Hot Church

Chapitre 4 : Arrête ou la pomme va tomber ! (partie 1)

2242 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/05/2024 14:53

Le reste de la matinée s'écoula comme après une sanglante bataille durant laquelle les deux belligérants avaient finalement conclu un armistice silencieux. Suite à son altercation avec le lieutenant Fell, Crowley s’était réfugié dans son bureau où il constata la disparition du Cornetto à la fraise. Soupçonnant Shax de le lui avoir volé, il lança une remarque bien sentie à la réceptionniste se trouvant dans la grande salle. Perchée sur le bureau de Furfur, son meilleur ennemi avec qui elle échangeait quelques ragots matinaux, la diabolique secrétaire se contenta d’un sourire tout à fait méprisant, avant de se livrer à son activité favorite, après le shopping, la pédicure et le démembrement d’époux devenu trop encombrant. Se rappelant la conversation qu’il avait eue avec Maggie et Nina, Crowley décida d’abandonner la quête de vérité en sujet de la glace volatilisée : il ne tenait pas à ce que ses membres soient dispersés aux quatre coins du Pays de Galles ! S’il avait tourné la tête vers le bureau de son ennemi en devenir, il aurait pu le voir retirer un emballage rouge de la poche de son manteau pour le dissimuler sous le clavier de son ordinateur.


Une fois quelques rapports corrigés et remis en ordre, Crowley décida de les placer dans les Archives. En entrant dans la petite pièce, il se sentit submergé par un profond sentiment de désespoir administratif : des dossiers s’éparpillaient sur des étagères poussiéreuses, des feuillets traînaient par terre. Il avisa même un carton éventré contenant des cotillons et quelques banderoles souhaitant une « joyeuse année 2000 ». Il fut cependant surpris de découvrir une étagère bien rangée, avec des dossiers classés par année et ordre alphabétique. Il consulta le premier dossier, datant d’une bonne douzaine d’années, et en faisant un rapide calcul, comprit que le rangement effectué était dû au lieutenant Fell. Il avait beau être un enquiquineur affectant des manières de comtesse douairière, Boucle d’or semblait plutôt compétent dans son travail.


Soudain, la lumière s’éteignit, plongeant la salle des archives dans la pénombre. Crowley poussa un juron et s’avança vers l’endroit où il croyait trouver l’interrupteur, lorsqu’une voix grave jaillit dans l’obscurité :

– Vous n’avez jamais rêvé de faire ça avec un parfait inconnu ?

La lumière se ralluma et l’ampoule vacillante lui dévoila la présence de Furfur. L’officier ferma la porte avant de s’y adosser, le brushing frétillant et l’œil pétillant.

– Bon, pas totalement un inconnu, admit-il en s’approchant de son nouveau supérieur.

Crowley poussa un cri horrifié et bondit de quelques pas en arrière.

– Furfur ! Qu’est-ce que vous foutez ici ?!

– Je suis venu pour un rapport, fit l’interpellé en consultant son calepin flambant neuf, dépourvu de notes.

– Ce n’est pas pressé, grommela Crowley en se faisant d’une étagère un rempart destiné à le protéger des assauts de Furfur. Au fait, demanda-t-il en consultant le premier dossier qu’il avait en main, qui est cette Madame Tracy ? J’ai vu son nom apparaître sur de nombreux frais de service établis par l’ancien capitaine. C’est une indic’ ?


Crowley avait réussi à se constituer un solide réseau d’espions à Londres, des personnes qui lui étaient entièrement dévouées œuvrant dans les plus bas quartiers de la capitale jusqu’aux plus hautes sphères de Buckingham Palace, mais ici, dans ce fichu Pays de Galles, il lui faudrait batailler pour obtenir la moindre information…


– Madame Tracy ? répéta Furfur en esquissant un curieux sourire. Elle consulte en tant que voyante et elle exerce aussi un tout autre type d’exploration sensorielle.

Il jeta un regard par-dessus de son épaule avant de se pencher vers son capitaine.

– Au fait, faudrait penser à installer une porte à votre bureau. Pour l’intimité, vous comprenez…

– Excellente suggestion, Furfur ! Vous devriez la noter pour éviter de l’oublier !

– Ça serait bien d’avoir un petit coin pour parler en toute tranquillité, reprit Furfur, les Archives ne sont pas un lieu approprié pour avoir une discussion approfondie.

