sa force colossale se ressentait dans chacun de ses doigts qui pressaient ma trachée et ma carotide. Je me débattis, comme si cela pouvait changer quelque chose.

L'air et le sang peinaient déjà à alimenter ma tête.


— Tu sais, je voulais en finir rapidement. Je voulais tirer dans ta petite cervelle et repeindre les murs avec. Mais finalement, je veux regarder la vie quitter tes yeux, là, comme ça, pendant que tu luttes pour rester consciente. Je veux que tu te battes pour chaque bouffée d'air, je veux que tu te sentes partir, en pensant à ton fils que t'auras jamais sauvé. Ensuite, je prendrai ton cadavre, et je le filerai à bouffer aux goules sauvages du coin. En une heure, on reconnaîtra plus ton corps, tu seras effacée de la surface de la terre, effacée de l'histoire, sans personne pour te pleurer, dit Kellogg sans me lâcher des yeux, l'air triomphant, sadique.

Rideau ; la pièce est finie.


J'attendais que ma vie se mette à défiler devant mes yeux ; puisque telle était la contrepartie quand la mort vient nous chercher.

Mais rien ne vint. Dans mes yeux, il n'y avait que le noir qui, progressivement, grignotait mon champ de vision.

Puisque la vie ne venait pas me rejouer mes souvenirs, je me mis à penser à Shaun.

A son nez retroussé, à ses yeux verts, à son odeur de bébé qui, lorsque je posais le nez sur le haut de sa tête, me faisait me sentir entière, complète, achevée.

Je me mis à penser à Nate, à ce moment où j'avais relevé les yeux de mon livre, à tous ces instants passés à cartographier son visage de mes mains, à sa voix, à sa façon de nouer ses cheveux en arrière.

Je me mis à penser à toutes les fleurs du monde.

— Putain, tu souris, en plus, dit Kellogg, en resserrant encore son étreinte autour de mon cou.


La mort, ce n'est pas si terrible. Tout s'arrête.

Il n'y aura personne pour me pleurer ; et tant mieux. Il est plus facile de mourir que d'être celui qui reste.

La main de Kellogg relâcha mon cou, ma tête tapa le bureau qui était derrière moi.


Rideau. Noir. 

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