– De toute évidence, répliqua le capitaine en faisant quelques pas sur le côté.

– Vous savez, reprit l’officier en appuyant son coude contre l’étagère et en laissant tomber son bloc-notes, on pourrait rendre visite à Madame Tracy afin que vous puissiez faire sa connaissance. Elle loue sa salle de jeux pour un prix tout à fait raisonnable.

– J’ai passé l’âge de jouer aux gendarmes et aux voleurs, Furfur.

– Je ne vous crois pas, lui souffla l’officier au visage. Je pourrais vous rappeler quelques règles... Je n’ai pas oublié cette nuit, capitaine.


Le regard de Crowley croisa celui de son vis-à-vis. Des yeux clairs. Le Gallois menteur – il avait dû se rendre à l’évidence quand il avait tenté de le rechercher quelques années après sur les réseaux sociaux –, avait lui aussi les yeux clairs. Comme Furfur. L’officier profita de son inattention pour lui susurrer quelques mots en écossais qu’il n’eut aucun mal à traduire. Crowley s’apprêtait à répliquer qu’il n’avait pas pour habitude de jouer de la cornemuse ou de parler gaélique aux personnes partageant un bout de son oreiller, lorsque le souvenir d’une phrase qu’il avait chuchotée, cette nuit-là, lui revint en mémoire. Crowley guetta le moment où Furfur prononcerait les doux mots qu’il avait eu la stupidité de proférer, mais ne parvint pas à les distinguer au milieu de toutes les insanités listées par l’officier.


– Ça, vous en avez débité des choses dans votre langue de barbare, déclara Furfur en lui décochant un clin d’œil, langue qui fonctionne à merveille d’ailleurs !

Crowley se redressa et décida qu’il était temps de mettre un terme à ce petit jeu.

– Je crois, officier, que vous faites erreur.

– Niez-le autant que vous voulez, capitaine, mais je saurais vous faire retrouver la mémoire… le corps, lui, n’oublie jamais.


Furfur s’inclina vers son supérieur hiérarchique, la bouche quémandant un baiser. La porte des archives s’ouvrit à nouveau et l’apparition du lieutenant Fell, les bras chargés de dossiers, mit fin à cette désolante tentative de séduction.

– Furfur, les stationnements interdits t’attendent, déclara Aziraphale en prenant son ton le plus grave.

– Bien, lieutenant, obéit l’agent à regret.


Avant de sortir de la petite salle, Furfur lança un clin d’œil complice au capitaine. Un clin d’œil, comme chacun le sait, peut être interprété de différentes façons : pour Furfur, ce clin d’œil signifiait que cette conversation serait remise à plus tard, et qu’ils trouveraient un moment pour se rappeler cette délicieuse nuit d’ivresse partagée lors d’un été gallois particulièrement torride. Pour Crowley, ce clin d’œil signifiait de nouveaux problèmes en perspective, car il n’avait nul désir d’engager un semblant de fraternisation avec un collègue. Il avait déjà tenté l’expérience et cela s’était révélé un échec cuisant, qui lui avait coûté bien plus qu’une dignité piétinée.


– Je… commença Crowley en cherchant à entamer une conversation à peu près apaisée avec son équipier, mon… mon prédécesseur ne faisait pas du bon travail.

Aziraphale, occupé à ranger un dossier, arqua un sourcil moqueur.

– Vous venez juste de vous en apercevoir ?

– Depuis combien d’années occupait-il ce poste ?

– Une bonne quarantaine d’années, je dirais, répondit Aziraphale en daignant enfin lui faire face.

– Quarante foutues années ?! Mais comment cet incompétent a-t-il pu rester aussi longtemps ?!

Il vit Boucle d’or se balancer d’un pied sur l’autre comme saisi d’une envie pressante.

– Le capitaine Gomorrah est ami avec le maire de Tadfield, avoua Aziraphale en baissant les yeux.

– Il me tarde de rencontrer notre sommité locale ! J’espère qu’il m’aura aussi à la bonne !

– Ça ne risque pas, laissa échapper Aziraphale avant de se rendre compte des implications d’une telle phrase.

Il se confondit en excuses et voulut déguerpir de la salle aux archives. Crowley anticipa sa fugue et s’interposa entre lui et la porte.

– Qu’avez-vous voulu dire, lieutenant Fell ? demanda-t-il en plaçant ses bras de chaque côté de l’encadrure.

– Rien ! se défendit l’intéressé en essayant de se frayer un passage. Oubliez ce que j’ai dit !

– C’est un mal assez répandu par ici, murmura Crowley, l’oubli.


Aziraphale baissa la tête et parvint à se faufiler sous le bras gauche de son nouveau capitaine. Son front frôla son aisselle. Crowley sentit une décharge électrique le traverser de la pointe de ses cheveux jusqu’au bout de ses orteils. Aziraphale se retourna et Crowley remarqua que ses bouclettes s’étaient redressées, comme soumises aux caprices de ce courant invisible qui les avait pénétrés l’un l’autre. Aziraphale tendit la main pour aplatir sa chevelure récalcitrante et murmura qu’il n’avait pas de temps à perdre avec ce genre de discussion. Il ajouta, avant de s’éloigner, qu’une salle d’archives n’était pas un lieu « convenable » pour se livrer à des « actes génésiques à visée non reproductive ». Crowley laissa échapper un juron et cria haut et fort, ce qui fit se retourner la pauvre Muriel, qu’il n’avait pas pour habitude de pratiquer ce genre d’activités sur son lieu de travail ! Il se garda bien d'avouer qu’il avait déjà eu le plaisir – une seule fois ! – de découvrir que les toilettes du deuxième étage de la Metropolitan pouvaient constituer un terrain de jeux tout à fait plaisant.


En revenant dans la grande salle, Aziraphale fut accueilli par le cri joyeux d’un Eric revenu d’entre les blessés. Le jeune constable s’avança vers lui, clopin-clopant, et le pria de s’excuser pour son absence de la veille. Le lieutenant s’empressa de le rassurer. À cet instant, Crowley fit son apparition. Le jeune officier leva la main et le salua avec une chaleur que Muriel n’aurait pas reniée.


– Bonjour, capitaine ! Je suis Eric !

– Bonjour Eric, je suis au bout de ma vie, répondit ledit capitaine en se réfugiant dans son bureau dépourvu de porte.

– Le capitaine Crowley a le mal du pays, déclara une Muriel compatissante.

– Il ne semble pas très sympathique, pas vrai, lieutenant ? fit Eric en se tournant vers Aziraphale.

– Pas vraiment…

– Capitaine, chuchota Eric en vérifiant que les oreilles indiscrètes de Furfur et de Shax ne traînaient pas dans les parages, ce n’est pas le résultat espéré, pas vrai ?

Muriel coula un triste regard à son lieutenant. Ce dernier acquiesça tout en serrant un dossier contre sa poitrine.

– C’était une idée stupide, de toute façon…

– Capitaine, proposa un Eric bien désolé. Je peux continuer à chercher, si vous voulez et…

– Non, je n’aurais jamais dû vous parler de cela… et je n’aurais jamais dû accepter que tu transgresses je ne sais combien de règles pour satisfaire un caprice de vieux fou !

– Vous n’êtes pas si vieux, capitaine ! intervint Muriel.

– Considérons cela comme une bonne leçon, répliqua Aziraphale en esquissant l’un de ses sourires factices. Allons, vous avez du travail et moi aussi. Oublions cette discussion, ainsi que celle que nous avons eue lors de cette regrettable soirée.


Il s’éloigna, la tête basse, sous les yeux attristés de ses deux subordonnés. Parvenu à son bureau, Aziraphale posa son dossier – un procès verbal établi suite à une nouvelle querelle de voisinage entre Dagon et Uriel –, et s’installa devant son ordinateur. Son fond d’écran était une photographie d’un champ de jacinthes des bois, prise dans la Forêt du Tarot. L’un de ses endroits préférés. L’un des seuls endroits en vérité, où il pouvait être tranquille. Il pencha la tête et enfonça ses doigts dans ses boucles désordonnées. Le seul endroit où il pouvait laisser libre cours à ses pensées, sans éprouver la moindre once de culpabilité.


Ineffables blablas


  1. Les deux premières répliques prononcées par Furfur dans ce chapitre sont reprises d'une réplique prononcée par Daniel Cleaver (Hugh Grant) dans le film Bridget Jones: l'âge de raison. Il y a longtemps que je rêve de caser cette réplique dans une fanfiction (avec une autre) et c'était le moment ou jamais de la placer. Merci à ce Furfur qui me donne enfin l'occasion de placer cette réplique dans la bouche d'un personnage... ainsi que l'autre que je souhaitais à tout prix caser.




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